Les surprises d'un sondage

     La section locale du CRILJ/Midi-Pyrénées a adressé, à propos de la lecture des enfants et des jeunes, un questionnaire dans les écoles, bibliothèques et collèges de la région. 1292 réponses d’enfants et d’adolescents ont été dépouillées, 240 pour les 7/10 ans, 1052 pour les 10/15 ans.

     Ce référendum nous a été retourné par des établissements urbains et ruraux où un effert important est engagé en faveur de la lecture. De là, sans doute, des affirmations qui, pour l’essentiel, battent en brêche le bataillon des idées toutes faires, donc mal faites, et soulignant la relative variété des lectures juvéniles.

 Il n’y a pas de facilité du goût enfantin

     Par exemple, si la bande dessinée l’emporte sur les livres chez les 7/10 ans (136-108), c’est l’inverse chez les 10/15 ans (668-546).

     L’aventure comme le conte correspondent au goût des lecteurs des deux âges. Ainsi, les contes et légendes arrivent-ils en tête chez les 10/15 ans (547), suivis de près par les témoignages vécus (537), la science-fiction (523), le roman (498), l’histoire romancée (431) ou racontée comme une histoire (354), les documentaires ne dépassant pas 236 suffrages.

     On relèvera aussi qui si 416 lecteurs sont gênés par un langage trop familier (contre 654), 618 ne le sont point par un langage littéraire (contre 514) ; que 128 + 489 enfants lisent des poèmes ; que plus de la moitié des 10/15 ans, tout en goûtant le plaisir et la nécessité du « dépaysement » et de l’ouverture, s’étonnent – voire s’irritent – de la surabondance des œuvres traduites dans certaines collections ; qu’enfin, chez les seniors, 934 préfèrent un récit achevé, avec une fin généralement heureuse, mais que 250 aiment ou aimeraient le continuer eux-mêmes.

 Les valeurs sûres et les autres

     Le sondage, auprès des 10/15 ans notamment, fait apparaitre des titres appartenant à des collections reconnues, les valeurs sûres. Mais s’y ajoutent, aussi nombreuses, des œuvres plus actuelles, contemporaines, toute une « géographie cordiale » où s’expriment la douleur, la générosité, la fantaisie poétique, le réalisme, le futurisme, le régionalisme.

     Les groupes qui ont répondu à l’enquête sont souvent ceux où des auteurs et des illustrateurs ont rencontré des enfants et participé à l’animation d’un ouvrage dans les écoles, bibliothèques, librairies ou fêtes du livre. Ainsi peut s’expliquer, pour une bonne part, le choix d’écrits régionaux sans qu’il soit besoin d’affirmer magiquement l’existence de « best-sellers » imprévus.

     Et puis, au-delà des thèmes de l’amour, de la drogue, de la guerre, en particulier, les plus de dix ans ont marqué leur préférence pour la géographie humaine, la psychologie, la préhistoire, l’archéologie, les sciences, les drames du racisme, la société, l’humour.

     Sujets de réflexion pour tout ceux qui s’intéressent à la littérature pour la jeunesse.

( texte publié dans le n° 24 – novembre 1984 – du bulletin du CRILJ )

 lecteurs

L'IBBY sous le soleil levant

 

 

 

 

 

     Pour sa majorité, le Congrès bisannuel de l’IBBY (International Board on Books for Young People) s’est offert le luxe de quitter l’Europe pour la première fois. Organisé de main de maître et avec une vraie ampleur nouvelle par la section japonaise, il a tenu ses assises du 18 au 23 août dernier, dans le Palais des Enfants, en plein cœur de Tokyo.

     Les objectifs d’une telle manifestation comme les attentes des participants sont divers et multiples : approfondissement d’un thème-clé par conférences et débats interposés, assemblée pleinière statutaire, mais aussi plate-forme de rencontres, de contacts, d’échanges intellectuels ou commerciaux.

 Pourquoi écrivez-vous pour les enfants ? Enfants, pourquoi lisez-vous ?

     Tel était le vaste thème mis en scène par les organisateurs. Pour répondre à la deuxième question, quelques jeunes Japonais et, entre autres conférenciers invités à apporter leur contribution à la première, la Brésilienne Ana Maria Machado, le Chinois Yan Xenjing, la Britannique Philippa Pearce, le Soviétique Sergei Mikhalkov, l’Autralienne Patricia Wrightson, le Japonais Mutsumasa Anno et l’Allemand Michael Ende. Pour raisons de santé, Maurice Sendak avait hélas dû renoncer au voyage.

     Simple et compliqué à la fois d’apporter sa pierre à l’édifice. Les réponses des orateurs se sont trouvées très culturellement marquées, les Asiatiques rappelant au fil de leur vie les étapes déterminantes qui les conduisirent à l’écriture pour enfants, alors que es Occidentaux en tiraient un exposé souvent plus philosophique que littéraire.

     Particulièrment brillante à nos yeux fut l’intervention de Michael Ende, le génial et secret auteur de Momo et du bestseller universel qu’est L’histoire sans fin. Au fond, je n’écris pas pour les enfants. En écrivant, je ne pense jamais aux enfants, mais j’écris des livres que j’aurai aimé lire étant enfant. En ce sens, je ne suis encore jamais devenu adulte. L’enfant signifie le futur qui est en nous. Je raconte donc mes histoires pour l’enfant qui vit en moi et en nous tous. » Et l’écrivain de dénoncer la tristesse et la banalité de la présentation du monde faite aux enfants. « Quelle motivation en tirer, sinon le non-sens et l’absurdité de cette image du monde. Les artisans, les poètes et les écrivains ont comme travail de redonner mystère et légende à cette réalité. » La réponse artistique de Michael Ende prend quatre noms succsissifs : fantaisie, beauté, merveilleux et humour. Une véritable profession de foi.

     On pourrait également aller plus droit au but et répondre, comme le grand Mitsumasa Anno concluant son exposé par une longue citation du musicien Pablo Casals : « Pourquoi écrivez-vous et pourquoi lisez-vous ? Mais, bon dieu, pour vivre ! »

 Les héros de la fête

     Surprise en avril à Bologne : face au Sautereau et Lapointe, Burningham, Van Allsburgh, Delessert et autres, le Jury Andersen portait son choix sur deux artistes issus pour la première fois du même pays. Outre qu’elle a sans doute voulu honorer la zone pacifique, cette désignation de deux Australiens pour l’attribution du « Nobel » de la littérature de jeunesse – prime et médias en moins – n’est en rien gratuite. L’écrivain Patricia Wrightson et le peintre Robert Ingpen ont, tous les deux, largement contribué au dévelloppement littéraire et artistique de leur pays et du livre pour enfants dans son ensemble. Souhaitons que cette récompense nous apporte aussi promptement quelques traductions françaises de leurs livres promus chefs-d’œuvre.

     L’Assemblée Générale des délégués de l’IBBY a également apporté quelques noms nouveaux parmi les « héros » puisque l’élection d’un nouveau comité international a conduit au remplacement du très compétent président sortant, l’éditeur madrilène Miguel Azoala, par l’estimé directeur de la BIB, le tchécoslovaque Dusan Roll. Par ailleurs, Ana Maria Machado a été désignée pour succéder à la merveilleuse Patricia Crampton à la tête du Jury Andersen.

 Bilan et rendez-vous

     L’hospitalité – et la climatisation – nipponne ayant fait des merveilles, l’IBBY a pu dignement fêter cette vingtième rencontre. Talonné d’expositions et d’échanges culturels, doublé de débats sur le futur du livre pour enfants ou les intentions et méthodes de la création – avec notamment une intervention de Mijo Beccaria – ce congrès a rempli son ambitieux programme : rapprocher les peuples au travers d’une connaissance accrue de ce qui constitue la meilleure littérature pour les actuels héritiers du monde. Autant le terme peut-il paraitre pompeux et le bilan optimiste, autant l’écho doit-il en être multiplié de par le monde.

     C’est également pour ce faire que l’IBBY s’est fixé de nouveaux rendez-vous pour ses 21ème et 22ème congrès : en septembre 1988 à Oslo sur le thème prometteur de La littérature de jeunesse face aux mouveaux médias, puis outre-atlantique en septembre 1990 à Williamsburg (Virginia) pour prouver au monde que « Les livres pour enfants font la différence. »

( texte paru dans le n° 29 – octobre 1986 – du bulletin du CRILJ )

   ibby cat

Né en 1958, Olivier Maradan a travaillé dans le domaine de la promotion de la lecture et de la littérature de jeunesse durant les années quatre-vingt et jusqu’au milieu de la décennie suivante. Il a été en Suisse l’un des fondateurs d’AROLE, l’association romande de littérature pour l’enfance et la jeunesse, construite sur le modèle du CRILJ, et durant une décennie l’un des organisateurs des fameuses Journées d’AROLE, séminaire bisannuel de formation et d’échanges. Ses travaux ont surtout porté sur la transmission du goût de lire, dans le cadre de la formation des enseignants, des bibliothécaires et des parents. Il a tenu durant douze ans une chronique hebdomadaire de présentation de nouveautés éditoriales et de manifestations internationales en littérature de jeunesse pour un quotidien de Fribourg et a siégé dans plusieurs jurys en Suisse, en France et en Italie. Depuis 1996, ses responsabilités professionnelles dans l’éducation l’ont éloigné du domaine éditorial. Il est actuellement secrétaire général adjoint de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique et responsable de l’harmonisation de la scolarité obligatoire en Suisse.

 

 

   

 

 

Trente ans au service des enfants

    

 

 

 

 

     Ma collaboration avec Flammarion a duré trente ans.

     En 1967, au décès de mon père, l’Atelier du Père Castor n’existait plus. Encouragé par Henri Flammarion, je reprends seul la direction des collections du Père Castor et, travaillant d’abord à mon domicile, je deviens responsable d’un service à créer.

     Avoir des notions sur l’édition pour entreprendre et mener à bien un programme de production pour l’enfance et la jeunesse est certes nécessaire et peut satisfaire des objectifs purement commerciaux. En ce qui me concerne, j’ai considéré l’édition comme un moyen et non comme un but, le but étant d’établir une relation privilégiée avec les enfants. Je suis en effet convaincu que dans le domaine du livre pour enfants, la première donnée, c’est l’enfant.

     Mais de quel enfant s’agit-il ?

