L’Asie dans les livres pour enfants

par Christiane Abbadie-Clerc

      La sagesse orientale, mais aussi l’humour bouddhiste ou taoïste, l’amour de l’art et de la nature, la transmission rituelle de la connaissance entre le maître et le disciple, et le dépaysement d’une culture très visuelle, fascinent les auteurs et illustrateurs pour la jeunesse. L’arrivée des artistes et auteurs asiatiques sur l’espace européen et hexagonal grâce aux co-éditions mises en œuvre dans le cadre international dela Foirede Bologne, a fortement contribué à renouveler l’inspiration et les codes esthétiques des créateurs occidentaux.

     L’idée du conte initiatique se transmet, tel un signe calligraphique, très simplement dans une image, un poème graphique, des personnages simples aux caractères forts. Et la référence à l’Asie traditionnelle est en quelque sorte un prétexte pour aborder des thèmes universels : l’art et la nature, la violence et la liberté, la sagesse intérieure face à la tyrannie des puissants, comme en témoigne la démarche d’Yves Heurté et de Claire Forgeot dans Le Livre de la Lézarde, mais aussi, (pour reprendre un classique ancien): Marguerite Yourcenar et Georges Lemoine dans Comment Wang Fô fut sauvé ou encore Claude et Frédéric Clément à travers Le peintre et les cygnes sauvages : la contemplation de la beauté naturelle, est aussi une réponse aux agressions extérieures.

    Paradoxalement ce sont les auteurs orientaux qui ont la volonté de sortir des cadres traditionnels, à la recherche d’une modernité qui tient aussi à l’influence des Mangas.

   Les albums japonais pour les tout-petits sont des imagiers parfaits, dans leur dépouillement, l’art très « zen » de mettre en valeur les objets et les éléments de l’environnement à travers les formes et couleurs très stylisées.

    La Chine, le Vietnam,la Corée, les montagnes du Tibet et l’Inde offrent un répertoire inépuisable de contes éducatifs animaliers, de génies et de dragons dont le « Livre de la jungle » (une référence à ne pas oublier) condense la saveur originelle. La modernité intervient dans les messages contemporains de solidarité et d’humanité.

    L’écriture dans l’image, la pensée de la nature qui rejoignent l’art et la poésie, la pédagogie par l’humour, la simplicité et la stylisation du dessins et des textes épurés mais aussi la magie du rêve sont les apports essentiels de cette « littérature en couleurs » de l’Asie, un continent à découvrir dans son actualité complexe, à travers les échanges d’une grande richesse entre les créateurs. Une façon de prendre du recul face à notre culture européenne quelque peu figée dans ses certitudes.

    Les coups de cœur présentés ne prétendent pas épuiser une thématique aussi riche ou délivrer un message autre que celui de l’intelligence du cœur pour rassembler autour de ces titres toutes les générations de lecteurs. Des médiations très différentes et complémentaires croisent les points de vue de « médiathécaires », enseignants, libraires ou conteurs, à l’œuvre dans l’équipe du CRILJ Pau-Béarn.

( écrit pour le salon Frissons d’Asie à Borderes – 16/17 octobre 2010 )

 

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

Le voyage est dans les livres

par Christiane Abbadie-Clerc et Bernard Pédebosq

    La lecture portée par la magie des images est toujours une invitation au voyage, d’autant plus séduisante que les écrivains et illustrateurs se révèlent, avec leurs passions, leurs talents, leurs convictions, proches de l’univers d’enfance. Tout livre entraîne un dé-pays-ement au sens propre. Voyage dans l’espace, dans le temps, dans l’imaginaire, voyage plus intimiste, ou à l’intérieur de soi-même. Voyage au centre de la terre ou Voyage de Gulliver ou bien Voyage au pays des Merveilles ou « de l’autre côté du miroir » avec Alice. Chaque fois, dans chaque album, dans chaque livre, il s’agit d’un chemin nouveau accompagné par l’auteur d’abord, par des personnages et des images ensuite, par tout un environnement riche de valeurs. En complicité les auteurs croisent la plume et le pinceau pour camper les décors et donner naissance à des « héros » qui captent l’attention de leurs jeunes lecteurs, parce qu’ils leur ressemblent comme frères et sœurs.

    Henri Wallon et Marc Soriano insistaient sur les secrets de ce « double ton » de l’enfant et de l’homme, propre à favoriser les ressorts d’identification à l’histoire, aux personnages. Les auteurs, pères ou mères de famille entourés d’enfants ont souvent une expérience passionnante dans le domaine de l’éducation, de la librairie, des bibliothèques, du journalisme, de la radio, du cinéma, du spectacle ou des beaux arts. Ils mettent en jeux l’art de la communication, l’humour, la tendresse mais aussi indirectement leur histoire personnelle, dans ce petit théâtre d’apprentissage social qu’est le livre de jeunesse. Ils ouvrent en grand les fenêtres sur la vie et sur le monde, sur un vent frais de liberté et d’invention de sorte que l’enfant devient ainsi son propre démiurge. Il déménage alors de l’intérieur, et se réapproprie les valeurs de la tolérance, de la diversité culturelle, l’histoire des révoltes, intègre les balises et les repères pour trouver sa place dans un monde élargi où la solidarité et les valeurs d’échange peuvent être des moyen de survie.

    Dans le Livre du voyage, Bernard Werber propose : « Imaginez un livre qui vous entraîne vers le plus beau, le plus simple et le plus étonnant des voyages. Un voyage dans votre vie. Un voyage dans vos rêves. Un voyage hors du temps. »

(octobre 2011)

 

Ce texte, publié sous la double signature de Christiane Abbadie-Clerc et Bernard Pédeboscq, administrateurs du CRILJ/Pau-Béarn, est l’introduction à la sélection de livres proposée aux visiteurs de la douzième édition de « Frissons à Bordères » dont le thème était L’invitation aux voyages. Document disponible à cette adresse.

Letizia Galli dialogue avec Christiane Abbadie-Clerc

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. Letizia, tu es impressionnante et contradictoire par ta rigueur, ton sens de la méthode et en même temps ta démesure à portée d’enfance. Il y a chez toi une acuité d’analyse, une aptitude au concept qui renverse les idées reçues…

Rigueur, système, architecture, discipline, ces mots un peu trop figés qui m’impressionnent beaucoup, reviennent souvent à propos de mon travail. Mais il faudrait y joindre aussi d’autres « bouts de ficelle ».

Premier épisode fondateur dont j’ai un souvenir clair comme un éclair. A la fac, où je subissais les contraintes d’études obligatoires que je n’avais même pas choisies, un jour un professeur demande à la classe de dessiner à « main libre » (pour la première fois sans l’appui des équerres et du compas) un vieux puits en pierre qui se trouvait dans la cour. Emotion ! Joie de liberté !

Mais mon dessin n’avait pas une ligne ni verticale ni horizontale, c’est ainsi que je voyais le puits. Ce que je voyais n’était pas un acte d’humble obéissance, mais ma vision de la réalité, mon interprétation. Ce qui n’était pas demandé bien sûr par le zèle d’un professeur qui ne souhaitait qu’une « belle photographie ». Le professeur s’est donc appliqué à corriger tous mes défauts d’horizontalité et de verticalité, en me reprochant de ne savoir pas dessiner. Cependant mon dessin est resté le même et ma note a été baissée pour indiscipline.

