La littérature au Musée d’Orsay

    Le Musée d’Orsay, du 22 avril au 27 mai 1989, dans le cadre des conférences-débats du samedi, s’est intéressé à L’enfant, un sujet nouveau au XIXème siècle. Deux conférences ont étudié directement les livres pour enfants.

    La conférence du 29 avril a eu pour thème Les livres pour enfants : compte des libraires, 1912-1908. Par Monsieur Guy Rosa. Après 1930, apparait la littérature de  jeunesse. Par une analyse détaillée des tables du Journal de la librairie, plus tard Bibliographie de la France, on remarque que les livres de littérature de jeunesse sont classés dans le chapitre « Education », dans la grande rubrique « Sciences et Art ». Vers 1948, apparaissent différents chapitres : « Lectures morales », « Contes Merveilleux pour le 1ier âge », « Lectures morales et littéraires pour le 2ième âge ». Les éditeurs sont souvent provinciaux et catholiques. Vers 1858, cinq sections sont réservées aux livres d’éducation, d’amusement et d’enseignement. Avec l’accélération de la scolarisation, la littérature de jeunesse devient indépendante de l’école.

    La deuxième conférence a eu pour thème La littérature enfantine dans la seconde moitié du XIXième siècle : quels écrivains pour quel public. Ce fut un débat très fructueux et dense, entre quatre intervenants : Jean Hébrard, Francis Marcoin, Laura Noesser et un coordinateur Jean Delabroy.

    Avant 1950, on note le « braconnage » à travers la littérature des adultes, la grande influence de la littérature de l’édition religieuse provinciale et dans les milieux populaires, de la presse enfantine et des images d’Epinal. Mais, de plus en plus, la « tisane » littéraire va faire place à une littérature qui va socialiser l’enfant. L’enfant bourgeois va acquérir un statut vers 1850. La littérature de fiction va éduquer et divertir. Deux grandes maisons vont prendre la première place : Hachette, avec un secteur scolaire et la Comtesse de Ségur, et Hetzel, avec le Magain d’Education et Jules Verne. Le rôle de la Troisième République sera de former l’enfant-citoyen avec la mise en place d’une littérature nationale pour la jeunesse. Le livre unique de lecture sera un recueil de  morceaux choisis ou un roman scolaire comme Le tour de France par deux enfants.

     Pendant le débat, Laura Noesser va faire le point sur les livres qui paraissent et citer quelques noms d’auteurs, depuis Louis Desnoyer jusqu’à Zénaïde Fleuriot. La discussion avec la salle abordera la question de l’écrivain d’aujourd’hui « à part entière pour la jeunesse », question déjà posée au XIXième siècle avec Jules Verne.

( texte paru dans le n° 36 – 2/1989 – du bulletin du CRILJ )

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Et c’est ainsi que cela commença. En 1946, madame Brunschwig, inspectrice d’académie de Paris, envoie Raymonde Dalimier en stage à L’Heure joyeuse, puis la nomme au lycée La Fontaine sur un poste de surveillant d’externat pour s’occuper d’une des toutes premières bibliothèques d’élèves, lieux pilotes où les lycéens sont associés à l’organisation, espaces qualifiés par madame Brunschwig elle-même de « vrais miracles d’ingéniosité et de persévérance, exemples vivants d’un autre pouvoir ». Raymonde Dalimier fut très longtemps au conseil d’administration du CRILJ.

Lire la science

 

 

  

 

     Il était question de livres pour enfants, ce troisième week-end de janvier, au Centre Georges Pompidou, de livres scientifiques. C’est en effet les 17 et 18 janvier 1981 que s’est tenu le colloque organisé par le CRILJ sur le thème Où se situe en 1981 la demande des enfants en matière de livres scientifiques ?

      Cette demande, les enfants eux-mêmes l’ont formulée. Plus de cent-cinquante personnes – chercheurs, éditeurs, libraires, auteurs, critiques, bibliothécaires – ont, pendant deux jours, abordé la question du livre scientifique. Et, le samedi, quarante enfants, venus de toute la France, ont pris part au débat, à égalité avec les adultes.

