Carla Poesio (1926-2017)

Carla Poesio, fondatrice de la Foire du livre de jeunesse de Bologne en 1964, est décédée le lundi 29 mai 2017 à l’âge de 91 ans. Pionnière dans le domaine de l’analyse et de la promotion de la littérature pour la jeunesse, chercheuse, enseignante, critique (notamment pour Liber, Schedario, Andersen), elle fut, dans son pays et dans le monde, une spécialiste appréciée. Jurée pour le prix Hans Christian Andersen en 1970 quand fut salué le travail de Gianni Rodari, elle était une infatigable défricheuse. On retrouvera l’un de ses derniers textes parus en français dans le catalogue que le musée de l’illustration jeunesse de Moulins (mij) consacra à Letizia Galli. Voir aussi ici – en italien. L’association culturelle bolognaise Hamelin déclare dans un communiqué : « Carla Poesio était pour nous tous un phare, une voix, une présence authentique, en toutes occasions. Elle ne manqua jamais une foire, une conférence, en Italie aussi bien qu’en Europe. » Le CRILJ avait, plusieurs fois, rencontré Carla Poesio, grâce à Janine Despinette, il y a quelques dizaines d’années et, plus récemment, à Moulins. Elle nous avait confié, en 2001, pour notre bulletin, l’article L’image de l’adulte dans la littérature contemporaine italienne.

Photo : Christiane Abbadie-Clerc

TEMOIGNAGES

« Triste nouvelle. C’était une grande dame. »   (Nicole Maymat)

« Engagée, passionnée, portant un regard pointu sur la production, Carla Poesio laisse le souvenir d’une figure intellectuelle exigeante et ouverte à toutes les formes de créations. »   (Claude Combet)

« Sur les 54 éditions de la Fiera de Bologne qu’elle a fondée, Carla Poesio n’en aura manqué que deux, celle de 2016, en raison d’une hospitalisation, et de 2017 après la perte douloureuse de son fils unique. Sinon, elle y fut toujours présente et tout ce qui compte dans l’édition mondiale pour la jeunesse venait faire antichambre devant son bureau du département de la presse pour avoir le plaisir de la saluer. C’est Carla qui m’a introduite à Bologne. Dès mon arrivée, le matin, je me précipitais dans son antre. Elle m’accueillait avec affection et me dressait la liste des livres, événements, éditeurs à ne pas rater, décrochant avec autorité son téléphone pour me ménager des rendez-vous sur les stands. Elle a toujours lu mes publications et catalogues avec bienveillance et acuité, curieuse de tout ce qui se faisait partout dans le monde. Parfaitement francophone, elle était assidue aux Salons du livre de Paris et de Montreuil et logeait alors chez son amie Letizia Galli qui ne manquait pas d’organiser, pour elle, de joyeuses soirées où se côtoyaient les Italiens vivant ou passant à Paris et ses amis français, illustrateurs, éditeurs, critiques. J’ai eu la joie de participer, à ses côtés, à des colloques et débats. Cette universitaire de haute volée commençait souvent, non sans coquetterie, son intervention par une malicieuse captatio benevolentiae, et ses analyses alliaient charme, pertinence, érudition et humour. Elle avait la plume alerte, et, à coup sûr, ce que Ronald Searle appelait The Biting eye. Notre dernière rencontre eut lieu le 7 avril à Florence, au Musée des Innocents, où nous participions au colloque adjoint à l’exposition Storie di Bambini de Letizia Galli dont elle aimait beaucoup le travail. Une apparition lumineuse. Un merveilleux endroit pour se dire adieu. »   (Janine Kotwica)

« J’avais de la tendresse pour Carla. A Bologne ou à Montreuil, on lui trouvait toujours une chaise (objet rare et convoité dans un salon du livre) et elle prenait le temps de lire et de relire nos nouveautés. J’imagine qu’elle est partie avec ce qu’il faut de livres. Ciao, Carla. »   (Christian Bruel)