Tout au long de ma carrière branlante d’étudiante rebelle, mon incorrection avait aussi un but : montrer aux autres, en particulier aux profs qu’il y avait  » autre chose  » que le système d’enseignement, que je n’étais pas un mouton soumis, mais une dangereuse « tête brûlée » qui n’avait peur de rien.

Cet épisode a marqué ma vie professionnelle et tracé ce qui devait être à jamais mon credo ; en partant de l’indiscipline, tout ce que j’aborderai désormais dans le futur, me permettrait d’avoir mon système à moi. Cela a bien sur ratifié l’impossibilité de m’inscrire dans une carrière d’architecte, carrière abandonnée mentalement déjà depuis le début dela fac. Cequi veut dire que nul ne peut enseigner ni déchiffrer les secrets des codes personnels de visualisation et d’interprétation et que toute école ne restera qu’une possibilité parmi tant d’autres d’initiation où certaines données de base sont indiquées d’une manière aléatoire, et qu’il faut dans ces conditions, être « très, très futé » pour s’en débarrasser et éviter d’appliquer ces dogmes à la lettre.

Il était question pour moi de trouver mes sources en utilisant une méthode de transgression permanente, de découvrir dans l’observation du langage des autres, les « maîtres », mes « maîtres » dans un champ le plus possible élargi, dela connaissance. Curiositédonc permanente. Ne pas se contenter des sources picturales académiques. Tout était là, pourtant, à ma portée, qu’il s’agisse d’une musique, d’un roman, d’un poème, tout était étalé dans mon imaginaire à partir du réel.

Mon œil commençait donc à percer sa vision propre et à la fractionner en facettes multiples.

Les champs si vastes de l’horizon qui s’offraient devant moi me permettaient donc de zapper l’enseignement officiel avec le dédain inconscient mais jubilatoire du risque que j’allais prendre : plus jamais je ne toucherai aux lignes horizontales et verticales… ce qui pour moi était le projet de liberté que j’étais en train de choisir à jamais.

. En réalité, Letizia, tu as toujours gardé cet esprit d’enfance, frondeur – bien sûr avec la maturité et le savoir faire de l’âge adulte. Comme les plus grands artistes. Et je reste étonnée de la simplicité de ce langage visuel avec lequel tu parviens à traiter des sujets complexes, philosophiques même, selon un angle d’approche jamais convenu, surtout quand tu abordes les grandes figures du patrimoine culturel italien…

Le fait de m’être trouvée confrontée à des soucis « alimentaires » peut donner des clefs évidentes. Là, un choix de fracture linguistique importante s’est imposé : il fallait faire des concessions, s’adapter, tout en assumant la différence entre le travail alimentaire et celui de la recherche, de la création. Cette fracture semble en effet bien visible dans mon travail. D’un côté les contraintes m’obligeaient à « épurer » le dessin, mais de l’autre côté la liberté pouvait s’épanouir. A croire que le travail alimentaire a bien servi à quelque chose !

. Tu as parlé de transgression et de joie aussi…

C’est ce que j’ai cherché toujours à faire en utilisant le fameux « grain de folie » qui est un ingrédient essentiel dans mon parcours. La folie pour moi c’est mon compagnon de route, qui me rapproche de l’inspiration , ce qui me permet de compter sur mes propres forces sans prescription, sans obligations de toute sorte, sans aucune rationalité. Faire, à partir d’un mot, un saut de l’autre côté du miroir, dans l’inconnu et le néant. A quoi se rajoute une sorte de sentiment de transcendance, d’un état devenu partie intégrante de ma création. Le « grain de folie » est donc bien là qui me permet en effet de dessiner avec un plaisir presque physique, associant cette métamorphose de la réalité décidée il y a longtemps dans une cour d’école. Cet état mélangé de plaisir et de folie est le même que celui que je découvre dans les multiples expériences décrites par quelques écrivains célèbres avec les prises de substances hallucinogènes. Non je ne suis ni rationnelle, ni organisée, mais je tente de suivre ce fil magique tout au long de mes pensées.

L’activité de création est pour moi une nécessité, tel un verre d’eau qui apaise la soif, qui se déroule dans un état de transe continu, joyeux et incontrôlé.

(Trouville, le 19 août 2012)

 

Conservateur d’État des Bibliothèques, ayant travaillé à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou dès les années de préfiguration, Christiane Abbadie-Clerc y créa et anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. Elle a conçu avec Pierre Pitrou, photographe bibliophile, les expositions Visages d’Alice (1983), Images à la page (1984) et Iles (1987) dont les catalogues sont publiés par les éditions Gallimard. En hommage à Marc Soriano, elle organise en 1997 le colloque Mythes, traduction et création et en publie les actes aux éditions de la BPI. Ayant dirigé la Bibliothèque intercommunale Pau-Pyrénées entre 1999 et 2004, elle est actuellement chargée de mission à la DRAC Aquitaine pour les fonds « Pyrénées » et s’implique à titre bénévole dans l’organisation des Rendez-vous du Livre d’Aure et de la Fête du Livre Pyrénéen d’Aure et Sobrarbe à Saint-Lary Soulan, dans les Hautes-Pyrénées. Christiane Abbadie-Clerc est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

Merci à Létizia Galli pour nous avoir confié le texte de cet échange.

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Nicole Claveloux au Pays des Merveilles

 

 

 

 

 

  

     Nicole Claveloux n’illustre pas, elle est Alice au Pays des Merveilles, démiurge à l’instar de Lewis Carroll, d’un univers d’enfance baroque, gourmand  et mythique qui se construit entre les mots et les images, qui capte un air du temps intemporel et s’alimente de tout ce qui passe entre l’eau et le feu, le minéral et le végétal, le dedans et le dehors  à géométrie variable, la vie qui palpite entre les objets et les êtres indifférenciés à la lisière de l’humain et de l’animal, sans distinction d’âge, de sexe, de couleur.

     Entre classicisme et surréalisme, entre le Gustave Doré des Contes drolatiques de Balzac,  le Little Nemo de Windsor McCay  et le psychédélisme du Push Pin studio, l’interprétation originale d’Alice par Nicole Claveloux est fondatrice d’une œuvre immense où fourmillent « les petites sœurs d’Alice » dans un fantastique carousel où se reflètent les personnalités de l’artiste en un jeu de miroirs sans fin. De La forêt des Lilas, son premier voyage au Pays des anamorphoses avec la Comtesse de Ségur, en parallèle avec Alala et les télémorphoses (créée à New-York avec Harlin Quist) à Grabotte et aux Crapougneries, en passant par Brise et Rose et Poucette ou encore Gertrude la sirène ou la petite Josette  du Conte numéro 4 de Ionesco, Nicole Claveloux n’a cessé de décliner les variantes d’une héroïne « ultramarine » qui lui ressemble  L’affiche de l’exposition Sevilla92 organisée par Pedro Tabernero campe une Alice « monde » à la manière d’Arcimboldo. 