      Je n’ai sans doute pas été la seule à remarquer la pertinence et le sérieux de leurs réflexions. Beaucoup de spontanéité, de bon sens, chez ces enfants d’aujourd’hui, attentifs et éveillés.

      La science fait partie de leur vie. Ils expliquent devant la salle médusée comment, pour aborder l’histoire, il faut savoir utiliser les autres sciences. Et, en filigrane, dans les interventions de ces jeunes, la revendication d’être considérés comme des lecteurs à part entière, avec tout le respect qui leur ait dû de la part des auteurs, éditeurs et adultes auprès desquels ils formulent leurs demandes.

      Les chercheurs scientifiques consentent-ils assez à écrire pour les enfants ? A mettre à leur portée, en termes simples, des recherches souvent longues et complexes ?

      Les auteurs ont expliqué comment leurs projets sont parfois trahis par les contraintes de l’édition : pagination, nature et place des illustrations, format, etc.

      Les éditeurs, quant à eux, se retranchent derrière les contingences économiques et le refus que manifestent les adultes de donner aux enfants des livres de sciences dont ils ne maîtrisent pas eux-mêmes le contenu, refus de devoir mettre ainsi en évidence leur « savoir en négatif ».

      N’est-ce pas aller trop vite en besogne et escamoter la responsabilité des éditeurs dans les co-éditions, « rewriting » et autres traductions qui rendent médiocres ou, plus grave, érronés beaucoup de livres pour enfants ?

      De plus, traiter le problème de ce type de livres en fonction du nombre d’exemplaires vendus par domaine – histoire, animaux, sciences exactes – et non de la demande réelle fausse, d’entrée de jeu, le débat. Surtout quand on sait combien il y a d’embûches sur le chemin qui mène l’enfant au livre.

      De fait, les médiateurs, eux, se trouvent placés en position difficile. Perents, enseignants, bilbiothécaires, libraires évoquent l’insuffisance des crédits, du personnel, le manque de formation, le manque de temps, l’éloignement par rapport aux grands centres. Ils regrettent aussi la carence grave des médias français dans la promotion du livre pour les jeunes. Ils constatent, chez les enfants, une mutation de l’accès au savoir, livresque encore mais de plus en plus en prise directe avec l’objet, le vécu au travers de la télévison ou du musée.

      Si leur demande reste en grande partie scolaire, elle tient aussi à leur curiosité naturelle, à leur ouverture sur le monde comtemporain. Et là, force est de constater que, pour diverses raisons socio-économiques, l’accès au savoir restait encore difficile pour beaucoup d’entre eux.

      Madame Gratiot-Alphandéry concluait d’ailleurs la rencontre sur la réalité alarmante de la « sous-alimentation intellectuelle » des jeunes dans notre société.

      Poser en terme de sous-alimentation le problème du non-accès à la culture – au sens large – séduit. Cela souligne combien aujourd’hui, dans un foisonnement d’idées, d »informations, de techniques, faire de nos enfants des hommes au sens plein du terme, c’est leur donner à tous dès le plus jeune âge le sens critique et les moyens de connaître et de s’approprier le monde. Cette réflexionstimule les esprits et le chemin à parcourir reste grand.

      Temps de la réflexion, de l’échange, ce colloque aura permis à des gens d’horizon et de formation divers de se rencontrer et de confronter leurs points de vue.

      Signalons un léger handicap créé dans ce débat : sciences humaines, sciences exactes, techniques étaient abordées ensemble, dans le même temps, et chacun s’est accordé à penser que des discussions séparées seraient nécessaires pour plus de clarté. Cela constituera un projet pour l’avenir.

