Des enfants et des livres

Il peut paraitre singulier qu’un texte de 1986, déclaration solennelle adoptée en assemblée générale à un moment où demander le retrait de livres des rayons des bibliothèques était devenu tendance, se retrouve soudainement sur ce site. Plusieurs stigmatisations récentes, émanant notamment de défenseurs d’une vision traditionaliste de la famille, donnent à penser qu’il n’est pas inutile de rappeler certaines évidences. Y compris en ces temps d’élections, comme une manière de dire qu’il faut être vigilant, toujours.

 (Orléans, le 11 avril 2017)

 

 Des enfants et des livres

     La vitalité et la diversité de la littérature pour la jeunesse dans notre pays tiennent en grande partie à la liberté de l’édition qui est de droit en France.

     Le CRILJ qui est un lieu de rencontres de personnes d’opinions différentes défend cette liberté de l’édition, particulièrement dans tous les domaines de la littérature de jeunesse : liberté d’expression des écrivains et des illustrateurs, liberté de publication des éditeurs, liberté de jugement des critiques, liberté de choix des bibliothécaires, liberté pédagogique des enseignants, etc.

  1. La littérature de jeunesse a des exigences particulières : du jeune enfant au jeune adulte, elle s’adresse à des personnes en formation qu’il importe d’aider à devenir responsables et libres en concourant au meilleur développement possible de leur intelligence et de leur sensibilité encore fragile.

    Il est souhaitable que tous ceux qui contribuent à la littérature de jeunesse, de la création à la lecture, aient toujours conscience de ces responsabiltés.

    Le CRILJ a été créé pour promouvoir une littérature de qualité dans le plus grand respect dû à l’enfant et à l’adolescent.

    Ce respect exige aussi qu’on n’arrête pas le développement de l’enfant à un stade infantile.

    Le CRILJ entend bien concilier les exigences de la liberté de création et les exigences du respect de l’enfant.

    Le CRILJ constate que cette conciliation se pratique normalement par la médiation d’adultes responsables (parents, éducateurs, bibliothécaires, enseignants, etc) afin que “le bon livre parvienne à l’enfant au bon moment” et qu’ainsi l’enfant puisse exercer son choix.

    Pour faciliter cette médiation nécessaire, il importe que chacun des responsables joue pleinement son rôle, qu’il ait une bonne connaissance des enfants qui lui sont confiés, des publications, de leur contenu, de leur valeur.

    Depuis ses origines, le CRILJ souhaite une formation toujours meilleure des personnels spécialisés et une information plus vaste et plus précise par les divers mouvements, associations, institutions et par la presse, la radio, la télévision.

    Ni la lecture ni l’éducation ne sont des choses simples. Le livre n’est jamais un produit neutre. Refusant toute “chasse aux sorcières”, récusant les amalgames, les dénonciations et les anathèmes, le CRILJ estime légitime la diversité des courants, des options, des opinions, dans le respect des grandes valeurs humaines.

    Le CRILJ invite ses adhérents à poursuivre leurs efforts en faveur d’une littérature de qualité, avec le même discernement et la même opiniâtreté.

    C’est une tâche difficile et complexe, rendue nécessaire par la richesse de la littérature de jeunesse qu’on ne peut pas simplement réduire, de façon manichéenne, à des listes de “bons livres” recommandés par tous ou de “mauvais livres” défendus pour tous.

    On ne peut donner à lire n’importe quoi à n’importe quel enfant. On ne peut pas non plus transformer les jeunes lecteurs en bébés-bulle vivant dans un univers aseptisé sans rapport avec la réalité qui l’environne. A ce titre, toutes les grandes œuvres de notre patri-moine risqueraient une condamnation, alors que ce sont des livres d’initiation : un grand livre est toujours vivant, toujours à l’œuvre dans l’esprit de celui qui l’a lu. Il conduit plus loin. Il participe à la vie et à ses changements.

    Le CRILJ incite ses adhérents à se garder aussi bien du laisser-aller que du terrorisme intellectuel qui prétend légiférer sur toute chose, aussi bien de l’abandon aux puissances de l’argent que du retour à l’obscurantisme pervers, aussi bien du laxisme à la mode que du puritanisme de la peur.

    Le CRILJ invite ses adhérents à assumer pleinement leur rôle de créateur ou d’intermédiaire entre les enfants et les livres, chacun unique, tous différents, irremplaçables.

 (Paris, décembre 1986)

Puisqu’il faut régulièrement le redire

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Nous exprimons notre désaccord profond

par l’Association des Bibliothécaires de France

     Ces derniers jours, quelques sites web ont mené des appels au retrait de livres achetés par des bibliothèques municipales, dont la liste est également dressée. Les ouvrages incriminés sont ceux d’une bibliographie proposée par le syndicat SNUipp-FSU de 79 livres de jeunesse pour l’égalité et concernent essentiellement l’égalité femme-homme et l’homosexualité.

     Nous, Association des Bibliothécaires de France, tenons à exprimer notre désaccord profond avec ces prises de positions partisanes et extrêmes. Nous espérons bien au contraire que la liste des bibliothèques ayant procédé à ces acquisitions s’allongera car c’est le rôle des bibliothèques et des bibliothécaires que de proposer au public des livres pour toutes et tous et sur tous les sujets pour favoriser les débats, lutter contre les prescriptions idéologiques et donner aux enfants comme aux adultes les clés pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.

     Nous saluons donc les bibliothécaires qui, en achetant livres et autres documents, sont fidèles à la vocation des bibliothèques, telle qu’inscrite dans le Manifeste de l’Unesco, à proposer « des collections reflétant les tendances contemporaines et l’évolution de la société ». Comme l’affirme le code de déontologie de l’Association des Bibliothécaires de France, le bibliothécaire s’engage, en effet, à favoriser la réflexion de chacun et chacune par la constitution de collections répondant à des critères d’objectivité, d’impartialité, de pluralité d’opinion, à ne pratiquer aucune censure, et à offrir aux usagers l’ensemble des documents nécessaires à sa compréhension autonome des débats publics et de l’actualité.

     Nous saluons également les élus et les élues qui ont à coeur, dans leurs projets politiques, de faire de leurs territoires des lieux où chacun et chacune trouve à s’exprimer, à se construire et à se penser comme citoyen dans sa diversité et qui reconnaissent aux bibliothèques leur rôle dans la réussite de cette mission.

     Nous saluons enfin le public des bibliothèques, enfants, adolescents ou adultes qui par leurs demandes variées, nous donnent l’opportunité de construire une offre pluraliste de ressources et de services. Par là même, ils accompagnent l’action des bibliothécaires en faveur de l’égalité.

( communiqué du lundi 10 février 2014)

 

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La littérature jeunesse attaquée

par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse

     La littérature jeunesse s’est récemment retrouvée au cœur de polémiques inacceptables.

     La Charte tient d’abord à exprimer sa colère de voir des auteurs, illustrateurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants et blogueurs de littérature jeunesse mis injustement en cause dans différents faits d’actualité touchant aux questions des genres ou de l’égalité fille-garçon. Nous ne pouvons laisser ces appels à la censure et à la haine passer pour des opinions acceptables. Nous ne pouvons excuser l’ignorance de ceux qui portent ces attaques.

     Nous tenons ensuite à apporter notre soutien à tous ceux qui ont fait l’objet d’accusations, d’intimidations ou d’agressions violentes, absurdes, inadmissibles.

     Les créations comme les créateurs sont pluriels. Les victimes de ces derniers jours défendent dans leurs pages : tolérance, différence, égalité et ouverture d’esprit. Et chaque lecteur, quel qu’il soit, se doit d’être libre de ses lectures.

    De tous temps, les dictatures et les régimes les plus autoritaires ont commencé par s’attaquer aux livres, par les accuser, les expurger, puis les brûler. Le fait que des individus, anonymes ou responsables politiques, puissent s’engager sur ce chemin qui les éloigne de la démocratie ne peut être considéré comme anodin. Nous espérons de nos représentants politiques des réponses claires et un soutien ferme dans la tempête au cœur de laquelle notre profession a été malmenée depuis plusieurs semaines.

     La Charte est engagée pour une littérature de qualité, ouverte à tous les imaginaires. Elle soutient tous ceux qu’une censure injustifiée prend à partie et se tient prête à se mobiliser.

     Une copie de ce communiqué a été adressée à Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication; ainsi qu’à Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.

(communiqué du mardi 11 février 2014)

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Engagez-vous

 par les libraires de l’Association des Librairies Spécialisées Jeunesse 

     Nous, libraires spécialisés jeunesse, nous nous sentons attaqués professionnellement par la récente mise à l’index d’ouvrages pour la jeunesse et nous avons le devoir de défendre notre métier ainsi que toute la corporation professionnelle qui œuvre pour la qualité de la production du livre jeunesse.

     La littérature de jeunesse demeure mal connue. Elle est aujourd’hui la cible de personnes ignorantes de la diversité qui en fait sa richesse, des interrogations qui aident l’enfant à se construire, des réponses qui alimenteront ses réflexions, des idées qui nourriront l’homme ou la femme qu’il deviendra.

     Nous ne pouvons avoir que du mépris pour de tels agissements. Le regard porté sur ces livres est volontairement dévoyé à des fins polémiques. En plus de l’ignorance dont ils font preuve, de la méconnaissance de l’univers de la littérature jeunesse, de la pédagogie, du bon sens et de l’humour, ils portent des accusations absurdes pour des livres, des auteurs, des illustrateurs, des éditeurs reconnus et plébiscités dans toutes lesbibliothèques et écoles de France.

     Nous libraires récusons à ces mêmes personnes la possibilité de juger de la nuisance d’un livre pour le jeune lecteur. A chacun son métier : notre expérience, notre savoir et notre devoir est de proposer le meilleur dans ce domaine. Les livres de littérature de jeunesse sont écrits et illustrés par des auteurs et des créateurs professionnels qui ont l’ambition de faire rêver, rire et titiller l’esprit et nos enfants. Nous aimons à croire que cette diversité les rendrons justement plus critiques, et nous pouvons leur faire confiance pour qu’ils trouvent dans ce foisonnement leur propre voie. A chacun de décider ce qu’il aime ou n’aime pas dans sa liberté de choix.

     Dans nos librairies nous défendons une littérature de qualité, par la tenue des textes et par la créativité de l’illustration. En tant que libraire, nous sommes fiers de la variété des livres que nous proposons, qui se manifeste autant par la richesse des thématiques abordées que par la diversité de points de vue et des modes d’expressions. Nous avons un rôle de passeurs envers les jeunes générations, ce qui implique la responsabilité de défendre cette richesse et de la valoriser auprès du public. Ceci afin que les enfants d’aujourd’hui soient des lecteurs – et des citoyens – critiques et responsables demain.

     Alors, aujourd’hui faisons en sorte qu’aucun livre ne soit mis à l’index au motif qu’il dérange la sensibilité de nos hommes politiques.

