Lire Raiponce

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Lecture et interprétation

     La rentrée fut fatigante : nouvelle classe (encore des CM1-CM2), nouvelles habitudes à installer, cadre à mettre en place et à « tenir ». En ce début d’année, je m’étais dit que j’allais commencer par la lecture de contes traditionnels pour travailler la lecture à voix haute, ce que je n’avais pas du tout assez travaillé l’année précédente.

    L’objectif, c’est donc la « fluence » et la lecture à voix haute (lire par groupes de souffle, mettre le ton, etc.), mais je garde dans un coin de ma tête d’essayer de travailler un peu la question du stéréotype de genre dans le conte. Comme j’ai un exemplaire des Contes d’un autre genre dans le fond de ma classe, avec notamment une réécriture de La Belle aux bois dormant, je lance les élèves dans cette première lecture.

    Ce n’est pas passionnant, mais assez rapidement, la lecture des élèves s’améliore et les lectures collectives deviennent de plus en plus agréables. Pour construire l’idée de stéréotype (des figures féminines), on se lance dans la lecture de Raiponce des frères Grimm.

    Et puis, aujourd’hui, on termine le conte. C’est l’histoire de cette jeune fille enfermée dans une tour sans escaliers par une sorcière, et qui déroule sa chevelure pour faire une échelle. Un jour, un prince vient la rejoindre, mais quand la sorcière s’en rend compte, elle coupe les cheveux de sa protégée, et l’exile dans le désert. Quant au prince, il a les yeux crevés. Cependant, parce que le conte est un conte, le prince aveugle retrouve la jeune femme dans le désert. Elle a deux enfants, des jumeaux, et, lorsque ses larmes touchent les yeux du prince, il retrouve la vue. Ils « vécurent heureux et eurent  beaucoup d’enfants « .

    Alors qu’on allait passer à autre chose, une élève de CM2 lève la main et dit : « Mais, ils viennent d’où ses deux enfants ? ». En effet, le texte ne le dit pas, mais on peut imaginer, combler les trous du texte.

    Son hypothèse est que, lorsque le prince retrouvait la jeune fille, il et elle ont fait des enfants. Toutefois, cette idée semble difficile pour ses autres camarades qui échafaude d’autres scenarios : peut-être qu’elle les a adoptés ? Peut-être qu’elle a rencontré un autre homme dans le désert ?

    Un élève déclare que ce n’est pas possible car il et elle ne sont pas mariés et donc « leurs âmes ne se sont pas mélangées ». Un autre imagine une histoire de « portail magique ».

   Là, j’explique que souvent, lire c’est combler les trous, c’est imaginer ce que le texte ne dit pas, mais que le plus souvent, l’hypothèse la plus simple, celle où on invente le moins est la meilleur.

   – Mais alors, pourquoi la sorcière elle ne les a pas vus dans la tour ? questionne un élève.

   – Et bien, elle était enceinte, peut-être qu’elle avait encore un ventre tout plat.

   – Oui, mais les sorcières, elles sont capables de repérer les femmes enceintes, réplique le garçon. »

    Et là, c’est moi qui me prend au jeu de l’interprétation : « Oui, c’est vrai que traditionnellement, on appelait sorcière les femmes qui avaient des connaissances sur le corps, et notamment le corps des femmes. Donc… peut-être…, dis-je tout en réfléchissant, peut-être que la sorcière a compris que Raiponce était enceinte et que c’est pour ça qu’elle l’a chassé. Elle l’a chassé parce qu’elle avait un enfant sans être marié et que c’était un scandale. »

    On a déroulé ensemble le texte, un long débat d’une grosse vingtaine de minutes. Passionnant. J’avais découvert ce texte avec eux. On avait parlé de sujet sensible, suscitant des interrogations profondes, de manière pudique et au service du texte.

    De la lecture, au hasard de nos interrogations, nous avons fait de ce conte un bel et imprévu dispositif didactique pour aborder ce que signifie interpréter un texte. Ici, en acceptant de prendre le temps, de se plonger pleinement dans le débat interprétatif, on accède aussi à des manières de lire les textes qui rendent signifiant les silences, qui mettent en lumière la marge. En CM1-CM2 aussi, on peut faire des lectures critiques des œuvres.

par Arthur Serret  – L’imprévu, numéro 8, septembre 2021.

 

La rubrique L’imprévu publiée sur le site Questions de classe se propose de relater des récits de classe de la part de pédagogues engagé.es : « moments champagne » où la coopération fait pétiller le quotidien, ou au contraire, scène de crise illustrant la violence du métier et de l’institution, récits d’événement pédagogique où l’inattendu entre dans la classe ou compte-rendus minutieux d’une séance bien ficelée, moments de classe qui font rire, réfléchir, pleurer et s’engager. Des moments toujours imprévisibles où le vivant entre par la fenêtre, l’endormi se réveille, les passions s’échauffent. Adepte de la pédagogie Freinet, Arthur Serret enseigne à Paris, dans le 19ième arrondissement.

 https://www.questionsdeclasses.org

Merci pour ce partage.

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AUTRES LECTURES

L’ouvrage Contes d’un autre genre (Talents Hauts, 2011) propose trois contes (ré)écrit par Gaël Aymon « où les princesses prennent en main leur destin, où la vaillance n’est pas toujours du côté des hommes ni la sensibilité l’apanage des femmes. » : La belle éveillée (illustré par François Bourgeon), Rouge-Crinière (illustré par Sylvie Serprix), Les souliers écarlates (illustré par Nancy Ribard). « Je n’ai aucune leçon à donner, le but n’est pas de remplacer un modèle unique par un autre. Mon métier c’est de raconter des histoires qui fassent rêver et réfléchir. Et ça ce n’est possible que si on laisse les enfants avoir accès à une diversité de modèles et de représentations. » (Gaêl Aymon)

Liberté d’expression

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En classe, la liberté d’expression, c’est comment ?

    S’il est une notion bien éloignée de l’école, c’est bien celle de « liberté d’expression ». Celui qui, le premier en France, a eu l’audace de vouloir l’installer dans sa classe, Célestin Freinet, l’a payé fort cher.

    Problème : la liberté d’expression fait partie des valeurs de la démocratie, que l’école est chargée d’enseigner…Et pour que les enfants l’apprennent, il faut qu’ils la vivent…

    Comment sortir de cette contradiction ?

    Comme toujours, commencer par savoir de quoi on parle et ce que signifient les mots qu’on emploie.

    « Liberté » est un mot magnifique, dont la signification est truffée de contradictions : affiché au fronton des monuments importants, dont l’école, où, pourtant, beaucoup déplorent qu’elle ne soit pas, le mot est souvent défini par l’absence de contrainte, aussitôt contredite par l’affirmation que, pour chacun, la liberté doit s’arrêter, là où commence celle des autres.

    Donc, contraintes, il y a.

    Cette célèbre formule est elle-même contestée par quelques penseurs, pour qui, tel Bernard Defrance, la liberté ne peut ni commencer, ni s’arrêter, car avant tout elle est objet de « partage », superbe formule.

