Le milieu paysan en littérature de jeunesse

par Bernard Pédeboscq

    On a tendance à abandonner le terme de paysan – l’homme d’un pays – au profit du métier d’agriculteur. Perçu parfois péjorativement et associé à la pauvreté agraire, la balourdise, l’inculture, la routine… il fonde toutefois une époque, un pays, une région, une zone géographique et culturelle. Pourtant, une partie des cultivateurs revendique aujourd’hui cette appellation pour l’opposer à l’agriculture productiviste, pour maintenir les racines et les traditions. Etre paysan ce n’est pas un métier. C’est plutôt une façon de vivre, un ancrage et le gardien de valeurs.

    Cette mutation radicale se traduit en littérature de jeunesse à la fois par des ouvrages et des documents du passé puis de nouvelles approches vers le bio, l’écologie, le jardinage ou les évolutions de la cuisine. Il faut rappeler en effet que le travail de la terre et de ses occupants, la glorification de la nature et de la campagne ont inspiré La Fontaine, Balzac, George Sand, Maupassant, Zola… puis dans les années 1960 l’école de Brive avec ses romans du terroir. Parmi les classiques, on peut citer les succès de Jacquou le Croquant (Eugène Le Roy, 1899), La vie d’un simple (Emile Guillaumin, 1904), Le cheval d’Orgueil (Pierre-Jakez Hélias, 1975), Jean Chalosse moutonnier des Landes (Roger Boussinot, 1976) mais aussi, les deux films cultes (en album et DVD) de Georges Rouquier illustrant à quarante ans de distance les évolutions de sa famille dans une ferme d’un village occitan, Farrebique (1945) et Biquefarre (1983). Nourrissant ainsi avec la fin du petit paysan, un imaginaire et des mythes d’une civilisation disparue, opposant le traditionnel et le moderne, l’autosuffisance et la société de consommation, le rural et l’urbain.

    Une civilisation rurale, lieu de production de denrées alimentaires, perdure toutefois et intègre d’autres professions, d’autres activités (tourisme vert), d’autres personnes venant de la ville dans le cadre de la rurbanisation… L’enfant est sensible à la nature. Dans ces domaines, on trouve peu de chose dans la littérature de jeunesse. Bien sûr, les travaux de la ferme, l’omniprésence de l’animal, abondent dans les ouvrages documentaires, surtout pour les plus jeunes. Mais presque rien sur les problèmes, les difficultés, les modes de vie actuels. L’animal sert souvent de support à des fables symboliques. On pense aux albums qui jouent sur la double lecture (enfant-adulte) comme La grève des moutons ou La petite oie qui ne voulait pas marcher au pas, de Jean-François Dumont dans lesquels se lisent les luttes syndicales ou bien Un mouton au pays des cochons d’Alice Brière-Haquet deux mondes qui ne s’aiment pas et qui suggèrent l’opposition entre émigrés et « français de souche. »

  Plus récents sont les ouvrages sur la préservation des territoires et de l’environnement, sur les aspects écologiques liés à la campagne, sur les approches nouvelles de la découverte de la nature. Le roman Tistou les pouces verts de Maurice Druon ou l’album Le jardin voyageur de Peter Brown où l’enfant-héros égaye la ville en entretenant des plantes et des fleurs en sont deux bons exemples. A noter encore avec l’organisation collective de la protection de la nature les romans de Christian Grenier comme Ecoland. Plus concrètement les incitations à jardiner, à cuisiner soi-même comme les diverses approches du bien manger, du consommer durable enrichissent le thème. Mais y-a-t-il encore des paysans ? Les expositions photographiques, les livres de Raymond Depardon – La Terre des paysans – saisissent les derniers moments, l’essentiel de cette culture et permettent d’ « observer les traces de la présence de l’homme qui par son intervention au fur et à mesure de l’histoire a modifié le territoire. »

farrebique

Fondateur en 1999 de la section régionale Pau-Béarn du CRILJ dont il est toujours président, Bernard Pédeboscq aura beaucoup fait pour le livre de jeunesse : comme enseignant avec ses élèves, comme critique avec Raoul Dubois et pour Bateau Livre et Oiseau Livre, comme formateur avec l’inspecteur général Luc et avec les Francas, pour le Prix Jean Macé organisé par la Ligue de l’enseignement. Conférencier et débatteur infatigable, longtemps adjoint à la marie du Pau, Bernard Pédebossq créa, en 1983, le Salon Pau fête le livre.

Frissons d’amour et d’amitié à tous les âges

par Bernard Pédeboscq

     A quoi servent les livres pour enfants ? La littérature de jeunesse permet de se confronter aux valeurs importantes de la vie, d’être sensibilisé aux problèmes de société, de s’éveiller aux sentiments les plus nobles… Au-delà du divertissement il s’agit d’éduquer la sensibilité, d’aider une personnalité à se construire. Dans les mythologies inventées par les hommes, dans les récits homériques avec les héros de la guerre de Troie, l’expression, la description, les possibles dérives de ces deux sentiments sont exploités allant parfois jusqu’au paroxysme de la passion. De tous temps ces thèmes alimentent la littérature générale (Tristan et Yseult, Roméo et Juliette, le théâtre classique, le romantisme, Cyrano de Bergerac), donnant des inflexions diverses, explorant des méandres nouveaux. On les retrouve aussi dans les chants traditionnels, les contes où l’amour a souvent une issue heureuse, les comptines, les rondes enfantines. C’est parce que ce sont des thèmes fondamentaux de la vie qu’ils intéressent aussi bien les adultes que les adolescents ou les enfants en formation. Rien d’étonnant donc à ce que les albums, les romans, les poèmes, les BD, les images qui abordent le thème de l’amitié et de l’amour soient aussi nombreux dans la littérature de jeunesse.