(communiqué du mercredi 12 février 2014)

  

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Position sur les attaques contre certains livres destinés aux enfants

 par le Syndicat de la librairie française

     Le Syndicat de la librairie française s’associe aux protestations contre les appels à retirer des bibliothèques publiques des ouvrages pour la jeunesse traitant de l’égalité entre les femmes et les hommes ou de l’homosexualité.

     Les attaques contre les livres ne sont jamais anodines. Les livres sont le reflet des questions qui traversent la société et chaque individu. Chercher à évincer certains ouvrages des écoles ou des lieux de lecture publique, c’est retirer la confiance à tous ceux dont le métier est de sensibiliser les enfants sur ces sujets, qu’ils soient auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires ou enseignants. C’est également nier la nécessité de débattre de ces questions et c’est refuser de reconnaître la diversité croissante des choix de vie et la liberté qui s’y rattache. C’est à la fois dangereux et vain.

     Les librairies ont elles-mêmes pour rôle de s’ouvrir à des opinions et à des publics différents à travers leur sélection de livres et les débats qu’elles organisent. Elles ne peuvent qu’être inquiètes de voir le livre devenir la cible de l’intolérance et elles réaffirment leur engagement en faveur de l’égalité et du respect des différences.

( communiqué du jeudi 13 février 2014 )

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 La littérature de jeunesse fait entendre sa voix .

 par Hélène Wadowski, présidente du groupe Jeunesse du SNE

     La littérature de jeunesse a été propulsée depuis quelques jours sur le devant de la scène. L’occasion (inespérée ?) de rappeler les fondamentaux d’une littérature inventive, riche, ouverte au monde et aux autres. Une littérature innovante, qui vit au rythme de ses lecteurs. Une littérature qui, grâce au talent et à la fantaisie de ses auteurs et illustrateurs, grâce à l’exigence de qualité de ses éditeurs, grâce à la finesse et à l’honnêteté de ses médiateurs peut aborder une large palette de sujets. Sujets historiques, sujets d’actualité, questions de société, sujets plébiscités ou sujets plus « tabous », car tous les thèmes méritent d’être abordés, toutes les questions peuvent être posées !

     Les éditeurs prennent à cœur leur responsabilité dans le choix du texte. C’est leur mission première, l’essence même de leur métier. Choix d’un texte juste, sensible, accessible, ouvert, qui invitera d’abord chaque lecteur à découvrir le plaisir de l’histoire racontée, et aidera le bébé, l’enfant, l’adolescent ou le jeune adulte à grandir, à se construire, à se connaître, à appréhender le monde qui l’entoure, à le comprendre pour s’y inscrire pleinement et volontairement. Les éditeurs de littérature de jeunesse croient profondément que l’enfant est apte à développer sa propre vision du monde à partir d’une histoire. Que l’enfant grandit en questionnant la vie. Que par le truchement du livre, il construit son jugement, apprend à raisonner.  Les mots de Bruno Bettelheim [dans Psychanalyse des contes de fées] ne sauraient que confirmer ce leitmotiv de la littérature de jeunesse : « Pour qu’une histoire accroche vraiment l’attention de l’enfant, il faut qu’elle le divertisse et qu’elle éveille sa curiosité. Mais pour enrichir sa vie, il faut en outre qu’elle stimule son imagination, qu’elle l’aide à développer son intelligence et à voir clair dans ses émotions ; qu’elle soit accordée à ses angoisses et à ses aspirations ; qu’elle lui fasse prendre conscience de ses difficultés tout en lui suggérant des solutions aux problèmes qui le troublent ».

      L’édition jeunesse en France publie chaque année plus de 5 000 nouveautés, d’une qualité qui n’est plus à démontrer. Convoquant tour à tour l’humour, le sérieux, l’émotion, la littérature de jeunesse sait évoquer la vie avec sensibilité. Face à toute velléité ou volonté de censure (soulignons en outre que les publications jeunesse sont déjà soumises au contrôle d’une commission de surveillance instituée par la loi du 16 juillet 1949), il nous semble plus que jamais nécessaire de rappeler que les livres ne doivent pas devenir un instrument de manœuvre politique, ni être bannis des bibliothèques. Laissons-les avec confiance à leurs lecteurs, ils sont entre de bonnes mains.

( communiqué du jeudi 13 février 2014 )

  

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Quand le printemps français devient l’hiver des enfants

 par Brigitte Goldberg

    Le mouvement le « Printemps Français » vient de demander le retrait de certains livres des bibliothèques au nom de sa lutte contre une supposée « théorie du genre ».

     Je me souviens de la bibliothèque de mon père. L’on y trouvait de tout. D’un  opuscule de vulgarisation sur la théorie de la relativité à un livre d’initiation à la sexualité en passant par le philosophe Alain, l’écrivain fantastique Howard Phillips Lovecraft ou Voltaire. Aucun ne m’était interdit.

     Ces livres étaient mes compagnons, mes amis. Les romans me faisaient rêver, les ouvrages scientifiques ou philosophiques m’ouvraient les portes de la connaissance.

     J’ai toujours considéré les livres comme une chose sacrée, et, les images des autodafés de 1933 par les nazis sont toujours dans ma mémoire.

     L’accès aux livres, quelques qu’ils soient, est le premier pas vers l’esprit critique indispensable à toute éducation et un enfant de parents responsables est tout à fait capable de faire la part des choses. Après tout, sans explications éclairées, l’enseignement de Nietzsche qui fait partie du programme scolaire peut très bien apparaître comme précurseur du fascisme.

     Si l’accès à certains livres doit s’accompagner de discussions et de l’éclairage des adultes, il n’en reste pas moins que l’interdiction pure et simple d’ouvrages dans les bibliothèques, qui sont souvent le seul accès à la culture pour les enfants des classes les plus défavorisées, ne relève ni plus ni moins que d’une démarche totalitariste visant à imposer une soit disant vérité propre à ces tenants de l’ordre moral.

     Interdire l’accès à la pensée quelque qu’elle soit c’est refuser aux autres la liberté de choisir librement son chemin en toute connaissance de cause.

     Le doute et la critique sont l’essence même du progrès de notre pensée à travers les siècles et tout mouvement visant à limiter cette pensée critique ne vise ni plus ni moins qu’à nous offrir un monde digne du roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451.

     L’ouverture à la différence, c’est le premier pas vers la tolérance. En niant ce droit, que ce soit à travers des attaques contre une hypothétique « théorie du genre » ou en invoquant une prétendue « loi naturelle » digne des créationnistes américains, les tenants du « Printemps Français » réduisent notre culture à l’état d’une mécanique stérile qui ne fera rien d’autre que d’appliquer des règles de droit divin.

(article publié mardi 11 février 2014 dans The Huffington Post que nous remercions pour son autorisation de mise en ligne )

Après un baccalauréat section économie, en 1979, et des études d’histoire arrêtées pour créer et diriger, en 1981, l’une des premières radios locales parisiennes, Brigitte Goldberg est, depuis 1983, compositeur et producteur de musique de documentaires, de films d’entreprise et évènementiels. Fondation en 2009 du collectif Trans-Europe consacré à la défense du droit des personnes transgenres et transsexuelles.

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Les enfants sont des lecteurs intelligents

 par la Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse

     Ces temps derniers ont vu renaître des attaques ouvertes sur le contenu de certains ouvrages de littérature de jeunesse et quelques écoles ou bibliothèques ont été interrogées sur la présence desdits ouvrages en leur sein.

     La Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse tient à rappeler qu’elle considère ces agissements comme inacceptables.

     Depuis sa création, elle défend une littérature de jeunesse de qualité, pluraliste et ouverte dans laquelle tous les sujets peuvent être abordés avec les enfants, à condition de le faire avec discernement, intelligence et talent.

     Elle apporte également son soutien à la liberté des créateurs. Médiateurs entre les auteurs et les enseignants, les organisateurs de salon  feront tout pour que les choix faits par les uns et les autres dans ce qu’ils proposent se fassent en toute liberté et indépendance.

     Enfin, la Fédération des fêtes et salons du livre de jeunesse se bat pour que les enfants soient considérés comme des lecteurs intelligents et que l’on puisse, à travers la littérature de jeunesse, leur donner toutes les armes pour devenir des adultes responsables et libres de leurs choix.

 ( communiqué du vendredi 27 février 2014 )

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Qui sont les écrivains pour les jeunes ? (2)

par Michèle Kahn

Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.

DEUXIEME PARTIE

    Deux questions devant donner lieu à des développements :

1. Quel est votre souhait personnel ?

2. Quels sont vos espoirs et revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ?

En posant la première question : « Quel est votre souhait personnel », j’avais deux idées comme on dit, derrière la tête. Premièrement, dégager le sentiment, peut-être le ressentiment, des écrivains quant à leur second métier, qu’il faut souvent, pour des raisons financières, appeler le premier. Sont-ils satisfaits de ce partage nécessaire ?

Voici la réponse :

    Si 9 écrivains souhaitent modestement pouvoir écrire plus et davantage, « mieux », ajoutent certains, il s’en trouve 11 pour dire nettement qu’ils souhaiteraient pouvoir vivre de ce métier. « J’aimerais, bien sûr, pouvoir me consacrer entièrement à l’écriture », répond Christian Léourier. Cette réponse n’est pas, j’imagine, très originale. Et Yves Pinguilly d’ajouter : « en recevant commande des media ou des maisons d’édition ».

    Ici, une précision : dans la mesure où il était demandé aux écrivais de donner des renseignements sur le montant de leurs droits, une pudeur – qui ferait hausser les épaules américaines – m’a incité à proposer un questionnaire anonyme. Les écrivains ont cependant étaient très nombreux à révéler spontanément leur identité et, dans ce dernier cas, je me permettrai de les citer.

    Toujours à l’ordre du souhait personnel, ma deuxième « idée derrière la tête » résultait d’une question, dont nous ne mesurons pas ici le degré de perfidie, que nombre d’auteurs écrivant exclusivement pour les jeunes ont entendu tinter à leurs oreilles : « Ah vous écrivez pour les petits ? Pourquoi ? Ca ne marche pas pour les adultes ? » Et au dernier colloque du CRILJ à Saint-Etienne, dont le thème était « La création en France aujourd’hui », n’avait-il pas été fait allusion au fait que la littérature pour la jeunesse pourrait être « le refuge de certains ringards déçus par leur insuccès auprès des adultes » ? Si cette hypothèse était fondée, les réponses ne devraient pas manquer de faire jaillir une certaine amertume à ce sujet. Or, il s’est trouvé un seul auteur qui ait exprimé, pour souhait personnel, l’envie « d’écrire des romans grand public pour adultes ». 1 sur 41, vous avouerez que c’est peu. Cette fois, j’ai manifestement fait chou blanc et suis heureuse de pouvoir le proclamer.

