Montreuil en 2022

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Quand on vient pour la première fois, adulte ou enfant, au Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, on peut éprouver un sentiment de trop-plein, se perdre dans les propositions et ne pas savoir, comme on dit aujourd’hui, se poser. En fait, si la profusion étourdit, la possibilité pour les visiteurs de bonne volonté de vivre leurs propres micro-événements va transformer la simple déambulation en moments heureux : un livre qu’on ne connaissait pas, une rencontre inopinée, une dédicace super belle, quelques phrases échangées avec un auteur pas intimidant du tout, une lecture ou un atelier. Sur le stand du CRILJ, ce sont surtout des médiateurs qui s’approchent et s’arrêtent. Ils questionnent, feuillettent, achètent. Des étudiants, surtout des filles, nous entretiennent de leur prochain mémoire, licence ou master. Nous les encourageons et, assez souvent, promettons de les aider dans leurs premières recherches. Il y a aussi ceux qui – soutien appréciable – adhèrent à l’association et ceux qui nous assurent, promis-juré, qu’ils s’inscriront à notre prochain colloque. Ce sera avant Montreuil 2023.

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Désirs de mondes

     La thématique du trente-huitième Salon du livre et la presse jeunesse en Seine Saint-Denis aura tenu ses promesses dans tous les sens du terme.

    L’édition 2022 s’est achevée sur une fréquentation digne des plus grands crus : 1 600 autrices et auteurs, illustratrices et illustrateurs présents à Montreuil, ont fait le bonheur des 180 000 visiteurs qui, six jours durant, sont venus à leur rencontre.

    Des dizaines de milliers d’enfants et d’adolescents débordants d’énergie, curieux et enthousiastes, ont apporté à la palette des émotions vécues au Salon, toutes les nuances de leurs désirs de mondes plus doux à vivre, de mondes qui portent les rêves de leur génération, les couleurs et les espoirs de leur insatiable imaginaire.

    Petits et grands ainsi conviés au grand festin de la littérature jeunesse se sont régalés des centaines de rencontres au programme tandis que pour sa troisième saison, la Télé du Salon, enrichie de nouveaux formats, diffusait chaque jour débats et créations originales. Ce nouveau média du Salon, né des contraintes du confinement, fait désormais partie de sa chatoyante panoplie. Il participe, avec les 500 partenaires-relais du Salon sur l’ensemble du territoire national, au rayonnement amplifié que l’événement offre, à quelques encablures des fêtes, à la littérature jeunesse, à ses créateurs comme à tous les acteurs de la chaîne du livre qui la font vivre.

    Les 450 maisons d’édition présentes comme la multiplication des formats et possibilités de rencontres professionnelles, y compris en amont du Salon, ont apporté à la saveur de ce cru décidément tonique.

   Il faut ajouter à la singulière façon dont toutes ces énergies se sont mobilisées pour aboutir à une trente-huitième édition si réussie, une très belle récolte de Pépites et la remarquable Grande Ourse de ce millésime 2022, Marc Boutavant.

    Dans notre galaxie de la littérature jeunesse, tous ces désirs de mondes ont manifestement concouru à un bel alignement de planète

    Retrouvez la trente-neuvième édition du Salon du livre et la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis du mercredi 29 novembre au lundi 4 décembre 2023.

( communiqué de presse des organisateurs du Salon – lundi 5 décembre 2022 )

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Montreuil en son Salon en 2018

 

par Loïc Boyer

    À dire vrai, je m’étais chargé d’un appareil photo pour aller à la 34e édition du Salon du livre et de la presse jeunesse dans le but de revenir avec suffisamment de matière pour faire une petite vidéo des expos. Il y a longtemps que je n’étais pas descendu au sous-sol du Palais des congrès de Montreuil pendant ma visite annuelle. Quelques années. Pourquoi ? Je ne saurais le dire, la faute peut-être aux trains qui se raréfient l’après-midi et qui me forcent à ne pas traîner si je ne veux pas rentrer trop tard, ou bien la faute à un programme peu alléchant. Quoi qu’il en soit, comme j’arrive à neuf heures et que personne n’est encore là… Ah si, André Delobel est sur son stand, qui m’interpelle et me remet quelques exemplaires de la brochure que j’ai conçue pour le CRILJ ; j’aime cette série de brochures, il faudra que je les mette sur mon site un jour.

    Je prends les escaliers pour faire un tour en bas.

    Je comprends rapidement que si je veux faire un diaporama intéressant avec ce qui est exposé là, ça va être pénible. J’écarte rapidement l’idée mais photographie tout de même ce qui mérite d’être sauvé. Les originaux d’Émile Bravo pour le dernier volume de Spirou sont intéressants. Le public présent lit ça avec attention, malgré l’absence de couleurs et malgré la verticalité. Moi, je m’attache aux traces qui disparaîtront à la reproduction : le blanc qui cache un trait, des signes au crayon bleu, les coulisses, c’est amusant.   

