L’intelligence heureuse ou le parti d’en rire

par Yvanne Chenouf

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Dans les contes, ils ont pas le temps de rire : le livre se finit toujours avant.

(une enfant de CP)

C’est pas drôle !

    L’humour, marque de fabrique des livres de jeunesse, est inégalement accessible à tous les enfants qu’on espère pourtant rallier à la lecture par ce moyen-là ; c’est que le rire n’obéit pas aux mêmes ressorts selon l’âge, le milieu social ou l’appartenance culturelle. (1) C’est un obstacle d’importance pour la compréhension dans la mesure où il fonctionne sur des implicites (cognitifs, sociaux) qui renvoient à des références inégalement partagées : « Humour tend souvent à désigner un ensemble de codes, et joue le rôle de reconnaissance » (2) : blagues et jeux de mots avec Claude Ponti (Méga Gigantorigolade dans Mille secrets de poussins, « granules de plantules pour guérisson » dans Parci et Parla), ironie critique de Philippe Corentin (C’est à quel sujet ?), discrète loufoquerie de Gilles Bachelet (Une histoire d’amour), renversements et quiproquos dans Les Trois petites cochonnes (Frédéric Sther), malice et mauvaise foi chez Anne Fine (Le Journal du chat assassin), déformation et reformation du langage avec Elsa Valentin (Bou et les 3 zours), humour grinçant de Jeanne Willis et Tony Ross (La Promesse), retenue désenchantée chez Claude Boujon (Pauvre Verdurette), etc. Seront regroupés ici l’humour et le comique, tout ce qui provoque le rire (ou le sourire) et peut, par effet d’habitude et de questionnement, former un état d’esprit.

    La communauté des rieurs n’est donc pas homogène et si, pour les uns, le rire est une distance (subtilité), c’est un franc abandon pour les autres (familiarité). Les degrés (humour gras, humour franc, humour tendre, humour noir, humour fin, loin de la vulgarité…) posent le rire comme un marqueur social, un instrument puissant d’inclusion ou d’exclusion. L’écart de positions, parfois insaisissable, infranchissable, se construit majoritairement dans le milieu familial, au coeur d’interactions plurielles, complices et affectives, et cela rend compliquée la formation institutionnelle à la décentration et à l’abandon. Les livres proposés aux enfants peuvent jouer ce rôle à condition de mêler divers niveaux d’humour pour que tout le monde puisse en profiter. Dans son album, Les Coulisses du livre jeunesse, Gilles Bachelet convoque des références inégalement abordables (le rire des uns pouvant se confronter au rire de l’autre) : lors de la visite médicale, le médecin qui analyse la radio du loup découvre un dentier et des lunettes dans son estomac (Petit Chaperon rouge), lors de la signature du contrat, les éditeurs sont les brigands d’Ungerer – ceux qui accumulent des trésors – mais pas sûr que tout le monde identifie le petit lapin de Beatrix Potter, sur son divan du psychanalyste, Blaise, le héros de Claude Ponti a posé son masque et la référence est plus délicate. Former à la lecture de textes humoristiques c’est ne jamais oublier que cette activité est une activité référentielle : lire, c’est relier.

De l’humeur à l’humour

    L’humour, qui traverse tous les genres (album, BD, nouvelle, poème, roman, théâtre), est étymologiquement relié à la notion d’humeur. Les personnages (3) sont, par leur caractère, leur comportement, leur physique, les principaux vecteurs du genre (l’excentrique, le bouffon, le burlesque, l’ironique, le persifleur, le distrait, celui qui se casse la figure, qui reçoit une tarte à la crème – tout cela se mettant au féminin mais pas sûr que filles et garçons déclenchent le même rire). Il suffit qu’un tel  » type  » apparaisse pour que l’humeur se mette en joie (c’est le cas des loups de Philippe Corentin, des poussins de Claude Ponti, des cochons de Mario Ramos ou d’Anaïs Vaugelade (4), etc.). Certains personnages sont si monolithiques (Charlot est Charlot, Bécassine est Bécassine, Les Dalton sont les Dalton…) qu’ils restent identiques en toute situation, sans perméabilité au contexte : c’est le décalage, par leur immobilisme installé, qui cristallise le rire. Parce qu’ils sont récurrents, les héros de séries (capitaine Haddock, Ran Tan Plan, Titeuf, Zuza…) déclenchent l’humeur heureuse tant ils sont d’emblée lisibles (risibles). (5)

Les P’tit Lobel : Hulul, Ranelot et Bufolet (6)

    Les compères de Lobel sont connus pour leurs difficultés à accepter un contexte contraire à leurs désirs (comment être bien dans son lit, sur les escaliers, sous la lune, comment accepter l’arrivée tardive du printemps, comment remplacer le bouton de sa veste par un bouton qui n’est pas exactement le même, comment organiser son temps dès lors que le vent a emporté la liste des choses à faire) (7) L’entêtement à vouloir retrouver le caractère idéal d’une situation dégradée, la maladresse à s’exécuter (envoyer une lettre à Bufolet impatient d’avoir du courrier mais confier la mission à un escargot, se mettre dans tous ses états pour divertir Bufolet migraineux et finir par en tomber malade) sont à l’origine de récits dont la chute, étonnamment conciliante, apporte une note d’humeur plaisante (8) : « Même si Bufolet a l’air plus faible et dépassé par les situations, si Ranelot semble plus volontaire, mais maladroit, aucun des deux ne porte seul le pouvoir de faire rire. C’est le couple qui fonctionne (comme Laurel et Hardy, le capitaine Haddock, les Dupont/Dupond) et Arnold Lobel déclarait : « Quand Ranelot parle à Bufolet, c’est moi qui parle à moi-même. ».  » (9) Adrianne Lobel, fille de l’auteur, leste la série d’un sens plus profond (formateur, conjecturel) : « Ranelot et Bufolet c’est la seule histoire écrite à propos d’une relation. Cet album est une sorte d’annonce des difficultés sentimentales de la suite de l’existence – qui est amoureux de qui et pourquoi cette personne ne m’aime pas ?« 

