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Le sport, parfois, comme la religion.
J’ai rencontré dans les stades féminins quelques jeunes filles, extrêmes fleurs de ces familles de noblesse bretonne où se perpétue depuis des siècles un esprit d’indépendance et de fronde. Ces filles faisaient de l’athlétisme comme leurs frères de la politique de gauche. Elles jetaient dans ce qui était pour elles une infraction toutes les richesses, toutes les âcretés d’un vieux sang.
Quand je connus Melle de Plémeur, elle était la gloire de son club : championne du « Trois cents mètres », et imbattable alors en France sur ce parcours. D’ailleurs profondément artiste du sport, inégale, fantasque, prompte au découragement comme à la griserie, et si excentrique de manières que, n’eût été sa valeur, on l’eût écartée du club comme « impossible ».
Elle avait vingt-quatre ans : c’est l’arrière saison pour une jeune fille. Ses belles formes si longues passaient assez inaperçues, par manque peut-être d’un certain piquant qui tient lieu de tout à nos Français ; peut-être surtout parce qu’elle s’habillait en chien savant. De visage, elle ne valait pas d’être regardée (mais qu’un visage est pauvre auprès d’un corps !). L’acte athlétique la transfigurait. Elle s’y échappait dans une humanité accomplie.
Son frère était spahi en Afrique, après s’être fait prendre un jour dans une mauvaise histoire, quand le vieux M. de Plémeur vint sangloter chez le commissaire, qui laissa sur le banc des souteneurs cette proie à particule ; et les agents se retournaient pour ricaner : pensez donc, un vicomte ! Elle, nous savions vaguement qu’elle avait, par coup de tête, par excès d’ennui, quitté le hobereau qui noyait sous l’alcool, au fond d’un manoir crasseux près de Morlaix, l’angoisse de reconnaître peu à peu qu’on devient pauvre. Elle avait horreur du » monde » et vivait dans une petite pension, rabattant sur le domaine paternel, à ce qu’on disait, tous ceux qui se ventrent avec les maisons qui déclinent. Et parfois, quand le jeu cessait de mettre sur sa face un beau masque de ménade-vierge, j’avais cru y lire cette tristesse, croisée chaque jour dans la rue, et chaque jour avec une même pitié : « Il est possible que je ne me marie pas. »
Me trompé-je ? Mais le sport, comme la religion, est quelquefois un dérivatif. J’ai vu des garçons et des jeunes filles comprendre la victoire de leur corps comme un moyen de se redonner confiance, de balancer quelque impuissance ou quelque échec de la vie quotidienne : timidité, déboires, humiliation sociale. Nouvelle idole et nouvelle illusion.
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Henry de Montherlant, écrivain – Les Olympiques, Grasset, 1924.
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