    Dans un autre coin il y a des originaux d’albums publiés dans la collection du Père castor: Baba Yaga par Nathalie Parain ou des projets de couvertures de Feodor Rojankovsky, également porteurs de traces discrètes mais passionnantes à mon goût.

    Mais c’est à peu près tout. Le reste est constitué d’images tirées d’illustrations contemporaines de contes de fées mais, hélas, dans une facture pompière peu engageante. Il y a beaucoup de vide à ce niveau -1 que j’ai connu plus ambitieux en termes de scénographie et de commande aux artistes. De commande il ne reste ici qu’un abécédaire collectif qui est une reprise d’un projet réalisé à l’origine pour la Foire de Francfort en 2017 et une série d’ « affiches réalisées par des illustrateurs » sur le thème de l’humanitaire et collées au fond, à droite.

    Tout ça sentait le manque d’idées et l’économie de moyens. À l’inverse les « mises en voix » (des entretiens et conférences) seront légion tout au long de la journée (et du Salon) ; peut-être tout simplement que le goût du public va aujourd’hui davantage vers ce genre de manifestation.

    J’y pense et puis croise Élise Canape, on cause de l’exposition qu’elle prépare pour le printemps à Strasbourg, au Centre de l’illustration. Un peu plus loin c’est Luc Battieuw qui traîne sur le stand Albin Michel ; nous parlons de Bruxelles, forcément.

    Je me rends alors sur le stand de Didier Jeunesse éclairé d’un Be Happy en Banco surligné d’un vrai néon où m’accueillent Amélie Naton, Michèle Moreau et Camille Goffin. La discussion porte rapidement sur Susie Morgenstern qui n’est pas tout à fait étrangère à un projet que nous mûrissons pour le printemps. Je t’en reparle plus tard…

    Après déjeuner – Little Kitchen, toujours au top  – je re-croise Élise, cette fois flanquée de Raphaël Urwiller (du duo Icinori), et la conversation porte sur le pas de côté que sont capables de faire certains éditeurs et de ce que ça leur apporte.

    Puis ce sont les retrouvailles avec mes Espagnoles préférées, Raquel Martinez, éditrice, et Josune Urrutia, illustratrice, avec lesquelles je file faire des emplettes chez Jacques Desse et Thibaut Brunessaux, à la boutique des « livres rares ». Je les mène ensuite chez Les Trois Ourses où les cartes bancaires sont encore mises à contribution. Elles achèvent de vider leur compte en banque sur le stand MeMo, lequel est constitué de panneaux blancs sur lesquels Paul Cox a peint un paysage rouge dans son atelier, avant de venir le monter ici. Le résultat est un stand qui ne ressemble à aucun autre – un pas de côté ? Bref, Christine Morault s’occupe avec attention de ces deux clientes enthousiastes que je lui ai amenées, malgré les sollicitations constantes dont elle fait l’objet.

    Enfin ce sont les adieux déchirants avec mes camarades d’outre-Pyrénées et je profite du temps qui me reste à observer attentivement les sept références du catalogue des Éditions du livre. J’ai le temps d’apercevoir Agnès Rosensthiel qui dédicace les heureuses rééditions de La Naissance, Les Filles et La Coiffure. À la distance où je me tiens j’entends plusieurs visiteuses se dire que je croyais qu’elle faisait, euh… comment, « Mimi Cracra » ? Alors, tu me connais, j’explique et je raconte à ce public improvisé.

    Il va être l’heure de partir, juste le temps de croiser Catherine Thouvenin et Jacques Vidal-Naquet, du Centre national de la littérature pour la jeunesse, et de parler donateurs et expositions et, zou, à la gare.

    C’était bien, je reviendrai.

(Orléans, décembre 2018)

 

Loïc Boyer est diplomé de l’UFR d’Arts plastiques de Paris 1/Sorbonne ; designer graphique à Orléans, il fut illustrateur à Paris, éditeur de fanzines à Rouen et coincé dans la neige à Vesoul ; il dirige une collection d’albums pour enfants aux éditions Didier Jeunesse dédiée à la publication de titres anciens méconnus en France ; il a fondé Cligne Cligne magazine, publication en ligne consacrée au dessin pour la jeunesse dans toutes ses formes ; articles récents : « Rétrographismes : les albums retraduits sont-ils formellement réactionnaires ? » paru dans La retraduction en littérature de jeunesse (Peter Lang, 2013) et « La New Typographie, cadeau de New-York aux enfants » paru dans le numéro 21 de la revue HorsCadre[s] (L’Atelier du Poisson soluble, 2017).

 

Cet article a pour origine le riche blog de Loïc Boyer que nous remercions vivement. Loïc, pas le blog.

