Au bon temps du Ministère

    L’attribution aujourd’hui du Grand Prix du livre pour la Jeunesse montre la volonté du Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de mener une politique active en matière de livres pour les jeunes.

    C’est pourquoi trois axes ont été privilégiés :

– encourager la réflexion autour du livre pour les jeunes

– promouvoir la lecture des jeunes

– stimuler la création

    Pour la réflexion et la promotion, le Ministère aide un certain nombre d’associations à mener un travail de recherche autour du livre pour les enfants et les jeunes.

    Ainsi à titre d’exemple, il soutient des associations qui font un travail d’analyse de la production de livres pour enfants, telle l’association « Loisirs Jeunes ». Il aide financièrement l’organisation de colloques traitant de ce problème.

    Le dernier en date, organisé au mois d’octobre à Saint-Etienne par le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse a montré tout le foisonnement d’idées qui existe dans ce secteur. Il a permis également de situer le climat de notre édition nationale. Ainsi, sur 360 éditeurs en exercice, 85 travaillent pour la jeunesse et publient plus de 5000 titres à raison de 80 millions d’exemplaires.

    Les principaux problèmes abordés, lors du Colloque : critères de sélection des manuscrits ou réédition de certains sujets tabous, ou au contraire provocations, auto-censure des auteurs désireux d’abord de se vendre, motivations d’achat et envie de lire, démocratie du choix et éducation du choix, écriture spécifique ou non – sont autant de questions posées par les animateurs et par les professionnels. Elles m’apparaissent bien être celles qu’il faut aborder et notamment les deux dernières.

    La question est en effet de savoir si la littérature générale n’est pas la seule littérature ? Bref, si elle n’est pas la seule littérature fabriquée par de vrais et grands écrivains, alors que la littérature pour jeunesse ne serait qu’une sous-littérature, un genre mineur à l’usage d’un public mineur. Ce qui est dit ici pour les auteurs, vaudrait aussi pour les éditeurs.

    Bien entendu, à ces questions je réponds non. L’écriture pour les adolescents n’est pas une écriture spécifique en ce sens où on la considère comme l’écriture du pauvre, comme l’écriture à l’usage des sous-lecteurs non encore formés, car bien souvent, on perçoit la littérature pour la jeunesse comme une littérature tout court, avec quelque chose en moins. En fait, il s’agit de tout autre chose. Elle est un autre genre, un autre parti, un autre mode d’expression avec ses chefs-d’œuvre et ses « navets », comme n’importe quel genre.

    Pour la démocratie du choix et l’éducation du choix, il me semble que l’essentiel pour que le livre prospère est qu’il soit partout, la bibliothèque ne doit pas être un lieu sacré d’enfermement. A la crèche, dans les locaux de PMI., dans la classe, dans les transports, à l’hôpital, l’enfant, le jeune doit côtoyer le livre.

    Ceci me permet d’aborder le deuxième axe de notre politique :

    La promotion de la lecture auprès des jeunes : lancé comme une sorte de bouteille à la mer, le livre est certes bon ou mauvais. Mais, il est toujours bon, s’il offre des qualités d’écriture, d’invention, de préparation et s’il s’adresse à l’adulte à travers l’enfant et à l’enfant à travers l’adulte, car il est le lien privilégié de tous les âges. Or les livres lus quand on est enfant ne s’oublient jamais. Qui sait même s’ils ne laissent pas en nous plus que les livres que nous avons lus plus tard ?

    C’est cette idée qui a initié la mise en place de l’opération La Forêt aux Histoires dont nous avons pu apprécier tout l’intérêt.

    Je voudrais tout spécialement remercier le président du Centre Georges Pompidou ainsi que le Directeur de la Bibliothèque Public d’Information de l’accueil qu’ils ont réservé à cette exposition. En accueillant l’exposition sur La Forêt aux Histoires, le Centre Georges Pompidou joue pleinement son rôle, c’est-à-dire être ouvert à toutes les formes d’expression, être un lieu de rencontre, un lieu de créations multiformes. Il démontre que les créations culturelles vont être de plus en plus au cœur de la vie de nos contemporains que tous, quel que soit l’âge, peuvent être actifs et créatifs lorsqu’ils disposent d’instruments d’expression adéquats.

    Cette exposition montre bien la créativité des enfants et tout le travail de formation qui a été mené durant cette opération. Il existe une forte demande de formation de la part des enseignants et des responsables qui ne trouvent que rarement dans leur formation professionnelle une réponse correspondant à leurs préoccupations dans ce domaine.

    Votre démarche d’apprivoisement du public par l’enfant est originale. Toute exposition qui a pour thème le livre ou la lecture rebute a priori les parents s’ils n’appartiennent pas un certain milieu intellectuel. Par ailleurs, souvent elle ne mobilise pas l’imagination enfantine.

    Or, La Forêt aux Histoires tient à la fois du cirque, de la parade, fait appel au fantastique des formes et des couleurs. Elle mobilise l’enfant qui entraîne ses parents. L’arbre sert d’annonce pour inciter à pénétrer dans le monde de la lecture. En outre, il s’agit là d’une mobilisation plus générale de la famille et du milieu environnant. Les adultes découvrent leurs enfants dans un autre contexte que le contexte familial ou scolaire. Il est important pour ceux-ci de voir avec quelle passion, quel intérêt, des enfants, même très jeunes, peuvent spontanément se précipiter sur les livres.

