Janine Despinette (1926-2020)

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    Janine Despinette est décédée le 24 juillet 2020 à l’âge de 94 ans. Avec elle, c’est une pionnière et une figure essentielle de la promotion et de l’analyse critique de la production littéraire et artistique pour la jeunesse que nous perdons. Une longue vie durant, elle a multiplié inlassablement les initiatives pour que soient reconnus et légitimés les objets de ses travaux et recherches, en intervenant, tant dans l’univers associatif des mouvements d’éducation populaire que dans ceux, francophones et européens, des professionnels du livre et de la lecture, ou auprès des sphères scolaires et universitaires. Ses nombreuses contributions, ses multiples réalisations, ses analyses, ses articles, ses interventions ont marqué de nombreux acteurs et ont grandement contribué à la légitimation du champ littérature de jeunesse.

    Son parcours personnel permet d’apprécier la dimension profondément humaniste de ses engagements. Originaire d’un milieu artistique, elle est très sensible à l’éducation culturelle et esthétique, elle participe au mouvement de jeunesse catholique et au mouvement scout. Après avoir été animatrice des Éclaireurs de France, elle devient infirmière à la Croix rouge et contribue à la Résistance durant la seconde guerre mondiale. A la libération, elle adhère aux Camarades de la liberté, un mouvement d’éducation populaire créé par d’anciens résistants. Soucieuse d’enrichir et de valoriser la formation culturelle des jeunes générations dans l’Europe de l’après-guerre, elle se dirige vers l’édition et la littérature pour la jeunesse. Elle produit ses premières critiques dans la revue Éducateurs qui, éditée chez Fleurus, est inspirée par les idées de l’Éducation nouvelle. En 1951, avec son mari Jean-Marie Despinette, elle lance l’association Loisirs Jeunes qui publie un bulletin éponyme pour offrir une information hebdomadaire de qualité non seulement sur la littérature jeunesse, mais encore sur les activités culturelles et de loisirs, les spectacles, le théâtre, la musique, les jouets, les expositions. Le bulletin fidélise un public familial mais aussi nombre d’éducateurs et d’enseignants. Elle y est responsable de la rubrique « Arts, exposition et livres » ; ses analyses qui accompagnent et soutiennent l’expansion de la littérature pour la jeunesse affirment une volonté toujours croissante de privilégier la qualité du texte, et singulièrement la qualité de l’image, la qualité du rapport entre la langue du texte et celle de l’image.

    Elle poursuit sans cesse sa formation, d’abord en suivant les cours du Syndicat des éditeurs et du Syndicat des libraires. Elle s’honore également de devoir sa formation en psychologie à Ignace Meyerson, dont elle fut une fidèle élève et avec lequel elle poursuivra des recherches jusqu’en 1983, au Centre de psychologie comparative de l’École Pratique des Hautes Études.

    Très vite Janine Despinette s’est liée à l’actualité internationale de la littérature de jeunesse. Sa formation et ses contributions s’inscrivent d’ailleurs dans un contexte qui stimule la fraternité, la coopération, la solidarité européenne et internationale, comme lors de l’aventure du Train-exposition de la jeunesse (1947), ou lors de la création de la bibliothèque internationale à Munich (1949). Elle contribue aux travaux de l’IBBY dès les premiers pas de cette Union internationale pour les livres de jeunesse qu’elle représenta auprès des instances de l’UNESCO jusqu’en 1996. Elle participe régulièrement à de nombreux salons comme ceux de Bologne, Francfort et à des jurys internationaux comme la Biennale internationale de Bratislava ou le prix Hans Christian Andersen. En 1984, la revue « Enfance » (n°3/4) reflètera cette intense activité internationale en publiant son article minutieusement détaillé sur « La littérature de jeunesse dans le monde, ses prix et leurs finalités ».

    Si elle ne participa pas, en 1965, au premier acte de fondation du Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ), avec Natha Caputo, Isabelle Jan, Mathilde Leriche, Marc Soriano, Raymonde Dalimier, Jacqueline et Raoul Dubois, personnalités aux histoires et horizons très diversifiés qui avaient appris à se connaitre et à s’estimer en militant ensemble pour promouvoir une littérature de jeunesse de qualité, Janine Despinette fut de ceux et de celles qui, avec notamment Germaine Finifter, Monique Bermond, Roger Bocquié, Denise Escarpit, Bernard Épin et Jacques Charpentreau viendront grossir les rangs après la refondation de l’association en 1973.

     Le CRILJ qui s’efforce de réunir en son sein, au niveau national et ou niveau régional, des représentants de toutes les professions et institutions intéressées au problème du livre pour enfants (éditeurs, auteurs, illustrateurs, libraires, critiques, chercheurs, enseignants, bibliothécaires, éducateurs, animateurs culturels, parents) s’affirmera comme un lieu de rencontre possible pour les acteurs et les organismes réunis par un même projet, celui qui fut au cœur de l’activité de Janine Despinette : mieux connaitre et mieux faire connaitre les livres pour enfants de qualité. L’organisation sera en quelque sorte un espace d’exploration et de confrontation de la diversité des approches professionnelles, éthiques, éducatives, littéraires, en même temps qu’un lieu d’élaboration d’un fonds discursif commun. Son existence, ses initiatives, ses colloques, ses expositions, favorisèrent des confrontations interdisciplinaires et interprofessionnelles. L’association s’emploiera, dès son origine, à offrir à l’ensemble des acteurs concernés par le domaine une structure d’information mutuelle, une possibilité permanente de rassemblement, de réflexion et d’action commune autour des problématiques posées par la connaissance, l’analyse, la diffusion, la promotion des livres destinés aux enfants et aux jeunes. Au sein de cette structure, Janine Despinette fut une personnalité marquante, longtemps très active au sein du conseil d’administration.

    Outre ce rôle dans le développement du CRILJ, Janine Despinette est à l’origine, en 1988, de la création du CIELJ (Centre international d’étude en littérature de jeunesse), à Charleville-Mézières, où elle met à la disposition de l’association sa considérable collection personnelle de livres.

    En 1992, elle crée le site Ricochet (acronyme de Réseau International de Communication entre Chercheurs) avec le concours d’Henri Hudrisier et d’une équipe de chercheurs de Paris VIII. L’objectif poursuivi est alors de faciliter l’accès aux données bibliographiques et documentaires en littérature jeunesse, de favoriser la mise en relation des chercheurs en créant grâce aux technologies nouvelles d’information et de communication les conditions d’une approche transdisciplinaire et multiculturelle des ouvrages.

    Ainsi Janine Despinette a été précurseure à de nombreux égards. Pendant des années, elle a joué un rôle important dans l’émergence puis l’affirmation de la critique de la production éditoriale pour la jeunesse. Entre autres contributions majeures dans ce champ, elle a, en premier lieu,  particulièrement œuvré pour la reconnaissance du travail des illustrateurs et graphistes dans la conception des ouvrages destinés aux plus jeunes, tout particulièrement des albums. Elle a été une des premières à insister sur la dimension culturelle et esthétique de ces derniers comme sur le rôle et les effets des images, du rapport texte-Images dans l’appréciation, la compréhension et l’appropriation des œuvres. Dans cette perspective, d’une part, elle crée le Prix Graphique Loisirs Jeunes, la revue Octogonal et les Prix Octogone. Elle est à l’initiative avec Jean Marie Despinette et François Ruy-Vidal d’une mémorable exposition, qui lance le concept de  « littérature en couleur » pour désigner en littérature de jeunesse les productions innovantes de maison d’éditions comme Delpire, école des loisirs, Harlin Quist et quelques autres, emblématiques des évolutions de l’édition jeunesse dans les années 1970 et 1980.

    Janine Despinette est enfin une des premières chercheuses à avoir perçu les articulations comme les tensions entre l’indispensable engagement militant et la nécessaire mais difficile professionnalisation de l’action en relation avec la recherche. En témoignent son parcours personnel de formation, sa carrière et les propos stimulants qu’elle tenait pour retracer son entrée dans l’univers de la critique littéraire et culturelle :

« Nous avions vingt-deux ans, vingt-trois ans […] Nous vivions la vie culturelle et nous en rendions compte. Nous sommes quelques-uns à avoir commencé comme des militants et nous sommes devenus des professionnels ensuite, mais parce qu’avant le métier n’existait pas, nous avons fait le métier […], nous avions le sens de nos responsabilités, nous tentions de devenir vraiment compétents […], l’objectif était que l’enfant devienne un adulte éclairé. […] Nous étions au sortir de la guerre, c’était la résistante jeunesse ou la jeunesse résistante. Il fallait que nous fassions l’Europe et un peu plus même, nous nous sentions citoyens du monde, nous y croyions » (1)

    C’est bien là l’héritage que nous laisse Janine Despinette

(septembre 2020)

(1) entretien de 2002 avec Janine Despinette ; in Max Butlen, Les politiques de lecture et leurs acteurs, Lyon, INRP, 2008 ; page 2

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SOURCES ET RÉFÉRENCES :

– Janine Despinette, Enfants d’aujourd’hui, livres d’aujourd’hui, Caxterman, 1973.

– Janine Despinette, La littérature pour la jeunesse dans le monde : ses prix littéraires et leurs finalités, numéro 3-4 de 1984 de la revue Enfance : article en ligne ici.

– Max Butlen, Les politiques de lecture et leurs acteurs, Lyon, INRP, 2008.

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EN LIGNE :

– article « Janine Despinette » sur Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Janine_Despinette

– deux textes consécutifs sur le site ActuaLitté  :

https://www.actualitte.com/article/ailleurs/disparition-de-janine-despinette-specialiste-de-lalitterature-jeunesse/101992

https://www.actualitte.com/article/ailleurs/jeunesse-un-fonds-jean-marie-et-janinedespinette-accessible-aux-chercheurs/102015.

– sur le site du JONJEP : https://www.fonjep.org/content/disparition-de-janine-despinette

– hommage de Lucie Cauwe sur LU Cie & and co : https://lu-cieandco.blogspot.com/2020/07/le-deces-de-janinedespinette-tres.html?spref=tw

– voir aussi Les Astrales, projet de « visibilisation de cent femmes passées par le scoutisme » initié par Maud Réveillé :  https://astrales.fr

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.( photo du haut : Janine Kotwica ; photo du bas : Nicolas Bianco-Levrin )

Les cailloux blancs (2)

SOUVENIR, SOUVENIR

    Le vendredi 12 septembre 2014, à la demande de l’université d’Artois, j’ai apporté mon concours au séminaire Les grands témoins de la critique et de la promotion des livres pour la jeunesse. Le retranscription initiale peut être retrouvée dans le numéro 36 des « Cahiers Robinson » consacré au livre de poche, bibliothèque de la jeunesse. Ci-après, la deuxième partie de ma communication qui entre dans le vif de la question.

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Promouvoir la littérature pour la jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat   (deuxième partie)

    A la rentrée de septembre 1967, après une première année d’enseignement à Batilly-en-Gatinais, dans une classe accueillant des élèves de 4 à 6 ans à qui je raconte des histoires choisies dans des recueils signés Sara Cone-Bryant et Mathilde Leriche, je suis nommé à Sousse, en Tunisie, volontaire du service national actif, dans une école française relevant du Ministère des affaires étrangères. J’y travaillerai 12 ans.

    Peu tenté, pour occuper mes temps de loisirs, par le tennis, l’équitation, le rugby ou les activités de plage, je rencontre et fréquente des collègues, français et tunisiens, impliqués dans des démarches militantes (syndicalisme, gestion et animation d’un ciné-club, programmation d’une salle de cinéma en 16 mm, théâtre amateur), toutes activités bénévoles qui, outre leur intérêt propre, m’apprennent, autour de projets précis, devant obligatoirement aboutir, à travailler avec d’autres.

    Se situe, au tout début des années 70, un évènement qui élargira, de façon tout à fait fortuite, cette palette de centres d’intérêt.

    Au Festival d’Avignon pour la troisième ou quatrième fois, je raconte à ma plus qu’amie du moment les difficultés que j’ai eu à intéresser à la lecture Marc, bon élève par ailleurs, et que cela me tracasse fort. « Pas étonnant, me répond abruptement Catherine, avec ce que tu lui donnes à lire… »

    Et, la voici qui, stagiaire un temps chez Delpire, m’invite à fréquenter La joie de lire, librairie fondée par François Maspéro, et de pousser jusqu’à la troisième salle, au fond, tout au fond, vraiment tout au fond.

    Je me rends à Paris dans les premiers jours d’août et, vraiment tout au fond, dans une armoire de récupération dont le libraire a enlevé les portes, je découvre Max et les maximonstres (Maurice Sendak) et Les trois brigands (Tomi Ungerer) que j’achète immédiatement.

    Ceux qui ont entendu Michel Defourny le 13 décembre 2013 à l’École normale supérieure savent que, copine en moins, rencontres littéraires et philosophiques en plus, il est arrivé au chercheur belge la même chose, dans les mêmes années.

    Ensuite, tout s’accélère. D’information en information, à une époque ou Internet n’existe pas, je découvre peu à peu la littérature pour la jeunesse. Je m’abonne aux revues d’analyse existantes dont La revue des livres pour enfants de Geneviève Patte, Livres Service Jeunesse de Germaine Finifter, Trousse Livres que vient de créer La Ligue de l’enseignement.

    J’écris à Marc Soriano qui me répond d’une écriture difficilement lisible pour me dire qu’il m’interdit de lire son Guide de littérature enfantine de 1969 et qu’un autre ouvrage, Le guide de la littérature pour la jeunesse, le remplacera bientôt.