(https://www.limprimante.com/Boyer)

 

 

Accompagner les jeunes lecteurs

 

 

 

 

 

Accompagner les jeunes lecteurs

par Mouloud Akkouche

      Le conseil général de Seine-Saint-Denis avait, début 2010, envisagé de réduire fortement la subvention qu’il alloue au Salon du livre et de la presse jeunesse. Ce rendez-vous annuel s’en était trouvé fortement menacé. Pas sa tenue même – les éditeurs le maintiendraient – mais toutes les actions menées en amont, en faveur de la lecture, tout le travail avec les centres de loisirs, les groupes scolaires, les associations caritatives du 93 et d’ailleurs. Face au tollé provoqué par cette inadmissible perspective, les aides du département ont pu être rétablies pour le salon 2010.

     Dans leurs discours, tous les politiques encouragent le combat contre l’illettrisme. Dans les faits, les élus de droite comme de gauche semblent vouloir lui couper les ailes : politiquement, le sujet est moins rentable que l’insécurité.

     Depuis la naissance de la manifestation, des centaines de milliers de jeunes (lecteurs, moins lecteurs, pas du tout lecteurs) ont pu bénéficier des actions du Centre de promotion du livre de jeunesse (CPLJ).

 Sensibiliser les jeunes lecteurs avant de les amener au salon

     Il s’agit d’aller à la rencontre d’élèves sur leurs lieux scolaire, afin de les sensibiliser et leur offrir le goût de la lecture ; puis de les amener sur le salon pour qu’ils aient un échange avec les auteurs et qu’ils profitent des animations et expositions. Pas une mince affaire. Souvent ce sont des gosses sans livres à la maison.

     Les enfants du président du conseil général de Seine-Saint-Denis et des autres personnes décisionnaires en matière de subventions ont, comme les miens, à domicile, tout ce qu’il faut en matière culturelle. Tant mieux pour eux. Mais beaucoup d’autres gosses sont nés sans bibliothèque.

     Certes, il y a les bibliothèques municipales, médiathèques, CDI de collèges et lycées. Il ne faut pas négliger leur réussite au quotidien : petites gouttes d’encre anonymes qui ne font jamais les unes des journaux. Mais, dans une société où le fric et l’image sont rois, ces structures, même les plus inventives et dynamiques, ont des difficultés à faire aimer le livre aux plus jeunes – surtout les plus démunis.

     Elle ne peuvent pas tout faire pour le livre. Enfants, auteurs, bibliothécaires, enseignants parents, sont donc très heureux que le centre leur apporte son professionnalisme et les accompagne. Le Salon du livre jeunesse dure quelques jours, les actions en faveur de la lecture du CPLJ tout le long de l’année scolaire.

 Des ateliers initiés par Rolande Causse, discrète militante du livre

     Ce rendez-vous international est né des ateliers d’écriture des centres de loisirs jeunesse de la ville de Montreuil. Des ateliers initiés par Rolande Causse. Une militante du livre – très discrète – dont le travail remarquable pour faire découvrir la littérature jeunesse est souvent oublié.

     Assise au début des années 80 sur la moquette d’un centre de loisirs, cette femme élégante lisait aux gosses des albums de qualité achetés par le service jeunesse de la ville de Montreuil. Elle fut l’une des créatrices d’une manifestation qui a aujourd’hui plus d’un quart de siècle.

     Offrir un large accès à la lecture reste une priorité. Surtout en ces périodes où les communautaristes et nostalgiques d’un ordre nouveau ne veulent imposer que leurs livres. Les autodafés virtuels sont très dangereux : il ne laissent pas de traces, pas de cendres. Mais un livre de plus ou de moins peut changer un citoyen.

     Plus les citoyens – surtout les plus jeunes – ont accès à un grand nombre de livres, moins les intégristes et les xénophobes les manipuleront. Ni les dealers de rêves carrossés par BMW ou griffés par Lacoste. Pas par hasard que les dictatures commencent toujours par brûler des livres.

      foule

Né à Montreuil (Seine-Saint-Denis) en août 1962, Mouloud Akkouche y passe une partie de sa vie et, adolescent, hante la bibliothèque. BEPC en poche, il sera, de 1981 à 1989, serveur, plongeur, animateur d’ateliers lecture-écriture, directeur adjoint de colonie de vacances, archiviste, pion, vendeur de voitures par téléphone. Il publie une première nouvelle en 1992 dans une revue québécoise et, peu après, Causse toujours ! dans la collection « Le Poulpe » de Jean-Bernard Pouy aux éditions Baleine. Deux romans en « Série Noire » avec, pour personnage central, l’inspecteur Nassima Benarous, jeune femme kabyle. Scénariste, dramaturge, auteur de pièces radiophoniques, écrivain du récit court, ne dédaignant pas le récit familial, Mouloud Akkouche écrit également pour la jeunesse (Une marque d’enfer, en 1999, dans la collection « Le Furet enquête » chez Albin Michel). Il vit désormais en région toulousaine. Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.