     Tout ce qui touche à l’enfance est souvent abordé et vécu sur le mode de la sensibilité, voire de la sensiblerie, de l’émotion voire de la passion. C’est que, pour beaucoup d’entre nous, les seules références dont nous disposons sont nos souvenirs de l’enfant que nous croyons avoir été.

     Les réactions devant l’enfant inconnu, mystérieux, varient de l’extrême solicitude à la condescendance, de la méfiance au rejet, la circonspection n’étant pas la pire des atitudes ni la plus rare. Les meilleures intentions de ceux qui s’adressent aux enfants ne sont pas suffisantes, ni les improvisations, ni les approximations. Un minimun de connaissance sur l’évolution et les besoins fondamentaux des enfants à chaque étape de leur évolution est primordiale. Espérances à sauvegarder, public à respecter, dès lors qu’on s’adresse aux enfants, ils ont droit à plus d’attention, à plus de respect, et si possible, à plus d’art que tout autre public. La responsabilité de l’éditeur est engagée et cette responsabilité n’est ni infantile, ni mineure, elle participe à l’éducation des hommes et des femmes de demain.

     Education ! Le maître mot est laché ! C’est la seconde donnée du livres pour enfants. Au sens large, conduire chaque enfant sur le bon chemin. Quand on aborde cette notion après avoir évoqué l’enfance et ses lois génétiques, surgissent généralement de nouvelles interrogations, dictées elles aussi par le souvenir, le souvenir de l’éducation qu’on a cru recevoir.

    La tâche, la mission que remplissent les éducateurs relève plus d’un art que d’une technique, un art aux exigences sévères, où tout est toujours à recommencer, génération après génération.

     Nées de l’Education Nouvelle, les productions du Père Castor sont restées fidèles à ces principes.

     Cette Education Nouvelle à l’écoute des besoins des enfants, et non de leurs caprices, suppose la faculté de s’adapter dans l’instant aux situations les plus imprévisibles. Elle reste aujourd’hui la meilleure voie, pour répondre à ce qu’exprimait Jean Piaget, « si l’on désire, comme le besoin s’en fait sentir, former des individus capables d’invention et faire progresser la société de demain, il est clair qu’une éducation de la découverte active du vrai est supérieure à une éducation ne consistant qu’à dresser les sujets à vouloir par volontés toutes faites et à savoir par vérités simplement acceptées ». Les enfants d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, pour développer harmonieusment leurs facultés ont besoin, autant que d’air pour respirer, d’un climat de sécurité affective, de valorisation, d’encouragement dans leurs entreprises constructives, surtout pour celles qui sont audacieuses, pourvu que les mesures de sécurité soient prises. Leurs rencontres avec le livre doit se faire sous le signe du plaisir, voire de la jubilation, c’est la troisième donnée du livres pour enfants.

     En étant fidèle à des principes éprouvés, les albums du Père Castor ont été récompensés par la fidélité du public. Ainsi les créations d’hier sont devenues aujourd’hui des classiques. N’est-il pas émouvant d’observer les enfants découvrant avec le même plaisir l’album Très fort illustré par Helen Oxenbury paru cette année et Michka illustré par Rojan qui avait déjà régalé leurs parents et leurs grands-parents ? Ce paradoxe n’est-il pas la cinquième donnée du livre pour enfants ?

     Le public des enfants représente un « marché » de plus en plus âprement disputé. La notion de rentabilité si, à elle seule, n’est pas suffisante, est cependant indispensable pour la création de nouveautés. C’est la cinquième donnée du livre pour enfants, valable pour toute autre production.

     C’est pour toutes ses qualités de défricheur, de bâtisseur, de pionnier, que le castor a été choisi comme symbole d’un programme constructif qui accompagne les enfants dès leurs premiers balbutiements, avant même un an, jusqu’à la lecture maîtrisée, dix ou douze ans et même au-delà.

     Parmi les fleurons de nos éventails figure L’imagier du Père Castor. Il s’adresse aux enfants qui ne savent pas encore parler. Toujours réimprimé, sans cesse remis au goût du jour par de nouvelles images, souvent copié, il a été traduit dans de nombreux pays grands ou petits et il existe une version en Croate, en Serbe, en Zoulou, en Islandais.

     A la pointe du progrès, le Père Castor a immortalisé des albums comme La Vache orange illustré par Lucile Butel, Marlaguette illustré par Gerda, La plus mignonne des petites souris illustré par Etienne Morel, Roule Galette illustré par Pierre Belvès, et plus de cent autres albums qui défient le temps et dont les illustrateurs et les auteurs de renon ont souvent fait leur début à l’Atelier.

     Et puis, « Le Roman des bêtes » dont chaque album présente un animal dans son milieu naturel à travers un roman palpitant pour découvrir la poésie de réel et le merveilleux de la nature, « Les enfants de la terre », collection d’amitié internationale qui souhaite faire comprendre et respecter les différences. la collection « Castor-Poche » riche de plus de cinq cent titres que les enfants achètent eux-mêmes et qui s’est imosée parmi les deux ou trois premières ollections de poche.