     Déjà dessinée par Lewis Carroll qui avait influencé par ses « crayonnés » le travail de Sir John Tenniel chez MacMillan, Alice existait déjà « for ever » comme le premier personnage littéraire dont l’imaginaire, le langage et le regard sur le monde sont vraiment ceux d’une petite fille, dont les repères ne cessent de basculer entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

     Créée en 1974 avec François Ruy-Vidal, directeur de collection pour Grasset Jeunesse, l’interprétation graphique d’Alice a reçu le prix Loisirs Jeunes en 1974 et la Pomme d’Or de la Biennale de Bratislava en 1976. Pour Janine Despinette, critique littéraire partie prenante des jurys internationaux, il s’agit bien d’un livre clef de l’histoire de l’illustration en France. Formée à l’école des Beaux Arts de Saint Etienne où enseignait sa maman Lucie, Nicole explorait déjà depuis dix ans avec Bernard Bonhomme et le premier tandem Harlin Quist-Ruy-Vidal, Denis Prache pour Okapi, les arcanes d’un art de l’image transformé par les nouveaux procédés de la publicité dans les magazines Planète ou Elle.

     Avec Alice, Nicole commence à se dédier exclusivement aux livres illustrés ainsi qu’à la peinture et à la presse pour la jeunesse. Et d’emblée, elle révolutionne dans ce livre-phare les codes d’une imagerie classique, servie par la typographie élégante et novatrice, réalisée avec le studio Hollenstein. Le corps inhabituel du caractère Elzévir sépia, dans le ton des vignettes et l’utilisation d’une grande cursive pour les titres de chapitres déclinés verticalement dans les marges de gauche, dialoguent avec l’esprit et le bruit de la lettre dans les images de Nicole où les phylactères des fresques anciennes et de la bande dessinée installent une intimité avec le lecteur enfant en un raccourci très contemporain.

     Que les spécialistes de la littérature de jeunesse me pardonnent cette relecture jubilatoire des images de Nicole Claveloux pour une Alice au Pays des Merveilles considérée comme un classique du graphisme gravé dans toutes les mémoires des amoureux du livre de Jeunesse.

     Ainsi que le souligne Christian Bruel dans son ouvrage Nicole Claveloux et Compagnie, l’llustration la plus célèbre de l’artiste – celle des flamands – qui n’était qu’un simple essai, avait bien failli ne pas se retrouver dans le livre. L’émission d’un timbre en Tchécoslovaquie a rendu hommage à sa puissance visuelle et à sa modernité. Les expositions de la Bibliothèque publique d’Information au Centre Georges Pompidou : Images à la Page, Visages d’Alice et Les petites sœurs d’Alice ont installé s’il ne l’était déjà, le talent de Nicole Claveloux dans la légende.

     Nicole (née en 1940 à Saint-Etienne) connaissait le personnage Alice depuis 1952 à travers un livre « rouge » offert pour Noël, affreusement coloré mais fascinant par le texte. Elle adore l’anticonformisme de l’héroïne, s’amuse de ses métamorphoses, séduite par l’absence de moralisme et la liberté de ton et surtout par l’originalité des petites et grandes bêtes qui donnent la réplique avec aplomb à cette petite fille si proche d’eux.

     Bien sûr, les illustrations de Sir John Tenniel lui paraîtront froides et presque convenues comme d’ailleurs toutes celles qui s’en sont inspirées sans parler de l’adaptation populaire de Walt Disney, à quelques exceptions près, celles d’Arthur Rackham, de Ralph Steadman, de Lola Anglada ou de Barry Moser, dont la diffusion est restée confidentielle y compris dans leur pays d’origine. Revenons dans le paysage Carrollien de l’artiste, transfiguré à la faveur l’acte éditorial de François Ruy-Vidal.

     D’emblée, les fenêtres ouvertes sur les pages de couverture, placent le lecteur doué du don d’ubiquité, en situation de voyeurisme. Il suit le regard d’Alice et la course du Lapin Blanc vers l’univers musical des comptines, avec le Loir dans la théière, le sourire invisible du Chat de Cheshire, le bataillon des cartes à jouer et une pluie de larmes comme autant de reflets sur un autre monde en microcosme.

     Tout commence en sépia à la surface de l’eau sur la rivière Isis dans un cadre sphérique où de la bouche de Lewis Carroll s’échappe une bulle évoquant la fuite  d’Alice sur les traces du Lapin Blanc, une histoire en boucle qui commence et finit au même endroit.

     Dès lors une grammaire visuelle s’ébauche dans un découpage qui n’a rien de décoratif : la chute d’Alice et du lapin en trois plans verticaux lus simultanément pour donner l’impression du mouvement et de l’espace temps, le jeu des antipodes avec leurs bestiaires fantastiques (à la manière de la planète du Petit Prince dessinée par Saint-Exupéry).

     Nicole Claveloux  n’en finit plus de broder sur d’infimes détails qui vont retenir l’attention des enfants : une faune et une flore exubérantes en guise d’écrin pour le motif du flacon et du gâteau et ce qui s’en suit : les métamorphoses d’Alice décomposée en autant de poupées russes de la plus grande à la plus petite. Pour autant, il n’y a jamais de redondance entre le texte et l’image (les injonctions « Bois-moi » et « Mange-moi » ne figurent pas dans l’illustration).

     Nicole Claveloux va utiliser les procédés graphiques de la bande dessinée, mais aussi un jeu d’inversions subtiles sur la trame du miroir, pour rendre visibles et écrire véritablement à sa manière, les émotions.

     Ainsi la souris, en très gros plan va laisser apparaître dans ses yeux le reflet d’une Alice apeurée, tandis qu’un petit nuage révèle sa propre peur du chat…dont le nom  s’écrit en trois langues au moyen d’un cordage en forme de queue qui se tord en « éclairs de tonnerre » un contrepoint amusé au calligramme du conte – tale –  de la souris en forme de queue – tail

     L’œil, mis en valeur en gros plan, fonctionne comme le miroir et le maître de cet imaginaire. Et les jeux de mots ont pour corollaire les jeux de miroirs. Nicole Claveloux peut se permettre d’inverser alors les représentations habituelles. Le miroir des larmes est aussi l’univers marin des origines où Alice se reflète toute petite. Les animaux protagonistes de l’histoire, naissent et surnagent en chœur de cette mare joyeuse pour parlementer, chacun dans sa case…

     Les contrastes visuels induits par les changements de taille d’Alice devenue géante, génèrent des collages saisissants à partir du cadre architectural de la maison du Lapin Blanc et de son jardin à la Douanier Rousseau où les plantes apparaissent sous cloches de verre…bulles et reflets toujours !

     Bien évidemment, il était tentant pour l’artiste d’aller plus loin dans la provocation graphique avec la mise en scène du vers à soie opiomane alangui sur ses champignons dans un style psychédélique, et les jeux d’identification d’Alice en serpente au long cou, dévoratrice d’œuf de pigeon qui ne laissent pas d’inquiéter ou d’intriguer, avec la ronde des bébés changés en cochons.

     Ainsi de manière subliminale, Nicole Claveloux effleure le thème de Mélusine, la fée serpente et se délecte avec les motifs récurrent de toute son œuvre ceux de l’œuf, des bébés et des cochons.