    J’écris à Raoul Dubois pour lui faire part de ce que je tente, en classe, avec l’imprimerie scolaire de type Freinet que m’ont offert les parents d’élèves, avec les albums que j’achète par correspondance et avec une collection de Jeunes Années, magazine de lecture et d’activités dont Raoul est le directeur. La lettre était naïve, la réponse sympathique et encourageante.

    Je prends contact avec le CRILJ, y adhère et reçois, trois fois par an, le bulletin de l’association. Que j’ai pu être l’unique « adhérent de Tunisie » du CRILJ en amusa plus d’un.

     Et les cailloux blancs du bénévolat dans tout ça ?

     Voici la chose :

    En quelques années, je me retrouve avec une collection conséquente – plusieurs centaines de titres – d’albums (beaucoup) et de romans (un peu), achetés, par correspondance donc, à la librairie Chantelivre. De bons titres puisque choisis grâce aux revues ou listes sélectives que je me suis régulièrement procurées. Mes élèves profitent largement de la collection, même si les albums, dans un premier temps, ne quittent pas la classe. Ils parlent à leurs parents des livres du maître. Les parents – aux deux tiers enseignants, ingénieurs médecins, commerçants -, me contactent et, discutant avec Danielle et Jean Venel, actifs et toujours partants, je propose de mettre sur pied une exposition d’albums pour les enfants. Une petite équipe se constitue avec notamment Essadi Kamel, l’ami indispensable, et les problèmes que posent le projet trouveront plutôt facilement leur solution.

    Je me souviens que nous avons eu à cœur de fabriquer avec de vieilles estrades, des étagères très élégantes et de recouvrir les tables d’une toile de jute du plus bel effet.

    Nous éditons un catalogue, Des images et des mots, tiré en une centaine d’exemplaires sur le polycopieur « Gestetner » du lycée de filles de Monastir, non la liste des livres présentés, mais un regroupement d’articles, d’adresses et de références à propos de cette littérature pour la jeunesse que personne ne connait en Tunisie.

    Je fais l’acquisition, aux États-Unis, d’une série de films fixes Weston Woods. Toutes les heures, nous fermerons les volets de la salle d’exposition pour une projection d’une dizaine de minutes.

    Je prends contact avec Flammarion et La Farandole, – ces deux éditeurs-là, aucun autre, parce que c’était plus simple -, pour acheter en plusieurs exemplaires, au tarif accordé habituellement aux libraires, une vingtaine de titres scrupuleusement choisis que nous pourrons vendre. Les négociations pied à pied avec les douaniers de l’aéroport de Tunis-Carthage, pour récupérer les livres (et pour que nous soyons dispensés des droits d’entrée sur le territoire tunisien), ce fut aussi du bénévolat.

    L’exposition sera montrée à Sousse (en 1976 et 1977), à Nabeul, à Sfax, au Kef. Indifférence totale des services culturels de l’ambassade de France. A deux heures et demi de Paris en avion, nous inventions, sans le savoir vraiment, un peu quand même, ce que d’autres, ici et là, tout aussi bénévoles, inventaient aussi.

    Retour en France, à Orléans, pour la rentrée 1980. J’entre au bureau de la section de l’Orléanais du CRILJ créée trois ans auparavant et en devient le secrétaire quelques mois plus tard.

    S’il ne fallait, très injustement, ne retenir que deux points de ces années-là, ce serait les suivants :

– en premier, les innombrables rencontres, à l’initiative principale des conseils de parents d’élèves de la FCPE, le soir, après la classe, pour parler livres et lecture. Parfois dans la banlieue orléanaise, parfois à 60 kilomètres. Parfois pour cinq personnes, parfois pour cinquante. Très formateur, à tout point de vue, la présentation et la lecture de livres pour enfants à des parents d’élèves.

– en second, les frappes sur carbone hectographique violacé et l’odeur entêtante du solvant, auxquels on n’échappe pas quand on utilise un duplicateur à alcool pour tirer en nombre les comptes-rendus de réunion et les feuilles d’informations envoyés, quatre à cinq fois par an, aux adhérents de la section et à notre réseau associé.

    Quelques mots aussi de deux activités choisies parmi celles qui furent les plus preneuses de temps :

1) en 1989 et en 1990, furent organisées dans les locaux de l’École normale d’Orléans, deux universités d’été partenariales, avec Françoise Rouyer-Marie, professeur de lettres à L’École normale de Chartres, Joëlle Sechet, conseillère technique à la direction départementale de la jeunesse et sports du Loiret, Jean-François Seron qui était à cette époque le très aidant « monsieur lecture » de la DRAC Centre et le CRILJ/orléanais. Ce fut, pour nous, manière de prouver que nous pouvions faire aussi bien que Promolej. Et, bien sûr, bénévolat il y avait car, si les intervenants des universités d’été sont rémunérés, les organisateurs ne le sont pas. Le reliquat de la subvention accordée la deuxième année sera laissé au CRILJ/orléanais et il contribuera intégralement aux dépenses occasionnées par la mise en place d’un centre de ressources ouvert à toute personne intéressée, professsionnelle ou non.

2) à compter de 1986, le CRILJ/orléanais apporta son expérience et son expertise au Salon du Livre pour enfants et adolescents de Beaugency. L’organisation d’un salon annuel, chacun le sait, c’est beaucoup de travail. Le salon de Beaugency prenant de l’importance au fil des années, réunions, démarches et tâches matérielles accaparèrent, au risque de la surchauffe, un « comité » (bénévole) dont la vaillance ne faiblit que rarement. Il y eut des moments difficiles et il y eut de grands bonheurs. Désormais, une association balgentienne spécifique, Val de Lire, organise le salon. Nicole Verdun, présidente, est bénévole, Audrey Gaillard, chargée de mission, est rémunérée. Le CRILJ continue d’apporter son concours, bénévolement toujours, notamment par la mise en place de journées professionnelles très suivies.

    Ne pas oublier, non plus, l’aventure journalistique « Lire à belles dents ». Voici, pour dire vite, le début d’un texte paru dans le numéro 23 de juin 1984 de La revue du CRILJ et, à la demande de Patrice Wolf, dans le numéro 9 de La lettre d’Astéroîde :

    « Depuis le 5 octobre 1983, en avant-dernière page du supplément hebdomadaire Loisirs 7 de La République du Centre, parait une rubrique « Lire à belles dents » entièrement consacrées aux livres pour enfants et à la littérature pour la jeunesse.  A côté du titre, un dessin signé Nathalie Guéroux représente un enfant rigolard dévorant un livre avec couteau et fourchette. Le ton est donné : il s’agit d’essayer de transmettre aux lecteurs du journal (enfants et adultes) le plaisir gourmand que l’on a eu à découvrir – seul ou à plusieurs – un album, un roman, une bande dessinée, un documentaire. Sous le titre et le dessin, deux articles (plus rarement un seul) occupent la plus grande partie de la page. Chaque texte présente un livre, la forme étant laissée à l’appréciation des rédacteurs : compte rendu de lecture, réflexions contradictoires, transcription de discussion, interview, lettre à l’auteur, etc. Il est simplement demandé de ne pas être trop long et de toujours avoir à l’esprit que les lecteurs du journal n’auront, le plus souvent, pas de connaissances préalables des livres dont il est question. Les textes sont signés (il doit être possible d’écrire aux rédacteurs) et les références des livres sont données le plus précisément possible. Le bas de chaque page, un tiers environ, est consacré aux informations concernant les initiatives en faveur de la lecture et du livre pour la jeunesse. Ces « brèves » rendent compte prioritairement de l’actualité du Loiret, mais signale également, quand l’intérêt le justifie, les manifestations hors-département. S’il reste de la place, une ou deux présentations de nouveautés complètent la page. »

    Robert Arnoux, libraire, et moi-même avions rendez-vous chaque vendredi soir, à la Coopérative du livre le plus souvent, pour établir la mise en page de la rubrique à paraitre le mercredi suivant. Le journal respectera toujours nos propositions et le seul changement fut que nous passâmes, après quelques années, sans que nous en plaignions, d’un généreux format A3 à un format A4 plus réaliste.

    Puis, peu à peu, le travail avec les classes s’essouffla et quand il apparut que le maintenir devenait impossible, « Lire à belles dents » devint une rubrique accueillant uniquement des notes de lectures. J’en fus très vite l’unique contributeur. Lorsque « Lire à belles dents » s’arrêta, après quatorze ans de parution hebdomadaire, la rubrique avait atteint la taille d’une grosse carte postale pouvant accueillir une ou deux notes de lecture et une illustration.

    Mais, j’avoue tout. Hormis pour les premières années, « Lire à belles dents » ne fut pas une activité bénévole puisque La République du Centre nous rémunérera à la pige, Robert et moi d’abord, moi seul ensuite, comme les autres collaborateurs occasionnels du journal.

    Ma participation personnelle à la commission des « 1001 livres » et des premières listes de référence sont-elles cailloux blancs ? Non, si l’on considère que les réunions se déroulaient sur le temps de travail avec ordre de mission. Oui, quand on pense que n’était prévue aucune indemnité et que les remboursements de frais étaient chiches. Oui et non, quand on se souvient des chocolats que Françoise Lagarde apportait pour améliorer l’ordinaire ministériel.

    Le travail amical de relecture de L’Abécédaire de la littérature jeunesse de Jean-Paul Gourévitch m’occupa, de 2011 à 2013, de très nombreuses soirées. Il reste des erreurs et certains oublis sont impardonnables. Limite du bénévolat « solitaire ».

    Je garde un excellent souvenir de ma collaboration avec la revue Griffon. En 2009, plusieurs membres du CRILJ rejoignent le comité de rédaction. Ils savent que l’activité est bénévole. J’ai personnellement rédigé des notes de lecture et coordonné deux cartes blanches, l’une avec Béatrice Tanaka, illustratrice découverte dans Jeunes Années et oubliée aujourd’hui, sauf des spécialistes et de Lise Mercadé, l’autre avec Bernadette Després qui, malgré (ou à cause de) sa popularité auprés des enfants, n’avait jamais été citée pour être le sujet d’un numéro. Griffon n’existe plus depuis le 31 décembre 2013. Jacques Pélissard et Jean Bigot, chevilles ouvrières (bénévoles) de la publication sont fatigués et ils ne souhaitent pas poursuivre l’imposant travail de coordination et d’administration. La possibilité de recrutement, un temps évoqué, d’une personne qui serait rémunérée sera vite abandonnée. Les hypothèses de reprise par l’université de Cergy-Pontoise ou par celle de Clermond-Ferrand n’aboutiront ni l’une ni l’autre. Les raisons de ces échecs sont composites, mais libérer du temps et trouver des moyens pour pouvoir éditer une revue consacrée à la littérature pour la jeunesse et à ses créateurs au sein d’une université n’est pas chose simple. La publication des Cahiers Robinson est-elle une activité bénévole ?

    J’ai maintenu au CRILJ/orléanais une activité qui, certainement parce que je fus maître formateur, m’intéresse particulièrement. Il s’agit de l’accueil annuel, au centre de ressources, de trois ou quatre étudiants en licence ou master à qui je confie des travaux de traduction. Si la section de l’Orléanais du CRILJ est, à cette occasion, appelé « entreprise » par l’université, elle reste association loi de 1901 et j’étonne toujours les étudiants que nous aidons quand j’explique que notre activité est strictement bénévole et que nous n’avons aucun « retour sur investissement » – investissement en temps, cela va sans dire.

    Je ne dirai que peu de choses de ma participation, pourtant régulière et attentive, au Conseil d’Administration du CRILJ d’avant 2009. J’ai assisté aux réunions, apporté, comme chacun, des idées dont certaines ont été reprises, à l’occasion d’une assemblée générale ou d’un colloque. Je n’ai que rarement refusé une présidence de séance, la rédaction d’un article, l’animation d’une rencontre, le dépouillement d’une enquête ou une participation à une formation de médiateurs, mais force est d’admettre qu’au CRILJ les tâches concrètes ne dépassèrent que rarement l’échelon du bureau voire celui du secrétariat.

    Je suis secrétaire général du CRILJ depuis mars 2009, m’appuyant autant que faire ce peut sur quelques anciens toujours au CA (dont Denise Barriolade et Viviane Ezratty) et sur de nouveaux élus que nous peinons à recruter. Internet facilite correspondance, recherche et diffusion de l’information. L’association s’est rapprochée de l’université et de la BnF, nous  sommes de nouveau présent à Montreuil, des Cahiers du CRILJ « faits à la maison » se sont substitués au méritoire bulletin tri-annuel, le nouveau site est quotidiennement mis à jour, sauf zona prolongé, et le « courrier du CRILJ/orléanais », qui existait avant 2009 et que reçoivent deux fois par mois plus de 2000 correspondants, semble rendre service à nombre de médiateurs.

    Mais les moyens électroniques de communication ne transforment qu’à la marge le travail de terrain – terrain où, signe des temps, parait-il -, les petits cailloux blancs du bénévolat se font plus rares que dans les décennies précédentes.

    Me voici au terme de ma communication. A-t-elle, telle que le l’ai conçue, une portée générale ? Elle vaut ce que valent tous les témoignages, révélant, dans le même élan, parcours personnel et portrait d’une époque, récit objectif et évocation nostalgique tout à la fois. L’implication que j’ai pu avoir – que j’ai encore – dans la promotion auprès des enfants et des adultes de la littérature pour l’enfance et la jeunesse est plus le résultat de rencontres que d’un projet écrit à l’avance. Elle fut toutefois, toujours, et nous ne l’avons certainement pas assez souvent expliqué, inscrite au cœur de ce qui s’appelle encore – mais pour combien de temps – l’éducation populaire.