     « L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume. » disait Rabelais. Le Père Castor ajoute : « Je n’ai pas voulu des livres-entonnoirs, j’ai rêvé d’albums-éticelles. »

    Nous espérons donner aux enfants qui aiment nos livres, l’envie de grandir et d’entreprendre dans l’enthousiasme. Toutes ces convictions, je me suis employé à les faire partager avec tout ceux qui ont travaillé à l’Atelier du Père Castor.

     Aujours’hui, le Père Castor présente un catalogue de plus de mille titres, solide par son fond, diversifié par ses nouveautés. Avec une équipe de dix professionnels de l’édition et, pour certains, de l’éducation, un local bien adapté, un équipement informatique complet. Sous la direction d’Hélène Wadowski qui, a ma demande, a bien voulu nous rejoindre, ce département va franchir de nouvelles étapes.

     Si le Père Castor est devenu une institution, il a ses exigences dans le choix de ses critères, le plus important étant le respect de sa marque, pour lui-même et pour son public. Il a fallu du temps pour l’affirmer, il faudra de la vigilance pour la maintenir.

 Et pour l’avenir ?

     Le 30 juin 1996, je quitte mes fonctions de Directeur du département tout en poursuivant mes fonctions de Directeur de collections, je suis « le garant de la continuité de l’esprit et de l’image qui caractérise ‘le Père Castor » dans ses aspects créatifs, artistiques et pédagogiques notamment, tels qu’ils ont été conçus et développés à l’usage de la jeunesse. » Tout en participant aux comités de lecture et aux comités graphiques, je me consacrerai plus spécialement au développement des K7 audio et des CD-rom.

     Enfin, en tant que Président de l’Association des Amis du Père Castor, crée en 1995, j’aurai à réaliser le projet de la ‘Maison du Père Castor », qui sera élaboré dans le cadre du Pôle d’Economie du Patrimoine, ce projet ayant été retenu par la Délégation à l’Aménagement du Territoire Régionale.

 ( texte paru dans le n° 57 –  novembre 1996 – du bulletin du CRILJ )

 

        père castor

 Né à Prague en 1932, fils de Paul Faucher, le Père Castor, et de Lida Durdikova, François Faucher a pour parrain Frantisek Bakulé, éducateur adepte de l’Education Nouvelle, auquel il consacrera un livre, Franticek Bakule, l’enfant terrible de la pédagogie tchèque, en 1998. Après une enfance limousine, il choisit de devenir typographe. Mort de sa mère, deux ans de guerre d’Algérie. Son père, malade, l’appelle auprès de lui, chez Flammarion. Conditions de travail difficiles et licenciement en 1962. Rappelé par Henri Flammarion, François Faucher renouvellera et prolongera l’œuvre de son père à la mort de celui-ci en 1967. On lui doit notamment le premier Album du Père Castor en occitan et la création de la collection « Castor-Poche ». Parti à la retraite en 1996, il préside  l’Association des Amis du Père Castor qui, en 2006, inaugure à Meuzac (Haute-Vienne) une « Maison du Père Castor », lieu de mémoire destiné aux éducateurs, bibliothécaires, spécialistes de la littérature pour l’enfance et la jeunesse et simples curieux.

 

Des bébés, vraiment, des bébés ?

      Marie Bonnafé vient de publier Les livres c’est bon pour les bébés aux éditions Calmann-Lévy. Celà fait déjà  quelques années que ce type de conviction se tépand parmi les médiateurs du livre. Mais, à Promolej, on ne se contente pas de discours, on vérifie. Nous avons donc mis en chantier une expérimentarion, et nous en livrons ici les résultats.

     Précisons d’abord que les deux filles observées – nous avons chosi des filles car elles ont la réputation de lire davantage et plus tôt que les garçons – ne constituent pas un échantillon représentatif. Mais le fait qu’elles aient été choisies dans deux départements différents nous parait suffisant pour affirmer qie les constats de cette observation sont généralisables.

     La première photo représente un bébé-fille qui, depuis quelques mois déjà, est exposée aux images réitérées de livres destinés à la jeunesse. Comme chacun peut le constater, le bonheur ne semble pas à l’ordre du jour de cette petite lectrice.

     La seconde photo représente une fillette qui, nous l’avons pu vérifier, est soumise au feu roulant des livres depuis sa prime enfance. Apparemment cela ne s’arrange pas.

     Pourtant ces deux enfants sont issues d’un milieu socio-professionnel honnête où les parents lisent, elles sont nourries convenablement, elles regardent modérément la télévision et ne présente pas de tares apparentes.

     Soumises à un questionnaire de contrôle commençant par « Aimez-vous lire ? », elles se sont contentées de regarder l’enquêteur d’un air de profonde incompréhension.

     Suite à cette expérience, nous nous posons donc les questions suivantes :

 – A partir de quel âge, en réalité, peut-on parler de lecture-plaisir ?

 – Un contact trop précoce avec le livre embrume-t-il l’esprit de l’enfant ?

 – Dans la mesure où les fillettes n’ont pas répondu au questionnaire, peut-on penser que lire trop tôt rend sourd ?

  – Doit-on plutôt incriminer la nature des livres lus ? Comme on peut le constater sur les photos, aucun n’est un classique.

 – Où s’agit-il de surcharge cognitive ?

     Cette expérience sera prochainement généralisée à un troisième enfant.

