Raoul Dubois

par Bernard Epin

Les chemins croisés du militantisme

     Raoul Dubois, homme d’écrit et de parole. Mais, pour moi, d’abord, homme de parole. Parole donnée à des engagements jamais démentis, par-delà les chocs de l’histoire. Parole distribuée à tous les âges d’interlocuteurs, pour défendre pied à pied des convictions, des certitudes, pour partager savoir et expérience avec des enfants, des jeunes, paroles d’ironie coupante quand se pointaient élitisme plus ou moins déguisé, obscurantisme jamais mort, mépris distingué pour l’enfance et le populaire. Tout cela incarné dans une voix au timbre si singulier, si tonique, dont le souvenir suffira à faire ressurgir tant et tant de facettes d’un homme que seule la maladie pouvait entraver dans sa volonté de se collecter, par le dire et par le faire, avec les espoirs et les tragédies qui ont marqué le XXe siècle.

    La minutie avec laquelle il évoque son enfance et ses premiers rapports au monde social dans son beau livre Au soleil de 36, publié par La Farandole en 1986, fournit bien des clés pour appréhender ce qui fonde l’unité cohérente de l’homme engagé avec la même intensité dans l’action politique, le syndicalisme, la solidarité, l’éducation progressiste, la passion de l’hisroire, la lecture…

    Ayant eu la chance de croiser plusieurs de ces cheminements simultanés, je mesure encore plus aujourd’hui à quel point il serait erroné d’en isoler tel ou tel. Même si, ici, au CRILJ, c’est bien sûr aux dizaines d’années consacrées aux livres et à la presse des jeunes que l’attention se porte en priorité. Travail mené en commun de manière continue avec la chère Jacqueline qui a fait de leur double signature une référence durable.

    A travers les multiples initiatives et débats menés en commun – sans oublier la confiance chaleureuse qu’il m’accorda, lorsque je dus, au pied-levé, assurer la suite du travail critique de Natha Caputo dans L’Ecole et la Nation – je voudrais insister sur le fait que, pour moi, Raoul est à la fois et sans hiérarchisation des genres, celui qui sut aider et encourager tant de jeunes auteurs (Faut-il citer Christian Grenier, Bertrand Solet, Yves Pinguilly, Pef…) et le bagarreur du progrès et de la laïcité, de la justice sociale, le jardinier des idéaux de 1793 et de la Commune, le vendeur de L’Huma au matin d’un dimanche… Bref un militant que la confrontation constante avec le réel sur le terrain a conduit plus d’une fois à chahuter les dogmatismes, ici et là.

    Pas de passions sans excès. Les siens, inséparables d’une générosité à pleins bords, contribuèrent à l’authenticité des souvenirs qu’il nous laisse.

( texte paru dans le n° 82 – février 2005 – du bulletin du CRILJ )

 

Né à Paris en 1936, Bernard Epin fut instituteur puis directeur d’école de 1955 à 1991, à Paris et à Saint Ouen, ville dont il sera élu municipal de 1965 à 2001. Il fit ses débuts de critique de livres pour la jeunesse en 1968 dans L’École et la Nation en remplacement de Natha Caputo, décédée : « Je lis désormais des livres pour les enfants, quelque huit cents titres chaque année. » Auteur d’ouvrages documentaires (Histoires d’école en 1981 à La Farandole, Le grand livre du jeune citoyen en 1998 chez Rue du Monde) et de plusieurs études sur les livres pour l’enfance et jeunesse dont l’anthologie Découvrir la littérature d’aujourd’hui pour les jeunes parue chez Seghers en 1976. Participation à divers ouvrages collectifs dont plusieurs guides édités par le Cercle de la librairie.

Gisèle Teil

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    Nous apprenons avec tristesse le décès de Gisàle Tiel qui, pendant trente-cinq ans, s’est dévoué à la littérature de jeunesse. La bibliothèque Loisirs Jeunes, crée en 1960 et dont elle fut parmi les fondateurs et resta la principale animatrice jusqu’en 1995, offrait un choix devenu de plus en plus important de livres pour enfants et adolescents. Un large public d’enfants, de parents et d’enseignants du Mans et de nombreuses écoles du département de la Sarthe est venu puiser dans ce fonds unique de plus de 25000 ouvrages qu’elle avait su constituer avec patience. Son action contre l’illettrisme la mena à soutenir la création de l’association Lire et Vivre, des 24 heures du livre du Mans et bien d’autres actions bénévoles, qui lui valurent de recevoir la médaille de la Jeunesse et des Sports et le grade de chevalier des Palmes académiques.

( texte paru dans le n° 79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Jean-Louis Besson

    Auteurs et illustrateurs, nous avons perdu l’un des nôtres, Jean-Louis Besson, mon cadet de trois ans.

     Jean-Louis Besson, un grand de l’illustration… Tu avais commencé ta carrière dans la publicité, chez Publicis, ce que, comme disait Savignac, portait à aller à l’essentiel dans l’image. Tu étais, Jean-Louis, le meilleur des amis, à l’écoute des copains. Portant très haut ton idéal, « faire au mieux ce que tu avais à faire », fouillant comme personne les documentations pour réaliser projets et commandes. Tu étais une référence pour tes collègues qui, souvent, faisait appel à tes connaissances. Respectueux de la vérité dans tes dessins tout en cultivant l’humour.