    Mais, qui dit « partage », dit nécessairement « organisation », c’est-à-dire, un ensemble de règles communes, posées par tous et acceptées. C’est dire que la liberté n’a rien à voir avec le n’importe quoi, ou le « je fais ce que je veux ».

    En fait, la liberté, ce sont des règles librement acceptées. Question : Où peut-on en trouver ? Réponse : dans le jeu, essentiellement. Je dis bien le jeu, quel qu’il soit, sportif ou non, et non le sport, trop souvent détruit par la compétition, assortie de « récompenses », vilain mot, aussi laid que son pendant « punitions ».

    Alors, que peut être, en classe, la « liberté d’expression », notamment écrite ?

    Il faut entendre ici le mot « expression », dans son sens strict, qui n’est en rien le synonyme de « communication », mais plutôt son opposé : l’utilisation du langage, orientée, non sur les autres, mais sur soi dans le but de faire sortir des pensées, des sentiments, plus ou moins cachés ou retenus, qui encombrent le sujet et constituent une gêne pour lui.

    Or, de nombreux travaux sur cette notion mettent l’accent sur la grande complexité de cette dernière. Qu’elle soit orale, corporelle ou écrite, l’expression ne s’obtient pas par le seul droit de faire et dire « ce qu’on veut ». Ce qui « sort » alors de l’expression, ce n’est pas le fond de la personnalité de celui qui s’exprime, ce n’est que la surface où sont installés tous les stéréotypes sociaux, de la mode, du milieu familial et des médias. Comme on le dit familièrement, pour avoir du jus, il faut presser le citron.

    Avec le langage, c’est toujours par des contraintes qu’on « s’exprime »… Quand elles sont violentes, les réactions d’expression le sont aussi ; et pour qu’elles ne le soient pas, seul, le jeu offre des contraintes librement consenties..

    S’il est incontestable qu’oser permettre aux enfants d’écrire librement ce qu’ils ont envie d’écrire, comme l’a fait Freinet, a été un énorme progrès par rapport à la stupide « rédaction scolaire » traditionnelle, et un pas de géant pour la pédagogie, avec l’irruption de l’intelligence dans le travail d’écriture données aux enfants, force est d’admettre qu’un pas en appelle toujours d’autres, plus précis et donc plus efficaces

    Si l’on veut donc que les enfants s’expriment — et il est indispensable qu’ils le fassent –  c’est du côté des jeux qu’il faut chercher la liberté.

    Il faut donc jouer, avec eux, à des jeux d’écriture qui proposent des règles, différentes que celles de la vie sociale, des règles qui désobéissent à celles qu’on apprend en grammaire et ailleurs : écrire en jouant avec les mots, avec leurs sonorités, avec leur orthographe, que l’on s’amuse à modifier exprès, pour en modifier le sens ; jouer avec le hasard et l’aide du dictionnaire, en remplaçant les mots, par d’autres du dictionnaire ; jouer en changeant les mots d’un texte selon des règles mathématiques, comme Raymond Queneau, etc. (1)

    Et tout cela, toujours en petits groupes de trois (un qui tient la plume, un qui dirige le jeu et applique les règles, et un qui est chargé de l’orthographe (chercher dans le dictionnaire et/ou aller demander à l’enseignant), pour qu’aucun n’ait à travailler tout seul.

    Outre la jubilation de désobéir sans avoir à craindre de représailles, éclatante dans la classe, je peux, pour l’avoir vécu avec des enfants d’école primaire, de tous âge, affirmer trois choses :

1) Tous les enfants écrivent, et produisent des écrits, amusants, inattendus, et toujours intéressants, dont ils sont eux-mêmes surpris et fiers, et qu’ils ont envie de retravailler, pour aller plus loin, et pouvoir les imprimer et les faire figurer dans la grande « Anthologie » de la classe.

2) Tous sont heureux, parce que tous ont produit et que personne n’a été meilleur que les autres.

3) Ces jeux d’écriture sont, pour chacun des élèves, de puissants révélateurs de leurs possibilités, des « remonteurs de valorisation » d’eux-mêmes, presque une sorte de « thérapie », ultra modeste, mais joyeusement efficace.

    Écrire en jouant, et à plusieurs, pour éviter l’effet du « moi j’y arrive mieux que les autres », toujours nocif, avec des moyens à sa disposition, (les contraintes sont ici un puissante aide) semble une situation d’écriture plus riche, qu’un texte produit seul, sans autre aide que lui-même, situation forcément discriminante, en dépit du travail effectué autour…

    Je suis sûre que Freinet, tel qu’on le connaît par ses écrits, serait d’accord avec cet autre type de « textes libres », inconnu de son temps.

par Eveline Charmeux – mars 2021

(1) Tous ces jeux, et bien d’autres, sont détaillés, avec de nombreux exemples, dans l’ouvrage Réconcilier les enfants avec l’écriture (ESF, 2016)

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Éveline Charmeux, née en 1932, agrégée de grammaire classique, a été formatrice en IUFM et enseignante-chercheur à l’Institut national de la recherche pédagogique (INRP) où elle travailla avec Hélène Romian. « Précisons que toutes mes recherches ont été menées dans les classes, avec les enfants eux-mêmes, sur des séances de travail préparées en commun avec les enseignants. Il s’agissait de recherches-action, dont l’objectif n’était point de définir des théories, mais de construire des pratiques. J’ai été et je suis toujours un chercheur de terrain. » Nombreux ouvrages, chez Nathan, aux toulousaines éditions SEDRAP et chez quelques autres, portant essentiellement sur le « savoir lire » et le « savoir écrire ». Professeur honoraire, elle se consacre désormais au militantisme pédagogique et à l’écriture. « En fait, mon métier n’a jamais changé, et maintenant moins que jamais : ce sont toujours les problèmes de formation des enseignants qui me passionnent, vers la recherche de conceptions d’éducation réellement démocratiques, ce qui est loin d’avoir été le cas jusqu’ici, et ce qui ne semble guère devoir être le cas dans l’avenir qu’on nous promet. » Éveline Charmeux garde un bon souvenir du travail mené avec le CRILJ. C’était il y a quelques décennies.

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Art et culture à l’école

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Une expérience transformatrice

Comédien et metteur en scène, Stanislas Nordey dirige, depuis 2014, le Théâtre national de Strasbourg (TNS) et son école d’art dramatique. Il a animé de nombreux ateliers de théâtre auprès des jeunes. Militant de la culture pour tous, il cherche à repousser les frontières des « zones culturelles blanches  », ces territoires où l’on n’a pas suffisamment accès aux biens culturels.

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Art et culture à l’école, une nécessité ?

     Stanislas Nordey  – C’est une nécessité absolue qui se décline de diverses manières. Pour la plupart des artistes c’est extrêmement enrichissant d’intervenir en milieu scolaire car la question de la transmission aux nouvelles générations est au centre de leur geste. Quand on est face à des enseignants qui sont dans le désir, ces très belles rencontres enrichissent l’enseignant et l’artiste. Et au cœur de ça il y a l’enfant, l’adolescent. Ces gestes innovants qui inventent sans cesse, qui sont dans le présent et créent un écart à la pratique scolaire habituelle leur ouvrent d’autres horizons. Pour les trois, enseignant, artiste et enfant, c’est extrêmement nécessaire et par expérience, ça marche. Être en contact avec l’art fait reculer la barbarie. Il y a encore un immense chemin à parcourir. L’idée à une époque de rapprocher les mots éducation et culture, cette consanguinité nécessaire entre ces deux domaines, avait un sens. Les années Lang ont créé une sorte d’accélérateur et les résultats ont été extraordinaires, particulièrement dans les territoires délaissés et déshérités où il y a un appétit incroyable d’art et de culture. Mais pour que cela existe il faut des moyens, ce sont des investissements d’avenir.

Quel rôle pour l’école ?

     L’art et la culture sont souvent aux avant-postes de réflexion. Par exemple, les questions de la parité, du genre et de la diversité, la représentation des femmes, sont à l’œuvre depuis longtemps chez les artistes. Il faut être dans le contemporain. Parfois, au ministère ou chez quelques enseignants, Racine et Molière sont des valeurs plus sûres que Duras et Yourcenar. Mais les artistes contemporains sont importants aussi parce qu’ils sont dans la vie, dans la cité et ils transmettent quelque chose du monde d’aujourd’hui, de la réalité. Je suis pour que les artistes envahissent les écoles. A partir du moment où un artiste est là, il dérange les choses, les déplace, les fragilise dans le bon sens du terme, il les met en perspective, les complexifie. L’enjeu de toute notre société c’est : comment est-ce qu’on combat la violence et l’intolérance, le sexisme, le racisme, l’homophobie ? L’école est un média et un interlocuteur formidable, un lieu parfois d’exclusion pour des jeunes mais un lieu où cela peut aussi se résoudre.

Quelle culture pour les jeunes ?

     Entre l’école que j’ai connue et l’école d’aujourd’hui, on en est toujours à une représentation de l’histoire des puissants écrite par les puissants. Les enfants qui ne sont pas de cette histoire-là, celle des dominants et des classes supérieures, ne s’y retrouvent pas. Et ce n’est pas une question d’assimilation ou pas. Il n’y a pas d’ouvriers ou de paysans chez Molière, sauf pour les ridiculiser. Il faut parler de la vie et interroger les programmes. On est dans une forme d’immobilisme dont tout le monde est complice et dont les principales victimes sont les élèves. Penser que c’est en les emmenant voir Abd el Malik qu’ils auront accès à la culture est une erreur. Ils n’ont pas d’a priori et sont plus accueillants qu’on ne croit. Parfois les artistes sont face à des enseignants qui eux le sont un petit peu moins et sont sûrs que, « ça » c’est pas bon pour leurs élèves. « Essayez, écoutez-moi » c’est le rôle de l’artiste de déplacer l’enseignant sur des territoires parfois plus glissants, en l’accompagnant.

L’art peut-il changer la vie des élèves ?

     Ça change tout et vite parce que quand on est confronté à la question de l’art, on est déjà confronté à la question du regard. Et ça quand on est tout jeune, le regard sur l’autre, le regard que l’autre pose sur soi, celui que l’on pose sur soi, sont très problématiques et souvent douloureux. Aux ateliers, on apprend à regarder l’autre, à regarder ce que l’on ne sait pas faire, à regarder l’inconnu, à être tolérant. C’est juste énorme et fondamental. Nous mettons aussi en pratique comment on regarde et on écoute l’autre, cet autre est différent et ça n’est pas grave. Il y a un enjeu sociétal immense. Ce n’est pas un boulot titanesque parce qu’ils comprennent tout de suite, par l’expérience, ce qu’ils y gagnent. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour la société, pour les mômes, pour les enseignants, les parents… Mais tant qu’on n’a pas été confronté à ça, on ne s’en rend pas compte.

Les objectifs de la décentralisation ont-ils été atteints ?

     Aujourd’hui les classes moyennes ont accès à la culture mais pas les classes populaires, les exclus, les gens précarisés. Pour toucher tout le monde, il faut plus de moyens, des choix budgétaires et des politiques publiques. Sachant qu’un grand plan ça ne coûte pas si cher, vu ce que ça rapporte il y a un rapport qualité-prix délirant.

(novembre 2020)

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Entretien accordée par Stanislas Nordey

à Fenêtres sur cours pour son cahier spécial

« 20 ans d’université d’automne du SNUipp-FSU »

Metteur en scène de théâtre et d’opéra, acteur, Stanislas Nordey est un homme partisan du travail en troupe. Avec sa compagnie, il est artiste associé au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis de 1991 à 1995, avant de rejoindre, avec sa troupe de douze comédiens, le Théâtre Nanterre-Amandiers, à la demande de Jean-Pierre Vincent qui l’associe à la direction artistique. De 1998 à 2001, il dirige avec Valérie Lang le Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis. En 2001, il rejoint le Théâtre national de Bretagne comme responsable pédagogique de l’École, puis comme artiste associé. Il y crée notamment Violences de Didier-Georges Gabily (2001), Incendies de Wajdi Mouawad (2008), Les Justes d’Albert Camus (2010). En 2011, il est artiste associé à La Colline et, pour l’éditIon 2013 du festival d’Avignon, artiste associé aux côtés de l’auteur, comédien et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna. Il crée Par les villages de Peter Handke dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. On doit à Stanislax Bordey la création de nombreuses pièces d’auteurs contemporains, parmi lesquels  Martin Crimp, Laurent Gaudé, Jean Genet, Hervé Guibert, Manfred Karge, Jean-Luc Lagarce, Frédéric Mauvignier, Fabrice Melquiot, Heiner Müller, Pier Paolo Pasolini,  Bernard-Marie Koltès. Incursions dans le répertoire avec Marivaux, Feydeau ou Hofmannsthal. Stanislas Nordey a entamé, ces dernières années, une collaboration forte avec l’auteur allemand Falk Richter. Acteur, il a joué sous la direction de plusieurs artistes et compagnons de route dont Wajdi Mouawad pour Ciels (2009) et Pascal Rambert pour Clôture de l’amour (2011). Il dirige le Théâtre national de Strasbourg et son école depuis septembre 2014, engageant un important travail en collaboration avec une vingtaine d’artistes associés. En 2019, il crée, à La Colline, Qui a tué mon père d’Édouard Louis et, en 2020, au TNS, Berlin mon garçon de l’auteure associée Marie NDiaye.

     

Le loisir d’apprendre

 

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Texte emprunté à Yvanne Chenouf et à l’Association française pour la lecture (AFL). Amical merci.

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Enfants et adultes viennent de vivre de manière différente une expérience inédite : la vie a ralenti, le monde s’est embrasé, sortir est devenu dangereux. L’école s’est infiltrée dans les foyers ; parfois elle a disparu des écrans. Après avoir tenté de bâtir une nation apprenante sur l’école de la réussite individuelle, l’État promeut un été apprenant, un mix de loisirs et de soutien scolaire. Quel tribut une association comme la nôtre, spécialisée dans le rapport à l’écrit, peut-elle apporter aux mairies chargées à court terme, de récupérer les heures de classe manquées et, à long terme, de repenser l’éducation des enfants au niveau du quartier, du village ? 