( texte  paru dans le n° 51 – juin 1994 – du bulletin du CRILJ )

bébé

Né en 1944 à Paris, habitant le département de la la Sarthe depuis 1959, Christian Poslaniec est écrivain (romans, albums, poèmes, nouvelles, documentaires, polars et pièces de théâtre), spécialiste « tout terrain » de la littérature jeunesse : enseignant, formateur et organisateur de formation, chercheur, conférencier, directeur de collection (Zanzibar aux éditions Milan). Auteur de L’évolution de la littérature de jeunesse, de 1850 à nos jours, au travers de l’instance narrative (thèse publiée en 1999 aux Presses Universitaires du Septentrion), nommé en 2003 président de la commission de choix des livres pour la jeunesse du ministère de l’Éducation nationale, il vient de publier dans la collection Découvertes (Gallimard) Des livres d’enfants à la littérature de jeunesse. Christian Poslaniec est avec Christine Houyel à l’origine de Promolej, regroupement pour la « Promotion de la lecture et de l’écriture des jeunes ».

De l’usage difficile des index et des statistiques

      Le CRILJ qui s’intéresse aux mouvements de traduction essaie depuis toujours de promouvoir le livre pour la jeunesse français à l’étranger. Il est toutefois difficile de faire un recensement, sur deux ans, des ouvrages traduits du français vers l’étranger.

     Par contre, une étude relative aux ouvrages étrangers traduits en France a pu être  effectuée en prenant comme base « Les livres du mois » de La Bibliographie de la France. S’agissant des livres français traduits à l’étranger, peuvent être utilisés, d’une part, avec plusieurs années de retard, l‘Index Translationum de l’Unesco et, d’autre part, les renseignements fournis pour l’édition de l‘AZ des auteurs et illustrateurs francophones pour la jeunesse édité par le CRILJ en 1991 et remis à jour en 1994.

     Prendre en compte les statistiques est une façon concrète de poser le problème. J’ai donc simplement repris les parutions de l’année 1995, avec une possibilité de comparaison pour les années 1982 et 1991/92 pour lesquels le CRILJ avait mené une étude lors d’un colloque relatif aux problèmes économiques et culturels dans l’édition de la littérature de jeunesse.

     La nouveauté qui ressort de cette confrontation est la part de la création française par rapport aux années antérieures et les nombreux échanges que l’on a sur ce sujet  montrent qu’il y a une vraie richesse de la création française.

     En 1982, on dénombrait environ 54% de livres traduits dont 90% de livres anglo-saxons. En 1992, le chiffre était de 36% et de 30% en 1995, avec encore une propondérance de l’origine anglo-saxonne (81% de l’ensemble des livres traduits). Notons qu’il n’est pas simple de déterminer le pays d’origine des ouvrages de langue anglaise car les traductions ou les adaptations de livres américians ou canadiens portent le plus souvent la simple mention « traduit de l’anglais ». L’ensemble des autres pays  représentaient, en 1992, 19% – ce qui est très peu.

     En 1995, les traductions se ventilent entre 40% d’albums, 25% de romans, 24% de documentaires alors qu’en 1982 la répartition était sensiblement à parts égales : 34%, 31%, 27%. Il faut, je crois, noter à part les parutions « Walt Disney » qui représentent chaque année environ 10%.

     Mais on trouve aussi des choses étonnantes : Shakespeare traduit du tchèque, Perrault, Madame Leprince de Beaumont, Andersen traduits et adaptés de l’américain, Heidi traduit et adapté du danois, tout autant de pratiques qui nous renvoient aux épineuses questions de marché et de co-édition internationale.

     Comme indiqué plus haut, la part des ouvrages d’origine « Walt Disney » est importante. En 1995, sur environ 1800 nouveautés parus, on relève 78 livres dits « classiques » et 55 ouvrages « Walt Disney ».

     Que ce soit avec les petits albums sans nom d’auteur et d’illustrateur (160 titres répertoriés), qui se vendent très facilement, ou avec les albums de grand format signés par leurs auteurs et illustrateurs, il est difficile – à moins d’avoir l’ouvrage en main – d’en connaitre la provenance exacte entre Grande Bretagne et Etats-Unis. Parfois même, l’auteur ou l’illustrateur étant mentionné, le pays d’origine diffère.

     Il est indiqué 35 livres traduits de l’allemand. En y regardant de près, on s’aperçoit que 25 de ces livres ont été publiés directement en français par les éditions Nord-Sud basées en Suisse alémanique.

     En fait très peu de livres viennent d’Allemagne, un peu plus d’Espagne et d’Italie, essentiellement des petits albums. On relève aussi, assez souvent, des traductions « à l’unité » : un livre de Pologne, deux livres de la République Tchèque dont une réédition, un Baba Yaga venu de Russie, ce qui n’est pas vraiment une nouveauté.

    En fait, très peu d’auteurs contemporains sont traduits. Lorsqu’il y a quelques années nous avons affectué une recherche pour des collègues du Mans qui souhaitaient établir des relations entre leurs classes de quatrième et les douze pays de la communauté européenne en édudiant en commun un auteur traduit dans chacun des pays, il nous a été impossible de trouver cet auteur parmi les contemporains.