« Carla, maintenant que tu n’es plus là, ces quelques mots pourront te ramener à nous. Tu ne disparaitras pas, toi qui fut pour moi une mère, une sœur, une amie prête à m’écouter, vive flamme d’intelligence et d’humour. Pour tous les autres, tu es l’objet d’une grande admiration et de beaucoup d »estime. Je sais que tu m’as attendu pour m’accompagner au vernissage florentin de l’exposition Storie di Bambini et au colloque du 7 avril dernier, Oltre la frontiera, auquel tu as participé. Je suis fort heureuse de t’annoncer que ta belle intervention fera l’objet d’une publication dans les  cahiers du colloque. Je poursuivrai mon chemin seule, mais tu es toujours là, cachée derrière le miroir de ton affection discrète et nous chuchotons de jolis mots ensemble. »   (Letizia Galli)

 

 

 

Bertrand Solet (1933-2017)

 

 

Au revoir Bertrand Solet

par André Delobel

    Bertrand Solet vient de décéder. Il venait chaque année nous saluer à Montreuil et, cette année, il n’était pas venu. De son vrai nom Bertrand Soletchnik, il était né en 1933, à Paris, dans une famille d’émigrés russes. Durant  la Seconde Guerre mondiale, en zone libre avec ses parents, il attrapa – quel mot ! – une maladie que l’on connaissait mal et que l’on soignait difficilement à l’époque, la poliomyélite. C’est durant cette période de maladie qu’il attrapa aussi le virus de la lecture.

    Après la guerre, orphelin, élevé et soigné par une tante, il prépare l’IDHEC. L’arrivée massive du cinéma américain qui faillit couler le cinéma français l’incite à changer d’orientation. Il suit les cours du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Un temps journalisme, il entre dans une entreprise de commerce international et devient responsable du service de documentation économique, travail qui le fait beaucoup voyager.

    Il écrit pour la jeunesse, à compter des années 1970, des romans le plus souvent historiques (Il était un capitaine, Robert Laffont, 1971, Prix Jean Macé, Les révoltés de la Saint-Domingue, 1980, En Égypte avec Bonaparte, 1988, Compagnons de Mandrin, 1990) ou traitant de sujets liés à l’actualité ou peu souvent traités comme le racisme, l’immigration, la vie des Tsiganes (La flûte tsigane, Flammarion, 1982). Il écrit également des recueils de contes (Contes traditionnels d’Auvergne, Milan, 1994, Contes traditionnels de Russie, Milan, 2002). Ouvrage récent : Le Chambon-sur-Lignon : le silence de la montagne (Oskar jeunesse, 2016).

   Ecrivain « pédagogue », auteur de plus de 120 ouvrages à l’écriture efficace, Bertrand Solet aura fait connaitre aux jeunes lecteurs des pans entiers de l’Histoire et, assez souvent, d’une Histoire pas enseignée à l’école. Il les aura aussi, offrant de solides fictions, fait réfléchir à quelques unes des questions qui empoisonnent le monde.

    Membre de la Société des Gens de Lettres, de la Maison des Écrivains et fidèle de la Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse qu’il a contribué à mettre sur pied, la première réunion de réflexion s’étant tenu, en 1976, à son initiative et à celle de la conseillère municipale à la culture, à la bibliothèque de Montreuil.

    Il avait en 2003, publié au Sorbier un bel essai : Le roman historique : invention ou vérité ?

    En 2005, un numéro de la revue Griffon lui est consacré.

    « Bertrand Solet désigne quelque injustice à combattre, une nouvelle cause à défendre, des chaînes d’esclaves qu’il faut aller briser. Sa fameuse canne balaie l’horizon : là bas, il y a une terre où les hommes vivent libres et égaux. » (Marcelino Truong).

 André Delobel est secrétaire de la section de l’Orléanais du CRILJ depuis plus de trente-cinq ans et secrétaire général au plan national depuis 2009 ; co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains (Hachette, 1995), au comité de rédaction de la revue Griffon jusqu’à ce que la publication disparaisse fin 2013, il assura, pendant quatorze ans, la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans le quotidien La République du Centre ; articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson (2014) et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public (2014) ; contribution au catalogue Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse, 1965-2015 (CRILJ, 2015).

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Il fait froid

par Rolande Causse

   Ce froid mois de février 2017, Bertrand Solet nous a quitté.

   Non. Pour ceux qui l’ont connu demeure sa voix chaleureuse et grave. Ses mots coulaient comme une rivière serpentant à travers un paysage lumineux.

