Robert Badinter aussi pour les enfants

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Robert Badinter, auteur de livres pour enfants ?

    Cet homme de convictions a su, grâce à sa présence, son verbe, sa ténacité et un travail acharné, imposer et transmettre ses valeurs.

    Il n’a pas négligé les enfants, en préfaçant à leur intention Le livre des droits de l’Homme (Gallimard jeunesse, 2015) et en incitant Jacqueline Duhême à illustrer, avec ses images explicites et séduisantes, ce texte qu’il qualifiait de « message de foi dans l’humanité et d’amour des êtres vivants ». (1)

    Il nous a quittés le 9 février 2024, jour anniversaire d’une triste rafle qui lui a enlevée son père mais il a su faire revivre sa grand-mère maternelle dans un récit de la vie de celle-ci, Idiss, chez Fayard, en 2018. Il adaptera ce texte en bande dessinée, en gardant le même titre, avec Richard Malka pour le scénario et Fred Bernard pour les illustrations, (Rue de Sèvres, 2021). Robert Badinter dit de ce texte :  » J’ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend être ni une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l’Empire russe venus à Paris avant 1914. Il est simplement le récit d’une destinée singulière à laquelle j’ai souvent rêvé. Puisse-t-il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d’amour de son petit-fils. »

    C’est donc aussi comme homme de culture très attentif à l’enfance que Robert Badinter devrait entrer prochainement au Panthéon, comme l’a annoncé le Président de la République lors de l’hommage national qui lui a été rendu le 14 février 2024.

par Françoise Lagarde – février 2024

(1) lire aussi, ici, sur ce site, un ensemble de textes à propos de l’adaptation théâtrale du livre, en 2016, par la compagnie Petit Théâtre Pilat.

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Hommage à Ian Falconer

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Le texte qui suit a été écrit, en avril 2023, suite à une commande. Il a bien été transmis, en temps et en heure. Mais – on n’est jamais à l’abri d’un pataquès – il semble qu’il ait été perdu. Invérifiable. En tout cas, c’est un autre texte du même signataire, plus court et nettement moins analytique, qui, emprunté d’office au site ActuaLitté, tiendra lieu d’hommage à Ian Falconer. Après enquête, il s’avèrera que l’imprévisible Olivia ne soit pour rien dans cet curieux micmac . (A.D.)

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Ian Falconer qui créa le personnage d’Olivia, entreprenante cochonnette, est décédé d’une insuffisance rénale, le 7 mars 2023, à Norwalk (Connecticut). Il avait 63 ans..

    Né à Ridgefield, dans le Connecticut, ainé de trois enfants, Ian Falconer fréquenta la Long Ridge School de Stamford puis la Cambridge School de Weston (Massachusetts) dont les principes pédagogiques progressistes lui convenaient parfaitement. Il suivit, pendant deux années, des études d’art à l’université de New York, puis s’inscrivit, comme peintre, à la Parsons School of Design avant de rejoindre l’Otis Art Institute de Los Angeles.

  En 1987, Ian Falconer rencontre David Hockney, qui devient son compagnon, et il l’assiste, à l’Opéra de Los Angeles, pour la conception des costumes de Tristan und Isolde de Richard Wagner. Suivront de nombreuses autres productions, opéra ou ballet, à New York, à Chicago, à Boston et à Londres, pour lesquelles il réalise décors et/ou costumes. À Paris, en 2008, il conçoit, au Châtelet, un dispositif scénique astucieux pour l’opérette Véronique d’André Messager, la mise en scène ayant été confiée à l’actrice Fanny Ardant.

    En 1996, Françoise Mouly, depuis peu directrice artistique du New-Yorker, souhaitant rafraichir le magazine, fait appel à Ian Falconer. « Nous avons passé de longues heures dans les archives, émerveillés par les vieilles couvertures et riant de la façon dont des artistes comme Helen Hokinson, Mary Petty, Charles Addams ou William Cotton ont dépeint les bouffonneries de la bourgeoisie des années trente et quarante. » (1). Trente couvertures, parfois tendres, souvent acides, entre 1996 et 2012. Les lecteurs apprécieront particulièrement celle du 23 novembre 1998 qui montre une vieille dame dont la veste et la jupe s’empourprent à la vue d’une statue grecque toute en muscles.

    Dans les années 1990, Ian Falconer craque devant sa nièce, enfant énergique à qui, alors qu’elle vient d’avoir trois ans, il souhaite offrir un livre. « J’étais juste fasciné par elle et je voulais lui faire un cadeau personnalisé pour Noël. Alors j’ai commencé à travailler. » Les choses, se souvient Ian Falconer, ne sont pas évidentes. Si le style épuré de son dessin est d’emblée apprécié par son entourage, on lui suggère toutefois de retravailler (ou de faire retravailler) son texte. « Quelques années plus tard, Anne Schwartz, de chez Simon and Schuster, m’appelle. Elle aime mon travail pour le New Yorker et elle me demande si je suis intéressé à faire un livre pour enfants. Je lui ai apporté Olivia. » L’album parait en 2000, chez Atheneum Books for Young Reader, et Ian Falconer reçoit la médaille Caldecott qui récompense, aux États-Unis, l’illustrateur du meilleur livre pour enfants de l’année. L’ouvrage restera sur la liste des albums best-sellers établie par le New York Times pendant 107 semaines.

    En France, le livre est accueilli par le Seuil jeunesse et Ian Falconer remporte, en 2001, le premier Baobab de l’album attribué par Le Monde et le Salon du livre de jeunesse en Seine-Saint-Denis. Florence Noiville raconte : « L’histoire, en noir et blanc (avec quelques touches de rouge) de cette petite cochonne qui aime Pollock, Degas et le saut à la corde rappelle un peu celle d’Héloïse, de Kay Thompson, un grand classique de la littérature de jeunesse en Amérique. Peut-être à cause de la spontanéité et de l’humour du trait ? Ou des bêtises d’Olivia ? La vitalité de cette enfant est à la mesure de l’épuisement des parents, si bien que les uns et les autres s’identifieront sans peine aux situations du livre. » (2)

    Ian Falconer assure qu’il ne connaissait pas Héloïse lorsqu’il travailla à son premier livre. Notre plaisir de lecteur n’a, en tout cas, nul besoin de convoquer ce cousinage et le succès mondial de la série (quinze traductions et plus de dix millions d’albums vendus) s’explique par la capacité de l’auteur-illustrateur à se renouveler et à surprendre sans jamais s’éloigner trop de son projet initial. Qu’elle prépare Noël ou qu’elle joue à l’espionne, qu’elle décide de former (seule) une fanfare pour accompagner un feu d’artifice ou de remplacer (seule) les artistes d’un cirque tous malades, Olivia s’active. Ce ne sont pas les idées qui lui manquent, idées qu’elle met en pratique sur l’heure, sans rien demander à personne et aux risques et périls de ses proches, sauf si l’on glisse dans la rêverie. Ainsi, dans Olivia, reine des princesses, si le refus péremptoire de revêtir le classique déguisement de tulle rose est bien réel, c’est dans son lit qu’Olivia s’autorisera à imaginer, juste pour elle, une ultime alternative. (3)

    Ian Falconer cerne ses personnages qu’il ombre en gris léger d’un trait noir très fin et il use de la couleur avec parcimonie, en réservant le rouge à la robe préférée de son héroïne, aux rayures de sa grenouillère, aux rubans qu’elle accroche parfois à ses oreilles. Les mimiques, face et profil, évoquent le cartoon. Jackson Pollock et Edgard Degas ne sont pas les seuls peintres ni les seules personnalités (Eleanor Roosevelt, Martha Graham, Maria Callas) que Ian Falconer invite. Dans Olivia à Venise, toutefois, aucun tableau de maître ni aucune évocation de célébrité, plus de fond blanc systématique non plus, l’illustrateur ayant choisi de saturer ses images en intégrant, sur chacune des pages qui montrent Venise, une authentique photographie des lieux que la famille visite. Ce tourisme, somme toute plutôt traditionnel, est stoppé net quand Olivia met fortement à mal le campanile de la place Saint-Marc. « Je crois que Venise se souviendra de moi », conclut-elle. (4)

    En 2022, Ian Falconer a publié chez HarperCollins Children’s Books, Two dogs, un album qui, l’auteur s’inspirant cette fois de ses neveux, met en scène Perry et Augie, teckels aussi curieux que facétieux. Meilleur livre d’images pour enfants de l’année, selon Jennifer Krauss, critique littéraire au New York Times, ce devait être le premier titre d’une nouvelle série.