    Il s’agit donc là d’une vingtaine de réponses. Pour les autres, on note quelques souhaits que j’appellerai « disparates », dans la mesure où ils n’apparaissent qu’une fois, tels que le désir d’arriver à faire publier l’ouvrage qu’on porte en soi, ou bien une demande de clarification du rôle de l’AGESSA (Association pour la gestion de Sécurité Sociale des auteurs), ou encore des vœux tels que :

. « un monde plus juste, moins cupide et moins pollué »

. « que le regard des enfants s’ouvre davantage sur les autres enfants du monde »

. « voir… et entendre autour de moi un peu moins d’adultocentrisme pour tout ce qui concerne la littérature pour la jeunesse ».

    Quelques souhaits disparates, donc, mais une majorité de réponses recoupant celles qui ont été données pour la question suivante : « quels sont vos espoirs et vos revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ? » et dont, pour cette raison, je rendrai compte en même temps.

    Les revendications concernent globalement quatre secteurs : l’édition, les pouvoirs publics, l’école et les medias, alors que les espoirs portent sur un meilleur statut de l’auteur et une reconnaissance de la littérature pour les jeunes.

L’édition :

    De nombreux écrivains critiques les conditions de travail faîtes aux auteurs par les éditeurs. Ils souhaiteraient percevoir un à-valoir correspondant mieux au temps au temps passé, signer le contrat dès l’acceptation des synopsis par l’éditeur, n’être plus assujettis au droit de référence et surtout avoir un moyen de contrôle des ventes effectives. « Que les écrivains, ajoute Claude Cénac, soient tenus au courant de toutes les publications faîtes à partir de leurs œuvres (par exemple, extraits dans les livres scolaires dont nous ignorons tout et sur lesquels nous ne percevons aucun droit) ».

    Béatrice Tanaka résume : « ne pas avoir à marchander à chaque contrat, ni être obligés de réclamer ses comptes et ses droits d’auteur comme si on demandait l’aumône. Enfin, un contrat-type honnête et un code des usages respectés. Un droit de regard sur la fabrication. Une information préalable en cas de réédition, d’épuisement ou de soldes ». D’autres écrivains déplorent la mauvaise qualité des rapports humains auteur-éditeur placés plus souvent, comme l’observe Monique Bermond, sous le signe de l’argent que celui de la création commune. « J’aimerais bien que les éditeurs, écrit un auteur exerçant par ailleurs la profession de bibliothécaire, m’aident à me perfectionner, me fassent refaire, parfaire les textes, aient un rôle de formateur par leurs critiques. Au lieu de quoi, ils se contentent de dire « je prends » ou « je refuse ».

    A relever également : des plaintes sur les conditions matérielles, la basse rentabilité des ouvrages, le faible pourcentage des droits d’auteur, l’un des écrivains précisant qu’il ne touche que 5% sur un livre à 20 000 exemplaires, alors qu’un autre ne perçoit que de 1 000 à 3 000 francs de droits par an pour 25 romans publiés. « J’aimerai bénéficier de droits d’auteur au moins égaux au salaire d’une femme de ménage », déclare amèrement René Antona.

    Un écrivain s’étonne que les droits confondus de l’auteur et de l’illustrateur n’atteignent pas systématiquement les 10% en rigueur en littérature générale. On se souvient que l’analyse comparative des droits d’auteur pour les écrivains tous publics et les écrivains jeunesse, faite plus haut, a clairement montré que les droits d’auteur sont inférieurs dans le secteur jeunesse. Cela nous est confirmé par Michel Jeury, un écrivain professionnel tous publics dont voici le souhait : « que les contrats proposés aux auteurs jeunesse s’alignent sur les autres secteurs avec un plancher de conditions sous lesquelles les éditeurs ne pourront pas descendre.

    Est ensuite critiqué le choix éditorial, dans sa forme (où sont les beaux livres reliés ?), mais surtout dans son contenu. C’est ici que les théories s’affrontent.

    Si Michel Tournier espère « voir changer l’idéologie victorienne qui terrorise l’édition destinée aux jeunes », si un journaliste et un professeur s’accordent pour souhaiter que les éditeurs s’intéressent davantage à leurs lecteurs qu’aux profs, aux grands-parents, aux psychologues, aux psychiatres et aux responsables d’associations familiales, Marie-Claude Monchaux, Suzanne Puligami et Jacqueline Verly dénoncent la permissivité, la place faites au vol, à la drogue, à l’homosexualité, à la contestation, aux thèmes angoissants. « Qu’on publie moins de conneries », tranche Hilaire Cuny. On réclame aussi plus d’audace, on demande aux éditeurs de ne pas enfermer, autant par facilité que par souci de rentabilité, les auteurs dans la routine de leurs collections.

    On souhaite également, de la part des professionnels, un effort pour découvrir et publier les auteurs français de préférence aux étrangers. Jacques Cassabois dénonce, « directement issue des grandes foires internationales, la surabondance de productions étrangères, qui ressemble plus à une prise de pouvoir de l’impérialisme de l’argent qu’à un véritable échange interculturel. Cette prise de pouvoir, poursuit-il, permet à des œuvres médiocres d’exister dans un marché où les particularismes culturels sont écartés parce qu’ils deviennent des freins à la vente ».

    Autre sujet de mécontentement : la part minime faite aux auteurs contemporains. « L’édition fait actuellement une place de plus en plus réduite aux créations, nous dit encore Jacques Cassabois, au profit de la réédition d’auteurs classiques ou néo-classiques, ce qui continue d’accréditer cette idée conservatrice d’une culture éloignée du public, puisque produite par des hommes et des femmes morts depuis longtemps.

    Sont également critiqués : le lancement publicitaire, la distribution et le manque d’agressivité des éditeurs sur le marché étranger. Si les bons livres pour enfants bénéficiaient du même lancement que les bons livres pour adultes, observe Jean-Côme Noguès, « les parents apprendraient à choisir les livres qu’ils donnent à leurs enfants. » Pour ce qui concerne la distribution, il est reproché au système actuel de favoriser les grandes maisons d’édition, de les laisser « inonder le marché ». Cependant, certains écrivains observent que, même publiés par ces grandes maisons, ils ne bénéficient pas toujours pour autant de l’artillerie lourde préposée à la mise en place, dans les librairies, des livres de série qui sont, le plus souvent, de qualité médiocre. Quant au marché étranger, Christian Poslaniec pense qu’il serait nécessaire, pour le conquérir, afin de pallier la carence des éditeurs, de créer un organisme « connaissant parfaitement la production française, capable de favoriser l’adaptation de nos œuvres en langues étrangères ».

    Vous voyez que nos auteurs ne sont pas uniquement négatifs. Ils font encore d’autres suggestions qui, notons-le au passage, traduisent leur isolement. Ils souhaitent pouvoir discuter de leurs problèmes avec d’autres auteurs, avoir leur mot à dire sur le choix de l’illustrateur par l’éditeur, avoir la possibilité de rencontrer les illustrateurs de leurs ouvrages avant la mise en chantier de l’illustration, bref que la production d’un livre soit l’aboutissement d’un véritable travail d’équipe.

    En amont, ne sachant souvent à quelle porte frapper lorsqu’ils ont écrit un ouvrage qui n’a pas sa place dans les collections de leur éditeur habituer, ils aimeraient pouvoir être orientés, mieux informés sur les possibilités éditoriales des diverses maisons d’édition.

    Si Christian Poslaniec imagine la création d’un organisme capable de recevoir les manuscrits et de les proposer aux éditeurs concernés (en observant que ceux-ci ne seraient plus alors submergés de manuscrits non aboutis), Christian Léourier suggère l’édition d’un « annuaire récapitulant les collections existante avec leurs orientations et les noms des responsables ».

    Voici pour l’édition, dont il convient de rappeler quelques chiffres non négligeables, obtenus auprès du Syndicat National de l’édition. En 1981, les livres et albums pour la jeunesse constituaient 6% du chiffre d’affaire global de l’édition française, sur une production de livres représentant 13,15% du tirage global de l’édition en France, le pourcentage étant porté à 17,8% si l’on inclut les livres de bande dessinée.

Les pouvoirs publics :

    Coup d’envoi de Jacques Cassabois, soutenu par quelques confrères, qui déplore une « réticence à faire participer les créateurs aux instances institutionnelles les concernant, comme la récente « Commission Jeunesse » du Centre national des Lettres dont ils sont quasiment écartés, alors que les écrivains sont largement représentés dans toutes les autres commissions du même organisme. Faut-il, s’interroge Jacques Cassabois, lorsqu’il s’agit de l’enfance, détourner les créateurs des décisions pour les confier à des personnes plus patentées ? »

    Sont réclamées :

. en premier, une aide matérielle, sous forme de concours, bourse ou prix, pour aider les jeunes auteurs à se faire publier ou qui permettrait à des écrivains chevronnés de se consacrer entièrement à l’écriture.

. deuxièmement une réflexion sur le livre pour les jeunes et des manifestations nationales pour sa promotion, celles-ci pouvant se ramifier en actions régionales, départementales, municipales, etc.…

. troisièmement, comme le résume Michel Cosem : « une véritable politique de la lecture en direction des jeunes (écoles collèges, bibliothèques municipales) largement débattue par toutes les personnes concernées. « Jacques Cassabois réapparaît ici en soulignant qu’ainsi une littérature active pourrait s’intégrer dans les établissements scolaires, sans être pour autant tributaire du bénévolat obligé et de la recherche d’expédients financiers.

L’école :

    « On veut honnêtement espérer, écrit Georges Fonvilliers, que l’effort déjà entrepris dans les écoles et collèges, pour éveiller l’enfant au goût de la lecture et du livre, porte un jour ses fruits en accroissant le nombre des lecteurs, tout en élargissant et améliorant leu choix ».

    Mais, tous ne partagent pas son optimisme. Ici ou là, on critique les méthodes d’apprentissage de la lecture, l’insuffisance des moyens mis en œuvre par les enseignants pour développer le goût du livre et de la lecture chez les enfants, et même, on milite pour le renouveau de l’enseignement de l’histoire, « car tout roman fondé sur une trame historique, précise ce dernier écrivain, risque de tomber dans le désert avec une jeunesse dont on aura pas cultivé et formé la mémoire ».

    Il faudrait « que les écrivains soient mieux connus en milieu scolaire où un travail considérable reste à faire » déclare Michel Lamart, lui-même professeur. De nombreux écrivains, heureux d’avoir pu participer à des animations dans les écoles, souhaitent que ces expériences se renouvellent le plus souvent possible, mais peut-être dans des conditions matérielles plus favorables. Que la tâche des auteurs disponibles à un public d’enfants, avec ce que cela suppose de déplacements et de temps passé en correspondance avec les enfants, soit reconnue, demande Anne Pierjean. Même son de cloche chez Claude Cénac qui revendique dans ce cas, sinon une rémunération, tout au moins un défraiement. Et Pef d’observer que la « rétribution de ces prestations permettrait aux auteurs de trouver dans ce métier un revenu suffisant sans avoir à s’éparpiller ».

