Pour Jean Perrot.

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Jean Perrot, professeur émérite en littérature comparée à l’Université Paris Nord 13, fondateur en 1994, à Eaubonne (Val d’Oise), de l’Institut international Charles Perrault, est décédé le mardi 19 décembre 2023. Il avait 86 ans. C’était un ami du CRILJ dont il fut, plusieurs années durant, un administrateur attentif. L’une de nos dernières rencontres se fit à Arras où, invité par Francis Marcoin, au Centre Robinson, il vint témoigner, le vendredi 6 avril 2018, de son parcours d’enseignant, de chercheur et d’auteur. Nous reprenons ci-après l’hommage rédigé et diffusé par Anne-Marie Petitjean, au nom de l’équipe de l’Institut.  (A.D.)

    Jean Perrot vient de nous quitter et l’Institut International Charles Perrault est en deuil. Il nous avait encore très récemment fait le plaisir d’une de ses visites à l’Hôtel de Mézières, en se mêlant joyeusement à un public de jeunes étudiantes en littérature de jeunesse. La vitalité d’un Institut qu’il avait fondé en 1994, sur son lieu d’habitation et en le baptisant avec humour du nom de son illustre homonyme (pas tout à fait homographe) le touchait manifestement. Ses interventions érudites et son regard pétillant nous manquent déjà.

     C’est en passeur assidu que Jean Perrot aura sillonné les décennies d’une carrière qui n’est pas uniquement celle d’un brillant universitaire, mais également celle d’un lettré militant et passionné par la littérature de jeunesse. Il entre dans le champ des livres pour enfants à un moment où leur légitimité comme objets d’études n’est pas encore parfaitement reconnue, nonobstant plusieurs pionniers et surtout Marc Soriano dont il suit la voie à partir de 1976 (1). Sa formation est celle d’un comparatiste, spécialiste d’Henry James dont il cherche à renouveler l’étude par un regard plus finement posé sur le texte que certaines des interprétations du « motif dans le tapis » qu’il trouve gauchement ésotériques. Sa thèse est publiée en 1982 chez Aubier, sous le titre Henry James, une écriture énigmatique. Cet attachement au détail du texte et à la clarté des significations se reconnaît aisément dans la suite de son travail sur les textes pour enfants. Et il ne faut pas s’étonner de ce choix d’objets d’études pour un lecteur de Ce que savait Maisie, premier roman à adopter de manière acérée le regard d’une enfant, spectatrice des égoïsmes parentaux.

    C’est en 1987, par Du jeu, des enfants et des livres que Jean Perrot entame une copieuse série de publications, en son nom et en tant que coordinateur et directeur de collection. Cet ouvrage joue habilement de la référence à Paul Hazard, qui avait dépeint en 1932 la lecture enfantine comme exigeante et habile à choisir elle-même les titres qui lui conviennent, dans Les livres, les enfants et les hommes. Parce que Jean Perrot écrit dans une époque baignée par les analyses de Michel Picard (La lecture comme jeu date de 1986), c’est bien le jeu qui va lui servir de boussole pour donner aux études de plus en plus nombreuses sur la littérature de jeunesse une orientation clairement définie et un balisage qui aide substantiellement à son déploiement. Il reprend et poursuit ces analyses dans Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse en 1999. Mais il faudrait également parler de bien d’autres titres qui ont marqué l’histoire de la recherche sur le livre de jeunesse, et que l’on trouvera bien sûr sur les rayonnages de l’Institut Charles Perrault.

    Fervent défenseur du livre, comme organe majeur de la culture, il en analyse les ressorts et la manière dont le jeune lecteur y exerce un jeu que les meilleurs ouvrages savent rendre subtil et adroitement mouvant. Il n’hésite pas à faire appel à différentes méthodes d’analyse, de la sémiotique à la médiologie, en sollicitant des incursions vers la psychanalyse et le structuralisme. Il reste particulièrement vigilant à la dynamique de création des artistes et ne s’en tient pas aux mots, mais analyse précisément les images et leur rapport au texte. Dans Art baroque, art d’enfance, publié en 1991, Jean Perrot reconnaît dans une nouvelle culture de l’enfance, qu’il qualifie parfois de post-moderne, une filiation directe du baroque. Il y traque patiemment dans l’image comme dans le texte les figures de démesure et d’antithèse et use sans frilosité académique de l’épithète et de la métaphore. Ses formulations saisissantes invitent à le reconnaître comme un habile stylisticien qui ne se contente pas de commenter le style des autres, mais en éprouve les exigences dans le mouvement de son écriture.

   Avec Mondialisation et littérature de jeunesse, en 2008, c’est le spécialiste de comparaison internationale qui balise le champ critique. On ne s’étonnera pas de le voir animer la table ronde La littérature de jeunesse : recherches et formations, un éclairage international lors d’un colloque qui s’est tenu à la BnF en 2011. (2) Dans les actes, il entame son intervention personnelle par la référence à Walter Benjamin et la manière dont il s’est intéressé à l’enfance. « Il y a dans cette rencontre une légitimation tacite des recherches concernant [ce] domaine littéraire ». Parce que Jean Perrot est benjaminien dans son attachement à la culture de l’enfance, il ne peut ignorer ce qu’il appelle la « vidéosphère », les CD-roms et la circulation sur internet qu’il a regardée avec à la fois curiosité et frayeur.

    Mentionnons enfin le Dictionnaire du livre de jeunesse, qu’il dirige avec Isabelle Nières-Chevrel, en 2013, au Cercle de la Librairie. C’est une somme qui réunit les contributions de 133 chercheur.es et fait un point décisif, au fil de dix années de travail, sur la recherche en littérature de jeunesse.

    Ses études, les travaux collectifs qu’il a coordonnés, ses cours d’université et les nombreuses formations qu’il a impulsées, ont toujours tenu à analyser de manière équilibrée le texte et l’image, à ne pas négliger la dynamique internationale qui fait circuler les textes en traduction et à faire reconnaître les filiations entre créations contemporaines et racines dans les siècles passés. C’est cette alchimie rayonnante qui caractérisera pour longtemps sa manière propre de nous parler de livres et d’enfance, et d’en faire le terreau d’une médiation culturelle pour tous, animée par des actions militantes au plus près du terrain que l’Institut se réjouit de faire perdurer.

    Les putti baroques dont il reconnaissait les visages joufflus dans maintes illustrations d’ouvrages contemporains viennent de nous enlever Jean Perrot. Pour notre humble part, nous continuerons fidèlement à faire briller son étoile au ciel de l’Institut.

(samedi 23 décembre 2023)

(1) voir l’entretien donné à Mathilde Lévêque en 2018 : https://magasindesenfants.hypotheses.org/6431  et sa contribution à Recherches et formations en littérature de jeunesse, BnF, 2012, p. 153)

(2) Une vidéo en ligne permet de réécouter Jean Perrot parler des ambitions internationales de l’Institut et de l’esprit qui animé sa fondation. C’est ici.

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Hommage à Ian Falconer

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Le texte qui suit a été écrit, en avril 2023, suite à une commande. Il a bien été transmis, en temps et en heure. Mais – on n’est jamais à l’abri d’un pataquès – il semble qu’il ait été perdu. Invérifiable. En tout cas, c’est un autre texte du même signataire, plus court et nettement moins analytique, qui, emprunté d’office au site ActuaLitté, tiendra lieu d’hommage à Ian Falconer. Après enquête, il s’avèrera que l’imprévisible Olivia ne soit pour rien dans cet curieux micmac . (A.D.)

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Ian Falconer qui créa le personnage d’Olivia, entreprenante cochonnette, est décédé d’une insuffisance rénale, le 7 mars 2023, à Norwalk (Connecticut). Il avait 63 ans..

    Né à Ridgefield, dans le Connecticut, ainé de trois enfants, Ian Falconer fréquenta la Long Ridge School de Stamford puis la Cambridge School de Weston (Massachusetts) dont les principes pédagogiques progressistes lui convenaient parfaitement. Il suivit, pendant deux années, des études d’art à l’université de New York, puis s’inscrivit, comme peintre, à la Parsons School of Design avant de rejoindre l’Otis Art Institute de Los Angeles.

  En 1987, Ian Falconer rencontre David Hockney, qui devient son compagnon, et il l’assiste, à l’Opéra de Los Angeles, pour la conception des costumes de Tristan und Isolde de Richard Wagner. Suivront de nombreuses autres productions, opéra ou ballet, à New York, à Chicago, à Boston et à Londres, pour lesquelles il réalise décors et/ou costumes. À Paris, en 2008, il conçoit, au Châtelet, un dispositif scénique astucieux pour l’opérette Véronique d’André Messager, la mise en scène ayant été confiée à l’actrice Fanny Ardant.

    En 1996, Françoise Mouly, depuis peu directrice artistique du New-Yorker, souhaitant rafraichir le magazine, fait appel à Ian Falconer. « Nous avons passé de longues heures dans les archives, émerveillés par les vieilles couvertures et riant de la façon dont des artistes comme Helen Hokinson, Mary Petty, Charles Addams ou William Cotton ont dépeint les bouffonneries de la bourgeoisie des années trente et quarante. » (1). Trente couvertures, parfois tendres, souvent acides, entre 1996 et 2012. Les lecteurs apprécieront particulièrement celle du 23 novembre 1998 qui montre une vieille dame dont la veste et la jupe s’empourprent à la vue d’une statue grecque toute en muscles.