(André Delobel – septembre 2014)

André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans et secrétaire général au plan national depuis 2009 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien du Loiret La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

Les cailloux blancs (1)

 

SOUVENIR, SOUVENIR

    Le vendredi 12 septembre 2014, à la demande de l’université d’Artois, j’ai apporté mon concours au séminaire Les grands témoins de la critique et de la promotion des livres pour la jeunesse. Le retranscription initiale peut être retrouvée dans le numéro 36 des « Cahiers Robinson » consacré au livre de poche, bibliothèque de la jeunesse. Ci-après, la première partie de ma communication qui pose les prémisses de la question.

Promouvoir la littérature pour la jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat   (première partie)

    Il va être question dans ma communication de bénévolat et de littérature pour la jeunesse.

    Fouillant dans ma mémoire (autant voire plus que dans mes cartons) pour rassembler des éléments propres à documenter ce double sujet, l’envie m’a pris de ne pas « glisser sous le tapis » ce que j’appellerai, faute d’avoir trouvé mieux, les prémisses de la question.

    Quelques souvenirs anciens donc pour commencer, à propos de lecture (beaucoup) et de bénévolat (à peine), situés entre mes années d’enfance et la fin de mes études à L’École normale d’Arras puis d’Orléans – propos introductifs un tantinet en marge du sujet, j’en conviens.

Lectures hasardeuses ou pas

    La lecture, les livres et les journaux n’avaient pas une place centrale à la maison.

    Mon père, né dans une famille modeste, à Bourbourg-Campagne, route de Gravelines, a fréquenté l’école jusqu’à sa douzième année. Il n’en parlait pas. Je l’ai très rarement  vu un livre à la main. Il achetait parfois le journal – Nord-Matin et non La Voix du Nord – que je lui empruntais à cause de Monsieur Subito, de Pépito et du Cavalier inconnu.

    Ma mère, qui avait son brevet élémentaire, lisait plus volontiers, des livres parfois, dont les miens ou ceux de mes sœurs, des hebdomadaires féminins assez souvent. Elle me prêtait quand je lui demandais, par curiosité plus que pour le travail, le Tout en un, encyclopédie illustrée des connaissances humaines publié par la librairie Hachette, épais volume de près de 1500 pages, qu’elle avait reçu en cadeau de fin de scolarité. Elle achetait régulièrement Télé 7 jours.

    Car, en plus de la radio, très écoutée, c’est la télévision – télévision noir et blanc – qui, à partir de novembre 1960, devint centrale pour la famille entière. Nous ne boudions pas notre plaisir aux émissions de chansons et de jeux, mais regardions aussi, tous ensemble, en ces temps reculés où il n’y avait qu’une seule chaine, Le journal d’un curé de campagne de Robert Bresson, un dimanche d’hiver, à 17 heures 15, la version de 1938 du J’accuse d’Abel Gance, un autre dimanche, à 20 heures 30, les dramatiques du mardi soir, Montherlant y compris, et le Théâtre de la Jeunesse de Claude Santelli. Nous regardâmes et écoutèrent en stéréophonie Les Perses, d’Eschyle et Jean Prat, le 31 octobre 1961. J’ai quasiment cessé de regarder la télévision en 1967 quand je suis parti en Tunisie.

    Stimulé par une injonction maternelle bienveillante, j’ai gagné, au milieu des années 50, semaine après semaine, en envoyant de beaux dessins au 22 de la rue Bayard, la collection complète de « Au paradis des animaux » écrit et dessiné par Alain Saint-Ogan, gentiment offert par Radio Luxembourg et par La Vache qui rit, célèbre fromage à tartiner.

    J’ai pu lire et relire, grâce aux copains du quartier, la plupart fils et filles de mineurs, les albums déjà parus des « Aventures de Tintin » ; ce sont eux aussi qui m’ont permis de connaitre Bibi Fricotin, Les Pieds Nickelés, Popeye, Tartine Mariol, Pim, Pam et Poum ; mes parents qui ne m’auraient pas autorisé à acheter et à collectionner ces bandes dessinés me les laissaient toutefois lire, assis sur les marches extérieures de l’entrée de la maison.

    J’ai, une demi-douzaine de fois, bravé l’interdiction familiale, en rapportant de l’école un exemplaire du numéro du mois de Francs-Jeux que mon père et ma mère se voyaient, forts en colère et me punissant quelquefois, contraints de régler à l’instituteur. C’était pourtant là une lecture plus instructive que distrayante, de surcroit peu coûteuse.

     Paradoxalement, mon père m’offrit, en cadeau de Noël 1958 et 1959, achetés, je pense, à un militant communiste qu’il avait assuré sur la vie, les albums 8 et 13 du journal Vaillant, lourds recueils lus jusque dans les recoins et dans lesquels j’appréciais particulièrement Les Pionniers de l’espérance de Roger Lecureux et Raymond Poïvet, La pension Radicelle (et son univers improbable) d’Eugène Gire et P’tit Joc de Jean Ollivier et André Joy (à cause du personnage de Luce, adolescente diaphane). Je n’ai jamais acheté Vaillant en maison de la presse, mais en possède aujourd’hui la collection quasi complète.

    J’ai acheté, pendant quelques mois, avant mes douze ans, parce que nous jouions beaucoup aux cow boys et aux indiens dans les voyettes du numéro 5 de Bruay-en-Artois, Kit Carson, en petit format – les copains ne jurant, eux, que par Hopalong Cassidy dont les aventures étaient diffusées en feuilleton dans Le club du jeudi de la télévision.

    J’ai aussi, à partir du numéro 1147 « Spécial Pâques » du 7 avril 1960, acheté  Spirou pendant dix semaines – période Yvan Delporte, la meilleure – que je lisais déjà chez le coiffeur, prétextant un concours qu’organisait le journal. Comme dans Vaillant, la plupart des histoires étaient à suivre et je n’ai connu que très longtemps après la fin de celles-ci. Le concours était difficile et je n’ai pas gagné. Peu après, je changeais de coiffeur.

    J’ai lu, en ne négligeant pas tant d’articles que cela, trois « gratuits », comme on dit aujourd’hui, que je trouvais sur la table de la cuisine au retour de l’école : Carrousel, magazine donné à leurs bonnes clientes par les épiciers de l’Union des négociants en alimentation (UNA), Le Journal des coopérateurs de France, autre publication épicière, et La lampe au chapeau, « journal du personnel [des Houillères] du groupe de Bruay ».

    L’unique abonnement de cette époque, souscrit en 1960 ou en 1961, ce fut L’avant-scène théâtre – manière de prolonger les dix minutes d’actualités théâtrales proposées chaque dimanche soir, à la télévision, par Lise Elina, Max Favalelli et Paul-Louis Mignon.

    J’ai lu Nano et Nanette grâce à de jeunes cousines, les premiers numéros de Pilote, en 1959, grâce à un cousin de même âge et, comme tout ado des années 60, Salut les copains parce que, jeunes lycéens à argent de poche, nous avions tous au moins un copain – justement un copain -, qui, auditeur d’Europe n°1 et non de Radio-Luxembourg, avait, en juillet 1962, acheté le numéro 1 du magazine – numéro qui, dès sa couverture, demandait au lecteur de dire s’il était pour ou contre Vince Taylor et, surtout, l’enjoignait de ne pas oublier Eddy Mitchell ; le prénom du chanteur étant orthographié Eddie, je n’ai pas oublié.

Des titres parmi d’autres

    Quelques titres de livres offerts par la famille proche, à l’occasion des fêtes de fin d’année ou d’anniversaires, jusque vers mes quatorze ou quinze ans :

Goupil, Brun l’ours et Les malheurs d’Ysengrin, édités chez Delagrave avec des illustrations de Samivel ;

– des albums du Père Castor, une demi douzaine, dont Panache l’écureuil de Lida et  Apoutsiak, le petit flocon de neige de Paul-Emile Victor ;

– en plus grand nombre, des « Albums roses » et des « Petits livres d’or » dont Monsieur Chien, lu cent fois car c’est quand même un drôle de personnage que ce chien qui vit sa vie, seul, en toute liberté ; confirmation récente par Cécile Boulaire et je viens de lire ce commentaire d’une cliente sur le site d’une librairie en ligne : « Le premier livre qui a fait de moi ce que je suis. J’avais trois ans à l’époque et maintenant je suis grand-mère » ;

– des « Bibliothèque verte », guère plus de dix, dont L’épave du Cynthia de Jules Verne et André Laurie, très souvent relu, et un très curieux roman, Voyage en dentelles de Jeanne de Recqueville (paru en 1956) qui raconte les aventures de Marie-Laure et de ses sœurs chargées de présenter à Catherine de Russie, à l’aide de poupées mannequins, les robes que l’impératrice a commandées à un couturier français ;

– des ouvrages des éditions Nelson dont Les Misérables qui fut ma première lecture au long cours ; je n’ai sauté aucune ligne et lu intégralement les chapitres consacrés à l’argot, langue de la misère ;

– en vrac, Till Eulenspiegel (Charles de Coster), L’homme à l’oreille cassée (Edmond About), Le monde merveilleux des insectes (Jean-Henri Favre), Les contes d’un buveur de bière (Charles Deulin), recueil actuellement indisponible chez les éditeurs ;

– je ne sais plus dans quelle collection j’ai découvert Sans famille, mais je me souviens qu’un lecteur précédent (auquel mon père avait racheté le livre) avait écrit, au crayon, dans la marge : « On voit bien qu’Hector Malot n’a jamais vécu dans les mines », gribouillis que je ne comprenais pas, car la précision des chapitres racontant le travail des mineurs de Varses, l’inondation des galeries et le sauvetage des ouvriers me convenaient tout à fait. J’ai lu, à la même époque, En famille et j’ai compris, non le paternalisme, mais ce qu’était une aumuche ;

– pas de « Rouge et Or », pas de Bourrelier.

    J’ai, bien sûr aussi, un peu plus tard, acheté, de loin en loin, des livres de poche ; je me souviens des images de couvertures de 325 000 francs de Roger Vaillant et de Jean Barois de Roger Martin du Gard.

    L’un de mes grands-pères, ancien gendarme, vivait sa retraite à Hérisson, village du nord de l’Allier où il fut un temps chargé de relevés cadastraux ; à cette occasion, il rassembla des mètres cubes de livres et de journaux anciens et moins anciens dans lesquels, des vacances durant, je me suis plongé, plus libre que je ne l’aurais été dans une bibliothèque publique, lieu où je n’ai pas mis les pieds avant ma seizième année.

    Il y a avait, en vrac, dans une sorte de soupente :

– des récits complets « Artima », format cahier, histoires en bandes (pas très bien) dessinées de Far West, de jungle, d’espaces inter-galactiques et autres mauvais genres où les méchants pullulent ;

– des romans, populaires ou non, découpés en fascicules ; c’est dans cette présentation sommaire que j’ai lu mes premiers Zola dont une Faute de l’abbé Mouret, en trois « volumes à 2 francs », qui me fit forte impression ;

– des romans divers tels que Ces dames au chapeau vert, de Germaine Acremant, dont je n’ai su que plus tard que l’histoire se déroule à Saint-Omer ;

– des collections reliées, vraisemblablement reçues d’un notaire, des Annales politiques et littéraires d’Adolphe Brisson et d’une autre publication où je découvris le feuilleton théâtral de Francisque Sarcey.

Premier bénévolat

    Je n’ai pas été louveteau, éclaireur ou pionnier et je n’ai jamais eu à faire de bonnes actions (bénévoles) obligatoires.

    S’il fallait dater le moment du premier caillou, ce serait vers ma dix-huitième année et le domaine est d’emblée culturel. Je suis à L’École normale, externe parce qu’habitant Orléans. L’établissement dispose d’un ciné-club dont personne ne veut s’occuper. Je me propose avec un autre externe. Et c’est ainsi que pendant une année, tout reposa, bénévolement, sur nous deux : choix des films – on nous reprocha longtemps d’avoir osé programmer Antonioni, L’avventura ou La notte, je ne sais plus -, publicité interne à l’établissement, acheminement des bobines de la gare jusqu’au 110 faubourg de Bourgogne le matin de la séance, encaissement des entrées, projection, retour des bobines à la gare le lendemain matin. Tout cela pour une grosse poignée de spectateurs.

(André Delobel – septembre 2014)

 

André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans et secrétaire général au plan national depuis 2009 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien du Loiret La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

Françoise Mateu (1947-2018)

 

Hommage à Françoise Mateu

par André Delobel

    Françoise Mateu est décédée le lundi 21 mai 2018. Elle avait 71 ans. D’abord enseignante puis assistante marketing, elle aura œuvré dans le secteur du livre pendant près de quarante ans. Libraire en librairie générale et en librairie jeunesse, elle rejoint Lise Bourquin Mercadé, en 1984, aux éditions Vif Argent, puis devient l’assistante de Suzanne Bukiet, en 1985, à la librairie internationale pour la jeunesse L’arbre à livres. Elle sera, en 1997, directrice éditoriale des éditions Syros Jeunesse et des éditions Seuil Jeunesse (où elle succéde à Jacques Binstok) de 2005 à 2011. Elle travailla également au Sorbier et chez Albin Michel.