Les loups idiots et rigolos de Philippe Corentin

      Philippe Corentin dispose (dans le texte et dans l’image) d’une large palette humoristique immédiatement plébiscitée par les jeunes enfants. Son loup (ou ses loups) traverse tous les registres du rire, en active tous les ressorts : le comique de gestes (nombreuses chutes dans Plouf !, Patatras !, bagarres dans L’Ogrionne), le comique de situation (quiproquos dans Le Roi et le roi, L’Ogrionne), le comique de caractère (loup irritable dans Patatras !, contre-emploi dans Mademoiselle Sauve-qui-peut où l’animal est moqué, battu, démasqué par la petite fille), le comique de mots (dans L’Ogrionne, le loup s’emmêle les répliques à force de changer constamment de rôle, dans Tête à claques, son hurlement, faiblard, le rend ridicule). Rire du loup (malheureux, abattu, ridiculisé) représente souvent un système de protection pour les lecteurs qui peuvent compatir aux mésaventures du loup pour les avoir ressenties (d’autant plus que certaines phrases poussent à l’empathie : personne ne veut jouer avec lui, on se moque de lui, on le fuit).

Filles rigolotes et garçons burlesques

      Qu’elles soient autonomes et culottées (Fifi Brindacier), déterminées et lettrées (Mademoiselle Sauve-qui-peut), lucides et engagées (Mafalda), on ne se moque pas des filles de la littérature de jeunesse : on les craint pour leur énergie physique, on les admire pour leur cran et pour leur capacité de remettre en question tous les pouvoirs (familial, social et politique). Elles sont conquérantes, à l’assaut des droits longtemps refusés à leurs aînées, et le rire qu’elles provoquent est évidemment revanchard. Pas sûr que les garçons fassent rire de la même façon et pour les mêmes raisons : Marcel (Anthony Browne) tente d’exister, comme il peut, dans un monde viril avec sa petite taille et sa timidité, Émile (Vincent Cuvellier) résout ses problèmes existentiels en se créant un univers à sa mesure, Anton (Öle Konnecke) contourne, comme il peut, les difficultés inhérentes à son âge et à son sexe, Titeuf se débat pour gérer ses relations amicales et amoureuses. On rit des fractures de ces garçons malingres et mélancoliques, qui avancent courbés, accablés et se revendiquent sans qualités dans un monde privé de sens. Ni musclés, ni courageux, maladivement émotifs, ils ne semblent protégés que par le hasard ou la chance et cette inaptitude à (ou ce refus de) la violence les rend bouleversants aux yeux des prescripteurs (surtout les enseignants et les bibliothécaires, en majorité des femmes ou des hommes conquis aux thèses féministes). Ces héros, de sexe féminin ou masculin, sont physiquement caricaturés, loin des stéréotypes de la littérature enfantine.

L’humour de soi

    L’humour de soi réunit une double critique, celle du monde dans lequel on vit et celle de sa personne inapte à̀ trouver son confort dans ce monde et refusant tout sacrifice de soi-même : « aussi, pour concilier le tout, [cherche-t-on] à penser par les mêmes concepts et son propre sentiment et le monde extérieur. Ces concepts seront donc en désaccord tantôt avec la réalité extérieure, tantôt avec la réalité intime (…) » (10) On tente alors de rire de ce qui met sur la touche ou de ceux qui sont mis sur la touche, dans une recherche assez désespérée d’un accord entre soi et son environnement. L’humour traduit la vanité de vouloir maitriser le cours de la vie et quand ils sont réussis, ces ouvrages séduisent aussi les plus âgés qui peuvent revenir à leur expérience passée (et perdue) avec une nostalgie consolante (voir les premières fois de Suzy Morgenstern – premier amour, premiers jours de collège, premiers pas dans l’adolescence…).

    Ce type d’humour plaît au lecteur qui ne craint pas de s’amuser de l’écart entre ce qu’il voudrait (aurait voulu) être et la seule image de soi qu’il parvienne à̀ donner ; il traite des contradictions du monde sans vraiment croire à leur disparition. Parmi les nombreuses collections philosophiques parues ces dernières années, quelques-unes ont fait le pari de l’humour, excellant à passer du sens au non-sens, à dévoiler l’absurdité de la vie et renonçant à la résoudre. (11) Le rire accompagne à bas bruits la douleur de l’existence, permet d’affronter les angoisses jusqu’à la principale : celle de mourir. Lorsqu’il met en scène le corps handicapé (Le Mangeur de mots), le corps réparé (Marie-Louise), le sujet hospitalisé (Clown d’urgence), Thierry Dedieu se départit rarement d’un humour qui aide, non pas à̀ comprendre la douleur (qui reste inacceptable), mais à prendre la vie avec la douleur. Car l’être humain n’est pas réductible à un ensemble d’humeurs, c’est juste un être conscient, prisonnier de sa condition humaine et des conditions sociales qui l’organisent. L’humour peut alors apparaître comme un élégant refus d’anticiper la chute tout en la sentant présente, une sorte de fair-play qui valorise celui qui, sans honneur, se bat, contre l’infini et utilise pour cela le double langage.