    Dans les années 1990, Ian Falconer craque devant sa nièce, enfant énergique à qui, alors qu’elle vient d’avoir trois ans, il souhaite offrir un livre. « J’étais juste fasciné par elle et je voulais lui faire un cadeau personnalisé pour Noël. Alors j’ai commencé à travailler. » Les choses, se souvient Ian Falconer, ne sont pas évidentes. Si le style épuré de son dessin est d’emblée apprécié par son entourage, on lui suggère toutefois de retravailler (ou de faire retravailler) son texte. « Quelques années plus tard, Anne Schwartz, de chez Simon and Schuster, m’appelle. Elle aime mon travail pour le New Yorker et elle me demande si je suis intéressé à faire un livre pour enfants. Je lui ai apporté Olivia. » L’album parait en 2000, chez Atheneum Books for Young Reader, et Ian Falconer reçoit la médaille Caldecott qui récompense, aux États-Unis, l’illustrateur du meilleur livre pour enfants de l’année. L’ouvrage restera sur la liste des albums best-sellers établie par le New York Times pendant 107 semaines.

    En France, le livre est accueilli par le Seuil jeunesse et Ian Falconer remporte, en 2001, le premier Baobab de l’album attribué par Le Monde et le Salon du livre de jeunesse en Seine-Saint-Denis. Florence Noiville raconte : « L’histoire, en noir et blanc (avec quelques touches de rouge) de cette petite cochonne qui aime Pollock, Degas et le saut à la corde rappelle un peu celle d’Héloïse, de Kay Thompson, un grand classique de la littérature de jeunesse en Amérique. Peut-être à cause de la spontanéité et de l’humour du trait ? Ou des bêtises d’Olivia ? La vitalité de cette enfant est à la mesure de l’épuisement des parents, si bien que les uns et les autres s’identifieront sans peine aux situations du livre. » (2)

    Ian Falconer assure qu’il ne connaissait pas Héloïse lorsqu’il travailla à son premier livre. Notre plaisir de lecteur n’a, en tout cas, nul besoin de convoquer ce cousinage et le succès mondial de la série (quinze traductions et plus de dix millions d’albums vendus) s’explique par la capacité de l’auteur-illustrateur à se renouveler et à surprendre sans jamais s’éloigner trop de son projet initial. Qu’elle prépare Noël ou qu’elle joue à l’espionne, qu’elle décide de former (seule) une fanfare pour accompagner un feu d’artifice ou de remplacer (seule) les artistes d’un cirque tous malades, Olivia s’active. Ce ne sont pas les idées qui lui manquent, idées qu’elle met en pratique sur l’heure, sans rien demander à personne et aux risques et périls de ses proches, sauf si l’on glisse dans la rêverie. Ainsi, dans Olivia, reine des princesses, si le refus péremptoire de revêtir le classique déguisement de tulle rose est bien réel, c’est dans son lit qu’Olivia s’autorisera à imaginer, juste pour elle, une ultime alternative. (3)

    Ian Falconer cerne ses personnages qu’il ombre en gris léger d’un trait noir très fin et il use de la couleur avec parcimonie, en réservant le rouge à la robe préférée de son héroïne, aux rayures de sa grenouillère, aux rubans qu’elle accroche parfois à ses oreilles. Les mimiques, face et profil, évoquent le cartoon. Jackson Pollock et Edgard Degas ne sont pas les seuls peintres ni les seules personnalités (Eleanor Roosevelt, Martha Graham, Maria Callas) que Ian Falconer invite. Dans Olivia à Venise, toutefois, aucun tableau de maître ni aucune évocation de célébrité, plus de fond blanc systématique non plus, l’illustrateur ayant choisi de saturer ses images en intégrant, sur chacune des pages qui montrent Venise, une authentique photographie des lieux que la famille visite. Ce tourisme, somme toute plutôt traditionnel, est stoppé net quand Olivia met fortement à mal le campanile de la place Saint-Marc. « Je crois que Venise se souviendra de moi », conclut-elle. (4)

    En 2022, Ian Falconer a publié chez HarperCollins Children’s Books, Two dogs, un album qui, l’auteur s’inspirant cette fois de ses neveux, met en scène Perry et Augie, teckels aussi curieux que facétieux. Meilleur livre d’images pour enfants de l’année, selon Jennifer Krauss, critique littéraire au New York Times, ce devait être le premier titre d’une nouvelle série.

     Dès 2001, surpris par le succès de sa création, Ian Falconer avait déclaré au quotidien Newsday : « Toutes ces années, j’ai travaillé si dur pour peindre et pour dessiner et on ne se souviendra de moi que pour ce cochon. » Réaliste, il avait ajouté : « Il y a des choses pires qui peuvent arriver à quelqu’un. »

par André Delobel – avril 2023

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(1) Françoise Mouly, The New Yorker, 7 mars 2023.

(2) Florence Noiville, Le Monde, 23 novembre 2001.

(3) Olivia and the fairy princesses, Atheneum Books for Young Readers, 2012 ; Le Seuil 2012.

(4) Olivia goes to Venice, Atheneum Books for Young Readers, 2010 ; Le Seuil 2011.

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Retour sur colloque

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   Vraiment un colloque d’une rare excellence qui s’est tenu à la médiathèque Marguerite Yourcenar, ces vendredi et samedi, et je me sens très privilégiée d’avoir pu y assister presque en entier :

   La mémoire dans la littérature jeunesse, avec tout ce que le concept de mémoire implique :

– mémoire personnelle avec le discours d’ouverture, extrêmement poignant, de Mickaël Brun-Arnaud à propos de son livre Mémoires de la forêt,

– mémoire des histoires avec une heure de conférence contée absolument happante, en compagnie de Muriel Bloch,

– mémoire collective avec une intervention qui a serré toutes les gorges : La Shoah dans les albums jeunesse avec Eléonore Hamaide et Christophe Meunier,

– une table ronde d’une gravité et d’une lumière inoubliables avec Yaël Hassan, Rachel Hausfater et Rolande Causse sur l’écriture de la Shoah pour les enfants,

– mémoires numériques avec le travail fascinant de Vincianne D’Anna sur les parallèles entre bibliothèque familiale et Booktok,

– trous de mémoire de la traduction, avec Anne Schneider,

– table ronde pleine de questions piquantes sur la recontextualisation (ou non) des œuvres anciennes qui ont mal vieilli, en compagnie de Marie Lallouet, Carine Picaud et Monique Malfait-Dohet,

– personnages littéraires qui se souviennent, ou non, qu’ils sont des personnages littéraires, avec Graziella Deleuze,

– les nombreuses et rocambolesques amnésies des héros de romans ado, avec Soizic Jouin,

– et j’en passe – pardon – mais les absents ne sont pas… oubliés.

    De mon côté j’ai présenté un petit projet de recherche en cours sur les livres d’activités pour enfants de type capsule temporelle, avec une photo de mon pote Marcel et sa fameuse capsule temporelle à tremper dans le thé.

    Énormes remerciements au CRILJ pour l’organisation de ce colloque dont les actes seront bientôt disponibles.

Clémentine Beauvais – 15 octobre 2023

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Clémentine Beauvais est enseignante-chercheuse dans le département d’éducation de l’université de York (Grande Bretagne). Elle est également autrice et traductrice de livres jeunesse et elle mène de nombreux ateliers d’écriture et de traduction. Son dernier livre, Écrire comme une abeille : de la lecture à l’écriture (Gallimard, 2023), s’intéresse à l’écriture du livre pour enfants à partir d’une approche analytique de la lecture des textes. Son dernier roman jeunesse, Les Facétieuses, a été publié, en 2022, par les éditions Sarbacane. Clémentine Beauvais est l’actuelle marraine des Petits champions de la lecture.

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Zaü à Moulins

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Zaü, les autres, l’ailleurs…

Une lumineuse exposition pour un généreux « faiseur d’images »

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    Le jeudi 6 juillet 2023, une chaleur presque tropicale s’était installée à Moulins sur Allier dans le Musée de l’illustration jeunesse (mij) pour le vernissage de l’exposition consacrée aux illustrations du dessinateur Zaü, nom artistique d’André Langevin. Cette température s’accordait parfaitement avec les horizons tropicaux d’une grande partie des albums présentés mais également avec la décoration africaine des salles. L’artiste, Alain Serres qui est son éditeur et co-auteur, et Emmanuelle Martinat-Dupré, responsable scientifique du musée et commissaire de l’exposition, ont guidé une assemblée d’heureux visiteurs dans la découverte des salles que le musée consacre cette année à l’univers graphique de ce « faiseur d’images ».

    L’exposition qui pourra être vue jusqu’au dimanche 19 novembre 2023 prend place à l’étage de l’Hôtel de Mora et rassemble de nombreux originaux ainsi que des travaux préparatoires et des vidéos qui permettent à tous d’apprécier les choix graphiques et thématiques d’un artiste particulièrement ouvert aux cultures du monde, inspiré par ses voyages et la diversité humaine.