    Lors du choix d’un texte, Françoise Mateu revendiquait à la fois exigence et subjectivité : « On doit, quand on lit un manuscrit, être touché en tant que lecteur adulte. Ensuite, beaucoup de choses entrent en compte. Est-ce la proposition d’un auteur-maison ? Et, dans ce cas, nous sommes plus indulgents. Le texte commence-t-il assez vite ? Y a-t-il une tension ? Une problématique ? Mais il n’y a pas que des questions de style et d’écriture. On doit en effet se demander, simplement, si le texte rentre dans notre catalogue. » Les auteurs qui ont travaillé avec elle (Cécile Roumiguière, Yaël Hassan, Nicole Maymat…) sont unanimes : Françoise Mateu savait prendre des risques, n’hésitant pas à publier un texte difficile parce qu’il lui plaisait et en dépit de l’incertitude commerciale. Sylvie Baussier raconte que c’est pour accueillir, chez Syros, le documentaire Petite histoire des langues que l’éditrice ajouta une nouvelle collection au catalogue.

    Peu à peu, les albums devinrent le domaine privilégié de l’éditrice. Parmi les témoignages que nous avons reçus, nous retenons (partiellement) celui de Thierry Dedieu qui eut le temps d’écrire à son amie quelques jours avant son décès : « Plus que la liste de nos publications, deux souvenirs extra-professionnels restent à jamais dans ma mémoire, le premier ce sont nos engueulades dans ton étroit bureau du Seuil, quand je « montais » à Paris. Après quelques minutes le ton « montait » lui aussi. Et les personnes dans les bureaux voisins ne se doutaient pas que ce n’était qu’un simulacre révélateur d’une grande complicité. […] Je te remercie pour ta bienveillance à mon égard et parce que personne ne m’a cerné autant que toi. » Gilles Bachelet qui croisa Françoise Mateu au Seuil parle de son enthousiasme, de sa générosité et de son étourderie légendaire. Benjamin Lacombe témoigne lui aussi : « Françoise Mateu était un de mes phares et ce phare s’est éteint. Elle était celle qui, au détour d’un salon du livre, était rentrée dans ma vie et m’avait donné ma chance pour mon premier livre jeunesse, Cerise Griotte. Nous nous étions rencontrés autour de livres et c’est de nombreux livres que nous ferions ensemble. […] Françoise était une vraie éditrice, de celles qui suivent un auteur, même pour des livres difficiles. De celles qui ne font pas de cadeau lorsque l’exigence baisse. De celles surtout qui savent réconforter, motiver et parfois aussi protéger son auteur. » Françoise venait de signer, avec Sébastien Perez, la préface de Curiosities, art-book de Benjamin Lacombe paru début mai chez Daniel Maghen.

   Impliquée, depuis la fin des années 1970, dans les activités du CRILJ, Françoise Mateu s’intéressa particulièrement aux questions de formation et il n’était pas rare de la rencontrer lors d’une journée professionnelle pour parler métier ou sur un salon du livre, assurant la médiation d’une rencontre ou d’un débat. Elle nous raconta plusieurs fois ses aventures de voyage dans le Transsibérien.

(paru dans le n° 301 (juin 2018) de La Revue des livres pour enfants consacré à Gilles Bachelet)

 

 

FLORILEGE

     « Avec la disparition de Françoise Mateu, la littérature de jeunesse perd une grande éditrice et une militante du livre. Très attentive à l’enfance, elle refusait le livre à la mode, celui qui se démode si vite. Résolument engagée, elle voulait des livres accessibles et sans sophistication, des livres authentiques, des livres compagnons, de ceux qu’on lit et relit. Ce fut son combat. Avec un vrai talent de communication, elle a découvert nombre d’auteurs et d’illustrateurs, très différents, avec lesquels elle a su établir des relations fortes. Je l’avais rencontré lors d’une de mes premières animations scolaires, il y a trente-quatre ans, dans « sa » librairie de Muret. Nous avons régulièrement travaillé ensemble et depuis sa retraite nous nous organisions des séances de travail joyeuses et libres sur mes projets d’albums. Sa fidélité, sa sincérité, ses qualités humaines rares, sa compétence, son immense courage et son histoire personnelle font d’elle une personne réellement irremplaçable. » (Claire Nadaud, auteure-illustratrice)

    « C’était une très grande dame de l’édition. J’ai adoré travailler avec Françoise Mateu chez Syros. C’est la seule et unique qui m’ait pris un manuscrit en me disant qu’il n’était absolument pas « commercial », mais qu’elle le publierait juste parce qu’elle aimait ce texte. » (Yaël Hassan, auteure)

    « Choc. Grande tristesse. Son sourire, sa bienveillante attention, son humour – parfois grinçant. Oui, j’ai aimé travailler avec elle au Seuil. Nous nous faisions mutuellement confiance. C’était un plaisir et puis on riait. Je n’arrive pas à y croire. » (Nicole Maymat, auteure, éditrice)

    « Oh mon dieu, quelle triste nouvelle ! Quel chagrin que le mien ! J’ai tant aimé travailler avec elle, tant aimé partager du temps avec elle. Quelle belle personne, quelle éditrice ! Comme je suis triste. » (Martine Delerm, auteure)

    « Chez différents éditeurs j’ai pu faire des livres très personnels, sur lesquels j’ai pu m’exprimer pleinement. Heureusement, j’ai cette chance-là. Ce qui est agréable, c’est le rapport humain. C’est quelque chose qui compte beaucoup. C’est quelque chose que j’ai eu au Seuil avec Françoise Mateu. Une fois qu’elle est partie, je n’arrivais plus à travailler au Seuil. Elle est venue avec moi et nous avons bossé ensemble chez Albin Michel. » (Benjamin Lacombe, auteur-illustrateur)

    « De vous, Françoise, je garde l’image d’un sourire amusé. La première fois que je vous ai vue, c’était à Montreuil, pendant une table ronde sur la littérature, la jeunesse et les livres. Littérature, jeunesse, livres : rois mots qui vous vont si bien. Vous représentiez l’édition dans ce qu’elle a de plus noble, vous me faisiez un peu peur, je ne me sentais pas à la hauteur. Des lunettes graphiques, colorées – rouges il me semble -, votre sourire amusé, votre assurance. Oui, une grande dame de l’édition. Sans me connaître, dans ce métier qui est aussi un commerce, vous avez accepté de publier une histoire complexe, difficile à vendre. Cela ne vous faisait pas peur. L’idée d’un beau livre à venir était essentielle à vos yeux, vous y mettiez tout votre savoir-faire. Vous voyez, Françoise, je vous vouvoie encore. Nous n’avons pas pris assez le temps de nous connaître. Tous les livres que vous avez mis au monde me parleront de vous. De chaleureuses pensées à vos proches, je sais à quel point ils comptaient pour vous. » (Cécile Roumiguière, auteure)

    « Mes rapports avec Françoise ont toujours été très chaleureux. Je sais qu’elle appréciait mon travail. Mais, mon éditeur étant Patrick Couratin, nos relations furent limités aux réunions de représentants ou de libraires. Je l’ai revue plusieurs fois après son départ du Seuil au Salon du livre pour la jeunesse de Rueil Malmaison où elle allait presque chaque année car elle habitait tout près. » (Gilles Bachelet, auteur-illustrateur)

    « Au Japon, nous nous retrouvons pour le petit déjeuner le premier matin de notre arrivée. Tu as le nez tout rouge d’un rhume attrapé à cause de la clim de l’avion, tu renifles. J’ai le front ouvert d’une plaie parce que je me suis emplafonné la porte vitrée de l’hôtel. Je coagule. Nous nous regardons. Constatons les dégâts. Éclatons de rire. La France était bien représentée. » (Thierry Dedieu, auteur-illustrateur)

    « C’était une grande éditrice, très créative et généreuse, qui faisait confiance. Elle savait faire naître un projet ou en faire évoluer un autre et elle a découvert nombre de talents. » (Caroline Drouault, éditrice)

    « Personnage haut en couleur comme en convictions, d’un milieu qui gomme parfois les aspérités, Françoise Mateu s’est retirée en 2011 sans jamais perdre de vue les créateurs qu’elle a accompagnés. Puisque l’aventure ne peut cesser quand le combat pour la lecture et la tolérance est d’actualité. » (Philippe-Jean Catinchi)

Retour sur la médiation

Compte-rendu du colloque

Elargir le cercle des lecteurs :

la médiation en littérature pour la jeunesse

organisé par le Centre de recherche et d’information

sur la littérature pour la jeunesse (CRILJ)

les vendredi 3 et samedi 4 février 2017, à Paris,

dans les locaux de la Médiathèque Marguerite Duras

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   Françoise Lagarde, présidente du CRILJ, l’a affirmé en ouvrant le colloque devant une centaine de participants (enseignants, bibliothécaires, bénévoles) : la médiation est plus que jamais au cœur des préoccupations des acteurs de la littérature pour la jeunesse, et elle nécessite de renforcer les liens entre les professionnels, les familles, les citoyens, à travers des actions partenariales diversifiées.

    Francis Marcoin a enchaîné en soulevant quelques paradoxes liés à cette notion de médiation : de l’exigence idéale d’une médiation parfaite qui supposerait une absolue neutralité du médiateur à la fonction d’accommodation voire de pacification réparatrice du lien social détérioré… Instrument de conquête de publics toujours plus éloignés, la médiation se serait substituée à l’enseignement tout en prolongeant une forme de domination culturelle critiquée par la sociologie. Le médiateur (rôle assumé d’ailleurs majoritairement par des femmes), tout entier dévolu à sa mission, aurait quelques difficultés à remettre en question sa pratique, et ce colloque répond à la nécessité de cette remise en question, face à la dé-légitimation croissante de l’écrit. La croyance en l’universalité de la lecture doit en effet être interrogée puisque l’on souhaite « élargir » le cercle des lecteurs, c’est à dire aller chercher des publics non-lecteurs. De même doit être dénoncée la confusion entre « savoir lire » et « être lecteur ».

   Vincent Chabault, sociologue, a enquêté sur le métier de libraire, ce maillon de la chaîne du livre assez peu observé, à l’identité professionnelle pourtant forte. Les librairies spécialisées jeunesse, au sein d’un réseau de librairies indépendantes constitué et structuré autour de la légitimation du rôle culturel, ont vu le jour dans les années 1970. Tout en étant le premier circuit de diffusion du livre jeunesse sur le marché, leur économie est fragile et les 42 librairies labellisées et affiliées à l’ALSJ (Association des librairies spécialisées jeunesse, ou « Librairies Sorcières »), ont à cœur de défendre leurs missions culturelles à travers un engagement militant (lutte contre les stéréotypes de genre, par exemple) et un service personnalisé prenant en compte la singularité du « client lecteur ». Leur indépendance est fragilisée par le poids de la commande publique et la concurrence du commerce en ligne, dont découle une difficulté à maintenir des fonds diversifiés, notamment ceux des petits éditeurs, pourtant les plus créatifs. Malgré les pressions économiques fortes, ces libraires affirment des valeurs collectives fortes, visibles dans les articles de Citrouille, revue de l’association.

    Avec l’écrivaine Rolande Causse, fondatrice de l’association La Scribure, la question de la médiation s’est incarnée de façon sensible et convaincue, à travers quelques récits de rencontre avec de jeunes lecteurs, curieux de la « mécanique » de l’écriture et de l’imagination. A cette question récurrente de l’inspiration, Rolande Causse répond : observer, écouter, chercher, et plonger dans le texte. Lecture et écriture seraient comme le mouvement de flux et reflux de la mer, développant l’imaginaire, élargissant les frontières de l’être et du monde. Jouer avec les mots mène à la poésie, à la littérature, c’est le credo de cette passeuse passionnée du bonheur de lire.

   L’observation par les chercheurs des pratiques de lecture collective en bibliothèque a pointé les différences des dispositifs proposés à un public familial, dont les motivations sont elles-mêmes diversifiées. Véronique Soulé s’est ainsi intéressée à la réception des parents dans les deux modèles proposés par deux bibliothèques du réseau de la Ville de Paris : lectures collectives à distance d’un groupe d’enfants dont les parents sont co-spectateurs d’un côté, lectures individuelles partagées en groupe où les parents sont associés, favorisant le lien parents-enfants de l’autre côté. Les motivations des parents pour fréquenter ces séances se répartissent entre la préoccupation de la réussite scolaire (plus présente chez les parents moins lecteurs) et la recherche de socialisation d’un côté ; de l’autre la recherche d’un moment convivial et épanouissant pour l’enfant, avec des professionnels « experts », en complément d’une pratique familiale déjà riche. La finalité éducative revendiquée par les parents, mais non par les bibliothécaires qui mettent en avant l’unique « plaisir » que procure la lecture, aboutit de fait à une situation de co-éducation.

   Cette observation a été suivie de l’exposé d’un travail de recherche mené au sein du laboratoire ESCOL de l’Université Paris 8. Ce travail portait sur les usages comparés des familles(d’enfants de 4 à 8 ans)et des bibliothécaires dans leur rapport au livre, dans trois communes de Paris Est Ensemble. Les résultats de ces recherches, présentés par Florence Eloy et Stéphane Bonnery, révèlent, pour eux, un décalage que tentent de compenser les bibliothécaires par une prise en compte des goûts supposés des parents pour une littérature « populaire », dans laquelle ils se reconnaîtraient, plus accessible (« explicite », selon le terme utilisé par les chercheurs). Mais cette prise en compte ne suffirait pas pour favoriser l’accès à la lecture des enfants et de leurs familles non familiarisées avec la littérature. Dans les actions de médiation, le choix de laisser la liberté de l’interprétation des albums lus plutôt que d’expliquer, contrairement aux parents qui guident leur enfant dans la lecture, maintiendrait les inégalités, les bibliothécaires ne prenant pas suffisamment en compte les difficultés des enfants et de leurs parents éloignés des pratiques de lecture. Ce reproche issu des conclusions de l’enquête, repose sur l’idée que les bibliothécaires se défendent d’être sur le champ des apprentissages et revendiquent, encore une fois, la seule vertu du « plaisir » procuré par le « bain de lecture » dès le plus jeune âge. Les critères de qualité retenus par les bibliothécaires dans leurs achats et leur utilisation de certains livres (a contrario dits « implicites »), sont rarement explicités aux parents et reposent sur des logiques de coup de cœur plus que sur des appréciations d’ordre qualitatif. Si ces conclusions ont été quelque peu nuancées par les propos tenus lors des interventions suivantes, notamment en ce qui concerne les notions « d’implicite » et « d’explicite », elles suscitent cependant un questionnement sur les pratiques en bibliothèque qu’il est nécessaire de relayer dans les espaces de rencontre et de formation.

