Adhésion 2023

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Conversation de saison

– L’année 2023 est déjà bien entamée.

– Tu l’as dit.

– T’as présenté tes vœux à tout le monde ?

– J’ai lu qu’on avait jusqu’à fin janvier.

– Tant que ça ?

– Je crois bien. Pour la cotisation, c’est encore plus.

– Quelle cotisation ?

– La cotisation annuelle au CRILJ.

– Tu as raison, mais il ne faudra quand même pas tarder.

– Le document est en ligne sur ce site et c’est très pratique.

– Je fais tout de suite, sinon je vais oublier.

– Très bonne idée.

– Dis, l’image qui est juste en-dessous, c’est de l’ironie ?

– Un peu quand même, je pense.

– Quoique, finalement, par les temps qui courent …

– En tout cas, cette cotisation 2023, moi, je la règle.

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Le bulletin d’adhésion 2023 est téléchargeable ici.

 

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Montreuil en 2022

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Quand on vient pour la première fois, adulte ou enfant, au Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, on peut éprouver un sentiment de trop-plein, se perdre dans les propositions et ne pas savoir, comme on dit aujourd’hui, se poser. En fait, si la profusion étourdit, la possibilité pour les visiteurs de bonne volonté de vivre leurs propres micro-événements va transformer la simple déambulation en moments heureux : un livre qu’on ne connaissait pas, une rencontre inopinée, une dédicace super belle, quelques phrases échangées avec un auteur pas intimidant du tout, une lecture ou un atelier. Sur le stand du CRILJ, ce sont surtout des médiateurs qui s’approchent et s’arrêtent. Ils questionnent, feuillettent, achètent. Des étudiants, surtout des filles, nous entretiennent de leur prochain mémoire, licence ou master. Nous les encourageons et, assez souvent, promettons de les aider dans leurs premières recherches. Il y a aussi ceux qui – soutien appréciable – adhèrent à l’association et ceux qui nous assurent, promis-juré, qu’ils s’inscriront à notre prochain colloque. Ce sera avant Montreuil 2023.

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Désirs de mondes

     La thématique du trente-huitième Salon du livre et la presse jeunesse en Seine Saint-Denis aura tenu ses promesses dans tous les sens du terme.

    L’édition 2022 s’est achevée sur une fréquentation digne des plus grands crus : 1 600 autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs présents à Montreuil, ont fait le bonheur des 180 000 visiteurs qui, six jours durant, sont venus à leur rencontre.

    Des dizaines de milliers d’enfants et d’adolescents débordants d’énergie, curieux et enthousiastes, ont apporté à la palette des émotions vécues au Salon, toutes les nuances de leurs désirs de mondes plus doux à vivre, de mondes qui portent les rêves de leur génération, les couleurs et les espoirs de leur insatiable imaginaire.

    Petits et grands ainsi conviés au grand festin de la littérature jeunesse se sont régalés des centaines de rencontres au programme tandis que pour sa troisième saison, la Télé du Salon, enrichie de nouveaux formats, diffusait chaque jour débats et créations originales. Ce nouveau média du Salon, né des contraintes du confinement, fait désormais partie de sa chatoyante panoplie. Il participe, avec les 500 partenaires-relais du Salon sur l’ensemble du territoire national, au rayonnement amplifié que l’événement offre, à quelques encablures des fêtes, à la littérature jeunesse, à ses créateurs comme à tous les acteurs de la chaîne du livre qui la font vivre.

    Les 450 maisons d’édition présentes comme la multiplication des formats et possibilités de rencontres professionnelles, y compris en amont du Salon, ont apporté à la saveur de ce cru décidément tonique.

   Il faut ajouter à la singulière façon dont toutes ces énergies se sont mobilisées pour aboutir à une trente-huitième édition si réussie, une très belle récolte de Pépites et la remarquable Grande Ourse de ce millésime 2022, Marc Boutavant.

    Dans notre galaxie de la littérature jeunesse, tous ces désirs de mondes ont manifestement concouru à un bel alignement de planète

    Retrouvez la trente-neuvième édition du Salon du livre et la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis du mercredi 29 novembre au lundi 4 décembre 2023.

( communiqué de presse des organisateurs du Salon – lundi 5 décembre 2022 )

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Avoir la mauvaise partie

 

Quand les hommes vivront d’amour :

    de Raymond Lévesque à Pierre Pratt     

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Quand Raymond Lévesque, à 26 ans, décide de venir tenter sa chance en France, il a déjà, au Québec, une petite notoriété. Radio-Canada avait, dès 1946, accueilli ses premières chansons et la société avait occasionnellement fait appel à lui, comme comédien, dans plusieurs de ses « radioromans ». En 1948, Raymond Lévesque avait remporté le concours Les talents de chez nous et, de 1949 à 1951, sur Radio-Canada, il animera, avec Serge Deyglun et Jeanne Maubourg, l’émission Grand-maman Marie. En 1949, Fernand Robidoux, interprète à succès, avait enregistré pour le compte de la compagnie London – car sa maison de disques habituelle, RCA Victor, n’autorisait pas l’enregistrement de chansons québécoises – vingt-deux titres originaux d’auteurs-compositeurs de la Belle Province dont quatre signés Raymond Lévesque. Succès limité. En 1952 et 1953, le tout nouveau service de télévision que Radio-Canada a créé en direction des Québécois confie à Colette Bonheur, Juliette Béliveau et Raymond Lévesque la présentation de son émission de variétés Mes jeunes années. En 1953, le dramaturge Marcel Dubé offrira à Raymond Lévesque le rôle de Moineau, adolescent peu futé, lors de la création de Zone, sa seconde pièce. Le chanteur, à nouveau comédien, reçoit un prix d’interprétation.