     Dès 2001, surpris par le succès de sa création, Ian Falconer avait déclaré au quotidien Newsday : « Toutes ces années, j’ai travaillé si dur pour peindre et pour dessiner et on ne se souviendra de moi que pour ce cochon. » Réaliste, il avait ajouté : « Il y a des choses pires qui peuvent arriver à quelqu’un. »

par André Delobel – avril 2023

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(1) Françoise Mouly, The New Yorker, 7 mars 2023.

(2) Florence Noiville, Le Monde, 23 novembre 2001.

(3) Olivia and the fairy princesses, Atheneum Books for Young Readers, 2012 ; Le Seuil 2012.

(4) Olivia goes to Venice, Atheneum Books for Young Readers, 2010 ; Le Seuil 2011.

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Hommage à Sara

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C’était il y a plus de trente ans. À l’occasion de la première édition américaine de A travers la ville (Épigone, 1990), sur le rabat de la jaquette de l’ouvrage qui parait chez Orchard Books (Across the town, 1991), une dédicace adressée par Sara à quatre élèves de ma classe de cours préparatoire qui lui avaient écrit pour lui faire part de leurs réflexions.  (A.D.)

Éternelle Sara

En hommage à Sara, autrice-illustratrice de littérature jeunesse, partie le 5 août 2023.

    Il y a longtemps que nous n’avions pas vu Sara. Notre dernière rencontre avec la créatrice remonte à l’été 2019, alors que Charlène Lai, une journaliste taiwanaise de passage en France, souhaitait l’interviewer. Chaleureusement et pleine d’élégance, Sara nous a ouvert la porte de son petit appartement-atelier aux Sables-d’Olonne et, pour l’occasion, nous a offert une démonstration de sa technique de prédilection : le papier déchiré. Au travers d’un geste mille fois répété et perfectionné – une règle à l’appui sur une feuille de papier qu’elle faisait tourner – une pomme a émergé prête à être croquée. C’était de la pure magie, doublée de la fraîcheur de l’enfance éternelle.

    Ce jour-là, il faisait grand soleil et très chaud, plus de 30°C. À peine étions-nous sortis de la voiture au lieu du rendez-vous que nous vîmes Sara paraître au coin de la rue, venue nous accueillir là, les pieds dans de petits souliers couleur argentée. Son allure légère faisait penser à une dame marchant avec plaisir sous le ciel d’une journée d’un printemps perpétuel, à 22°C.

Tout comme cette douceur constante de la température qui paraissait entourer Sara, son âge ne semblait pas connaître de mouvement depuis notre première rencontre en 2013, lorsque nous l’avions sollicitée pour illustrer Un bon fermier, un poème de Su Dongpo du 11e siècle. Ce texte très simplement descriptif d’une agriculture respectueuse de la nature – nos contemporains diraient « bio » – est étonnamment intemporel. Qui, alors, mieux que Sara pour l’illustrer, elle dont l’art visuel et narratif vibre, splendide et serein, sans jamais passer de mode ? Cet album fut également publié en langue chinoise à Taiwan.

    Cette première collaboration en appela une deuxième sur L’Invité arrive, un poème de Du Fu du 8e siècle publié aux éditions HongFei en 2014. Sa scénarisation par Sara est aussi saisissante que le texte est court, dense et universel. Entre l’hôte et l’invité, entre le quotidien et l’exceptionnel, entre la simplicité des moyens et la cordialité des intentions, tout cela étant présent au texte, Sara a créé un espace de fluidité où les sentiments circulent sans entrave et sans cesse, à l’instar de ces vers vieux de douze siècles et qui vivent encore.

    Aujourd’hui, Sara nous laisse seuls, de cette solitude lucide et lumineuse aux yeux grands ouverts qu’elle donnait à voir dans l’image créée pour notre album collectif « Dix ans tout juste » paru en 2017.

    Aujourd’hui, « l’invitée » est partie. Elle laisse un vide aussi incommensurable que son humanité. Mais un vide d’où jaillit déjà une vie nouvelle.

par Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob –  mardi 8 août 2023

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Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh ont créé les éditions HongFei Cultures en octobre 2007. La maison est,  depuis janvier 2013, installée à Amboise, en région Centre-Val de Loire.  Le catalogue des éditions HongFei compte 130 titres et la maison limite volontairement le nombre annuel de nouveaux titres à une dizaine, principalement des albums illustrés destinés aux lecteurs de 0 à 12 ans, mais aussi des carnets de voyages pour tout public à partir de 13 ans.

Disparition de Philippe Corentin

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Philippe Corentin : des gâteaux, des amis, des jeux et des livres. 

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« Et dis, papa, pourquoi moi je n’ai pas de livres de Corentin ? »  (N’oublie pas de te laver les dents ! – école des loisirs, 2009 )       

       Philippe Corentin est décédé le 7 novembre dernier. On gardera de lui l’image qu’il aimait afficher: celle d’un humoriste : « Moi je fais des Mickeys, c’est tout ! Je suis un gribouilleur. Un génial gribouilleur, c’est vrai, mais je ne suis qu’un rigolo ! » (1). Ses personnages se chargeaient même de sa publicité : « C’est un livre de Corentin. C’est trop drôle » répond la petite fille à son père qui lui demande ce qu’elle lit (2).  Et quand le dessinateur s’accordait quelque talent c’était pour l’écorner : « Il dessine des souris. Regarde comme elles sont mignonnes » s’émerveille Pipioli ; « Tu as vu les oreilles qu’il nous fait. Elles sont trop grandes. » réplique Pistache (3). Preuve qu’on a bien à faire à un « faiseur de Mickeys » ! Pourquoi ce mélange de fanfaronnade et de déni ? Pour devancer les critiques ? Se garder des louanges ? L’homme qui maugréait était avant tout un pudique qui ne se prêtait pas aux conventions et sabordait le jeu éditorial (rares signatures publiques, aucun colloque et très peu d’entretiens). En solitaire, il fignolait une vision d’enfance simple et immuable, ainsi résumée par Tête à claques : « … et pourquoi il n’y a jamais de tarte aux carottes et pourquoi je n’ai pas de copains et puis pourquoi on ne joue jamais au loup et en plus j’ai même pas de livres pour lire hein dis papa pourquoi j’en aurais pas moi aussi un livre avec des images et tout et tout… ? » (4). Des tartes végétariennes pour un carnivore, des amis mammifères pour un sanguinaire, des jeux cruels pour un loupiot mais des livres avec des images pour les petits !

    Les gâteaux sont faits maison, par des mères attentives aux goûts des convives : une tarte aux moucherons pour la chauve-souris, un gâteau de papier en feuilles de Cendrillon pour les souriceaux, un gâteau aux noix pour Zigomar, une tarte aux cerises pour Pipioli, deux autres tartes (aux pommes pour le garçon, aux mille-pattes pour le monstre), une religieuse au chocolat après un kouglof pour Bouboule, une tarte aux carottes pour Têtes à claques, une tartine de confiture pour les mouches. (5) « Un racontage de bouche » (6) écrit Serge Martin pour évoquer l’esprit rabelaisien de l’œuvre.

    L’amitié c’est l’altérité : Pipioli le souriceau a pour copains des oiseaux (un merle, une hirondelle) et une grenouille, Loustic s’entiche d’une princesse nommée Baignoire, Biplan le moucheron traîne avec un moustique (les autres sont des pédezouilles), le monstre et l’enfant partagent leur lit, Bouboule et Baballesont unis à vie, le louveteau s’émancipe avec des lapins et un cochon (7) : « un mélange d’espèces et de règnes » poursuit Serge Martin citant Florence Gaïotti (8). L’amitié est absolue: Pipioli aurait pu trouver mieux qu’un merle sédentaire pour migrer mais il a foi en la parole de Zigomar, Biplan l’asocial ne lâche pas Moustique qui ne lui est pourtant d’aucun recours et ceux qui se détestent (le chat et le chien (9)) ne se quittent pas.

