Epatants découpages

 par André Delobel

   – C’est toi qui es chargé de l’éditorial ?

    – Ben oui.

    – Ça va pas être triste.

    – Pardon ?

    – Tu parles toujours de toi quand tu fais un éditorial.

    – Faut pas ?

    – Parle de Béatrice Tanaka.

    – C’était à la fin des années soixante. Jeune instituteur en Tunisie, j’avais abonné ma classe à Jeunes Années et…

    – Béatrice, s’il te plait.

   – Dans le numéro 2 d’octobre 1969, il y a avait un conte vietnamien, Un nom pour un chaton, raconté par Béatrice Tanaka et illustré par elle de curieux découpages multicolores. Il était accompagné d’un judicieux « jouet animé », en papier bien sûr. Les découpages m’épataient et épataient aussi mes élèves, pas contrariants pour deux sous.

   – Et après ?

   – Après, on s’est amusé avec les enfants à repérer, dans les numéros suivants, s’il y avait d’autres découpages de Béatrice Tanaka. Cela a duré plusieurs années. A cause de moi, bien sûr. On a aussi essayé, pluseurs fois, de faire pareil. Résultats catastrophiques.

   – Après ?

   – J’ai acheté La Fille du Grand Serpent, Maya, La Montagne aux trois questions et je me suis aperçu que Béatrice Tanaka ne faisait pas que manier les ciseaux. Puis, il y a eu 1982.

   – Tu veux dire 1981 ?

   – Pas de politique. Je parle bien de 82, l’année où Le Tonneau enchanté est publié à La Farandole. Un pur régal.

   – Découpages ?

   – Découpages. Et puis un noir et rouge de toute beauté. Ensuite, je me suis procuré régulièrement les albums paraissant chez Vif Argent et je me suis, peu à peu, débarrassé de ma fixation.

   – Tu as résilié ton abonnement à Jeunes Années ?

   – N’importe quoi ! Et dis-toi qu’il y avait aussi Eclats de Lire et Gullivore

   – C’est beau la fidélité.

   – Je n’ai connu que bien plus tard les illustrations des contes africains publiés chez Présence Africaine. Un noir et blanc modeste, immédiatement parlant.

   – Tu n’a pas cherché à en savoir plus sur Béatrice ?

   – De retour en France, grâce au CRILJ, la rencontre était certainement envisageable. Elle ne s’est pas faite. En 1990, travaillant avec mes élèves Le Tonneau enchanté

   – Encore ce tonneau !

   – Travaillant cet album pour en parler dans La République du Centre, j’ai cherché à en savoir un peu plus sur Béatrice Tanaka et nous lui avons écrit.

   – Et, bien sûr, elle a répondu …

   – J’ai aussi rédigé, pour le journal, une courte biographie. Ça t’intéresse ? Tiens, je lis : « Béatrice Tanaka est né en 1932 à Cernaiti, ville moldave qui fut austro-hongroise avant d’être roumaine puis russe. Petite fille, elle voyage, bien malgré elle, vers la Turquie, la Palestine et l’Italie. Elle émigre au Brésil, enseigne le français et l’anglais, aspire à devenir comédienne, s’installe en France, fait des études de scénographie, crée des costumes de théâtre, écrit des pièces pour enfants, devient l’élève de l’affichiste Paul Colin, collabore à plusieurs revues pour enfants, publie chez divers éditeurs (La Farandole, Vif Argent, La Noria, l’Ecole des Loisirs, Bayard Presse, Magnard) des livres dont elle est le plus souvent l’auteur-illustrateur, parfois seulement l’illustrateur, quelquefois le traducteur. »

   – Dis donc, t’as vu …

    – T’as vu quoi ?

   – T’as réussi à ne pas parler de toi pendant plus de cent mots.

   – Pas fait exprès.

    – Dis …

   – Quoi ?

   – Tu me prêtes Le Tonneau enchanté ?

( Griffon  n° 226 – mars-avril 2011 – Béatrice Tanaka )

   béatrice tanaka

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Penser national, agir local

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par André Delobel

    Au début des années 1970, quinze millions de français ayant moins de 15 ans, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse connait une augmentation soudaine. Les catalogues se diversifient. La qualité s’améliore. Au même moment, les recherches sur la littérature de jeunesse se multiplient et on observe une sensibilisation croissante des éducateurs aux questions de lecture. Pourtant, les seuls ouvrages vraiment connus de la plupart des enfants sont encore leurs livres d’école et les bibliothèques, en nombre insuffisant, souvent sous-équipées, ne constituent pas une alternative suffisante. La formation souhaitée par tous, professionnels et bénévoles, se met en place peu à peu, institutionnelle parfois, militante le plus souvent.