     Chaque pleine page couleur, telle une apparition, condense les scènes clefs et les affects oniriques du texte de Lewis Carroll au point de rester à jamais gravée dans l’inconscient collectif des lecteurs. Il faut rappeler le « méli mélo » des théières, cuillers, brioches, montres molles et hauts de forme transformistes, tandis les heures égrenées sur le cadran de la montre du Lapin Blanc sont autant de tasses bues dans l’interminable partie de thé ou encore les pots de peinture rouge en action pour peindre la cour de cartes burlesque du  Roi et de la Reine de cœur tandis qu’une petite vignette évoque la hache du bourreau coupeur de têtes virtuelles. La splendeur des grands flamands roses sur fond solaire qui passent au dessus de la tête d’Alice et de son petit hérisson reste un poème visuel à l’état pur,  qui contraste avec l’extraordinaire puissance musculaire  d’un griffon pédagogue aux prises avec la tortue fantaisie dont les bulles de larmes hypocrites annoncent l’insolite classe dans la mer…autant d’images inédites dans l’iconographie carrollienne, avec en prime, un clin d’œil aux bibliothécaires, lorsque la tortue dévoile ses rayonnages de livre en patins à roulettes.

     Quant au quadrille des homards, chanté et  dessiné sous la plume du griffon enlacé à la tortue, il est une trouvaille visuelle très accordée aux rêves aquatiques de Nicole. La fin de chapitre se clôt sur la vignette d’ une soupe à la tortue où mijote un pauvre marmiton ! Et pour finir « Qui a dérobé les tartes ? » un procès baroque gourmand où le animaux jurés barbouillent péniblement leur page ou leur ardoise d’écritures truffées de fautes de sens ou d’orthographe !

     Nicole Claveloux déjà au faîte de son art, il y a trente six ans !  nous a livré une Alice intemporelle et pudique certes mais espiègle et remplie d’humour, tout entière immergée dans son imaginaire graphique au service du langage dans le respect d’un texte qui garde à jamais son mystère. Les clefs en sont peut-être données par la dernière pièce à conviction- en vers- du  Procès royal  lue par le Lapin Blanc (alter ego de Lewis Carroll) :

  » Ne lui avouez pas à lui qu’elle les aime,

  Car tout ceci sans doute devrait demeurer

  Du reste des humains à jamais ignoré,

  Un secret, un secret entre vous et moi-même « 

     Pour conclure, en assumant ce coup de cœur graphique, fondateur d’une littérature visuelle ouverte à toutes les classes d’âge, il m’est impossible de ne pas associer à cet hommage le photographe bibliophile Pierre Pitrou, partenaire concepteur des expositions de la Bibliothèque publique d’Information du Centre G. Pompidou ouvert au public en 1978.  Les éditions Gallimard nous avaient accompagnés dans l’aventure des Visages d’Alice en 1983 et d’Images à la Page en 1984, avec un clip de François Vié L’album en plein boum. Les éditions Syros avaient réalisé le catalogue de l’exposition présentée en 1983 à la Biblliothèque des enfants : Les Petites sœurs d’Alice dessinées par Nicole Claveloux pour Manuelle Damamme.

     De nombreux reportages photographiques avaient été réalisés autour des grands noms de l’illustration contemporaine – une expérience unique qui nous avait notamment conduits à explorer l’origine des « visages d’Alice » à Christ Church collège et au Musée de Lewis Carroll dans la ville natale de Charles L. Dodgson à Guildford.

     Entre tous les illustrateurs contemporains d’Alice, Nicole Claveloux nous a révélé dans sa grande modestie, une incroyable affinité intime et littéraire avec son héroïne aux prises avec le langage et aux lapsus – freudiens – dans son rapport au monde.

     Les Métamorphoses d’Ovide et de Kafka, les monologues intérieurs de  Proust, et Virginia Woolf, mais aussi les jeux de mots de Bobby Lapointe ! les peintures de Jérôme Bosch, Cranach, Bruegel l’Ancien entre beaucoup d’autres grands modèles de référence, font partie de son paysage intérieur et renforcent une approche incisive, sans complaisance du territoire éditorial d’une littérature de jeunesse par trop aseptisée.

     Nicole Claveloux prend l’enfant au sérieux. Pour elle, le grand jeu d’Alice  est une traversée de tous les dangers,  elle exorcise ses peurs par  le langage et l’empathie avec des créatures animales, fragiles, différentes, qui l’aident à grandir dans une jubilation imaginaire, où les adultes n’ont pas le beau rôle (à l’exception du « Vieux père Guillaume » récité par Alice au Vers à soie (Lewis Carroll ?).  Il n’est que de décrypter l’épilogue  de la déposition d’Alice (chapitre 12) dont la modernité ne nous échappera pas !

 – La condamnation d’abord, le jugement ensuite, s’écria la Reine.

– Mais c’est de la bêtise dit alors Alice, condamner avant de juger, a-t-on idée de cela ?

– Qu’on lui tranche la tête, s’écria la Reine. 

– Mais qui se soucie de vos ordres ? dit Alice qui, maintenant avait retrouvé toute sa taille,  vous n’êtes qu’un jeu de cartes ! 

     Henri Wallon et Marc Soriano avaient insisté sur la valeur de tels mythes pédagogiques fonctionnant comme un formidable légo, pour la structuration de la personnalité de l’enfant.

     Pour conclure on dira que l’extraordinaire réservoir d’images de Nicole Claveloux pour Alice, ne pouvait que sublimer et enrichir ce processus dans une liberté regards et l’intelligence de la parole libre d’une petite fille rendue visible pour la première fois dans l’histoire de la litérature.

(version longue de la carte blanche parue dans le numéro 2 des Cahiers du CRILJ – novembre 2010)

 

Visages d’Alice. Exposition 1983. Bibliothèque publique d’Information du Centre Georges Pompidou. Livre-catalogue préfacé par Jean Gattegno sous la Christiane Abbadie-Clerc et Pierre Pitrou avec des textes de Christiane Abbadie-Clerc, Pierre Pitrou, Janine Despinette, Peter Roegiers. Gallimard, 1983.

Les petites sœurs d’Alice. Exposition 1983 Bibliothèque des Enfants de la Bpi au Centre Georges Pompidou. Livre Catalogue de Nicole Claveloux et Manuelle Dammame. Syros (Petits Carnets), 1983.

Images à la Page. Exposition 1984. Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. Livre catalogue. Pref et textes  Christiane Abbadie-Clerc, François Vié, Patrick Roegiers avec les créateurs d’images. Crédits photos Pierre Pitrou. Gallimard, 1984.

Une Odyssée dans les images. Exposition 1991. Salon du Livre de Bordeaux et Bibbliothèque Publique d’information. Préface et textes de Christiane Abbadie-Clerc avec Janine Despinette, Jean-Luc Peyroutet. Imprimeur Balauze et Marcombe.

Nicole Claveloux et Compagnie.  Exposition 1995. Maison du livre de l’image et du Son. Villeurbanne. Concepteur et auteur du catalogue : Christian Bruel. Le Sourire qui mord, 1995.