Vacances de rattrapage (1)

Confinement. La situation était nouvelle pour tous et chacun a dû s’y adapter avec les moyens du bord. Il a fallu faire face à des sentiments nouveaux, se poser de nouvelles questions, inventer le présent, espérer et parfois redouter l’avenir. Vieux ou jeunes, tout le monde a dû franchir une épreuve aux causes diffuses et aux suites incertaines, tout le monde a découvert quelque chose de nouveau sur soi, sur les autres et sur la société, tout le monde a appris. Sans aucune évaluation, on a conclu à un retard pour les enfants qui n’ont pu rester connectés à l’école faute de conditions matérielles et d’encadrement suffisants. N’ont-ils rien fait durant tout ce temps, ces enfants ? Rien vu à la télévision, rien lu, rien entendu, rien retenu de la vie familiale, n’est-il rien sorti de leurs mains, de leur imagination, de leur dépit d’être oubliés, de leur ennui ? Est-on sûrs que les autres enfants, ceux qui ont eu leurs parents 24 heures sur 24 sur le dos sont à l’heure ? Qu’ont-ils pensé tous ces enfants de leur école, devenue virtuelle pour les uns, chimérique pour les autres ? Aurait-on pu continuer à se former chacun chez soi et tous ensemble par la lecture (avec les manuels scolaires, les livres de la bibliothèque) et l’écriture (questions, observations, impressions, propositions) en vue d’une large mise en commun au retour ? N’aurait-il pas été préférable, à la place de continuité pédagogique, qui renvoie à l’enseignement magistral, de parler de continuité éducative, qui concerne l’ensemble des acteurs sociaux : animateurs, bibliothécaires, entraîneurs sportifs, professeurs de musique ou de danse, représentants religieux (éducation communautaire) ?  Les vacances peuvent être un vrai bol d’air si elles réussissent à réunir tous ceux qui, dans le quartier ou le village, interviennent auprès des enfants sur les bases suivantes : mixité (sociale, sexuelle, générationnelle, confessionnelle…), responsabilité individuelle et collective, coopération, accès à la découverte et à la production des biens culturels. Il est temps de se ré-concilier, de re-prendre confiance en soi et avec les autres, de re-faire connaissances.

Apprendre, le geste naturel

Savoir. Si le confinement a changé la façon d’enseigner (plus de cours oraux devant des groupes présents mais du travail écrit adressé individuellement), il a sensiblement modifié le sens d’apprendre : à tout moment, tandis qu’une machine à laver tournait ou qu’un plat mijotait, on pouvait solliciter quelqu’un pour un bricolage et passer par une schématisation, parler à quelqu’un d’autre d’un personnage historique et consulter ensemble un document sur Internet, montrer le message à envoyer aux grands-parents et provoquer une mise au point orthographique, assister à l’éclosion d’une fleur et vouloir la dessiner ou la photographier. Ensemble, savoirs abstraits et savoirs concrets se sont épaulés pour éclairer l’ordinaire et agrandir ses cadres. C’est ce fil qu’il faut essayer de tirer pour montrer que toute expérience peut générer des savoirs durables et transférables si elle est reprise (par la parole, le dessin, l’écriture, la vidéo…), reliée (à d’autres expériences proches ou différentes), retrouvée sous une autre forme (allusion, citation…) dans un texte, un film, une conversation. Il n’y a pas, d’un côté, la pratique et de l’autre la théorie (d’un côté le loisir et de l’autre le travail) mais des va-et-vient permanents entre les deux niveaux, chacun alimentant l’autre ; il n’y a pas de guide (maître ou parent) qui détient les savoirs et les transmet intégralement mais des savoirs qui évoluent au contact d’autres situations, d’autres sensibilités. L’écrit joue un rôle important dans ce rapport à la réalité : par le récit, la liste, le tableau, l’auteur prend le temps de réorganiser ce qu’il a vécu selon un angle que le lecteur a tout le temps de déceler, puisque les signes graphiques (mots, images, ponctuation, typographie) sont permanents. Possibilité alors de s’identifier à ce point de vue ou de s’en distancier. Puisque ce verbe est actuel, redonnons-lui un peu de son sens brechtien :  que les vacances soient réjouissantes et superflues et qu’on les aborde en interrogeant ce qui se vit, se sent et s’imagine, par tous les arts possibles (lecture, écriture, théâtre, peinture…) au profit du plus grand d’entre tous : l’art de vivre.

Un espace de loisirs, pour quoi faire ?  (2)

L’allant-de-soi. L’espace de loisirs est si ancré dans le quartier ou le village qu’on finit par ne plus questionner ni ses buts, ni son fonctionnement. Un accord tacite lie le lieu à la population : ici, les enfants s’épanouissent en se socialisant, ici, ils participent à des activités récréatives tout en bénéficiant de soutien scolaire… Un mode de garde intelligent ! Tout va tellement de soi que la phrase échangée entre parents et animateurs, le soir, traduit une indifférence coutumière aux enjeux de ce lieu (« Ça s’est bien passé ? ») : l’essentiel, on le croit, se passe à l’école et la suite le prouve. Au moment où il s’agit de refaire groupe, de retrouver la vie dans toute sa plénitude, on pousse les grilles du programme du centre de loisirs, on installe l’école le matin (lire, écrire, compter) laissant l’après-midi aux occupations ordinaires devenues mineures (culture, nature, sport) comme si on voulait suturer deux temps :  celui où l’école fonctionnait normalement et celui où elle re-fonctionnera comme avant. Même si on arrivait à ramener le gruppetto dans le peloton, à la rentrée, tous les enfants se retrouveront dans la même école : celle qui, par son homogénéité sociale et sa connivence avec les parents diplômés (3), creuse les inégalités sociales. Les animateurs se sentent si peu légitimes qu’ils acceptent de servir cette cause nationale en rattrapant un retard dont ils ne sont pas responsables avec des activités dont ils n’ont pas la compétence. Pourquoi, alors qu’il s’agit du développement global des enfants, son domaine de compétences, le centre de loisirs doit-il se rétracter ?  Peut-être parce que ses buts ne sont pas assez affirmés par l’animation, pas assez lisibles par le corps social.

Textes brefs, dessins, photographies, pourraient afficher, dès l’accueil, les enjeux, le programme, les bilans, les projets du centre de loisirs en lien avec les autres points éducatifs de la ville ou du village (bibliothèque, cinéma, piscine…). Présentes sur le même espace, sous forme de listes, de tableaux, de gros titres, de sous-titres, avec des variations typographiques et chromatiques, subjectivement hiérarchisées, les informations écrites fixeraient mieux les messages qu’à l’oral : d’un coup d’œil, on saisirait un volume d’événements (dynamisme du lieu), des rapports entre certains éléments (cohérence du lieu), des priorités et des répétitions (ambitions du lieu). Cette représentation graphique de l’animation agirait sur les représentations des parents, des passants, des intervenants, mieux qu’un discours, montrant en quoi le centre de loisirs n’est ni une garderie, ni périscolaire, ni en dehors du temps scolaire mais un segment actif d’une politique éducative. Si cet affichage est fait avec les enfants, s’il est interactif, si n’importe qui peut facilement y intégrer un avis, une proposition, une question, une image, si on peut noter, raturer, reformuler, réfléchir à même le support d’affichage, on verrait apparaître, à travers  un corps-à corps avec les mots, l’esquisse d’un tableau de bord collectif, évolutif et proactif : un instrument clé pour ouvrir des voies aux intuitions et aux inventions dont les pouvoirs publics pourront se saisir pour les instituer.