L’humour est un langage

    Qu’il s’agisse du personnage, du jeu de l’image et du texte (parfois complètement décalé comme dans La Chasse au gorille), l’humour a à voir avec un certain type de fonctionnement du langage, l’humour est un langage :  » On pourrait donc définir l’humour comme la liaison du signifiant d’un autre signifié avec le signifié d’un autre signifiant. C’est là ce qui fait sa duplicité. » (12) L’humour ouvre, de l’intérieur du langage, à quelque chose qui se situe hors du langage, et sa palette est large. L’ironiste pratique volontairement la discordance entre ce qui est dit et ce qui est pensé (« C’est toi qui est bon à tout et moi qui ne suis bon à rie  » dit le chat au chien, dans Machin Chouette, afin de lui piquer son fauteuil) mais pour que son discours existe, il faut la présence d’un tiers, un public « prêt à rire » (ici, le lecteur). Le chat (narrateur) implique tout de suite le lecteur en situant le récit dans un lieu à regarder : « Chez nous, ce qu’il y a de bien c’est que tout le monde mange à la même table « . Dans l’image, ce sont les personnages qui établissent cette complicité avec des clins d’œil, des grimaces (comme les petites princesses de Nadja). (13)

    Souvent, l’humour joue avec les rapprochements insolites comme s’ils étaient naturels, comme s’ils étaient seuls capables de faire prendre conscience des rapports entre les choses, de la norme, des écarts. C’est le cas, par exemple de La Promesse : le lecteur, qui sait que les têtards et la chenille sont soumis à des métamorphoses et que le premier mange la seconde, entrera immédiatement dans le contrat humoristique du livre en apprenant la promesse que se font les deux animaux qui viennent de tomber amoureux : ne jamais changer, rester tels qu’à la première rencontre. Le texte suit imperturbablement son cours alors que le « drame » se trame (le crapaud dévorera son  » arc-en-ciel « ) : qu’est-ce qui pousse au rire si ce n’est la crédulité des protagonistes, et le désir du lecteur de décharger son angoisse ? L’humour est, ici, une façon légère d’être lucide face à la gravité de la vie et d’exercer son sens critique avec retenue. Même attitude peut exister dans des œuvres apparemment plus « cocasses » comme Le prince de Motordu (Pef) où les ratés du langage expriment le désir de bien vivre, de bien faire malgré l’adversité.

    L’humour se tient souvent dans le non-dit (ce qui est un langage) : dans Les loups, Emily Gravett met en scène un loup et un lapin. Ce dernier vient d’emprunter un livre sur les loups à la bibliothèque. Si absorbé par sa lecture, il ne s’aperçoit pas de la présence du fauve, derrière lui. Au moment où il lit que « Les loups mangent aussi de petits mammifères comme des castors, et des… » il comprend mais… trop tard. Sur la double page suivante, le livre de la bibliothèque est griffé, déchiré, dépecé… On meurt de rire ou on rit en larmes ? Pas de quoi s’affoler dit le narrateur qui rappelle aux âmes sensibles qu’en fiction diverses possibilités existent : le loup pourrait être un végétarien qui n’aurait croqué qu’une tartine de confiture avec le lapin. Ouf ! Mais alors pourquoi tout ce courrier non relevé sur le paillasson du lapin et, parmi les enveloppes fermées, cette enveloppe non collée ? On l’ouvre : la bibliothèque envoie une lettre de rappel pour le livre non rendu. De deux choses l’une. Soit le loup a mangé le lapin (on rit jaune), soit le lapin est parti en vacances avec le loup (on rit clair). Mais, troisième solution : un livre déchiré comme ça, jamais la bibliothèque elle va le reprendre, disent les enfants qui, à la place du lapin n’auraient pas rapporté le bouquin. Alors là, on ne rit plus du tout.

    Le champ de l’humour (et de la production pour la jeunesse) est si vaste que les auteurs s’amusent sans fin à réécrire les récits effrayants de l’humanité où le plus fort, le plus rusé (loup ou renard) finit toujours par manger le plus faible : Geoffroy de Pennart, Yvan Pommaux, Ramos ridiculisent sans fin le loup tandis que dans sa version de « la » soupe au caillou « , Tony Ross montre comment la poule a eu la malice de le transformer en homme à tout faire. En littérature de jeunesse, l’humour est une arme qui témoigne souvent d’une indulgence pour la chose moquée : « C’est vraiment le ‘sourire de la raison’, non le reproche ou le dur sarcasme (…) l’humour compatit avec la chose plaisantée ; il est secrètement complice du ridicule, se sent de connivence avec lui.  » (14) Dans Le Géant de Zéralda, l’ogre épouse la fillette qui l’a amadoué avec ses talents de cuisinière. Le couple a tout une tripotée d’enfants tous aussi gentillets les uns que les autres mais le dernier tient dans son dos un couteau et une fourchette comme s’il reprenait, en douce, les armes du père. Quelques années plus tard, dans Le Déjeuner de la petite ogresse, l’héroïne dévore des garçonnets qu’elle capture dans des cages faites de branches. Devenue amoureuse de l’une de ses victimes, elle l’épouse, mettant au monde un bon nombre d’enfants proprets. Au bois, la dernière ramasse des branches et traîne une cordelette : elle finira comme ça mère. Une manière humoristique de traiter du déterminisme familial, de la mort sans ternir la réputation littéraire de l’ogre (et de l’ogresse).

L’humour de fin

    Souvent, des albums se ferment de manière troublante, provoquant chez leur lecteur (à qui il appartient d’expliciter les conclusions) un rire jaune. In extremis, ils montrent l’envers des choses pour que « la conscience de soi ne devienne pas purement et simplement la bonne conscience, la bonne mauvaise conscience. » (15) Les retournements de fin sont aujourd’hui légion. Rascal excelle avec les conclusions  » macabres  » : « Nous t’attendons », crie un couple du fond de la forêt à un petit poussin cherchant désespérément ses parents depuis le début du récit. Il s’agit de loups attablés pour un pique-nique et munis de couteaux et de fourchettes et d’un sourire réjoui.  » Moi, je t’aime comme tu es « , murmure le loup à l’oreille du lapin après avoir éparpillé les fleurs rouges sur le sol, l’embrasse goulûment en aspirant la joue. (16) L’humour noir n’est pas loin, qui mêle étrangement divers sentiments : plaisir de la revanche, peur de ce qui est inconsciemment redouté et qui reste difficile à révéler clairement. Dans quelques rares albums (La Vengeance de Germaine), l’humour vache est même revendiqué.