Les media :

    Sujet qui provoque de nombreuses doléances. « Je souhaite, écrit Jean Joubert, une plus grande attention de la presse, de la radio et de la télévision qui, dans l’ensemble, sont peu attentives à cet aspect de la littérature que je juge capital, puisqu’il est le lieu d’initiation de l’enfant à la lecture ».

Sont donc véhémentement réclamés :

. l’intégration, à part entière, de la littérature pour les jeunes dans le réseau actuel des informations culturelles nationales à travers la presse écrite (quotidiens et magazines) et audiovisuelle (radio et télévision). Avec cette précision : à tout moment de l’année, ce qui signifie en clair autrement qu’à la veille de Noël ou des vacances. Et cela, souligne Jacques Cassabois, afin d’apporter « au public les éléments de choix de plus en plus indispensables devant l’abondance inflationniste de la production ».

. « des émissions de radio et de télévision spécialisées plus fréquentes et plus intelligentes ».

. Le passage des auteurs de livres pour les jeunes dans de grandes émissions culturelles type Apostrophes. « J’aimerais être l’invité d’une émission à une heure de grande écoute » soupire Huguette Pérol, tandis que Jean Cazalbou grogne : on aimerait « voir les auteurs et les illustrateurs de livres « jeunes » reçus à Apostrophes tout comme Spaggiari, le gangster bien connu. En attendant la création d’émissions de qualité sur la littérature pour la jeunesse ».

    Et enfin, un autre vœu concernant les media, ainsi formulé par Christian Poslaniec : « que les réalisateurs audio-visuels de produits destinés aux jeunes mettent un peu leur nez dans le vaste champ des publications françaises destinées à la jeunesse. Quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays, la situation française constitue un véritable scandale ».

    Rien de nouveau donc. Il y a des années que nous déplorons le manque d’intérêt le manque d’intérêt des média. Il serait cependant intéressant, dans le cadre des travaux que nous devons mener à la suite de ce colloque, de voir avec nos confrères de l’audiovisuel comment, de leur point de vue, se présente la situation. Et aussi d’étudier effectivement, avec exemples précis à l’appui, ce qui se passe dans les autres pays que la France.

    Enfin, le dernier point de ces espoirs et revendications, mais non le moindre : Le statut des auteurs et de la littérature pour les jeunes

     Jacqueline Held résume parfaitement la situation lorsqu’elle espère :

. « Voir la littérature de jeunesse reconnue comme une littérature tout simplement (elle l’est dans beaucoup d’autres pays)

. « Que la littérature soit un métier, c’est-à-dire une activité qui permette de gagner sa vie ».

    Reviennent comme un leitmotiv sur une trentaine de fiche ces quelques mots : davantage de considération, davantage d’estime, littérature à part entière, sortir du ghetto, pas de frontière littéraire.

    Laissons parler ces écrivains dont, note un auteur tous publics, « les libraires cachent les livres au fond de leur magasin », comme autrefois les livres pornographiques. « Que soit enfin reconnu que nous ne faisons pas de la sous-littérature, dit Robert Bigot, sous prétexte que nous ne mettons dans nos écrits ni violence, ni corruption, ni sexe pour le sexe, mais plus souvent ce qui reste d’amour entre les hommes ».

    « Ne plus être traités en éternels mineurs, revendique Béatrice Tanaka : un livre pour jeunes est un livre pour tous ». Et Jean François Laguionie : « ne pas être considérés comme des auteurs de livre pour l’enfance ou la jeunesse mais des auteurs tout simplement ». Madeleine Gilard ajoute : « un livre authentique est une chose précieuse, qui que ce soit qui le lise ».

    L’humeur n’est pas toujours à l’optimisme. « Que peut-on espérer, s’interroge Michèle Albraud, dans un pays qui n’aime pas les enfants et se méfie de la jeunesse ? » A en croire Michel-Aimé Baudouy, il y aurait peut-être une solution. Il faudrait que « l’action entreprise par certains enseignants, bibliothécaires et quelques critiques soit amplifiée. Que cette action, soutenue par les media, aboutisse – enfin – à la distinction entre les fabricants de séries (tant auteurs qu’éditeurs), responsable du discrédit qui pèse sur la littérature pour la jeunesse, et les véritables créateurs d’œuvres de qualité (justement parce qu’elles sont destinées aux jeunes), d’œuvres tout court ».

    Ici ou là, les auteurs suggèrent que les critiques et les prix reconnaissent, à l’instar du Grand Prix Jeunesse de la Société des Gens de Lettres, la qualité littéraire des ouvrages.

    Afin que la littérature pour la jeunesse ne soit plus coupée de la littérature pour adultes, propose Nadine Garrel, « que la même exigence existe pour l’une et l’autre, la même audience et qu’on en finisse avec cette séparation ».

    Autre observation d’un écrivain tous publics : « Il faut que l’on admette que les bons romans juvéniles sont des œuvres littéraires majeures, avec ce que cela implique moralement et matériellement ».

    Matériellement, venons-y ! Il ne s’agit pas de faire fortune, mais tout simplement de pouvoir vivre. « Que le métier d’écrivain pour jeunes, souhaite Luce Fillol, soit désormais un métier […] capable de nourrir celui qui l’exerce avec honnêteté et courage ».

    « Que les auteurs ne soient pas obligés de « produire » vite, commente Madeleine Gilard, parce que c’est indispensable pour nourrir la famille. Qu’ils puissent consacrer le plus de temps et de soins possibles à leur œuvre ». Et certains d’observer que revaloriser le statut de cette catégorie d’auteurs pourrait favoriser le développement d’une création véritable.

    Citons également le point de vue de trois auteurs professionnels tous publics : Jean Joubert, Michel Jeury et Michel Peyramaure, qui trouvent important pour eux d’écrire des livres pour les jeunes, « dans ce domaine, précise Jean Joubert, trop souvent réservé à des spécialistes ». Quant à Michel Peyramaure, il souhaite « avoir le temps d’écrire d’autres livres pour la jeunesse » sans s’épancher sur ce qui pourrait l’en empêcher.

    On comprend en effet que certains hésitent à tout donner d’eux-mêmes pour un livre qui ne leur attirera ni droits d’auteur substantiels, ni même la considération du public, et l’on en vient parfois à se demander si le fait de commencer par écrire pour les jeunes ne jette pas, irréversiblement, un discrédit sur l’écrivain. Ecoutez cette plainte d’Huguette Pérol : « beaucoup d’auteurs « pour adultes » écrivent des livres pour enfants, c’est un fait admis. L’inverse est une tare, un handicap. Pourquoi ? »

    Que peuvent espérer, en conclusion, les auteurs de livres pour les jeunes ? « Du talent, encore du talent et des lecteurs, toujours des lecteurs… » résume Paul Fournel, cependant que de nombreux écrivains s’attristent d’un constat plutôt raide : talent et lecteurs ne vont pas forcément de pair.

    Toutefois, cette enquête a mis en évidence certains éléments positifs qui méritent d’être signalés, et tout particulièrement le nombre d’écrivains qui se sont manifestés, n’hésitant pas à remplir des pages entières d’observations.

    Il faudrait pousser plus l’étude, l’étendre aux illustrateurs, inclure la BD. Mais il faudrait surtout que les auteurs continuent à se mobiliser. Il y a une action à conduire avec le CRILJ, avec la Société des Gens de Lettres qui, au sein du CPE (Conseil permanent des écrivains) a suscité l’ouverture de négociations avec le groupe Jeunesse du Syndicat national de l’édition, ces négociations devant logiquement aboutir à la signature d’un avenant spécifique au Code des usages déjà signé pour la littérature générale.

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.

Qui sont les écrivains pour les jeunes ? (1)

par Michèle Kahn

Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.

PREMIERE PARTIE

    Qui sont les écrivains pour les jeunes ? Ou, plutôt, qui sont les écrivains qui, volontairement ou non, écrivent pour ce secteur de l’édition classé sous l’étiquette générale : littérature pour l’enfance et la jeunesse ?

    Il est apparu, au cours d’un entretien entre spécialistes réunis pour mettre au point notre colloque des Journées mondiales de l’écrivain, que si des écrivains avaient déjà été interrogés sur les motifs pour lesquels ils s’adressent au jeune public et sur leur conception de cet exercice, il n’y avait jamais eu véritablement – sauf erreur – de consultation systématique et spécifique des écrivains pour l’enfance et la jeunesse. Il n’est pas certain que j’étais qualifiée pour ce genre de travail. Peut-être aurait-il mieux valu s’adresser à un théoricien ou à un statisticien, à un économiste ou à un démographe, toutes choses que je ne suis pas. Mais nous nous trouvions dans un Paris estival presque vide. Aussi ai-je accepté bien volontiers, en tant que Secrétaire Général de la Société des Gens de Lettres et membre du CRILJ, de tenter une première approche.

    Ayant fait le compte à rebours des opérations, je me suis vue dans l’obligation de rédiger un questionnaire rapide en vingt-quatre heures, ce que j’ai pu réaliser en m’inspirant de celui qu’avait établi Michèle Vessillier-Ressi pour son ouvrage, le premier du genre en France, intitulé Le Métier d’Auteur. Ce questionnaire a ensuite été adressé aux 161 écrivains d’une liste communiquée par le CRILJ, et 84 d’entre eux ont répondu, ce qui constitue un pourcentage remarquable, tout le monde me le dit. Nous avons donc reçu plus de 50% de réponses, alors que d’habitude on en escompte environ 10%.

    A partir de ces premiers résultats, il se dégage un curieux portrait-robot de l’écrivain pour les jeunes.

    Imaginez un monsieur de 50 ans. Voici une quinzaine d’années, non seulement qu’il écrit, mais qu’il est publié. Il avait en effet 35 ans à la parution de son premier livre, dans une collection destinée aux jeunes. Marié, il a deux enfants. Né en province, il y est resté. Son père était fonctionnaire. Lui-même, à la suite d’études supérieures, travaille au service de l’Education Nationale. Tout son temps libre, il le passe à écrire, écrire, écrire, et parfois il rêve de ne plus faire que cela. Mais ses livres, bien que nombreux, ne lui rapportent que 3 000 à 10 000 francs par an. Aussi attend-il la retraite pour satisfaire son rêve.

    Voici donc notre écrivain. Qu’en pensent mes confrères ? Pour ma part, j’ai beaucoup de peine à me reconnaître dans le miroir que je me suis tendu, mais il est vrai que le portrait-robot permet rarement de trouver l’assassin.

    Sans rejeter ce portrait, qui correspond à une vérité partielle, dans la mesure où il a été obtenu par la juxtaposition des dominantes, il convient d’analyser l’ensemble des réponses données par les écrivains à chaque élément du questionnaire.

1. Le sexe.

    Combien de Comtesse de Ségur, combien de Jules Verne ?