      Livres scientifiques pour enfants ? Des ébauches de réponses ont été données. La parole est maitenant à tous les passionnés de scinces et de livre. Et pas seulement de livres pour enfants …

( article  paru dans le n° 14 – 15 février 1981 – du bulletin du CRILJ )

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Après des études de Lettres, le CAFB et l’Ecole du Louvre, Maryvonne Zanaglia devient professeur-documentaliste, d’abord en collège puis en lycée, dans la région parisienne. Elle participe très tôt aux activités du CRILJ et, depuis le début des années 80 et jusqu’à aujourd’hui, apporte une contribution régulière au « Cahier des Livres » de Inter-Cdi, revue des centres de documentation et d’information de l’enseignement secondaire public, privé et agricole en France. En poste actuellement dans un collège de Bretagne, elle quittera dans quelque mois, un métier qui, dit-elle volontiers, lui a procuré de grandes satisfactions. Maryvonne Zanaglia fut, sa carrière durant, très active dans les domaines de la promotion de la lecture et de la défense de la profession de documentaliste, notamment au sein de la FADBEN (Fédération des enseignants documentalistes de l’Education nationale).

 

 

Devenir lecteur

   

 

 

    L’Institut National de Recherche Pédagogique a présenté en mars-avril, dans la galerie du 1ier étage, rue d’Ulm, l’exposition Devenir lecteur réalisée dans le cadre des travaux effectués dans les écoles normales par les équipes de recherche pédagogique.

      J’ai eu à concevoir cette exposition, à rassembler des documents concernant la lecture que je pensais intéressants et que je savais exister non seulement dans les classes pré-élémentaires et élémentaires où je travaille souvent à Saint-Etienne et dans sa région, mais aussi dans des classes géographiquement isolées et pédagogiquement proches. Aussi bien, cette exposition n’a-t-elle été possible que grâce à un solide réseau d’amitiés, grâces à des échanges constants de conceptions, d’idées, de travaux. Elle n’aurait pu exister sans le concours de Paulette Lassalas, directrice de l’Ecole Normale de Poitiers et des maîtres de l’équipe qu’elle anime, sans Jacqueline et Claude Held dont la présence avait suscité des travaux dans des classes de Saint Jean de la Ruelle ou de Cazères sur Garonne, sans les témoignages de Paulette Delfaud, militante de la Ligue de l’Enseignement, sans l’aide précieuse d’Hélène Romian, responsable de l’Equipe de Recherche Français 1ier degré, à l’INRP.

      Dans la mesure où cette exposition a intéressé des enseignants, des animateurs, des bibliothécaires, tous préoccupés de l’accès de l’enfant à la lecture, et dans la mesure où elle sera disponible, semble-t-il, l’an prochain, sur demande, pour « itinérer » à travers la France, il a paru utile au CRILJ de rappeler les objectifs qu’elle se donne et les moyens qu’elle utilise.

      Si lire, ce devrait être chercher à satisfaire le besoin de découvrir, de connaître, de s’informer, de s’enchanter pour soi-même ou de communiquer telle ou telle information à autrui » (Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire), nous essayons de montrer comment l’école peut s’attacher à faire naître, à développer le goût de la lecture, à faire de la lecture un besoin de culture vital, à travers des documents provenant de classes pratiquant une pédagogie conforme aux principes du Plan de rénovation de l’enseignement du français à l’école primaire.

      Certes, il est difficile de fixer, dans le cadre d’une exposition, ce que l’acte de lire représente de plus individuel, de plus profond, de plus important parfois. L’effet d’une lecture se retrouvera peut-être dans une conversation entre enfants, hors de la classe, dans des questions posées aux parents le soir, dans l’intérêt différent pris à regarder une émission de télévision. Tous ces signes échapent souvent à la prise directe, à l’observation pédagogique.

      Mais parce que la lecture n’est pas pour nous une discipline scolaire inscrite dans le cadre étroit d’un emploi du temps et pratiquée dans une classe somnolente, parce qu’elle est toujours recherche de signification qui aide l’enfant à se situer par rapport au monde, recherche de communication dans des situations où l’écrit seul peut l’établir, occasion de s’exprimer, enfin, sous les formes les plus variées, les plus personnelles, elle laisse des traces, elle emprunte des chemins, elle ouvre des voies que nous allons essayer de présenter.

