par Michèle Kahn
Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.
DEUXIEME PARTIE
Deux questions devant donner lieu à des développements :
1. Quel est votre souhait personnel ?
2. Quels sont vos espoirs et revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ?
En posant la première question : « Quel est votre souhait personnel », j’avais deux idées comme on dit, derrière la tête. Premièrement, dégager le sentiment, peut-être le ressentiment, des écrivains quant à leur second métier, qu’il faut souvent, pour des raisons financières, appeler le premier. Sont-ils satisfaits de ce partage nécessaire ?
Voici la réponse :
Si 9 écrivains souhaitent modestement pouvoir écrire plus et davantage, « mieux », ajoutent certains, il s’en trouve 11 pour dire nettement qu’ils souhaiteraient pouvoir vivre de ce métier. « J’aimerais, bien sûr, pouvoir me consacrer entièrement à l’écriture », répond Christian Léourier. Cette réponse n’est pas, j’imagine, très originale. Et Yves Pinguilly d’ajouter : « en recevant commande des media ou des maisons d’édition ».
Ici, une précision : dans la mesure où il était demandé aux écrivais de donner des renseignements sur le montant de leurs droits, une pudeur – qui ferait hausser les épaules américaines – m’a incité à proposer un questionnaire anonyme. Les écrivains ont cependant étaient très nombreux à révéler spontanément leur identité et, dans ce dernier cas, je me permettrai de les citer.
Toujours à l’ordre du souhait personnel, ma deuxième « idée derrière la tête » résultait d’une question, dont nous ne mesurons pas ici le degré de perfidie, que nombre d’auteurs écrivant exclusivement pour les jeunes ont entendu tinter à leurs oreilles : « Ah vous écrivez pour les petits ? Pourquoi ? Ca ne marche pas pour les adultes ? » Et au dernier colloque du CRILJ à Saint-Etienne, dont le thème était « La création en France aujourd’hui », n’avait-il pas été fait allusion au fait que la littérature pour la jeunesse pourrait être « le refuge de certains ringards déçus par leur insuccès auprès des adultes » ? Si cette hypothèse était fondée, les réponses ne devraient pas manquer de faire jaillir une certaine amertume à ce sujet. Or, il s’est trouvé un seul auteur qui ait exprimé, pour souhait personnel, l’envie « d’écrire des romans grand public pour adultes ». 1 sur 41, vous avouerez que c’est peu. Cette fois, j’ai manifestement fait chou blanc et suis heureuse de pouvoir le proclamer.
Il s’agit donc là d’une vingtaine de réponses. Pour les autres, on note quelques souhaits que j’appellerai « disparates », dans la mesure où ils n’apparaissent qu’une fois, tels que le désir d’arriver à faire publier l’ouvrage qu’on porte en soi, ou bien une demande de clarification du rôle de l’AGESSA (Association pour la gestion de Sécurité Sociale des auteurs), ou encore des vœux tels que :
. « un monde plus juste, moins cupide et moins pollué »
. « que le regard des enfants s’ouvre davantage sur les autres enfants du monde »
. « voir… et entendre autour de moi un peu moins d’adultocentrisme pour tout ce qui concerne la littérature pour la jeunesse ».
Quelques souhaits disparates, donc, mais une majorité de réponses recoupant celles qui ont été données pour la question suivante : « quels sont vos espoirs et vos revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ? » et dont, pour cette raison, je rendrai compte en même temps.
Les revendications concernent globalement quatre secteurs : l’édition, les pouvoirs publics, l’école et les medias, alors que les espoirs portent sur un meilleur statut de l’auteur et une reconnaissance de la littérature pour les jeunes.
L’édition :
De nombreux écrivains critiques les conditions de travail faîtes aux auteurs par les éditeurs. Ils souhaiteraient percevoir un à-valoir correspondant mieux au temps au temps passé, signer le contrat dès l’acceptation des synopsis par l’éditeur, n’être plus assujettis au droit de référence et surtout avoir un moyen de contrôle des ventes effectives. « Que les écrivains, ajoute Claude Cénac, soient tenus au courant de toutes les publications faîtes à partir de leurs œuvres (par exemple, extraits dans les livres scolaires dont nous ignorons tout et sur lesquels nous ne percevons aucun droit) ».