    Réunissant les originaux de son fonds à des prêts externes, comme ceux du fonds patrimonial de l’Heure Joyeuse qui possède une belle collection d’archives de Zaü, le mij célèbre cette année la carrière d’un dessinateur de 80 ans qui a publié ces premiers albums à la fin des années soixante. Après avoir consacré des années de création à la publicité et à la presse, il a déployé une imposante bibliographie chez divers éditeurs jeunesse. L’exposition célèbre cette prolifique bibliographie à partir d’une sélection choisie parmi ses 120 albums. Cette consécration était logiquement attendue depuis le Grand Prix de l’illustration jeunesse qui lui a été décerné en 2011 pour Mandela, l’africain multicolore (Rue du Monde, 2010), album de l’auteur-éditeur Alain Serres avec lequel il a créé,  depuis 1997. presque 50 livres en collaboration

    Comme à son habitude, le mij a créé un écrin cohérent avec l’univers graphique de l’artiste : pour immerger le visiteur dans la création de Zaü, l’aménagement des salles prolonge les images des albums, notamment en agrandissant les traits de son pinceau qui soulignent et relient ainsi les originaux exposés.

    Cette scénographie met en évidence la prédilection de Zaü pour le dessin du mouvement, montrant la vitalité élégante des tracés à l’encre que le dessinateur travaille sur les fonds blancs des pages et certaines salles témoignent également des couleurs avec lesquels le dessinateur joue, souvent avec audace, reprenant des motifs textiles chatoyants ou jouant avec des aplats monochromes.

« Zaü ne veut jamais être trop rangé, trop propre, il faut que son image palpite de quelques décalages ou débordements parce que c’est toujours dans le mouvement que ses couleurs s’immiscent. » (Alain Serres, dans le catalogue de l’exposition)

    Ses illustrations, encres, acryliques ou pastels, mobilisent un imaginaire diurne, lumineux, où les paysages et horizons ouverts sont souvent montrés comme surexposés ou vibrants de chaleur. Les silhouettes des arbres ou des personnages se détachent ainsi sur les pages avec l’élégance d’une calligraphie qui évoque plus qu’elle ne décrit. Les choix muséographiques amplifient ainsi l’atmosphère visuelle vibrante, gaie et solaire, que Zaü privilégie et le visiteur comprend sa préférence pour les horizons lointains, antillais ou malgache, et très souvent africains. Janine Kotwika, complice de l’artiste depuis des années et spécialiste de l’album, se souvient dans le catalogue de l’exposition de son émotion face à ses illustrations exaltantes de l’Afrique et, pour reprendre l’expression de Janine Kotwica, « la sensualité des coloris » de ses pages de carnets.

    Mais les albums manifestent aussi l’importance centrale de ceux qui peuplent ses pays, humains et animaux : les originaux exposés mettent en évidence le regard, respectueux et tendre, que Zaü pose sur les habitants de ces « ailleurs ». Du côté du bestiaire, plusieurs espaces témoignent de son art magistral pour donner vie aux animaux saisis en mouvement dans leur milieu naturel.

« Pour lui aucun dessin n’a le droit de pétrifier un oiseau. Rien ni personne n’est une statue définitive, pas plus que nous ne sommes une couleur immuable » (Alain Serres, dans le catalogue de l’exposition)

    Et du côté de la galerie de personnages, les portraits d’une humanité diverse et souriante peuplent les salles du musée : une grande douceur est communiquée par ces visages qui occupent les pages des albums et disent l’importance de la rencontre de l’artiste avec les « autres ». Chaque portrait impose une présence forte et installe une empathie avec celui, visiteur ou lecteur, qu’il prend à témoin. Parmi les nombreux sourires, de pure joie ou de malice pour les enfants, on est frappé par la dignité et l’intensité de nombreux regards souvent frontaux qui invitent à la rencontre.

Extrait du catalogue  : planches préparatoires pour Mille dessins dans un encrier (Alain Serres, Rue du Monde, 2017)

    Cette représentation des personnages se place au service d’un propos engagé, ce qui s’avère une caractéristique dominante chez l’artiste : les livres s’adressent à un jeune lecteur citoyen du monde et ses dessins offrent une iconographie élégante pour un regard positif et bienveillant sur l’humanité. Plusieurs salles de l’exposition insistent ainsi sur les valeurs que sait défendre l’illustration de Zaü au côté des auteurs des textes des albums : défense des droits, antiracisme, mémoire historique, liberté et solidarité…

    L’exposition témoigne ainsi de la singularité d’un regard sur le monde, contemplatif et empathique, qui frappe par son humanité et la puissance de son interprétation graphique. Il faut souligner l’important dispositif de médiation que le mij déploie dans les salles pour faire découvrir l’iconographie de Zaü avec des activités différentes, de nombreux coins lectures, du matériel à manipuler et plusieurs vidéos.

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Quelques moments du vernissage

  • Alain Serres, au côté de Zaü, analyse pour l’auditoire l’album Mandela, l’africain multicolore commentant les choix graphiques de l’artiste en rapport avec le récit de la longue détention de Mandela : il fait remarquer la mise en page créant une atmosphère sombre et enclose de la cellule d’emprisonnement qui est reprise dans les 27 pages consacrées aux 27 années de prison du célèbre militant anti-apartheid.

  • Zaü présente l’album Te souviens-tu de Wei ? paru avec un texte de Gwenaelle Abolivier (HongFei, 2016) : ce récit rend hommage aux ouvriers chinois venus en France comme main-d’œuvre au moment de la Première guerre mondiale et très vite oubliés par l’Histoire, mais aujourd’hui leurs tombes sont au cimetière chinois de Nolette à Noyelle-sur-mer en Picardie. Les originaux sont exposés dans une salle dont les mots-clés sont mémoire, respect et liberté..

  • Au côté de Alain Serres, Emmanuelle Martinat-Dupré revient sur le best-seller de la maison d’édition, Une cuisine grande comme le monde (Rue du monde, 2000) qui a donné lieu par la suite à une version pour les plus petits. Ce carnet de voyage qui se double d’un carnet de recettes est une magistrale démonstration de l’art de la couleur de l’illustrateur.

  • Plusieurs originaux montrent le superbe bestiaire africain de Zaü pour lequel Alain Serres a écrit le texte de l’album L’enfant qui savait lire les animaux (Rue du monde, 2013).

  • Ces originaux font découvrir un album publié à L’Elan Vert en 2015 dans lequel Bernard Villiot adapte un conte scandinave sur l’entraide. Un nid pour l’hiver rompt un peu avec le style graphique habituel de Zaü qui opte ici pour des papiers découpés.

  • Un coin aménagé pour une invitation au dessin et pour la projection du film  Animaux à l’encre de Chine avec Zaü réalisée dans le cadre de la web série « 2 yeux, 10 doigts » (Bibliothèques de la ville de Paris, Bibliocité). D’autres films mis à disposition dans le musée permettent de voir le pinceau donner forme aux images, accompagné par le commentaire de Zaü. L’artiste explique que la vivacité de son trait, la rapidité de son exécution au pinceau viennent de la pratique du rough pour la publicité, mais si cette maitrise graphique pourrait laisser croire à une réalisation rapide des illustrations, les planches des livres font l’objet d’un travail préparatoire conséquent à partir d’une importante documentation et de nombreux essais.

  • Photogramme du film Zaü, réalisé par Joel Bonnard et Simon Barral-Baron, pour la société Titania, dont la vidéo est projetée au rez-de-chaussée du musée. Le film insiste sur l’importance des voyages et des croquis collectés à la source des dessins des albums.

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En guise de conclusion

    Au vu de la très imposante bibliographie de Zaü (plus de cent-vingt albums), on comprend les choix thématiques de cette exposition qui permet de comprendre plusieurs dimensions essentielles de la création de l’artiste. Espérons que les visiteurs de l’exposition, curieux de prolonger la découverte, liront ensuite d’autres titres.

    Je me permets, pour finir,  de suggérer deux petits albums absents de l’exposition dans lesquels la vibrante efficacité des images de Zaü se marie merveilleusement bien avec les haïkus : Le petit cul tout blanc du lièvre de Thierry Casals (Motus 2003) et Sous la lune poussent les haikus de Ryôkan (Rue du monde, 2010).

par Christine Plu – août  2023

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Christine Plu, docteur en littérature générale et comparée de l’université de Rennes 2, a enseigné à l’université de Cergy-Pontoise, Masters Education et formation et masters spécialisés en littérature de jeunesse. Son blog, La littérature de jeunesse avec ses images, est ici.

Merci à Christine Plu pour son texte et pour ses photographies.

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RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES

. Zaü, les autres, l’ailleurs… Catalogue de l’exposition (Musée de l’illustration jeunesse, Les éditions Sekoya, 2023).

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Hommage à Sara

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C’était il y a plus de trente ans. À l’occasion de la première édition américaine de A travers la ville (Épigone, 1990), sur le rabat de la jaquette de l’ouvrage qui parait chez Orchard Books (Across the town, 1991), une dédicace adressée par Sara à quatre élèves de ma classe de cours préparatoire qui lui avaient écrit pour lui faire part de leurs réflexions.  (A.D.)

Éternelle Sara

En hommage à Sara, autrice-illustratrice de littérature jeunesse, partie le 5 août 2023.

    Il y a longtemps que nous n’avions pas vu Sara. Notre dernière rencontre avec la créatrice remonte à l’été 2019, alors que Charlène Lai, une journaliste taiwanaise de passage en France, souhaitait l’interviewer. Chaleureusement et pleine d’élégance, Sara nous a ouvert la porte de son petit appartement-atelier aux Sables-d’Olonne et, pour l’occasion, nous a offert une démonstration de sa technique de prédilection : le papier déchiré. Au travers d’un geste mille fois répété et perfectionné – une règle à l’appui sur une feuille de papier qu’elle faisait tourner – une pomme a émergé prête à être croquée. C’était de la pure magie, doublée de la fraîcheur de l’enfance éternelle.