    Nous obtenons le résultat de 38 femmes pour 46 hommes, soit 45,2% de femmes. Ce qui représente le double de l’effectif féminin qui se consacre habituellement à des carrières créatrices (dans son livre Le Métier d’Auteur, Michèle Vessilluer-Ressi annonce 23% de femmes en 1979), mais, en dépit de cette forte participation féminine, le sexe masculin reste prédominant.

2. L’âge (à noter qu’il s’agit ici, pour une fois, de l’âge de l’écrivain et non de celui du lecteur)

    Aucun écrivain ayant répondu n’a moins de trente ans. La majorité, 41 d’entre eux, soit 48,8%, se situe entre 30 et 50 ans, 32, soit 38,1%, entre 50 et 70 ans, tandis que 11 écrivains, soit 13,1%, ont fêté leurs 70 ans. La plus nombreuse catégorie occupe donc la tranche de 30 à 50 ans, mais on obtient une moyenne d’âge de 52 ans.

3. Quel âge avaient ces auteurs à la parution de leur premier livre ?

. moins de 30 ans pour 25 d’entre eux, soit 29,7%,

. de 30 à 50 ans pour 52 écrivains, soit 61,9%,

. de 50 à 70 ans pour 6 d’entre eux, soit 7,2%.

Aucun écrivain n’a eu son premier livre après 70 ans. Et la moyenne d’âge, pour cet important événement, donne 35 ans.

4. Sont-ils célibataires, mariés ou divorcés ?

Ils ont confiance dans les valeurs traditionnelles puisque 64 écrivains, soit 78,6%, déclarent être mariés (les veufs ont été classés dans cette catégorie) alors que 10 d’entre eux, soit 11,9%, sont restés célibataires et que 8 écrivains, soit 9,5%, sont divorcés.

5. Aiment-ils les enfants au point d’en avoir ? Si oui, combien ?

    Deux écrivains ont partie liée avec les dix célibataires cités plus haut, ce qui en fait 12 en tout, pour porter à 14,3% le nombre d’écrivains pour les enfants… des autres.

. 18 d’entre eux, soit 21,4%, ont un enfant,

. 30, soit 35,7%, ont deux enfants,

. 16, soit 19%, en ont trois,

. 5, soit 6%, sont parents de quatre enfants,

. 1 écrivain, soit 1,2%, a cinq enfants,

. 2 autres, soit 2,4%, ont plus de cinq enfants.

6. Lieu de naissance

56 écrivains, soit 66,6% sont nés en province, alors que 22, soit 26,2%, sont nés à Paris ou dans la région parisienne et 6 autres, soit 7,2%, dans les pays étrangers.

7. Adresse actuelle

    La région parisienne présente un irrésistible attrait puisque 39 écrivains, soit 46,5%, y résident actuellement (c’est-à-dire presque le double de la quantité des natifs de cette région), mais le plus grand nombre, 45 écrivains, soit 53,5%, habite la province.

8. Profession des parents

    Cette question, qui devrait servir à déterminer le milieu socio-culturel d’origine des écrivains, a été quelquefois mal-comprises. « Décédés » a-t-on répondu, ou « à la retraite ».

Sur les 67 réponses exploitables, nous obtenons le tableau suivant (en ayant utilisé les catégories adoptés par l’INSEE) :

. agriculteurs, exploitants (2 = 3%),

. salariés agricoles (1 = 1,5%),

. patrons de l’industrie et du commerce (9 = 13,4%),

. professions libérales, cadres sup. (15 = 22,4),

. cadres moyens (24 = 35,8%),

. employés (14 = 20,9%),

. ouvriers (1 = 1,5%),

. personnel de service (0 = 0%),

. autres catégories (1 = 1,5%).

    Nos écrivains sont donc, en majorité, des enfants de cadres moyens, avec 35,8% (parmi lesquels on trouve principalement des fonctionnaires) et une assez forte proportion, 22,4%, de professions libérales ou de cadres supérieurs, ainsi que d’employés, 20,9%.

9. Niveau d’études

    Sur 82 réponses à ce sujet, 50 écrivains, soit une écrasante majorité de 61% ont fait des études supérieures alors que, note Michèle Versillier-Ressi, cela reste un privilège pour 3,8% de la population active en 1982, 14 écrivains, soit 17%, ont le baccalauréat pour seul diplôme, tandis que 12, soit 14,6%, se sont arrêtés avant le baccalauréat, que 4 écrivains, soit 4,8%, ont fréquenté une école spécialisée après le baccalauréat et que 2 d’entre eux, soit 2,3%, ont obtenu le diplôme d’une école technique.

    Ces résultats nous conduisent à une autre question fondamentale :

10. Avez-vous un autre métier que celui d’écrivain ?

    Oui, ont répondu 75 personnes, le fait de bénéficier d’une retraite constituent à nos yeux le second métier. 9 écrivains sur 84, soit 10,7%, ont donc l’écriture pour seul métier. Ces réponses ont également permis de mettre en valeur le fait que sur 74 personnes, 29 d’entre elles, soit 39,2%, travaillent au service de l’Education nationale.

    La répartition de ce second métier, toujours selon les catégories adoptées par l’INSEE, se fait ainsi :

. agriculteurs, exploitants (0),

. salariés agricoles (0),

. patrons de l’industrie et du commerce (2 = 2,6%),

. professions libérales, cadres sup. (12 = 26%),

. cadres moyens (42 = 56%),

. employés (3 = 4%),

. ouvriers (0),

. personnel de service (0),

. autres catégories (16 = 21,4%).

    Une grande majorité donc de cadres moyens, avec 56%, parmi lesquels deux tiers d’enseignants et quelques journalistes. Aucun écrivain n’exerce de métier agricole, et l’on ne note pas plus d’ouvriers ou de personnel de service. La proportion de profession artistiques, 21,4%, est considérable, comparée aux 0,3% de la population.

11. Ces écrivains écrivent-ils uniquement pour la jeunesse ou pour tous les publics ?

    Le résultat obtenu est bien sûr relativement significatif mais – étonnante coïncidence – il y a 42 écrivains dans chaque camp, soit très exactement 50% d’écrivains spécialisés dans la littérature pour les jeunes.

12. Que publient d’autre les 50% d’écrivains tous publics ?

    25 d’entre eux se livrent à des genres divers, alors que 17 écrivains se consacrent exclusivement à un seul genre. Nous avons ainsi 6 auteurs de romans, 4 poètes, 3 auteurs de science-fiction, 1 de nouvelles, 1 d’ouvrages scientifiques et 1 de livres de voyages.

13. Combien de droits d’auteur touchent-ils, dans une fourchette allant de moins de 1000 F à plus de 100 000 F ?

    Il faut signaler que les écrivains s’adressant à divers publics ont répondu pour l’ensemble de leurs droits.

    Pour résumer :

. 41% des écrivains spécialisés pour la jeunesse touchent de 3000 à 10 000 francs par an.

. 23% perçoivent de 1000 à 3 000 francs.

. 23 autres % de 10 000 à 50 000 francs, somme dépassée par un seul écrivain.

. 10% se contentent de moins de 1 000 francs par an.

( encore s’agit-il, pour comprendre ces chiffres, de savoir à quelle masse de travail ils correspondent : l’un des écrivains touchant de 1 000 à 3 000 francs par an précise qu’il a publié 25 romans )

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.

Au bon temps du Ministère

    L’attribution aujourd’hui du Grand Prix du livre pour la Jeunesse montre la volonté du Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de mener une politique active en matière de livres pour les jeunes.

    C’est pourquoi trois axes ont été privilégiés :

– encourager la réflexion autour du livre pour les jeunes

– promouvoir la lecture des jeunes

– stimuler la création

    Pour la réflexion et la promotion, le Ministère aide un certain nombre d’associations à mener un travail de recherche autour du livre pour les enfants et les jeunes.

    Ainsi à titre d’exemple, il soutient des associations qui font un travail d’analyse de la production de livres pour enfants, telle l’association « Loisirs Jeunes ». Il aide financièrement l’organisation de colloques traitant de ce problème.

    Le dernier en date, organisé au mois d’octobre à Saint-Etienne par le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse a montré tout le foisonnement d’idées qui existe dans ce secteur. Il a permis également de situer le climat de notre édition nationale. Ainsi, sur 360 éditeurs en exercice, 85 travaillent pour la jeunesse et publient plus de 5000 titres à raison de 80 millions d’exemplaires.

    Les principaux problèmes abordés, lors du Colloque : critères de sélection des manuscrits ou réédition de certains sujets tabous, ou au contraire provocations, auto-censure des auteurs désireux d’abord de se vendre, motivations d’achat et envie de lire, démocratie du choix et éducation du choix, écriture spécifique ou non – sont autant de questions posées par les animateurs et par les professionnels. Elles m’apparaissent bien être celles qu’il faut aborder et notamment les deux dernières.

    La question est en effet de savoir si la littérature générale n’est pas la seule littérature ? Bref, si elle n’est pas la seule littérature fabriquée par de vrais et grands écrivains, alors que la littérature pour jeunesse ne serait qu’une sous-littérature, un genre mineur à l’usage d’un public mineur. Ce qui est dit ici pour les auteurs, vaudrait aussi pour les éditeurs.

    Bien entendu, à ces questions je réponds non. L’écriture pour les adolescents n’est pas une écriture spécifique en ce sens où on la considère comme l’écriture du pauvre, comme l’écriture à l’usage des sous-lecteurs non encore formés, car bien souvent, on perçoit la littérature pour la jeunesse comme une littérature tout court, avec quelque chose en moins. En fait, il s’agit de tout autre chose. Elle est un autre genre, un autre parti, un autre mode d’expression avec ses chefs-d’œuvre et ses « navets », comme n’importe quel genre.

    Pour la démocratie du choix et l’éducation du choix, il me semble que l’essentiel pour que le livre prospère est qu’il soit partout, la bibliothèque ne doit pas être un lieu sacré d’enfermement. A la crèche, dans les locaux de PMI., dans la classe, dans les transports, à l’hôpital, l’enfant, le jeune doit côtoyer le livre.

    Ceci me permet d’aborder le deuxième axe de notre politique :

    La promotion de la lecture auprès des jeunes : lancé comme une sorte de bouteille à la mer, le livre est certes bon ou mauvais. Mais, il est toujours bon, s’il offre des qualités d’écriture, d’invention, de préparation et s’il s’adresse à l’adulte à travers l’enfant et à l’enfant à travers l’adulte, car il est le lien privilégié de tous les âges. Or les livres lus quand on est enfant ne s’oublient jamais. Qui sait même s’ils ne laissent pas en nous plus que les livres que nous avons lus plus tard ?

    C’est cette idée qui a initié la mise en place de l’opération La Forêt aux Histoires dont nous avons pu apprécier tout l’intérêt.