   La médiation a été également abordée dans le domaine de la littérature de jeunesse patrimoniale, grâce aux outils numériques qui peuvent y donner accès et la faire connaître d’une part, mais aussi lui redonner une place dans la création contemporaine. C’est ce qu’ont montré Hélène Valotteau et Virginie Meyer à travers l’exemple de la Bibliothèque numérique des enfants et des fonds de l’Heure joyeuse que la Médiathèque Françoise Sagan utilise régulièrement dans sa programmation culturelle, de façon extrêmement ludique et créative.

   En témoigne l’initiative Ce fameux livre : 40 illustrateurs revisitent leur livre d’enfance, mais aussi les différents ateliers proposés dans « Les Heures de la découverte », qui permettent de visiter le fonds patrimonial tout en découvrant la lecture numérique. Médiation in situ ou à distance, que l’application gratuite Gallicadabra récemment ouverte par la BnF met à la portée de chacun.

   Il fut alors question de « littératie familiale », pour laquelle Pierre Le Guirinec, professeur des écoles en classes maternelles et maître formateur en Bretagne, s’est engagé dans une « contrainte joyeuse » qu’il propose aux enfants et à leurs familles, en les invitant à partager la lecture d’albums, favorisant ainsi le développement d’un lien affectif avec le livre. Avec ce contrat-lecture (1), chaque enfant, dès 2 ans ½, se voit confier la présentation du livre lu à la maison, devant la classe, et s’en fait le médiateur privilégié. Le court film projeté a témoigné de la réussite de cette aventure, dont l’objectif est de concilier lecture prescrite et lecture choisie, en incluant les parents dans le processus de transmission.

   L’enthousiasme suscité par cette expérience a été un peu refroidi par l’état des lieux de l’enseignement de la littérature de jeunesse dans les écoles de professorat, dressé par Christine Mongenot, enseignante-chercheuse à l’université de Cergy-Pontoise. La place de la littérature de jeunesse s’est en effet réduite comme peau de chagrin et son utilisation aujourd’hui est essentiellement celle de vecteur d’apprentissage du français et de la lecture.

   On constate une fragilité et un manque de confiance des jeunes enseignants dans leurs compétences de lecteurs de littérature, qui aboutit à une instrumentalisation de la littérature jeunesse dans les activités didactiques. Or peut-on être médiateur de littérature si on n’est pas soi-même lecteur? C’est la notion même de médiation qui là encore est questionnée au regard de celle de transmission, comme outil de réparation des difficultés. Des initiatives comme celle du contrat-lecture de Pierre Le Guirinec permettent aux enfants d’appréhender la langue des livres et d’entrer en littérature. Il serait nécessaire pour en favoriser le développement, de renforcer les partenariats écoles / bibliothèques et d’instaurer des lieux de formation interprofessionnels, travaillant les représentations réciproques.

   Isabelle Valdher, professeure documentaliste en collège, propose quant à elle de favoriser une lecture « libre » (terme qu’elle préfère à celui de lecture « plaisir »), en suscitant des parcours de lecteurs qui rendent les élèves acteurs, s’appropriant leurs découvertes et s’en faisant eux-mêmes les passeurs. Ils participent notamment aux achats via des suggestions, sont encouragés à faire part de leurs avis en argumentant, ce qui développe leur esprit critique.

   Le samedi, second jour du colloque, il fut encore question des adolescents, et de la médiation par les pairs, avec le portrait des booktubers dressé par Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse. Cette pratique récente et en plein essor, à la faveur de l’usage des réseaux sociaux devenu la première pratique des jeunes sur leurs smartphones, révèle un phénomène qui bouleverse les modes de production et de labellisation culturelles. Ce modèle de médiation doit-il inspirer les professionnels du livre ? Il mérite en tous cas d’être regardé pour ce qu’il donne à voir des usages et pratiques de jeunes lecteurs consommateurs de la production éditoriale « Young Adult ».

   « Les intentions de ceux qui prescrivent la lecture semblent s’éloigner des attentes et expériences de lecteurs », cette citation de Pierre Périer (2) évoquée par Morgane Vasta au cours de son intervention sur la lecture des mangas, semble rejoindre la question de la divergence entre les choix des médiateurs et ceux des adolescents lecteurs. Souvent considéré par les enseignants soit comme un « produit d’appel » soit comme une sous-littérature, le manga présente en réalité l’intérêt d’offrir un miroir des problématiques de l’adolescence. Il peut être support d’identification et de réparation et s’accompagne d’une déclinaison sur plusieurs créneaux médiatiques, réunissant une communauté de lecteurs (3). Le Prix Mangawa proposé dans les collèges, lycées ou bibliothèques, permet une inversion apparente des rapports de transmission : des adolescents « experts » peuvent transmettre leurs connaissances aux adultes peu expérimentés et cette initiative peut valoriser des élèves de faible niveau scolaire.

    La table ronde du samedi matin s’est penchée sur les médiations en direction des bébés lecteurs, réunissant Martine Koechlin-Camber pour ACCES, Juliette Campagne pour Lis avec moi (co-fondatrice de l’Agence Quand les livres relient) et Corinne Do Nascimento pour Lire A Voix Haute Normandie. Toutes trois ont pour credo la pratique des lectures individuelles aux tout-petits, incluant et impliquant les parents ou adultes accompagnant les enfants. C’est par cette familiarisation avec la lecture, privilégiant le contact proche avec le bébé qui lit et interprète les signes du visage et la voix du lecteur (4), que l’accès au langage est facilité, et que se produit l’entrée dans la langue du récit, l’entrée en littérature. Il est important pour cela, dans les dispositifs de lectures partagées, de laisser l’enfant acteur de sa lecture, et d’introduire les parents dans le cercle des lecteurs, afin de favoriser leur propre capacité à lire. Comment s’adresser aux parents non lecteurs et éviter le « conflit de loyauté » mis en évidence par ATD-Quart Monde ? Juliette Campagne a souligné la nécessité d’être attentif aux peurs et aux réticences des parents, de les conforter dans leur rôle de transmission, en utilisant par exemple les comptines, ce patrimoine populaire largement partagé. Il y a une vraie sensibilité des bébés à la beauté, qui doit conduire à privilégier des livres de qualité, supportant de multiples lectures, proposant une interaction entre le texte et l’image, abordant les questions existentielles et les émotions (Qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous), proposant de jouer avec la langue. Choisir des livres qui nous transportent, faire preuve de sincérité, gage de pertinence, reconnaître les cultures d’origine des familles venant d’ailleurs, valoriser leurs richesses linguistiques et l’intérêt du bilinguisme. Telles sont les intentions de ces actrices de la médiation littéraire dès le plus jeune âge. Corinne Do Nascimento a également souligné l’importance de la confiance absolue faite à l’enfant dans son cheminement, en lui laissant le temps de faire ses propres expériences littéraires, le temps de l’élaboration du sens, de la multiplicité du sens à travers les liens qu’il peut construire entre les livres. Ces actions doivent pour cela être inscrites dans la durée, et s’accompagner de formation, pour développer l’observation fine de ce qui se passe lors des séances de lecture et réfléchir aux pratiques, dans un cadre interprofessionnel. Les questions de la salle ont amené à pointer les inégalités territoriales et la fragilité des initiatives portées par les associations. Beaucoup a été fait, de beaux partenariats existent entre les associations et les institutions locales, mais devant les difficultés croissantes pour les maintenir, on peut s’interroger sur l’absence de la petite enfance dans les priorités publiquement affichées de la prévention de l’illettrisme. Il est donc primordial de mieux rendre visible les actions, de les faire connaître, avec pédagogie et force de conviction, auprès des décideurs, financeurs et élus, afin de défendre leur légitimité.

   Aux côtés des professionnels œuvrent nombre de bénévoles, au sein d’associations qui portent des actions de médiation du livre et de la lecture. Parmi elles, l’expérience de Lire et faire lire est remarquable dans son projet de réduire les inégalités sociales et culturelles et de développer les liens intergénérationnels. Laurent Piolatto, son délégué général, a rappelé le mot d’ordre de cette initiative portée par la Ligue de l’enseignement et l’UNAF : partir du public et de ses besoins. Les bénévoles, passeurs de lectures, œuvrent sur le territoire où ils vivent, ce qui favorise une proximité et une familiarisation avec les habitants. Sont également privilégiés les partenariats qui permettent d’accompagner les lecteurs bénévoles, notamment avec les bibliothèques, pour l’apport de livres et la formation, ainsi a été signée Charte pour un partenariat élaborée avec l’Association des bibliothécaires français (ABF).

   L’association Val de lire, à Beaugency, présentée par Audrey Gaillard, conçoit la médiation comme un espace de vie sociale et bénéficie d’ailleurs de l’agrément de la CAF du Loiret en tant que « centre social hors les murs ». Sa « Roulebarak » va à la rencontre des habitants des quartiers pour proposer des lectures, animées par des bénévoles, là encore favorisant le développement de liens sociaux en s’appuyant sur le droit à la culture défendue par l’éducation populaire. Ni obligation ni notion d’utilité, seulement une régularité qui permet à chacun de se construire une « demeure intérieure » (5), en suscitant les initiatives des publics.

   Dernière contribution à ce colloque, en guise de conclusion, le grand témoin Jean-Marie Privat a intitulé son intervention « Manière de finir ou de ne pas finir : lignes de fond, lignes de faille, lignes de fuite » et a proposé de reformuler l’intitulé du colloque ainsi : « Diversifier le cercle des lecteurs ». Il a partagé ses observations et analyses en insistant sur la pluralité de sens du terme médiation(s) et en a notamment défini trois modèles dominants : transmissif (information/communication), incitatif (animation/socialisation) et appropriatif (coopération/acculturation), ce dernier étant le plus profond et le plus durable. Il serait intéressant selon lui de réfléchir de façon inter-catégorielle à ces différents modèles. La bonne volonté du médiateur « auto-désigné » peut échouer et il peut ainsi parfois être le principal obstacle à la médiation, générant une inquiétude culturelle par un processus de disqualification.

    Dans une approche anthropologique, Jean-Marie Privat a souligné le paradoxe de l’écrit suscitant de la résistance, résistant lui-même par son ordre propre (la raison graphique). Très souvent l’oral a pour objet de rendre l’écrit désirable, par la présence de la voix, du corps, du regard. Comment alors articuler socialité et textualité? Ce paradoxe s’incarne pour lui dans la mise en scène des images offertes par les booktubers, aux antipodes de ce qu’est l’écrit: les livres sont toujours fermés, les images sont saturées de mouvements alors que l’écrit c’est la solitude, le silence, le linéaire. Cet antagonisme est très révélateur selon lui de l’angoisse adolescente de la mort. La notion de plaisir, psychologisante, envahit, à tort, les représentations liées à la lecture et il serait préférable de parler d’investissement, ou de gratifications, à travers les multiples usages différenciés de la lecture (documentaire, distractive, identitaire, culturelle ou artistique, générationnelle, existentielle). Le travail du médiateur devrait porter tout à la fois sur un décentrement et un ethnocentrisme, répondant à la nécessité de se connaître soi-même pour connaître les autres. L’échange symbolique tel que défini par Marcel Mauss dans son Essai sur le don, pourrait aider à envisager la médiation comme une  transaction: parler/écouter /répondre (ou ne pas) et inciter à regarder de près ce qui se joue quand la réception est passive. « Celui qui neconnaît pas la mort ne peut pas raconter » dit Walter Benjamin dans Le raconteur. La légitimité du conteur est en effet essentielle, mais doit autoriser les interactions culturelles et la polyphonie, sur le modèle du  braconnage » analysé par Michel de Certeau.

   Enfin Jean-Marie Privat a évoqué le concept de co-médiation : entre experts, entre pairs, et entre experts et pairs. Il a de même insisté sur la nécessaire articulation entre deux systèmes culturels et professionnels : la petite enfance et le monde du livre, rejoignant en cela les propos tenus au fil des échanges.

   C’est donc sur la nécessité de penser et d’agir ensemble que s’est conclu ce passionnant colloque, ouvrant des perspectives dont les participants sauront s’emparer, n’en doutons pas.

par Hélène Rio

 

(1) Lire à ce sujet le passionnant article de Pierre Le Guirinec publié en 2013 dans La Revue des sciences de l’éducation (Université de Montréal) ; en ligne ici.

(2) « La lecture à l’épreuve de l’adolescence : le rôle des CDI des collèges ». In Revue française de pédagogie, numéro 157, 2007 ; en ligne ici.