     Loin de nous ces romans à l’eau de rose, ces produits de quai de gare qui exploitent les incrédules et figent dans des stéréotypes et des histoires banales, complaisantes et mièvres ces sentiments qui méritent mieux. Non, il s’agit avec délicatesse de montrer l’attachement amical, le coup de foudre, la rencontre, le sentiment amoureux, l’évolution complexe et ambivalente de l’inclinaison, en incluant bien sûr la fin de l’amitié ou de l’amour, la rupture, l’amour non partagé ou contrarié… sachant qu’il n’y a pas qu’une réponse aux grandes questions de la vie comme il n’y a pas qu’une seule façon de penser. A chacun de chercher, de se construire, d’inventer sa réponse en explorant l’amitié, les relations complexes, l’amour des amoureux, la passion rencontrés au cours de ses lectures.

     Car, qu’est ce que l’amitié ? Qu’est-ce qu’aimer ? Quelle différence y a-t-il entre un ami et un copain ? Cent réponses à ces questions sont possibles. Le rapprochement amical n’est jamais sans difficultés à partir d’une rencontre avec les différences liées à la culture, la religion, la couleur de peau ou le statut social. Des auteurs transposent habilement ces relations entre l’enfant et l’animal comme dans Crin blanc ou L’œil du loup. C’est une histoire qui se construit dans l’épreuve en vivant des choses fortes. Les ouvrages que nous préconisons ne se contentent pas de raconter une simple histoire d’amour en vase clos. En abordant d’autres thèmes, ils sont le prétexte à apprendre aux enfants et adolescents les valeurs importantes de la vie, comme la tolérance, l’entraide, le respect, l’écoute, la vie à deux… Ils ouvrent la porte à leurs émotions. C’est bon que les amis, les amies, les amoureux, les amoureuses trouvent leur place dans la littérature de jeunesse. Elle donne les clés d’accès à la maturité, à l’âge adulte. Pour les ados, une identification convaincante voit enfin leur tourment intérieur reconnu et pris en compte. A côté d’amours déjà expérimentés, en famille, entre copains, il est bon de découvrir au-delà des mystères nouveaux. Et comme le dit le Renard au Petit Prince de Saint-Exupéry.

     « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux »

Fondateur en 1999 de la section régionale Pau-Béarn du CRILJ dont il est toujours président, Bernard Pédeboscq aura beaucoup fait pour le livre de jeunesse : comme enseignant avec ses élèves, comme critique avec Raoul Dubois et pour Bateau Livre et Oiseau Livre, comme formateur avec l’inspecteur général Luc et avec les Francas, pour le Prix Jean Macé organisé par la Ligue de l’enseignement. Conférencier et débatteur infatigable, longtemps adjoint à la marie du Pau, Bernard Pédebossq créa, en 1983, le Salon Pau fête le livre. Merci à lui pour nous avoir confié ce texte écrit à l’occasion de la treizième édition de Frissons à  Bordères des 20 et 21 octobre 2012.

 

 

Le voyage est dans les livres

par Christiane Abbadie-Clerc et Bernard Pédebosq

    La lecture portée par la magie des images est toujours une invitation au voyage, d’autant plus séduisante que les écrivains et illustrateurs se révèlent, avec leurs passions, leurs talents, leurs convictions, proches de l’univers d’enfance. Tout livre entraîne un dé-pays-ement au sens propre. Voyage dans l’espace, dans le temps, dans l’imaginaire, voyage plus intimiste, ou à l’intérieur de soi-même. Voyage au centre de la terre ou Voyage de Gulliver ou bien Voyage au pays des Merveilles ou « de l’autre côté du miroir » avec Alice. Chaque fois, dans chaque album, dans chaque livre, il s’agit d’un chemin nouveau accompagné par l’auteur d’abord, par des personnages et des images ensuite, par tout un environnement riche de valeurs. En complicité les auteurs croisent la plume et le pinceau pour camper les décors et donner naissance à des « héros » qui captent l’attention de leurs jeunes lecteurs, parce qu’ils leur ressemblent comme frères et sœurs.

    Henri Wallon et Marc Soriano insistaient sur les secrets de ce « double ton » de l’enfant et de l’homme, propre à favoriser les ressorts d’identification à l’histoire, aux personnages. Les auteurs, pères ou mères de famille entourés d’enfants ont souvent une expérience passionnante dans le domaine de l’éducation, de la librairie, des bibliothèques, du journalisme, de la radio, du cinéma, du spectacle ou des beaux arts. Ils mettent en jeux l’art de la communication, l’humour, la tendresse mais aussi indirectement leur histoire personnelle, dans ce petit théâtre d’apprentissage social qu’est le livre de jeunesse. Ils ouvrent en grand les fenêtres sur la vie et sur le monde, sur un vent frais de liberté et d’invention de sorte que l’enfant devient ainsi son propre démiurge. Il déménage alors de l’intérieur, et se réapproprie les valeurs de la tolérance, de la diversité culturelle, l’histoire des révoltes, intègre les balises et les repères pour trouver sa place dans un monde élargi où la solidarité et les valeurs d’échange peuvent être des moyen de survie.

    Dans le Livre du voyage, Bernard Werber propose : « Imaginez un livre qui vous entraîne vers le plus beau, le plus simple et le plus étonnant des voyages. Un voyage dans votre vie. Un voyage dans vos rêves. Un voyage hors du temps. »

(octobre 2011)

 

Ce texte, publié sous la double signature de Christiane Abbadie-Clerc et Bernard Pédeboscq, administrateurs du CRILJ/Pau-Béarn, est l’introduction à la sélection de livres proposée aux visiteurs de la douzième édition de « Frissons à Bordères » dont le thème était L’invitation aux voyages. Document disponible à cette adresse.