 L’été, laboratoire de la rentrée

Robinsons. L’obligation de remplacer l’école, dans l’urgence, a montré que les enfants n’étaient pas suffisamment préparés à prendre leurs apprentissages en charge, avec leur équipement scolaire (leurs cours, leurs manuels), avec les livres choisis à la bibliothèque (juste avant le confinement), avec Internet (quand c’était possible) et avec leur entourage (les proches mais aussi des interlocuteurs joignables par Internet, par téléphone, par courrier, par portage, dépôt de demandes, de productions, dans une boîte à lettres ou sur un paillasson). Peu entraînés à planifier leur travail, à se faire un programme de lecture et d’écriture personnelles, à consigner leurs observations sur  un journal de bord, à tenir un carnet de lectures, à mener des recherches (collecter des informations, les organiser sur un support), à tirer de l’expérience des raisons de s’entraîner  (au maniement de la langue, du raisonnement mathématique, en dessin, en musique…), beaucoup n’ont pas été  en mesure de continuer eux-mêmes leur parcours de formation, ne disposant pas des outils nécessaires parmi lesquels le rapport à l’écrit occupe une place majeure.  Comment mieux les armer en faisant de la vie un long stage de formation continue et interactive ? Car, si Robinson Crusoé, cher au président Macron, a survécu sur son île, ce n’est pas seul mais avec l’expérience du co-apprentissage (avec son père, ses compagnons de voyage, puis Vendredi). Comme le note Julien Salingue (5), pour subsister, il n’a pas juste récupéré du jambon et du fromage dans la cale de son navire mais aussi des fusils !

Circuit-court. Au centre de loisirs, qui décide du programme, des horaires, de l’occupation des espaces, de la composition des groupes, du budget ? Comment se traitent les désaccords, sous quelle forme se font les évaluations, la communication ? La mise en commun des contingences, bénéfique à l’identité des sujets (responsabilisés, gratifiés), préfigure une société moins individualiste si l’exercice de la décision collective se travaille précisément. Dans toute concertation, il y a des prises de pouvoir, des entreprises de séduction ou d’intimidation, des rapports d’influence. Avec l’écrit, on peut s’en distancier. En grand groupe, chaque prise de parole est enregistrée sous forme de listes ; en petits groupes, on revient sur le matériau recueilli qu’on trie, qu’on réorganise (éliminations, ajouts, substitutions par associations d’idées). De retour en collectif, les conclusions sont mises en tableau (horaires, salles, matériel, participants, projets). Sortis de leur contexte d’énonciation, séparés de celui ou celle qui les a produits, les propos sont visualisables, objectivement mesurables. A la fin de la réunion, un texte court (ou plusieurs) sont produits qui rendent compte de la séance. Affiché publiquement le lendemain, lu en commun, il permet des rectifications, provoque des discussions sur le fond et sur la forme, amène des révisions. En quoi l’écrit, produit sous diverses formes (liste, tableau, texte) auquel s’ajoutent les journaux et les livres commercialisés peut permettre, en tenant compte de la diversité des points de vue, d’envisager des solutions respectueuses du bien de tous.

Raison graphique. (4) Liste, tableau, itinéraire, carte mentale… sont des formes écrites distinctes de l’oral : ni linéaires, ni agencées en phrases ou en paragraphes, elles sont aisément modifiables en fonction des besoins.  En les concevant on modifie la façon de regarder la réalité et on augmente son pouvoir d’agir. Quand le travail scolaire est arrivé dans les foyers, via les écrans, ce qui a manqué aux enfants qui n’avaient pas de parents constamment disponibles, c’est la capacité de s’organiser, de mettre ce qu’ils avaient à faire en listes, en schémas, en tableaux, en ordre. Cette attitude réflexive s’acquiert dans tous les moments de la vie. Au centre de loisirs, chaque enfant doit savoir se fabriquer des petits carnets (avec une feuille A4 (6) à glisser dans sa poche, avec un crayon : à tout moment, on peut avoir besoin de griffonner une liste, un tableau, un schéma pour se préparer à un débat, chercher des idées de parcours pour un jeu de piste, faire un relevé de mots avant d’écrire un texte, pour prendre du recul, réunir ses idées, se concentrer. Passer par des représentations graphiques favorise la mise à distance de l’événement (on voit plus clair), affine le regard (on fait des liens, on regroupe des éléments épars, on repère une singularité…), fortifie la pensée et assure la prise de parole. Ces outils permettent aussi de mieux communiquer : une liste est immédiatement compréhensible sur la devanture d’un magasin où on ne s’attarde pas, un schéma attire l’œil dans un article et ménage une pause entre les lignes, un tableau rend compte synthétiquement d’une observation et permet rapidement d’entrer dans l’échange avec des questions et des arguments. Occupons-nous de la liste et du tableau, dans l’activité, avant de retrouver leur usage dans le domaine fictif des livres.

La liste, etc. La liste permet d’inventorier des personnes (liste d’équipiers), des objets (liste de mots finissant par b), des événements (liste des jours fériés). Elle est anticipatrice (liste des courses), rétrospective (liste des faits importants) ou lexicale (liste des mots du corps). Avec elle, on peut organiser ou lire les informations en long (verticalement) et en large (latéralement), on enrichit ses savoirs en structurant sa pensée :  » Qu’on laisse un enfant passionné de voiture apprendre toutes les pièces du moteur ! Plus il a de vocabulaire sur le moteur, plus il intègre une subtilité de termes (matériels, abstraits), plus il développe des réseaux dans sa tête, plus il intègre un processus qu’il pourra investir dans d’autres domaines, plus il agrandit, affine ses capacités d’expression. C’est comme ça que l’on agrandit les rivières et réseaux souterrains de la pensée, que l’on s’enracine dans la langue, que l’on développe et décuple sa puissance d’expression, de compréhension, d’aptitude à assimiler le monde.  » (7) La liste est un moyen de décrire la réalité (on énumère des propriétés) et de s’amuser avec l’idée d’infini : le « etc. » final a poussé des artistes à défier l’indicibilité (Perec, Prévert, Wharol…). La liste nous fait autant que nous la faisons. Au moment d’écrire un texte, on réunit ses idées et on va en glaner dans d’autres textes. Chaque mot en entraîne d’autres qui en entraînent d’autres (on développe), certains peuvent être regroupés sous la même catégorie (on synthétise). Lorsqu’on dispose d’un matériau suffisant, on a de quoi opérer. La liste génère des univers puissants pour les écrivains (des « pompes à imagination » (8) pour Georges Perec auteur de Je me souviens) et nombre d’ateliers d’écriture la sollicitent (François Bon). Dans la littérature, les histoires en randonnée jouent avec les énumérations, que le domaine soit fini (objets de la chambre dans Bonsoir lune, étapes de la fabrication du pain dans La Grosse faim de P’tit bonhomme) ou infini (jouets dans Alboum, animaux dans Poule Plumette). S’inspirant de Georges Perec, Claude Ponti utilise les listes pour décrire les éléments d’un gâteau dans Blaise et le château d’Anne Hiversère, les activités des Souris Archivistes ou les choses qui font pleurer dans Georges Lebanc. A la suite de Sei Shonagon, auteure des Notes de chevet, des auteurs énumèrent le monde par le menu comme Gaïa Stella qui, dans Toutes les choses avec lesquelles…, fait le tour des objets de sa maison par leurs usages.  Chez les illustratrices, Virginie Aldjidi propose des Inventaires, Joëlle Jolivet des catalogues (Costumes, Presque tout, Zoo Logique), ainsi qu’Elisa Gehin (Dans le détail, Dans l’ensemble). Comme toute bonne liste, celle-ci est infinie.