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    Raymond Lévesque arrive à Paris en 1954 et il y restera un peu plus de quatre ans. La vie n’est pas facile, mais le Québécois a des amis, chanteurs comme lui pour la plupart, et le moral est bon. « On était pauvre, mais heureux. » Passages, plus ou moins réguliers, dans des cabarets rive gauche et rive droite : à la Rose rouge, à l’Écluse, au Port du Salut, au Caveau de la Bolée, à La Colombe, au Lapin Agile, à La Tomate, Chez Patachou. Quand les derniers clients sont partis, autour d’une bouteille, plus souvent de plusieurs, on lit les journaux et on discute des « événements » d’Algérie, des ratonnades et des manifestations de rappelés. Lors d’un de ces échanges, Raymond Lévesque écrit sur son paquet de Gitanes : « Lorsque les hommes vivront d’amour… » Le lendemain, il poursuit son idée et, en quelques heures, il écrit Quand les hommes vivront d’amour, texte et musique tout ensemble, comme il en a l’habitude. Dans les semaines suivantes, Raymond Lévesque insiste auprès d’Eddie Constantine pour qu’il ajoute sa nouvelle composition à son répertoire. Convaincu, son ami américain adopte la chanson et l’enregistre dès 1956. Raymond Lévesque l’enregistrera l’année suivante, chez Barclay, ainsi que Jacqueline Nero, Cora Vaucaire et, à deux voix, Marc et André.

   De retour au Québec, Raymond Lévesque apporte un soutien actif aux réalisateurs de télévision grévistes pendant 68 jours. Il fonde le collectif Les bozos avec les « chansonniers » Hervé Brousseau, Jean-Pierre Ferland et Claude Léveillée, le pianiste André Gagnon et la chanteuse et monologuiste Clémence Desrochers. Au cœur de Montréal, la modeste salle du premier étage du restaurant Le Lutèce qu’en mai 1959 le groupe va investir pour quelques mois peut être considérée comme un avant-goût des boites à chansons qui vont bientôt, de Perce à Val-David, du Lac-Saint-Jean à la Côte-Nord, couvrir la province. Puis, ce sera la Révolution tranquille et les luttes pour l’indépendance du Québec, mais c’est une autre histoire.

   Quand les hommes vivront d’amour est une chanson humaniste et fraternelle. Pas très longue, elle déroule, au fil de ses sept strophes, la (triste) certitude que la paix est illusoire. De surcroit, « dans la grande chaîne de la vie, pour qu’il y ait un meilleur temps, il faut toujours quelques perdants ». Ce sont là paroles désabusées et même si, un jour, les soldats devenaient troubadours, nous aurons eu, nous qui écoutons la chanson, la « mauvaise partie ». Plus radicalement encore, nous ne verrions pas cette métamorphose puisque « nous serons morts, mon frère ». Pacifiste, le texte de Raymond Lévesque l’est assurément, mais le registre est celui du regret, pas celui de l’espoir. À peine le parolier envisage-t-il un monde meilleur (un monde en paix, un monde sans misère) que la perspective est renvoyée vers un avenir inaccessible – « quand les hommes vivront d’amour ».

   Les 45 tours parisiens étaient passés quasi inaperçus au Québec et, en dépit des boites à chansons, d’un peu de radio et d’un peu de télévision, malgré deux nouveaux enregistrements par Raymond Lévesque lui-même, en 1962 et en 1972, la chanson ne marque pas particulièrement les esprits. Il faudra sa reprise, initialement non prévue, devant 120 000 spectateurs rassemblés le 13 août 1974, à Québec, sur les plaines d’Abraham, en rappel du concert d’ouverture de la Superfrancofête (autre nom du Festival international de la jeunesse francophone), par Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois, pour que Quand les hommes vivrons d’amour devienne, en quelques  années – le producteur Guy Latraverse publiant, dès 1974, l’enregistrement intégral du concert ainsi qu’un opportun single en 1975 – la chanson préférée des Québécois.

     Au cours des décennies qui suivent, Quand les hommes vivrons d’amour est, au Québec, enregistrée par de nombreux artistes : Michel Louvain, le groupe rock Offenbach, Nathalie Simard, Marie-Denise Pelletier, Luce Dufaux, Fabienne Thibeault, Marie-Élaine Thibert, Bruno Pelletier, Richard Séguin, Daniel Lavoie, Marie-Jo Thério, Isabelle Roy, Mélanie Renaud et plusieurs autres. Pour la France, ajoutons Nicole Croisille, Enrico Macias, Catherine Ribeiro, Les Enfoirés, Hervé Vilard, Gilles Dreu, Rika Zaraï. En 2016, Renaud choisit la chanson comme bonus de son disque dernier paru et, malgré le soutien vocal de David McNeil et de Robert Charlebois, il est à la peine pour ne pas l’écorcher. En 1986, Philip Glass en avait écrit une étonnante adaptation pour chœur mixte.

     Pour inaugurer sa collection « Les grandes voix », les Éditions Les 400 coups ont souhaité que soit mis en images Quand les hommes vivront d’amour. Choix judicieux, justifié par la popularité de la chanson, mais à priori risqué car il va s’agir ici d’évoquer plus que de raconter. Le texte de Raymond Lévesque n’est pas narratif et les va-et-vient  que s’autorise le parolier ne vont-ils pas être gâchés par une figuration trop explicite ? En choisissant Pierre Pratt, illustrateur aguerri, le défi sera-t-il relevé ?

    Constatation initiale : Pierre Pratt a choisi de suivre la chanson ligne à ligne, une double page pour chacun des vers, sans exception. Et, pour chaque illustration, une situation spécifique, tenant debout toute seule, sans lien avec celle de la double-page précédente ou de la double-page suivante. Cette confiance en l’image, qui impose au texte de se faire discret, donne priorité aux amples paysages mais n’oblige pas la palette à se faire éclatante. Si le vert, celui d’une campagne paisible, domine, d’autres couleurs sont également convoquées, Pierre Pratt n’en n’associant spécifiquement aucune à l’évocation de la misère ou à la promesse du bonheur. Quand des personnages apparaissent, ils sont, sauf de rares fois, de petite taille, à peine moins perdus dans le monde en paix (la majorité des pages) que dans le monde en guerre.

   Si la chanson, dans sa version originale, n’atteint pas trois minutes, il faudra plus longtemps pour apprécier l’album. Feuilleter rapidement laisserait sur notre fin. Il faut s’attarder sur chaque double-page. Et, soyons juste, si certains tableaux parlent d’évidence, d’autres demanderont aux lecteurs un travail d’élucidation, quand quelques-uns leur resteront, peut-être, mystérieux.

     La dernière double-page illustre la cinquième apparition de la phrase leitmotiv « Mais nous serons morts, mon frère ». Les quatre premières fois, les images proposaient des espaces remplies d’éléments à décrypter et l’énigme pouvait être résistante. Pour clore l’album, Pierre Pratt a, cette fois, peint un tableau dépourvu de secret, nous donnant à voir, sans équivoque, une terre devenue inhabitable.