     L’Index translationim édité par l’Unesco est sur CD-rom en listing alphabétique. Mais les auteurs ne sont pas répertoriés en tant qu’auteurs écrivant pour la jeunesse. Nous envisageons au CRILJ de nous mettre à l’ouvrage. Nous aurons ainsi, dans le domaine d’intervention qui est le notre, en complément de notre AZ des auteurs et illustrateurs, une vision plus satisfaisante des échanges littéraires à travers le monde.

 ( texte paru dans le n° 48/49 – avril 1993 – du bulletin du CRILJ )

traduction

Quittant les éditions Stock quand Hachette rachète la maison, Monique Hennequin entre à l’Association nationale pour le livre français à l’étranger (Ministère des Affaires étrangères) où elle est l’adjointe de Lise Lebel. Elle publie chez Seghers en 1969 un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse de langue francaise, non signé, pour la section francaise de l’Union internationale des livres pour la jeunesse. Travaillant ensuite à mi-temps au Comité permanent du livre français à l’étranger (Ministère de la Culture), elle assure à compter de 1980 le secrétariat général du CRILJ. Déclarant volontiers ne pas être une militante, Monique Hennequin fut, pendant trente années, l’indispensable cheville ouvrière de l’association.

Petits cailloux de création

     Si écrire fait partie d’une nécessité et d’un désir profondément ancré en moi-même, n’y aurait-il pas, dans cet acte, égoïsme mais aussi don et appel incertain vers l’autre ?

     Tout être ne vit-il pas d’intenses moments qui le marquent et l’écrivain n’est-il pas celui qui se laisse aller à les écrire même si cela lui demande energie, courage et entêtement ?

     N’éprouve-t-il pas alors une distance avec les propres évènements de sa vie, accompagnés d’un certain bien-être, soulagement et plaisir d’avoir créé ce texte ?

     Mais l’écrivain ne cherche-t-il pas, au-delà de sa question primordiale, à donner une universalité à son récit ? Il souhaite secrètement que chaque lecteur vive cette histoire, non seulement comme la sienne, mais aussi comme le reflet qui porte les signes d’universalité.

     Ecrire c’est capter la sensibilité, les sentiments, décrire de l’intérieur le cercle du ressenti d’un être ainsi que la construction de ses pensées.

     Mais c’est aussi développer les cercles extérieurs, le lieu de naissance, les paysages d’enfance, la lumière, la faune, la flore, toute cette extériorité qui influence. Ce sont aussi les lieux de vie, campagne ou cité, ainsi que tous ceux qui nous entoure, protègent, vivent ensemble.

     Ecrire, c’est nouer les fils d’une tapisserie autour de la mémoire d’un groupe. Ecrire, cercle après cercle, c’est voir naître personnages et monde, sensibilité et pensées, afin que le lecteur puisse s’identifier et reçoive quelque réponse à ses propres interrogations.

 ( article paru dans le n°70 – juin 2001 – du bulletin du CRILJ )

 rolande causse

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

 

 

Les éditeurs français face à l’Europe

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     Les éditeurs français de livres pour la jeunesse sont-ils, face à l’Europe, considérés comme innovateurs ou sont-ils à la traine ?

     D’abord, qui est concerné ? Les éditeurs industriels et déjà internationalisés depuis longtemps ou la littérature et l’art graphique français ?

     Quelles conséquences à long terme ? Pour l’évolution des mentalités des générations 2000 ? Pour celles des jeunes lecteurs d’une part, celles des admirateurs étrangers de la culture française d’autre part ?

     La Foire de Bologne a fêté le printemps dernier ses 25 ans d’existence. Les stands de quelques 1190 éditeurs exposaient la production de 55 pays.

     De cet ensemble de livres (présentés par pays) se dégage, pour le visiteur attentif, les lignes pédagogiques sous-jacentes qui déterminent les nouveaux comportements de lecture, mais aussi, liés alors aux contextes socio-économiques, les modes artistiques lancées par des personnalités fortes de créateurs que ceux-ci soient éditeurs, concepteurs ou illustrateurs, plus rarement romanciers jusqu’à maintenant.

     Avec l’industrialisation, le vocabulaire se modifie. Le livre n’est plus une œuvre mais un produit à rentabiliser par une diffusion et une vente rapide.

     Dans la rationalisation des écoulements de cette production sur un marché de dure compétition, nous pouvons le reconnaitre, les livres d’audience limitée comme les romans « littéraires » ou les albums d’artistes trouvent de plus en plus difficilement leur place.

     Selon les statistiques du Syndicat National de l’Édition, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse en Francophonie représente 10 % du chiffre d’affaire de l’ensemble de l’édition avec quelques 550 collections, 4500 titres au tirage moyen de 13000 exemplaires dont plus de 55 % de traduction sur l’ensemble des titres parus en 1987. 112 sont des rééditions, 2738 des réimpressions en poche, reste donc, pour la création, 1970 titres à répartir entre bandes dessinées, ouvrages documentaires, ouvrages à caractère historique, livres-jeux, livres pratiques, romans et livres d’images.

        Sur quoi faut-il juger de la novation ?

     Sur le production des technocrates qui savent renouveller les emballages et qui assurent, sans risque financier mais avec honnêteté intellectuelle, la pérennité des textes classiques en direction du plus large public ?