   Le champ des jeux est large et les plaisirs homogènes. Faire l’avion (au-dessus de la maison ou en Afrique), faire des parties de boules de neige ou de confiture, faire la course ou faire des blagues, faire le loup et qu’importe la peur pourvu qu’il y ait l’ivresse. Dans les images, des jouets abandonnés révèlent d’autres jeux tout aussi traditionnels  mais bien plus calmes : ballon, corde à sauter, crayons de couleur, pelotes de laine, poupée, petite voiture, trompette, etc. Le seul qui ne sait pas jouer (Biplan le rabat-joie) compte sur l’amitié pour fuir la mélancolie : « Je ne sais pas quoi faire. Qu’est-ce que je peux faire ? »

    A la gourmandise, l’amitié et les jeux, Philippe Corentin ajoute la lecture. Gages de découverte et de réflexion, les livres structurent les personnalités en friches. Dans Mademoiselle Tout à l’envers, ils sont en hauteur et comme la chauve-souris est seule à voler « en haut », c’est sans doute là qu’elle puise les histoires de vampires qui troublent le sommeil de ses cousins. Dans Patatras !, ils sont au-dessus de la baignoire (pas loin des WC) et sur les tables de chevet dans Les Deux goinfres et dans Papa ! deux livres sont ouverts : l’un avant l’arrivée du magnétoscope (Le Père Noël et les fourmis), l’autre évité par Biplan à qui sa mère répète pourtant « Joue ! Lis ! Bouge ! Remue-toi ! » ! Dans Pipioli la terreur, c’est toute une bibliothèque qui sert de terrain de jeu et de potager : on fait des gâteaux avec des pages de Cendrillon (la suave) et des salades avec des feuilles de Pinocchio (le menteur). On lit aussi du Corentin au terrier (Mademoiselle Sauve-qui-peut dont l’image intérieure semble être de Grégoire Solotareff) et au salon où, dans une mise en abyme, la fillette résume ce qu’elle est en train de vivre : « L’histoire d’un petit crocodile qui veut manger une petite fille » (10). Enfin, c’est à une lecture métafictionnelle que nous convie la grand-mère de Mademoiselle Sauve-qui-peut lorsqu’elle dit : « C’est la fin de l’histoire et puis de toute façon c’est la dernière page ». Les histoires irriguent la vie. Face au loup, Mademoiselle Sauve-qui-peut s’insurge : « Non, mais, dis donc le loup, tu crois que je ne sais pas faire la différence entre un loup et une mamie ? (…) Il me croit aussi bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi ? ». Comme elles sont drôles les histoires de Corentin, pas moroses comme l’aimeraient Baballe et Bouboule :

« – Ha, ha !… Vous allez voir, elle est très, très drôle … C’est l’histoire de l’arbre qui n’aimait pas les vaches…

– Ah non ! On lui dit à papa. Pas celle-là, papa !

  Papa, il est gentil mais il ne nous raconte que des histoires rigolotes. C’est pas rigolo… C’est toujours pareil… Finalement… Ça fait rire et puis c’est tout.

– Nous, on veut une histoire triste, une qui fait pleurer, avec des gros sanglots et tout… ».

  Vexé le père s’en va, emportant son livre (L’Arbre en bois). C’est alors que la table de chevet saute sur le lit :

– Hé ! … ho ! Moi je vous en raconte une d’histoire d’arbre, si vous voulez…

– De quoi elle se mêle, celle-là ? grogne Baballe, réveillé en sursaut.

  Baballe, c’est mon chien.  » Celle-là « , c’est la table de chevet, là, dans le coin, avec sa lampe sur la tête…

– Alors, je vous la raconte ou pas ? Qu’elle fait.

– Qu’est-ce que ça raconte ?

– C’est mon histoire à moi et je vous préviens que pour être triste, elle l’est, et pas qu’un peu ! Vous n’allez pas être déçus !

– Vas-y, raconte ! Qu’on lui dit, à la table. » (11)

   Un vrai mélo : pollution, déforestation, exportation, industrialisation et voilà un bel arbre (en bois) rétrogradé en vulgaire table de chevet dans la chambre d’un enfant et d’un chien « tristounets » : « Déjà ce n’est pas drôle de faire la table mais quand, en plus, on n’entend même plus d’histoires drôles, ça non ! Donc, je m’en vais… « Et tous les meubles, toute la déco de la suivre. « Quelle histoire !… » dit Bouboule effondré tandis que l’auteur s’explique: « Dans tous mes livres j’essaie de faire rire les enfants. Une histoire doit être faite non pour les endormir mais pour les réveiller et devrait d’ailleurs leur être lue le matin. Et pour les réveiller il faut les chatouiller avec des histoires qui les font rire. » (12). Les chatouiller ? Corentin est pourtant peu « tactile » : un seul baiser (13), aucun « Je t’aime » et encore moins de câlin (sauf celui du monstre à la fin de Papa !). On l’a dit, l’homme est pudique et son rire est sa marque de tendresse. Avec ça, il ré-enchante le monde désenchanté, sans fatuité.

     Premier album à l’école des loisirs : une chauve-souris orpheline est hébergée chez les souris, sa « famille ». Aussitôt un conflit de valeurs s’engage entre granivores et insectivores, diurnes et nocturnes. Où est le vrai monde ? Puis c’est au statut des animaux domestiques d’être débattu dans Le Chien qui voulait être chat : pénibilité du travail et tentation de l’oisiveté (en 1989 !). Suit la domination d’un ogre anonyme qui s’adjuge les ressources et réduit son voisinage à la misère (L’Ogrionne, 1990 !) puis la course au pouvoir (Le Roi et le roi), la boulimie (Les Deux goinfres), l’agnosie (Zigomar n’aime pas les légumes), la production industrielle et ses dégâts sur la nature (L’Arbre en bois, en 1999 !). Enfin, les tabous : pourquoi ne pas manger l’autre (N’oublie pas de te laver les dents !) ? Les thèmes sont graves, encore d’actualité et les fins peu optimistes : mademoiselle Tout à l’envers et son équipage finit dans le ruisseau, Zigomar atterrit au Pôle Nord au lieu de l’Afrique, Pipioli n’a plus de goût (« jeunème passa sepppabon ! ») et au lieu d’être artiste, il est arpète et modèle de l’auteur (14). Les loups ne sont pas mieux lotis (sauf celui de Patatras !) : l’un est abandonné dans l’eau glacée d’un puits, l’autre revient bredouille de la chasse et doit se contenter d’un Noël végétarien, un autre déclare forfait contre l’escargot et le dernier boit du bouillon près du feu de mère-grand (15).  Les insectes s’enlisent : Biplan dans l’ennui et le père mouche dans ses rêves de grandeur (16). Le chien ne sera jamais chat et le chat perdra son fauteuil, l’ogre sera la risée des crocodiles (17). Trop longtemps méprisés, les gâteaux, les végétaux (mondes parallèles) se vengent : boxe, caramélisation en haut du mât, écorchage à vif, piqûres de châtaigne.

    Sur les couvertures figurent deux envols périlleux (avec Zigomar), un risque de naufrage (les deux goinfres), deux chutes (loup, Père Noël), deux séquestrations (par l’auteur et l’ogre), un cri d’effroi, une querelle. On hurle, on fait la gueule sur treize couvertures contre sept où des sourires s’étalent, plutôt niais. L’époque est rude : elle fait fi de l’imaginaire (oubli du Père Noël), elle ne respecte ni les espèces animales ni le règne végétal, elle laisse les puissants affamer les plus faibles (L’Ogrionne). La vie n’est pas douce, raison de plus pour survivre avec des gâteaux, des amis, des jeux, des livres et du rire. N’en déplaise à Bouboule ça ne fait pas rire et puis c’est tout : ça fait rire et puis c’est TOUT.