Nicole Claveloux. Sevilla 89. directeur artistique: Pedro Tabernero. Fundation Luis Cernuda, 1992.

         claveloux

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

 

 

René Fillet

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 par Christiane Abbadie-Clerc

     René Fillet cultivait la lecture publique comme son jardin. Défricheur et paysagiste, il veillait à l’ouvrage des saisons, mariant le charme désuet des plates bandes rustiques à l’architecture rigoureuse des jardins « à la française ». Enraciné dans le bon sens du terroir populaire, il devait faire corps avec l’harmonie tranquille du végétal, au moment ultime où il s’en est allé à la fin de l’été dernier, proche de ses amis les arbres qu’il avait plantés dans son domaine de Beaumont la Ronce dont il était devenu un patriarche respecté.

     Je n’oublierai jamais cette répartie qui fut la sienne lors d’un débat organisé en 1978 sous sa tutelle vigilante par la Bibliothèque des enfants de la BPI au Salon du Livre de Paris. La petite salle du Grand Palais était bondée comme pour répondre à l’appel de la rencontre : « Des livres partout et pour tous » avec les associations professionnelles au premier rang desquelles le CRILJ où il apportait sa contribution active.

     L’auteur-illustrateur Jean Claverie et l’écrivain Pierre Péju y avaient ouvert la voie par la symbolique des contes, évoquant entre beaucoup d’autre chose le sens caché des images ainsi : « Un chêne n’aura pas la même connotation qu’un tilleul ou un roseau s’agissant de la représentation d’arbre. L’illustration concourt à forger cette première clef, cette première culture qui nous permet d’exister ».  Réponse de René Pillet :  » Vos propos ont été passionnants. J’en retiens une dernière image. Vous avez parlé du Chêne et du Tilleul. Il est très rare qu’un livre et qu’une illustration de ce livre soient comme Philémon et Baucis, absolument inséparables – et meurent ensemble sauf peut-être effectivement pour un ou deux livres de notre enfance – livres privilégiés mais très rares ».

     Ainsi Ovide et La Fontaine étaient-ils convoqués à travers ce mythe baroque qui semblait habiter naturellement l’imaginaire de l’orateur dont l’abord pouvait paraître le plus souvent classique et austère.

          «  Elle devenait arbre, et lui tendant les bras

           Il veut lui tendre les siens et ne peut pas.

           Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée

           Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois

           Baucis devient tilleul et Philémon devient chêne. »

     Ainsi donc le patron savait surprendre. Il osait entrouvrir, lorsqu’il s’agissait de l’enfance, une porte secrète, celle de la poésie et de l’amour. A travers Philémon et Baucis, Marie Fillet, sa femme saura aussi reconnaître l’hommage à peine voilée à la complicité de chaque instant, familiale, professionnelle, qui résiste à la durée et l’éloignement.

     Le personnage de René Fillet avait ce caractère emblématique dont les traits mobiles et expressifs composaient un visage paradoxalement immuable. C’est à peine si durant ces trente dernières années il avait changé d’apparence, par une sorte d’alchimie et d’osmose entre le dedans et le dehors : alerte, cheveux en brosse, moustache, le coin de l’œil plissé en cas de courroux légitime, bien campé et rivé au sol sur ses chaussures confortables, une allure sortie tout droit d’une bande dessinée des années cinquante, aucune concession aux mondanités ambiantes. Mais il connaissait lui, le jardinier, l’art et l’exigence de la métamorphose en matière d’éducation, celle des enfants en premier lieu et celles des hommes et des femmes qu’il a côtoyés dans l’exercice de ses fonctions.

     Ecoutons-le encore si vrai dans une allocution de synthèse donnée lors du colloque international « Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant », organisé avec le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse et l’UNICEF, en 1979, à l’occasion de l’Année Internationale de l’Enfant :

     « Si le conte est né de la connaissance intuitive et profonde de l’autre que donne l’amour, il s’exprime et se transmet parce que l’amour nous pousse à communiquer avec autrui et à lui consacrer de notre temps. Peut-être détenons-nous la clef de certains désordres lorsque nous nous apercevons que l’amour et le temps ne se donnent plus. »

     Et s’agissant de la quête de l’enfant comme source d’imaginaire : « A quel moment l’enfant peut-il être considéré comme une fontaine jaillissante et neuve dont l’eau, voyant pour la première fois le soleil serait irisée magnifiquement ? » René Fillet revient alors à l’apport nourricier du terreau éducatif et culturel : « Il faut que l’enfant ait reçu sa dose quotidienne de poésie, de musique, de littérature et de beauté pour que puisse s’épanouir son imaginaire et sa création personnelle ».

     La métaphore du jardinier se réactive toujours avec cet homme de métier qui, avant d’être un théoricien, est resté un homme de terrain pragmatique, alors même qu’il prenait la direction de la Bibliothèque Municipale classée de Tours, qu’il animait le groupe interministériel d’Etudes sur la Lecture Publique avec Etienne Dennery et, surtout, lorsqu’il prit la succession de Jean-Pierre Seguin à la tête de la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou.

     Il y a trente ans, il a contribué, avec quelques autres, comme Noé Richter, à inventer et à fonder la notion de Lecture publique.

     Le témoignage qu’il m’est donné d’apporter ici est celui des toutes premières années d’apprentissage fondatrices d’une culture et d’une vocation professionnelle.

     La promotion 1969 de l’Ecole Normale Supérieure de Bibliothécaires de la rue de Louvois dont je faisais partie, était particulièrement turbulente. Paule Salvan, la directrice, avait tenté de donner à chacun d’entre nous le sentiment d’appartenir à une « élite » vouée à la conservation des livres anciens, à la bibliophilie, à la recherche universitaire. La proximité de la Bibliothèque Nationale nous avait certes initiés aux arcanes et chausse-trappe de la navigation bibliographique, tout en nous offrant maints ravissements d’esthètes devant les parchemins, incunables et autres enfers jubilatoires.

     Mais l’enseignement de René Fillet, allié à la complicité d’Aline Garrigoux qui le soutenait depuis la Direction des Bibliothèques et de la Lecture, a fait l’effet d’une bombe douce, même si l’art de la maïeutique pour cette institution vénérable, n’était rien moins que révolutionnaire. Au printemps 1969, l’option Lecture Publique demandée par quelques élèves était créée.

     Le front offensif se composait d’un carré de jeunes filles passionnées de livres pour enfants (et dont l’esprit très curieusement œcuménique et presque rétro en cette période idéologique réclamait la diversité et la tolérance). La provinciale timide de Bordeaux que j’étais, nourrie par l’enseignement comparatiste et « gramscien » d’un Robert Escarpit ou d’un Marc Soriano, entraînait ses compagnes sur le boul’mich chez Monsieur Mirman alors directeur de collection chez Hachette, dans l’atelier du Père Castor qui venait d’être repris par Français Faucher, à l’école des Loisirs chez Monsieur Fabre, à l’Heure Joyeuse de la rue Boutebrie, à Clamart où Aline Antoine animait la toute nouvelle bibliothèque ou encore sur le boulevard Saint Germain dans les petits bureaux de l’Association Nationale du Livre Français à l’Etranger et de la Section française de l’Union Internationale de Littérature de jeunesse (IBBY) où Lise Lebbel et Monique Hennequin avaient une vue panoramique sur les échanges internationaux en matière de livres pour enfants.