   Bertrand Solet est associé aux commencements de la littérature de jeunesse et à la Charte où il vint assez rapidement.

   Suffocant d’enfances de tous pays, il représente une vie d’observations, de recherches, d’imagination, de compréhension et d’émotions.

   L’ont accompagnées des montagnes de mots et de métaphores dans ses livres éblouis de soleils lointains, d’oiseaux des mers, de songes, et de poésie.

   Historien et géographe, derrière ses mots, il y avait l’accent des voyages, un regard révolté mais bienveillant, une douceur profonde et une générosité qu’il semait à tous les vents.

.    Ami des jeunes, il leur parlait de rebellions, de résistances, des conflits du monde et du triomphe des plus humbles.

   En ethnologue, il savait prendre son temps, tout en ayant une créativité  extrême.

   N’a-t-il pas écrit cent-vingt livres ?

   Pour les siens, pour la mémoire de Bertrand, pour toutes les générations, il faudrait rassembler ses meilleurs romans et créer un Bouquin ou un Quarto (comme les collections du même nom chez Laffont et Gallimard) où figureraient ses titres les plus forts : Les révoltés de Saint Domingue, Il était un capitaine

   Ainsi il demeurerait parmi nous.

   Mais je ne peux oublier  Monique, son épouse, à qui j’adresse mes pensées les plus affectueuses.

Rolande Causse, écrivaine et formatrice, auteur de poèmes, d’albums, de romans, de livrets d’opéra ; fondatrice en 1975 de La Scribure, association qui se consacre à la pratique des ateliers de lecture-écriture et à la promotion de la littérature pour la jeunesse ; c’est Rolande Causse qui, en 1984, organisa le (premier) Festival Livres Enfants-Jeunes de Montreuil ; parmi ses ouvrages pour les enfants et les jeunes : Mère absente fille tourmente (Gallimard, 1983), Rouge Braise (Gallimard, 1985), Les enfants d’Izieu (Le Seuil, 1989), Le Petit Marcel Proust (Gallimard, 2005), 20 ans pour devenir… Martin Luther King et 20 ans pour devenir… Nelson Mandela (Oskar, 2016) ; pour les médiateurs : La Scribure (Buchet-Chastel, 1983), Le guide des meilleurs livres pour enfants (Calmann-Lévy, 1986), Qui a lu petit, lira grand (Plon, 2000), Qui lit petit lit toute sa vie (Albin Michel, 2005).

Kline (1921-2013)

 par André Delobel

Le dessinateur de bandes dessinées Kline est décédé le jeudi 16 mai 2013 à l’âge de 91 ans. Il avait débuté pendant la guerre dans OK puis travaillé pour Coq Hardi et pour Fillette. En 1960, il avait repris, pour Vaillant, « Davy Crockett » que dessinait Eduardo Coelho sur des scénarios de Jean Ollivier. En 1969, c’est la création de Pif Gadget et, toujours avec Jean Ollivier, de la série « Loup Noir », consacrée aux aventures d’un indien sans attaches. « Mon héros préféré est peut-être Loup-Noir… Certains épisodes mythiques (je pense notamment au Bracelet de cuir) dépassent ainsi le cadre de la stricte aventure pour baigner dans un climat purement poétique et moral. Loup-Noir représente un dépassement ultime, un dépassement vers le haut, une assomption de la bande dessinée d’aventure. » (Michel Houellebecq dans L’Idiot International en mars 1992). Réédition de la série en cours aux éditions Taupinambour. Le Bracelet de cuir est dans le tome 5.

    Né dans les Côtes-du-Nord, Kline envisage de devenir architecte et suit la formation des Beaux-Arts de Rouen. Puis, très rapidement, il s’oriente vers l’atelier de peinture et réalise deux expositions de ses travaux.

    Sous l’occupation allemande, il rejoint Paris : « N’étant pas en règle, j’ai pensé que dans une grande ville, je passerai plus facilement inaperçu ». Il y commence sa carrière professionnelle de dessinateur.

    De 1945 à 1947, il publie divers courts récits de sept à huit planches et une série à suivre, à raison de deux planches par semaine pour un total de 139 planches, « Kaza le Martien » dans l’hebdomadaire OK. Grâce à ce journal, il rencontre d’autres dessinateurs et notamment Albert Uderzo.