      Nous voulons préciser que, pour nous, l’acte de lire ne se limite nullement aux ouvrages scolaires, ni même aux œuvres de la « littérature enfantine ». Une lettre de camarade, un journal pour enfants, une bande dessinée, un message publicitaire, un poème, sont autant de supports possibles de lecture. Créer, chez l’enfant, face à la diversité des messages où l’écrit voisine avec l’image, parfois avec le son, une attitude active et critique, c’est l’aider à acquérir progressivement une autonomie de lecture.

      Enfin, devenir lecteur, c’est vouloir et pouvoir lire non seulement à l’école mais partout. Si l’enseignant peut aider à trouver les chemins de l’écrit dans la classe mais aussi dans son école, sa famille, son quartier, sa ville, il l’aide à devenir un adulte lecteur.

      Je voudrais dire le plaisir que j’ai éprouvé, à travers bien des difficultés, en réalisant cette exposition. Peut-être venait-il surtout de l’atmosphère des classes dans lesquelles j’allais chercher des documents, de la qualité des rapports que les enseignants avaient su établir souvent avec l’aide des bibliothécaires, des parents, entre l’enfant et la lecture. Je souhaite que le visiteur de l’exposition ressente cette joie née de tant de patience et de travail chez les enfants et les maîtres, et que, dans ses propres recherches, sa propre action en faveur de la lecture, il en soit aidé.

( article  paru dans le n° 9 – 15 juin 1979 – du bulletin du CRILJ )

 

Aline Roméas, propagandiste infatigable du livre et de la lecture, fut professeur à l’Ecole Normale de Saint-Etienne. Elle participa, à ce titre, aux travaux de l’Equipe de Recherche Français 1ier degré de l’Institut National de la Recherche Pédagogique. Elle fit aussi partie, pour reprendre la jolie phrase de Jean Delas, de cette « sorte d’armée des ombres qui menait son combat avec des réunions, le soir, sous des préaux d’écoles. » Aline Roméas fut, en 1979, à l’origine de la très active section de la Loire du CRILJ.

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Qu'est ce qu'une approche critique des livres pour enfants ?

 

 

  

 

 

 

     Qu’est-ce qu’une approche critique des livres pour enfants ?

     Telle est la question qui m’est proposée. J’y ajouterai une précision temporelle : qu’est, que peut être une approche critique des livres pour enfants dans ces dernières années du XXème siècle ?

     La question, en effet, n’aurait ni le même sens ni la même réponse si elle était posée à la fin du XVIIIème siècle, au temps du duumvirat Jules Verne-Comtesse de Ségur.

     Il nous faut donc, comme préalable à la question posée, indiquer brièvement quelques données qui caractérisent notre temps et dont l’approche critique du livre pour la jeunesse doit tenir compte.

     Voici celles qui me semblent les plus importantes :

     1) Développement tumultueux des sciences humaines : histoire économique et des mentalités, sociologie, linguistique, sémiologie, psychologie, psychanalyse, ethnologie, anthropologie, etc.

     Chacune de ses disciplines apportent des éléments importants sur l’enfant, sur son évolution affective et intellectuelle dans le passé et dans le présent, sur l’influence qu’exercent sur cette évolution, sa famille, son milieu, la société où il vit. Ces éléments nouveaux, les critiques des livres pour enfants devraient normalement les connaitre, les assimiler et les utiliser.

     2) La littérature pour enfants est encore assez généralement considérée comme une sous-littérature. On s’interroge toujours sur son statut et la critique pour enfants, bien qu’elle ait gagné des positions depuis 15 ans, reste rapide et épisodique, à la radio et dans la grande presse, ou confinée dans des revues spécialisées.

     3) Une approche critique valable, pour s’imposer, doit emprunter les nouveaux médias, en particulier la télévision ; or aucune émission spécifique ne lui est consacrée et on ne lui réserve jamais de place dans les émissions de critique et de débats comme Apostrophes de Bernard Pivot, Ex-Libris de Patrick Poivre d’Arvor, Paroles de femmes d’Aline Pailler, ou Océaniques.

