Lire et relire

Les pages dites Lire et relire ont une vocation historique. Elles accueilleront, semaine après semaine, au gré de nos envies, des textes initialement publiés dans la revue du CRILJ ainsi que des communications extraites des actes de nos divers colloques.

La littérature pour la jeunesse en Pologne

 par Maria Kulik

     Les changements politiques et économiques de 1989 ont un impact important sur le marché du livre pour enfants en Pologne.

     Des maisons d’édition et des imprimeries furent créées et le papier cessa d’être rationné. Comme résultat, beaucoup de titres, la plupart polonais et des classiques étrangers, furent réimprimés. Le graphisme des livres se modernisa, les illustrations s’embellirent, et enfin, la qualité du papier et de l’impression s’améliorèrent.

     Au début des années 1990, il semble que les livres publiés pour les jeunes lecteurs fut d’un commerce plus facile et plus rentable. Beaucoup de nouvelles maisons d’édition apparurent et la plupart d’entre elles avec des projets très ambitieux. Depuis, quelques unes de ces maisons ont beaucoup grandi pour devenir des entreprises bien établies avec leur propre politique éditoriale, leurs propres écrivains et des artistes reconnus, tandis que d’autres ont fait faillite ou ont changé d’orientation. En rivalisant pour les traductions de livres étrangers, les éditeurs polonais ont dû travailler plus durement encore sur l’amélioration de leurs produits. Les livres polonais sont alors vite devenus plus attrayants pour les jeunes lecteurs, avec de nouvelles couleurs, des couvertures brillantes et un dessin graphique doté d’une touche d’originalité. Une importante contribution à cet effort fut produit par la Section des Illustrateurs de l’Union des Artistes et Graphistes Polonais (ZPAP) qui, par l’organisation d’un concours « Pro-Bologne », a aidé à promouvoir de nombreux jeunes artistes. La section polonaise d’IBBY joue un rôle promotionnel similaire : depuis la compétition du « Livre de l’année » en 1999, la section a récompensé par des prix annuels le meilleur graphisme.

     Les écrivains qui ont fait leurs débuts dans les années 1990, ont eu plus ou moins de chance. Quelques uns ont acquis une certaine renommée et garde une position importante sur le marché, tandis que d’autres n’ont publié qu’un seul livre. Dorota Terakowska a prouvé qu’elle était un auteur de grand talent. Après the Witches’ Daughter (Córka Czarownic, 1991), elle a écrit Mr. Gryms’s Mirror (Lustro Pana Grymsa, 1995), The Loneliness of the Gods (Samotność Bogów, 2000). Les personnages de Terakowska sont des jeunes gens qui n’ont pas encore franchi le seuil de la maturité et qui sont à la recherche de leur identité dans une réalité dangereuse et incomprehensible. Durant leur quête, ils voyagent dans des mondes étranges et franchissent parfois des frontières qui n’existent pas. Après la publication de son conte de fée métaphorique sur la vieillesse, The Year of the Dragon (Rok Smoka, 1991), l’écrivain Joanna Rudińianska est malheureusement restée discrète pendant plusieurs années. Son livre suivant My father from the space (Mój tata z abcej planety) fut publié huit ans plus tard, en 1999. De la même façon, Tomek Trysna, auteur de Miss Nobody (Panna Nikt, 1994) n’a connu qu’une brève carrière. Son roman fut nommé « Livre de l’année » et ne fut pas seulement accueilli par un public de jeunes lecteurs. D’autres débuts intéressants de la dernière décennie inclus Tomasz Trojanowski et Grzergorz Kasdepke. Trojanowski a reçu le prix Kornel Makuszyński pour son livre Feline Tales (Kocie historie, 1999), une collection d’histoires en partie fantastiques et en partie humoristiques (humour réaliste), dont les héros sont l’auteur lui-même et ses trois chats. La base des histoires de Kasdepke était fondée sur son expérience professionnelle de rédacteur de magazines pour enfants, et il a reçu la même récompense pour son livre intitulé The Casperiad (Kacperiada, 2001), une collection d’histoires sur la vie familiale, concentrée sur les relations entre un jeune garçon et son père. Le premier ouvrage de Katarzyna Kotowska fut une vraie découverte littéraire. Son livre The Hedgehog (Jeż, 1999), une histoire touchante sur les problèmes de l’adoption et la construction graduelle de la confiance mutuelle et des liens émotionnels, a reçu de multiples prix et est depuis utilisé dans de nombreux centres d’adoption.

     Dans le domaine de la poésie, Malgorzata Strzalkowska fut une débutante intéressante, bien qu’elle se soit fait remarquer dans différents autres genres. Ses poèmes, qu’elle enrichit souvent de ses propres illustrations, ne sont pas seulement humoristiques mais également pédagogiques et thérapeutiques.

     La prose réaliste est représentée par Krystyna Drzewiecka qui a reçu une grande distinction dans la compétition du « Children’s Bestseller of the Year ». Grażyna Bakiewicz écrit pour des adolescents plus âgés et son livre Oh, Melba ! (O melba !, 2002), un roman enraciné dans la réalité de la Pologne contemporaine, incite le lecteur à rebâtir sa foi dans un système de valeur traditionnelle.

     Dans la dernière décennie, de nouveaux auteurs de roman fantastique, un genre très populaire en Pologne, ont fait leur apparition. En 1994, Andrzej Sapkowski a commencé son cycle intitulé Witcher Geralt dans lequel il utilisait des thèmes issus de légendes et de contes de fée polonais. Amorcée en 1994 par le livre The Blood of Elves (Krew Elfów), la saga de Sapkowski compte maintenant cinq best-sellers et a même fait l’objet d’un film.

     La publication de Illusion Weaver (Tkacz iluzji, 1997) de Ewa Bialolęcka fut elle-aussi un événement littéraire majeur. Le livre est construit sur le thème bien connu de l’enfant doté de pouvoirs magiques. Il a disparu des librairies en un rien de temps et a reçu le prestigieux prix Janusz Zadjel récompensant les auteurs polonais de fantastique. Dans le contexte de la fascination récente pour les histoires fantastiques et les légendes celtiques, une mention spéciale devrait être faite à Wanda Chotomska pour ses adaptations humoristiques des légendes polonaises toujours populaires (Polich Legends ; Legendy polskie, 2000).

     Pendant de nombreuses années, la littérature pour enfants polonaises a été dominée par la poésie. Dorota Gellner continue ainsi dans la meilleure tradition du genre. Ses nombreux volumes de poésie, emplis d’humour lyrique et de réflexion, ont remporté de nombreux grands prix. La poésie de Joanna Kulmowa est très différente par le ton employé (Little Oak Men, Dębołki, 1998), The Lost Light (Zgubione Światełko, 1990). Son imagination peu commune à la manière d’un peintre et sa connaissance de la psychologie enfantine lui permet d’exprimer des vérités morales, philosophiques et religieuses importantes.

     La poésie de Emilia Wiśniowska a, elle-aussi, développé une voie intéressante. Dix ans après ses débuts, un premier volume intitulé When you can hear birds (Kiedy slychać ptaki, 1998) fit son apparition et fut bientôt suivi par Taming the fear (Oswajam strach, 2001) et How to Love the Witch (Pokichać Babę Jagę, 2002).

     Zafia Beszczyńska est un excellent écrivain qui continue d’être un poète même quand elle écrit en prose. Son livre The Tealeaf Cat (Kot herbanciany, 1999) a reçu deux récompenses (le « Book of the Year » et le « Children’s Best-seller of the Year », tout comme Tales about Things and Non-things (Bajki orzeczach i nierzeczach, 2002).

     On peut seulement souhaiter que la poésie pour les plus jeunes lecteurs soit publiée en un peu plus grand nombre d’exemplaires.

     On peut citer la maison d’édition Podsiedlik, Raniowski and Co, qui publie régulièrement des volumes d’anthologie pour enfants où la poésie est le genre dominant (Poems and Stories for Five-Year-Old (Wiersze i opowiadania dla 5-latków, 1997).

     Bien que la poésie tienne une place importante sur le marché du livre polonais, un grand choix est offert par les écrivains publiant en prose. Krystyna Siesycka, la plus populaire des auteurs de romans pour adolescentes depuis un bon nombre d’année, s’est vue remettre une « Medal of Achievement » par la section polonaise d’IBBY. Elle continue à écrire et publier, son dernier ouvrage, à travers le regard d’une femme d’âge mûr inclut une réflexion sur le temps qui passe, souvent exprimé sous la forme d’un dialogue entre deux générations. Malgorzata Musierowicz, auteur de Jeżycjada, le cycle culte chaleureux et plein d’humour décrivant la vie d’une famille de classe moyenne, fera la conclusion de son histoire de la même manière en publiant Punette (Kalamburka, 2001), un roman résumant l’histoire des Borejkos. L’œuvre de Anna Onichimowska peut être divisée en deux genres : des livres pour jeunes lecteurs  (The Dream Which Went Away, Sen. Który odszedł, 2001 ; Bedtime stories, Zasypianski, 2000)  et des livres pour les adolescents (The Highest Montain in the World, Najwyższa góra świata, 1996 ; Heroin, my love, Hera, moja milość, 2002).