    Avant de publier pour la jeunesse, Philippe Corentin a fait du dessin de presse et de la publicité (L’Enragé, Elle, L’Expansion, Le Jardin des modes, Lui, Marie-Claire, Play Boy, Vogue…). Il a conçu des affiches (18), illustré des guides (19) et des romans (Hatier, Gallimard). Dans une époque aussi créative que contestataire, il a vécu les crises, politiques (guerres d’Algérie, d’Indochine, du Vietnam…) et socio-économiques (Trente Glorieuses, surconsommation, baby-boom, industrialisation, urbanisation, exode rural, féminisme, révoltes étudiantes, nouveau statut de l’enfant). C’est en illustrant un conte d’Eugène Ionesco (20), des romans, des recueils (21) qu’il est entré dans un secteur en pleine expansion : « J’ai trouvé ce travail d’illustrateur très ingrat. J’avais l’impression d’être un tâcheron, un tâcheron de génie, mais un tâcheron. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire à l’avenir les dessins et le texte. » (22). Il a alors signé son premier album chez Hachette (23). Quand il entre à l’école des loisirs, à plus de cinquante ans, il sait l’irréversibilité du temps et l’impatience de la jeunesse. Il enroule alors les plaisirs de la vie dans le charme des illusions : aux enfants d’apprendre à succomber sans se trahir. « Tiens, tu ne veux pas plutôt faire le baby-sitter ? » propose le père cochon à Tête à Claques. « Il faut garder des lapereaux dont les parents sont sortis. Vas-y à ma place. C’est facile : tu leur racontes des histoires, tu joues avec… et même tu peux les manger si tu veux. C’est bon le lapin. ». Ah ! le piège des histoires ! Trop naïf pour résister à la brutalité des pères (une gifle, une queue broyée, une oreille tirée), le louveteau est sauvé par ceux qu’il devait manger. Il ouvre alors les yeux et affine son désir. Au début de l’album, il réclamait un dessert « pour lui tout seul », à la fin il veut la vie des autres avec les autres.

     L’œuvre s’ouvre sur un art de vivre tressé de BD, de cinéma, de contes, de dessins animés, de fables, de magazines, de peinture, de littérature. Godard, Perrault, Tex Avery, La Fontaine, Victor Hugo, Benjamin Rabier protègent des jours gris (le « lundi » de Zigomar n’aime pas les légumes). Et tandis qu’il aime la sieste, l’auteur valorise le travail, la belle façon d’être ensemble. On voit un facteur, un mineur, un docteur, des bûcherons, on s’affaire à la maison (jardinage, cuisine), on traverse l’atelier de l’auteur (Pipioli la terreur) : table, outils (crayons, gomme, taille-crayons, cutter, punaises, pinceaux, tubes de peinture) et, sur trois post-it, la vie d’artiste : s’approvisionner (acheter Sienne 10 flacons), prendre des décisions (trouver un titre : Pipioli chez Corentin), se faire payer (demander du blé à Arthur), remplir des obligations (dentiste/impôts), négocier avec l’employeur (revoir contrat, 10% est barré, remplacé par 12%), soigner son public (dédicace).

    L’homme pudique habite ses livres au plus près des enfants. Sa disparition en a choqué plus d’un, plus d’une. Quoi ? Pas de nouvelle histoire idiote de loups idiots ? Plus de nouveau départ dans l’azur ? Pas d’inquiétude. L’auteur a prévu tellement de chausse-trappes que toute relecture est un embarquement inédit. Et puis, il reste cette voix, inoubliable : vaguement inquiète (« Qu’est-ce qu’il a ? Qu’est-ce qu’il dit ? »), drôlement autoritaire (« Au lit, on lit ! »), présente, si présente (« Oh ! l’autre ! »). Et ce nez, ce gros nez ! Mais c’est lui, mais c’est bien sûr ! C’est Corentin qui veille au grain : lire en jouant, en se régalant, en s’aimant ! Oups ! Il est parti ! Normal : c’est sa liberté qu’il chérissait par-dessus tout. Pas d’adieu alors, monsieur Corentin, mais tout de même : Faim.

par Yvanne Chenouf – novembre 2022

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(1) Zigomar et zigotos (L’Afrique de Zigomar ; Patatras ! ; Papa ! ; Tête à claques ; N’oublie pas de te laver les dents !), L’école des loisirs, 2012

(2) N ’oublie pas de te laver les dents !

(3)  Pipioli la terreur

(4) Tête à claques

(5) Mademoiselle Tout à l’envers, Pipioli la terreur, Zigomar n’aime pas les légumes, Papa !,Tête à claques, ZZZZ… zzzz….

(6) « A table avec Corentin », Serge Martin, Revue des Livres Pour Enfants n° 266 {en ligne}

(7) L’Afrique de Zigomar, L’Ogrionne, Biplan le rabat-joie, Papa !, Les Deux goinfres, Tête à claques

(8) Florence Gaiotti, Expériences de la parole dans la littérature de jeunesse contemporaine, Presses Universitaires de Rennes, 2009. p. 160.

(9) Machin Chouette

(10) Tête à claques, N’oublie pas de te laver les dents !

11) L’Arbre en bois

(12)  » Tête à tête avec Philippe Corentin « , La Revue des livres pour enfants, n° 80, avril 2008, p. 51 (http://Lajoieparleslivres.bnf.fr )

(13) Mademoiselle Sauve-qui-peut étreint sa grand-mère avant de refuser son invitation à dîner : on ne s’assoit pas à la table du loup.

(14) L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, Pipioli la terreur

(15) Patatras !,Plouf !,L’Ogrionne, Le Roi et le roi, Mademoiselle Sauve-qui-peut

(16) Biplan le rabat-joie, ZZZZ… zzzz….

 (17) Le Chien qui voulait être chat, Machin chouette, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau

(18) Affiche de l’exposition Cité Ciné à La Villette, dans les années 1980

(19) Guide SAS, Gérard de Villiers, Hachette, 1989

(20) Conte n° 3 pour enfants de moins de trois ans, Texte de Eugène Ionesco, éd. Jean-Pierre Delarge, 1976

(21) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979, 365 devinettes énigmes et menteries, Muriel Bloch, Hatier, 1990

(22) « Tête à tête avec Philippe Corentin », déjà cité

(23) Les Avatars d’un chercheur de querelle, 1981, coll. Gobelune. Dans l’album, on peut lire : « Je te gobe car tu es devenu une mouche.« 

   

Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Être, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud. Quoique désormais en retraite, Yvanne Chenouf répond toujours volontiers aux sollicitations qui lui sont faites, encore et encore.

Beau travail, Monsieur Boudet !