Béatrice Tanaka résume : « ne pas avoir à marchander à chaque contrat, ni être obligés de réclamer ses comptes et ses droits d’auteur comme si on demandait l’aumône. Enfin, un contrat-type honnête et un code des usages respectés. Un droit de regard sur la fabrication. Une information préalable en cas de réédition, d’épuisement ou de soldes ». D’autres écrivains déplorent la mauvaise qualité des rapports humains auteur-éditeur placés plus souvent, comme l’observe Monique Bermond, sous le signe de l’argent que celui de la création commune. « J’aimerais bien que les éditeurs, écrit un auteur exerçant par ailleurs la profession de bibliothécaire, m’aident à me perfectionner, me fassent refaire, parfaire les textes, aient un rôle de formateur par leurs critiques. Au lieu de quoi, ils se contentent de dire « je prends » ou « je refuse ».
A relever également : des plaintes sur les conditions matérielles, la basse rentabilité des ouvrages, le faible pourcentage des droits d’auteur, l’un des écrivains précisant qu’il ne touche que 5% sur un livre à 20 000 exemplaires, alors qu’un autre ne perçoit que de 1 000 à 3 000 francs de droits par an pour 25 romans publiés. « J’aimerai bénéficier de droits d’auteur au moins égaux au salaire d’une femme de ménage », déclare amèrement René Antona.
Un écrivain s’étonne que les droits confondus de l’auteur et de l’illustrateur n’atteignent pas systématiquement les 10% en rigueur en littérature générale. On se souvient que l’analyse comparative des droits d’auteur pour les écrivains tous publics et les écrivains jeunesse, faite plus haut, a clairement montré que les droits d’auteur sont inférieurs dans le secteur jeunesse. Cela nous est confirmé par Michel Jeury, un écrivain professionnel tous publics dont voici le souhait : « que les contrats proposés aux auteurs jeunesse s’alignent sur les autres secteurs avec un plancher de conditions sous lesquelles les éditeurs ne pourront pas descendre.
Est ensuite critiqué le choix éditorial, dans sa forme (où sont les beaux livres reliés ?), mais surtout dans son contenu. C’est ici que les théories s’affrontent.
Si Michel Tournier espère « voir changer l’idéologie victorienne qui terrorise l’édition destinée aux jeunes », si un journaliste et un professeur s’accordent pour souhaiter que les éditeurs s’intéressent davantage à leurs lecteurs qu’aux profs, aux grands-parents, aux psychologues, aux psychiatres et aux responsables d’associations familiales, Marie-Claude Monchaux, Suzanne Puligami et Jacqueline Verly dénoncent la permissivité, la place faites au vol, à la drogue, à l’homosexualité, à la contestation, aux thèmes angoissants. « Qu’on publie moins de conneries », tranche Hilaire Cuny. On réclame aussi plus d’audace, on demande aux éditeurs de ne pas enfermer, autant par facilité que par souci de rentabilité, les auteurs dans la routine de leurs collections.
On souhaite également, de la part des professionnels, un effort pour découvrir et publier les auteurs français de préférence aux étrangers. Jacques Cassabois dénonce, « directement issue des grandes foires internationales, la surabondance de productions étrangères, qui ressemble plus à une prise de pouvoir de l’impérialisme de l’argent qu’à un véritable échange interculturel. Cette prise de pouvoir, poursuit-il, permet à des œuvres médiocres d’exister dans un marché où les particularismes culturels sont écartés parce qu’ils deviennent des freins à la vente ».
Autre sujet de mécontentement : la part minime faite aux auteurs contemporains. « L’édition fait actuellement une place de plus en plus réduite aux créations, nous dit encore Jacques Cassabois, au profit de la réédition d’auteurs classiques ou néo-classiques, ce qui continue d’accréditer cette idée conservatrice d’une culture éloignée du public, puisque produite par des hommes et des femmes morts depuis longtemps.