     Des sujets difficiles sont aussi abordés pat Ewa Przybylska (The Day of the Hummingbird, Dzień kolibra, 1997), par Ewa Nowacka (Love, dammit, Milość psiakrew, 2001) et par Marta Fox (le cycle First Love, Pierwsza milość, 1999). Les romans de ces trois écrivains traitent des problèmes de la vie de tous les jours et des tragédies comme la dépendance à une drogue, une grossesse non désirée ou la difficulté des familles mono-parentales, des sujets que le jeune lecteur veut voir débattus dans la littérature. Une attention similaire sur des problèmes contemporains peut être trouvée dans la récente prose de Beata Osstrowska (The WorldTurned Upside-Down, Świat do góry nogami, 2002) et dans le travail de Marta Tomaszewka (That Summer in Burbleville, Tego lata Burbelkowie, 2000) indiquant une bifurcation de la part de ces deux auteurs par rapport au genre fantastique.

     Sur le marché, il y a aussi des ouvrages de prose adressés aux jeunes lecteurs. Mis à part les auteurs mentionnés plus haut (Drzewiecka, Kotowska, Trojanowski, Kasdepke) et l’œuvre d’Anna Onichimowska, il existe également de nouveaux livres de Joanna Olech et Anna Lewkowska. Après ses débuts récompensés pour Squiglet Dynasty (Dynastia Miziołków), 1994, Joanna Olach publia l’amusant Where the Devil is At Your Service (Gdzie diabel mówi : do usług !), 1997.

     La carrière de Lewkowska fut couronnée du prix Kornel Makuszyński, récompensant le livre The Strange Adventures of Zenon the Sorcerer (Dziwne przypadki czarnok-siężnika Zenona, 1999), aventures à la fois grotesques et fantastiques, brillamment écrites.

     Ajoutée à la fiction, de nombreuses publications scientifiques ayant rencontré un franc-succès, sont apparues récemment sur le marché polonais. Dans  ce domaine, la maison d’édition Podsiedlik-Raniowski and Co fait figure de leader.

     Comme cela a été souligné plus haut, la littérature pour les jeunes lecteurs se porte bien et le marché offre un choix riche et intéressant.

     Malheureusement ces deux dernières années le commerce de l’édition a connu une période de stagnation, due à la récession économique, un faible pourcentage de naissances et la chute du nombre de lecteurs, une chute confirmée à la fois par les parents et par les professeurs. Le cycle polonais des romans de Harry Potter qui a amené une vague de « Potter mania » et a été élu numéro un dans le Literary Canon for Children and Teenagers, a remporté un succès pour les romans destinés aux jeunes lecteurs, mais cela n’a pas augmenté les habitudes de lecture parmi les jeunes gens comme on aurait pu l’espérer. Ainsi, il est difficile de surestimer le rôle des projets qui font la promotion de la lecture, comme celui organisé par la « Fondation ABC XXI – Emotional Health Program » intitulé « All Poland Reads to Kids ». Le programme invite des acteurs, des chanteurs et des politiciens à lire à voix haute lors de meetings publics, à la télévision, et pour les publicités à débattre des habitudes de lecture et distribue des affiches promotionnelles dans les écoles, les librairies et dans les rues des villes.

     Les grandes maisons d’édition pour enfants comme Egmont, Literatura ou la dernière venue Ezop, font un travail de promotion intéressant pour leurs publications.

     Le nombre croissant de bibliothèques montre le besoin d’inciter les enfants à la lecture et à la littérature. Elles organisent leurs espaces de façon à attirer les jeunes lecteurs. Malgré de sérieux problèmes financiers, les jurys des concours de lecture récompensent à l’aide de prix, une littérature et un graphisme de haut niveau.

     Les débats entourant le Literary Canon for Children ont été largement commentés dans la presse et ont fait prendre conscience à beaucoup de l’importance d’une littérature de qualité dans la vie de l’enfant. Espérons que de tels projets et campagnes de promotion, sponsorisés par des stars célèbres ou des personnalités importantes, aideront à éduquer une génération qui, quand on l’interroge sur son passe-temps favori, réitère comme par le passé et sans hésitation, son amour de la lecture.

( texte paru dans le n° 77 –  juin 2003 – du bulletin du CRILJ )

 

Maria Kulik est l’actuelle présidente de le section IBBY (Union internationale des livres pour la jeunesse) de Pologne. Le texte qu’elle avait confié au CRILJ en 2003 est un extrait de In Tales about Things and Non-things publié par Adam Mickiewich Institute à Cracovie.