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Alain Boudet, professeur de lettres, documentaliste, écrivain et poète, est décédé le 24 août 2021. Il avait 71 ans. Il vécut une enfance heureuse, entre la ville où,  chez ses parents, il inventera ses premières histoires avec des jouets miniatures, et la campagne où, avec cousins et cousines, il passe ses vacances à construire des cabanes et à jouer au chamboule-tout dans la décharge municipale. Il suit de studieuses études de lettres qu’il termine par un mémoire sur le regard dans l’œuvre de Paul Eluard. Quand il n’a pas cours, il se fait quelques sous comme magasinier, débardeur et chauffeur-livreur. Alain Boudet fut, pour l’académie de Nantes, coordonnateur en poésie, lecture et écriture. Poste fort rare, juste un peu moins hier qu’aujourd’hui. En 1984, il fonde, avec Serge Brindeau, l’association Donner à voir qui, très active, regroupe poètes, graphistes, peintres, sculpteurs et amateurs de poèmes. Interventions publiques, expositions itinérantes, édition d’anthologies d’abord, de recueils ensuite. La même année, est créée une autre association, Les Amis des printemps poétiques, qui organisera, à La Suze-sur-Sarthe, un festival très apprécié du public et des éditeurs et poètes invités. Auteur d’une trentaine d’ouvrages et soucieux de rapprocher la poésie de ses publics, Alain Boudet aura, sa vie durant, multiplié, dans sa région et au-delà, rencontres et ateliers d’écriture poétique, en milieu scolaire principalement. « Le poème se tient à l’écart et contient la parole / Qui veut le voir et l’entendre doit scruter les mots, attentif au silence, doit suivre la distance, connaître un long voyage, s’enfuir à l’intérieur / Le poème s’offre à qui tend les bras et sourit à qui sait accueillir l’inouï / À qui sait se donner, le poème se donne. » Travaillant volontiers avec des musiciens, Alain Boudet avait écrit, en 1981, avec le compositeur Étienne Daniel, L’Arbre-Chanson, œuvre pour chœur d’enfants qui fit le tour du monde francophone. « La poésie d’Alain Boudet, différant en cela radicalement de celle des ‘poètes de la modernité’, se veut avant tout une poésie de célébration consacrée à la nature, à l’homme, et à l’harmonie qui règne ou devrait régner entre eux. Elle exprime des sentiments de solidarité, d’humanisme, et semble parfois vouloir tout ignorer du mal. » (Michèle Tillard). Quelques ouvrages pour jeunes lecteurs : La Volière de Marion (Corps puce, 1990), Marie-Madeleine va-t-à la fontaine (Rue du monde, 2013 : illustration : Sandra Poirot Chérif), Cherchez la petite bête (Rue du monde, 2018 ; illustration : Solenn Larnicol). Les recueils Carrés de l’hypothalamus (Donner à Voir, 1999 ; illustrations : Yves Barré) et Le rire des cascades, (møtus, 2001 ; illustrations : Michelle Daufresne) ont été sélectionnés par le Ministère de l’Éducation nationale, pour le cycle 2, Quelques instants d’elles (Océanes, 1998 ; illustrations : Luce Guilbaud), pour le cycle 3. Le site personnel d’Alain Boudet, La toile de l’un, régulièrement mis à jour, toujours consultable, est une mine d’informations et de propositions de lecture et d’écriture. « Alain Boudet était non seulement bon poète, mais un homme de grande qualité, vraiment. Disponible, tendrement souriant, généreux et d’une modestie qui n’était pas feinte. » (François David, pour møtus). Nous avions, de nombreuses fois, accueilli Alain Boudet, à Orléans et à Beaugency, pour des ateliers qui aboutissaient, presque toujours, à la publication, en quelques dizaines d’exemplaires, d’un livre presqu’aussi vrai qu’un vrai.

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« Si je suis convaincu d’une chose, après quelques décennies de partage de la poésie avec des publics très variés en âge, aux cultures diverses et aux ancrages géographiques multiples, à l’école, au collège, au lycée, dans les crèches, les centres de loisirs, les centres sociaux, les bibliothèques et autres lieux du livre, c’est que la poésie peut parler à tous, mais que peu le savent. Trop peu. Et qu’il y a nécessité pour ceux qui le peuvent ouvrent des portes vers les poèmes, proposent des voies, conçoivent des ponts qui permettent à chacune et chacun, quel que soit son âge, de découvrir que la poésie est une parole faite pour elle, pour lui. Pour eux aussi. Et il conviendrait de mettre un “s” à “parole” car il est vrai que le poème est d’abord une voix, propre à celui ou celle qui l’écrit, avant d’être une autre voix, propre à celui ou celle qui le lit. » (Alain Boudet, dans le numéro 9 de 2016 des Cahiers du CRILJ)

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TÉMOIGNAGES

    « Évoquer Alain Boudet, c’est surtout, pour moi, revenir au temps passé des tournées, des interventions et animations auprès des élèves, des spectacles. C’est ainsi qu’Alain m’accueillit en tant que documentaliste dans son collège, qu’aussi il m’invita lors de salons et festivals qu’il proposa, à partir de 1984, à La Suze-sur-Sarthe, dont il fit, à l’instar de tant de villages et petites villes, l’une des capitales discrètes de la poésie en France. J’avoue, pour un peu sourigoler malgré la tristesse du moment, que j’avais été impressionné par un entracte-rillettes fort couru lors d’une soirée où était présenté un de nos spectacles en deuxième partie. Et pour rester dans mes souvenirs les plus marquants de ce temps-là, j’ai vu – oui, j’ai vu ! – proposé par les grands d’une école maternelle, une fourmi de dix-huit mètres. Mais si, ça a existé. » (Claude Vercey, pour la revue Décharge)

    « Je ne pouvais imaginer Alain que dans ses lectures d’éditeur, nous donnant à entendre de nouveaux textes que, souvent, pour ma part, je découvrais au Marché de la poésie à Paris. Ainsi nous avons découvert Simon Martin avec Écrits au pied de la lettre, livre qui me reste cher. Avec les éditions Donner à voir, j’ai eu une belle surprise, au-delà du poème, puisque le livre m’invitait à découper et à coller les illustrations en couleurs dans les cadres réservés. C’était Carrés de l’hypothalamus d’Alain Boudet lui-même. [Nous avons] accueilli Alain Boudet, à plusieurs reprises, lors de la Semaine de la poésie. Un poète humble, un homme délicat. Un passeur de poésie qui comprenait parfaitement comment nous naviguions tant auprès des enseignants et des scolaires que du grand public. Nous étions comme frères. Il nous a quitté, tout discrètement. Et nous avons à cœur de faire savoir cette absence qui va enfler dans les jours et les mois qui viennent. Nous avons à cœur de partager notre tristesse. » (Françoise Lalot, pour l’équipe de la Semaine de la poésie de Clermont Ferrand)

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Des flammes pour Ernesto

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    « Un incendie s’est déclaré dans un bâtiment inhabité de Bou, commune située à l’est de l’agglomération orléanaise, peu après 11 heures, ce jeudi 15 octobre. De nombreux gendarmes et pompiers (douze véhicules et trente soldats du feu venus des casernes de la métropole d’Orléans, de Jargeau et de Châteauneuf-sur-Loire) ont été dépêchés sur les lieux, sentier Clos-Saint-Georges, à proximité de l’église de Bou. […] Le bâtiment en question était utilisé par des intermittents du spectacle qui réalisent des costumes et des décors pour des groupes de théâtre en France. » (République du Centre – jeudi 15 octobre 2020)

    « C’est un spectacle de désolation qu’ont découvert, ce vendredi 16 octobre au petit matin, les membres de l’association Les Mécanos de la Générale basée dans la petite commune de Bou dans le Loiret. La veille, aux alentours de midi, un incendie s’est déclaré dans le bâtiment qui abrite, prés de l’église du village depuis plus d’une dizaine d’années, l’association avec son atelier de scénographie et de construction de décor. 600 m2 ont été détruits par les flammes. A l’intérieur, l’atelier de l’association mais aussi de très nombreux décors de plusieurs compagnies de théâtre et de spectacle sont partis en fumée. Seuls quelques outils et machines de l’atelier de l’association ont semble-t-il résistés aux flammes mais le hangar abritait aussi un certain nombre de décors et de matériels appartenant à diverses compagnies de spectacle ou de théâtre amateur du Loiret. Entreposés à Bou par souci d’entraide. Tous sont partis en fumée. C’est le cas des décors du Théâtre de la Tête Noire de Saran, du Théâtre de l’Imprévu rue de Bourgogne à Orléans, du matériel de l’Astrolabe à Orléans mais aussi du Bar de Loire sur les quais d’Orléans. « C’est un véritable crève cœur, témoigne Stéphane Liger, le régisseur général des Mécanos de la Générale. » (France Bleu Orléans – vendredi 16 octobre 2020)

    Dans ce bâtiment étaient entreposés les décors de plusieurs spectacles du Théâtre de la Tête Noire de Saran (Loiret) dont le cabinet de curiosités dans lequel, depuis 2015, se jouait Ah ! Ernesto, d’après Marguerite Duras et Katy Couprie (Thierry Magnier, 2013), production à laquelle le CRILJ avait apporté son soutien. Ne reste que des cendres et des souvenirs.