    Ce jour-là, il faisait grand soleil et très chaud, plus de 30°C. À peine étions-nous sortis de la voiture au lieu du rendez-vous que nous vîmes Sara paraître au coin de la rue, venue nous accueillir là, les pieds dans de petits souliers couleur argentée. Son allure légère faisait penser à une dame marchant avec plaisir sous le ciel d’une journée d’un printemps perpétuel, à 22°C.

Tout comme cette douceur constante de la température qui paraissait entourer Sara, son âge ne semblait pas connaître de mouvement depuis notre première rencontre en 2013, lorsque nous l’avions sollicitée pour illustrer Un bon fermier, un poème de Su Dongpo du 11e siècle. Ce texte très simplement descriptif d’une agriculture respectueuse de la nature – nos contemporains diraient « bio » – est étonnamment intemporel. Qui, alors, mieux que Sara pour l’illustrer, elle dont l’art visuel et narratif vibre, splendide et serein, sans jamais passer de mode ? Cet album fut également publié en langue chinoise à Taiwan.

    Cette première collaboration en appela une deuxième sur L’Invité arrive, un poème de Du Fu du 8e siècle publié aux éditions HongFei en 2014. Sa scénarisation par Sara est aussi saisissante que le texte est court, dense et universel. Entre l’hôte et l’invité, entre le quotidien et l’exceptionnel, entre la simplicité des moyens et la cordialité des intentions, tout cela étant présent au texte, Sara a créé un espace de fluidité où les sentiments circulent sans entrave et sans cesse, à l’instar de ces vers vieux de douze siècles et qui vivent encore.

    Aujourd’hui, Sara nous laisse seuls, de cette solitude lucide et lumineuse aux yeux grands ouverts qu’elle donnait à voir dans l’image créée pour notre album collectif « Dix ans tout juste » paru en 2017.

    Aujourd’hui, « l’invitée » est partie. Elle laisse un vide aussi incommensurable que son humanité. Mais un vide d’où jaillit déjà une vie nouvelle.

par Chun-Liang Yeh et Loïc Jacob –  mardi 8 août 2023

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Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh ont créé les éditions HongFei Cultures en octobre 2007. La maison est,  depuis janvier 2013, installée à Amboise, en région Centre-Val de Loire.  Le catalogue des éditions HongFei compte 130 titres et la maison limite volontairement le nombre annuel de nouveaux titres à une dizaine, principalement des albums illustrés destinés aux lecteurs de 0 à 12 ans, mais aussi des carnets de voyages pour tout public à partir de 13 ans.

Pour la route

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Disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ils en sont encore aux tout premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs.

Il faut qu’ils sachent que, ô merveille, ils ont une œuvre, faite de mille œuvres, à accomplir, ensemble, avec leurs enfants et avec les enfants de leurs enfants.

Disons-le, haut et fort, car, beaucoup d’entre eux ont entendu le contraire, et je crois, moi, que cela les désespère.

Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n’est pas encore terminée et qu’elle leur appartient.

Extrait des vœux offerts, en décembre 2013, aux lecteurs de Médiapart par Ariane Mnouchkine, metteuse en scène, fondatrice du Théâtre du Soleil.   (version complète en ligne)

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Le Théâtre du Soleil et sa marionnette, une allégorie de la Justice, manifestent, à Paris, le mercredi 12 octobre 2022, contre la réforme des retraites. (photo non créditée)

Forcément politique

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   L’ouvrage que signe Christian Bruel, L’aventure politique du livre jeunesse (La fabrique, 2022), aura rassemblé, au-delà même des professionnels de la profession, un lectorat conséquent. Ne s’en étonneront que ceux qui estiment (encore) que la littérature jeunesse est une littérature neutre et que politique est un grand méchant mot. Le quatrième de couverture – que nous reproduisons ci-après – annonce d’emblée que quelques vérités vont être rétablies et il invite sans ambages à réactiver l’esprit de résistance dont la littérature pour la jeunesse de notre époque a, elle aussi, plus que jamais besoin.  (A.D.)

« Si elle se donne souvent comme paisible et consensuelle, l’offre de lecture adressée aux enfants et aux jeunes est toujours politique, qu’elle conforte l’ordre des choses ou qu’elle lui résiste. En partageant nombre de ses lectures jubilatoires, admiratives ou circonspectes, Christian Bruel souligne tant la fécondité luxuriante d’une production créative à la marge, que l’inlassable travail des idéologies s’agissant de la famille, de l’école, du genre, de la sexualité, de l’économie, des discriminations, de l’esthétique, de la compétition, de l’écologie et de l’avenir. Entre le relevé commenté des frilosités sociales, des évitements manifestes et des conformismes rentables, se glissent des propositions pour une autre formation littéraire des destinataires… et aussi une mère célibataire épanouie, une mare collectivisée par ses canards, des enfants solidaires résistant à « ceux qui décident », un chien libertaire se disant conservateur, l’indispensable travail du texte et ses articulations nouvelles avec  les images, quelques masculinités moins hégémoniques, des filles rebelles plus nombreuses, et de possibles mondes entrevus. »

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Grandes questions (1)

     Cet essai, très attendu dans le champ de la littérature jeunesse, plaira à celles et ceux qui accordent aux lectures juvéniles d’autres fonctions qu’une vague distraction (même s’il est beaucoup question de jubilation dans ces pages). Si le créateur visionnaire d’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon (2), Christian Bruel, y défend « bec et ongles » les productions pour la jeunesse, celles qui émerveillent et qui informent, il en attend d’autres fonctions : qu’elles dévoilent le présent, qu’elles révoltent et qu’elles projettent les enfants et les adolescents dans l’imagination d’un « futur désirable ». Qu’elles « arment leur volonté d’agir ». Contre les pratiques éditoriales infantilisantes et lénifiantes (découpage en tranches d’âges, représentations sociales tronquées et stéréotypées, manque d’inventivité dans les formes et contrôle des thèmes), l’essayiste se prononce en faveur d’objets culturels polysémiques nécessitant une « qualification scripturale littéraire et idéologique » acquise dès le plus jeune âge, à la croisée de la famille, de l’école, de la bibliothèque, du centre de loisirs, du club ou de l’association, dans le droit fil de l’éducation populaire. Il se dégage de ces pages des convictions « chevillées au corps » qu’une longue expérience dans le champ de la littérature de jeunesse a permis de roder : deux fois éditeur (3), Christian Bruel est toujours auteur, formateur, membre du conseil d’administration de l’Agence quand les livres relient, vice-président du Centre de promotion du livre de jeunesse, partenaire de nombreux acteurs du livre et de la lecture et de leurs événements. Sur plusieurs fronts, un œil sur la production et la réception, l’autre sur l’état du monde, il ne se préoccupe pas de « faire le départ entre ce qui serait littéraire et ce qui ne le serait pas » mais considère la lecture (toutes ses formes) comme un mode de partage des facultés de repenser le monde (il a d’ailleurs publié, avec Katy Couprie, « un genre » d’utopie sociale (4)). Pour lui, les livres doivent, très tôt, contribuer à l’éducation de « sujets politiques, créatifs, plus enclins à infléchir la demande qu’à consommer l’offre, des sujets se mêlant de ce dont on tend à les écarter. » D’où sa sympathie pour ces microclimats de lecture où des professionnels de la culture et de l’éducation, des parents, des citoyens tiennent à bout de bras des espaces de rencontres et d’échanges autour des livres et des magazines. Se méfiant comme de la peste d’une culture qui ferait l’économie des rapports sociaux de production, il porte le fer contre les discours analgésiques en faveur d’une culture universelle : « Comment vouloir partager la culture quand l’humanité ne jouit pas des mêmes droits et que les richesses, fruits du travail du plus grand nombre, sont confisquées par une extrême minorité ? ». S’il privilégie les albums (fictions, documentaires) c’est que la coprésence sur un même support de deux langages (le texte et l’image) offre des opportunités infinies à l’interprétation, la « négociation publique de sens », pour reprendre l’expression de Jérome Bruner (5).