     Ou sur l’œuvre d’avant-garde, pleine d’inventivité, conçue, créée, composée avec passion par une équipe artisanal, avec tous les aléas de diffusion et, par conséquent, de rentabilité que cela comporte ?

 ( article paru dans le n°35 – mars 1989 – du bulletin du CRILJ )

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.  

  despinette

L’enfant et la poésie

     Je demande aux participants de ces rencontres de m’excuser si, obligé de rester hors de Paris, je ne puis être parmi eux.

     Le thème abordé ces jours-ci est passionnant et je suppose que l’on n’a pas manqué de souligner une fois de plus les modifications fondamentales qui ont changé la place et le rôle des enfants dans la société moderne.

     Il n’y a pas si longtemps – disons pendant le première moitié du XIXième siècle – les enfants étaient comparables à des esclaves. Ils n’avaient aucun droit, ni celui de parler ni  d’avoir des sentiments ou des idées ou des goûts personnels. Ils n’avaient qu’à obéir. Ils étaient enfermés dans un système d’interdictions, dans un monde à la fois clos et marginal où tout écart, toute évasion étaient sévèrement punis.

     Sous l’influence des grands réformateurs de l’éducation, sous l’effet des sciences de l’homme et grâce au génie des philosophes, des savants et des artistes, de Rousseau à Freud, de Lewis Caroll à Wilhem Bush, ils ont conquis plus de liberté et ont pris de plus en plus conscience de leur identité et de leur valeur propre.

     Aujourd’hui, on respecte, on favorise leurs talents, surtout dans le domaine des arts créateurs.

    Cela est si vrai que, désormais, leur style d’inspiration influence à son tour beaucoup d’artistes adultes, parfois parmi les plus grands. Etre « naïf », ce n’est plus une tare, une preuve de sous-développement. C’est, au contraire, remonter à la source de l’inventivité, c’est laisser libre cours à l’imagination, c’est une façon de sentir, de voir et d’exprimer qui rend notre vie plus colorée, plus fraîche, souvent plus vraie et plus significative.

    Dans cette évolution, le rôle des enseignants a deux aspects complémentaires :

– d’une part, on invite de plus en plus d’enfants à s’exprimer librement et à faire connaître leurs productions sans fausse modestie.

 – d’autre part, on a eu l’idée d’offrir au public des jeunes et même des très jeunes, non seulement des œuvres composées spécialement pour lui, mais des œuvres qui, sans avoir été créées à son intention, correspondent spontanément à la mentalité et aux aspirations profondes de l’enfance.

     On s’est aperçu en effet que, dans bien des cas, la part la plus précieuse, la plus exquise de l’œuvre des artistes et des poètes majeurs était de même nature que la créativité enfantine.

     En bref, tout se passe comme si l’art enfantin, par ses dons d’imagination, par sa faculté à interpréter et de simplifier le réel, présentait déjà certains aspects propres à ce que l’on nomme la génie ou bien, ce qui revient au même, comme si une part du génie des adultes avait su conserver intactes certaines vertus inaliénables de l’enfance.

     C’est une découverte capitale de notre temps.

( communication  parue dans le n° 29 – mai 1986 – du bulletin du CRILJ )

Jean Tardieu (1903-1995), essayiste, dramaturge, critique d’art et surtout poète, travailla aux Musées Nationaux, chez Hachette et, après la guerre, pendant près de vingt ans, au « club d’essai » de la Radiodiffusion française. Traducteur de Goethe et de Hölderlin, il reçut le Grand Prix de Poésie de l’Académie française en 1972 et le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres en 1986. Jean Tardieu n’écrivit pas spécifiquement pour les enfants, mais ses textes qui multiplient volontiers les expériences autour du langage poétique, sont fort souvent repris en albums et en anthologies. La communication ci-dessus a été lue le dimanche 20 avril 1986 lors du colloque « L’enfant et la poésie » organisé par le CRILJ.

 tardieu

Merci Massin !

 

 

 

 

    Premier coup  en janvier 1971, Nathan accepte de mettre en œuvre notre programme éditorial d’Europart, et de nous accueillir du même coup, Pierre Marchand et moi.

    Second coup : une semaine plus tard, Hachette nous fait la même proposition par la bouche de monsieur Schuwer, directeur d’Hachette Jeunesse.

    Troisième coup : en allant porter à Jean Massin, directeur artistique de Gallimard, le dessin qu’il m’a demandé pour illustrer la couverture des Aristocrates dans Folio qui va naître, je lui annonce que « Tiens, nous allons entrer chez Hachette, comme éditeurs, un copain et moi, la semaine prochaine. »

    – Ah, sourit-il, parce que tu fais également l’éditeur ?

    Alors je lui raconte Europart, Voiles et Voiliers, nos projets, nos coéditions, tant et si bien qu’il finit par me conseiller de ne rien signer avant d’avoir rencontré Christian Gallimard. Ce qui fut fait très vite et bien fait.

    Merci Massin !

    Voila comment, en avril 1971, un an jour pour jour après la sortie du premier numéro de Voiles et Voiliers, nous entrons, Pierre et moi, chez Gallimard, la caverne d’Ali Baba de l’édition française. Nous allons très vite y allumer « Mille Soleils » avant d’y puiser la matière des premiers « Folio/junior ».