    De 1948 à 1956, ils travaillent, à la fois, pour les publications Marijac (Coq Hardi, Mireille et Pierrot) et le magazine Fillette de la Société parisienne d’édition (SPE). Durant cette période, il côtoie de nombreux dessinateurs : Dut, Marin, Pierre Le Guen, Noël Gloesner, Calvo et Christian Mathelot. Sa collaboration avec les publications Marijac cesse en 1957 tandis qu’il continue à travailler à la SPE jusqu’en 1961.

    En 1960, sa carrière connaît un tournant lorsqu’il entre aux éditions Vaillant et reprend le personnage de Davy Crockett sur des scénarios de Jean Ollivier. Jusqu’en 1969, il dessine, généralement en douze planches, un peu moins de soixante histoires parues dans Vaillant puis dans Vaillant le journal de Pif. Deux albums cartonnés sont édités.

    En 1969, avec le passage à la formule « Pif Gadget », Kline et Jean Ollivier lancent un nouveau personnage : Loup Noir. De 1969 à 1980, plus de 160 récits de sept à douze planches sont publiées pour seulement deux albums cartonnés.

    Aux éditions Vaillant, il sympathise avec de nombreux auteurs : Marcello, Cézard, Lucien Nortier, Yannick, Cance, Forton, Tabary, Mas, Coelho, Moatti…

    De 1981 à 1995, il dessine plusieurs courts récits au thème historique puis abandonne définitivement la bande dessinée en 1995

(Wikipédia)

Du rôle des médiateurs

par Jean Fabre

Jean Fabre, fondateur de L’école des loisirs, est décédé le jeudi 9 janvier 2014, à l’âge de 93 ans. Il avait, en 1965, remis au CRILJ ce bel hommage aux médiateurs du livre pour la jeunesse.

     Tout livre de jeunesse n’atteint son destinataire qu’au terme d’une longue chaîne de médiation d’adultes.

     En principe, ces médiateurs – éditeurs, critiques, libraires, bibliothécaires, animateurs, enseignants, parents – sont implicitement d’accord sur un point essentiel : la lecture doit évoluer progressivement avec leur concours et selon l’âge des jeunes lecteurs, de la forme assistée de la première enfance jusqu’à l’autonomie de l’adolescence accomplie.

     Mais, tous les médiateurs ne sont pas d’accord – et c’est normal – sur l’âge du constat concret de cette autonomie individualisée parce que chacun d’eux croit pouvoir en décider et souvent extrapoler d’après les réactions de tel enfant qu’il connait bien et dont la maturité s’épanouit à son heure. L’important est donc de s’employer à promouvoir cette autonomie et de mettre en commun, si possible de façon concertée, chacun à sa place et selon sa fonction, les moyens d’y parvenir.

     Deux dangers risquent de nuire à l’efficacité de toute médiation, deux propositions extrêmes : par défaut et par excès.

     Abstraction faite de l’indifférence absolue, de l’abandon pur et simple du jeune lecteur à ses lectures, certains adultes invoquent le manque de temps qui justifie à leur yeux une intervention hâtive, improvisée dans le choix des livres susceptibles d’intéresser le jeune lecteur. A la vérité, il ne s’agit pas d’apprécier à proprement parler le niveau de lecture qui convient : d’autres médiateurs en amont ont veillé à cet aspect technique dans leur pré-sélection. Il s’agit de tenter d’ajuster au mieux le choix des livres aux goûts, aux besoins, aux aspirations, aux attentes, aux possibilités – selon l’humeur du moment – de tel jeune lecteur que les autres médiateurs ne connaissent pas en particulier.  Pour ce faire, la méthode d’approche est à la portée de tous : lire les livres à proposer à tel enfant, les lire vraiment, ne pas se contenter de les feuilleter, et se montrer attentif aux réactions du jeune, dans une attitude d’écoute et de confiance partagée. De façon empirique, discrètement mais dans la continuité, on assurera alors l’éveil de la lecture et l’on sera gratifié de surcroit d’étonnantes retombées.

     Par contre, si l’on néglige ce préalable au stade de l’ultime choix, comment prétendre tenir pour responsable de sa propre carence les médiateurs en amont dont le rôle est précisément de préparer ce choix ultime ?