    La difficulté en littérature de jeunesse c’est la morale qui sous-tend la plupart des discours or, l’humour ne respecte rien ni la morale, ni la raison, ni l’autorité (qu’il aurait même tendance à prendre systématiquement pour cible). Ne nous hâtons pas trop de  « moralise »  le rire ; c’est parce qu’il est profondément, originellement et définitivement libre qu’il possède un tel pouvoir.  » (17) Prenons l’humour comme une ressaisie des situations les plus intimes et les plus collectives, une retenue et un appel ; pour qu’il ne tourne pas à vide, il faut savoir le décoder, par-delà les mots : il faut lire, l’implicite, le décalé, le sous-entendu. Ça demande un apprentissage aigu de la lecture et des relations humaines.

    « Le parrainage britannique de l’idée d’humour est sans doute dû au fait que le sens de l’humour a été pour les Britanniques une façon de traduire et d’exorciser selon une comédie rituelle leurs divisions historiques, notamment entre catholiques et anglicans, ou entre Anglais, Saxons et Celtes (Gallois, Écossais, etc) », explique Robert Escarpit.

    Ne pas oublier que, pour avoir voulu explorer nos récentes divisions religieuses, des humoristes sont morts : l’humour, rigolade ou trait d’esprit, est un outil d’analyse et d’action qui libère la parole. Il reste à convertir cette parole en action, à se servir de sa lucidité pour sortir allègrement des impasses où trop d’austérité nous ont mis. L’humour est un genre qui demande, ici et partout ailleurs, considération et protection. C’est une arme pour les luttes qui nous restent à mener.

( mars 2018 )

Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé vingt ans à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert et a enseigné en tant que professeur de français à l’IUFM de Créteil ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Être, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud. 

( chenoufyvanne@wanadoo.fr )

(1) Jean Perrot, dir., L’humour dans la littérature de jeunesse, Inpress, 2000 : « Les enfants d’Espagne, de Grande-Bretagne, de Grèce ou de France sont-ils sensibles au même type d’humour ? Sur quelles références culturelles, sur quelles techniques, sur quels ressorts l’humour fonctionne-t-il dans la littérature de jeunesse ? »

(2) Dictionnaire culturel en langue française, dirigé par Alain Rey, Le Robert, p. 1736

(3) Laurence Decréau, Ces héros qui font lire, Hachette Éducation, 1994

(4) Voir la série des « Quichon », l’école des loisirs

(5) « Le texte nouveau évoque pour le lecteur (ou l’auditeur) tout un ensemble d’attente et de règles du jeu avec lesquels les textes antérieurs l’ont familiarisé et qui, au cours de la lecture, peuvent être modulées, corrigées, modifiées ou simplement reproduites. », Hans-Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, 1978, pp. 50-51

(6) L’Association Française pour la lecture consacré une partie des « Lectures Expertes » n° 4 à ce tandem : pp. 19-43 (en vente sur : www.lecture.org)

(7) « Le Printemps », « La Liste », « Le Bouton », dans le recueil Ranelot et Bufolet.

(8) Pour Arnold Lobel, « les histoires sont des bras tendus, des caresses et des murmures. Les histoires sont des desserts. Les histoires sauvent la vie. Il peuple les siennes de feux de bois, de bons fauteuils, de livres et de bouquets de fleurs, de rondeurs, de douceurs, d’amitiés idylliques. », Sophie Chérer, préface de Hulul et compagnie, école des loisirs, 2001, p. 5

(9) idem

(10) Arthur Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison, Mille et une nuits

(11) Kasuo Iwamura, Les Réflexions d’une grenouille, Les Nouvelles réflexions d’une grenouille, Autrement

(12) Dominique Noguez, « Structure du langage humoristique », Revue d’esthétique, n° 22, 1969, p. 42

(13) Nadja utilise souvent les « sous-entendus », les pensées intérieures des parents qu’elle place dans des bulles, par exemple dans L’Horrible petite princesse

(14) Vladimir Jankelevitch, L’ironie, ou la bonne conscience, Flammarion, coll. Champs, 1991

(15) idem

(16) Poussin noir, Rascal, Peter Elliot, Pastel ; Ami-Ami, Rascal & Stéphane Girel, école des loisirs

(17) Bourguinat Elisabeth, Rire et pouvoir : la leçon du persiflage libertin

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BIBLIOGRAPHIE

. Anton et les filles, Öle Konnecke, école des loisirs

. Bou et les 3 zours, Elsa Valentin, Ilya Green, L’Atelier du poisson soluble

. C’est à quel sujet ?, Philippe Corentin, Rivages

. La chasse au gorille, Stéphane Heinrich, Kaléidoscope

. Clown d’urgence, Thierry Dedieu, Seuil

. Les coulisses du livre jeunesse, Gilles Bachelet, L’atelier du poisson soluble

. Le déjeuner de la petite ogresse, Anaïs Vaugelade, école des loisirs

. série « Émile », Vincent Cuvellier & Ronan Badel, Gallimard

. Fifi Brindacier, Astrid Lindgren,

. Le géant de Zéralda, Tomi Ungerer, école des loisirs

. L’horrible petite princesse, Nadja, école des loisirs

. Hulul, Arnold Lobel, L’école des loisirs

. Je suis le plus fort, Mario Ramos, Pastel

. Lettre d’amour de 0 à 10, Suzy Morgenstern, école des loisirs

. Le loup est revenu, Geoffroy de Pennart, Kaléidoscope

. Les loups, Emily Gravett, Kaléidoscope

. Machin chouette, Philippe Corentin, école des loisirs

. Mademoiselle Sauve-qui-peut, Philippe Corentin, école des loisirs

. série « Mafalda »