    Par ailleurs, La Forêt aux Histoires a fait participer à un même objectif, le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports, celui de la Culture, de l’Education Nationale, du Fonds d’Intervention Culturelle, le Centre National des Lettres. Compte-tenu de son intérêt, un nombre important d’organismes très divers y a participé. Je n’en citerai que quelque uns : associations familiales et de parents d’élèves, maisons pour tous, bibliothèques, écoles, écoles de beaux-arts, instituts médico-pédagogiques.

    Ainsi plus de 1000 enfants d’origines très diverses, ont participé à cette animation en lisant beaucoup de livres. Plus de 45 000 visiteurs ont pu découvrir 300 livres pour les enfants et les jeunes, à Cugnaux, près de Toulouse, à la Seyne-sur-Mer, à Brest, à Grand-Quevilly, à Besançon, et dans tout le département des Yvelines.

    L’exposition que nous avons visitée montre bien l’extraordinaire force créatrice qui a stimulé l’effort des enfants, des éducateurs, des bibliothécaires, pour aboutir à ces forêts toutes bruissantes d’idées, de formes, de couleurs, de matières.

    Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant est en fait un vaste sujet. Mais l’absence du livre dans cette vie, le livre délaissée rejeté, le livre objet d’indifférence ou de rancune, voilà qui soulève bien des problèmes. En fait, si le livre a une place si faible dans la vie quotidienne de l’adulte, c’est peut-être parce que trop d’enfants d’hier ne l’ont pas connu. A travers le livre, c’est toute la culture ou presque qui prend racine dans la vie. La Forêt aux Histoires constitue dans aucun doute, l’un des moyens pour mieux connaître le monde de la lecture.

    Mais, aujourd’hui, la communication et l’expression passent massivement par l’audiovisuel. Certes, quelques émissions sur les livres pour les jeunes existent déjà sur les différentes chaînes de télévision : Les pieds au mur sur TF1, Bouquin, Bouquine coproduit avec la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Education Permanente et Antenne 2, Des livres pour nous sur FR3, et, à la radio, Le livre, ouverture sur la vie (émission hebdomadaire de Monique Bermond et Roger Boquie sur France Culture). Mais, elles me semblent peu importantes par rapport à l’enjeu, c’est-à-dire le goût de la lecture chez les jeunes. Pourquoi, alors, ne pas imaginer que la télévision puisse faire un effort supplémentaire dans ce domaine et fasse connaître de nouveaux talents ?

    Promouvoir la création, découvrir de nouveaux talents, telles sont en fait les raisons pour lesquelles le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de 8 à 12 ans et intitulé Grand Prix du Livre pour la Jeunesse.

    Un des problèmes de l’édition française est certainement la relative rareté des auteurs et beaucoup de textes publiés en France pour les jeunes sont des traductions. On dira que les éditeurs privilégient dans leur programme les œuvres déjà recommandées par un succès international, que les maisons étrangères offrent peu de chance aux livres français d’être mieux connus dans le monde. Quoi qu’il en soit, beaucoup de progrès restent à faire, et le gouvernement a entrepris une action dans ce sens.

    Le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse prend part à cette politique en cherchant de nouveaux auteurs, notamment pour les 8-12 ans, créneau particulièrement difficile à cerner au niveau de la demande. La découverte de nouveaux auteurs devrait constituer un des facteurs pour augmenter la diffusion du livre pour les jeunes aussi bien en France qu’à l’étranger. En effet, la diffusion du livre français à l’étranger est une des priorités du gouvernement à la fois sous l’angle du commerce extérieur et sous l’angle du rayonnement culturel.

    Voilà en quelques mots les actions menées par le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports qui complètent celles d’autres Ministères et notamment celui de la Culture. Elles devraient permettre l’accès à un public élargi et préparer dès aujourd’hui les lecteurs de demain.

( texte paru dans le n° 19 – 15 mars 1983 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1945 à Nevers (Nièvre), Edwige Avice est diplômée en lettres, en sciences politiques et en commerce international. Elle est nommée, après la victoire de François Mitterrand, Ministre déléguée à la Jeunesse et aux Sports auprès du Ministre du Temps Libre, André Henry. Elle devient Ministre déléguée au Temps libre, à la Jeunesse et aux Sports dans le troisième gouvernement Mauroy. Femme politique qui a la plus grande longévité ministérielle. Edwige Avice est aujourd’hui encore une experte en défense au niveau européen. Nommée Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 1998, par le gouvernement de Lionel Jospin, elle est promue au grade d’officier par Nicolas Sarkozy (promotion de Pâques 2009), au titre du Ministère de la Santé et des Sports.

 

Créé en 1981 par le Ministère de la jeunesse et des sports et le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse (CRILJ), le Prix du Livre pour la Jeunesse de Ministère de la jeunesse et des sports, avait pour but de favoriser la création et la diffusion des livres de qualité pour les jeunes et de découvrir et promouvoir de nouveaux talents littéraires. Deux jurys, l’un composé d’adultes, l’autre de jeunes de 11 à 14 ans. Le prix récompensait deux romans ou contes inédits d’expression française, sur manuscrit anonyme. Il fut, en 1992, remplacé par le Prix du roman jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports,