Françoise Mateu (1947-2018)

 

Hommage à Françoise Mateu

par André Delobel

    Françoise Mateu est décédée le lundi 21 mai 2018. Elle avait 71 ans. D’abord enseignante puis assistante marketing, elle aura œuvré dans le secteur du livre pendant près de quarante ans. Libraire en librairie générale et en librairie jeunesse, elle rejoint Lise Bourquin Mercadé, en 1984, aux éditions Vif Argent, puis devient l’assistante de Suzanne Bukiet, en 1985, à la librairie internationale pour la jeunesse L’arbre à livres. Elle sera, en 1997, directrice éditoriale des éditions Syros Jeunesse et des éditions Seuil Jeunesse (où elle succéde à Jacques Binstok) de 2005 à 2011. Elle travailla également au Sorbier et chez Albin Michel.

    Lors du choix d’un texte, Françoise Mateu revendiquait à la fois exigence et subjectivité : « On doit, quand on lit un manuscrit, être touché en tant que lecteur adulte. Ensuite, beaucoup de choses entrent en compte. Est-ce la proposition d’un auteur-maison ? Et, dans ce cas, nous sommes plus indulgents. Le texte commence-t-il assez vite ? Y a-t-il une tension ? Une problématique ? Mais il n’y a pas que des questions de style et d’écriture. On doit en effet se demander, simplement, si le texte rentre dans notre catalogue. » Les auteurs qui ont travaillé avec elle (Cécile Roumiguière, Yaël Hassan, Nicole Maymat…) sont unanimes : Françoise Mateu savait prendre des risques, n’hésitant pas à publier un texte difficile parce qu’il lui plaisait et en dépit de l’incertitude commerciale. Sylvie Baussier raconte que c’est pour accueillir, chez Syros, le documentaire Petite histoire des langues que l’éditrice ajouta une nouvelle collection au catalogue.

    Peu à peu, les albums devinrent le domaine privilégié de l’éditrice. Parmi les témoignages que nous avons reçus, nous retenons (partiellement) celui de Thierry Dedieu qui eut le temps d’écrire à son amie quelques jours avant son décès : « Plus que la liste de nos publications, deux souvenirs extra-professionnels restent à jamais dans ma mémoire, le premier ce sont nos engueulades dans ton étroit bureau du Seuil, quand je « montais » à Paris. Après quelques minutes le ton « montait » lui aussi. Et les personnes dans les bureaux voisins ne se doutaient pas que ce n’était qu’un simulacre révélateur d’une grande complicité. […] Je te remercie pour ta bienveillance à mon égard et parce que personne ne m’a cerné autant que toi. » Gilles Bachelet qui croisa Françoise Mateu au Seuil parle de son enthousiasme, de sa générosité et de son étourderie légendaire. Benjamin Lacombe témoigne lui aussi : « Françoise Mateu était un de mes phares et ce phare s’est éteint. Elle était celle qui, au détour d’un salon du livre, était rentrée dans ma vie et m’avait donné ma chance pour mon premier livre jeunesse, Cerise Griotte. Nous nous étions rencontrés autour de livres et c’est de nombreux livres que nous ferions ensemble. […] Françoise était une vraie éditrice, de celles qui suivent un auteur, même pour des livres difficiles. De celles qui ne font pas de cadeau lorsque l’exigence baisse. De celles surtout qui savent réconforter, motiver et parfois aussi protéger son auteur. » Françoise venait de signer, avec Sébastien Perez, la préface de Curiosities, art-book de Benjamin Lacombe paru début mai chez Daniel Maghen.

   Impliquée, depuis la fin des années 1970, dans les activités du CRILJ, Françoise Mateu s’intéressa particulièrement aux questions de formation et il n’était pas rare de la rencontrer lors d’une journée professionnelle pour parler métier ou sur un salon du livre, assurant la médiation d’une rencontre ou d’un débat. Elle nous raconta plusieurs fois ses aventures de voyage dans le Transsibérien.

(paru dans le n° 301 (juin 2018) de La Revue des livres pour enfants consacré à Gilles Bachelet)

 

 

FLORILEGE

     « Avec la disparition de Françoise Mateu, la littérature de jeunesse perd une grande éditrice et une militante du livre. Très attentive à l’enfance, elle refusait le livre à la mode, celui qui se démode si vite. Résolument engagée, elle voulait des livres accessibles et sans sophistication, des livres authentiques, des livres compagnons, de ceux qu’on lit et relit. Ce fut son combat. Avec un vrai talent de communication, elle a découvert nombre d’auteurs et d’illustrateurs, très différents, avec lesquels elle a su établir des relations fortes. Je l’avais rencontré lors d’une de mes premières animations scolaires, il y a trente-quatre ans, dans « sa » librairie de Muret. Nous avons régulièrement travaillé ensemble et depuis sa retraite nous nous organisions des séances de travail joyeuses et libres sur mes projets d’albums. Sa fidélité, sa sincérité, ses qualités humaines rares, sa compétence, son immense courage et son histoire personnelle font d’elle une personne réellement irremplaçable. » (Claire Nadaud, auteure-illustratrice)

    « C’était une très grande dame de l’édition. J’ai adoré travailler avec Françoise Mateu chez Syros. C’est la seule et unique qui m’ait pris un manuscrit en me disant qu’il n’était absolument pas « commercial », mais qu’elle le publierait juste parce qu’elle aimait ce texte. » (Yaël Hassan, auteure)

    « Choc. Grande tristesse. Son sourire, sa bienveillante attention, son humour – parfois grinçant. Oui, j’ai aimé travailler avec elle au Seuil. Nous nous faisions mutuellement confiance. C’était un plaisir et puis on riait. Je n’arrive pas à y croire. » (Nicole Maymat, auteure, éditrice)

    « Oh mon dieu, quelle triste nouvelle ! Quel chagrin que le mien ! J’ai tant aimé travailler avec elle, tant aimé partager du temps avec elle. Quelle belle personne, quelle éditrice ! Comme je suis triste. » (Martine Delerm, auteure)

    « Chez différents éditeurs j’ai pu faire des livres très personnels, sur lesquels j’ai pu m’exprimer pleinement. Heureusement, j’ai cette chance-là. Ce qui est agréable, c’est le rapport humain. C’est quelque chose qui compte beaucoup. C’est quelque chose que j’ai eu au Seuil avec Françoise Mateu. Une fois qu’elle est partie, je n’arrivais plus à travailler au Seuil. Elle est venue avec moi et nous avons bossé ensemble chez Albin Michel. » (Benjamin Lacombe, auteur-illustrateur)

    « De vous, Françoise, je garde l’image d’un sourire amusé. La première fois que je vous ai vue, c’était à Montreuil, pendant une table ronde sur la littérature, la jeunesse et les livres. Littérature, jeunesse, livres : rois mots qui vous vont si bien. Vous représentiez l’édition dans ce qu’elle a de plus noble, vous me faisiez un peu peur, je ne me sentais pas à la hauteur. Des lunettes graphiques, colorées – rouges il me semble -, votre sourire amusé, votre assurance. Oui, une grande dame de l’édition. Sans me connaître, dans ce métier qui est aussi un commerce, vous avez accepté de publier une histoire complexe, difficile à vendre. Cela ne vous faisait pas peur. L’idée d’un beau livre à venir était essentielle à vos yeux, vous y mettiez tout votre savoir-faire. Vous voyez, Françoise, je vous vouvoie encore. Nous n’avons pas pris assez le temps de nous connaître. Tous les livres que vous avez mis au monde me parleront de vous. De chaleureuses pensées à vos proches, je sais à quel point ils comptaient pour vous. » (Cécile Roumiguière, auteure)

    « Mes rapports avec Françoise ont toujours été très chaleureux. Je sais qu’elle appréciait mon travail. Mais, mon éditeur étant Patrick Couratin, nos relations furent limités aux réunions de représentants ou de libraires. Je l’ai revue plusieurs fois après son départ du Seuil au Salon du livre pour la jeunesse de Rueil Malmaison où elle allait presque chaque année car elle habitait tout près. » (Gilles Bachelet, auteur-illustrateur)

    « Au Japon, nous nous retrouvons pour le petit déjeuner le premier matin de notre arrivée. Tu as le nez tout rouge d’un rhume attrapé à cause de la clim de l’avion, tu renifles. J’ai le front ouvert d’une plaie parce que je me suis emplafonné la porte vitrée de l’hôtel. Je coagule. Nous nous regardons. Constatons les dégâts. Éclatons de rire. La France était bien représentée. » (Thierry Dedieu, auteur-illustrateur)

    « C’était une grande éditrice, très créative et généreuse, qui faisait confiance. Elle savait faire naître un projet ou en faire évoluer un autre et elle a découvert nombre de talents. » (Caroline Drouault, éditrice)

    « Personnage haut en couleur comme en convictions, d’un milieu qui gomme parfois les aspérités, Françoise Mateu s’est retirée en 2011 sans jamais perdre de vue les créateurs qu’elle a accompagnés. Puisque l’aventure ne peut cesser quand le combat pour la lecture et la tolérance est d’actualité. » (Philippe-Jean Catinchi)

Qui sont vraiment les lecteurs jeunes adultes ?

 

 

Compte-rendu de la rencontre du 26 juin 2012 organisée à la bibliothèque Buffon par le Centre National du Llvre et Babelio avec le soutien de la Sofia

    Cette rencontre s’inscrit dans le cadre du cycle des huit séances sur Les pratiques des lecteur. Les prochains thèmes sont à définir et les propositions des éditeurs sont les bienvenues. Ce cycle, destiné aux éditeurs, vise à explorer les pratiques des lecteurs, en se fondant sur une enquête de lectorat menée par Babelio et sur un double éclairage professionnel et universitaire.

     Trois intervenants interrogent les lecteurs jeunes adultes dans leurs pratiques de lecture, leurs modes de prescriptions, leurs modes de consommation et d’information. Qu’attendent-ils des éditeurs et des médiateurs du livre ?

. La première intervenante, Sonia de Liste-le Guillou, directrice de l’association Lecture Jeunesse et directrice de la rédaction de la revue Lecture Jeune, tente de définir cette notion de jeunes adultes avant de s’intéresser à la production éditoriale qui leur est dédiée. Elle prévient que ce concept de jeunes adultes comporte plus de questions que de réponses.

     Elle aborde le sujet par une étude comparée des travaux menées par deux sociologues Olivier Galland et Cécile Van de Velde et en référence à plusieurs articles parus dans Lecture Jeune. Selon Cécile Van de Velde? la définition de l’âge adulte est en train de changer. La sociologue a effectué ses recherches comparatives sur les expériences contemporaines de l’entrée dans l’âge adulte en France, au Royaume-Uni, au Danemark et en Espagne. Pour chaque pays l’âge médian de passage à l’âge adulte est différent. Il est lié au système économique et sociologique. Si l’âge médian est en France de 23 ans, il est en Espagne de 28 ans, de 20 ans au Danemark et de 21 au Royaume Uni.

     Les jeunes Français connaissent, entre 18 et 30 ans, une période d’entre-deux dont la longueur est liée aux difficultés à trouver un emploi, des prêts, un logement… Devenir adulte est devenu extrêmement subjectif. Ce n’est plus uniquement accéder à l’indépendance. C’est aussi se construire, être responsable, réussir à trouver une place, être à l’aise avec son autonomie.

     Il résulte des travaux de la sociologue que devenir adulte est une perception de soi. On n’est plus dans des bases prédéfinies mais dans un processus.

     Olivier Galland, lui, constate l’affaiblissement des rites de passage, l’importance de l’école comme pratiquement unique lieu de socialisation et l’affaiblissement du rôle de la famille dans le rôle de transmission. Ces jeunes qui tardent à entrer dans l’âge adulte adhérent à une culture commune, hors de la culture scolaire, à une culture nouvelle, une culture de la communication grâce aux nouveaux média. C’est ce qu’il appelle « la culture des pairs ». Le sociologue parle de socialisation horizontale.

     S’il n’est pas facile de définir le passage entre les grands adolescents et les jeunes adultes, est-il plus facile de définir la littérature « Young adult » ?

     Il ne s’agit pas d’un genre. On y trouve des séries et des cycles, des classiques, de la littérature populaire, des rééditions de publication de littérature générale de type littérature populaire, et une littérature éphémère avec ses univers transmédiatiques :jeux de rôle, film et une présence des éditeurs sur le net.

     Ce serait davantage une littérature passerelle où la médiation joue un rôle clé. En effet, ce ne sont ni les éditeurs ni les enseignants ni les bibliothécaires ni les libraires qui influencent ce lectorat. L’essentiel de la prescription se fait par les pairs avec les réseaux sociaux, les sites, les forums.

. Guillaume Teisseire, cofondateur du réseau social du livre Babelio publie et analyse les résultats d’une étude qualitative et quantitative sur ces lecteurs jeunes adultes, administrés à près de 800 lecteurs par internet.

    Ce questionnaire consistait en 30 questions fermées et 6 ouvertes. Sur une base sollicitée des 29000 membres de Babelio, 800 réponses ont été reçues émanaint à 80,5% de femmes et 19,5% d’hommes. 24% des réponses provenaient des lecteurs de 18/25 ans, 38% des lecteurs de 25/30 ans.

     25% des lecteurs ayant répondu lisent un livre par semaine. Tous achètent beaucoup en ligne même si le premier lieu d’achat est la librairie. Leur accès est multicanal : librairie, bibliothèque, internet. Le segment jeune adulte est connu par les 2/3 des lecteurs Babelio qui l’associent avant tout àla SFet à la fantasy. Le lecteur « jeune adulte » est jeune, femme et bibliophage.

     Les deux titres passerelles les plus citées sont Harry Potter et Twilight. Les sondés associent cette littérature aux auteurs anglo-saxons. Peu citent des auteurs. Pas d’achat sur la notoriété et donc pas de fidélité aux auteurs, ni aux collections ni même aux maisons d’édition.

     Si Internet est la première source de découverte, la librairie reste juste derrière. Toutefois la prescription passe beaucoup de lecteur à lecteur par les critiques sur Babelio, les blogs, les forums.

     Libraires et bibliothécaires ne savent pas où placer cette littérature car le thème, le résumé et la couverture passent avant le nom de l’auteur. La maison d’édition et la collection arrivent en dernier critère.

. La dernière intervenante est Barbara Bessat-Lelarge, directrice éditoriale de Castelmore. Elle apportera son expertise professionnelle sur les évolutions du marché du livre jeunes adultes, en tant que conceptrice de collection pour lecteurs adolescents.

    L’éditrice présente Castelmore, le label de la littérature « Young adult » des éditions Bragelonne, label fondé en octobre  2010 et qui compte aujourd’hui 49 titres publiés. La meilleure vente est Vampire Academy, blockbuster vendu à 80 000 exemplaires.

     Barbara Bessat-Lelarge souligne l’importance de l’objet livre lui-même pour ce lectorat très attentif à la couverture qui fait partie du champ des critiques sur le net. L‘objet est important pour les bons lecteurs comme pour les faibles lecteurs ce qui pose problème pour l’édition numérique.

     Le grand format et le prix, comparables à ceux des livres des romans de la littérature pour adulte, valorisent ce type de romans. Plus pris au  sérieux qu’une édition en poche.

    La ligne éditoriale de Castelmore est rattachée à celle de Bragelonne par l’imaginaire avec deux critères pour les sujets abordés : parodie et paranormal.

     Les héros sont des créatures qui vivent dans un monde normal mais avec des super pouvoirs. On y trouve aussi des mythes remis au goût du jour.

     L’éditrice identifie trois catégories d’acheteurs :

–  les 12/18 ans

–  les mères qui lisent avec leurs filles,

–  les jeunes adultes qui cherchent une lecture plaisir

     Forte de son expérience, elle donne ensuite quelques repères qui, selon elle, caractérisent les romans Young Adult :

–  La voix narrative doit être entendue avant la dixième page.

–  La présentation, en début de roman, ne dépasse pas trois pages.

–  On trouve souvent dans ces romans le thème de l’apprentissage.

–  Les personnages doivent évoluer hors considération morale.

–  Son changement et sa réflexion se font par la confrontation au monde extérieur.

–  Les livres sont écrit pour fonctionner en lecture plaisir.

–  Les thèmes se succèdent de collection en collection.

–  Chaque nouvelle vague de parution assimile la précédente et l’enrichit.

–  Avant tout cette littérature ne fonctionne qu’avec une très forte communication.

–  La communication se fait par les réseaux sociaux et les sites dédiés à chaque livre.

–  Les plus efficaces des media sont les blogs des lecteurs et les éditeurs prévoient des interlocuteurs qui s’y consacrent à plein temps.

–  Il faut prévoir des spécimens pour les blogueurs.

–  Une personne se consacre également à plein temps aux librairies.

     En librairie les livres Young Adult sont souvent rangés avec mangas, les BD et la fantasy adulte. Certains titres trouvent une double implantation, au rayon jeunesse et au rayon adulte et sortent simultanément avec deux couvertures différentes. En bibliothèque ces livres sont parfois mêlés à d’autres supports (vidéos, jeux) pour un meilleur repérage dans une offre très large.

Françoise Mateu a traversé pendant plus de vingt ans plusieurs métiers du livre : libraire en librairie générale, libraire en librairie spécialisée jeunesse, fondatrice, avec Suzanne Bukiet, de la librairie L’arbre à livre largement ouverte aux cultures du monde, directrice éditoriale aux éditions Syros jeunesse puis au Seuil Jeunesse et aux éditions du Sorbier. Impliquée depuis fort longtemps, et généreusement, dans les activités du CRILJ, elle s’intéresse particulièrement aux questions de formation et il n’est pas rare de la rencontrer lors d’une journée professionnelle pour parler édition ou sur un salon du livre, assurant la médiation d’une rencontre ou d’un débat.