1872 – Émile Zola

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Moins de latin et nous ferons des hommes.

     Dans nos collèges, les exercices corporels sont remis en honneur, et le pays devra de la reconnaissance à M. Jules Simon s’il parvient à établir de véritables cours obligatoires de gymnastique, et faisant partie du programme officiel. Un peu moins de latin, beaucoup plus d’exercices corporels, et nous ferons des hommes.

    Imaginez les peuples enfants, vivant sous un soleil ami. Les villes blanches s’ouvrent toutes larges. elles se gouvernent, se défendent, grandissent en liberté. Les habitants de ces villes, jouissent du matin de l’humanité, aiment la vie ; ils sont intelligents, d’une intelligence saine et forte, délicats et ingénieux dans leurs goûts, parce qu’ils s’éveillent dans la claire lumière de l’Orient et qu’ils sont eux-mêmes beaux et nobles. Ils cherchent la vérité dans la beauté. Le corps est Dieu. Et tout les invite à le diviniser, les douceurs du climat et leur état social qui nécessite des soldats vigoureux. Ils vivent demi-nus, se connaissent à la forme excellente d’un bras ou d’une jambe, comme nos femmes d’aujourd’hui se prononcent sur la coupe plus ou moins élégante d’une robe. Leur grande affaire est de grandir en vigueur et en grâce. La Grèce, au début, sous la double influence du climat et des mœurs, n’a été qu’un vaste gymnase où a poussé un peuple de lutteurs, de coureurs, de soldats et de dieux.

    Plus tard, aux temps de la Rome impériale, il n’en est déjà plus de même. Le luxe est venu, la corruption, et la volupté paresseuse. Les corps s’amollissent, l’éducation n’a plus une rudesse salutaire. On voit alors des gens qui font métier de se battre. À Lacédémone, il y avait une véritable grandeur dans le côté national des exercices ; le peuple allait au gymnase, en masse avec dévotion, simplement et pudiquement, comme le moyen âge allait à l’église. À Rome, les exercices sont des jeux ; on se bat, parce qu’on se tue, et que le sang est doux à voir couler, quand on a épuisé toutes les autres voluptés, tandis que les gladiateurs s’assomment à coups de poings, sur les gradins s’étalent les efféminés et les courtisanes.

    Puis vint le mysticisme chrétien, le dédain du corps. Et les muscles s’affaissent dans l’extase. il y a une réaction terrible contre le matérialisme des premiers âges. L’humanité serait morte peut-être si elle n’avait eu à se défendre. La féodalité, le droit de chacun contre tous, fit de nouveau une nécessité de la force corporelle. Les climats n’étaient plus les mêmes, les mœurs non plus. Autrefois, on dénudait le corps pour l’assouplir. Au moyen-âge, on le chargea de fer, on l’arma de tout un arsenal. D’ailleurs ce ne fut là que l’éducation d’une caste ; les nobles seuls avaient leurs tournois, leur adolescence entièrement consacrée à l’étude de l’équitation et du maniement des armes. Le peuple, dans son champ, sur son établi, restait à jamais courbé.

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Émile Zola, écrivain – La Cloche, 6 octobre 1872

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