(octobre 2020)

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« Ernesto est un enfant rebelle qui ne veut pas aller à l’école parce que, à l’école, on lui apprend des choses qu’il ne sait pas. Il rêve d’une liberté absolue qui fera advenir les savoirs par la force des choses. Le lieu scénique est d’une beauté exceptionnelle : un petit musée circulaire, façon cabinet de curiosités ; les deux comédiens évoluent sur le pourtour, dans une proximité qui prend à témoin et implique les spectateurs assis au centre. Patrice Douchet a construit le spectacle en onze séquences qui déclenchent le rire et l’émerveillement. Sidibe Koroutoumou et Arthur Fouache sont d’une précision stupéfiante dans la rythmique et la tonalité des voix. La parodie des témoignages enfantins et les jeux avec les chewing-gums sont proches de la virtuosité. » (Roger Wallez)

http://www.theatre-tete-noire.com/tinymce/source/Cr%C3%A9ation%20:%20Ah%20Ernesto/Dossier%20Ah!%20Ernesto.pdf

TÉMOIGNAGES

« Quelle triste nouvelle ! Comme si la Tête Noire avait besoin de cela en cette période déjà si difficile pour le théâtre. Avec mon soutien et bien cordialement. » (Annie Quenet, présidente de la FOL 18)

« Les temps sont vraiment durs. Quelle horreur ! La  Région Centre-Val de Loire et leurs théâtres avaient, le 15 octobre, échappé au couvre-feu. Quelle ironie ! » (Françoise Lagarde, présidente du CRILJ)

« Triste information. Cette adaptation de Ah ! Ernesto était un travail magnifique et précieux. » (Thierry Magnier, éditeur)

« C’est un feu fou dingue qui nous rappelle l’éphémère de l’art vivant et les traces qu’il laisse de son passage. » (Dominique Bérody, conseiller artistique et littéraire)

« Somme importante pour une commune de 960 âmes, nous avons fait un don de 5000 euros à l’association pour qu’elle puisse racheter des outils et très vite se remettre au travail. La crise sanitaire a mis à mal la culture et là ce sont les troupes de théâtre qui sont touchées. » (Bruno Cœur, maire de Bou)

« Dans La pluie d’été, roman qui amplifie l’histoire d’Ernesto, Marguerite Duras donne au personnage une sœur, Jeanne, qui s’avèrera incendiaire. A Bou, c’est accidentel. » (André Delobel, administrateur du CRILJ)

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EXTRAIT

… Ernesto va à l’école pour la première fois. Il revient. Il va tout droit trouver sa mère et lui déclare :   – Je ne retournerai plus à l’école.  La maman s’arrête d’éplucher une pomme de terre.  Elle le regarde.  –  Pourquoi ? demande-t-elle.  – Parce que ! … dit Ernesto, on m’apprend des choses que je ne sais pas.  –  En voilà une autre ! dit la mère en reprenant sa pomme de terre.

… Lorsque le papa d’Ernesto rentre de son travail, la maman le met au courant de la décision d’Ernesto.  – Tiens ! dit le père, c’est la meilleure ! …

… Le lendemain, le papa et la maman d’Ernesto vont voir le maître d’école pour le mettre au courant de la décision d’Ernesto.  Le maitre ne se souvient pas d’un quelconque Ernesto.   – Un petit brun, décrit la mère, sept ans, des lunettes…   – Non, je ne vois pas d’Ernesto, dit le maître après réflexion.   – Personne le voit, dit le père ; n’a l’air de rien !   – Amenez-le moi, conclut le maître. »

( Marguerite Duras, Ah ! Ernesto, Harlin Quist et François Ruy-Vidal, 1971 )

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ÉLARGISSEMENT

L’instituteur : Le monde est loupé, Monsieur Ernesto.
Ernesto, calme : Oui. Vous le saviez, Monsieur… Oui… Il est loupé. Sourire malin de l’instituteur.
L’instituteur : Ce sera pour le prochain coup… Pour celui-ci…
Ernesto : Pour celui-ci, disons que c’était pas la peine. Sourire d’Ernesto à l’instituteur.
L’instituteur : Donc, si je vous suis bien, d’aller à l’école non plus ce n’est pas la peine… ?
Ernesto : Ce n’est pas la peine de même, Monsieur, c’est ça…
L’instituteur : Et pourquoi Monsieur ?
Ernesto : Parce que c’est pas la peine de souffrir. Silence.
L’instituteur : On apprend comment alors ?
Ernesto : On apprend quand on veut apprendre, Monsieur.
L’instituteur : Et quand on ne veut pas apprendre ?
Ernesto : Quand on ne veut pas apprendre, ce n’est pas la peine d’apprendre. Silence.
L’instituteur : Comment savez-vous, Monsieur Ernesto, l’inexistence de Dieu ?
Ernesto : Je ne sais pas. Je ne sais pas comment on le sait. Temps. Comme vous peut-être, Monsieur. Silence.
L’instituteur : On apprend comment dans votre système si on n’apprend pas ?
Ernesto : En ne pouvant pas faire autrement sans doute, Monsieur… Comment ça se passe, il me semble que j’ai dû le savoir une fois. Et puis j’ai oublié.
L’instituteur : Qu’est-ce que vous entendez par : j’ai dû le savoir ?  Ernesto crie.
Ernesto : Comment voulez-vous que je le sache, Monsieur ? Vous ne le savez pas vous-même… Vous dites n’importe quoi, il me semble…
L’instituteur : Excusez-moi, Monsieur Ernesto.

( Marguerite Duras, La Pluie d’été, POL, 1990 )

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Janine Despinette (1926-2020)

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    Janine Despinette est décédée le 24 juillet 2020 à l’âge de 94 ans. Avec elle, c’est une pionnière et une figure essentielle de la promotion et de l’analyse critique de la production littéraire et artistique pour la jeunesse que nous perdons. Une longue vie durant, elle a multiplié inlassablement les initiatives pour que soient reconnus et légitimés les objets de ses travaux et recherches, en intervenant, tant dans l’univers associatif des mouvements d’éducation populaire que dans ceux, francophones et européens, des professionnels du livre et de la lecture, ou auprès des sphères scolaires et universitaires. Ses nombreuses contributions, ses multiples réalisations, ses analyses, ses articles, ses interventions ont marqué de nombreux acteurs et ont grandement contribué à la légitimation du champ littérature de jeunesse.

    Son parcours personnel permet d’apprécier la dimension profondément humaniste de ses engagements. Originaire d’un milieu artistique, elle est très sensible à l’éducation culturelle et esthétique, elle participe au mouvement de jeunesse catholique et au mouvement scout. Après avoir été animatrice des Éclaireurs de France, elle devient infirmière à la Croix rouge et contribue à la Résistance durant la seconde guerre mondiale. A la libération, elle adhère aux Camarades de la liberté, un mouvement d’éducation populaire créé par d’anciens résistants. Soucieuse d’enrichir et de valoriser la formation culturelle des jeunes générations dans l’Europe de l’après-guerre, elle se dirige vers l’édition et la littérature pour la jeunesse. Elle produit ses premières critiques dans la revue Éducateurs qui, éditée chez Fleurus, est inspirée par les idées de l’Éducation nouvelle. En 1951, avec son mari Jean-Marie Despinette, elle lance l’association Loisirs Jeunes qui publie un bulletin éponyme pour offrir une information hebdomadaire de qualité non seulement sur la littérature jeunesse, mais encore sur les activités culturelles et de loisirs, les spectacles, le théâtre, la musique, les jouets, les expositions. Le bulletin fidélise un public familial mais aussi nombre d’éducateurs et d’enseignants. Elle y est responsable de la rubrique « Arts, exposition et livres » ; ses analyses qui accompagnent et soutiennent l’expansion de la littérature pour la jeunesse affirment une volonté toujours croissante de privilégier la qualité du texte, et singulièrement la qualité de l’image, la qualité du rapport entre la langue du texte et celle de l’image.

    Elle poursuit sans cesse sa formation, d’abord en suivant les cours du Syndicat des éditeurs et du Syndicat des libraires. Elle s’honore également de devoir sa formation en psychologie à Ignace Meyerson, dont elle fut une fidèle élève et avec lequel elle poursuivra des recherches jusqu’en 1983, au Centre de psychologie comparative de l’École Pratique des Hautes Études.