    Ne pas s’étonner de voir alors, à l’issue de journées d’études souhaitées par le Centre International d’Études Pédagogiques de Sèvres en 1973 et d’une rencontre organisée à Marly en octobre de la même année par la section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse, réapparaitre l’idée d’une association qui serait le carrefour de toutes les personnes et de toutes les initiatives recensées dans le domaine du livre pour l’enfance et la jeunesse. En 1974, profitant du sigle d’une association en sommeil dont Mathilde Leriche fut présidente, le CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, se constituait.

    Il apparut très vite à l’équipe essentiellement parisienne qui, de Sèvres, organisait les commissions de travail et diffusait l’information, que le développement de l’association ne pouvait passer que par une déclinaison couvrant le territoire et c’est ainsi que, fort de ses 1800 adhérents, le CRILJ s’organisa en vingt-cinq sections, locales, départementales ou régionales.

    En 1977, la section de l’Orléanais du CRILJ fut l’une des premières à prendre forme. Portée par un groupe de parents et d’enseignants de Saint-Jean-de-la-Ruelle, soutenue notamment par Jacqueline Held, elle parvint à rassembler, dès son origine, des enseignants, des bibliothécaires, des libraires, des auteurs, des animateurs, des parents d’élèves et son assemblée générale constitutive bénéficia de la présence encourageante de Marc Soriano. « J’ai aimé, se rappelle Linette Erminy toujours présidente, travailler à solidariser parents, enfants et enseignants autour des livres. Ce fut une époque où le CRILJ milita pour que les mairies créent des bibliothèques, pour que les enseignants ouvrent des coins-lecture, pour que les parents achètent des livres aux enfants et pour que les enfants acquièrent le goût de lire et le conservent. Dans ces projets, militant aussi était le choix des livres. »

    Un regard rétrospectif sur plus de trente ans de CRILJ/Orléanais permet de parcourir les principales initiatives et de saisir les évolutions :

– Les réunions mensuelles des premières années pendant lesquels chacun faisaient part aux autres de ses lectures, les listes à mettre à jour, les malles à constituer, les prochaines expositions-ventes à organiser, l’agenda des rencontres à compléter, le courrier aux adhérents à mettre sous enveloppe. Un bureau d’une petite dizaine de personnes toujours partantes.

– La mise à disposition, grâce à l’entremise d’une conseillère municipale orléanaise acquise à nos actions, d’un local de 90 m2 facilement accessible et l’obtention auprès de la DRAC de la région Centre d’une subvention permettant d’acheter armoires et rayonnages et de mettre à disposition de toute personne intéressée les livres et les documents jusqu’alors dispersés en divers greniers.

– Les groupes d’enseignants reçus au Centre de ressources, semaine après semaine, au bon temps de la formation continuée, pour donner envie de lire albums, romans et documentaires, pour convaincre de mettre ces livres à disposition des enfants, pour aider les équipes à mettre en place la Bibliothèque Centre Documentaire de l’école et à la faire vivre. C’était un temps où il fallait encore, parfois, se justifier quand on présentait Le Géant de Zéralda ou Max et les maximonstres …

– L’implication, dans le cadre d’un comité d’organisation élargi, dans l’organisation et l’animation du Salon du livre pour enfants et adolescents de Beaugency, chaque édition relançant l’aventure, pleins feux sur les bébés lecteurs une année, sur les adolescents l’année suivante. Je n’oublie pas non plus les rencontres Pages et Plume en complicité avec la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, à Orléans.

– L’envoi chaque quinzaine, depuis 2003, d’un courrier électronique proposant textes et informations à 1500 correspondants. Pour cause de transfert, ce chiffre serait, nous a-t-on expliqué, à multiplier par quatre.

– L’accueil, chaque année depuis cinq ans, de deux ou trois stagiaires en Master de traduction à qui nous proposons de traduire en français, sous notre contrôle, des ouvrages de littérature pour la jeunesse ou des articles de revues spécialisées. Il s’agit certes, pour le stagiaire, plus d’un élargissement de formation qu’un véritable stage en entreprise, mais il s’évère que chacun des partenaires (étudiants, université, association) trouve son compte dans le dispositif que nous proposons.