     Constatation ultime : dans l’enthousiasme d’un rassemblement populaire mémorable, Quand les hommes vivront d’amour devint, pour beaucoup, une chanson optimiste. Si, lors du fabuleux concert d’août 1974, son interprétation par Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois a joué avec maestria son rôle de ciment d’amitié, celui-ci n’émane que secondairement du texte même. Pierre Pratt, en revenant scrupuleusement aux mots, échappe au contre-sens. C’est une juste politesse quand, dans un album d’une belle élégance, un éditeur ramène à nous – qui ne sommes pas (encore) morts – la parole, bienveillante mais réaliste, d’un auteur-compositeur-interprète qui n’aura pas marqué que la chanson québécoise.

André Delobel – février 2022.

 

. Quand les hommes vivront d’amour par Raymond Lévesque et Pierre Pratt, Éditions Les 400 coups, 2022, 72 pages, 18,00 euros ; introduction : Sylvain Ménard, postface : Marie-Christine Bernard ; pour adolescents et au-delà.          

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Né à Montréal en 1962, Pierre Pratt, après des études en design graphique au Collège Ahuntsic de 1979 à 1982, commence à travailler en publiant des bandes dessinée dans les magazines Titanic et Croc. Depuis 1990, il illustre (et écrit parfois) des livres pour la jeunesse. Son travail est publié au Canada, en France, aux États-Unis, en Angleterre, en Suisse, en Espagne, au Portugal et sa signature se retrouve sur plus d’une centaine de livres, des albums pour tout-petits jusqu’aux romans pour adolescents. Parmi ceux-ci : Marcel et André (Le Sourire qui mord, 1994), Beaux dimanches (Le Seuil, 1996), Mon chien est un éléphant, avec Rémy Simard (Casterman, 2003), l’abécédaire Le Jour où Zoé zozota (Les 400 Coups, 2005), Mes petites fesses, avec Jacques Godbout (Les 400 coups, 2010), Bonne nuit, avec Antonin Louchard (Thierry Magnier, 2014), les séries « Klonk » (Québec Amérique) et « David » (Dominique et Compagnie). En 2007, pour l’exposition Le Petit Chaperon rouge à pas de loup de l’Espace Jeunes de la Grande Bibliothèque de Montréal, Pierre Pratt réalise les deux affiches de la manifestation et en conçoit la scénographie. Très nombreux prix dont trois fois celui du Gouverneur Général du Canada, une Pomme d’Or et une Plaque d’Or à Bratislava, un Totem au Salon de Montreuil, un Prix Unicef à Bologne, le prix Elizabeth Cleaver de l’IBBY, le prix du livre M. Christie, celui du Salon de Trois-Rivières, un Honor Book du Boston Globe Horn Book Awards. Finaliste, pour le Canada, au Prix Hans-Christian-Andersen en 2008 et en 2016. Pierre Pratt a exposé à Bologne, Tokyo, New York, Londres et au Portugal. Quand il peint et dessine, l’illustrateur dit penser à l’enfant qu’il était et qui se laissait aspirer par les images. « Les images chez moi précèdent tout le reste. J’en ai plein qui attendent leur livre. […] Avec l’âge, je deviens de plus en plus exigeant et, malgré cela, je fais tout pour ne pas perdre ma spontanéité. Je mets donc beaucoup plus de temps à produire un livre. J’essaie surtout de ne pas m’ennuyer, de ne pas devenir blasé. »

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On peut écouter la chanson interprétée en 1957 par Raymond Lévesque et c’est ici :

https://www.youtube.com/watch?v=TXV1GMEXkiA

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Après le colloque

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Entre hier et demain

Le colloque du CRILJ Habiter dans la littérature pour la jeunesse des vendredi 15 et samedi 16 octobre 2021 est derrière nous. Cent-trente inscrits, dix-neuf intervenants, six modérateurs, huit administrateurs pour la logistique, quatre malicieux traducteurs en langue des signes et Nicole qui regarde par la fenêtre de son appartement du quinzième étage.

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Nicole et l’ascenseur, Andrée Clair et Bernadette Després, La Farandole, 1969

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A VENIR

– des ateliers et des rencontres, en classe et en bibliothèque, sur le thème du colloque

– l’édition d’une plaquette destinée à aider les médiateurs à mettre en place ces animations

– la mise en ligne, courant novembre, de la captation vidéo des interventions du colloque

– la parution du numéro 11 des « Cahiers du CRILJ » restituant, elle aussi, les interventions

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Des flammes pour Ernesto

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    « Un incendie s’est déclaré dans un bâtiment inhabité de Bou, commune située à l’est de l’agglomération orléanaise, peu après 11 heures, ce jeudi 15 octobre. De nombreux gendarmes et pompiers (douze véhicules et trente soldats du feu venus des casernes de la métropole d’Orléans, de Jargeau et de Châteauneuf-sur-Loire) ont été dépêchés sur les lieux, sentier Clos-Saint-Georges, à proximité de l’église de Bou. […] Le bâtiment en question était utilisé par des intermittents du spectacle qui réalisent des costumes et des décors pour des groupes de théâtre en France. » (République du Centre – jeudi 15 octobre 2020)

    « C’est un spectacle de désolation qu’ont découvert, ce vendredi 16 octobre au petit matin, les membres de l’association Les Mécanos de la Générale basée dans la petite commune de Bou dans le Loiret. La veille, aux alentours de midi, un incendie s’est déclaré dans le bâtiment qui abrite, prés de l’église du village depuis plus d’une dizaine d’années, l’association avec son atelier de scénographie et de construction de décor. 600 m2 ont été détruits par les flammes. A l’intérieur, l’atelier de l’association mais aussi de très nombreux décors de plusieurs compagnies de théâtre et de spectacle sont partis en fumée. Seuls quelques outils et machines de l’atelier de l’association ont semble-t-il résistés aux flammes mais le hangar abritait aussi un certain nombre de décors et de matériels appartenant à diverses compagnies de spectacle ou de théâtre amateur du Loiret. Entreposés à Bou par souci d’entraide. Tous sont partis en fumée. C’est le cas des décors du Théâtre de la Tête Noire de Saran, du Théâtre de l’Imprévu rue de Bourgogne à Orléans, du matériel de l’Astrolabe à Orléans mais aussi du Bar de Loire sur les quais d’Orléans. « C’est un véritable crève cœur, témoigne Stéphane Liger, le régisseur général des Mécanos de la Générale. » (France Bleu Orléans – vendredi 16 octobre 2020)

    Dans ce bâtiment étaient entreposés les décors de plusieurs spectacles du Théâtre de la Tête Noire de Saran (Loiret) dont le cabinet de curiosités dans lequel, depuis 2015, se jouait Ah ! Ernesto, d’après Marguerite Duras et Katy Couprie (Thierry Magnier, 2013), production à laquelle le CRILJ avait apporté son soutien. Ne reste que des cendres et des souvenirs.