Sont également critiqués : le lancement publicitaire, la distribution et le manque d’agressivité des éditeurs sur le marché étranger. Si les bons livres pour enfants bénéficiaient du même lancement que les bons livres pour adultes, observe Jean-Côme Noguès, « les parents apprendraient à choisir les livres qu’ils donnent à leurs enfants. » Pour ce qui concerne la distribution, il est reproché au système actuel de favoriser les grandes maisons d’édition, de les laisser « inonder le marché ». Cependant, certains écrivains observent que, même publiés par ces grandes maisons, ils ne bénéficient pas toujours pour autant de l’artillerie lourde préposée à la mise en place, dans les librairies, des livres de série qui sont, le plus souvent, de qualité médiocre. Quant au marché étranger, Christian Poslaniec pense qu’il serait nécessaire, pour le conquérir, afin de pallier la carence des éditeurs, de créer un organisme « connaissant parfaitement la production française, capable de favoriser l’adaptation de nos œuvres en langues étrangères ».
Vous voyez que nos auteurs ne sont pas uniquement négatifs. Ils font encore d’autres suggestions qui, notons-le au passage, traduisent leur isolement. Ils souhaitent pouvoir discuter de leurs problèmes avec d’autres auteurs, avoir leur mot à dire sur le choix de l’illustrateur par l’éditeur, avoir la possibilité de rencontrer les illustrateurs de leurs ouvrages avant la mise en chantier de l’illustration, bref que la production d’un livre soit l’aboutissement d’un véritable travail d’équipe.
En amont, ne sachant souvent à quelle porte frapper lorsqu’ils ont écrit un ouvrage qui n’a pas sa place dans les collections de leur éditeur habituer, ils aimeraient pouvoir être orientés, mieux informés sur les possibilités éditoriales des diverses maisons d’édition.
Si Christian Poslaniec imagine la création d’un organisme capable de recevoir les manuscrits et de les proposer aux éditeurs concernés (en observant que ceux-ci ne seraient plus alors submergés de manuscrits non aboutis), Christian Léourier suggère l’édition d’un « annuaire récapitulant les collections existante avec leurs orientations et les noms des responsables ».
Voici pour l’édition, dont il convient de rappeler quelques chiffres non négligeables, obtenus auprès du Syndicat National de l’édition. En 1981, les livres et albums pour la jeunesse constituaient 6% du chiffre d’affaire global de l’édition française, sur une production de livres représentant 13,15% du tirage global de l’édition en France, le pourcentage étant porté à 17,8% si l’on inclut les livres de bande dessinée.
Les pouvoirs publics :
Coup d’envoi de Jacques Cassabois, soutenu par quelques confrères, qui déplore une « réticence à faire participer les créateurs aux instances institutionnelles les concernant, comme la récente « Commission Jeunesse » du Centre national des Lettres dont ils sont quasiment écartés, alors que les écrivains sont largement représentés dans toutes les autres commissions du même organisme. Faut-il, s’interroge Jacques Cassabois, lorsqu’il s’agit de l’enfance, détourner les créateurs des décisions pour les confier à des personnes plus patentées ? »
Sont réclamées :
. en premier, une aide matérielle, sous forme de concours, bourse ou prix, pour aider les jeunes auteurs à se faire publier ou qui permettrait à des écrivains chevronnés de se consacrer entièrement à l’écriture.
. deuxièmement une réflexion sur le livre pour les jeunes et des manifestations nationales pour sa promotion, celles-ci pouvant se ramifier en actions régionales, départementales, municipales, etc.…
. troisièmement, comme le résume Michel Cosem : « une véritable politique de la lecture en direction des jeunes (écoles collèges, bibliothèques municipales) largement débattue par toutes les personnes concernées. « Jacques Cassabois réapparaît ici en soulignant qu’ainsi une littérature active pourrait s’intégrer dans les établissements scolaires, sans être pour autant tributaire du bénévolat obligé et de la recherche d’expédients financiers.
L’école :
« On veut honnêtement espérer, écrit Georges Fonvilliers, que l’effort déjà entrepris dans les écoles et collèges, pour éveiller l’enfant au goût de la lecture et du livre, porte un jour ses fruits en accroissant le nombre des lecteurs, tout en élargissant et améliorant leu choix ».
Mais, tous ne partagent pas son optimisme. Ici ou là, on critique les méthodes d’apprentissage de la lecture, l’insuffisance des moyens mis en œuvre par les enseignants pour développer le goût du livre et de la lecture chez les enfants, et même, on milite pour le renouveau de l’enseignement de l’histoire, « car tout roman fondé sur une trame historique, précise ce dernier écrivain, risque de tomber dans le désert avec une jeunesse dont on aura pas cultivé et formé la mémoire ».