    C’est le CRILJ/Orléanais qui assura, à compter de septembre 1983, la continuité hebdomadaire de la rubrique « Lire à belles dents » publiée pendant quatorze ans dans le quotidien orléanais La République du Centre, faisant cohabiter propos de jeunes lecteurs et parole adulte. Se replonger dans la collection, c’est traverser l’histoire de la littérature pour la jeunesse de ces années-là.

    Le CRILJ/Orléanais conserve également un ensemble privé de 9000 affiches en relation avec le livre et la lecture pouvant être prêtées pour des expositions. Cette collection qui s’enrichit de plusieurs centaines de pièces chaque année est certainement sous-employée, mais faire plus est, dans l’état actuel des finances de l’association, un rêve lointain.

    Depuis 2009, notre section s’est fortement rapprochée du CRILJ national. La cohabitation en un même lieu de deux entités distinctes n’a pas, dans les premiers temps, facilité la lisibilité. En revanche, la proximité des moyens matériels et humains permet à l’une et à l’autre des structures un déploiement amélioré. Ce sera l’affaire des prochaines années.

( version ‘augmentée’ d’un article paru dans le dossier consacré au livre et à la lecture en  Région Centre dans le numéro 50 de mai 2010 de la revue de l’Association des Bibliothécaires de France )

crilj orléanais

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Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans la République du Centre. Il est, depuis mars 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Il a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Cela n’engage que moi

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   Jean-Paul Gourévitch, je le connais depuis 1969. Il n’est pas au courant. Jeune enseignant dans une école française en Tunisie, attentif aux débats qui aboutiront au plan de réforme de l’enseignement du français à l’école élémentaire et titilllé par ce qu’il était dit de la poésie, je me procure Les enfants et la poésie que viennent de publier les Editions de l’école. L’étude me trouble car l’auteur n’est pas loin de conclure, contre le mouvement que je crois voir s’amorcer, que poésie et école sont peut-être bien incompatibles.

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   De retour en France, je ne rencontrerai finalement Jean-Paul que peu de fois. La plus importante sera lorsque, pour l’édition 1992 du Salon du Livre pour Enfants et Adolescents de Beaugency, il réalisera l’exposition « 150 ans d’illustration pour les enfants ou les tribulations de l’image 1800-1950 ». Travail remarquable et, qu’on se le dise, l’exposition est toujours empruntable.

      J’aime, chez Jean-Paul Gourévitch, le goût qu’il a de la recherche du texte rare,  de l’image inédite, du document qui, notamment dans le domaine de l’histoire de la littérature de jeunesse, vient compliquer la doxa des discours dominants. A cet égard, le recensement qu’il fit pour trois numéros spéciaux du bulletin du CRILJ, parcourant son sujet d’Erasme à la seconde guerre mondiale, en est la parfaite illustration. Textes de références et discours d’accompagnement tissent une histoire des livres pour enfants  qui, préférant le document référencé à la glose incertaine, échapppe aux simplifications douteuses et aux significations univoques. La lecture en continu des trois fascicules est un vrai régal et, pour les curieux d’aujourd’hui, la mise à jour parue dans la collection Argos du CRDP de l’académie de Créteil sous le titre La littérature de jeunesse dans tous ses écrits, court jusqu’en 1970. Un peu avant, en 1994, Images d’enfance, publié aux Editions Alternatives, déroulait une synthèse de quatre siècles d’illustration du livre pour enfants particulièrement stimulante où, par exemple, preuve nous était apportée qu’au XIXième siècle, l’image, déjà, faisait du marketing.

      Parmi les travaux plus récents de Jean-Paul Gourévitch, j’ai un faible pour Mémoires d’enfance paru aux éditions Le pré aux clerc en 2004. Citations d’écrivains et images de la collection Jacques Gimard se confrontent en huit thématiques impeccables. Ecrits et représentations ne sont pas toujours d’accord. C’est très bien comme cela. Le compilateur apporte en outre, dans les éditoriaux de chaque chapitre, les éléments qui permettent au lecteur de comprendre que « le discours sur l’événement rhabille les acteurs en dénudant l’action ». C’est quand même autre chose qu’un énième « beau livre » sur la nostalgie sûre d’elle-même des temps d’avant.

(  « Griffon » n° 216 – mars-avril 2009 – Jean-Paul Gourévitch )

 

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.