(octobre 2020)

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« Ernesto est un enfant rebelle qui ne veut pas aller à l’école parce que, à l’école, on lui apprend des choses qu’il ne sait pas. Il rêve d’une liberté absolue qui fera advenir les savoirs par la force des choses. Le lieu scénique est d’une beauté exceptionnelle : un petit musée circulaire, façon cabinet de curiosités ; les deux comédiens évoluent sur le pourtour, dans une proximité qui prend à témoin et implique les spectateurs assis au centre. Patrice Douchet a construit le spectacle en onze séquences qui déclenchent le rire et l’émerveillement. Sidibe Koroutoumou et Arthur Fouache sont d’une précision stupéfiante dans la rythmique et la tonalité des voix. La parodie des témoignages enfantins et les jeux avec les chewing-gums sont proches de la virtuosité. » (Roger Wallez)

http://www.theatre-tete-noire.com/tinymce/source/Cr%C3%A9ation%20:%20Ah%20Ernesto/Dossier%20Ah!%20Ernesto.pdf

TÉMOIGNAGES

« Quelle triste nouvelle ! Comme si la Tête Noire avait besoin de cela en cette période déjà si difficile pour le théâtre. Avec mon soutien et bien cordialement. » (Annie Quenet, présidente de la FOL 18)

« Les temps sont vraiment durs. Quelle horreur ! La  Région Centre-Val de Loire et leurs théâtres avaient, le 15 octobre, échappé au couvre-feu. Quelle ironie ! » (Françoise Lagarde, présidente du CRILJ)

« Triste information. Cette adaptation de Ah ! Ernesto était un travail magnifique et précieux. » (Thierry Magnier, éditeur)

« C’est un feu fou dingue qui nous rappelle l’éphémère de l’art vivant et les traces qu’il laisse de son passage. » (Dominique Bérody, conseiller artistique et littéraire)

« Somme importante pour une commune de 960 âmes, nous avons fait un don de 5000 euros à l’association pour qu’elle puisse racheter des outils et très vite se remettre au travail. La crise sanitaire a mis à mal la culture et là ce sont les troupes de théâtre qui sont touchées. » (Bruno Cœur, maire de Bou)

« Dans La pluie d’été, roman qui amplifie l’histoire d’Ernesto, Marguerite Duras donne au personnage une sœur, Jeanne, qui s’avèrera incendiaire. A Bou, c’est accidentel. » (André Delobel, administrateur du CRILJ)

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EXTRAIT

… Ernesto va à l’école pour la première fois. Il revient. Il va tout droit trouver sa mère et lui déclare :   – Je ne retournerai plus à l’école.  La maman s’arrête d’éplucher une pomme de terre.  Elle le regarde.  –  Pourquoi ? demande-t-elle.  – Parce que ! … dit Ernesto, on m’apprend des choses que je ne sais pas.  –  En voilà une autre ! dit la mère en reprenant sa pomme de terre.

… Lorsque le papa d’Ernesto rentre de son travail, la maman le met au courant de la décision d’Ernesto.  – Tiens ! dit le père, c’est la meilleure ! …

… Le lendemain, le papa et la maman d’Ernesto vont voir le maître d’école pour le mettre au courant de la décision d’Ernesto.  Le maitre ne se souvient pas d’un quelconque Ernesto.   – Un petit brun, décrit la mère, sept ans, des lunettes…   – Non, je ne vois pas d’Ernesto, dit le maître après réflexion.   – Personne le voit, dit le père ; n’a l’air de rien !   – Amenez-le moi, conclut le maître. »

( Marguerite Duras, Ah ! Ernesto, Harlin Quist et François Ruy-Vidal, 1971 )

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ÉLARGISSEMENT

L’instituteur : Le monde est loupé, Monsieur Ernesto.
Ernesto, calme : Oui. Vous le saviez, Monsieur… Oui… Il est loupé. Sourire malin de l’instituteur.
L’instituteur : Ce sera pour le prochain coup… Pour celui-ci…
Ernesto : Pour celui-ci, disons que c’était pas la peine. Sourire d’Ernesto à l’instituteur.
L’instituteur : Donc, si je vous suis bien, d’aller à l’école non plus ce n’est pas la peine… ?
Ernesto : Ce n’est pas la peine de même, Monsieur, c’est ça…
L’instituteur : Et pourquoi Monsieur ?
Ernesto : Parce que c’est pas la peine de souffrir. Silence.
L’instituteur : On apprend comment alors ?
Ernesto : On apprend quand on veut apprendre, Monsieur.
L’instituteur : Et quand on ne veut pas apprendre ?
Ernesto : Quand on ne veut pas apprendre, ce n’est pas la peine d’apprendre. Silence.
L’instituteur : Comment savez-vous, Monsieur Ernesto, l’inexistence de Dieu ?
Ernesto : Je ne sais pas. Je ne sais pas comment on le sait. Temps. Comme vous peut-être, Monsieur. Silence.
L’instituteur : On apprend comment dans votre système si on n’apprend pas ?
Ernesto : En ne pouvant pas faire autrement sans doute, Monsieur… Comment ça se passe, il me semble que j’ai dû le savoir une fois. Et puis j’ai oublié.
L’instituteur : Qu’est-ce que vous entendez par : j’ai dû le savoir ?  Ernesto crie.
Ernesto : Comment voulez-vous que je le sache, Monsieur ? Vous ne le savez pas vous-même… Vous dites n’importe quoi, il me semble…
L’instituteur : Excusez-moi, Monsieur Ernesto.