Le tableau. Le tableau vient de la table où on mange, on écrit, on joue (jeux de plateaux). C’est aussi une plaque ou une planche qui porte une inscription.  » C’est enfin une manière de disposer des nombres, des mots ou tout autre élément sous une forme claire et ramassée pour présenter un ensemble de faits ou de relations distinctement ou globalement pour la commodité de l’étude, du calcul ou des références.  » (9) En tant qu’image totale, le tableau structure la mémoire verbale et, dans le cas où ce dispositif de classification est souvent utilisé, il s’imprime dans le cerveau et permet, sans papier ni crayon ni écran, de savoir ordonner mentalement des données diverses et nombreuses. Ce sont surtout les documentaires qui utilisent le tableau à double entrée, et encore pas vraiment chez les jeunes enfants : dans Oscar et la grenouille, les étapes de la croissance du têtard sont évoquées en séquences disposées sur des bandes verticales, une approche du graphique au caractère bidimensionnel. L’enseignement de la lecture se faisant selon un ordre linéaire (lire toutes les lettres, toutes les syllabes, tous les mots de gauche à droite et de haut en bas), on recourt peu au tableau dans les premiers âges pour ne pas dérouter les débutants. Pourtant, quelle vue d’ensemble ! Des données différentes existent sur le même espace, organisées en lignes et en colonnes, selon des critères distinctifs. Instantanément, des relations complexes sautent aux yeux, ce que ne permet pas l’oral qui énonce les éléments les uns derrière les autres. Très jeunes, les enfants savent utiliser cette forme graphique si on leur en donne l’habitude : tableaux de services ou d’exercices mathématiques et, par-dessus tout, le calendrier pour repérer les grands événements (anniversaires et Père Noël d’abord). Certains auteurs n’hésitent pas à introduire ce type d’écrit dans leurs fictions pour apporter du suspens ou de la tension aux récits souvent loufoques : par exemple, dans Le Problème avec les lapins, (observation de la reproduction hyper rapide des lapins) ou dans Le Calendrier des tâches (des enfants doivent se répartir les  » corvées  » en l’absence des parents). Le tableau sollicite la pensée de manière spécifique : on peut vouloir à tout prix à remplir une case vide, ce qui n’existe pas à l’oral !

Se projeter

Pré-voir. Nombre d’enfants ne partent pas en vacances. Est-ce une raison pour se priver de voyage ? Garanti sans virus et propice à tous types de rapprochements, le voyage immobile ouvre l’horizon. Il est temps de s’équiper d’écrits divers (mappemonde, planisphère, atlas), de matériel d’écriture (papiers de toutes formes, couleurs et matières, crayons taillés, stylos, feutres, ordinateurs, post-it pour organiser les idées), de supports de récit (carnet individuel, livre de bord collectif, power point, vidéo…) et de conseillers (habitants venus d’ailleurs ou routards expérimentés, professeur de géographie ou de langue, journaliste, steward ou hôtesse de l’air).  Et se préparer à lister, à croiser les données, à les mettre en arborescence, à élaborer un cahier des charges plus ou moins préfiguratif de la production finale. Sur le tableau de bord commun, lignes et colonnes s’éclairent, puces et numéros clignotent.

Il faut prévoir un ou des itinéraire(s) suivi(s) pas à pas (en touriste) ou en improvisant (en voyageur). Sur terre seulement, sous terre parfois, sur l’eau sûrement, sous l’eau pourquoi pas, dans les airs ou les nuages : tracés sinueux, flèches, petites épingles et, reliée aux destinations principales, une enveloppe (assez grande) pour que parents et passants déposent des cartes postales, des bouts d’histoires, de menus objets. Sur le marché, on fait une collecte d’objets, d’idées, de secrets (où iriez-vous si vous deviez partir, où êtes-vous allé où vous aimeriez revenir). On visite des pays qui existent vraiment ou bien on les invente (la recherche de noms imaginaires est jubilatoire) : Jules Verne et François Place sont indispensables. On rêve sur les cartes, on chante Syracuse ou Voyage en Italie… on lit ! On part comment ? A pied, en trois-mâts, en pousse-pousse, en tapis volant… (déjà des titres s’imposent). Quels vêtements ? Le chapeau de Peter Pan, le gilet de Lucky Luke, la salopette de Caroline… (d’autres titres s’ajoutent). Quelles devises ? L’or de Picsou, les réserves de la fourmi, la cassette d’Harpagon ? (d’autres titres encore). On dessine une grande valise qu’on remplit (en les classant) d’étiquettes portant le nom d’habits fabuleux découverts en lisant, on représente une bourse, une tirelire, un coffre-fort pour l’argent, etc. Peu à peu les idées se structurent avec le capital de tout le monde qui évolue et accroît l’imagination.

Lire. Le Centre de loisirs doit avoir un fonds de livres classé constitué au fil des projets, des envies, du hasard et de l’actualité : veiller à la diversité de genres (albums, BD, contes, romans, théâtre…), d’époques (livres classiques et contemporains), de langues, mettre des auteurs en valeur (aimés des enfants ou jugés nécessaires par les animateurs).  Ces livres sont sortis (exposés) pour une situation particulière et systématiquement : tous les jours, à heure dite, on lit aux (ou avec) les enfants. Tous les jours. On se fixe un programme de lectures (qu’on explicite), on encourage les enfants à en faire autant. Autant que possible, on crée des réseaux (d’autres livres du même auteur, du même éditeur, du même genre…). Là où ont lieu les activités (sportive, manuelle…) des livres s’y rapportant sont disponibles et, dès qu’une occasion se présente, on l’illustre par des livres (sur la Révolution le 14 juillet, sur les émotions le lendemain d’une dispute). On expose ces livres rares que les enfants ont peu de chance de rencontrer ailleurs : livres d’art, livres insolites, livres de poésie. La présence de livres est assez simple : il faut qu’ils soient là quand on en a besoin ou qu’ils réveillent un désir inconnu. Un travail et des relations régulières (réunions, stages) avec les bibliothécaires est indispensable qui doit s’ouvrir aux parents, aux passants. Un lecteur ne se forme pas face à des pages mais au centre de lecteurs multiples qui ont leurs manies, leurs élans, leurs zizanies. Sur le tableau de bord commun, émaillant le trajet, des listes de livres, des résumés, des critiques, des dessins… tout un environnement littéraire qui ancre chaque livre dans un lieu et relie les livres entre eux :  » Être cultivé, ce n’est pas avoir lu tel ou tel livre, c’est savoir se repérer dans leur ensemble, donc savoir qu’ils forment un ensemble et être en mesure de situer chaque élément par rapport aux autres.  » (10)