     Le rapport du groupe d’étude interministériel sur la Lecture publique cette année-là, en 1969, devait être décisif pour la transformation des paysages de lecture de notre pays avec l’essor de Bibliothèques Centrales de Prêt, les créations de Bibliothèques municipales et de sections pour la jeunesse, l’harmonisation des politiques de conservation et de communication dans les Bibliothèques Municipales classées. La doctrine de René Fillet appliquée à Tours était celle d’une bibliothèque conçue pour tous les publics comme un outil de formation et d’information, un instrument d’auto apprentissage où les fonctions de recherche ne sont pas séparées de celles du loisir éducatif.

     Je me souviens d’une dissertation qu’il nous avait proposée en mai 1969 sur le thème de la future bibliothèque des Halles alors déjà préfigurée par Jean-Pierre Seguin rue de Richelieu où l’ensemble des principes était affirmé dans un « corrigé » exemplaire et prémonitoire. A l’époque, les directions de BCP, aujourd’hui Bibliothèque Départementale de Prêt, étaient encore comptées comme des lots de consolation entre les élèves de la promotion sortante. Mais déjà les vocations de nouveaux militants de la lecture étaient à l’œuvre, également parmi les nombreux élèves associés, conscients de leur mission et encouragés par la bibliothécaire de l’école, Anne Zundel Ben Khemis.

     Les stages de Lecture publique qui avaient lieu, évidemment, à Tours, au début de l’automne, avant la rentrée en poste des futurs conservateurs, restent des souvenirs mémorables. Je me souviens de ma déception lorsqu’on m’a demandé de rallier de toute urgence sans passer par Tours, la Bibliothèque Centrale de Prêt, alors « pilote » de Seine et Marne où je devais intégrer un poste d’adjointe, avec la promesse d’une session de rattrapage qui eu lieu au printemps suivant à Tours pendant une courte mais intense et fructueuse semaine.

     Tout comme Marc Soriano pour ses étudiants, René Fillet savait conforter l’énergie personnelle de chacun, fondée sur une stratégie exemplaire de terrain avec une vision large des objectifs généraux n’excluant pas, bien au contraire, le lien avec les structures associatives militantes, nombreuses et actives s’agissant en particulier du livre pour enfants.

     Grâce à lui, et avec le soutien de la Direction des Bibliothèques et de la Lecture où Messieurs Yvert et Thill menaient une action novatrice, des expérimentations ont pu être menées en Seine et Marne. Il m’apparaissait évident, que le réseau potentiel des Bibliothèques centrales de Prêt pouvait devenir un outil de formation transdisciplinaire en associant sur le terrain les politiques municipales et celles de l’Education Nationale, en particulier à travers l’Inspection Académique. Par chance, en Seine et Marne, l’inspecteur Arnilla, un érudit auteur d’ouvrages sur Flaubert, ami de Marc Soriano, m’avait chaleureusement accueillie. Grâce à lui, et à Monsieur Duranton, inspecteur départemental de l’éducation nationale, un feu vert avait été donné sur tout le département pour une coopération pédagogique avec les bibliobus pratiquant alors systématiquement le prêt direct dans tous les établissements scolaires, élémentaires, collèges, établissements spécialisés. Des dossiers de lecture d’analyses critiques Des thèmes, des livres pour les documentaires, Des livres pour notre temps pour la fiction ont été édités et diffusés dans les établissements afin de favoriser les démarches d’auto-apprentissage – maître mot de René Fillet – et de la pédagogie d’éveil dans les classes.

     En 1972, l’Année internationale du livre a vu, à Melun et dans les environs, l’aboutissement de ces actions avec des spectacles audiovisuels, heures du conte, colloques, entretiens avec les parents d’élèves où participaient les professionnels, critiques, auteurs et artistes : Bruno de la Salle, Huguette Pirotte, Taylus Taylor, Germaine Finifter, Raoul Dubois, etc. A cette époque, Robert Delpire et François Ruy- Vidal inventaient une approche visuelle de la littérature de jeunesse et les illustrateurs des livres pour enfants commençaient à s’accrocher dans les galeries. Marc Soriano venait d’initier ses cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes où se côtoyaient les milieux de l’édition, de la recherche, les pédagogues et médiateurs du livre, de jeunes créateurs. Dans ce contexte, René Fillet, développant sur le terrain l’esprit d’une université permanente représentait pour moi, à distance, une sorte de mentor professionnel, légitimant l’expérience pédagogique sur les différents lieux de lecture.

     L’idée neuve de René Fillet, même s’il restait prudent dans les applications, était d’ouvrir d’une manière pragmatiste les voies de communication entre les personnes. Ils n’hésitaient pas à mélanger les genres, sans provocation aucune. Il a été certainement le premier à dévoiler pour son grand public les arcanes de son fonds ancien à Tours. Ainsi se tendaient des passerelles entre art majeur et art mineur, enfance et âge adulte, bibliothèques, écoles et musées. Mettre à portée de tous de manière efficace, les instruments de la lecture, telle était sa visée tout en opérant les choix toujours rendus nécessaires par la rigueur. Réticent devant les opérations spectaculaires dispendieuses et sans lendemains, il incitait plutôt ses élèves et collaborateurs à s’investir au mieux sur le terrain selon leurs moyens.

     La Bibliothèque Publique d’Information fut pour lui l’aboutissement réaliste d’une utopie collective dont Jean-Pierre Seguin avait fondé l’existence avec sa part de rêve et d’élégance. L’outil était en place, ambitieux et déjà dépassé par son succès un an après l’ouverture avec une Bibliothèque pour enfants directement accessible sur la place du Centre Georges Pompidou. La préfiguration en avait été lancée dès 1972, date à laquelle j’avais intégré ce qui était encore la Bibliothèque des Halles installée provisoirement dans le décor surréaliste des pavillons de la viande désaffectés près de la Bourse du commerce.

     Avec un double objectif, celui du Service Public et celui de la Recherche, René Fillet a théorisé son approche pragmatique et scientifique de la lecture, offrant un terrain d’expérimentation privilégié aux spécialistes de la bibliologie et sociologues tout en instaurant un dispositif interne d’évaluation et de médiation. En redoutable gestionnaire financier, il a su imposer « ces crédits de renouvellement » grâce auxquels le fonctionnement de la BPI fut préservé en matière d’achats de livres et d’amélioration des matériels. Le directeur jardinier procédait au désherbage des collections, une opération parfois douloureuse aux conservateurs attachés à leurs fonds devenus rares comme je l’étais moi-même pour les ouvrages de Quist-Vidal ou Robert Delpire.

     Avec lui la bibliothèque des enfants a développé un catalogue multimédia en ligne avec sa liste « autorité matières » qui furent certainement à l’époque la première réalisation aboutie au plan national. Il a encouragé le travail coopératif quotidien avec les établissements scolaires et surtout les colloques interprofessionnels dont un grand nombre furent organisés avec le Centre de Recherche et d’Information sur la littérature de Jeunesse et la participation fréquente de l’Unesco.