(3) Voir l’ouvrage de Christine Détrez et Olivier Vanhee, Les Mangados : lire des mangas à l’adolescence, publié aux éditions de la Bpi en 2012 (Collection Études et recherche)

(4) « Le livre dans le développement du tout-petit », par Evelio Cabrejo-Parra ; en ligne ici.

(5) « Les mots habitables (et ceux qui ne le sont pas) », par Michèle Petit, 2016 ; en ligne ici.

Hélène Rio, bibliothécaire, est responsable pédagogique du Diplôme d’université littérature de jeunesse en bibliothèque-médiathèque (formations continues pour les bibliothèques territoriales et universitaires dans les domaines suivants : littérature de jeunesse, publics, collections, traitement des documents, patrimoine) au Centre régional de formation aux carrières des bibliothèques Médiaquitaine de l’Université de Bordeaux. L’article ici publié est une commande de Robin Chauchot pour publication dans la rubrique en ligne « Tour d’horizon » du Bulletin des bibliothèques de France (BBF).

 (helene.rio@u-bordeaux.fr)

Entre éducation populaire et professionnalisation

par André Delobel

Texte prononcé en prologue de la journée d’études Les scènes de l’album, le vendredi 4 février 2016, à la Maison de la recherche de l’université d’Artois.

    Si le CRILJ a eu 50 ans en 2015, c’est parce qu’à la fin des années 1960, des personnes telles que Natha Caputo et Isabelle Jan, critiques, Mathilde Leriche, bibliothécaire et conteuse, Marc Soriano, chercheur, Jacqueline et Raoul Dubois, enseignants et critiques, Raymonde Dalimier, documentaliste, Colette Vivier, écrivain, se sont retrouvées pour imaginer une structure qui rassemblerait ceux et celles qui œuvraient à ce que « de plus en plus d’enfants rencontrent de plus en plus de livres ».

    Ce fut la création du CRILJ, Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse.

    Information donc (beaucoup), recherche (un peu) et, surtout, souci d’inventer des médiations permettant d’atteindre les enfants et leurs parents, les enseignants et les animateurs de centres de loisirs, voire les bibliothécaires à chaque fois que possible. A titre d’exemple, je citerai les fameuses « malles » que l’association mettra à disposition des demandeurs pour donner à voir et à lire la littérature pour la jeunesse dans sa diversité et les innombrables « rencontres de terrain » pour, livres en main, expliquer et montrer, montrer et expliquer, devant une poignée de personnes sous un préau d’école ou devant une salle pleine.

    Il y a, en arrière plan de cet activisme, une croyance commune que Max Butlen, dans le numéro 7 des « Cahiers du CRILJ », décrit ainsi :

    « Ce qui fonde les certitudes des militants, c’est la conviction (enracinée souvent dans une expérience personnelle) que les livres permettraient de se construire, de s’affirmer (parfois de se libérer). La croyance souvent partagée est que la lecture, outre les grands plaisirs qu’elle procure, est la voie royale d’accès à la culture, au savoir, au pouvoir, à la sagesse, et aussi à la distinction. La lecture donnerait des clés précieuses, celles de l’identité, de la formation, de la compréhension de soi-même, des autres et du monde. »

    Nous sommes bien là du côté de l’éducation populaire et il n’est pas étonnant que le CRILJ soit, en 1978, agréé à ce titre par le ministère de la Jeunesse et des Sports et, grâce à Jean Auba, efficace président, reconnu d’utilité publique en 1983.

    Les statuts originels du CRILJ (et ceux d’aujourd’hui) l’affirment : l’association regroupe écrivains, illustrateurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants, parents et autres médiateurs du livre désireux de travailler ensemble.

    Mais regardons, en 2016, les choses d’un peu près :

– les auteurs et les illustrateurs ont, en 1974, créé une Charte que tout organisateur de rencontres, de salons ou de formation ne peut pas ne pas connaitre, ne serait-ce qu’à cause d’un fameux « tarif » ;

– des libraires actifs se sont régroupés, il y a une trentaine d’années, dans une association spécialisée qui, entre autres initiatives, publie une revue trimestrielle mélant articles de fonds, propositions de lectures et encarts publicitaires ;

– les éditeurs ont leur « groupe jeunesse », au Syndicat national de l’édition, et les récentes déclarations de Thierry Magnier, son nouveau président, donnent l’impression que c’est grâce aux éditeurs que le livre pour enfants améliorera prochainement sa visibilité ;

– les bibliothécaires jeunesse, qui lisent dans la joie, s’affirment, dès 1963, comme seules spécialistes du livre pour les enfants ; les choses ont évolué, heureusement, mais il reste encore des traces de cette posture ;

– les universitaires qui, dans leurs enseignements et dans leurs travaux, prennent en considération la littérature pour la jeunesse ne sont plus considérés comme marginaux et les chercheurs qui s’intéressent aux « objets culturels de l’enfance » ont créé leur association, très active ; la recherche fondamentale, essentielle notamment lorsqu’elle vient contrarier les discours dominants, n’est toutefois pas une « action de terrain ».

    Le CRILJ d’aujourd’hui, même lorsqu’il réaffirme, d’assemblée générale en assemblée générale, son attachement aux principes de l’éducation populaire, sait qu’il ne peut agir sans s’appuyer sur ces entités professionnalisés, sans réfléchir et sans construire avec elles.

    Il sait aussi qu’il va avoir à convaincre partenaires associatifs et institutionnels que ce n’est pas parce que les réseaux militants sont aujourd’hui mis à mal qu’il convient de passer à autre chose, laissant, en matière de littérature pour la jeunesse, mode et commerce prendre le dessus.

(Arras, 4 mars 2016)

maison de la recherche

Né en 1947. maître-formateur désormais retraité, André Delobel est, depuis presque trente-cinq ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire  « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public.

 

Au bon temps du Ministère

    L’attribution aujourd’hui du Grand Prix du livre pour la Jeunesse montre la volonté du Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de mener une politique active en matière de livres pour les jeunes.

    C’est pourquoi trois axes ont été privilégiés :

– encourager la réflexion autour du livre pour les jeunes

– promouvoir la lecture des jeunes

– stimuler la création

    Pour la réflexion et la promotion, le Ministère aide un certain nombre d’associations à mener un travail de recherche autour du livre pour les enfants et les jeunes.

    Ainsi à titre d’exemple, il soutient des associations qui font un travail d’analyse de la production de livres pour enfants, telle l’association « Loisirs Jeunes ». Il aide financièrement l’organisation de colloques traitant de ce problème.

    Le dernier en date, organisé au mois d’octobre à Saint-Etienne par le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse a montré tout le foisonnement d’idées qui existe dans ce secteur. Il a permis également de situer le climat de notre édition nationale. Ainsi, sur 360 éditeurs en exercice, 85 travaillent pour la jeunesse et publient plus de 5000 titres à raison de 80 millions d’exemplaires.

    Les principaux problèmes abordés, lors du Colloque : critères de sélection des manuscrits ou réédition de certains sujets tabous, ou au contraire provocations, auto-censure des auteurs désireux d’abord de se vendre, motivations d’achat et envie de lire, démocratie du choix et éducation du choix, écriture spécifique ou non – sont autant de questions posées par les animateurs et par les professionnels. Elles m’apparaissent bien être celles qu’il faut aborder et notamment les deux dernières.

    La question est en effet de savoir si la littérature générale n’est pas la seule littérature ? Bref, si elle n’est pas la seule littérature fabriquée par de vrais et grands écrivains, alors que la littérature pour jeunesse ne serait qu’une sous-littérature, un genre mineur à l’usage d’un public mineur. Ce qui est dit ici pour les auteurs, vaudrait aussi pour les éditeurs.

    Bien entendu, à ces questions je réponds non. L’écriture pour les adolescents n’est pas une écriture spécifique en ce sens où on la considère comme l’écriture du pauvre, comme l’écriture à l’usage des sous-lecteurs non encore formés, car bien souvent, on perçoit la littérature pour la jeunesse comme une littérature tout court, avec quelque chose en moins. En fait, il s’agit de tout autre chose. Elle est un autre genre, un autre parti, un autre mode d’expression avec ses chefs-d’œuvre et ses « navets », comme n’importe quel genre.

    Pour la démocratie du choix et l’éducation du choix, il me semble que l’essentiel pour que le livre prospère est qu’il soit partout, la bibliothèque ne doit pas être un lieu sacré d’enfermement. A la crèche, dans les locaux de PMI., dans la classe, dans les transports, à l’hôpital, l’enfant, le jeune doit côtoyer le livre.

    Ceci me permet d’aborder le deuxième axe de notre politique :

    La promotion de la lecture auprès des jeunes : lancé comme une sorte de bouteille à la mer, le livre est certes bon ou mauvais. Mais, il est toujours bon, s’il offre des qualités d’écriture, d’invention, de préparation et s’il s’adresse à l’adulte à travers l’enfant et à l’enfant à travers l’adulte, car il est le lien privilégié de tous les âges. Or les livres lus quand on est enfant ne s’oublient jamais. Qui sait même s’ils ne laissent pas en nous plus que les livres que nous avons lus plus tard ?

    C’est cette idée qui a initié la mise en place de l’opération La Forêt aux Histoires dont nous avons pu apprécier tout l’intérêt.

    Je voudrais tout spécialement remercier le président du Centre Georges Pompidou ainsi que le Directeur de la Bibliothèque Public d’Information de l’accueil qu’ils ont réservé à cette exposition. En accueillant l’exposition sur La Forêt aux Histoires, le Centre Georges Pompidou joue pleinement son rôle, c’est-à-dire être ouvert à toutes les formes d’expression, être un lieu de rencontre, un lieu de créations multiformes. Il démontre que les créations culturelles vont être de plus en plus au cœur de la vie de nos contemporains que tous, quel que soit l’âge, peuvent être actifs et créatifs lorsqu’ils disposent d’instruments d’expression adéquats.

    Cette exposition montre bien la créativité des enfants et tout le travail de formation qui a été mené durant cette opération. Il existe une forte demande de formation de la part des enseignants et des responsables qui ne trouvent que rarement dans leur formation professionnelle une réponse correspondant à leurs préoccupations dans ce domaine.

    Votre démarche d’apprivoisement du public par l’enfant est originale. Toute exposition qui a pour thème le livre ou la lecture rebute a priori les parents s’ils n’appartiennent pas un certain milieu intellectuel. Par ailleurs, souvent elle ne mobilise pas l’imagination enfantine.

    Or, La Forêt aux Histoires tient à la fois du cirque, de la parade, fait appel au fantastique des formes et des couleurs. Elle mobilise l’enfant qui entraîne ses parents. L’arbre sert d’annonce pour inciter à pénétrer dans le monde de la lecture. En outre, il s’agit là d’une mobilisation plus générale de la famille et du milieu environnant. Les adultes découvrent leurs enfants dans un autre contexte que le contexte familial ou scolaire. Il est important pour ceux-ci de voir avec quelle passion, quel intérêt, des enfants, même très jeunes, peuvent spontanément se précipiter sur les livres.

    Par ailleurs, La Forêt aux Histoires a fait participer à un même objectif, le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports, celui de la Culture, de l’Education Nationale, du Fonds d’Intervention Culturelle, le Centre National des Lettres. Compte-tenu de son intérêt, un nombre important d’organismes très divers y a participé. Je n’en citerai que quelque uns : associations familiales et de parents d’élèves, maisons pour tous, bibliothèques, écoles, écoles de beaux-arts, instituts médico-pédagogiques.

    Ainsi plus de 1000 enfants d’origines très diverses, ont participé à cette animation en lisant beaucoup de livres. Plus de 45 000 visiteurs ont pu découvrir 300 livres pour les enfants et les jeunes, à Cugnaux, près de Toulouse, à la Seyne-sur-Mer, à Brest, à Grand-Quevilly, à Besançon, et dans tout le département des Yvelines.

    L’exposition que nous avons visitée montre bien l’extraordinaire force créatrice qui a stimulé l’effort des enfants, des éducateurs, des bibliothécaires, pour aboutir à ces forêts toutes bruissantes d’idées, de formes, de couleurs, de matières.

    Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant est en fait un vaste sujet. Mais l’absence du livre dans cette vie, le livre délaissée rejeté, le livre objet d’indifférence ou de rancune, voilà qui soulève bien des problèmes. En fait, si le livre a une place si faible dans la vie quotidienne de l’adulte, c’est peut-être parce que trop d’enfants d’hier ne l’ont pas connu. A travers le livre, c’est toute la culture ou presque qui prend racine dans la vie. La Forêt aux Histoires constitue dans aucun doute, l’un des moyens pour mieux connaître le monde de la lecture.

    Mais, aujourd’hui, la communication et l’expression passent massivement par l’audiovisuel. Certes, quelques émissions sur les livres pour les jeunes existent déjà sur les différentes chaînes de télévision : Les pieds au mur sur TF1, Bouquin, Bouquine coproduit avec la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Education Permanente et Antenne 2, Des livres pour nous sur FR3, et, à la radio, Le livre, ouverture sur la vie (émission hebdomadaire de Monique Bermond et Roger Boquie sur France Culture). Mais, elles me semblent peu importantes par rapport à l’enjeu, c’est-à-dire le goût de la lecture chez les jeunes. Pourquoi, alors, ne pas imaginer que la télévision puisse faire un effort supplémentaire dans ce domaine et fasse connaître de nouveaux talents ?

    Promouvoir la création, découvrir de nouveaux talents, telles sont en fait les raisons pour lesquelles le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de 8 à 12 ans et intitulé Grand Prix du Livre pour la Jeunesse.