Il faudrait « que les écrivains soient mieux connus en milieu scolaire où un travail considérable reste à faire » déclare Michel Lamart, lui-même professeur. De nombreux écrivains, heureux d’avoir pu participer à des animations dans les écoles, souhaitent que ces expériences se renouvellent le plus souvent possible, mais peut-être dans des conditions matérielles plus favorables. Que la tâche des auteurs disponibles à un public d’enfants, avec ce que cela suppose de déplacements et de temps passé en correspondance avec les enfants, soit reconnue, demande Anne Pierjean. Même son de cloche chez Claude Cénac qui revendique dans ce cas, sinon une rémunération, tout au moins un défraiement. Et Pef d’observer que la « rétribution de ces prestations permettrait aux auteurs de trouver dans ce métier un revenu suffisant sans avoir à s’éparpiller ».
Les media :
Sujet qui provoque de nombreuses doléances. « Je souhaite, écrit Jean Joubert, une plus grande attention de la presse, de la radio et de la télévision qui, dans l’ensemble, sont peu attentives à cet aspect de la littérature que je juge capital, puisqu’il est le lieu d’initiation de l’enfant à la lecture ».
Sont donc véhémentement réclamés :
. l’intégration, à part entière, de la littérature pour les jeunes dans le réseau actuel des informations culturelles nationales à travers la presse écrite (quotidiens et magazines) et audiovisuelle (radio et télévision). Avec cette précision : à tout moment de l’année, ce qui signifie en clair autrement qu’à la veille de Noël ou des vacances. Et cela, souligne Jacques Cassabois, afin d’apporter « au public les éléments de choix de plus en plus indispensables devant l’abondance inflationniste de la production ».
. « des émissions de radio et de télévision spécialisées plus fréquentes et plus intelligentes ».
. Le passage des auteurs de livres pour les jeunes dans de grandes émissions culturelles type Apostrophes. « J’aimerais être l’invité d’une émission à une heure de grande écoute » soupire Huguette Pérol, tandis que Jean Cazalbou grogne : on aimerait « voir les auteurs et les illustrateurs de livres « jeunes » reçus à Apostrophes tout comme Spaggiari, le gangster bien connu. En attendant la création d’émissions de qualité sur la littérature pour la jeunesse ».
Et enfin, un autre vœu concernant les media, ainsi formulé par Christian Poslaniec : « que les réalisateurs audio-visuels de produits destinés aux jeunes mettent un peu leur nez dans le vaste champ des publications françaises destinées à la jeunesse. Quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays, la situation française constitue un véritable scandale ».
Rien de nouveau donc. Il y a des années que nous déplorons le manque d’intérêt le manque d’intérêt des média. Il serait cependant intéressant, dans le cadre des travaux que nous devons mener à la suite de ce colloque, de voir avec nos confrères de l’audiovisuel comment, de leur point de vue, se présente la situation. Et aussi d’étudier effectivement, avec exemples précis à l’appui, ce qui se passe dans les autres pays que la France.
Enfin, le dernier point de ces espoirs et revendications, mais non le moindre : Le statut des auteurs et de la littérature pour les jeunes
Jacqueline Held résume parfaitement la situation lorsqu’elle espère :
. « Voir la littérature de jeunesse reconnue comme une littérature tout simplement (elle l’est dans beaucoup d’autres pays)
. « Que la littérature soit un métier, c’est-à-dire une activité qui permette de gagner sa vie ».
Reviennent comme un leitmotiv sur une trentaine de fiche ces quelques mots : davantage de considération, davantage d’estime, littérature à part entière, sortir du ghetto, pas de frontière littéraire.
Laissons parler ces écrivains dont, note un auteur tous publics, « les libraires cachent les livres au fond de leur magasin », comme autrefois les livres pornographiques. « Que soit enfin reconnu que nous ne faisons pas de la sous-littérature, dit Robert Bigot, sous prétexte que nous ne mettons dans nos écrits ni violence, ni corruption, ni sexe pour le sexe, mais plus souvent ce qui reste d’amour entre les hommes ».
« Ne plus être traités en éternels mineurs, revendique Béatrice Tanaka : un livre pour jeunes est un livre pour tous ». Et Jean François Laguionie : « ne pas être considérés comme des auteurs de livre pour l’enfance ou la jeunesse mais des auteurs tout simplement ». Madeleine Gilard ajoute : « un livre authentique est une chose précieuse, qui que ce soit qui le lise ».