     La force de René Fillet était sa capacité de présence. Il était toujours là, énergique, carré, logique, prévisible, capable d’intervenir sur le terrain, d’empoigner un marteau, des clous ou des pinceaux dans une exposition en cours de montage, de trancher, de sentir sa base, pour avoir balisé dans sa carrière tous les cas de figure, du haut en bas de la hiérarchie. Sa sévérité, ses rares accès de colère ou son intransigeance n’en étaient que mieux acceptés. Il savait dans les moments difficiles, quitter son havre de week-end à Beaumont la Ronce pour regagner le navire et rassurer amicalement ceux qui avaient eu à affronter des événements délicats ou douloureux dans l’exercice de la profession. Il arrivait toujours bienveillant en tenue sportive, apportant avec lui l’assurance et l’équilibre qu’il trouvait lui-même en son jardin.

     Jardin secret, certainement, pour beaucoup d’entre nous qui n’ont pu le rejoindre à Beaumont la Ronce au moment de son départ en retraite où ce sont, bien sûr, des arbres qui lui furent offerts.

     René Fillet a contribué à donner un sens à ces trente dernières années d’un métier dont l’évolution a suivi les soubresauts d’une société en quête d’identité et de sécurité. Cette foi en l’énergie individuelle, indissociable de l’échange interhumain lui a permis de transcender l’émergence des technologies nouvelles, à la prévoir et à les utiliser comme un simple levier.

     Il faudra retenir en lui cette image du jardinier poète mais aussi du laboureur n’hésitant pas à user du soc de sa charrue, de son sécateur pour émonder la nature sauvage et tracer les sillons du futur.

     Il n’avait peut-être pas la légèreté et la nonchalance de l’illustre fabuliste Maître des Eaux et Forêts, qui fut pourtant sa référence cachée, mais il savait être hédoniste car il lui arrivait souvent, dit-on dans le cercle familial, de prendre sa lyre et de donner à sa voix chaleureuse les accents du troubadour.

     Il laissera à ses enfants, petits-enfants et nombre d’amis et disciples, entre nature et culture, un paysage familier où les fleurs savent « passer la promesse des fruits ».

 ( texte paru dans le n° 58 – mars 1986 – du bulletin du CRILJ )

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Né à Saint-Marcellin (Isère) en 1921 et mort à Beaumont-la-Ronce (Indre-et-Loire) en 1996, René Fillet, pionnier de la Lecture publique et des bibliobus, activiste même dira Noë Richter, a laissé le souvenir d’un homme à la fois chaleureux et exigeant. Parce qu’il était titulaire d’un permis « poids lourds » acquis pour pouvoir, pendant la guerre, assurer le ramassage du lait pour la laiterie familiale, René Fillet est entrainé dans l’aventure du bibliobus du Vercors. En 1946, un « job d’étudiant » (sous-bibliothècaire à la bibliothèque centrale de prêt de l’Isère) décide de son parcours : bibliothécaire en 1952 à Saintes, puis à Blois, directeur de la bibliothèque municipale de Tours et directeur de la bibliothèque centrale de prêt d’Indre-et-Loire en 1953, chargé de formation et d’expertise, directeur de la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges-Pompidou de 1977 à 1983, année de sa retraite. Très attaché au CRILJ, il en fut pendant plusieurs années le trésorier.

Pierre Gripari

 

 

 

 

    Pierre Gripari est né d’un père grec et d’une mère normande, voué par atavisme à être ce voyageur tourné vers les mers intérieures entre mythes et réalités.

    Il fait khâgne à Louis le Grand en 1944 et se frotte à tous les métiers, nécessité ou goût de l’aventure obligent. Il est commis agricole, clerc coursier chez un notaire, pianiste dans des bals de campagne, engagé volontaire dans les troupes aéroportées, travaillant à la Mobil Oil jusqu’en 1957. On le retouve aussi clochard, poinçonneur de tickets de métro, promenant son miroir sur les bords des chemins. Détaché des biens matériels, mais amoureux des nourritures terrestes, l’œil vif et pétillant, il croque la vie à pleine dents, jamais avare de son érudition et de sa parole.

    « Il est attentif aux contacts humains, donc il n’est pas complètement pourri. » dira-t-on pour paraphraser l’un de ses héros, Phospore Noloc. Pessimiste certes, lucide à la limite du désespoir. Blessé peut-être, anarchiste et provocateur certainement.

    Marin dans l’âme sûrement. Comme Ulysse, il est l’homme de toutes les odyssées. Comm Alice et Pinocchio, il a traversé tous les miroirs, exploré et retourné les vérités et les mensonges : « Je suis quelque chose comme une sentinelle au bout du monde. »

    Il a lu tous les livres, la Bible et les contes. Perrault, Grimm, Lewis Caroll, Collodi et Afanassiev sont sans nul doute les auteurs qu’il emporterait sur son île déserte. Les théologiens, les philosophes, les idéologues et, sans doute, ses contemporains Queneau, Céline, Cioran, Sartre – celui de La nausée – ressurgissent en filigranne dans son œuvre avec les monuments classiques que sont Hugo, Zola, Kipling … Un véritable hommage d’écrivain aux bibliothécaires.

    Mais qui pourrait s’autoriser en vérité à parler de « Monsieur Pierre », le conteur de la rue Broca, sinon ses amis lecteurs privilégiés, les enfants ?

    « Monsieur Pierre, vous diront-ils, est une sorcière. » Ou, si l’on veut, au pays des mondes renversés, la fée des exclus, des laissés pour compte, des immigrés, qui fréquente la boutique de Papa Saîd ou le Bar des déménageurs, rue de la Folie Méricourt, là où les mots, précisément, déménagent.

    Pierre Gripari aimait, en vrai magicien surréaliste, débusquer la vie avec les mots les plus fous. Pour lui-même, il goûtait la saveur gourmande et la couleur des mots de passe, ses diableries pétries d’humour et de tendresse.

    Cet infatigable vampire littéraire de l’ombre, amateur de mystères, a donné aux enfants le meilleur de lui-même, sa part de lumière, la clef d’or, le sésame du bonheur, une musique incantatoire modulée sur la matière pauvres des bruits de la rue.

    La sorcière « Monsieur Pierre » vivait, c’est la vérité, dans un placard à balais avec, pour unique trésor, une machine à écrire et quelques boites à chaussures. Le dénuement absolu, sa liberté secrète, ouverte aux rencontres, sur les marges de la société.

    On lui prêtait les pires défauts. Alors, pour se venger, il en rajoutait jusqu’à l’absurde et l’irrémédiable. Une manière d’aggraver son cas, de jeter le trouble, le doute sur l’identité même de ses interlocuteurs.