     Un second danger, tout aussi insidieux, se joue dans une sollicitude maternante. Nous ne voyons souvent grandir nos enfants qu’à la taille de leurs vêtements. Et la tentation nous guette de maintenir dans un statut d’infans le jeune dont les aspirations légitimes à l’autonomie surprennent et inquiètent parfois. Ses lectures ont précisément pour effet – voire pour fonction – de nous remettre en question indirectement. Aurions-nous peur qu’il nous échappe, ce lecteur que nous avons trop longtemps couvé ? De ce point de vue, reconnaissons aux médiateurs professionnels plus d’objectivité à priori : ils ont leur mot à dire parce qu’ils jugent des besoins selon l’âge plus sereinement que les parents, très impliqués dans un quotidien limité et routinier.

     Ces deux dangers ne devraient-ils pas susciter un climat d’estime, de confiance et de collaboration et de plus fréquentes rencontres entre les médiateurs plutôt que de les opposer par des contestations de compétences et de prérogatives.

     L’analyse qui suit a pour objet de préciser le rôle de l’éditeur dans cette médiation et les limites de cette responsabilité partagée avec les autres adultes.

     L’éditeur intervient comme premier lecteur et comme premier médiateur.

     Premier lecteur, il dispose des projets soumis par les auteurs, non pour en juger objectivement, mais pour apprécier subjectivement si ces projets peuvent s’insérer dans un fond d’édition qu’il connait bien et qui présente, dans sa diversité, une certaine cohérence – comme il sera précisé plus loin.

     Premier médiateur, il a fonction d’assurer au mieux l’information des médiateurs en aval pour orienter leur lecture d’investigation et faciliter la pré-sélection de titres susceptibles de convenir et plaire au jeune public.

     Sous ces deux aspects, le rôle médiatique de l’éditeur est donc de préparer l’élucidation des choix ultérieurs, y compris celui des jeunes lecteurs, au terme de cette médiation :

 – L’éditeur prend en considération dans son analyse de chaque manuscrit reçu, les référents implicites en fonction des compétences et de l’expérience supposées acquises par les lecteurs concernés, en prenant en compte aussi, précisément, leurs différences.

 – Il assure la présentation intérieure et extérieure des œuvres composées de manière à rendre la communication aussi efficace que possible; La première et la dernière page de couverture sont utilisés pour suggérer fidèlement le contenu à l’intention des jeunes lecteurs en quête d’informations incitatives.

 – Il élabore un catalogue qui regroupe en collections des titres de niveau de lecture relativement homogène. Celles-ci peuvent être constituées par genre ou réunir des titres de genre et de style différents d’un même niveau.

 – Conscient de ses responsabilités de formateur et d’informateur, l’éditeur se porte garant, en quelque sorte, de la composition de son catalogue. Il sait qu’on l’identifiera à l’image du fond qu’il a réuni et classé.

 – La plupart des éditeurs complètent ces informations de base dans des catalogues analytique plus précis. Quelques une publient des catalogues thématiques qui favorisent les recherches, les rapprochements et l’intuition des affinités.

 – Un service de presse soumet aux critique spécialisés, les nouveautés pour une analyse et une appréciation utiles aux autres médiateurs.

 – Un envoi d’office est adressé aux libraires intéressés afin qu’ils puissent lire eux-mêmes ou se faire lire pour avis les ouvrages qu’ils seront amener à sélectionner, à présenter dans leurs vitrines et rayons, et éventuellement à conseiller.

 – Par le truchement de représentants ou délégués régionaux, l’éditeur assure en outre la présentation des nouveautés auprès des libraires, des bibliothécaires et des enseignants et recueille le plus d’informations possible sur les titres qui ont retenu l’attention des jeunes lecteurs afin de mesurer les écarts entre sa première lecture de professionnel et la pluralité des lectures des destinataires eux-mêmes.

     Par toutes ces initiatives qui l’engagent, l’éditeur se pose en responsable. Mais ces responsabilités ne dispensent pas pour autant les autres médiateurs en aval d’assumer ce rôle en contact plus direct et plus personnalisé avec chaque jeune lecteur. Sinon, ces médiateurs ne seraient plus que de simples intermédiaires sans responsabilité.