    Un des problèmes de l’édition française est certainement la relative rareté des auteurs et beaucoup de textes publiés en France pour les jeunes sont des traductions. On dira que les éditeurs privilégient dans leur programme les œuvres déjà recommandées par un succès international, que les maisons étrangères offrent peu de chance aux livres français d’être mieux connus dans le monde. Quoi qu’il en soit, beaucoup de progrès restent à faire, et le gouvernement a entrepris une action dans ce sens.

    Le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse prend part à cette politique en cherchant de nouveaux auteurs, notamment pour les 8-12 ans, créneau particulièrement difficile à cerner au niveau de la demande. La découverte de nouveaux auteurs devrait constituer un des facteurs pour augmenter la diffusion du livre pour les jeunes aussi bien en France qu’à l’étranger. En effet, la diffusion du livre français à l’étranger est une des priorités du gouvernement à la fois sous l’angle du commerce extérieur et sous l’angle du rayonnement culturel.

    Voilà en quelques mots les actions menées par le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports qui complètent celles d’autres Ministères et notamment celui de la Culture. Elles devraient permettre l’accès à un public élargi et préparer dès aujourd’hui les lecteurs de demain.

( texte paru dans le n° 19 – 15 mars 1983 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1945 à Nevers (Nièvre), Edwige Avice est diplômée en lettres, en sciences politiques et en commerce international. Elle est nommée, après la victoire de François Mitterrand, Ministre déléguée à la Jeunesse et aux Sports auprès du Ministre du Temps Libre, André Henry. Elle devient Ministre déléguée au Temps libre, à la Jeunesse et aux Sports dans le troisième gouvernement Mauroy. Femme politique qui a la plus grande longévité ministérielle. Edwige Avice est aujourd’hui encore une experte en défense au niveau européen. Nommée Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 1998, par le gouvernement de Lionel Jospin, elle est promue au grade d’officier par Nicolas Sarkozy (promotion de Pâques 2009), au titre du Ministère de la Santé et des Sports.

 

Créé en 1981 par le Ministère de la jeunesse et des sports et le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse (CRILJ), le Prix du Livre pour la Jeunesse de Ministère de la jeunesse et des sports, avait pour but de favoriser la création et la diffusion des livres de qualité pour les jeunes et de découvrir et promouvoir de nouveaux talents littéraires. Deux jurys, l’un composé d’adultes, l’autre de jeunes de 11 à 14 ans. Le prix récompensait deux romans ou contes inédits d’expression française, sur manuscrit anonyme. Il fut, en 1992, remplacé par le Prix du roman jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports,

Des enfants et des livres

 

 

Texte adopté par le bureau du CRILJ le 3 mars 1987.

     1. La vitalité et la diversité de la littérature pour la jeunesse dans notre pays tiennent en grande partie à la liberté de l’édition qui est de droit en France.

    Le CRILJ qui est un lieu de rencontres de personnes d’opinions différentes défend cette liberté de l’édition, particulièrement dans tous les domaines de la littérature de jeu- nesse : liberté d’expression des écrivains et des illustrateurs, liberté de publication des éditeurs, liberté de jugement des critiques, liberté de choix des bibliothécaires, liberté pédagogique des enseignants, etc.

    2. La littérature de jeunesse a des exigences particulières : du jeune enfant au jeune adulte, elle s’adresse à des personnes en formation qu’il importe d’aider à devenir responsables et libres en concourant au meilleur développement possible de leur intelligence et de leur sensibilité encore fragile.

    Il est souhaitable que tous ceux qui contribuent à la littérature de jeunesse, de la création à la lecture, aient toujours conscience de ces responsabiltés.

    Le CRILJ a été créé pour promouvoir une littérature de qualité dans le plus grand respect dû à l’enfant et à l’adolescent.

    Ce respect exige aussi qu’on n’arrête pas le développement de l’enfant à un stade infantile.

    3. Le CRILJ entend bien concilier les exigences de la liberté de création et les exi-gences du respect de l’enfant.

    Le CRILJ constate que cette conciliation se pratique normalement par la médiation d’adultes responsables (parents, éducateurs, bibliothécaires, enseignants, etc) afin que « le bon livre parvienne à l’enfant au bon moment » et qu’ainsi l’enfant puisse exercer son choix.

    Pour faciliter cette médiation nécessaire, il importe que chacun des responsables joue pleinement son rôle, qu’il ait une bonne connaissance des enfants qui lui sont confiés, des publications, de leur contenu, de leur valeur.

    Depuis ses origines, le CRILJ souhaite une formation toujours meilleure des personnels spécialisés et une information plus vaste et plus précise par les divers mouvements, associations, institutions et par la presse, la radio, la télévision.

    Ni la lecture ni l’éducation ne sont des choses simples. Le livre n’est jamais un produit neutre. Refusant toute « chasse aux sorcières », récusant les amalgames, les dénonciation et les anathèmes, le CRILJ estime légitime la diversité des courants, des options, des opinions, dans le respect des grandes valeurs humaines.

    4. Le CRILJ invite ses adhérents à poursuivre leurs efforts en faveur d’une littérature de qualité, avec le même discernement et la même opiniatreté.

    C’est une tâche difficile et complexe, rendu nécessaire par la richesse de la littérature de jeunesse qu’on ne peut pas simplement réduire, de façon manichéenne, à les listes de « bons livres » recommandés par tous ou de « mauvais livres » défendus pour tous.

    On ne peut donner à lire n’importe quoi à n’importe quel enfant. On ne peut pas non plus transformer les jeunes lecteurs en bébés-bulle vivant dans un univers aseptisé sans rapport avec la réalité qui l’environne. A ce titre, toutes les grandes œuvres de notre patrimoine risqueraient une condamnation, alors que ce sont des livres d’initiation : un grand livre est toujours vivant, toujours à l’œuvre dans l’esprit de celui qui l’a lu. Il conduit plus loin. Il participe à la vie et à ses changements.

    Le CRILJ incite ses adhérents à se garder aussi bien du laisser-aller que du terrorisme intellectuel qui prétend légiférer tout le monde, aussi bien de l’abandon aux puissances de l’argent que du retour à l’obscurantisme pervers, aussi bien du laxisme à la mode que du puritanisme de la peur.

    Le CRILJ invite ses adhérents à assumer pleinement leur rôle de créateur ou d’inter-médiaire entres les enfants et les livres, chacun unique, tous différents, irremplaçables.

( article paru dans le n° 30 – mars 1987 – du bulletin du CRILJ )

 

 

 

 

 

 

 

 

Réflexions sur la vie, le devenir hypothétique ou la disparition des associations culturelles, sans nostalgie mais pour mémoire

par Monique Hennequin

Ecrit en 2009 par celle qui fut pendant plusieurs dizaines d’années secrétaire générale du CRILJ, à un moment où peu nombreux étaient ceux qui croyaient aux chances de survie de l’association, ce texte en forme de bilan apprendra beaucoup à ceux qui aujourd’hui découvre le CRILJ ou qui en ont oublié l’histoire. A lire (ou à relire) et à garder dans un coin de sa mémoire … dans l’attente du jubilé de 2015.

     Le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, carrefour de toutes les activités concernant la littérature pour la jeunesse était ouvert à toutes les initiatives éducatives et culturelles, dans le cadre associatif et institutionnel. Conscient de la nécessité d’une promotion de la littérature pour la jeunesse, le CRILJ a proposé pendant une trentaine d’années une plate-forme d’informations, de rencontres et de réflexions.

    Le CRILJ [tel qu’il fonctionnera à compter de 1974] est né à l’issue de journées d’études organisées au Centre International d’Etudes Pédagogiques, à Sèvres, par son directeur Jean Auba, inspecteur général de l’éducation nationale et du travail de la Section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse (IBBY) lors d’une rencontre organisée par cette dernière à Marly le Roi, en octobre 1973.

    Sous la présidence de Jean Auba, il a repris le nom d’une association créée en 1965 autour de Natha Caputo, critique et journaliste au Progrès de Lyon, Isabelle Jan, productrice à la radio, Mathilde Leriche, bibliothécaire à l’Heure joyeuse, Marc Soriano, professeur d’université, Jacqueline Dubois, institutrice, et Raoul Dubois, son époux, instituteur et critique, Raymonde Dalimier, bibliothécaire au Lycée La Fontaine.

     Le CRILJ par ses statuts association loi 1901 sans but lucratif a été agréé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1979, et reconnue d’utilité publique en 1983. Il a toujours observé une rigoureuse indépendance et une totale neutralité par rapport à tout mouvement politique ou confessionnel. Il est ouvert autant aux utilisateurs du livre qu’aux professionnels du livre.

    Le CRILJ a surtout été composé de membres individuels, venant de toutes les régions de France et regroupant les illustrateurs, écrivains, éditeurs, libraires, critiques, journalistes, documentalistes, bibliothécaires des secteurs public et privé, enseignants de la maternelle à l’université, personnels du secteur médical ou paramédical, animateurs culturels et scientifiques, parents et toute personne s’intéressant à la littérature de jeunesse et au développement de l’enfant. Une grande majorité des adhérents font des actions de terrain et se retrouvent dans les sections régionales du CRILJ.

AUTOUR DES LIVRES POUR LA JEUNESSE ET DU MOUVEMENT DES IDEES

    Dès sa création le CRILJ a lancé la mise en œuvre d’une série d’études et de confrontation dans un grand nombre de domaines et il s’est aussi penché sur les grands problèmes de notre société, vus à travers la littérature de jeunesse.

    En 1975, au Festival du Livre à Nice, le CRILJ tenait un colloque sur La place et le rôle du livre dans la vie des jeunes et la place de la lecture dans l’éducation de la jeunesse.

    En 1977, une rencontre était proposée, au CIEP Sèvres, réunissant des pédagogues, libraires, chercheurs, graphistes ayant une expérience de formation dans le domaine de la littérature de jeunesse.

    En 1978, un « cycle d’études » dans le cadre du Laboratoire de Psychologie en milieu scolaire, réunissant un samedi après-midi par mois, une trentaine de personnes (dont la moitié de province) était organisé par Hélène Gratiot-Alphandéry, vice-prési-dente du CRILJ et directeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Les intervenants étaient Mme Chombard de Lauwe, le professeur Widlocher, Georges Jean, Jacques Wittwer, Jacqueline Danset, Marc Soriano, Denise Escarpit, Michèle Kahn.

    Après avoir constaté que la presque totalité des documentaires sur les sciences et les techniques étaient des traductions et pour sensibiliser les scientifiques français, en 1980, un colloque ayant pour thème Où se situe la demande des enfants en matière de livre scientifiques et techniques a eu lieu, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France, au Centre Georges Pompidou, réunissant 150 personnes et une quarantaine de jeunes venus de toute la France.

    Le résultat de ce colloque a été la création de deux collections avec des ouvrages écrits par des scientifiques français, chez Hachette sous la direction de Patrick Baradeau et chez Nathan avec Daniel Sassier.

    En 1982, A Saint Etienne, se sont réunis plus de 300 personnes sur le thème : Littérature pour la jeunesse : la création en France. Il s’agissait de faire le point sur la situation des années fin 70, début 80 et d’essayer de stimuler la création par des propositions concrètes des groupes concernés : écrivains, illustrateurs, techniciens du livre et de la presse, mais aussi de faire prendre conscience aux médias de l’importance de leur rôle.

    La création a vraiment été au centre des débats de ce Colloque. On pourrait citer quelques réflexions des participants : « La création, c’est le retour aux sources de l’élémentaire » (Georges Jean) – « La création est une vraie littérature de l’imaginaire, les livres ne délivrent pas de message monolithique étroit, ils constituent des graines que l’on sème en aveugle » (Jacqueline Held) – « Le livre est le plus enrichissant des jeux, le livre c’est la complicité entre l’auteur et le lecteur » (Huguette Perol)

    Le cri de Jean Claverie « Apprenez à connaître les gens de l’image » fut entendu puisque dès 1983, les illustrateurs regroupés firent appel au CRILJ, pour présenter sous son égide une exposition de dessins originaux, accompagnés des livres correspondants – 82 illustrateurs et 250 dessins originaux étaient au rendez-vous au Salon du Livre, à Paris, au Grand Palais – Une présentation des différents courants de l’illustration par Janine Despinette avait fait l’objet de l’éditorial du catalogue du Salon.

    Préalablement, ce colloque en leur donnant l’occasion d’une première rencontre entre eux aura permis une reconnaissance des illustrateurs en tant qu’artistes à part entière, ce qui n’existait pas jusqu’alors. Il aura été le début de la présence des illustrateurs dans les classes et aussi d’expositions dans les bibliothèques et autres lieux.

    En 1986, aété organisé en collaboration avec la BPI, sous la présidence de Jacques Charpentreau, un colloque consacré à la poésie L’Enfant et la Poésie. Une importante collecte d’expériences réalisées avec des enfants a été présentée avec l’aide efficace de Christiane Abbadie-Clerc, alors responsable de la Bibliothèque des enfants du Centre Georges Pompidou.

    Premier colloque sur ce thème qui avait réuni 150 personnes et qui a permis de confronter les points de vue sur le rôle et la situation de la poésie, notamment contemporaine, à l’école et vis à vis du public.

    Après avoir travaillé sur une bibliographie avec le Groupe de Recherche en Education Nutritionnelle (GREEN) et le Professeur Deschamps du Centre de Médecine Préventive CMP) de Vandoeuvre les Nancy, le CRILJ a organisé en 1987, en partenariat avec les institutions précitées, un colloque La santé, le livre et l’enfant qui avait pour but d’informer les non-spécialistes de littérature de jeunesse médecins, orthophonistes, infirmières, professions para-médicales) de ce qui existait sur les différents thèmes liés à la santé, sur leur approche, du documentaire, de la symbolique à la fiction.