    Il faut l’entendre lire l’histoire la plus innocente, Poule rousse par exemple, pour comprendre à quel point la lecture peut être créative pour peu qu’on s’intéresse aux « inflexions conjointes du texte et des images », aux « capillarités », aux « entrelacs » – tout un vocabulaire révélateur de la jouissance de l’exégète. Dès l’introduction, le ton est donné : ce livre n’est pas un énième plaidoyer en faveur des « bons livres », une suite de prescriptions éclairées, mais un manifeste en faveur des manières de lire et des raisons d’agir : « Voir, et voir comme voient les myopes jusque dans les pores des choses », écrivait Flaubert (6). Aux lecteurs et aux lectrices de faire « leur miel » non pas à partir d’une sélection éclairée (production restreinte) mais « avec l’offre telle qu’elle se présente » et telle qu’elle est contrainte : « L’hyperconcentration des médias et des entreprises culturelles entre les mains de quelques milliardaires notoirement philanthropes ayant fait fortune dans le bâtiment, le luxe, les armes et la téléphonie non seulement participe d’un nivellement des imaginaires et des savoirs mais asservit le bien public qu’est l’information et fragilise la démocratie en permettant toutes les accointances et les opérations concertées entre les pouvoirs en place et les oligarchies de fait ». Si les formes privées de la lecture sont protégées, c’est du côté des interactions sociales et de leur réinvestissement que se place majoritairement cet essai : « Un futur désirable ne saurait être imaginé sans la contribution au commun, volontaire et à sa mesure, de chaque génération. Et ce dès le chemin. » 

    Dès l’introduction, dense et offensive, l’auteur lève de sacrés lièvres sans les porter en triomphe : pour que les « jeunes lectures durent toujours », elles doivent étayer toutes les façons de grandir (7) et narrativiser toutes les expériences. Le compte est loin d’être bon même si des pas ont été franchis : on n’en est plus (ou presque) à la transmission verticale ni à la persuasion brutale (le statut de l’enfant a changé), on ne croit plus au grand soir et aux lendemains qui chantent (mais à des luttes créatives, respectueuses des équilibres humains et physiques). Ce qui reste à faire est cependant colossal : l’augmentation du nombre de lecteurs ne se fera pas sur le modèle de la pratique « d’une minorité qui, tout à la fois, grâce à elle, domine, s’identifie, et se distingue » mais en faisant en sorte « que s’inventent de nouveaux lecteurs et de nouveaux écrits » (8). C’est cette politique de lecture qui se cherche à travers cette aventure du livre jeunesse et qui anime le combat de Christian Bruel dans le champ de l’édition, de la création, de la formation et du débat politique.

Des hauts et des bas (9)

     Le ton de cet ouvrage est tout en variations : l’inflexibilité côtoie l’ouverture, l’analyse est bordée d’emballements, la logique fraye avec les digressions. L’auteur est non seulement un lecteur érudit mais un brillant orateur habitué à passer en un éclair de l’analogie à l’ellipse, de la fascination au rejet, de la gravité à l’ironie. De là des associations qui rompent la démonstration, des phrases laissées en suspens réservées aux lecteurs avertis, des sauts à travers les époques, des irritations, des enthousiasmes, des doutes et quelques nuances à la radicalité. Le vocabulaire témoigne de la diversité des champs disciplinaires convoqués (linguistique, littérature, politique, psychanalyse, psychologie, sociologie) : des termes surannés (benoîtement, nonobstant) aux expressions latines (ad patres), des locutions (Au diable !) aux jurons (Morbleu !), du répertoire technique de l’imprimerie aux convictions idéologiques, l’orateur n’est jamais loin de l’écrivain : « provere, docere, flectere » (prouver, charmer, fléchir). Dans l’espoir de faire connaître « les lignes de force de l’ensemble de la production », un nombre important de livres sont présentés (10) qui renseignent sur les hauts et les bas d’un répertoire tant romanesque que documentaire, poétique que théâtral ou encore journalistique. La culture de l’auteur sur ce sujet est ébouriffante, peut-être intimidante pour un lecteur néophyte plongé dans un dédale de références plus ou moins actuelles. Ce livre est incarné et sa lecture demande un effort mais c’est en surmontant la difficulté qu’on atteint les étoiles, pour paraphraser ici Alberto Manguel (11). La construction de l’ouvrage, tout en tuilage, apporte toutefois de l’aide (12).  Le lecteur cahoté peut être repris plus loin par le développement d’un sujet esquissé en amont, souvent sous un autre angle et, pour les domaines moins développés, faute de place, l’auteur renvoie à des travaux plus documentés (pour le théâtre ou la chasse par exemple).  On peut, sans dommage pour la compréhension, sauter quelques présentations de livres, y revenir plus tard et, si comme c’est parfois le cas, des titres ne sont plus édités, se rendre en bibliothèque : l’un des atouts de cet ouvrage, et ce n’est pas le moindre, c’est de mettre en valeur les réseaux de lecture publique et leur dynamisme persistant malgré la réduction constante des crédits de fonctionnement et des temps de formation.

Précautions d’usage (13)

     Président du groupe jeunesse du Syndicat national de l’édition (élu en 1992, réélu en 1995), Christian Bruel a eu à défendre l’imprimé (ses coûts de production, sa présence dans le tissu social) et le statut des auteurs et autrices, leur liberté d’expression. Filtres, freins, faux-semblants, tout concourt à protéger les jeunes lecteurs des sujets qui divisent.  A côté des dispositifs officiels de surveillance (loi du 16 juillet 1949 encadrant les productions pour la jeunesse) et des obstacles structurels (hyperconcentration des médias, raréfaction des points de vente), les pressions de la vox populi sont, de loin, les plus efficaces. Bien documenté, tout le passage sur la censure est aussi inquiétant qu’édifiant. Des groupes s’organisent autour des maisons d’édition (sensivity readers) pour faire retirer d’un catalogue un auteur à la biographie trouble ou bien un livre au contenu inconvenant « au risque de faire peu de cas du contexte, de l’humour, du second degré, ou des discours rapportés, et tout simplement des gouffres séparant ce qui est dit et montré dans une création de ce qui, dans la vraie vie, pourrait être revendiqué ou encouragé par les artistes. » Les droits d’achat et de vente à l’étranger privilégient certains modèles sociaux en occultent d’autres empêchant le jeune public de « roder son rapport au monde » d’en questionner les évidences comme les opacités : « Il nous faudrait admettre le trouble, cette nécessaire condition du sens et l’évidence double qu’il n’y a pas une mais des lectures et qu’une lecture garantie sans risque n’a pas de sens. » (14) Ayant lui-même dû batailler (et bataillant encore) contre les censeurs lorsqu’il était éditeur, Christian Bruel sait de quoi il parle et pourquoi il défend ardemment les livres qui nourrissent la réflexion sur les sujets les plus intimes (le corps, le genre) comme les plus collectifs (l’autorité, la compétition, la production et le partage des richesses, la défense du bien commun). Il rend hommage aux documentaires qui, contre vents et marées, informent respectueusement les enfants sur des questions auxquelles les jeunes lecteurs ont déjà commencé à répondre depuis le plus jeune âge : « Avant d’être lu par personne, le livre non littéraire a toujours déjà été lu par tous, et c’est cette lecture préalable qui en assure sa ferme existence » (15). Ses analyses, associées à des exemples, sont le plus souvent implacables. S’il reconnaît des avancées chez les éditeurs les plus classiques et des maladresses du côté de l’avant-garde, il déplore le manque de subversion d’une édition que sa bonne santé économique pourrait conduire à davantage d’audaces (tant sur le fond que sur la forme). Un chapitre échappe aux regrets : celui qui évoque la presse « rebelle », son souffle, ses chaos, ses enchantements et ses déboires.

Premières nouvelles  (16)

     Il était un temps (fin du XIXème siècle) où l’on n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Les choses étaient dites sans ménagement et les enfants envisagés selon leur genre et leur condition sociale (Tu seras ouvrière, 1887 / Petit Pierre sera socialiste, 1913). A côté d’une presse confessionnelle qui cherchait à récupérer « les âmes » que l’école laïque lui avait retirées et d’une presse commerciale peu scrupuleuse, vivait une presse socialiste bien déterminée à former les futurs révolutionnaires : « C’est sur l’esprit des enfants que nous devons prendre notre revanche, et la révolution, nous devons la préparer avec des gamins de 7 ans« , « Changer quoi ? TOUT. » (17) Christian Bruel se régale de passer en revue les héros de cette presse antimilitariste, pro-syndicale et internationaliste : pas des « rejetons princiers » vivant des « aventures au-delà des mers » comme dans la presse bon marché, mais des jeunes, ouvriers ou paysans, évoluant à l’atelier ou dans les champs et s’exprimant dans une langue populaire et truculente. Il se réjouit de montrer combien, parmi les intentions clairement affichées (alors qu’elles sont aujourd’hui diluées), figurait la volonté de mobiliser la jeunesse autour des questions de justice sociale, de féminisme, d’antiracisme, de solidarité. Pas question d’information « objective », il fallait choisir son camp, ni de fiction distractive, dissipatrice de la force contestataire. On sent le penchant de l’auteur pour cette entreprise émancipatrice même s’il en pointe les naïvetés et les caricatures, les formes plus ou moins dissimulées d’embrigadement. Avançant dans le temps, il montre comment le souffle de cette presse a cherché à perdurer ou à renaître, notamment après mai 68. L’exemple de Virgule est éclairant à ce sujet. Héritier de Francs-Jeux, ce magazine a tenté, à travers ses nombreuses rubriques, d’interagir avec les lecteurs et les lectrices à propos de sujets d’actualité plutôt brûlants : l’antisémitisme, les châtiments corporels, le chômage, la guerre d’Algérie, l’Islam, le racisme, le sexisme, etc). À la place de rédacteur en chef, drôle et parfois féroce, se trouvait Pierre-Elie Ferrier (autrement connu sous le nom de Pef), qui sera remercié quand le journal sera vendu aux éditions Nathan.

    « La complète disparition des publications jeunesse sur papier un tant soit peu engagées a bien sûr à voir avec les difficultés générales de la presse mais surtout avec l’évidente réticence d’une large part du tissu social à considérer les enfants et les jeunes comme étant les destinataires légitimes de productions originales s’agissant du social et du politique. » À aussi à voir avec notre propre négligence ou lâcheté : combien sommes-nous à avoir soutenu Virgule mais aussi Griffon succédant à Trousse-Livres ? (18) Chacun dans notre bulle nous protégeons nos « boutiques » chancelantes, engloutis que nous sommes par les demandes de subventions quand notre plus grande richesse est dans l’intelligence collective, l’alliance.