     En d’autres termes, la chaîne de médiateurs permet d’affiner progressivement, d’amont en aval, des pré-sélections en connaissance de cause, et sur mesure en quelque sorte, à partir d’un « gabarit » proposé par l’éditeur et qui appelle retouches.

     Dans ce cadre d’intervention, les éditeurs se différencient les uns des autres par des options fondamentales qui génèrent la diversité, la complémentarité et la richesse de la production littéraire de jeunesse.

     Ces options impliquent une liberté de choix de droit et de fait. C’est cette liberté de choix et le pluralisme d’options simultanées assumées par un grand nombres d’éditeurs autonomes qui garantit, en extension et en qualité, les meilleures conditions d’appropriation du livre par les jeunes lecteurs et sauvegarde leur liberté de choix.

     Chaque éditeur de livres de jeunesse prend position plus ou moins explicitement, mais de façon fondamentale, sur la finalité de la lecture non didactique : cette lecture peut-elle avoir quelque efficacité sur le jeune lecteur ? N’est-elle qu’un passe-temps, une évasion sans portée ? Peut-elle donner du plaisir ou du bien-être ? A-t-elle vocation culturelle ?

     En terme de communication, tel livre peut-il susciter des résonances intimes, des retombées durables ? Comment se situe-t-il par rapport à la réalité familière ? A l’évolution du monde contemporain ? A la problématique des jeunes générations ?

     Peut-il engendrer une réflexion par alternance de projections et de distanciations ? Telle simulation du réel risque-t-elle, perçue au premier degré, de paraître déconcertante, de s’imposer comme « trop vraie », inéluctable pour des lecteurs fragiles ? Doit-on pour autant renoncer à mettre des lecteurs plus mûrs du même âge en présence de situations conflictuelles, qu’ils sont capables, eux, de regarder en face et de s’essayer à résoudre à leur manière, par personnages interposés pour leur épanouissement même ,

     Actuellement, en France et par le monde, des éditeurs pensent que le livre peut donner à de jeunes lecteurs qui ont soif d’authenticité, l’occasion d’élargir le champs d’expérience de leur vie quotidienne, à la faveur de fictions qui les confrontent à des situations partiellement familières et partiellement insolites de nature à les interpeller. Ils considèrent que ceux-ci auront à s’impliquer dans une société à laquelle ne les prépare pas la littérature dite classique car la culture n’est pas seulement transmission d’héritage, elle s’édifie et évolue dans un environnement qui remet en cause au jour le jour ce que souvent l’on croyait définitivement acquis.

     Il importe donc de multiplier les simulations de vie potentielles comme autant de « cas de figure » ou d’expériences à l’essai, à risque limité.

     Ces éditeurs peuvent-ils compter sur les médiateurs en aval de la publication de livres pour préparer progressivement ces mises en situation de découverte de soi-même et des autres et sollicitent la réflexion des jeunes lecteurs ? N’est-ce pas la meilleure façon d’envisager leur éveil à l’autonomie par un échange confiant avec leur entourage ?

     A chacun sa réponse.

 (  Les Cahiers du CRILJ numéro 1 – novembre 2009 )

 Né le 29 janvier 1920 à Paris, Jean Fabre suit hypokhâgne et khâgne. Il épouse la fille de Raymond Fabry, fondateur des Editions de l’Ecole, maison spécialisée dans la réalisation de manuels scolaires. L »éditeur l’associe immédiatement à la bonne marche de l’entreprise. Proche de militants de la pédagogie Freinet, conscient des limites du manuel traditionnel d’apprentissage de la lecture, Jean Fabre, fonde au sein de la maison mère, en 1965, avec Jean Delas et Arthur Hubschmid, un département jeunesse, L’école des loisirs, éditant en quelques années Tomi Ungerer, Maurice Sendak, Arnold Lobel, Leo Lionni, Sonia Delaunay, Binette Schroeder et Iela Mari. Le succès vient, en 1970, lorsque la maison accueille les « Barbapapa » d’Annette Tison et Talus Taylor. Création, quelques années plus tard, des collections « Mouche », « Neuf » et « Médium » destinées aux lecteurs plus âgés. En 1974. Jean Fabre ouvre Chantelivre, première librairie spécialisée jeunesse. En 2014, le catalogue de L’école des loisirs compte plus de 5700 titres.