    Nous rappellerons les paroles du Dr Schwartz : « Le message de la santé n’est pas neutre, d’où nécessité de faire équipe : éducateurs, professionnels de la santé et du livre pour que s’épanouisse la vie ».

    En 1988, le CRILJ avait réuni, au Collège de France, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, une cinquantaine de personnes, sur le thème L’enfant sous influence : culture et conquête de son autonomie, avec Jacques Perriault, Suzanne Mollo, Isabelle Jan et une remarquable introduction d’Hélène Gratiot-Alphandéry.

    Avant l’acte unique européen, il a semblé au CRILJ, important de se poser la question sur les enjeux de 1992 concernant la littérature pour la jeunesse dans l’Europe de demain, d’où un colloque, en 1989, co-organisé par le CRILJ et la Bibliothèque d’Information du Centre Georges Pompidou, sous la présidence d’Emile Noël, directeur général de la Communauté européenne à Bruxelles et président de l’Institut universitaire européen de Florence.

    En 1991, Le CRILJ organisait pour Jean Perrot, membre de l’IRSCL du 10ème Congrès de l’IRSCL à l’Ecole Polytechnique, qui avait pour thème L’application des théories contemporaines de la Culture et de la Littérature de Jeunesse.

    1997 : La tolérance, la littérature de jeunesse peut-elle participer à la formation des jeunes lecteurs ?

    Pour toucher des publics différents, un thème non littéraire au sens propre du terme a été proposé pour un colloque, sous la présidence de Roger Bambuck, Le sport, c’est aussi dans les livres, à l’INJEP, en 1997.

    En 1999, au Palais de la Découverte, nous avons souhaité organiser des rencontres destinées aux animateurs de clubs scientifiques et de centres de loisirs pour une utilisation de livres pour la jeunesse dans leurs pratiques avec les jeunes, ce qui a donné lieu au colloque Lire la science, s’ouvrir au monde, sous la présidence de Jean-Claude Pecker.

    L’image des adultes se détériorant dans les romans, un colloque a été organisé, en 2000, à l’INRP, sur le thème L’image des adultes dans la littérature pour la jeunesse, où il a été essayé de répondre à quelques questions sur l’évolution de l’image de l’adulte, présent ou absent, modèle ou caricature ? Quel lien a-t-il avec la société ? Des inter- venants d’autres pays sont venus nous dire sous quelle forme l’adulte était présenté dans la littérature de leur pays : Penny Cotton, de l’université de Roehampton, Carla Poesio, du Comité scientifique de la revue LIBER de Florence, Jean-François Bouttin, de l’université Laval à Québec

    En 2001, un échange de réflexion intéressant se tenait, à la Société des Gens de Lettres, sur Le livre, un produit comme les autres ? « Il est un temps pour la rapidité, celui de l’économie de marché, un temps que l’on espère préserver par la lenteur, celui de l’auteur, de l’illustrateur et du libraire, un temps pour l’écoute, celui de tous les passeurs de livres ». où avaient pris la parole François Rouet, économiste et attaché au Ministère de la Culture, Ahmed Silem, professeur d’université, des éditeurs ont témoigné : François Geze pour La Découverte- Syros et Dominique Korach pour Flammarion.

    Beaucoup d’adultes s’interrogent sur la prévention face au mal de vivre de l’adolescence. Aussi le CRILJ a-t-il proposé aux psychologues de l’hôpital Necker à Paris de réfléchir comment et avec quel contenu la littérature de jeunesse abordait la Prévention. A partir de cette interrogation est née l’idée de proposer en 2002 un colloque Les maux dans les mots aux animateurs et professionnels de la santé. Une enquête auprès des collégiens lancée avec la collaboration d’Inter-CDI, eut un retour de 500 réponses.

    En 2005, La précarité dans les livres pour enfants, était-ce un phénomène de mode ou une réflexion sur ce qu’elle est et comment la faire percevoir aux jeunes à travers les ‘’passeurs de livres’’ ?

    Reprenons les mots laissés par Raoul Dubois qui avait soutenu ce projet : ‘’Et si la précarité n’était en fait que le nouveau moyen de conjurer ce mot, ce mot qu’on avait cru banni et renvoyé aux images du passé, celles de la pauvreté ».

    Seynadou Dia et Lydiane Chabin, militantes du Secours Populaire Français ont apporté l’éclairage de leur expérience au contact quotidien de ces réalités vécues. Le sociologue Jean-Charles Lagrée et le psychanalyste Claude Allard ont abordé la question en combinant les approches économique et sociologique, Anne Rabany, inspectrice d’Académie a présenté une « géographie de l’école » au regard de la précarité. Pour Alain Serres « mêler sa plume au mouvement du monde, est son projet, mais pas à n’importe quel prix. »

    Quant aux jeunes ayant rempli le questionnaire : le mot « précarité » n’est pas de leur langage.

   Internet envahissant l’espace, on se devait au CRILJ de s’interroger sur la place du livre et de la lecture à l’ère numérique. Il nous a semblé important de réfléchir sur les problèmes qui désormais se posent et comment inciter les médiateurs à un nouveau regard sur leur rôle pour une approche différente de la lecture, une incitation au désir de lire, à la circulation de textes de qualité, à la promotion de la littérature pour la jeunesse. C’est ainsi qu’est née en 2006 l’idée d’un colloque qui a eu lieu en juin 2007 à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, co-organisé avec Ghislaine Azémar, Henri Hudrisier de l’université Paris 8. Existe-t-il un projet d’une bibliothèque jeunesse numérique au service des langues et des cultures, pour une culture humaniste ?

    Au-delà de la numérisation, Internet, avec les moteurs de recherche, inaugure une nouvelle forme d’accès au savoir. Les chercheurs s’interrogent sur les compétences de lecture que les jeunes désormais doivent acquérir pour maîtriser à la fois l’outil, les codes et le contenu. La formation à la recherche et au traitement de l’information est une préoccupation des éducateurs, qui vise non plus une formation info documentaire mais une véritable culture de l’information.

    Les jeunes ne sont plus seulement les enfants de l’image. Ils naviguent sur la toile et bénéficient d’un réseau de communication numérisé permettant le passage d’un média à un autre. Consommateurs avides de jeux vidéo, ils sont des lecteurs à leur manière

    Les communications étaient remarquables et même très savantes.

LE CRILJ ET SES PARTENARIATS AU FIL DES ANNEES

    Dès 1977, avec Travail et Culture et Georges Jean, pour une exposition dans les comités d’entreprise, le CRILJ a assuré le choix des livres, la réalisation des panneaux de présentation et le concours des animateurs pour une opération Les livres pour les jeunes et le monde d’aujourd’hui.

    A la demande de la Délégation à l’Information scientifique et technique (DBMIST) du Ministère de la Recherche, présentation pendant plusieurs années de livres scientifiques et techniques pour les jeunes, dans le cadre du Salon de l’Enfance, de manifestations au Palais de la Découverte ou lors de la Fête de la science dans les jardins de l’ancienne Ecole Polytechnique, rue de la Montagne Ste Geneviève, à Paris

    En 1978, dans le cadre de l’année internationale de l’enfant, l’UNICEF et la Commission française de l’Unesco ont organisé un colloque Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant auquel le CRILJ a été largement associé dans la préparation.

    En 1984 et 1985, le CRILJ a collaboré à toutes les actions du Ministère de la Jeunesse et des Sports concernant le livre et la lecture dans le cadre de la Semaine Le livre et les jeunes. Sensibilisation de 500 libraires pour une vitrine – Participation au train Paris-Pékin – Mise en place des « Point Rencontre Information Littérature de jeunesse » en province avec les Francas, les CRIJ et les sections régionales du CRILJ.

    De 1984 à 2007, Avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports, organisation du Prix Roman jeunesse, puis du Prix Premier Roman pour les trois dernières années

    Après une exposition des livres scientifiques et techniques à Toulouse, lors d’Assises de la Culture scientifique et techniques, le CRILJ fait partie du Collectif d’associations pour la culture scientifique, le CIRASTI, avec outre les réunions une participation régulière aux Exposciences départementales, nationales (Brest, Grenoble, La Réunion) et internationales (Prague – Québec).

    Opération avec les Pionniers de France sur la Culture scientifique et technique.

    Toujours tourné vers la culture scientifique, le CRILJ a été l’un des membres fondateurs de l’Observatoire du Livre Scientifique, Technique et Industriel pour la Jeunesse, présidé par le professeur Albert Jacquard

    En 1995, co-organisateur et gestionnaire de l’université d’été organisée par le Centre Internationale d’Etudes en Littérature pour la Jeunesse (CIELJ) à Charleville-Mézières, La littérature de jeunesse, les nouvelles technologies et la communication ?

    Avec le CIEP (Sèvres) et pendant plusieurs années, participation aux séminaires annuels d’été des professeurs de français, langue étrangère, à Caen. Des lycées français à l’étranger

    Collaboration avec la Fondation Nationale de la Gérontologie pour la création du Prix Chronos, sur le thème « Grandir, c’est vieillir ».

    2001 – Pour le Ministère de la Défense : des recherches bibliographiques sur les albums, les romans, les documentaires traitant des conflits du XXème siècle.

    2003 – Implication dans le programme national d’initiation à la lecture et à l’écriture dans le cadre de prévention et de lutte contre l’illettrisme mis en place par le Ministère de l’Education Nationale

( les partenariats ont été repris par date au début de la coopération, un certain nombre se poursuivent )

    Depuis 2000, grâce à l’implication personnelle et l’action internationale de Monique Hennequin, participation active dans deux projets Comenius.

    BARFIE (Books ans reading for Intercultural Education) projet soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de promouvoir une éducation interculturelle à travers la littérature de jeunesse d’un certain nombre de pays en touchant un maximum de professeurs et d’élèves mais aussi d’animateurs, de procurer une plateforme créatrice pour échanger des informations, des expériences sur les meilleures pratiques en terme d’utilisation novatrice de la littérature au sein d’une éducation interculturelle et de renforcer la dimension européenne dans le processus d’éducation. C’est ainsi qu’a été constituée une collection de livres européens destinée à circuler.

    Cette recherche a fait l’objet de l’édition d’un catalogue dans les langues de chaque pays partenaire (10 partenaires) présentant chaque livre avec son résumé

    EDM Reporter (Electronic Digital Media Reporter), projet également soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de mettre en place des outils pour les enseignants, bibliothécaires, animateurs et jeunes pour utiliser le WEB dans toutes activités liées à la lecture, à la littérature de jeunesse dans toute son interculturalité et sa multiculturalité.

LE CRILJ, C’ETAIT AUSSI UN CENTRE DE RESSOURCES

    Pendant 35 ans, grâce à son secrétariat permanent, dans son centre national et parisien, le CRILJ engrangera toute information quelle qu’elle soit sur la littérature et la presse de jeunesse, assurera au quotidien toute recherche de documentation, diffusera l’information aidant à une meilleure connaissance de ce domaine.

    Il a été un lieu d’accueil et de travail fréquenté par les documentalistes de collège, les enseignants, les bibliothécaires, les libraires, les animateurs mais aussi les professeurs et étudiants français et étrangers en diverses disciplines s’engageant dans des mémoires ou des thèses liés à l’enfance, la jeunesse, l’édition, la littérature de jeunesse.

( texte paru dans le n° 93-94 – septembre 2008 – du bulletin du CRILJ )

 

Quittant les éditions Stock quand Hachette rachète la maison, Monique Hennequin entre à l’Association nationale pour le livre français à l’étranger (Ministère des Affaires étrangères) où elle est l’adjointe de Lise Lebel. Elle publie chez Seghers en 1969 un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse de langue francaise, non signé, pour la section francaise de l’Union internationale des livres pour la jeunesse (IBBY). Travaillant ensuite à mi-temps au Comité permanent du livre français à l’étranger (Ministère de la Culture), elle assure à compter de 1980 le secrétariat général du CRILJ. Déclarant volontiers ne pas être une militante, Monique Hennequin fut, pendant trente années, l’indispensable cheville ouvrière de l’association.

Qu’est-ce que le CRILJ/Loire ?

 

 La section régionale du CRILJ/Loire est, avec celle de l’Orléanais, la plus ancienne. Sur son site, on peut lire la présentation suivante qui, à l’heure où de nombreuses structures de promotion du livre pour la jeunesse peinent à survivre ou à trouver leur second souffle, affirme sans langue de bois ses raisons d’être et ses objectifs.

Le CRILJ-Loire se donne pour objectif fondamental d’œuvrer à la promotion d’une littérature de jeunesse diversifiée, porteuse :

– d’un patrimoine de valeurs humanistes fondé sur l’accès de tous à la culture, le respect des différences rendant la vie collective possible, le développement de l’esprit critique et de l’esprit de libre arbitre.

– d’une esthétique suscitant plaisir, émotion et questionnement.

( article 2 des statuts )

Le CRILJ est une association militante en faveur de la littérature de jeunesse et qui œuvre au développement de la lecture des jeunes.

Le CRILJ est une association communautaire de personnes partageant leur passion, leur savoir-faire.

Le CRILJ est une association de service délivrant formation et information aux adhérents pour une meilleure connaissance de la littérature de jeunesse et du conte.

Le CRILJ est une association d’intervention auprès des jeunes et des adultes pour donner le plaisir de lire, le plaisir de conter, et peut-être l’envie d’écrire.

( site du CRILJ-Loire : http://www.crilj-loire.org )