1975 – Georges Perec

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Une discrimination qui sera le plus souvent décisive           

    Mais l’inégalité des traitements réservés aux vainqueurs et aux vaincus n’est pas, loin de là, le seul exemple d’une injustice systématique dans la vie W. Ce qui fait toute l’originalité de W, ce qui donne aux compétitions ce piment unique qui fait qu’elles ne ressemblent à aucune autre, c’est que, précisément, l’impartialité des résultats proclamés, dont les Juges, Les Arbitres et les Chronométreurs sont, dans l’ordre respectif de leurs responsabilités, les implacables garants, y est fondée sur une injustice organisée, fondamentale, élémentaire, qui, dès le départ, instaure parmi les participants d’une course ou d’un concours une discrimination qui sera le plus souvent décisive.

    Cette discrimination institutionnelle est l’expression d’une politique consciente et rigoureuse. Si l’impression dominante que l’on retire du spectacle est celle d’une totale injustice, c’est que les Officiels ne sont pas opposés à l’injustice. Au contraire, ils pensent qu’elle est le ferment le plus efficace de la lutte et qu’un Athlète ulcéré, révolté par l’arbitraire des décisions, par l’iniquité des arbitrages, par les abus de pouvoir, les empiétements, le favoritisme presque exagéré dont font preuve à tout instant les Juges, sera cent fois plus combatif qu’un Athlète persuadé qu’il a mérité sa défaite.

    Il faut que même le meilleur ne soit pas sûr de gagner ; il faut que même le plus faible ne soit pas sûr de perdre. Il faut que tous deux risquent autant, attendent avec le même espoir insensé la victoire, avec la même terreur indicible la défaite.

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Georges Perec, écrivain – W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975

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