    Très vite Janine Despinette s’est liée à l’actualité internationale de la littérature de jeunesse. Sa formation et ses contributions s’inscrivent d’ailleurs dans un contexte qui stimule la fraternité, la coopération, la solidarité européenne et internationale, comme lors de l’aventure du Train-exposition de la jeunesse (1947), ou lors de la création de la bibliothèque internationale à Munich (1949). Elle contribue aux travaux de l’IBBY dès les premiers pas de cette Union internationale pour les livres de jeunesse qu’elle représenta auprès des instances de l’UNESCO jusqu’en 1996. Elle participe régulièrement à de nombreux salons comme ceux de Bologne, Francfort et à des jurys internationaux comme la Biennale internationale de Bratislava ou le prix Hans Christian Andersen. En 1984, la revue « Enfance » (n°3/4) reflètera cette intense activité internationale en publiant son article minutieusement détaillé sur « La littérature de jeunesse dans le monde, ses prix et leurs finalités ».

    Si elle ne participa pas, en 1965, au premier acte de fondation du Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ), avec Natha Caputo, Isabelle Jan, Mathilde Leriche, Marc Soriano, Raymonde Dalimier, Jacqueline et Raoul Dubois, personnalités aux histoires et horizons très diversifiés qui avaient appris à se connaitre et à s’estimer en militant ensemble pour promouvoir une littérature de jeunesse de qualité, Janine Despinette fut de ceux et de celles qui, avec notamment Germaine Finifter, Monique Bermond, Roger Bocquié, Denise Escarpit, Bernard Épin et Jacques Charpentreau viendront grossir les rangs après la refondation de l’association en 1973.

     Le CRILJ qui s’efforce de réunir en son sein, au niveau national et ou niveau régional, des représentants de toutes les professions et institutions intéressées au problème du livre pour enfants (éditeurs, auteurs, illustrateurs, libraires, critiques, chercheurs, enseignants, bibliothécaires, éducateurs, animateurs culturels, parents) s’affirmera comme un lieu de rencontre possible pour les acteurs et les organismes réunis par un même projet, celui qui fut au cœur de l’activité de Janine Despinette : mieux connaitre et mieux faire connaitre les livres pour enfants de qualité. L’organisation sera en quelque sorte un espace d’exploration et de confrontation de la diversité des approches professionnelles, éthiques, éducatives, littéraires, en même temps qu’un lieu d’élaboration d’un fonds discursif commun. Son existence, ses initiatives, ses colloques, ses expositions, favorisèrent des confrontations interdisciplinaires et interprofessionnelles. L’association s’emploiera, dès son origine, à offrir à l’ensemble des acteurs concernés par le domaine une structure d’information mutuelle, une possibilité permanente de rassemblement, de réflexion et d’action commune autour des problématiques posées par la connaissance, l’analyse, la diffusion, la promotion des livres destinés aux enfants et aux jeunes. Au sein de cette structure, Janine Despinette fut une personnalité marquante, longtemps très active au sein du conseil d’administration.

    Outre ce rôle dans le développement du CRILJ, Janine Despinette est à l’origine, en 1988, de la création du CIELJ (Centre international d’étude en littérature de jeunesse), à Charleville-Mézières, où elle met à la disposition de l’association sa considérable collection personnelle de livres.

    En 1992, elle crée le site Ricochet (acronyme de Réseau International de Communication entre Chercheurs) avec le concours d’Henri Hudrisier et d’une équipe de chercheurs de Paris VIII. L’objectif poursuivi est alors de faciliter l’accès aux données bibliographiques et documentaires en littérature jeunesse, de favoriser la mise en relation des chercheurs en créant grâce aux technologies nouvelles d’information et de communication les conditions d’une approche transdisciplinaire et multiculturelle des ouvrages.

    Ainsi Janine Despinette a été précurseure à de nombreux égards. Pendant des années, elle a joué un rôle important dans l’émergence puis l’affirmation de la critique de la production éditoriale pour la jeunesse. Entre autres contributions majeures dans ce champ, elle a, en premier lieu,  particulièrement œuvré pour la reconnaissance du travail des illustrateurs et graphistes dans la conception des ouvrages destinés aux plus jeunes, tout particulièrement des albums. Elle a été une des premières à insister sur la dimension culturelle et esthétique de ces derniers comme sur le rôle et les effets des images, du rapport texte-Images dans l’appréciation, la compréhension et l’appropriation des œuvres. Dans cette perspective, d’une part, elle crée le Prix Graphique Loisirs Jeunes, la revue Octogonal et les Prix Octogone. Elle est à l’initiative avec Jean Marie Despinette et François Ruy-Vidal d’une mémorable exposition, qui lance le concept de  « littérature en couleur » pour désigner en littérature de jeunesse les productions innovantes de maison d’éditions comme Delpire, école des loisirs, Harlin Quist et quelques autres, emblématiques des évolutions de l’édition jeunesse dans les années 1970 et 1980.

    Janine Despinette est enfin une des premières chercheuses à avoir perçu les articulations comme les tensions entre l’indispensable engagement militant et la nécessaire mais difficile professionnalisation de l’action en relation avec la recherche. En témoignent son parcours personnel de formation, sa carrière et les propos stimulants qu’elle tenait pour retracer son entrée dans l’univers de la critique littéraire et culturelle :

« Nous avions vingt-deux ans, vingt-trois ans […] Nous vivions la vie culturelle et nous en rendions compte. Nous sommes quelques-uns à avoir commencé comme des militants et nous sommes devenus des professionnels ensuite, mais parce qu’avant le métier n’existait pas, nous avons fait le métier […], nous avions le sens de nos responsabilités, nous tentions de devenir vraiment compétents […], l’objectif était que l’enfant devienne un adulte éclairé. […] Nous étions au sortir de la guerre, c’était la résistante jeunesse ou la jeunesse résistante. Il fallait que nous fassions l’Europe et un peu plus même, nous nous sentions citoyens du monde, nous y croyions » (1)

    C’est bien là l’héritage que nous laisse Janine Despinette

(septembre 2020)

(1) entretien de 2002 avec Janine Despinette ; in Max Butlen, Les politiques de lecture et leurs acteurs, Lyon, INRP, 2008 ; page 2

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SOURCES ET RÉFÉRENCES :

– Janine Despinette, Enfants d’aujourd’hui, livres d’aujourd’hui, Caxterman, 1973.

– Janine Despinette, La littérature pour la jeunesse dans le monde : ses prix littéraires et leurs finalités, numéro 3-4 de 1984 de la revue Enfance : article en ligne ici.

– Max Butlen, Les politiques de lecture et leurs acteurs, Lyon, INRP, 2008.

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EN LIGNE :

– article « Janine Despinette » sur Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Janine_Despinette

– deux textes consécutifs sur le site ActuaLitté  :

https://www.actualitte.com/article/ailleurs/disparition-de-janine-despinette-specialiste-de-lalitterature-jeunesse/101992

https://www.actualitte.com/article/ailleurs/jeunesse-un-fonds-jean-marie-et-janinedespinette-accessible-aux-chercheurs/102015.

– sur le site du JONJEP : https://www.fonjep.org/content/disparition-de-janine-despinette

– hommage de Lucie Cauwe sur LU Cie & and co : https://lu-cieandco.blogspot.com/2020/07/le-deces-de-janinedespinette-tres.html?spref=tw

– voir aussi Les Astrales, projet de « visibilisation de cent femmes passées par le scoutisme » initié par Maud Réveillé :  https://astrales.fr

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.( photo du haut : Janine Kotwica ; photo du bas : Nicolas Bianco-Levrin )

Franck Prévot (1968-2020)

 

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    Franck Prévot, écrivain, est décédé le mercredi 27 mai 2020. Il avait 52 ans. Il aimait à dire qu’il avait commencé ses études d’écriture dès le cours préparatoire  grâce à des enseignants férus de littérature pour la jeunesse qui lui apprirent à lire avec Petit-Bleu et Petit-Jaune. Il sentira toutefois le besoin de passer un baccalauréat scientifique. Ce sera ensuite une école supérieure de commerce et un IUFM, avec, entre les deux, des voyages (dont un, de 18 mois, en Indonésie, dans un village où il créera, avec les habitants, une association de défense de l’environnement). Ne pas omettre une peu probante expérience comme employé dans une banque. Franck Prévot sera professeur d’école, à Valence, pendant une dizaine d’années avant de faire du travail d’écrivain son activité principale.