    Je voudrais tout spécialement remercier le président du Centre Georges Pompidou ainsi que le Directeur de la Bibliothèque Public d’Information de l’accueil qu’ils ont réservé à cette exposition. En accueillant l’exposition sur La Forêt aux Histoires, le Centre Georges Pompidou joue pleinement son rôle, c’est-à-dire être ouvert à toutes les formes d’expression, être un lieu de rencontre, un lieu de créations multiformes. Il démontre que les créations culturelles vont être de plus en plus au cœur de la vie de nos contemporains que tous, quel que soit l’âge, peuvent être actifs et créatifs lorsqu’ils disposent d’instruments d’expression adéquats.

    Cette exposition montre bien la créativité des enfants et tout le travail de formation qui a été mené durant cette opération. Il existe une forte demande de formation de la part des enseignants et des responsables qui ne trouvent que rarement dans leur formation professionnelle une réponse correspondant à leurs préoccupations dans ce domaine.

    Votre démarche d’apprivoisement du public par l’enfant est originale. Toute exposition qui a pour thème le livre ou la lecture rebute a priori les parents s’ils n’appartiennent pas un certain milieu intellectuel. Par ailleurs, souvent elle ne mobilise pas l’imagination enfantine.

    Or, La Forêt aux Histoires tient à la fois du cirque, de la parade, fait appel au fantastique des formes et des couleurs. Elle mobilise l’enfant qui entraîne ses parents. L’arbre sert d’annonce pour inciter à pénétrer dans le monde de la lecture. En outre, il s’agit là d’une mobilisation plus générale de la famille et du milieu environnant. Les adultes découvrent leurs enfants dans un autre contexte que le contexte familial ou scolaire. Il est important pour ceux-ci de voir avec quelle passion, quel intérêt, des enfants, même très jeunes, peuvent spontanément se précipiter sur les livres.

    Par ailleurs, La Forêt aux Histoires a fait participer à un même objectif, le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports, celui de la Culture, de l’Education Nationale, du Fonds d’Intervention Culturelle, le Centre National des Lettres. Compte-tenu de son intérêt, un nombre important d’organismes très divers y a participé. Je n’en citerai que quelque uns : associations familiales et de parents d’élèves, maisons pour tous, bibliothèques, écoles, écoles de beaux-arts, instituts médico-pédagogiques.

    Ainsi plus de 1000 enfants d’origines très diverses, ont participé à cette animation en lisant beaucoup de livres. Plus de 45 000 visiteurs ont pu découvrir 300 livres pour les enfants et les jeunes, à Cugnaux, près de Toulouse, à la Seyne-sur-Mer, à Brest, à Grand-Quevilly, à Besançon, et dans tout le département des Yvelines.

    L’exposition que nous avons visitée montre bien l’extraordinaire force créatrice qui a stimulé l’effort des enfants, des éducateurs, des bibliothécaires, pour aboutir à ces forêts toutes bruissantes d’idées, de formes, de couleurs, de matières.

    Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant est en fait un vaste sujet. Mais l’absence du livre dans cette vie, le livre délaissée rejeté, le livre objet d’indifférence ou de rancune, voilà qui soulève bien des problèmes. En fait, si le livre a une place si faible dans la vie quotidienne de l’adulte, c’est peut-être parce que trop d’enfants d’hier ne l’ont pas connu. A travers le livre, c’est toute la culture ou presque qui prend racine dans la vie. La Forêt aux Histoires constitue dans aucun doute, l’un des moyens pour mieux connaître le monde de la lecture.

    Mais, aujourd’hui, la communication et l’expression passent massivement par l’audiovisuel. Certes, quelques émissions sur les livres pour les jeunes existent déjà sur les différentes chaînes de télévision : Les pieds au mur sur TF1, Bouquin, Bouquine coproduit avec la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Education Permanente et Antenne 2, Des livres pour nous sur FR3, et, à la radio, Le livre, ouverture sur la vie (émission hebdomadaire de Monique Bermond et Roger Boquie sur France Culture). Mais, elles me semblent peu importantes par rapport à l’enjeu, c’est-à-dire le goût de la lecture chez les jeunes. Pourquoi, alors, ne pas imaginer que la télévision puisse faire un effort supplémentaire dans ce domaine et fasse connaître de nouveaux talents ?

    Promouvoir la création, découvrir de nouveaux talents, telles sont en fait les raisons pour lesquelles le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de 8 à 12 ans et intitulé Grand Prix du Livre pour la Jeunesse.

    Un des problèmes de l’édition française est certainement la relative rareté des auteurs et beaucoup de textes publiés en France pour les jeunes sont des traductions. On dira que les éditeurs privilégient dans leur programme les œuvres déjà recommandées par un succès international, que les maisons étrangères offrent peu de chance aux livres français d’être mieux connus dans le monde. Quoi qu’il en soit, beaucoup de progrès restent à faire, et le gouvernement a entrepris une action dans ce sens.

    Le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse prend part à cette politique en cherchant de nouveaux auteurs, notamment pour les 8-12 ans, créneau particulièrement difficile à cerner au niveau de la demande. La découverte de nouveaux auteurs devrait constituer un des facteurs pour augmenter la diffusion du livre pour les jeunes aussi bien en France qu’à l’étranger. En effet, la diffusion du livre français à l’étranger est une des priorités du gouvernement à la fois sous l’angle du commerce extérieur et sous l’angle du rayonnement culturel.

    Voilà en quelques mots les actions menées par le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports qui complètent celles d’autres Ministères et notamment celui de la Culture. Elles devraient permettre l’accès à un public élargi et préparer dès aujourd’hui les lecteurs de demain.

( texte paru dans le n° 19 – 15 mars 1983 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1945 à Nevers (Nièvre), Edwige Avice est diplômée en lettres, en sciences politiques et en commerce international. Elle est nommée, après la victoire de François Mitterrand, Ministre déléguée à la Jeunesse et aux Sports auprès du Ministre du Temps Libre, André Henry. Elle devient Ministre déléguée au Temps libre, à la Jeunesse et aux Sports dans le troisième gouvernement Mauroy. Femme politique qui a la plus grande longévité ministérielle. Edwige Avice est aujourd’hui encore une experte en défense au niveau européen. Nommée Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 1998, par le gouvernement de Lionel Jospin, elle est promue au grade d’officier par Nicolas Sarkozy (promotion de Pâques 2009), au titre du Ministère de la Santé et des Sports.

 

Créé en 1981 par le Ministère de la jeunesse et des sports et le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse (CRILJ), le Prix du Livre pour la Jeunesse de Ministère de la jeunesse et des sports, avait pour but de favoriser la création et la diffusion des livres de qualité pour les jeunes et de découvrir et promouvoir de nouveaux talents littéraires. Deux jurys, l’un composé d’adultes, l’autre de jeunes de 11 à 14 ans. Le prix récompensait deux romans ou contes inédits d’expression française, sur manuscrit anonyme. Il fut, en 1992, remplacé par le Prix du roman jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports,

L’Asie dans les livres pour enfants

par Christiane Abbadie-Clerc

      La sagesse orientale, mais aussi l’humour bouddhiste ou taoïste, l’amour de l’art et de la nature, la transmission rituelle de la connaissance entre le maître et le disciple, et le dépaysement d’une culture très visuelle, fascinent les auteurs et illustrateurs pour la jeunesse. L’arrivée des artistes et auteurs asiatiques sur l’espace européen et hexagonal grâce aux co-éditions mises en œuvre dans le cadre international dela Foirede Bologne, a fortement contribué à renouveler l’inspiration et les codes esthétiques des créateurs occidentaux.

     L’idée du conte initiatique se transmet, tel un signe calligraphique, très simplement dans une image, un poème graphique, des personnages simples aux caractères forts. Et la référence à l’Asie traditionnelle est en quelque sorte un prétexte pour aborder des thèmes universels : l’art et la nature, la violence et la liberté, la sagesse intérieure face à la tyrannie des puissants, comme en témoigne la démarche d’Yves Heurté et de Claire Forgeot dans Le Livre de la Lézarde, mais aussi, (pour reprendre un classique ancien): Marguerite Yourcenar et Georges Lemoine dans Comment Wang Fô fut sauvé ou encore Claude et Frédéric Clément à travers Le peintre et les cygnes sauvages : la contemplation de la beauté naturelle, est aussi une réponse aux agressions extérieures.

    Paradoxalement ce sont les auteurs orientaux qui ont la volonté de sortir des cadres traditionnels, à la recherche d’une modernité qui tient aussi à l’influence des Mangas.

   Les albums japonais pour les tout-petits sont des imagiers parfaits, dans leur dépouillement, l’art très « zen » de mettre en valeur les objets et les éléments de l’environnement à travers les formes et couleurs très stylisées.

    La Chine, le Vietnam,la Corée, les montagnes du Tibet et l’Inde offrent un répertoire inépuisable de contes éducatifs animaliers, de génies et de dragons dont le « Livre de la jungle » (une référence à ne pas oublier) condense la saveur originelle. La modernité intervient dans les messages contemporains de solidarité et d’humanité.

    L’écriture dans l’image, la pensée de la nature qui rejoignent l’art et la poésie, la pédagogie par l’humour, la simplicité et la stylisation du dessins et des textes épurés mais aussi la magie du rêve sont les apports essentiels de cette « littérature en couleurs » de l’Asie, un continent à découvrir dans son actualité complexe, à travers les échanges d’une grande richesse entre les créateurs. Une façon de prendre du recul face à notre culture européenne quelque peu figée dans ses certitudes.

    Les coups de cœur présentés ne prétendent pas épuiser une thématique aussi riche ou délivrer un message autre que celui de l’intelligence du cœur pour rassembler autour de ces titres toutes les générations de lecteurs. Des médiations très différentes et complémentaires croisent les points de vue de « médiathécaires », enseignants, libraires ou conteurs, à l’œuvre dans l’équipe du CRILJ Pau-Béarn.

( écrit pour le salon Frissons d’Asie à Borderes – 16/17 octobre 2010 )

 

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

Les difficultés de la création

 

« L’inédit fait peur aux adules, il ne fait pas peur aux enfants »

    L’adulte fait bagarre aux productions nouvelles de toutes ses forces, se rassurant avec les valeurs sûres : contes et mythes, qui nous rattachent à nos racines, textes d’auteurs devenus classiques, mais dont les thèmes parlent d’un monde déjà révolu. Parler du monde contemporain effraie.

   Personnellement, il m’a semblé capital que les enfants retrouvent dans leurs lectures le monde dans lequel ils vivent sans pour autant sacrifier l’imaginaire et la poésie.

    Je suis un des rares éditeurs à n’avoir publié depuis vingt cinq ans que des œuvres inédites, mais j’avoue qu’il faut y croire et avoir derrière soi, ce qui fut ma chance, une maison d’édition scolaire à la carrure solide qui m’a permis de faire mes petits essais de laboratoire.