. Le mangeur de mots, Thierry Dedieu, Seuil

. série « Marcel », Anthony Browne, Kaléidoscope

. Marie-Louise, Thierry Dedieu, Seuil

. Mille secrets de poussins, Claude Ponti, école des loisirs

. L’ogresse, Anaïs Vaugelade, école des loisirs

. L’ogrionne, Philippe Corentin, école des loisirs

. Parci et Parla, Claude Ponti, école des loisirs

. Patatras !, Philippe Corentin, école des loisirs

. Pauvre Verdurette, Claude Boujon, école des loisirs

. Plouf !, Philippe Corentin, école des loisirs

. Le prince de Motordu, Pef, Gallimard

. La promesse, Jeanne Willis & Tony Ross, Gallimard

. série « Quichon », Anaïs Vaugelade, école des loisirs

. Ranelot et Bufolet, Arnold Lobel, école des loisirs

. Les réflexions d’une grenouille, Kasuo Iwamura, Autrement

. Les nouvelles réflexions d’une grenouille, Kasuo Iwamura, Autrement

. Le roi et le roi, Philippe Corentin, école des loisirs

. La sixième, Suzy Morgenstern, école des loisirs

. La soupe au caillou, Tony Ross, Gallimard

. Tête à claques, Philippe Corentin, école des loisirs

. série « Titeuf », Zep, Glénat

. Les trois petites cochonnes, Frédéric Sther, école des loisirs

. Une histoire d’amour, Gilles Bachelet, Seuil

. La vengeance de Germaine, Emmanuelle Eeckhout, école des loisirs

. série « Zuza », Anaïs Vaugelade, école des loisirs

L’Association française pour la lecture a produit un volume de sa collection « Lectures Expertes » sur l’humour et un DVD à propos de Tête à claques de Philippe Corentin :

– « Lectures Expertes » numéro 8 – L’humour- 5,00 euros.

Tête à claques, réalisé par Jean-Christophe Ribot dans une classe de grande section avec la présence de Philippe Corentin – 5,00 euros

Commande sur le site de l’AFL : www.lecture.org

Rire avec Gilles Bachelet

 

Lira bien qui rira le premier

     A l’occasion de la journée professionnelle du 28 mars 2018 du trente-troisième Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret) titrée « Lira bien qui rira le premier » (qui a accueilli Marie Leroy-Collombel, Antonin Louchard et Yvanne Chenouf), le CRILJ avait demandé à seize auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices devant participer au Salon, du vendredi 13 au dimanche 15 avril, leurs opinions et leurs sentiments à propos de l’humour en général et des livres drôles en particulier.  Voici la page « spécial Gilles Bachelet ».

 

 Si une chose me fait rire, elle fait rire quelqu’un d’autre.

    Mes lectures d’enfance m’ont sûrement plus marqué par leur pouvoir d’évasion que par l’humour à proprement parler, en ce qui concerne les romans en tout cas. Enfant unique, vivant à la campagne sans télévision puis en pension, j’ai été lecteur précoce, boulimique et éclectique.

L’offre étant considérablement plus limitée qu’aujourd’hui et je suis rapidement passé des romans jeunesse (Comtesse de Ségur, « Club des cinq », « Bennet ») aux grands romans « tout public » (Jules Vernes, Jack London, Fennimore Cooper, Conan Doyle, Gaston Leroux, Melville, Defoe, Mark Twain, Stevenson)

    La découverte de l’humour est venue de la bande dessinée à travers « Tintin »,  « Lucky Luke », « Iznogoud », « Spirou », puis, à l’adolescence, Gotlib, Bretecher, Mandrika.

    Deux titres qui m’ont particulièrement marqué enfant : Treize à la douzaine de Frank Bunker Gilbreth (probablement pour l’exotisme que représentait une famille nombreuse pour le fils unique que j’étais) et Les jumeaux de Vallangoujard de Georges Duhamel, pour des raisons plus obscures. Je n’ai plus le moindre souvenir de l’histoire mais je me souviens que ce livre m’avait fasciné et j’en revois encore la couverture.

    Pour moi, le goût du livre drôle s’est développé au fil du temps. Illustrateur plutôt de commande au départ et essentiellement dans la presse magazine (jeunesse et adulte), j’ai toujours aimé cacher dans les coins, même dans des images qui n’avaient pas pour vocation d’être humoristiques, des détails incongrus et décalés.

    Quand je me suis plus tourné vers l’édition jeunesse et que j’ai commencé à écrire mes propres textes j’ai pu donner cours plus librement à ce penchant pour l’absurde.

    Après une période de lassitude et de doutes quant à ce métier, j’ai vraiment recommencé à prendre du plaisir grâce à cette main-mise conjointe sur le texte et sur l’image.

    Mon style de dessin n’étant ni novateur ni particulièrement virtuose, j’ai l’impression que l’humour donne à mes illustrations une sorte de légitimité. Cela me sécurise. Je n’imagine même plus faire une image qui ne fasse pas rire ou sourire, par elle-même ou par juxtaposition avec un texte.

    Ceci dit, j’évite de me poser trop de questions, je pars généralement du principe élémentaire que si une chose me fait rire, elle peut faire rire quelqu’un d’autre.

    Mes textes ne sont généralement pas drôles en eux-mêmes et servent surtout de lien et de contrepoint décalé à l’illustration. Lus tout seuls, ils sont d’une grande banalité et ne prennent sens que par la présence de l’image. Cela me met toujours mal à l’aise de les entendre lus par une tierce personne si l’image est placée trop loin des enfants ou si, comme ils sont par ailleurs très concis, le/la conteur/teuse ne leur laisse pas le temps d’opérer la relation entre les deux.

    Lorsqu’il m’arrive de les lire moi-même dans les classes, je passe plus de temps à commenter l’illustration qu’à lire le texte. Pour le reste, j’essaie de faire rire par le choix des personnages, l’absurde des situations. J’aime jouer avec les références à la littérature jeunesse, à l’histoire de l’art, à mes albums précédents, tant pour l’enfant que pour l’adulte qui partage la lecture avec lui. Car, je l’avoue, j’aime bien dans mes livres pour enfant faire rire les adultes aussi…

    À priori tous les sujets devraient pouvoir se prêter à l’humour. J’adore la drôlerie macabre d’Edward Gorey. Me viennent en tête Le Dé-mariage, un livre jubilatoire de Babette Cole sur le divorce, Pochée, un livre plein d’humour délicat sur le deuil, de Florence Seyvos et Claude Ponti.

    Malheureusement tout le monde n’a pas la même perception du second degré et certains sujets sont plus sensibles que d’autres.