     Comme nous tous, toujours coincé dans les délais de livraison, travaillant sans arrêt pour ce métier aimé mais pas très rémunérateur, toi, Jean-Louis, qui savait que l’ouvre-boite avait été inventé quarante années avant la boite – cette anecdote de ses recherches racontée par ton copain américain a fait rire l’assistance si nombreuse qui accompagnait « ta boite » au cimetière.

     Merci Jean-Louis, pour l’exemple que tu nous laisses dans tes nombreux livres, ta vie, si chaleureuse, ta gaieté, ta tendresse.

     Soyons digne de toi.

 ( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

Né à Paris en juillet 1932, Jean-Louis Besson suit, pendant trois ans, des cours à l’École des métiers d’Arts de Paris puis travaille dans plusieurs agences agences de publicité. Il réalise des dessins animés. A partir des années 1970, il se consacre à sa passion : écrire et illustrer ses propres histoires. Il a longtemps travaillé chez Bayard-Presse, pour les magazines Astrapi, Okapi et J’aime Lire (Les jumeaux du Roi, Nicole Schneegans, 1982). Illustrateur de nombreux ouvrages pour la collection « Découverte Cadet », chez Gallimard Jeunesse, il y publie également des bandes dessinées. Parmi ses titres pour les enfants : Le nez (Nicolas Gogol, Calligram, 1993), Hadji (Jacqueline Duhême, Gallimard, 1996), Paris Rutabaga, souvenirs d’enfance, 1939-1945 (Bayard Jeunesse, 1995), Donné, c’est donné (Patricia Holl, Nathan, 2002), la série des « Calamity » (Nathan, à partir de 1996). Jean-Louis Besson est décédé le 1er mai 2003.

  jean-louis besson

Réaliser un livre comme Le livre des costumes (Gallimard Jeunesse, 1996) suppose d’abord de réunir une bonne documentation, des reproductions de tableaux pour l’essentiel, les costumes conservés dans les musées étant plutôt rares et peu représentatifs de toutes les classes de la société. Il m’a semblé amusant d’imiter les peintres comme Pisan, Rogier Van der Weyden ou Carpaccio, en veillant à ne pas faire les nez trop gros, surtout aux dames. J’utilise un rotring 015, du papier Schoeller Parole et des encres Martin’s ou Luma. Je fais mes dessins un cinquième plus grands. (Jean-Louis Besson)

Nadèjda Garrel

 par Raymond Rener

     Quand je t’ai connue, en 1978, tu portais le prénom de Nadine et, par la suite, je le répétais. Tu me reprenais en me disant avec tes yeux malicieux, mais d’un ton impératif : « Je m’appelle Nadèjda. »

     Nadèjda, amie proche et lontaine …

 Lointaine

     En 1976, sortait ton best seller chez Gallimard Jeunesse, en Folio Junior, Au pays du grand condor, qui, chaque année, est encore vendu à 10 000 exemplaires, avec la couverture de Jean-Michel Nicollet et les illustrations intérieures de Bernard Héron.     Puis vinrent Les princes de l’exil, toujours en Folio Junior, illustré par Georges Lemoine.

     Tu as beaucoup écrit et bien écrit.

     Un de mes plus beaux souvenirs avec toi, cette rencontre avec les jeunes de la bibliothèque de Dijon à propos du Pays du grand condor. Eblouissant ! Je me souviens de la décoration et de la mise en scène théâtrale d’une séquence de ton livre joué par les jeunes acteurs.

     Et puis, avec tes livres, nous avons parcouru les salons, les manifestations, les débats, les signatures … Et ton chapeau cloche suivait.

     Nous n’avons jamais cessé de nous rencontrer et puis j’ai quitté Paris.

 Proche

     Thierry, ton mari, me dit m’avoir beaucoup cherché. Et pourtant, nous étions si proches, toi à Varengeville et moi à Rouen, dans le même département. Il n’a pu me prevenir qu’une semaine après l’acte final.

     Je me souviens de ton sourire, de ton visage si beau et si expressif, de tes exigences aussi, et toujours, je cédais. Tu disais de moi que j’étais le (petit) Prince de Gallimard Jeunesse. Pierre Marchand en était-il le roi ?

     Nadèdja, merci pour tout le bonheur que tu nous a apporté, par tes livres – et par toi.

( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

nadèjda garrel

Alors qu’elle est une amoureuse de la nature, Nadèjda Garrel est née (en 1939), a vécu et a écrit à Paris. Elle a fait de la danse, du théâtre et a publié très tôt deux romans. C’est avec Au pays du grand condor (1977) et Les Princes de l’exil (1984) qu’elle a eu accès à sa propre écriture en abolissant toute frontière entre le réel et l’imaginaire. Elle a découvert Varengeville à l’adolescence et avait juré de le faire découvrir à l’homme qu’elle aimerait. Cette liberté se retrouve dans tous ses romans, contes ou nouvelles qui s’adressent indifféremment aux jeunes et aux adultes, car la perfection dans son travail était sa seule préoccupation. Elle s’est éteinte dans la paix, dans sa petite maison du chemin de Pascaline à Varengeville et elle est enterré au cimetière marin. « Il y a des lectures qui sont comme des délivrances, parce qu’elles touchent au plus profond de nous-mêmes à ce qui est caché en nous et qui nous échappait. Elles font naître de nous une part restée invisible et qui nous est nécessaire pour élargir ce que nous sommes, vers d’autres bonheurs. Il y a des livres qui nous font changer de classe d’âge et les livres de Nadèjda Garrel furent pour moi de ceux-là. » (Yves Pinguilly)