    Faire accoucher sur le marché des auteurs et des illustrateurs jusqu’alors inconnus est une entreprise aujourd’hui parfaitement démentielle alors que la grande majorité des enseignants, des parents passent leur temps à installer des chevaux de frise sur leur plage personnelle pour ne pas avoir à se remettre en question sous l’assaut de ces nouveautés dérangeantes (il y aurait notamment beaucoup à dire sur l’anthropomorphisme animal qui évite aux humains de se mettre à découvert…). Je comprends la politique éditoriale mitigée de nombre de mes confrères (je viens d’y sacrifier dans ma collection pour adolescents, et, serai-je en mesure de résister pour les autres collections ?).

    J’ai lancé « Tire Lire Poche » pour que le gosse achète lui-même son livre. Je l’ai voulue comme une collection tremplin, par comme une fin en soi, destinée à débloquer à la lecture les gosses qui ne lisent plus ou peu. Je suis partie du terrain, c’est-à-dire d’une connaissance des besoins de l’enfant à partir de nombreux entretiens dans des classes avec des enseignants ouverts, conscients des problèmes de lecture criants dans notre société en mutation. Tout enfant a le droit de découvrir le plaisir de lire et pas seulement une certaine élite.

    Je n’ai publiée que lorsque des preuves réelles d’intérêt et de déblocage à la lecture avaient été constatées après la lecture des manuscrits « Tire Lire ».

    Des enseignants, des documentalistes, des conseillères pédagogiques ont participé à ce travail. Le résultat, à mon sens extrêmement positif auquel je suis heureuse d’avoir pu atteindre, c’est que l’enfant qui a pu lire deux ou trois « Tire Lire » est ensuite apte à lire seul des œuvres plus difficiles et plus élaborées qu’il n’aurait pu aborder d’emblée.

   L’enfant qui, par exemple a lu avec passion, le mot n’est pas trop fort, Pépé révolution de Jean-Paul Nozière, porte un regard nouveau (et non plus conditionné par l’adulte) sur le troisième âge.

    Mais trop de problèmes contemporains risquent de placer les adultes dans des situations gênantes et l’adulte n’accepte pas d’être mis en question, voire piégé par l’enfant et d’avoir à dialoguer avec lui, comme s’il avait à se disculper alors qu’il s’agit de tenter de communiquer.

    Le dialogue ne débouche-t-il pas sur la confiance réciproque et sur une plus grande ouverture d’esprit, à partir de points de vue divergents ? C’est mon sentiment.

    Si « Tire Lire » touche aujourd’hui le grand public par l’intermédiaire de libraires jusqu’alors réticents, c’est grâce à l’action d’enseignants qui ont accepté de tester les ouvrages manuscrits et qui devant les réactions fructueuses et positives obtenues, ont tenu à contribuer à les faire connaître autour d’eux.

(texte paru dans le n° 18 – 15 décembre 1982 – du bulletin du CRILJ)

 

Née à Guéret (Creuse), Thérèse Roche a passé son enfance dans la maison familiale, en pleine nature, et dans la librairie de sa grand-mère. Elève au lycée Fénelon à Paris, puis études de droit, licence ès lettres et diplôme d’études supérieures. Directrice, de 1958 à 1988, des productions pour la jeunesse des éditions Magnard (collections « Fantasia » , « Le temps d’un livre », « Tire lire poche » et nombreux albums). Thérèse Roche publie son premier livre pour la jeunesse, Le Naviluk, en 1983, roman qui reçoit le Prix de la Science-fiction française pour la jeunesse. Nombreux titres, chez Magnard, et dans la collection d’ouvrages à prix réduit « Lire c’est partir » de Vincent Safrat. Depuis 1989, existence tranquille entre écriture et interventions dans les bibliothèques, établissements scolaires et salons du livre. « L’une des plus grandes joies que j’éprouve est de dialoguer avec ses jeunes lecteurs. »

La presse et la littérature pour la jeunesse : une expérience en vraie grandeur dans le Loiret

 

 

    Depuis le 5 octobre 1983, en avant-dernière page du supplément hebdomadaire Loisirs 7 de La République du Centre, parait une rubrique lire à belles dents entièrement consacrées aux livres pour enfants et à la littérature pour la jeunesse.

    A côté du titre, un dessin signé Nathalie Guéroux représente un enfant rigolard dévorant un livre avec couteau et fourchette. Le ton est donné : il s’agit d’essayer de transmettre aux lecteurs du journal (enfants et adultes) le plaisir gourmand que l’on a eu à découvrir – seul ou à plusieurs – un album, un roman, une bande dessinée, un documentaire.

    Sous le titre et le dessin, deux articles (plus rarement un seul) occupent la plus grande partie de la page. Chaque texte présente un livre, la forme étant laissée à l’appréciation des rédacteurs : compte rendu de lecture, réflexions contradictoires, transcription de discussion, interview, lettre à l’auteur, etc. Il est simplement demandé de ne pas être trop long et de toujours avoir à l’esprit que les lecteurs du journal n’auront, le plus souvent, pas de connaissances préalables des livres dont il est question. Les textes sont signés (il doit être possible d’écrire aux rédacteurs) et les références des livres sont données le plus précisément possible.

    Le bas de chaque page, un tiers environ, est consacré aux informations concernant les initiatives en faveur de la lecture et du livre pour la jeunesse. Ces « brèves » rendent compte prioritairement de l’actualité du Loiret, mais signale également, quand l’intérêt le justifie, les manifestations hors-département. S’il reste de la place, une ou deux présentations de nouveautés complètent la page.

    Cette animation « littérature pour la jeunesse » associée à la parution d’une rubrique régulière dans un quotidien régional est actuellement unique dans la presse française. Elle est, selon moi, résultante d’une triple circonstance : à un bout, le désir de Dominique Lemort, institutrice, à qui revient l’idée première ; à l’autre bout, l’accord quasi-immédiat de La République du Centre ; entre les deux, l’accueil unanimement favorable des personnes et organismes sollicités.

    Le dernier point est important : il était, bien évidemment, exclus qu’un tel projet puisse reposer sur le seul enthousiasme de quelques individus et ce n’est qu’en associant un grand nombre de partenaires – bibliothécaires, animateurs, enseignants, libraires, parents d’élèves, association – que l’entreprise prenait son sens et devenait possible.

    Les premières démarches furent certes le fait d’un groupe restreint. Entre début juin et fin septembre 83, seules cinq personnes (Robert Arnoux, Bruno Chevalier, André Delobel, Nathalie Guéroux, Dominique Lemort) travaillèrent au projet : mise au clair d’une sorte de « déclaration d’intentions », prise de contact avec le journal, diffusion de la déclaration et convocation d’une « assemblée générale » des personnes intéressées, rencontres avec le responsable de « Loisirs 7 » aboutissant à une page éditoriale et à une pré-maquette de la rubrique (titre, dessin, organisation de la page).

    Le 27 septembre, près de cent personnes participèrent à la réunion de mise au point définitive du projet. Dans le journal du lendemain, paraissait un article qui précisait : « les personnes ayant assisté mardi soir à la réunion de l’Ecole Normale savent que le succès de l’entreprise dépend de la participation du plus grand nombre : des articles ont été promis, ils sont également attendus ».

    Depuis, un « groupe de coordination » à effectif variable assure la liaison entre les personnes participantes et le journal. Son rôle n’est pas d’écrire mais simplement de veiller au bon cheminement des articles et à la parution régulière de la rubrique.

    En conclusion – pour être complet et aider à mieux estimer quels sont, aujourd’hui, les points forts et les points faibles d’une telle entreprise – je livre trois remarques en forme d’interrogation :

1) de fait, l’adresse centralisatrice est celle de la Coopérative du Livre, par ailleurs librairie-relais du CRILJ. C’est également la « coop » qui, le cas échéant, offre les livres. L’aide apportée est déterminante, mais est-il possible de concilier sans ambiguïté soutien au projet et promotion du magasin ?

2) de fait, le groupe de coordination est souvent réduit à deux personnes : Robert Arnoux (rayon jeunesse de la « coop ») qui gère le haut de la page et André Delobel (secrétaire du CRILJ orléanais) qui gère le bas. La situation a ses avantages et la réunion de « mise en page » du jeudi soir est rondement menée, mais n’y a-t-il pas aussi risque d’usure ou de crispation ?

3) de fait, la rubrique lire à belles dents est une page gratuite pour La République du Centre. S’il s’agissait de sport ou de spectacle, les collaborateurs occasionnels seraient rémunérés à la pige. La littérature pour la jeunesse a, sans conteste, été admise par La République du Centre, mais peut-on dire qu’elle y est reconnue ?

    Sans attendre réponses à ces questions, lire à belles dents parait chaque semaine. Nous savons que la page est lue. La République du Centre a promis une durée de vie de deux à trois ans avec, si le magazine augmente sa pagination, passage à deux pages et introduction de la couleur : dans le Loiret, nous lisons, nous écrivant, nous rêvons.

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Maître-formateur retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de La République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Enquête sur la lecture

Dans ses numéros 57, 58, 59, Le Français aujourd’hui a esquissé un panorama de l’édition contemporaine pour la jeunesse. La chronique du présent numéro analyse l’action de quelques concepteurs qui ont contribué à une évolution dans ce domaine. Mais, à l’autre bout de la chaîne, on sait combien difficile s’avère l’étude de la réception d’une œuvre et des conditions de son succès. Les éditeurs, pour leur part, n’ont-t-ils pas souvent conscience, en éditant un manuscrit, de « lancer une bouteille à la mer » ? La réussite d’un livre tient-elle à ce que le lecteur y retrouve certaines de ses propres préoccupations ? à la voix nouvelles qui les exprime ? à la résolutions de quelques conflits privilégiés ? Mais pourquoi Sa Majesté des mouches de William Golding, par exemple, nous paraît-il plus proche que L’île Rose de Charles Vildrac ? Enfin, dans quelle mesure l’environnement culturel (voir le succès des livres tirés des films de Walt Disney) et publicitaire peut-il être décisif ? C’est dans l’espoir de lever quelques une de ces inconnues que j’ai participé au printemps dernier à l’élaboration d’un questionnaire envoyé dans les écoles et les bibliothèques et dont les résultats ont été présentés en octobre 1982 au Colloque organisé par le CRILJ à Saint-Etienne.