    La littérature jeunesse évolue à l’image de la société. L’addiction au whisky et au tabac du capitaine Haddock n’a pas encore été occultée des albums mais on imagine mal créer aujourd’hui un personnage reposant sur ces ressorts comiques.

    Les polémiques s’enflamment vite sur les réseaux sociaux à propos de stéréotypes de genre, d’appartenance ethnique ou religieuse. Les associations pour l’éducation bienveillante veillent à ce que les papas lapins ne donnent plus la fessée à leurs petits, les baisers des princes charmant sont sous surveillance. D’une façon générale on marche sur des œufs et on anticipe les réactions. Dieu merci le pipi-caca reste une valeur sûre – et abondamment exploitée.

    Dernière chose : me font rire les gens qui font ou racontent des bêtises avec le plus grand sérieux, les citations philosophiques sur fond de soleil couchant sur facebook, les petits flyers des marabouts dans les boites aux lettres, les sketches des Monty Python, les dessins de Bosc, Sempé, Voutch, Glen Baxter, et le liste n’est pas exhaustive.

(Gilles Bachelet – mars 2018)

 Le savez-vous ?

Le dossier du numéro 301 de juin 2018 de La Revue des livres pour enfants est consacré à Gilles Bachelet.

Rire à Beaugency (3)

 

 

Lira bien qui rira le premier

    A l’occasion de la journée professionnelle du 28 mars 2018 du trente-troisième Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret) titrée « Lira bien qui rira le premier » (qui a accueilli Marie Leroy-Collombel, Antonin Louchard et Yvanne Chenouf), le CRILJ avait demandé à seize auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices devant participer au Salon, du vendredi 13 au dimanche 15 avril, leurs opinions et leurs sentiments à propos de l’humour en général et des livres drôles en particulier. Voici, en trois parties consécutives (plus une page « spécial Gilles Bachelet »), l’essentiel de leurs réponses.

PARTIE 3

 Qu’est-ce qui vous fait rire dans la vie ? Dites-nous tout.

    Impossible à dire, trop de variables. En revanche, ce qui m’exaspère : l’esprit de sérieux. (Antonin Louchard)

    Les enfants, les amis, la joie qui se dégagent parfois de ces rencontres, de ces moments. Le cinéma aussi, quand il sait y faire – chaque fou rire pouvant engendrer une petite larme. (Cédric Ramadier)

    Dans la vie, ce qui me fait rire ? Un peu de tout, il me semble, mais ça dépend avec qui. Et puis, les décalages, les petit pas de coté qui permettent de ne pas se prendre trop au sérieux, ni trop au tragique. (Claire Cantais)

    Certains hommes politiques, mon chat avec une balle de ping-pong, moi quand je m’essaye au cor de chasse. (Pierre Bertrand)

    Les décalages, les situations incongrues, inattendues, les parties de cache-cache et les blagues malicieuses. (Samantha Bailly)

    J’adore les situations absurdes, et les traits d’humour qui amènent une conversation normale vers un imaginaire complètement impossible. (Vincent Bourgeau)

    Ce qui me fait rire dans la vie ? Beaucoup de choses je crois. Tant l’humour pipi-caca-badaboum que le second degré, la logique absurde, l’humour pince-sans-rire, la dérision et l’auto-dérision, les lapsus en actes ou en paroles, etc. Clothilde, presque 5 ans, me souffle : « L’humour, au fond, c’est très sérieux ». (Clothilde Delacroix)

    Les chatouilles, les mots d’enfants, les quiproquos, le décalage, la bonne humeur, les rires communicatifs, les farces, regarder un film de Charlie Chaplin avec mes filles, et bien d’autres choses que j’oublie. (Elsa Valentin)

    Les situations où l’accumulation d’ennuis finit par devenir comique. Les gens qui, se prennent très au sérieux, se prennent les pieds dans le tapis. (Isabelle Simon)

    L’honnêteté. (Camille Garoche dite Princesse Camcam)

    Ce petit pas de côté qui nous montre soudain les choses sous un autre angle, c’est ça qui me fait rire, souvent aux éclats, même toute seule, même pour ce qui ressemble souvent furieusement à une broutille : un verre qui m’échappe des mains, le chat cherchant sa gamelle qu’on a déplacée par mégarde, un enfant barbouillé de sauce bolognaise. Et puis, à dire vrai, plus ça va, plus la vie me fait rire. Elle est tellement absurde, injuste, insensée et, en même temps, folle à lier, démesurément ingénieuse, subtile, éblouissante. Bon, il y a aussi des bords au cadre, hein ? Comme me l’écrivait un jour Olivier Douzou dans un petit mail échangé « J’adore la vie, mais pas tout. » (Jeanne Ashbé)

(février-mars 2018)

 

 

 

Rire à Beaugency (2)

Lira bien qui rira le premier

    A l’occasion de la journée professionnelle du 28 mars 2018 du trente-troisième Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret) titrée « Lira bien qui rira le premier » (qui a accueilli Marie Leroy-Collombel, Antonin Louchard et Yvanne Chenouf), le CRILJ avait demandé à seize auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices devant participer au Salon, du vendredi 13 au dimanche 15 avril, leurs opinions et leurs sentiments à propos de l’humour en général et des livres drôles en particulier. Voici, en trois parties consécutives (plus une page « spécial Gilles Bachelet »), l’essentiel de leurs réponses.

PARTIE 2

 Pourquoi donc ce goût du livre drôle ? Une nécessité d’écriture ? Une chance supplémentaire d’atteindre son lecteur ? Une envie toute personnelle ? Y a-t-il des sujets privilégiés du livre d’humour ? Ou, à l’inverse, y a-t-il des sujets impossibles à aborder ?