( Marguerite Duras, La Pluie d’été, POL, 1990 )

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Franck Prévot (1968-2020)

 

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    Franck Prévot, écrivain, est décédé le mercredi 27 mai 2020. Il avait 52 ans. Il aimait à dire qu’il avait commencé ses études d’écriture dès le cours préparatoire  grâce à des enseignants férus de littérature pour la jeunesse qui lui apprirent à lire avec Petit-Bleu et Petit-Jaune. Il sentira toutefois le besoin de passer un baccalauréat scientifique. Ce sera ensuite une école supérieure de commerce et un IUFM, avec, entre les deux, des voyages (dont un, de 18 mois, en Indonésie, dans un village où il créera, avec les habitants, une association de défense de l’environnement). Ne pas omettre une peu probante expérience comme employé dans une banque. Franck Prévot sera professeur d’école, à Valence, pendant une dizaine d’années avant de faire du travail d’écrivain son activité principale.

    Premiers livres : Tout allait bien (Le buveur d’encre, 2003) et Un amour de verre, illustré par Stéphane Girel (Le Rouergue, 2003). Il a publié depuis une trentaine d’ouvrages aux éditions Le Baron Perché, Grandir, Thierry Magnier, Nathan, Rue du monde, L’édune, HongFei Cultures, La maison est en carton. A signaler : Lumières : l’Encyclopédie revisitée (1713-2013) avec des illustrations de Julia Wauters, Charles Dutertre, Albertine, Rascal, Vincent Pianina, Jean-François Martin, Clotilde Perrin, Régis Lejonc, Tom Schamp, Janik Coat et Martin Jarrie (L’édune, 2013), publié pour le tricentenaire de la naissance de Denis Diderot et qui fera l’objet d’une exposition.

    Franck Prévot aimait rencontrer ses jeunes lecteurs pour des ateliers d’écriture et des lectures dessinées. Dernier ouvrage : La vraie vérité sur le secret de la maitresse illustré par Amandine Laprun (Nathan, 2019). Quand on l’interrogeait sur lui-même – ce que le CRILJ avait eu l’occasion de faire à Beaugency, lors d’un salon du livre – il expliquait volontiers qu’il aime les enfants, les gens et son jardin, son chat gris et son poisson rouge qui est bleu, courir le monde en bateau, à pied ou en poésie, s’inventer dix d’histoires par jour, parler des livres avec ceux qui les font et avec ceux qui les lisent, jouer avec les mots même quand c’est difficile. « Franck écrivait des histoires et de la poésie. Ses textes lus par mille gens, ceux-là voulurent le rencontrer. Il aima ces gens et ces rencontres. Elles lui donnèrent mille occasions d’inviter qui le voulait à écrire sa poésie. Et chacun devenait poète en sa présence. Mais aujourd’hui est vide. Jusque-là, Franck faisait vivre ses textes auprès des lecteurs petits, grands ou vieux et autres émerveillés. Désormais, c’est à ses textes de faire vivre sa voix. Franck a choisi sa manière de donner. Avec la même liberté, nous recevons, reconnaissants. » (Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh, HongFei Cultures)

(avril 2020)

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TÉMOIGNAGE

    C’est avec une immense tristesse que nous avons appris le décès brutal de Franck Prévot, grand auteur de la littérature jeunesse que nous avons eu l’immense plaisir d’accueillir, à plusieurs reprises, au Festival Rêves d’Océans.

    Nous nous souvenons tous de sa générosité et des incroyables moments partagés avec les enfants dans les classes, des sourires et paroles échangés avec les festivaliers, comme avec l’ensemble des bénévoles. Il a particulièrement touché chacun d’entre nous lorsque le dimanche soir, après avoie été en signature tout un week-end, comme une évidence, il soulevait tables et étagères, débarrassait bancs et barrières … pour aider les bénévoles au démontage, avant de partager avec nous le repas d' »au-revoir »!

    Une année, alors qu’un éditeur invité à participer à la journée professionnelle avait dû se décommander pour raison de santé quelques heures seulement avant le début de la formation, Franck, au pied levé, a répondu immédiatement à la demande d’Anne Colinot pour venir le remplacer.

    C’était Franck Prévot, un homme d’une gentillesse reconnus par tous ceux qui ont eu le bonheur de le rencontrer. Il nous laisse ses nombreux textes et pensées, dont toutes celles écrites pendant le confinement et partagées généreusement, au quotidien sur les réseaux sociaux. Nous prendrons plaisir à lire et à relire ses écrits pendant encore longtemps !

    Sa disparition est d’une violence inouïe. Un homme d’une rare humanité nous quitte. Un grand vide.

    Nos pensées accompagnent son épouse, ses enfants et tous ceux qui l’ont aimé.

    Bien sûr, nous pensions avec beaucoup de plaisir le réinviter à une prochaine édition, c’était une évidence et une certitude. Cela ne sera plus possible et notre peine est grande.

(Les Rêveurs d’Océans – avril 2020)

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De la pauvreté

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L’en faut, des pauvres, c’est nécessaire

Dans L’hiver, premier poème du recueil Les soliloques du pauvre, publié à compte d’auteur en 1895 et au Mercure de France en 1897, Jean-Rictus, anarchiste et poète, qui doit à quelques comédiens, diseurs et chanteurs de conserver aujourd’hui encore une forme de notoriété, commence, en quelques phrases bien senties, par stigmatiser les bourgeois parisiens organisateurs de bals de charité et les élus de la République habiles en discours de saison. Puis, le poète écrit d’autres strophes à propos des artistes avant de s’imaginer prenant la parole à son tour.  

    a

                  […]

     Contemplons les Artisses,

     Peint’s, poèt’s ou écrivains,

     Car ceuss qui font des sujets trisses

     Nag’nt dans la gloire et les bons vins !

     Pour euss, les Pauvr’s, c’est eun’ bath chose,

     Un filon, eun’ mine à boulots ;

     Ça s’ met en dram’s, en vers, en prose,

     Et ça fait fair’ de chouett’s tableaux !

     Oui, j’ai r’marqué, mais j’ai p’têt’ tort,

     Qu’ les ceuss qui s’ font « nos interprètes »

     En geignant su’ not’ triste sort

     S’arr’tir’nt tous après fortun’ faite !

                […]

     T’nez Jean Rich’pin

     En plaignant les « Gueux » fit fortune.

     F’ra rien chaud quand j’ bouffrai d’son pain

     Ou qu’y m’ laiss’ra l’taper d’eun’ thune.