    Rappelons, pour mémoire, une tentative de FR3 en 1982/1983, avec Michèle Jouhaud-Castro. Mais cette animation se bornait à faire raconter l’histoire contenue dans le livre par des enfants. Emission d’une rare médiocrité.

     C’est là une occasion pour nous de réfléchir sur ce que peut être l’approche critique des livres pour enfants aujourd’hui, sans oublier que cette approche ne peut pas être la même dans un quotidien, dans un hebdomadaire, dans une émission de télévision, dans une revue ou dans un essai.

 . Premier critère :

     Le premier critère d’une approche critique, me semble-t-il, est et reste le principe de plaisir. Qu’il se présente comme album, conte, récit, roman, ouvrage encyclopédique, un livre pour enfant, aussi bien dans son texte que dons son illustration, doit rester un objet agéable, de récréation au sens étymologique du mot.

     Ici, une précision, plaisir pour qui ? Pour l’adulte qui fabrique ou achète le livre ? Ou pour l’enfant qui va le « pratiquer » ? Poser la question, c’est commencer à y répondre.

     Le plaisir qu’il faut prendre en compte, c’est celui du destinataire que l’adulte souhaite et prépare. Par ce biais, il peut s’agir d’un plaisir partagé car l’écrivain et l’illustrateur peuvent aussi prendre du plaisir à réaliser des œuvres de qualité, à la fois créatives et tenant compte des connaissances nouvelles que leur époque leur apporte sur l’enfant.

     Ici, deux exemples : les albums de Christian Bruel et de son équipe, aux éditions Le Sourire Qui Mord, diffusés par la NRF, provocateurs et intelligents comme l’ont été ceux de François Ruy-Vidal dans les années 1970 ; et les nouvelles collections encyclopédiques de Pierre Marchand chez Gallimard : qualité exceptionnelle des photographies, textes simples, bien informés, associés à des poésies.

      On s’est beaucoup plaint de la « critique d’humeur » ou « impressionniste ». Il n’est pas question de la réhabiliter ; rappelons malgré tout qu’il est important que le critique ait une formation artistique de bon niveau qui lui permettent de comprendre et d’aider les innovations. En bref, de l’esprit et du goût.

 . Deuxième critère :

     Œuvre d’art, le livre de jeunesse a un ou a des publics « ciblés » caractérisés par des intérêts et des possibilités de compréhension différents. Ces possibilités et ces intérêts sont décrits et analysées dans des ouvrages classiques de Freud, Klein, Bettelhein, Lebovici, Wallon, Piaget, Zazzo, etc.

     L’illustrateur, l’écrivain et le critique de livres pour la jeunesse doivent avoir ces connaissances de base qui leur permettront de mieux interprêter les réactions de tel ou tel jeune sur lequel l’ouvrage a été « essayé ».

     Notons du reste que certaines maisons d’édition, sans attenter à la liberté des artistes, les entourent d’équipes de conseillers spécialisés. Il faut de même, comme cela se fait déjà dans certaines revues, que l’approche critique soit celle d’une équipe qui ne se limiterait pas à des enseignants et à des bibliothécaires, mais qui compteraient aussi des linguistes, des psychologues, des psychanalistes, des historiens des mentaltés.

     Pour me borner à un exemple : on connait aujourd’hui avec une relative précision le nombre moyen de mots que possède telle ou telle classe d’âge. On sait aussi qu’au-delà d’une certaine proportion de mots inconnnus (25 à 30 %) le jeune lecteur, démoralisé, se démobilise et ne lit pas plus avant.

     La revue Le français dans le monde, en utilisant les données du « français fondamental », avait, il y a 25 ans, lancé une opération de comptage, dont le but était d’indiquer sur la quatrième de couverture le rapport entre le nombre de mots employés par l’auteur et le nombre de mots correspondnants à l’âge ciblé ; Il faudrait, à présent que nous disposons de l’informatique, que les éditeurs et les critiques reprennent et actualisent cette initiative.