    Quand il évoque la presse jeunesse actuelle, Christian Bruel montre sa bonne santé (290 publications lues par 9 millions de personnes âgées de 1 à 18 ans). Plus stable que le livre grâce à la permanence de ses rubriques, plus souple car plus réactive à l’actualité, elle a perdu en engagement social et politique mais gagné en respectabilité auprès des parents dont les opinions et les croyances sont préservées : à côté de fictions plaisantes, de jeux et de blagues, des dossiers bien ficelés offrent aux enfants et aux adolescents des « gisements de références pérennes » à la neutralité rassurante même lorsqu’ils abordent des sujets clivants (politique, religion, sexualité). L’auteur s’interroge sur cette dérive documentaire ou scolaire qui éloigne les nouveaux périodiques du temps où la presse jeunesse « était une voix avant d’être un écho » et pose la question de la lecture comme source d’émancipation quand l’information se borne, par exemple, à présenter le fonctionnement institutionnel s’interdisant « tout abord critique du dispositif, de son histoire, des phénomènes sociaux, des mécanismes de la domination, de la confiscation du pouvoir délégué, de ce qui fonde les rapports de force et les positions personnelles. » Raison pour laquelle, il ne manque pas tout au long de ce livre, de louer l’engagement d’acteurs divers dans les associations, les bibliothèques, à l’école, dans les centres de loisirs, les villages et les villes. Il a veillé à n’oublier personne et la dispersion des noms tout au long des pages rend bien compte de l’émiettement des forces sur le terrain. Les BCD mais aussi les Villes-lecture (19) avaient cette ambition d’inscrire l’éducation des enfants au cœur des rapports sociaux (leurs tensions) mais les programmes scolaires de 2002, pourtant audacieux, ont préféré se concentrer sur la possibilité des livres de réunir les enfants de toutes conditions à travers une culture commune : « L’aspiration à l’universalité neutre de l’enseignement public épousait enfin une production dont l’expansion continue se faisait au prix d’un calibrage anhistorique et apolitique ». Pour qu’un autre monde soit possible, ce livre demande autre chose à la littérature qu’une réconciliation des imaginaires.

Pour un autre merveilleux (20)

     L’aventure politique du livre jeunesse est un livre qui secoue les consciences, recense les forces en présence, récapitule les luttes passées et réactive l’esprit de résistance. Le développement de la lecture (et de l’écriture) est au cœur de communautés agissantes où chacun/chacune y gagne en « estime de soi, en intelligence sensible et sociale du proche et du lointain ». Il faut des formateurs, incarnés, positionnés, interlocuteurs d’une jeunesse ni idéalisée, ni stigmatisée mais prise dans la diversité de ses conditions d’existence et de ses ambitions. Il faut des aides à la création (à travers des bourses ou des conservatoires) pour élargir l’origine sociale des auteurs : « Il ne s’agit pas de revenir à de vieilles lunes ouvriéristes, mais seulement de contrarier l’idéologie tenace du don et d’ouvrir au plus grand nombre la chance, le pouvoir et la responsabilité d’émouvoir et de renseigner l’immense reste du monde. » Ce livre, au beau titre, nous invite à la plus passionnante des aventures : l’exploration de nos utopies, de leurs failles invisibles à leurs promesses oubliées. Aujourd’hui, comme à d’autres époques, pour des raisons qu’aiguise la situation climatique, la littérature et la presse sont des armes pour comprendre et agir, ici et maintenant. Ce qui reste à inventer « excède les possibles déjà repérés, écrit Jean-Luc Nancy et implique d’ « ouvrir des chantiers sur les lieux-même du désarroi et de l’impuissance. » (21) On peut considérer le livre de Christian Bruel comme une pierre apportée à cette construction qui, pour se concrétiser n’aura jamais autant eu besoin d’imaginaire et de détermination, d’auteurs et d’éditeurs, de lecteurs : « Beaucoup d’auteurs et d’autrices, en admettant qu’ils et elles le veuillent, hésitent à oser les lignes de force d’une projection temporelle prenant à bras-le-corps un futur perfectible et accessible. Il s’agit d’aborder l’inconnu, de trouver une forme éloignée de la prophétie et suffisamment assurée d’elle-même. Cet inconnu-là demeure étrangement inquiétant tant sa cohérence et sa crédibilité rendent indispensable le dévoilement des matrices économiques et idéelles présentes et à venir. S’arrêter en chemin, préférer les utopies inverses, les utopies du pire, les dérives totalitaires, les reconstructions post-apocalyptiques chaotiques et les luttes localisées pour la survie de l’espèce humaine, est doublement tentant. L’adrénaline y gagne ce que perd la prospective politique à ce refus d’obstacle et le lectorat, tenu dès la petite enfance à l’écart de tout creuset ayant l’impossible comme but, se trouve conforté dans un impensable de rapports sociaux et humains autrement exaltants. » C’est à cet enthousiasme, subjectif et collectif, que nous convie ce livre aussi lucide que courageux.

par Yvanne Chenouf

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1. La grande question, Wolf Erlbruch, Être, 2003 (réédité par Thierry Magnier en 2012)

2. Christian Bruel, Anne Bozellec, Anne Galland, Le Sourire qui mord, 1976 (réédité par Thierry Magnier en 2014)

3. Le Sourire qui mord, de 1975 à 1995, puis Être éditions, de 1997 à 2012

4. D’ici là, un genre d’utopie, Christian Bruel, Katy Couprie, Thierry Magnier, 2016

5. Pourquoi nous racontons-nous des histoires ?, Jérome Bruner, Retz, 2010

6. Correspondance, La Pléiade, 1980, I, 29

7. Voir « L’imaginef des Savanturiers », contribution de l’auteur à la conception d’un espace pour la jeunesse à la Bibliothèque de France  : Actes de Lecture n° 37 mars 1992 (https://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL37/AL37P56.pdf)

8. « Pouvoir, savoir et promotion collective », Jean Foucambert, Les Actes de Lecture n° 22, juin 1988 http://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL22/AL22P59.pdf

9. Des hauts et des bas, Nicole Claveloux, Le Sourire qui Mord, 1988

10. Plus de 300 titres de titres de livres et près de 100 titres de presse jeunesse.

11. Pinocchio & Robinson, Alberto Manguel, trad. Christine Le Bœuf et Charlotte Melançon, L’escampette, 2005

12. La similitude de certains sous-titres (en italiques) avec les titres de livres (en italiques mais décalés) gêne de même que les intertitres isolés en fin de page quand le paragraphe commence page suivante.

13. Précautions d’usage, Charles Brutini, Philippe Weisbecker, Être, 1998

14. « Quand la politique s’en mêle », Revue des livres pour enfants n° 114, décembre 2016,.

15. L’Espace littéraire, Gallimard, 1995, p. 258

16. Premières nouvelles, Christian Bruel, PEF, éd. Le Sourire qui mord, 1989

17. Jeune Camarade (avril 1925), Antirouille (années 1970).

18. Voir les articles produits à ce sujet sur www.afl.org

19. La revue Trousse-Livres a été créé en 1976 par Manuelle Damamme

20. Manifeste pour un autre merveilleux, collectif dont faisait partie Christian Bruel ; texte paru en 1976 dans les colonnes de Libération.

21. Que faire ?, Jean-Luc Nancy, Galilée, 2016

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Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Etre, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud. Quoique désormais en retraite, Yvanne Chenouf répond toujours volontiers aux sollicitations qui lui sont faites, encore et encore.

Gtand merci à Yvanne Chenouf pour nous avoir confié son texte.

 

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Réécrire, adapter, dessiner.

Marguerite Yourcenar, Jean Giono, animés et mangas : Les Enfants de cinéma ont, le mardi 22 novembre 2023, croisé le film d’animation et la littérature de jeunesse lors d’une rencontre foisonnante organisée à Paris avec le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse et l’Office central de la coopération à l’école.

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    Devant l’assistance, il lit une lettre que lui a adressée Marguerite Yourcenar. Georges Lemoine a près de 90 ans, les mains qui tremblent légèrement mais pas la voix. Celui qui a illustré les textes de Marguerite Yourcenar, Claude Roy, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Henri Bosco confie avoir passé quinze jours à rassembler des documents pour ce colloque. Ce 22 novembre à Paris, Les Enfants de cinéma, le Centre de recherche et d’information sur la littérature de jeunesse (CRILJ) et l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) se rencontrent en effet sur le thème Écritures d’encre et de lumière : cinéma d’animation et littérature de jeunesse.

    La matinée est consacrée à Comment Wang-Fô fut sauvé, une des deux nouvelles évoquant l’Extrême-Orient dans Les Nouvelles orientales. Dans la lettre que lit Georges Lemoine, Marguerite Yourcenar lui explique une image qu’elle a en tête : le peintre Wang-Fô et son assistant Ling sur une barque, quittant le monde des hommes. Mais l’éditeur sera-t-il d’accord pour cette représentation ? Pourront-ils intégrer plusieurs illustrations ? Georges Lemoine se lève pour montrer un original de la série Wang-Fô. Il se fait ensuite aider pour présenter différents ouvrages dont il a réalisé la couverture, notamment la dernière : un bel alphabécédaire de Michel Leiris, publié chez Michael Seksik.