     Ben pis Mirbeau et pis Zola

     Y z’ont « plaint les Pauvres » dans des livres,

     Aussi, c’ que ça les aide à vivre

     De l’une à l’aute Saint-Nicolas !

              […]

     Ben en peintur’, gn’y a z’un troupeau

     De peintr’s qui gagn’nt la forte somme

     À nous peind’ pus tocs que nous sommes :

     Les poux aussi viv’nt de not’ peau !

     Allez ! tout c’ mond’ là s’ fait pas d’ bile,

     C’est des bons typ’s, des rigolos,

     Qui pinc’nt eun’ lyre à crocodiles

     Faite ed’ nos trip’s et d’ nos boïaux !

     L’en faut, des Pauvr’s, c’est nécessaire,

     Afin qu’ tout un chacun s’exerce,

     Car si y gn’aurait pus d’ misère

     Ça pourrait ben ruiner l’Commerce.

     J’en ai ma claqu’, moi, à la fin,

     Des « P’tits carnets » et des chroniques

     Qu’on r’trouv’ dans les poch’s ironiques

     Des gas qui s’laiss’nt mourir de faim !

     J’en ai soupé de n’pas briffer

     Et d’êt’ de ceuss’ assez ‘pantoufles’

     Pour infuser dans la mistoufle

     Quand… gn’a des moyens d’s’arrbiffer.

               […]

     Eh donc ! tout seul, j’ lèv’mon drapeau ;

     Va falloir tâcher d’êt’sincère

     En disant l’vrai coup d’la Misère,

     Au moins, j’aurai payé d’ma peau !

                 […]

     Au lieu de plaind’ les Purotains

     J’ m’en vas m’foute à les engueuler,

     Ou mieux les fair’ débagouler,

     Histoir’ d’embêter les Rupins.

     Oh ! ça n’s’ra pas comm’ les vidés

     Qui, bien nourris, parl’nt de nos loques,

     Ah ! faut qu’ j’écriv’ mes « Soliloques » ;

     Moi aussi, j’en ai des Idées !

     Je veux pus êt’ des Écrasés,

     D’la Mufflerie contemporaine ;

     J’ vas dir’ les maux, les pleurs, les haines

     D’ ceuss’ qui s’appell’nt « Civilisés » !

     Et au milieu d’leur balthasar

     J’vas surgir, moi (comm’ par hasard).

              [..]

     Et qu’on m’tue ou qu’j’aille en prison,

     J’m’en fous, j’n’connais pus d’contraintes :

     J’ suis l’Homme Modern’, qui pouss’ sa plainte,

     Et vous savez ben qu’j’ai raison !

(édition de poche : Les soliloques du pauvre et autres poèmes, Le Diable Vauvert, 2009)

a

Gabriel Randon de Saint-Amand, qui prit le pseudonyme de Jehan Rictus puis de Jehan-Rictus (avec un tiret), est né à Boulogne-sur-Mer en 1867 et mort à Paris en 1933. Les textes qu’il composa dans la langue du peuple de Paris sont principalement réunis dans Les Soliloques du pauvre  (1895 puis 1897), ouvrage qui donne la parole à un sans-logis contraint d’errer dans la capitale et dans Le Cœur populaire (1914) où s’expriment ouvriers, prostituées, cambrioleurs et enfants battus : « Nous, on est les pauv’s tits fan-fans, les p’tits flaupés, les p’tits foutus à qui qu’on flanqu’ sur le tutu, les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat, les p’tits bibis, les p’tits bonshommes, qu’a pas d’bécots ni d’suc’s de pomme, mais qu’a l’jus d’triqu’ pour sirop d’gomme et qui pass’nt de beigne à tabac. »  La vérité oblige à dire que l’image de « poète des pauvres » accolée à Jehan-Rictus lorsqu’en quête de notoriété, il disait ses textes dans les cabarets montmartrois, découle d’une posture littéraire qui le servit puis l’encombra. L’écrivain, que le sort des plus démunis préoccupa et qui connut lui-même la précarité, cultivera sciemment sa faubourienne manière d’écrire. Dans Fil de fer, roman qu’il publie chez Louis Michaud en 1906, il évoque son enfance « à la Poil de carotte ».  En 1931, il enregistre, chez Polydor, sur trois disques 78 tours, cinq de ses poèmes dont Les petites baraques que Claude Antonini reprend, en 1993, dans le CD Claude Antonini chante et dit Jehan-Rictus. Le rappeur Virus déclame L’hiver  dans un CD publié par Le Diable Vauvert en 2017.

a

    Le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse qui, en 2018 et 2019, s’est intéressé à la question des représentations de la pauvreté dans les livres écrits et publiés à destination des enfants et des jeunes, et à celle des conséquences sur ces enfants, sur ces jeunes et sur leurs familles des situations de misère et de précarité, met à disposition de tous un ensemble conséquent de documents :

– il a réalisé une brochure La pauvreté dans la littérature pour la jeunesse : fictions et réalités susceptible de sensibiliser les médiateurs du livre et de les aider à concevoir des animations s’adressant prioritairement aux jeunes lecteurs.

– il a mis en place un colloque pluridisciplinaire rassemblant chercheurs, journalistes, auteurs et illustrateurs, enseignants, bibliothécaires, médiateurs et responsables d’associations et le numéro 10 des « Cahiers du CRILJ », La pauvreté à l’œuvre dans la littérature pour la jeunesse, restitue l’ensemble des interventions des deux journées.

– il a demandé à Muriel Tiberghien, critique et administratrice du CRILJ, d’établir une bibliographie détaillée traitant du thème de la précarité et de la pauvreté dans la littérature pour la jeunesse, à partir de l’ensemble des livres publiés en France depuis 1970.

    La brochure et le numéro 10 des « Cahiers » sont en vente en page boutique. C’est ici.

    La bibliographie est téléchargeable au format livret et au format liste déroulante. C’est .

Bernard Epin (1936-2020)

 

    Bernard Épin, instituteur puis directeur d’école, critique littéraire et auteur, est décédé le mercredi 1er avril 2020, victime du coronavirus. Il avait 83 ans. C’était un homme engagé pour le partage de la culture et pour des changements sociaux audacieux, un intellectuel curieux qui savait allier fidélité à ses convictions et écoute attentive. Syndicaliste, élu municipal, adjoint à la culture à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) pendant près de 25 ans, il s’était impliqué, à partir de 1968, dans la défense d’une littérature pour la jeunesse de qualité, inventive, ouverte à tous les enfants. Il occupa une place de médiateur reconnue et multiplia les interventions militantes, aux côtés de grands aînés comme Raoul Dubois, pour la promotion d’une littérature innovante et libératrice, lors de débats, de stages, d’émissions de radio.