Ecrire. Tout expérience a besoin de récits pour se comprendre et se transmettre. On écrit sur un événement proche ou lointain, qui touche le présent (les faits), le passé (les causes) et l’avenir (les solutions), qui nécessite autant d’affects que de techniques, d’imagination que de conscience. Il va falloir scruter l’écriture des enfants, repérer un accord de mots insolite, un bout de rythme intéressant, une construction, bancale peut-être, mais charmeuse, pour les aider à parler en leur nom, dans leur langue, tout en découvrant leur voix. Et ça, ça se fait parmi les autres,  ceux qui sont vraiment là et qui nous lisent, ceux qui nous parlent de nous à travers les livres. Ecrire n’est pas plus compliqué que lire si on y réfléchit. Plus on vit, plus on lit, mieux on risque d’écrire. Tout texte est d’abord une idée vague qui vient de textes déjà lus, déjà entendus, d’un « vague magma d’émotions » selon Claude Simon.  Toute texte est issu de listes mentales ou écrites (ça vaut mieux au début). Autour d’un sujet donné, on met en constellation (cartes mentales) des phrases déjà lues (comment, déjà, Perrault décrit-il les robes de Peau d’âne, comment François Place parle-t-il des bateaux ?). On y ajoute de nouvelles idées et alors, le texte commence à grandir sur le papier entre les notes griffonnées, les mots raturés, les nouvelles notes, les échappées soudaines, les longues pannes. On rature, on jette, on recommence, on coupe, on colle, on corrige en lisant, en relisant, en lisant, en relisant… Tout n’est pas dicible, par pudeur ou par manque de moyens. L’écriture sert justement à transformer et dissimuler la réalité. Quand les adultes vont se montrer insistant pour recueillir ce qui s’est passé, ce qu’on a ressenti lors du confinement, ça va être utile de savoir écrire à fleuret moucheté et à demi-mots.

A l’arrivée (fin du voyage), on fait le bilan (la fête). On affiche des traces qui refont l’historique d’un projet, bien sûr, mais surtout des chemins pris, dans chaque cerveau et entre tous les cerveaux, pour parvenir à une production commune.  Partir a été possible grâce à un ensemble de processus cognitifs individuels et collectifs soutenus par des outils de conceptualisation nés d’abord du désir de faire, de bien faire. Si chacun n’apprend qu’à son rythme, c’est l’histoire commune qui donne le tempo. Ce qu’on apprend en somme ? A lire, écrire, compter, respecter les autres, c’est tout de même la base, mais surtout qu’aucun retard n’existe en matière d’apprentissage : on repart chaque matin, là où on s’était arrêté la veille, « quoi qu’il se soit passé, il y a eu des apprentissages, conscients ou non. L’important est de savoir lesquels et de partir d’eux. » (11) Ni apprentissages premiers, ni apprentissages fondamentaux mais  » développement global de l’individu à travers l’apprentissage simultané de comportements moteurs, affectifs, intellectuels.  » (12) Ni magie, ni traitement thérapeutique mais des  » solutions construites par les acteurs de terrain…en conjuguant les savoir-faire et en lien avec les familles.  » (13) Ni premiers de cordée ni décrocheurs mais une chaîne d’individus soucieux d’eux-mêmes et du bien public : c’est à plusieurs qu’on apprend seul à voir, penser, aimer… à se prendre en mains. La méthode est la même si on se soucie de décrire ce qu’on a compris derrière nos fenêtres, du haut de nos balcons (14) ou au-delà des murs d’un jardin : comment protéger le vivant ? En le comprenant et en se comprenant au cœur de liens de voisinage.

Les formes d’écrits présentées ici seront efficaces si, comme des outils, on les aiguise, on les affûte, on les retend. A partir des brouillons, enregistrés jour après jour sur un tableau de bord collectif, il faut parler, argumenter, expliquer la force de l’intellectualisation conjuguée à la puissance des émotions. Seul, on ne l’est jamais si on a des livres, du papier, des crayons, un écran… Les lettrés l’ont bien compris qui ont lu, écrit, en regardant les oiseaux fêter l’arrivée du printemps sur un dancing de fleurs en éclosion. Ah ! oui ! On n’a pas de jardin. Au pied des immeubles, il est temps d’en faire pousser. On n’a pas de bibliothèque ? Il est temps de l’organiser. Petit à petit, chaque action hargneusement conduite, contribue à former le grand puzzle des fameux jours heureux.

par Yvanne Chenouf (juin 2020)

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(1) Voir à ce sujet : https://blogs.mediapart.fr/delahaye-jp/blog/090420/des-colonies-educatives-chiche ou http://www.crilj.org/2020/07/02/des-colonies-educatives-chiche

(2) Voir le guide des Francas : Le centre de loisirs, acteur du déconfinement éducatif, mai 2020 (www.francas.asso.fr)

(3) Bénéficiaires du télétravail : 66% de cadres supérieurs, 34% de professions intermédiaires, 30% d’employés, 15% d’indépendants, 5% d’ouvriers (enquête CEVIPOF mars 2020)

(4) https://npa2009.org/actualite/culture/macron-robinson-le-naufrage-le-fromage-et-les-fusils

(5) La Raison graphique, La domestication de la pensée sauvage, Jack Goody, Minuit, 1979

(6) https://fr.wikihow.com/fabriquer-un-livre-en-papier

(7) Anne Herbauts, « Pas de livres lisses pour les enfants, des livres justes », Les Actes de lecture n° 143 : www.lecture.org

(8) Voir Cahier des charges de La Vie mode d’emploi, CNRS/Zulma, 1993

(9) La Raison graphique, déjà cité

(10) Comment parler des livres que l’on n’a pas lu, Pierre Bayard, Minuit, 2006

(11) http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2020/05/02/425-comment-repartir-le-onze-mai

(12) La Manière d’être lecteur, Jean Foucambert, Retz, 1976

(13) https://blogs.mediapart.fr/delahaye-jp/blog/090420/des-colonies-educatives-chiche

(14) Thierry Paquot, « Balcon » in Dicorue. Vocabulaire ordinaire et extraordinaire des lieux urbains, photographies de Frédéric Soltan, CNRS, 2017

 

 