Se réécrire soi-même

    Le visage de Wang-Fô a été plusieurs fois représenté, notamment dans le très beau court-métrage d’animation réalisé par René Laloux en 1987 sur des dessins de Caza. Si La Planète sauvage est le film le plus connu du cinéaste décédé en 2004, Comment Wang-Fö fut sauvé (15 minutes) était son préféré. Il manifeste un jeu de miroirs : sur ordre de l’empereur cruel, le vieux peintre doit terminer une œuvre de jeunesse montrant une mer sur laquelle il ajoute la barque qui va l’emmener dans l’autre monde avec son assistant (d’où l’image qu’avait en tête Marguerite Yourcenar). René Laloux avait découvert tôt cette nouvelle et avait eu envie de l’adapter. « Cela aurait dû être, en quelque sorte, son premier film », explique Xavier Kawa-Topor. Le délégué général de la Nef Animation, plateforme professionnelle sur l’écriture et le cinéma d’animation, file une démonstration sur le thème de la métalepse : un personnage sortant du tableau, comme dans La Bergère et le ramoneur, de Paul Grimault, ou Le Tableau, de Jean-François Laguionie, ou encore La Rose pourpre du Caire, de Woody Allen.

    « Le chariot qui emporte des prisonniers et les flashbacks ne sont pas dans le texte de Yourcenar qui est chronologique, analyse Xavier Kawa-Topor. La scène a été restructurée par René Laloux pour créer un suspens, une angoisse sur le sort des prisonniers. Le cinéaste joue sur la lenteur comme élément de suspens. » Le texte est écrit à la première personne : c’est le disciple Ling qui parle et qui va être décapité par l’empereur cruel, sa tête ensanglantée roulera au pied de son maître. Le narrateur du début est donc un personnage mort : « Le film fait entendre un récit post mortem d’une profonde gravité », poursuit Xavier Kawa-Topor. Dans le film, l’art permet de dépasser la condition humaine et la cruauté des hommes, mais l’homme est transcendé par la beauté de l’art qui lui montre la réalité plus belle qu’elle ne l’est. « Tu m’as menti, vieil homme ! », assène l’empereur tyrannique au peintre dans un monologue d’anthologie que le cinéaste a conservé en quasi-intégralité. Il a juste rajouté à la fin un « peut-être » qui sonne comme sa marque personnelle. Et qui modifie quand même légèrement le sens du texte de Marguerite Yourcenar.

    La nouvelle a été réécrite par l’autrice qui s’est adaptée elle-même pour la jeunesse. Le modèle le plus connu en la matière est Michel Tournier dont l’exemple phare reste Vendredi ou les Limbes du pacifique, devenu Vendredi ou la Vie sauvage pour les plus jeunes lecteurs. « Marguerite Yourcenar comprime son texte, éclaire Christine Plu, docteure en littérature générale et comparée de l’université de Rennes 2. Elle maintient la trame mais retire 50 % du texte, notamment des descriptions. Elle réécrit des passages pour améliorer le texte, perfectionner son style. Elle conserve de la complexité et maintient un lexique soutenu. Elle est dans une recherche de qualité et ajoute des passages didactiques en quête de l’adhésion du lecteur. « La version réduite a été perçue comme d’une qualité épurée, distillée, plus concise, plus limpide, pouvant être lue en troisième et en seconde. Le questionnement philosophique est préservé, la violence est atténuée et les méditations sont retirées », résume la chercheuse en renvoyant à l’étude publiée par Sandra L. Beckett aux Presses de l’Université de Montréal, De grands romanciers écrivent pour les enfants (1997). La dimension artistique est sublimée : c’est la vision de l’artiste qui manque à l’empereur.

    « Il y a une part de réécriture par l’illustration, souligne-t-elle. George Lemoine s’est livré à un véritable travail d’interprétation. » Georges Lemoine intervient :  « Ce visage de Wang-Fô est tiré d’une photo de Claude Roy qui lisait et traduisait le chinois. Il a photographié un homme sublime dont je me suis inspiré. » Il en profite pour confier, avec un peu d’amertume, que ses éditeurs ont ensuite utilisé ses planches pour différentes éditions sans le consulter.

     Comment ce conte peut être lu en privilégiant le sujet lecteur ? poursuit Christine Plu en évoquant une séquence pour les classes de troisième intitulée Peindre et écrire : les mots, les images dans Comment Wang-Fô fut sauvé. Elle renvoie enfin aux travaux de la chercheuse Sylviane Ahr, D’une lecture empirique à une lecture subjective argumentée  en concluant « implication et distanciation sont conciliables ».

Planter des arbres

    Écologiste militant de la première heure, le peintre, réalisateur et illustrateur Frédéric Back a découvert L’Homme qui plantait des arbres dans Le Sauvage, journal d’écologie politique fondé en 1973. Répondant à une commande autour des héros du quotidien, Jean Giono a inventé un personnage de planteur d’arbres, Elzéard Bouffier. Frédéric Back a pris ce texte pour un portrait : l’exemple de cet homme était important, il fallait lui donner du retentissement. Il a donc entrepris de l’adapter en court métrage d’animation, explique Xavier Kawa-Topor. « La découverte de la supercherie est une catastrophe pour lui. Une question éthique se joue… »

    En faisant un travail de recherche, Frédéric Back a trouvé d’autres modèles ressemblant à Elzéard Bouffier. Faire ce film avait donc un sens : il voulait montrer qu’on pouvait changer le visage d’une région par la force d’un engagement. Le succès de Crac ! (1981) lui permet de faire ce film en 1987. Il veut une adaptation fidèle. Il a pris le parti d’une voix off qui restitue le texte de Giono à 99,9 %. « Un seul paragraphe manque, souligne Xavier Kawa-Topor : celui où Giono situe géographiquement l’histoire. En enlevant ce paragraphe, il atténue le faux et universalise davantage l’histoire… »

    Dans la salle de l’hôtel particulier où se tient la rencontre, le film de quinze minutes est projeté. Les traits de crayon bruissent sur l’écran comme du vent dans des feuilles. Frédéric Back dessinait au crayon de cire. « Dans le film, commente Xavier Kawa-Topor, les sons de la matérialité, du vent, des pas contrastent avec la voix off. »  Les personnages ne parlent pas, Elzéard Bouffier devient même muet. « C’est un parti pris très fort. Il y a dans l’esthétique de Frédéric Back une idée de peinture en mouvement, dans la continuité de Wang-Fô. Il montre un paysage détruit par l’activité de l’homme, des images de la guerre. » Avant que les collines pelées ne se transforment en paradis de verdure et de chants d’oiseaux, la voix de Philippe Noiret aura eu le temps de dérouler l’intégralité du texte.

Du dessin abrégé à Candy

    Frédéric Back a fait l’objet d’une exposition au Japon, ce qui permet aux intervenants de la rencontre une transition vers la troisième partie de la journée consacrée au cinéma d’animation japonais. Maître de conférences associé à l’université des arts de Tokyo, spécialiste des films d’animation japonais et traducteur, Ilan Nguyen affirme qu’il est impossible de dresser un panorama local. Le Japon est en effet un des plus grands producteurs de films d’animation : entre vingt et quarante-cinq longs métrages par an, sans compter les vidéos et la télévision… « Impossible d’être exhaustif pour un individu », tranche-t-il. Même situation en bande dessinée. « On est condamné à une sorte de choix : des observateurs s’organisent pour documenter le secteur, et il faut s’appuyer sur les travaux des observateurs japonais », conseille-t-il.

    Au Japon, pays de catastrophes naturelles, retrouver des films relèvent de l’archéologie. « Les Japonais partent du principe que, à priori, les choses vont se perdre et par chance se conserver, explique Ilan Nguyen. La cinémathèque japonaise avait publié une statistique : le pourcentage de films préservés tournait autour de 4 % jusqu’en 1923. Chaque année, des films ressurgissent dans des greniers, des hangars, ce qui permet d’identifier des auteurs. « En 2006, un collectionneur a retrouvé des films d’animation de 1917 : Namukura Gatana, Le Sabre émoussé, réalisé par Jun’ichi Kôuchi. Ce court-métrage comique de deux minutes, considéré comme le plus ancien dessin animé japonais à ce jour, présente un samouraï qui fait l’acquisition d’un sabre. Mais il ne parvient pas à maîtriser l’arme qui lui joue des tours et se retourne contre lui. Ilan Nguyen diffuse des extraits du film : la salle rit. Ce personnage comique est à la fois dépaysant, familier, impressionnant de modernité alors que les techniques utilisées ont plus de cent ans.

    Autre particularité japonaise : le film jouet, une tradition grand public visant à rendre accessible aux familles, et notamment aux enfants, des mini-bobines de 35 millimètres avec des petites caméras. Selon Ilan Nguyen, il existe un marché amateur et ludique du film jouet avec des versions abrégées de certains films.

    Ilan Nguyen passe ensuite en revue les noms de certains pionniers du cinéma d’animation, Yamamoto, Murata, Oishi, Ofuji, Masaoka… Forts de leurs expériences arts graphiques, en satire et en caricature, laquelle distille une trace de burlesque dans le dessin et l’animation. Le chercheur projette alors à l’écran des saynètes datant des années 1930 particulièrement drôles et modernes. Noburo Ofuji serait un des premiers à avoir été identifié en Europe avec Le Vaisseau fantôme, un film datant de 1956. Dans les années 1930, Kenzô Masaoka a forgé le terme de « dessin en mouvement » : dooga, ce qui lui vaut le surnom de père du dessin animé.