    Bernard écrivit, dans une écriture précise, des centaines d’analyses pour L’École et la Nation (où il succéda à Natha Caputo), pour Révolution, pour Regards, pour L’Humanité. Il signa plusieurs livres pour enfants aux éditions La Farandole dont, avec Pef, l’étonnant album Les petits mots des petits mômes (1990). Son essai Les livres de vos enfants, parlons-en (1995) s’adressait tant aux parents curieux qu’aux spécialistes de terrain. « L’exigence démocratique, écrivait-il, ne part jamais de rien. Elle s’alimente à tout ce qui fait les aspirations quotidiennes de notre vie. Le droit à la lecture, le pouvoir de lire qu’il faut gagner n’appartiennent pas au rayon des accessoires superflus. Ils se nourrissent des expériences heureuses, des rencontres réussies. Il en est du plaisir de lire comme des autres ; il ne s’accomplit qu’avec le désir et la possibilité de le faire partager. Raison de plus avec les enfants. » Bernard était un ami de longue date du CRILJ. Il n’avait pas hésité à se joindre à nous lorsque nous l’avions invité, à Saint-Jean-de-le-Ruelle, dans le Loiret, pour inaugurer la bibliothèque Colette Vivier. Le séminaire Les grands témoins de la recherche et de la promotion des publications pour la jeunesse du Centre Robinson de l’université d’Artois l’avait accueilli, un 1er avril, en 2011.

(avril 2020)

a.

Guillermo Mordillo (1932-2019)

 

Guillermo Mordillo, dessinateur né à Buenos Aires (Argentine) est décédé le samedi 29 juin 2019. Il avait 86 ans. A 20 ans, alors qu’il a ouvert un studio de dessins animés, il fuit la dictature et s’installe à Lima puis à New-York. « En été 1966, je me suis retrouvé à Paris, seul, chômeur et ignorant le français. Alors, j’ai créé des dessins de presse humoristiques simplement pour manger. Des dessins sans paroles, puisque j’étais incapable d’écrire une bulle en français. » Boulet, auteur de bande dessinée, exprime son amertume : « Mordillo est mort. Tristesse. J’adorais ses livres quand j’étais petit, ses images fourmillantes de millions de détails m’ont beaucoup influencé. J’avais eu le bonheur de signer à côté de lui pendant un salon, c’était un homme très humble et d’une grande gentillesse. » Peut-être Boulet découvrit-il les dessins de Mordillo dans Pif Gadget au détour des années 1970 (ou dans Lui ou dans Marie-Claire ou dans Paris Match). Le monde entier (ou presque) se souviendra, en tout cas, des girafes improbables du dessinateur et de ses gags délicieusement caustiques à propos du football et de footballeurs.

 

 

En 1998, la Foire du livre de jeunesse de Bologne (Italie), avait dédié à Mordillo une exposition intitulée Le jardin secret de Mordillo conçue comme un « hommage affectueux à l’un des illustrateurs les plus importants du siècle ». Elle présentait notamment son premier dessin animé, réalisé à l’âge de 12 ans, ses premières illustrations des années 50 en Argentine et au Pérou, ses fables pour enfants sans dialogue datant des années 70 et des travaux d’animation centrés, déjà, sur les girafes.

 

 

 

 

 

Une loi pas vraiment connue

 

 

 

Le Centre national de la littérature pour la jeunesse met en place, du mercredi 17 septembre au dimanche 1er décembre 2019, sur le site François Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France (BnF), quai François Mauriac à Paris, une exposition Ne les laissez pas lire ! Polémiques et livres pour enfants. « Interdits, censurés, critiqués, par des particuliers, des institutions, des associations, des groupes politiques, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, les livres pour la jeunesse qui ont suscité des polémiques, du début du XXe siècle à nos jours, sont nombreux. Quels sont-ils, en quoi sont-ils révélateurs d’une vision de l’enfance et d’une société face à ses tabous ? Jusqu’où doit aller la protection de l’enfance ? Où s’arrête la liberté d’expression ? Autant de questions que soulève cette exposition en présentant quelque 120 publications ayant fait débat : elle invite à explorer l’histoire de la littérature pour enfants sous l’angle des controverses et de la censure, à l’occasion des 70 ans de la loi du 16 juillet 1949 qui encadre encore aujourd’hui le travail de toute l’édition pour la jeunesse. »

 

Nous proposons ici, en accompagnement, un texte paru initialement dans le numéro 1 de novembre 2009 des « Cahiers du CRILJ » portant le titre Peut-on tout dire (et tout montrer) dans les livres pour enfants ? La publication est toujours disponible et sommaire et bon de commande peuvent être retrouvés ici, en page « Boutique » de ce site.

 

Venue de fort loin, votée après de longs débats en commission et en séance plénière, la loi numéro 49-946 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse répond très largement aux inquiétudes des familles et des éducateurs. Soucieuse en ces temps d’après-guerre de protection de la jeunesse, croyant à l’influence pernicieuse des journaux illustrés pour enfants, la représentation nationale vote un texte dans l’air du temps.

    Paulette Charbonnel s’exprime dans le numéro 5 (1953) de la revue Enfance dans un article qu’elle titre Comment a été votée la loi du 16 juillet 1949  

Refus de vote

    « Dans presque tous les groupes parlementaires, en dehors du groupe communiste qui avait eu la première initiative, cette loi suscita, notamment au MRP, des ardeurs de travail et un intérêt qui ne se démentit pas. Même le débat en seconde lecture renouvela la discussion et dut durer plusieurs heures.

    Le péril fut unanimement reconnu – quoique parfois avec bien des réserves diplomatiques – quand fut souligné l’origine américaines de la presque totalité des bandes incriminées.

    Sur un premier point : nécessité d’un contrôle, l’accord se fit.

