La presse et la littérature pour la jeunesse : une expérience en vraie grandeur dans le Loiret

 

 

    Depuis le 5 octobre 1983, en avant-dernière page du supplément hebdomadaire Loisirs 7 de La République du Centre, parait une rubrique lire à belles dents entièrement consacrées aux livres pour enfants et à la littérature pour la jeunesse.

    A côté du titre, un dessin signé Nathalie Guéroux représente un enfant rigolard dévorant un livre avec couteau et fourchette. Le ton est donné : il s’agit d’essayer de transmettre aux lecteurs du journal (enfants et adultes) le plaisir gourmand que l’on a eu à découvrir – seul ou à plusieurs – un album, un roman, une bande dessinée, un documentaire.

    Sous le titre et le dessin, deux articles (plus rarement un seul) occupent la plus grande partie de la page. Chaque texte présente un livre, la forme étant laissée à l’appréciation des rédacteurs : compte rendu de lecture, réflexions contradictoires, transcription de discussion, interview, lettre à l’auteur, etc. Il est simplement demandé de ne pas être trop long et de toujours avoir à l’esprit que les lecteurs du journal n’auront, le plus souvent, pas de connaissances préalables des livres dont il est question. Les textes sont signés (il doit être possible d’écrire aux rédacteurs) et les références des livres sont données le plus précisément possible.

    Le bas de chaque page, un tiers environ, est consacré aux informations concernant les initiatives en faveur de la lecture et du livre pour la jeunesse. Ces « brèves » rendent compte prioritairement de l’actualité du Loiret, mais signale également, quand l’intérêt le justifie, les manifestations hors-département. S’il reste de la place, une ou deux présentations de nouveautés complètent la page.

    Cette animation « littérature pour la jeunesse » associée à la parution d’une rubrique régulière dans un quotidien régional est actuellement unique dans la presse française. Elle est, selon moi, résultante d’une triple circonstance : à un bout, le désir de Dominique Lemort, institutrice, à qui revient l’idée première ; à l’autre bout, l’accord quasi-immédiat de La République du Centre ; entre les deux, l’accueil unanimement favorable des personnes et organismes sollicités.

    Le dernier point est important : il était, bien évidemment, exclus qu’un tel projet puisse reposer sur le seul enthousiasme de quelques individus et ce n’est qu’en associant un grand nombre de partenaires – bibliothécaires, animateurs, enseignants, libraires, parents d’élèves, association – que l’entreprise prenait son sens et devenait possible.

    Les premières démarches furent certes le fait d’un groupe restreint. Entre début juin et fin septembre 83, seules cinq personnes (Robert Arnoux, Bruno Chevalier, André Delobel, Nathalie Guéroux, Dominique Lemort) travaillèrent au projet : mise au clair d’une sorte de « déclaration d’intentions », prise de contact avec le journal, diffusion de la déclaration et convocation d’une « assemblée générale » des personnes intéressées, rencontres avec le responsable de « Loisirs 7 » aboutissant à une page éditoriale et à une pré-maquette de la rubrique (titre, dessin, organisation de la page).

    Le 27 septembre, près de cent personnes participèrent à la réunion de mise au point définitive du projet. Dans le journal du lendemain, paraissait un article qui précisait : « les personnes ayant assisté mardi soir à la réunion de l’Ecole Normale savent que le succès de l’entreprise dépend de la participation du plus grand nombre : des articles ont été promis, ils sont également attendus ».

    Depuis, un « groupe de coordination » à effectif variable assure la liaison entre les personnes participantes et le journal. Son rôle n’est pas d’écrire mais simplement de veiller au bon cheminement des articles et à la parution régulière de la rubrique.

    En conclusion – pour être complet et aider à mieux estimer quels sont, aujourd’hui, les points forts et les points faibles d’une telle entreprise – je livre trois remarques en forme d’interrogation :

1) de fait, l’adresse centralisatrice est celle de la Coopérative du Livre, par ailleurs librairie-relais du CRILJ. C’est également la « coop » qui, le cas échéant, offre les livres. L’aide apportée est déterminante, mais est-il possible de concilier sans ambiguïté soutien au projet et promotion du magasin ?

2) de fait, le groupe de coordination est souvent réduit à deux personnes : Robert Arnoux (rayon jeunesse de la « coop ») qui gère le haut de la page et André Delobel (secrétaire du CRILJ orléanais) qui gère le bas. La situation a ses avantages et la réunion de « mise en page » du jeudi soir est rondement menée, mais n’y a-t-il pas aussi risque d’usure ou de crispation ?

3) de fait, la rubrique lire à belles dents est une page gratuite pour La République du Centre. S’il s’agissait de sport ou de spectacle, les collaborateurs occasionnels seraient rémunérés à la pige. La littérature pour la jeunesse a, sans conteste, été admise par La République du Centre, mais peut-on dire qu’elle y est reconnue ?

    Sans attendre réponses à ces questions, lire à belles dents parait chaque semaine. Nous savons que la page est lue. La République du Centre a promis une durée de vie de deux à trois ans avec, si le magazine augmente sa pagination, passage à deux pages et introduction de la couleur : dans le Loiret, nous lisons, nous écrivant, nous rêvons.

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Maître-formateur retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de La République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.