    N’ayant pas travaillé au dépouillement des réponses, je voudrais dire d’abord quel fut l’étonnement et même la consternation de nombreux congressistes en apprenant que les livres qui arrivaient en tête dans les préférences des lecteurs de dix à treize ans étaient encore, outre les BD, Le Club des Cinq pour les garçons et Alice ou Fantomette pour les filles, Le Petit Nicolas figurant néanmoins en bonne position en compagnie de Mickey ! Le triomphe de la BD était manifeste chez les 14-15 ans pour qui le roman policier prenait la relève de ces premiers romans d’intrigue. Sans doute cette consternation, précisons-le, n’était-elle pas due à une objection personnelle à l’égard de ce genre de littérature dans la mesure où elle conserve la place qu’elle mérite ; car, il faut le reconnaître, la BD et l’aventure dans les séries, comme le conte pour les plus petits, correspondent bien aux goûts des lecteurs de cet âge. Mais de là à penser qu’elles battent tous les records aujourd’hui et que, si l’on se reporte à l’enquête d’André Mareuil effectuée en 1970, l’évolution actuelle semble avoir conduit à remplacer la Comtesse de Ségur ou Jules Verne par ce genre de récit, il y avait bien de quoi rendre perplexe ! D’autant plus que les réponses étaient adressées par des écoles et des bibliothèques où un effort important a été engagé en faveur de la lecture ! Tout ce travail n’avait-il donc servi à rien et le directeur d’une collection était-il fondé à déclarer (Le Monde de l’Education, décembre 1982) qu’il y a des best-sellers indiscutables pour la jeunesse et que Le Club des Cinq en est un depuis trente ans ? Bref, on sortait de la lecture de ces résultats comme écrasés sous le poids d’une « fatalité » du « goût » enfantin. Pour en avoir le cœur net, je me reportai alors aux tableaux qui avaient été dressés.

    Première constatation : à la question XVII (As-tu rencontré un écrivain ?), sur les 13% des sujets qui répondaient par l’affirmative, un seul enfant (sur 990 réponses répertoriées) prétendait avoir rencontré Enid Blyton – on se demande par quel miracle – tandis qu’un autre auteur pour enfants, Jacqueline Held, avait été rencontrée 65 fois dans les écoles ou les bibliothèques sans que les titres de ses livres apparaissent dans les pourcentages qui ont été fournis pour les questions I (Quel est en ce moment ton livre préféré ?) et IX (Veux-tu citer au moins trois titres que tu as lus ?). Un examen plus détaillé du tableau donnant les résultats des livres préférés par les 10-11 ans montrait aussi que si Tintin, Astérix, Le Club des Cinq, Alice ou Fantomette viennent en tête, le sondage laisse néanmoins apparaître 200 titres sur les 372 réponses. Dans cette grande dispersion, des groupes de titres cités une seule fois appartiennent en fait à des collections reconnues : Moumine le Troll et Le secret du verre bleu (Bibliothèque Internationale, Nathan), Les gars de la rue Paul et Sans famille (Livre de poche, Jeunesse), Charlie et la chocolaterie, James et la grosse pêche et Le Poney rouge (Folio Junior, Gallimard), Oma, Ferdinand la Magnifique et Chichois de la rue des Mauvestis (« Aux quatre coins du temps », Bordas). Enfin les nombreux Kastner, Gripari et même le Pépé Révolution de Nozière, 5 fois cités, s’ajoutent aux Marcel Aymé, aux Pagnol, aux Hemingway, Twain, Sempé, Goscinny, à l’orgueilleuse solitude du Seigneur des anneaux de Tolkien, etc. pour tempérer l’illusion première et suggérer que l’aventure peut prendre d’autres formes que celle du Club des Cinq. En réalité, une géographie plus complexe du goût des lecteurs se manifeste à travers ces 200 titres. Il y a là une vaste planète inconnue au sujet de laquelle nous manquons encore d’analyses. Il y a là aussi des aspirations qui demandent peut-être le support des grands tirages et des circuits de diffusion pour affirmer « magiquement » l’existence de best-sellers imprévus.

Et que conclure pour l’instant de ces remarques ? En premier lieu, il ne faudrait pas nier la permanence de certains phénomènes mis en lumière par l’enquête. Il importe, toutefois d’en atténuer les extrapolations et de refuser le nivellement des statistiques. Non pas pour dire seulement que les lectures des enfants reflètent en partie les rapports de force de l’édition contemporaine avec une opposition marquée entre des maisons de grande diffusion tirant à des millions d’exemplaires (Tintin, etc.) et d’autres dont les tirages s’élèvent parfois à quelques milliers (voir l’article du Français Aujourd’hui n°59). Mais pour montrer aussi que les régions qui ont répondu à l’enquête (Saint Etienne : 185 réponses, Orléans : 175, Isère : 149, Le Mans : 89, Paris : 224, etc.) sont souvent celles où un auteur rencontre les enfants et participe à l’animation du livre dans les écoles ou les bibliothèques. Sans doute à une enquête plus poussée montrerait-elle la relative variété des lectures des enfants interrogés par rapport à l’ensemble de la population enfantine française.

    Il reste que quelques conclusions plus évidentes de l’analyse nous intéressent au premier chef : d’abord celles qui touchent le goût des enfants pour l’histoire et ses péripéties ou pour les personnages plutôt que pour la manière de raconter ; ensuite l’autonomie croissante des lecteurs qui choisissent leurs livres (68%), les achètent eux-mêmes (1 sur 4) ou les empruntent (54%) soit à une bibliothèque, soit, pour les plus grands, à un « copain ». Enfin, si la lecture de loisir est bien une activité de délassement (on lit d’abord au « lit », dans « la maison » puis « dans la chambre »), les enfants préfèrent toutefois les « histoires vraies », pour les filles celles qui font rêver ou pleurer, les garçons celles qui font peur ; les deux groupes aimant surtout en parler « avec un copain » (51,5%), puis avec les parents (32%) et 6% seulement avec un enseignant ! Cette dernière affirmation, semble-t-il, constitue bien un défi qu’il nous appartient de relever…

( texte paru dans le n° 19 – 15 mars 1983 – du bulletin du CRILJ )

 

Professeur de littérature comparée et spécialiste de littérature de jeunesse, fondateur, en 1994, en relation avec les universités et les professionnels des métiers du livre, de l’institut Charles Perrault à Eaubonne (Val-d’Oise), très actif au plan international, Jean Perrot a dirigé de multiples travaux sur le conte et la littérature pour la jeunesse, organisé colloques et formations, publié de nombreux ouvrages parmi lesquels L’humour dans la littérature de jeunesse (In Press. 2000) Du jeu des enfants et des livres (Cercle de la librairie, 2001), Mondialisation et littérature de jeunesse (Cercle de la librairie, 2008). Il est le coordinateur, avec Isabelle Nière-Chevrel, du Dictionnaire du livre et de la littérature de jeunesse en France, à paraître en 2012 au Cercle de la librairie.

La création et le livre pour la jeunesse

 

 

 

 

 

Extraits du discours de clôture du colloque de Saint-Etienne (Loire) L’enfant et la création – 22, 23 et 24 octobre 1982.

    Ce colloque a été extrêmement vivant, la diversité des sentiments qu’il a provoqué est un signe de la liberté des discussions, il y a eu un foisonnement d’idées fort sympathiques.

    L’enfant a été constamment présent au cours de ce colloque, l’enfant et le jeune, et la création aussi. J’ai été sensible à de très belles phrases de plusieurs auteurs qui nous disaient : « La création, c’est le retour aux sources de l’élémentaire (Georges Jean), « La création c’est une vraie littérature de l’imaginaire ; les livres ne délivrent pas de message monolithique étroit, ils constituent des graines que l’on sème en aveugle » (Jacqueline Held), « Le livre est le plus enrichissant des jeux, le livre c’est la complicité entre l’auteur et le lecteur » (Huguette Pérol).

    De l’expression de ces points de vue, il est vrai que nous pourrions être satisfaits et, dire que le colloque a été un « témoignage de foi et d’enthousiasme ». On a pu remarquer chez plusieurs intervenants certains signes d’inquiétude :

    Bernadette Bricout a parlé de l’inquiétude des créateurs, des parents, de la critique, des médiateurs du livre : éditeurs, bibliothécaires, libraires, enseignants. M. Despinette s’est demandé si l’enfant est le véritable acheteur, s’il n’est pas l’acheteur au second degré et comment était informé l’acheteur véritable.

    Cette inquiétude s’est révélée presque angoissante lorsqu’Hélène Gratiot-Alphandéry et Germaine Finifter nous ont fait connaître chacune pour sa part les résultats de leur enquête.

    Ainsi chacun à son tour est apparu pour dire « nous sommes oubliés », et j »ai noté avec émotion le cri de Jean Claverie qui disait : « Apprenez à connaître les gens de l’image ». Chacun a l’impression qu’il n’est pas assez connu des autres. Dans le même sens, Christian Bruel a manifesté l’importance qu’ont les traductions, et il a dit à juste titre : « la traduction, c’est faire l’apprentissage de l’autre et de la différence, mais cela peut être aussi une paresse : l’importance donnée aux grands classiques, à la réédition, est un signe de longévité, mais peut devenir aussi signe de stagnation ».

    François Ruy-Vidal a insisté sur l’insuffisance des circuits de réception et on a parlé du silence des médias. Plus gravement, Jean Cazalbou remarquait que l’insuffisance de la lecture chez les jeunes reflétait la structure sociale puisque 80% des livres étaient lus par 20% des lecteurs.

    Heureusement, quelques éléments d’espoir ont contrebalancé cette inquiétude : le développement du livre de poche, le crédit des illustrateurs français à l’étranger, le fait que, Isabelle Jan le disait, l’enfant de l’audio-visuel, c’est aussi l’enfant de la lecture et qu’il n’y a pas de contradiction, et on montrait comment ces enfants de l’audio-visuel avaient plaisir à lire et à écrire.

    Raoul Dubois a insisté sur le fait que nous étions résolument optimistes, il a rappelé le développement des veillées et la présence des médias et en particulier des médias dans les régions.

    Un nouvel élément renforce notre optimisme, à ce colloque du CRILJ, il y a beaucoup plus de jeunes qu’au début de nos réunions.

    J’ai parlé d’enthousiasme, j’ai parlé d’inquiétude, j’ai parlé d’espoir, il y a un mot qui a été employé, à deux reprises, dans deux interventions proches l’une de l’autre, c’est le mot confiance. Huguette Pérol a dit que la lecture, c’était à la fois confiance du créateur et confiance du lecteur tandis que Keleck lançait un cri angoissé des illustrateurs qui était : « faites-nous confiance ».

    On a beaucoup discuté, on a été optimiste, on a été inquiet, mais peut-être pourrions-nous reprendre pour le compte du CRILJ, l’expression de Keleck, en l’élargissant : « Faisons-nous confiance et travaillons ensemble dans la confiance ».

( texte paru dans le n° 18 – 15 décembre 1982 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en mars 1917 à Barbaste (Lot-et-Garonne), ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, Jean Auba fut iinspecteur général de l’Instruction publique. conseiller technique de plusieurs ministres de l’Éducation nationale et, de 1967 à 1983, directeur du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres (CIEP). Spécialiste en sciences de l’éducation, correspondant de l’Académie des sciences morales et politiques, il a exercé de nombreuses responsabilités associatives : vice-président-fondateur de la Fédération internationale des professeurs de français, vice-président de l’Alliance française de Paris, président de l’Association des membres de l’ordre des palmes académiques, fondateur de l’Association francophone d’éducation comparée. Il fut, de 1975 à 1983, au Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ), un président très présent, attentif au rayonnement de l’association.