    Mais que voulaient voir disparaître des journaux d’enfants nos parlementaires ? Il fut très difficile de parvenir à une rédaction satisfaisante de l’article 2. A cet égard, les procès-verbaux des commissions seraient même plus instructifs que les débats en séance plénière, car chacun fait entendre clairement ses préoccupations…

    Le groupe communiste eut à poser des questions comme “A-t-on le droit d’exciter à la colère contre ceux qui trahissent leur patrie ?” Ce ne fut pas simple. Et il ne faut pas croire que les questions se posèrent gratuitement. Virgile Barel, député des Alpes-Maritimes, fut battu sur un amendement qui aurait interdit à tout homme qui aurait été directeur d’une publication collaboratrice de diriger une revue pour enfants…

    (Telle qu’elle fut présentée), cette loi n’était qu’un trompe-l’œil destiné à donner quelque apaisement à une large opinion publique profondément alarmée. Mais il devenait impossible de s’attaquer aux racines du mal, bien qu’il eut été dénoncé nommément par certains membres même de la majorité.

    C’est pourquoi le groupe communiste, qui avait contribué à provoquer ces débats et participé à l’élaboration de la loi, refusa de voter ce texte tronqué. »

Extraits de la loi – version initiale de 1949

. Article 1

  Sont assujetties aux prescriptions de la présente loi toutes les publications périodiques ou non qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinées aux enfants et adolescents.

  Sont toutefois exceptées les publications officielles et les publications scolaires soumises au contrôle du ministre de l’Éducation nationale.

. Article 2

  Les publications visées à l’article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse, ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques.

  Elles ne doivent comporter aucune publicité ou annonce pour des publications de nature à démoraliser l’enfance ou la jeunesse.

Conjurer les périls

    Sur les cent vingt-cinq publications visées à l’article premier examinées pendant le deuxième trimestre de l’année 49, trente-trois faisaient l’objet d’un avertissement avec mise en demeure, quinze d’un avertissement simple et sept demeuraient en suspens. Le long texte qui clôt le compte rendu des travaux de cette première année est titré Action de la commission en vue de l’amélioration de la presse enfantine. L’analyse qui, dans ce texte de 1963, précède les “recommandations élémentaires” que les commissaires souhaitent faire aux éditeurs est particulièrement incisive :

     « Une partie de la presse enfantine, avec ses intrigues tissées de perfidie, de cruauté et d’indignités morales diverses, présente un tableau de l’existence qui s’apparente à la littérature “noire”. Le succès de ce genre littéraire auprès de certains adultes n’autorise pas à l’imposer aux enfants. En effet, l’habitude de lectures sinistres leur inspirerait le pessimisme. Or il est du devoir d’une presse enfantine éducative, ou même simplement récréative, de ne pas faire perdre aux enfants un certains optimisme qu’il faut considérer comme vital, même si l’on admet qu’il y entre une part d’illusion. Il est intolérable que l’enfant soit amené à se représenter l’existence comme devant être employée toute entière à déjouer des embûches criminelles, à conjurer des périls extrêmes, à redresser des torts abominables, à lutter sans cesse contre le mensonge, l’iniquité et l’égoïsme, sans rencontrer jamais le repos de la vérité et de la justice dans la probité et l’affection.

    Les couleurs sombres d’une certaine littérature ne doivent pas obscurcir les pages des publications enfantines. Il faut que l’inspiration de celles-ci répondent aux besoins primordiaux de l’âme enfantine, qui désire et espère. »

    A la commission à qui a été confié, de par la loi, le travail de surveillance des publications destinées aux enfants et aux adolescents revient également le contrôle des “publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse”. L’article 14 élargit en effet le champ d’application du texte aux livres destinés d’évidence à des lecteurs adultes – mais pouvant tomber dans les mains des enfants. Les commissaires se mettent donc au travail et le second compte rendu des travaux de la commission de surveillance qui concerne l’année 1955 ne comporte pas moins de trois cents cinquante publications stigmatisées parce que licencieuses ou pornographiques.

Extraits de la loi – version initiale de 1949

. Article 14

  Il est interdit, sous les peines prévues au premier alinéa de l’article 7 de la présente loi, de proposer, de donner ou de vendre à des mineurs de dix-huit ans, les publications de toute nature présentant un danger pour la jeunesse, en raison de leur caractère licencieux ou pornographique, de la place faite au crime.

  Il est interdit, au surplus et sous les mêmes sanctions, d’exposer ces publications sur la voie publique, à l’extérieur des magasins et des kiosques, ou de faire pour elles une publicité dans les mêmes conditions.

  Les interdictions ci-dessus résultent d’arrêts pris par le ministre de l’Intérieur.

 La commission chargée de la surveillance et du contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence est habilitée à signaler les publications qui lui paraîtraient justifier ces interdictions.

  La vente et l’offre couplé des publications définies à l’article 1er de la présente loi, avec des publications visées au paragraphe Ier du présent article est interdite sous peine des sanctions prévues au premier alinéa de l’article 7 de la présente loi.

Abroger ou pas

    Toute occupée à surveiller la presse enfantine et à réprimer les écrits contraires aux bonnes mœurs, la commission n’examinera aucun livre ou album pour enfants jusqu’aux années 70. Depuis cette date, environ mille ouvrages seraient examinés chaque année. Chiffre invérifiable. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’aucun livre ou album n’a fait l’objet d’une proposition d’interdiction. Par contre – ce que la loi ne prévoit pas –, des actions plus ou moins souterraines prenant la forme d’un courrier d’avertissement à l’éditeur ou d’une convocation sont venues enrichir la panoplie des procédures.

    Hormis chez les politiques, la question d’une abrogation de la loi de 1949 est régulièrement posée, Ce qui, compte tenu de l’évolution de la société en général et de la diversification des moyens d’information ou de divertissement en particulier, semble aller de soi pour les partisans de l’abrogation, rencontre une franche indifférence de la part des élus de la République. D’autres, après y avoir réfléchi et peu suspects de pensées liberticides, estiment que, sans loi et sans commission, le pire devient possible et qu’il est urgent d’attendre. Affaire à suivre – tant qu’il y aura des lecteurs.

André Delobel  (novembre 2009)

Prolongements :

Le texte complet de la loi, dans sa version initiale et dans la version aujourd’hui en vigueur est accessible ici, sur le site Légifrance.

André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de quarante ans et fut secrétaire général au plan national de 2009 à 2019 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien du Loiret La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des « Cahiers du CRILJ » consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).