    Je suis venu progressivement au récit humoristique, comme moyen malicieux de capter l’attention du lecteur – petit ou grand -, de le surprendre ou de le piéger. Je pense que, par l’humour, on peut tout aborder. Mon sujet privilégié c’est l’enfance. Mes livres sont des livres pour enfants mais aussi, par les thèmes abordés, des livres sur l’enfance. Un exemple : l’effronterie du livre Tout un Louvre, comme un pétard lâché au sein d’un des lieux les plus austères et grave de la planète. (Antonin Louchard)

    Je n’ai pas le goût du livre drôle. En revanche j’aime jouer avec les mots, avec la langue. J’écris aussi par besoin de partager ma vision du monde, voire de dénoncer ce qui me parait intolérable, et l’humour est un bon angle pour le faire. Je ne crois pas que mes livres soient dans la catégorie des livres  drôles, même si  certains peuvent faire rire. Quand ils font rire, c’est par la langue, les mots inventés, les associations improbables, les jeux de mots, et aussi par l’absurde et le décalé. (Elsa Valentin)

    Je ne vois pas à priori de sujets impossibles à traiter avec humour. Même si parfois le prix de la parodie peut être une férocité proportionnelle. La nature humaine couvre tous les champs des possibles, du bonheur à l’horreur… et l’humour ne manque pas de subtiles variantes. Et tant mieux quand elles sont inattendues. (Valérie Dumas)

    L’humour est une prise de distance avec les angoisses parfois traitées dans mes histoires. Une peur filtrée par le rire, c’est comme un serpent débarrassé de son venin, une balle à blanc, une abeille sans dard. (Pierre Bertrand )

    Je trouve que l’humour et l’auto-dérision sont essentielles pour rester en bonne forme morale et aussi pour améliorer les relations. Alors j’ai écrit beaucoup d’histoires (non publiées) où ces deux aspects sont présents. C’est aussi un moyen d’aborder des sujets difficiles. (Isabelle Simon)

    J’aime écrire des livres drôles pour les enfants. Ils ont envie de rire et moi aussi – avec eux. Ça me fait une soupape entre deux romans plus graves pour les adolescents. Mais de plus en plus, cela me titille, j’ai envie de faire rire aussi les adolescents. Il n’y a pas de raison. L’idée d’apporter de la joie à mes lecteurs et à mes lectrices me plait énormément. C’est une forme d’utilité. Voire de salubrité publique. Je pense qu’on retrouve dans mes romans humoristiques ce qui me faisait rire enfant, cette idée de décalage jouissif. Ma série du « Chat Pitre » en est un exemple : le chat pense, juge, et il est persuadé que ce sont les humains qui habitent chez lui, et pas l’inverse. Ça, je trouve que c’est drôle. Ensuite il y a les jeux de mots, qui sont aussi une forme de subversion. Pour moi, l’humour, c’est le décalage, regarder le réel par  une autre porte que celle qui est habituelle. Je ne suis pas une grande spécialiste de l’humour. Mais en général je ne ris pas quand je sens que ça rabaisse quelqu’un. Je ris quand celui ou celle qui fait rire fait le pari de l’intelligence de son public. Je pense à Mon Chat le plus bête du monde de Gilles Bachelet : ce qui est très fort, c’est que que l’auteur valorise son lecteur, qui plus est son lecteur enfant qui en sait plus que le narrateur. Le jeunes lecteur sait que ce n’est pas un chat, et la méprise le fait hurler de rire. (Florence Hinckel)

    J’ai écrit un seul ouvrage clairement affiché humoristique, Stagiaires : le guide de survie, mais qui est aussi teinté d’un propos social. Pour le coup, l’humour se distille un peu partout, cela peut être les situations, les personnages, la bonne phrase au bon moment. (Samantha Bailly) 

    Avec Vincent Bourgeau, nous avons publié deux bandes dessinées pour les 7-9 ans, et tout de suite, sous couvert de d’aventure, c’est le rire qui a prédominé. C’est un bon ressort le rire. Cela fait avancer un récit. Cela vient peut-être du burlesque. Et, à ce titre, j’ai une anecdote à propos d’un de nos livres (malheureusement épuisé), Debout, couché. Ce livre est une succession de petites saynètes qui se dévoilent grâce à l’ouverture d’un rabat comme un petit cinéma. Toutes ces mini-histoires ont en commun le rire à travers ce qui arrivent aux personnages : l’un chute, l’autre glisse, le suivant se cogne contre un arbre… C’est simple, c’est basique, mais on rit – en tout cas, j’espère. Eh bien ce livre est venu d’une envie de Vincent qui me racontait qu’il adorait regarder des films burlesques avec ses enfants (Chaplin, Loyd) et rire, ainsi, en groupe. C’était si simple, si libérateur, une vraie énergie positive. C’est ce que l’on a essayé de faire dans le livre : du burlesque, pour le simple plaisir du rire ou pour le plaisir simple du rire. C’est si bon. (Cédric Ramadier)

    Pour mes petits albums « Rosalie/Raoul/Bernard », mon ambition était de faire un petit gag à la Tex Avery. C’est très graphique, simple, juste une blague. Après, on peut y voir qurlque chose de plus large sur les rapports humains ; et le rire sert de véhicule. Ce qui me parait être drôle est parfois un subtil décalage entre texte et image. Pour exemple, cette merveilleuse page de Madame le lapin blanc : « Gilbert et Georges (….) sont des garçons sages et réfléchis, qui s’intéressent à tout et savent s’amuser avec trois fois rien » où l’on voit ces charmants lapins sur le pot, puis observer son contenu, puis jouer à la pétanque avec. (Claire Cantais)

    Je ne fais pas des livres drôles. Je fais des livres qui disent que la vie est drôle. Je raconte beaucoup la vie des bébés. Un bébé, ça prend les mains, et les nuits et les jours – faut pas se mentir. Mais c’est un réservoir de gaieté inépuisable. D’ailleurs, c’est pour ça que je me suis arrangée pour en faire cinq. J’ai arrêté à regret.  Dans mes livres, je jette des petits coups de projecteur sur cette adorable drôlerie (parfois déguisée en cauchemar quand on n’en peut plus d’être parent). Mais, quand même, quand un tout petit habite avec nous, qu’est ce qu’on rigole ! (Jeanne Ashbé)

(mars 2018)

Rire à Beaugency (1)

 

 

Lira bien qui rira le premier

A l’occasion de la journée professionnelle du 28 mars 2018 du trente-troisième Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret) titrée « Lira bien qui rira le premier » (qui a accueilli Marie Leroy-Collombel, Antonin Louchard et Yvanne Chenouf), le CRILJ avait demandé à seize auteurs, autrices, illustrateurs et illustratrices devant participer au Salon, du vendredi 13 au dimanche 15 avril, leurs opinions et leurs sentiments à propos de l’humour en général et des livres drôles en particulier. Voici, en trois parties consécutives (plus une « spécial Gilles Bachelet »), l’essentiel de leurs réponses.