BIBLIOGRAPHIE

A propos d’écriture

. Cahier des charges de La Vie mode d’emploi, Georges Perec, Zulma, 1978

. Tous les mots sont adultes, François Bon, Fayard, 2000

 A propos de listes et d’énumération

. Alboum, Christian Bruel, Nicole Claveloux, Thierry Magnier, 1998

. Blaise et le château d’Anne Hiversère, Claude Ponti, école des loisirs, 2004

. Bonsoir lune, Margaret Wise Brown, école des loisirs, 1981

. Costumes, Joëlle Jolivet, Seuil, 2007

. Dans le détail, Elisa Géhin, Les Fourmis rouges, 2017

. Dans l’ensemble, Elisa Géhin, Les Fourmis rouges, 2013

. Georges Lebanc, Claude Ponti, école des loisirs, 2001  

. La Grosse faim de P’tit bonhomme, Pierre Delye, Cécile Hudrisier, Didier, 2005

. Inventaires (série), Virginie Aladjidi, Emmanuelle Tchoukriel, Albin Michel, 2010/2019

. Notes de chevet, Sei Shonagon, Gallimard, 2014

. Presque tout, Joëlle Jolivet, Seuil, 2004

. Toutes les choses avec lesquelles, Gaia Stella, Hélium, 2015

. Zoo logique, Joëlle Jolivet, Seuil, 2002

 Autour du tableau

. Le Calendrier des tâches, Rascal, Riff, Pastel, 2007

. Oscar et la grenouille, Geof Waring, Albin Michel, 2006

. Le Problème avec les lapins, Emily Gravett, Kaléidoscope, 2009

 Autour du voyage

. L’Atlas des géographes d’Orbae, François Place, Casterman, 1996

. Cartes, Aleksandra Mizielinska, Daniel Mizielinski, Rue du monde, 2012

. Comment j’ai appris la géographie, Uri Shulevitz, école des loisirs, 2008

. En voyage, Guy Billout, Gallimard, 2000

 

 

 

Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé vingt ans à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert et a enseigné en tant que professeur de français à l’IUFM de Créteil ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Être, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud ; articles récents : « L’intelligence heureuse ou le parti d’en rire » (site du CRILJ, 2018) et  « Ilié Prépéleac » (site du CRILJ, 2020).

 

 

 

 

 

Des colonies éducatives ? Chiche !

La proposition faite par le ministre de l’éducation nationale de « colonies éducatives » destinées aux élèves qui ont rencontré des difficultés scolaires pendant le confinement mérite réflexion, si tant est, bien entendu, que le calendrier et les modalités du déconfinement en permettent l’organisation. A ce jour, rien n’est moins sûr.

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    Notons tout d’abord que le nom n’est pas forcément approprié : les séjours collectifs de vacances, avec ou sans nuitées, sont tous dotés fort heureusement d’un projet éducatif et les enfants qui les fréquentent y apprennent beaucoup. Le ministre veut donc parler de séjours collectifs durant les vacances qui seraient en partie consacrés à des activités scolaires ou en lien direct avec la scolarité. Dans les débats légitimes que suscite ce projet, on entend ces questions : ne va-t-on pas priver ces enfants, souvent issus des milieux populaires, d’une ou deux semaines de repos bien mérité ? Ne va-t-on pas stigmatiser ces enfants ? Poser ces questions est méconnaître les conditions de vie des pauvres.

    Les pauvres partent rarement ou pas du tout en vacances. Pour beaucoup de leurs enfants, la journée de fin d’été organisée par des associations solidaires est parfois la seule échappée vers d’autres horizons. Les colonies de vacances qui ont accueilli en masse ces enfants après la deuxième guerre mondiale jusque dans les années 1970-1980 sont aujourd’hui en grande difficulté. Avec la baisse continue des financements publics, 30 à 40 % d’entre elles ont disparu dans les quinze dernières années. Une majorité de parents ne peut plus assumer le prix des séjours.

    Pourtant, des « colonies éducatives » existent et se portent bien. Elles sont essentiellement fréquentées par les enfants des classes moyennes et favorisées qui se voient proposer, pendant un séjour de quelques jours à la montagne ou à la mer, des maths et du tennis, ou du français et du cheval, ou de l’anglais et de la natation, etc.

     Mais le coût de ces séjours n’est pas à la portée du budget des pauvres. La consultation des sites des organismes qui proposent de tels séjours, montre en effet que leur coût est de 700 euros à 1300 euros pour une dizaine de jours, le plus souvent sans le transport. Avant la crise sanitaire, certains de ces sites, souvent privés et lucratifs, affichaient déjà complet pour cet été 2020.

    Certaines familles peuvent payer ces « colonies éducatives » pour leurs enfants. Pourquoi l’État ne les paierait-il pas pour les enfants des milieux populaires ?

    L’idée de « colonies éducatives » proposées par l’État aux enfants qui ont rencontré de graves difficultés pendant le confinement peut donc se concevoir. Mais cette réponse à la discontinuité pédagogique dont ont souffert les élèves pendant le confinement ne peut être que construite par les acteurs de terrain, associations et collectivités, en conjuguant le savoir-faire de l’accompagnement à la scolarité, de l’école ouverte, des séjours éducatifs et des accueils collectifs de mineurs, et en lien avec les familles. Pour cela, plusieurs conditions doivent impérativement être remplies :

– que les organisations et mouvements d’éducation populaire dont c’est la vocation historique soient associés à l’initiative dès le début du processus ;

– que le projet soit réellement éducatif avec des apports culturels, sportifs, et qu’il ne soit pas uniquement centré sur du soutien scolaire ;

– que l’encadrement (enseignants volontaires, éducateurs) soit, sur chaque site retenu, partie prenante du projet de « colonie éducative » ;

– que la gratuité (séjour et transport), décidée sur des critères sociaux, soit assurée aux familles les plus démunies. L’argent consacré inutilement au SNU trouverait là une utilisation répondant pleinement aux impératifs du moment.

par Jean-Paul Delahaye  (avril  2020)

 

Merci à Jean-Paul Delahaye dont le texte peut être retrouvé ici, sur le site de Médiapart qui héberge le blog de son auteur.

 

Jean-Paul Delahaye débute sa carrière, en collège, comme professeur d’histoire-géographie ; inspecteur départemental de l’Éducation nationale en 1982, il est chargé de mission auprès du recteur d’Amiens pour le premier degré et pour les questions relatives à l’illettrisme, contribuant à l’élaboration d’un premier plan régional ; il est, en tant qu’inspecteur d’académie, nommé chargé de mission auprès du groupe permanent de lutte contre l’illettrisme ; directeur de l’École normale des Ardennes de 1986 à 1990, il participe à sa transformation en IUFM ; inspecteur d’académie et directeur des services départementaux de l’éducation dans plusieurs départements, dont la Seine-Saint-Denis, de 1991 à 2001, inspecteur général de l’Éducation nationale en 2001, chargé de mission au cabinet de Jack Lang, de mars 2001 à avril 2002, pour les questions de violences, de ZEP et de lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté ; conseiller spécial de Vincent Peillon à compter de mai 2012, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) en novembre de la même année, démissionnaire en avril 2014 ; Jean-Paul Delahaye est signataire du rapport Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous qu’il remet, en 2015, à Najat Vallaud-Belkacem ; docteur en sciences de l’éducation, il enseigna à l’université  René Descartes – Paris V ; il est membre associé auprès du conseil d’administration de la Ligue de l’enseignement.