    Dangereux, suspect, ainsi se voulait-il, pour brouiler les pistes, habile aux jeux de la parodie et de l’inversion. Prémonitoire, baroque à l’excès, il anticipait, en cette fin de siècle, sur l’effondrement des valeurs et des tragiques équilibres planétaires. Paradoxal : « L’homme, disait-il, n’est rien d’autre que le brouillon imparfait de la marionnette libre, sans fil. Pinocchio, car c’est de lui qu’il s’agit, vous l’avez deviné, représnte à la fois la promesse et la préfiguration de notre gloire futur. »

    Dieu et diable, ange déchu, éternel enfant, il chérit la mer, « noire, veloutée, métallique, vivante comme une chair ». « Je n’ai pas peur, disait-il, je joue à l’astronaute. Ma bulle est une fusée transparente, une flèche de cristal dans le ciel lumineux d’une planète inconnue, peuplée de poissons incroyables qui volent deça, delà, aussi familiers que les animaux de l’Eden. »

    L’incroyable odyssée de Phospore Noloc se termine un soir de Noël 1990, à l’aube d’une aire confuse et tourmentée dont l’apprenti sorcier ressentait toutes les souffrances. Entre les mains de ses éditeurs, à la Table Ronde, à l’Age d’Homme, chez Gallimard avec la complicité de Jean-Robert Gaillot, et surtout chez Grasset où Paulette Rosset l’accompagne avec une inlassable fidélité, il laisse son message d’amour.

    Les deux moitiés de lui-même, cette paire de chaussures usées qui ne parvenaient jamais à se rencontrer, l’une devant, l’autre en arrière et vice-versa, empêcheuses de marcher en rond, se rejoignent enfin, sauvées de la poubelle, par la grâce d’un petit garçon et d’une petite fille … de la rue Broca.

    L’écrivain et son double, l’enfant amoureux de l’enfance, s’il a entrevu l’étoile lointaine, est retourné vers sa mer originelle, la grande déesse obscure, profonde et salée, un soir de Noël, sans faire de bruit, à l’appel d’on ne sait quel chant, « vibration tragique d’une coupe à champagne ou de la coupole céleste ».

( texte paru dans le n° 41 – mars 1991 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en 1925, mère manucure et médium, père ingénieur, Pierre Gripari abandonne ses études pour exercer divers petits métiers. Arrêtant de travailler pour écrire, il peinera à faire publier ses premiers textes. Indifférent à toute ambition matérielle, il s’accommodera  des années durant de la pauvreté. Iconoclaste souvent, anarchiste de droite certainement, il fréquenta vers la fin de sa vie – provocation ou conviction – des milieux plus extrèmes. Son œuvre la plus célèbre, Les contes de la rue Broca, parue en 1967, est composée d’un ensemble d’histoires mettant en scène le merveilleux dans le cadre familier d’un quartier de Paris et dont de nombreux personnages sont des enfants d’immigrés.

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Hommage à Jean-Marie Despinette

par Christiane Abadie-Clerc 

    Jean Marie Despinette vient de nous quitter. Et pourtant sa stature, imposante, souriante, tutélaire, nous enveloppe toujours de son aura, inséparable de celle de Janine son épouse. De toutes les belles aventures des mouvements de jeunesse de l’après- guerre, de Loisirs Jeunes, du CRILJ et du CIELJ dédiés à la Littérature en couleurs de la jeunesse autour des plus grands créateurs – parmi lesquels Etienne Delessert – Jean-Marie Despinette a su recueillir le précieux héritage du site international ”Ricochet”.

    Janine et Jean-Marie, un couple hors norme, exemplaire, solidaire et profondément uni dans leurs différences, leur liberté intérieure faite d’intelligence, de foi et de tolérance, dans la compréhension internationale.

    Il est difficile de rendre compte en ces quelques lignes d’un destin exceptionnel ancré dans la haute tradition des forges de Lorraine et la complexité de lignes frontières tourmentées. Esprit paradoxal, libre et croyant, Jean-Marie, issu des Compagnons de France, l’un des dirigeants de la Régie Renault, est une grande figure de l’Education Populaire. Il a fondé l’Union des Foyers des Jeunes Travailleurs, attaché à promouvoir la lecture comme un vecteur puissant de promotion sociale et citoyenne.

    Les évènements de mai 68 l’ont vu aux côtés de Maurice Clavel, partisan enthousiaste d’une vraie révolution culturelle de la jeunesse, “Messieurs les censeurs bonsoir !”, défenseur inlassable des grandes utopies associatives dans la mouvance chrétienne. Son livre A l’école de la République, l’éducation civique (Hachette 1986)  témoigne de ses convictions militantes et citoyennes.

    Ami des artistes, des surréalistes, des gens d’images, il a accompagné Janine dans ses voyages sur les places des jurys internationaux d’illustration, mais également sous l’égide de l’UNESCO, en qualité de membre de nombreuses ONG. Le CIELJ, issu de l’association Loisirs Jeunes, décernait dans le cadre prestigieux du Musée des Arts Décoratifs des prix de littérature de jeunesse prenant en compte l’originalité des écritures de l’image.

    L’ami éditeur François Ruy-Vidal l’a invité à publier des albums, l’un avec Arnaud Laval, BêtiBéta et Bête comme chou (Grasset 1974), l’autre Contez Fleurette, Petit lexique d’un penser fleuri (Grasset 1975) avec Monique Michel Dansac. L’exposition itinérante et l’ouvrage La littérature en couleurs en hommage à l’œuvre de François Ruy-Vidal fut une entreprise de mécénat colossale.

    Membre fondateur du CRILJ, Jean-Marie en a inspiré avec Janine les grands évènements, attaché en particulier à la place de l’art et de la poésie dans les livres pour enfants.

    Grâce à son intuition futuriste et à ses réseaux solides, il a fait émerger à travers le CIELJ et “Ricochet”, à Charleville-Mézières, la grande aventure des technologies de l’image et du web pour la jeunesse, donnant à Alain Giffard, précurseur de la “lecture savante” à la BNF, et à Henri Hudrisier, maître de conférence à Paris VIII, parmi d’autres, les moyens d’ériger une institution pionnière et de l’inscrire dans un projet de développement territorial pérenne. Certains d’entre nous gardent un souvenir inoubliable de cette Université d’été de l’année 1995, organisée avec le partenariat du CRILJ, où des stagiaires venant de tous les horizons de France et majoritairement des secteurs de l’éducation populaire, ont planché sur le thème des contes de la Forêt, dans les arcanes et le langage HTML des jeunes littératures hypertextuelles dévoilées par le professeur Jean Clément du Département hypermédia de l’Université de Paris 8 …

    Que l’on me pardonne d’évoquer en parallèle mes souvenirs des nombreuses expositions de la Bibliothèque des Enfants du Centre Georges Pompidou qui convergeait vers la sensibilité de Janine et Jean-Marie depuis que les livres pour enfants étaient entrés au Musée des Arts Décoratifs jusqu’à la création de cet Observatoire Hypermédia créé à la Bibliothèque publique d’information, avec le CNAM et le département hypermédia de Paris 8, après cette mémorable université d’été du CIELJ.

    Jean-Marie Despinette restera pour moi un “père” spirituel comme mon maître Marc Soriano, un passeur d’utopies sociales, de mythes pédagogiques, qui a su transfigurer dans l’espace associatif un projet éthique, artistique, politique au sens noble et étymologique de ce terme, passeur – dans les moments de généreuse intimité amicale – d’une mémoire trop souvent occultée par les manuels d’histoire. Mais il est des êtres qui incarnent à eux seuls les mystères de l’âme, du temps, de l’espace et de la vie jaillissante et Jean-Marie est pour toujours de ceux là.

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Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.