    Ilan Nguyen avance dans le temps et évoque la création de studio comme Tôei, Ghibli, Mushi, et en faisant le lien avec le manga : Dragon ball, Albator, Les Chevaliers du zodiaque : tous ces films ont été produits par Tôei à partir de BD. Il mentionne Ozamu Tezuka et son invention d’une grammaire graphique en trois images : par exemple, un visage avec les yeux fermés, les yeux entrouverts, puis les yeux ouverts. Un tableau qui permet des combinaisons multiples et de rationnaliser la production de dessin de manière à tenir des délais de réalisation infernaux.

    Voici quelques années Xavier Kawa-Topo a organisé un colloque dans l’idée de convertir les jeunes amateurs d’animation japonaise au « vrai cinéma », relate-t-il sur le ton de l’anecdote. Il a pris contact avec le rédacteur en chef d’AnimeLand, qui lui a rétorqué qu’il n’y connaissait rien. « Il m’a confié un sac Tati rempli de cassettes VHS pirates avec tout Miyazaki, tout Takahata…, se souvient le délégué général de la Nef. J’ai mis Nausicaa dans le lecteur… J’avais l’impression de découvrir la chapelle Sixtine de l’animation. « Au colloque, ce sont les cinéphiles qui, ravalant leur dédain, ont pris une leçon de cinéma du côté de l’animation japonaise. « Il reste beaucoup de travail, remarque-t-il. On est passé d’une forme de rejet systématique à un accueil béat. »

    Difficile d’avoir une connaissance objective des contextes de réalisation et d’aller puiser aux sources, à moins de parler japonais. Le générique de Candy, projetté ensuite, ne laisse planer aucun doute : même musique, mêmes dessins, il n’y a que les paroles qui changent. Mais sa reconnaissance immédiate, comme celle de Goldorak, Albator, Capitaine Flam, Rémi sans famille, témoigne de l’imprégnation des enfants des années 1980. De quoi préparer le terrain à l’actuelle mangamania.

par Ingrid Merckx, rédactrice en chef de L’École des lettres

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Les captations des interventions de la rencontre du 22 novembre 2022 sont accessibles sur la chaîne YouTube des Enfants de cinéma. C’est ici. En ligne, outre l’ouverture de la rencontre par Katell Deimat-Tison et Nadine Boyals (OCCE), Ginet Dislaire (Les Enfants de cinéma) et Françoise Lagarde (CRILJ), les cinq interventions de cette journée :

 –  Qu’est-ce qu’une lecture littéraire de Comment Wang-Fô  fut sauvé ? – par Christine Plu, enseignante à l’université de Cergy-Pontoise en masters « Éducation et formation » et masters spécialisées en littérature de jeunesse.

– Adaptation littéraire et court métrage d’animation à propos de Comment Wang-Fô fut sauvé – par Xavier Kawa-Topor, délégué général de la NEF Animation.

Illustrer Comment Wang-Fô fut sauvé ? – par Georges Lemoine, illustrateur de Marguerite Yourcenar.

 –  Adaptation littéraire et court métrage d’animation à propos de L’homme qui plantait des arbres  par Xavier Kawa-Topor, délégué général de la NEF Animation.

 Liens entre manga et films d’animation japonais – par Ilan Ngùuyen, maître de conférences associé à l’Université des Arts de Tôkyô, spécialiste des films d’animation japonais et traducteur.

Merci à Ingrid Merckx pour son article et pour son autorisation de publication

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Le site de l’Office central de la coopération à l’école est ici.

Le site de l’association Les Enfants de cinéma est ici.

Le site de L’École des lettres est ici.

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BONUS

Pour voir le film de René Laloux, cliquer ici.

Pour voir le film de Frédéric Back, cliquer là.

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Une librairie dédiée à l’image

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L’ouverture à Orléans d’une librairie faisant la part belle aux livres d’images ne pouvait laisser le CRILJ indifférent. En décembre 2022, nous avons proposé à Bénédicte Coutin d’être notre relais et celui du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine Saint-Denis en accueillant l’exposition Désirs de monde. Six albums remarquables ont ainsi pu être mis à l’honneur dans les vitrines du magasin. Leina et le Seigneur des Amanites de Myriam Darmon, Nicolas Digard et Julia Sarda a même, un peu plus tard, à l’occasion des Nuits de la lecture, bénéficié d’une mise en voix théâtralisée par les comédiennes Sophie Jude et Delphine Chuillot. Sur les murs de l’atelier, des planches originales et des tirages d’art de Clémence Pollet en place jusqu’au samedi 11 mars.

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A Orléans, la librairie Jaune Citron pétille

    Ouverte depuis juin 2022, la librairie Jaune Citron a trouvé sa place et son public dans la rue des Carmes. Le dynamisme de sa fondatrice Bénédicte Coutin et son amour des beaux livres et des BD ainsi que ses ateliers, le tout pour enfants et adultes semblent être les clés de son succès.

    Il faut être sacrément culotté pour ouvrir une librairie à Orléans en ces temps numériques. Un contexte qui n’a pas effrayé Bénédicte Coutin. Elle a en effet créé en juin 2022 la librairie Jaune Citron à l’angle des rues des Carmes et Henri Roy. Elle mise aussi sur un créneau particulier, à savoir les beaux livres et les BD, pour tous publics. Elle privilégie aussi les petites maisons d’éditions, locales ou non.

    Bénédicte n’hésite pas non plus à ouvrir sa porte aux artistes locaux pour des ateliers, des expositions ou encore la vente d’objets divers comme des livres en tissus, des puzzles et des jeux. Avec aussi des ateliers d’arts plastiques pour enfants et adultes très appréciés comme en témoigne l’enthousiasme de cette maman : « Je trouve ça super, car cela permet de sortir les enfants de la maison et de leur faire découvrir des univers créatifs différents de ce qu’ils font à l’école »

Un grand détour par le musée des Beaux-Arts

    Il faut dire que notre future libraire ne partait pas de zéro. Après des études de graphisme et d’illustration à l’IAV d’Orléans (ancêtre de l’actuelle ESAD). Elle suit une première formation de libraire. Mais après un détour par des librairies et des maisons d’éditions parisiennes, ses pas la conduisent finalement au musée des Beaux-arts d’Orléans. Durant 24 ans elle y sera médiatrice culturelle, chargée de l’accueil du jeune public et de l’animation des ateliers d’arts plastiques.

Une bibliothèque nomade avant la librairie

    Des années durant lesquelles elle n’oublie pas son envie de librairie. Elle saute une première fois le pas en créant une BNE, Bibliothèque Nomade Expérimentale, sous la forme d’une petite maison à roulettes. Durant les cinq années qui précèdent l’ouverture de sa librairie, en parallèle de son travail au musée des Beaux-Arts, Bénédicte partage sa passion de la lecture à voix haute en vagabondant entre écoles, médiathèques et festivals. Et ça marche.

    Enfin, un beau jour, Bénédicte couche sur le papier son envie de librairie. Le secret de la réussite d’une idée c’est aussi de savoir s’entourer. Ce qu’elle fait en 2019 en frappant à la porte de CICLIC, l’agence régionale du Centre pour le livre, l’image et la culture numérique. Elle sollicite aussi le service commerce de la mairie d’Orléans qui lui indique la disponibilité du local.

     Mais il faut des sous. Pour en trouver Bénédicte lance en janvier 2022 une campagne de financement participatif via la plateforme Ulule : « Ça a été un vrai succès. Je suis passée d’un projet individuel à un projet collectif parce qu’en l’espace de 45 jours, j’ai réussi à collecter près de 10 000 euros. Ça aussi ça porte. Et tous ces gens qui se sont impliqués dans la collecte ont porté le projet au départ et encore aujourd’hui puisqu’ils sont devenus mes premiers clients. » D’ailleurs, il y a un panneau dans la librairie où tous les noms sont inscrits.

    Et puis, il y a ce nom Jaune Citron : « On me demande souvent d’où ça vient. En fait, il y a un proverbe que j’aime beaucoup : “Si la vie t’offre des citrons, fais-en de la limonade”. C’est une phrase qui m’a souvent accompagnée avec cette idée que si on met un peu de sucre, les choses pétillent à nouveau. Et pour moi le livre ça a toujours été ça, un peu une sucrerie. Dans les moments difficiles, je prends un livre, une tasse de thé et puis ça repart ! Le citron, c’est pétillant, vivifiant, ça réveille les papilles et l’esprit et la couleur jaune plaît beaucoup. »

Un accueil chaleureux

    Dans le quartier des Carmes, la façade bleu turquoise de la librairie, et son intérieur intégralement jaune ne passent pas inaperçus. Au sein d’un quartier en pleine métamorphose, Bénédicte Coutin a très vite trouvé sa place, appréciant le « côté populaire » et la « mixité au sein du quartier ».

    L’accueil bienveillant des commerçants a également contribué à cette intégration. Lesquels ont récemment, à l’initiative du restaurant Mix, formé un collectif sous le nom de Station Carmes afin de créer des pôles d’attraction ainsi que de renforcer les liens entre chaque commerce. L’enthousiasme des commerçants, récents mais aussi anciens vis-à-vis de cette proposition, devrait favoriser l’éclosion d’un événement qui verra le jour au printemps prochain.

par Sophie Deschamps et Timothé Beuret – jeudi 19 janvier 2023

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Grand merci à Magcentre pour son autorisation de mise en ligne.

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