L’humeur n’est pas toujours à l’optimisme. « Que peut-on espérer, s’interroge Michèle Albraud, dans un pays qui n’aime pas les enfants et se méfie de la jeunesse ? » A en croire Michel-Aimé Baudouy, il y aurait peut-être une solution. Il faudrait que « l’action entreprise par certains enseignants, bibliothécaires et quelques critiques soit amplifiée. Que cette action, soutenue par les media, aboutisse – enfin – à la distinction entre les fabricants de séries (tant auteurs qu’éditeurs), responsable du discrédit qui pèse sur la littérature pour la jeunesse, et les véritables créateurs d’œuvres de qualité (justement parce qu’elles sont destinées aux jeunes), d’œuvres tout court ».
Ici ou là, les auteurs suggèrent que les critiques et les prix reconnaissent, à l’instar du Grand Prix Jeunesse de la Société des Gens de Lettres, la qualité littéraire des ouvrages.
Afin que la littérature pour la jeunesse ne soit plus coupée de la littérature pour adultes, propose Nadine Garrel, « que la même exigence existe pour l’une et l’autre, la même audience et qu’on en finisse avec cette séparation ».
Autre observation d’un écrivain tous publics : « Il faut que l’on admette que les bons romans juvéniles sont des œuvres littéraires majeures, avec ce que cela implique moralement et matériellement ».
Matériellement, venons-y ! Il ne s’agit pas de faire fortune, mais tout simplement de pouvoir vivre. « Que le métier d’écrivain pour jeunes, souhaite Luce Fillol, soit désormais un métier […] capable de nourrir celui qui l’exerce avec honnêteté et courage ».
« Que les auteurs ne soient pas obligés de « produire » vite, commente Madeleine Gilard, parce que c’est indispensable pour nourrir la famille. Qu’ils puissent consacrer le plus de temps et de soins possibles à leur œuvre ». Et certains d’observer que revaloriser le statut de cette catégorie d’auteurs pourrait favoriser le développement d’une création véritable.
Citons également le point de vue de trois auteurs professionnels tous publics : Jean Joubert, Michel Jeury et Michel Peyramaure, qui trouvent important pour eux d’écrire des livres pour les jeunes, « dans ce domaine, précise Jean Joubert, trop souvent réservé à des spécialistes ». Quant à Michel Peyramaure, il souhaite « avoir le temps d’écrire d’autres livres pour la jeunesse » sans s’épancher sur ce qui pourrait l’en empêcher.
On comprend en effet que certains hésitent à tout donner d’eux-mêmes pour un livre qui ne leur attirera ni droits d’auteur substantiels, ni même la considération du public, et l’on en vient parfois à se demander si le fait de commencer par écrire pour les jeunes ne jette pas, irréversiblement, un discrédit sur l’écrivain. Ecoutez cette plainte d’Huguette Pérol : « beaucoup d’auteurs « pour adultes » écrivent des livres pour enfants, c’est un fait admis. L’inverse est une tare, un handicap. Pourquoi ? »
Que peuvent espérer, en conclusion, les auteurs de livres pour les jeunes ? « Du talent, encore du talent et des lecteurs, toujours des lecteurs… » résume Paul Fournel, cependant que de nombreux écrivains s’attristent d’un constat plutôt raide : talent et lecteurs ne vont pas forcément de pair.
Toutefois, cette enquête a mis en évidence certains éléments positifs qui méritent d’être signalés, et tout particulièrement le nombre d’écrivains qui se sont manifestés, n’hésitant pas à remplir des pages entières d’observations.
Il faudrait pousser plus l’étude, l’étendre aux illustrateurs, inclure la BD. Mais il faudrait surtout que les auteurs continuent à se mobiliser. Il y a une action à conduire avec le CRILJ, avec la Société des Gens de Lettres qui, au sein du CPE (Conseil permanent des écrivains) a suscité l’ouverture de négociations avec le groupe Jeunesse du Syndicat national de l’édition, ces négociations devant logiquement aboutir à la signature d’un avenant spécifique au Code des usages déjà signé pour la littérature générale.
( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )
Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.