 . Troisième critère :

    Un livre est toujours un support d’identification, de transfert et de socialisation. E t il l’est encore plus fortement quand il s’adresse à l’enfance, période où s’élabore et se structure sa personnalité.

     Sans moralisme excessif et sans tomber dans les exclusions de Marie-Claude Monchaux, il n’est pas possible de donner comme objet de consommation immédiate, à des classes d’âge qui ne dispose pas encore d’esprit critique, des livres dont les héros sympathiques l’orienteraient vers le racisme, la chauvinisme, le mépris des femmes, des pauvres, la marginalisation, etc.

     Il ne s’agit pas d’exclure des bibliothèques Clovis Dardentor, manifeste misogyne de Jules Verne, ni son Hector Sarvadac, roman violemment antisémite, ni même la série du Lieutenant X (Hachette) insidieusement raciste. Il faut seulement les déconseiller aux plus jeunes et utiliser ces livres comme base de discussion sur les divers racismes.

     De même, l’approche critique doit dégager le rapport enfant-adulte contenu dans le livre et signaler par exemple le caractère irréaliste (qui peut être positif dans certains cas pour le jeune lecteur) de certains livres où les enfants surveillent les adultes ou encore trouvent la solution d’énigmes policières qui sont restées indéchiffrables pour les adultes.

      La critique doit dégager aussi le parti pris politique de l’écrivain, qu’il s’agisse de fiction ou d’ouvrages encyclopédiques, ce qui est passé sous silence et la manière dont les événements sont présentés.

     A titre indicatif, trois recherches exemplaires : celle de Pierre Nora sur les omissions et les variations de l’histoire de France d’Ernest Lavisse, celle de Jack Zypes sur les corrections et les ajouts des contes des frères Grimm et la toute récente étude de Mireille Le Van Ho à propos des livres de jeunesse sur la révolution parus en France entre 1970 et 1980.

     Dans une perspective proche, l’approche critique, en tenant compte de l’apport de la linguistique et de la socio-linguistique, doit apprendre aux enfants (et aux adultes) à distinguer entre le langage bâti sur de lieux communs et un langage authentique, à la fois simple et créatif.

 . Quatrième critère :

     Il n’est pas question de la négliger et pour la susciter, la collaboration des enseignants, des bibliothécaires, des parents, des libraires est indispensable. Encore faut-il ne pas se limiter, comme dans l’expérience de FR3 dont il a été question et se souvenir que les enfants interrogés directement sont souvent gênés dans leur réponse par leur manque de vocabulaire ou d’assurance : ils ne donnent alors qu’une opinion simplifiée et convenue, celle qu’ils pensent pouvoir donner.

     La meilleure méthode reste celle de l’interrogation indirecte ou encore un débat animé par une équipe de spécialistes qui apportent au fur et à mesure de la discussion des informations susceptibles d’éclairer les jeunes lecteurs sur les problèmes réels que posent le livre.

      Essayons de reprendre et de restituer les caraxtristiques de l’approche critique des livres pour la jeunesse en cette fin de millénaire :

     1) elle doit rester une critique d’humeur, humeur relativisée par la culture et le goût ; renvoyant toujours à l’équation personnelle d’un critique, elle doit être signée.

     2) elle doit assimiler, utiliser et vulgariser les connaissances les plus avancées des sciences humaines et, pour y parvenir, indiquer et expliquer ses critères de jugement ; par sa qualité et par sa pertinence, elle doit s’imposer aux nouveaux médias.

     3) elle ne doit pas se limiter au passé et au présent, mais susciter de nouveaux écrivains dans le secteur de la vulgarisation, notamment parmi les chercheurs spécialisés, capables de présenter clairement des problèmes complexes ; je pense à Hubert Reeves en astronomie, à Jean-Marie Pelt en botanique, au commandant Cousteau en biologie.

     Cette approche critique devrait être créatrice en révélant aux écrivains de nouveaux sujets, de nouvelles sources d’inspiration : défense de l’environnement, solutions nouvelles aux problèmes posés par l’accroissement des divorces, du chômage, de la misère du Tiers-Monde, etc.