PARTIE 1

 Avez-vous le souvenir d’un livre vous ayant vraiment fait rire quand vous étiez jeune lecteur (ou jeunes lectrice) ? Etiez-vous, dans vos lectures, plutôt aventure, policier, vie quotidienne ou autre chose ? Etiez-vous, petit ou petite, boute-en-train ou amateur ou amatrice de farces et d’histoires drôles ?

    Je n’ai aucun souvenir de livres drôles et j’étais trop effacée pour être boute-en-train. (Valerie Dumas)

    Je n’ai pas de souvenir d’un livre qui m’a fait vraiment rire. J’aimais bien tout genre d’histoire, mais ce qui m’intéressait le plus ce sont des images. (Camille Garoche dite Princesse Camcam)

    J’écris des livres pour les tout-petits. Or je n’ai quasiment aucun souvenir de cette période. J’écris certainement pour l’enfant que j’étais, ou plus bateau : j’écris pour l’enfant que je suis encore. Cela doit réveiller de vieilles émotions. Cela me fait rire, m’émeut aujourd’hui comme cela aurait pu quand j’étais tout petit. Sinon, je me souviens de « Oui-Oui », puis de « Fantômette », puis du « Club des cinq ». de la « Bibliothèque rose » puis « verte ». Du très classique. J’étais timide mais j’aimais rire, faire des blagues, plutôt à plusieurs. (Cédric Ramadier)

    Je ne recherchais pas particulièrement les livres drôles mais tintinophile impénitent, les joutes entre le capitaine Hadock et le professeur Tournesol ou avec la Castafiore m’ont toujours fait rire. Et puis, plus tard, « Astérix » et « Gaston Lagaffe ». (Pierre Bertrand)

    J’étais très friand d’Asterix, et je me souviens de fous rire sur certaines séquences, celle du cuisinier goûtant le plat d’Astérix esclave dans Les lauriers de Cesar par exemple. Et me fait toujours aussi rire aujourd’hui. (Vincent Bourgeau)

    Peut-être La belle histoire du Prince de Motordu, je l’aimais beaucoup, cet album, mais je ne sais pas s’il me faisait vraiment rire. Je me souviens d’un passage de Peter Pan qui, lui, m’a fait rire, vraiment rire : le passage où Peter fait dire à Crochet qu’il (Crochet) est un cabillaud. Petite, j’étais boute-en-train. (Elsa Valentin)

    Quand j’étais petite, je me souviens avoir ri avec Fifi Brindacier, d’Astrid Lindgren, mais aussi avec L’ours Paddington, de Michaël Bond. Je ne trouvais que des « vieux » romans comme ceux-là dans la bibliothèque que je fréquentais. L’offre était plus pauvre en humour qu’aujourd’hui. Ah, il y a eu aussi Le passe-miroir de Marcel Aymé. Ce n’était certes pas du rire aux éclats, mais c’était un contentement jouissif dû au décalage par rapport au réel. Ce qui me faisait rire, c’était la subversion : une petite fille méga-forte, un ours qui parle, un homme qui peut traverser les murs. (Florence Henckel)

    J’ai un souvenir très net de la  lecture d’un roman au collège qui m’a fait rire, Mon nez, mon chat, l’amour et… moi, de Louise Rennison. Mais, je crois que je préférais plutôt les tranches de vie, et j’étais, comme on dit, une enfant « sage ». (Samantha Bailly)

    Je n’ai curieusement aucun souvenir de livre qui m’aurait fait rire petite… Je me souviens juste d’un Pinocchio assez flippant. Sinon, j’ai grandi avec « Tintin ». Et avec « Fantômette », « Le Club des cinq », « Le Clan les sept ». On peut dire que j’étais résolument « aventures ». Mon vrai souvenir de rire, je le dois à Pierre Richard dans Le grand blond avec une chaussure noire. C’était mon idole, et j’imagine que c’était assez répandu, puisque j’ai réussi, à mon école, à échanger un prétendu autographe de Pierre Richard, confectionné par ma petite main, contre une loupe. J’ai arrêté l’arnaque à l’autographe, mais j’ai contracté un réflexe pavlovien, dès le générique du grand blond, maintenant encore, je ris. J’étais plutôt boute-en-train. C’était mon rôle dans une famille où personne ne se battait pour la place. (Claire Cantais)

    Je lisais plutôt des romans d’aventure, mais Winnie the Pooh, que j’ai lu petit et relis encore régulièrement aujourd’hui, me fait rire immanquablement à chaque fois. Les Pickwick Papers de Dickens, lus pour la première fois à l’adolescence, aussi. J’étais plus provocateur que boute-en-train. Et je me retrouve un peu dans le petit lapin effronté que je mets en scène dans mes livres. Je me souviens, en revanche, de ma fascination pour les dispositions à l’humour de certains de mes camarades. Un talent que j’enviais. (Antonin Louchard)

    A vrai dire, j’aimais à la folie les livres qui font … pleurer et c’est la vérité vraie. Pour moi, pleurer en lisant est un des plus grands plaisirs de l’existence. Je suis aussi une lectrice qui éclate de rire en lisant, très fort (je vous dis pas dans les trains, pire dans les avions). Mais, rire et pleurer c’est presque pareil, c’est quand ça déborde. (Jeanne Ashbé)

(mars 2018)