    Premiers livres : Tout allait bien (Le buveur d’encre, 2003) et Un amour de verre, illustré par Stéphane Girel (Le Rouergue, 2003). Il a publié depuis une trentaine d’ouvrages aux éditions Le Baron Perché, Grandir, Thierry Magnier, Nathan, Rue du monde, L’édune, HongFei Cultures, La maison est en carton. A signaler : Lumières : l’Encyclopédie revisitée (1713-2013) avec des illustrations de Julia Wauters, Charles Dutertre, Albertine, Rascal, Vincent Pianina, Jean-François Martin, Clotilde Perrin, Régis Lejonc, Tom Schamp, Janik Coat et Martin Jarrie (L’édune, 2013), publié pour le tricentenaire de la naissance de Denis Diderot et qui fera l’objet d’une exposition.

    Franck Prévot aimait rencontrer ses jeunes lecteurs pour des ateliers d’écriture et des lectures dessinées. Dernier ouvrage : La vraie vérité sur le secret de la maitresse illustré par Amandine Laprun (Nathan, 2019). Quand on l’interrogeait sur lui-même – ce que le CRILJ avait eu l’occasion de faire à Beaugency, lors d’un salon du livre – il expliquait volontiers qu’il aime les enfants, les gens et son jardin, son chat gris et son poisson rouge qui est bleu, courir le monde en bateau, à pied ou en poésie, s’inventer dix d’histoires par jour, parler des livres avec ceux qui les font et avec ceux qui les lisent, jouer avec les mots même quand c’est difficile. « Franck écrivait des histoires et de la poésie. Ses textes lus par mille gens, ceux-là voulurent le rencontrer. Il aima ces gens et ces rencontres. Elles lui donnèrent mille occasions d’inviter qui le voulait à écrire sa poésie. Et chacun devenait poète en sa présence. Mais aujourd’hui est vide. Jusque-là, Franck faisait vivre ses textes auprès des lecteurs petits, grands ou vieux et autres émerveillés. Désormais, c’est à ses textes de faire vivre sa voix. Franck a choisi sa manière de donner. Avec la même liberté, nous recevons, reconnaissants. » (Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh, HongFei Cultures)

(avril 2020)

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TÉMOIGNAGE

    C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès brutal de Franck Prévot, grand auteur de la littérature jeunesse que nous avons eu l’immense plaisir d’accueillir, à plusieurs reprises, au Festival Rêves d’Océans.

    Nous nous souvenons tous de sa générosité et des incroyables moments partagés avec les enfants dans les classes, des sourires et paroles échangés avec les festivaliers, comme avec l’ensemble des bénévoles. Il a particulièrement touché chacun d’entre nous lorsque le dimanche soir, après avoie été en signature tout un week-end, comme une évidence, il soulevait tables et étagères, débarrassait bancs et barrières … pour aider les bénévoles au démontage, avant de partager avec nous le repas d' »au-revoir »!

    Une année, alors qu’un éditeur invité à participer à la journée professionnelle avait dû se décommander pour raison de santé quelques heures seulement avant le début de la formation, Franck, au pied levé, a répondu immédiatement à la demande d’Anne Colinot pour venir le remplacer.

    C’était Franck Prévot, un homme d’une gentillesse reconnus par tous ceux qui ont eu le bonheur de le rencontrer. Il nous laisse ses nombreux textes et pensées, dont toutes celles écrites pendant le confinement et partagées généreusement, au quotidien sur les réseaux sociaux. Nous prendrons plaisir à lire et à relire ses écrits pendant encore longtemps !

    Sa disparition est d’une violence inouïe. Un homme d’une rare humanité nous quitte. Un grand vide.

    Nos pensées accompagnent son épouse, ses enfants et tous ceux qui l’ont aimé.

    Bien sûr, nous pensions avec beaucoup de plaisir le réinviter à une prochaine édition, c’était une évidence et une certitude. Cela ne sera plus possible et notre peine est grande.

(Les Rêveurs d’Océans – avril 2020)

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Bernard Epin (1936-2020)

 

    Bernard Épin, instituteur puis directeur d’école, critique littéraire et auteur, est décédé le mercredi 1er avril 2020, victime du coronavirus. Il avait 83 ans. C’était un homme engagé pour le partage de la culture et pour des changements sociaux audacieux, un intellectuel curieux qui savait allier fidélité à ses convictions et écoute attentive. Syndicaliste, élu municipal, adjoint à la culture à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pendant près de 25 ans, il s’était impliqué, à partir de 1968, dans la défense d’une littérature pour la jeunesse de qualité, inventive, ouverte à tous les enfants. Il occupa une place de médiateur reconnue et multiplia les interventions militantes, aux côtés de grands aînés comme Raoul Dubois, pour la promotion d’une littérature innovante et libératrice, lors de débats, de stages, d’émissions de radio.

    Bernard écrivit, dans une écriture précise, des centaines d’analyses pour L’École et la Nation (où il succéda à Natha Caputo), pour Révolution, pour Regards, pour L’Humanité. Il signa plusieurs livres pour enfants aux éditions La Farandole dont, avec Pef, l’étonnant album Les petits mots des petits mômes (1990). Son essai Les livres de vos enfants, parlons-en (1995) s’adressait tant aux parents curieux qu’aux spécialistes de terrain. « L’exigence démocratique, écrivait-il, ne part jamais de rien. Elle s’alimente à tout ce qui fait les aspirations quotidiennes de notre vie. Le droit à la lecture, le pouvoir de lire qu’il faut gagner n’appartiennent pas au rayon des accessoires superflus. Ils se nourrissent des expériences heureuses, des rencontres réussies. Il en est du plaisir de lire comme des autres ; il ne s’accomplit qu’avec le désir et la possibilité de le faire partager. Raison de plus avec les enfants. » Bernard était un ami de longue date du CRILJ. Il n’avait pas hésité à se joindre à nous lorsque nous l’avions invité, à Saint-Jean-de-le-Ruelle, dans le Loiret, pour inaugurer la bibliothèque Colette Vivier. Le séminaire Les grands témoins de la recherche et de la promotion des publications pour la jeunesse du Centre Robinson de l’université d’Artois l’avait accueilli, un 1er avril, en 2011.

(avril 2020)

a.

Guillermo Mordillo (1932-2019)

 

Guillermo Mordillo, dessinateur né à Buenos Aires (Argentine) est décédé le samedi 29 juin 2019. Il avait 86 ans. A 20 ans, alors qu’il a ouvert un studio de dessins animés, il fuit la dictature et s’installe à Lima puis à New-York. « En été 1966, je me suis retrouvé à Paris, seul, chômeur et ignorant le français. Alors, j’ai créé des dessins de presse humoristiques simplement pour manger. Des dessins sans paroles, puisque j’étais incapable d’écrire une bulle en français. » Boulet, auteur de bande dessinée, exprime son amertume : « Mordillo est mort. Tristesse. J’adorais ses livres quand j’étais petit, ses images fourmillantes de millions de détails m’ont beaucoup influencé. J’avais eu le bonheur de signer à côté de lui pendant un salon, c’était un homme très humble et d’une grande gentillesse. » Peut-être Boulet découvrit-il les dessins de Mordillo dans Pif Gadget au détour des années 1970 (ou dans Lui ou dans Marie-Claire ou dans Paris Match). Le monde entier (ou presque) se souviendra, en tout cas, des girafes improbables du dessinateur et de ses gags délicieusement caustiques à propos du football et de footballeurs.

 

 

En 1998, la Foire du livre de jeunesse de Bologne (Italie), avait dédié à Mordillo une exposition intitulée Le jardin secret de Mordillo conçue comme un « hommage affectueux à l’un des illustrateurs les plus importants du siècle ». Elle présentait notamment son premier dessin animé, réalisé à l’âge de 12 ans, ses premières illustrations des années 50 en Argentine et au Pérou, ses fables pour enfants sans dialogue datant des années 70 et des travaux d’animation centrés, déjà, sur les girafes.