     Ces trois orientations fondamentales doivent être présentes, en filigrane, dans les brefs compte-rendus et s’approfondir ou s’expliciter dans les revues spécialisées.

     Les fiches restent utiles, mais peut-être peuvent-elles dégager mieux, même brièvement, les critères objectifs sur lesquels elles se fondent. Elles doivent aussi être signées.

     Il faut donner la plus grande place possible à des articles de fond sur les critères à retenir et à écarter, sur les courants et les problèmes de cette littérature et sur ses rapports avec les contradictions de chaque époque. Une place au moins égale sera réservée à des interventions de créateurs qui, souvent, en savent beaucoup plus que les meilleurs critiques.

     L’approche critique de la littérature pour la jeunesse, en 1990, doit devenir plus efficace et se proposer les buts suivants :

 – sortir la littérature de jeunesse de son ghetto et faire reconnaitre son importance par le grand public et les médias.

 – contribuer à l’amélioration et au renouveau de cette littérature en lui proposant de nouveaux sujets.

 – participer au mouvement général de la critique et, par ce biais, à l’évolution des mentalités sur les droits des enfants et sur le sens même de notre civilisation.

     Mais, dans ces conditions, comment nous limiter à une « approche critique » ? En 1954, Hélène Gratiot-Alphanréry, dans son étude classique La lecture en milieu rural, notait qu’à 30 kms de Paris, des enfants de journaliers agricoles, à 10 ans, n’avaient jamais eu entre les mains des livres de loisirs.

     Trente-cinq ans plus tard, la situation n’a pas réellement changée. Un sondage réalisé dans les environs de Tours, en septembre-octobre 1989, nous apprend que plusieurs écoles primaires rurales ne disposent toujours pas de « coins-lecture » et ne bénéficie pas de l’apport du biliobus. Manque ou mauvaise répartition des crédits ?

     Il serait absurde de s’en prendre aux enseignants et aux bibliothécaires qui font ce qu’ils peuvent et au-delà. Promouvoir la lecture et les meilleurs livres, développer le sens critique du futur adulte, c’est l’affaire de tous. C’est un problème politique, un élément d’une entreprise globale qu’on pourrait appeler, pour simplifier, la politique de la lecture et de la culture.

     Nous autres, chercheurs ou critiques, nous ne pouvons plus nous borner à une « approche critique ». A quoi pourrait bien servir de critiquer des livres que tant d’enfants n’auraient pas la possibilité de lire ?

     Nous devons tous devenir des pourvoyeurs gratuits, des distributeurs bénévoles de livres aux enfants défavorisés. Nous pourrions, par exemple, constituer des banques de livres pour enfant. En guise de premiers apports, nopus y verserions, après les avoir étudiés, les meilleurs livres que nous recevons en service de presse. Nous pourrions encore demander aux enfants favorisés de donner à notre banque les livres qu’ils aiment le plus. Beaucoup de livres de qualité, peu soutenus par la presse, sont pilonnés. Nous pourrions persuader des éditeurs de nous les donner.

     Nous vivons une époque où le livre, pour se maintenir, doit aller vers ses lecteurs potentiels. « Un dictionnaire, disait magnifiquement un participant interviewé il y a quelques mois dans une émission télévisée, ça doit se donner, c’est un acte d’amour ».

     Notre approche critique ne peut pas, elle non plus, rester théorique. On n’est riche que de ce qu’on donne.

 ( article  paru dans le n° 39 – juin 1990 – du bulletin du CRILJ )  

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Normalien, agrégé de philosophie, Marc Soriano (1918-1994) est romancier, pour les adultes et pour les enfants, et psychanalyste. Professeur de littérature populaire et pour la jeunesse à Bordeaux III et professeur émérite à Paris VII, il est spécialiste de Charles Perrault et de Jules Verne. En 1968, il publie aux éditions Gallimard Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires et, en 1975, chez Flammarion, un épais Guide de littérature pour la jeunesse dont la réédition, chez Delagrave, en 2002, était très attendue. Marc Soriano fut membre du conseil d’administration du CRILJ.