    C’est là que nous dirons au revoir au Pierre des commencements. Nous sommes un vendredi soir. Après une semaine très remplie – les premiers « Folio/junior » sont à l’imprimerie – je m’apprête à rentrer à l’île d’Yeu où j’habite depuis un an. C’est alors que Pierre m’arrête. Il est inquiet : « Tu crois vraiment que l’on fait bien de mettre nos noms sir les pages de garde ? Si on se plante … Il est encore temps, réfléchis. » Je lui réponds que ceux qui se sont plantés avant nous n’avaient pas nos atouts, que Fixot est confiant, que ci, que ça, bref qu’on a bien fait, j’en suis sûr.

    Et je suis toujous convaincu, vingt-cinq années plus tard. Parce qu’on s’est assez peu plantés, finalement, pendant toutes ces années …

( article  paru dans le n° 74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

 

 Jean-Olivier Héron est né en 1938 à Cholet. Passionné de bateaux, il fonde en 1971 une entreprise de voile de plaisance et crée avec Pierre Marchand  le mensuel spécialisé Voiles et voiliers. Les réflexions de Pierre Marchand et de Jean-Olivier Héron sur un renouvellement de l’édition jeunesse prennent forme. Leurs projets, refusés par Hatier, mieux accueillis par Nathan et par Hachette, aboutissent en 1972 à la création de Gallimard Jeunesse. Auteur, illustrateur, peintre, installé à l’île d’Yeu depuis 1973, il est à l’origine des éditions Gulf Stream qui publient affiches, cartes postales et documentaires pour la jeunesse. Parmi les nombreux ouvrages écrits ou illustrés par Jean-Olivier Héron : Le hautbois de neige, Les Contes du 7ième jour, Le livre qui avait un trou.

mille soleils

Déclaration d’attention

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    Nous tous, écrivains pour la jeunesse réunis en colloque à Nice, ce 9 octobre 1983, à l’occasion des Journées Mondiales de l’Écrivain, tenons à présenter nos excuses les plus confuses à nos confrères qui écrivent pour des adultes.

    Ce n’est ni par mépris ni par rejet conscient, que nous nous sommes désintéressés de leurs activités et que nous n’avons guère participé à leurs débats.

    Ces écrivains ont le mérite d’exister et il serait malséant de nier le fait patent que certains adultes (une forte minorité me souffle la muse de l’incommunicabilité digitale) ont encore besoin de retrouver, dans des livres s’adressant à leur âge, des sensations aussi puissantes que celles éprouvées dans l’enfance lors de leurs premières lectures fondamentales.

    Certes, nous pourrions nous réfugier derrière les chiffres pour masquer notre manque d’intérêt pour la littérature adulte. Nous savons tous qu’à peine 30% de la population adulte lit régulièrement des livres, alors que notre lectorat, bien que mineur, est d’une majorité plus qu’absolue. Mais il serait mesquin de s’en tenir à ces chiffres. Une façon très inélégante de jeter l’adulte avec l’eau du bain des statistiques.

    Et, honnêtement, il y aurait de notre part quelque outrecuidance à oublier que nous sommes, à tout le moins, responsables d’une partie de cet état de fait car si, par nos livres, nous ne donnions pas tôt envie aux enfants de lire, s’intéresseraient-ils, devenus adultes, à ce foisonnement de petits livres drôles, graves ou séduisants qu’on produit, de nos jours, pour les adultes ?

    Alors ? Même si nous, écrivains pour la jeunesse, trop occupés à rencontrer directement nos vrais lecteurs et à construire, avec eux, la trame de la future société qu’ils érigeront et qui transparait profondément dans nos œuvres, n’avons guère le temps de nous intéresser à la littérature adulte, nous tenons ici à dire très fort aux médias qu’il ne faut surtout pas enfermer la littérature adulte dans un ghetto. D’autant plus, il faut le dire, qu’elle a fort évolué ces dernières années et que bien des textes mériteraient de figurer au palmarès de la littérature de jeunesse.

    Ceci dit, et sans la moindre note d’humour superfétatoire, l’ensemble des écrivains de jeunesse ici présents aimeraient bien que, l’année prochaine, des séquences communes soient organisées. Peut-on l’espérer ?

(article  paru dans le n° 22 – 15 février 1984 – du bulletin du CRILJ)

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Né en 1944 à Paris, habitant le département de la la Sarthe depuis 1959, Christian Poslaniec est écrivain (romans, albums, poèmes, nouvelles, documentaires, polars et pièces de théâtre), spécialiste « tout terrain » de la littérature jeunesse : enseignant, formateur et organisateur de formation, chercheur, conférencier, directeur de collection (Zanzibar aux éditions Milan). Auteur de L’évolution de la littérature de jeunesse, de 1850 à nos jours, au travers de l’instance narrative (thèse publiée en 1999 aux Presses Universitaires du Septentrion), nommé en 2003 président de la commission de choix des livres pour la jeunesse du ministère de l’Éducation nationale, il vient de publier dans la collection Découvertes (Gallimard) Des livres d’enfants à la littérature de jeunesse. Christian Poslaniec est avec Christine Houyel à l’origine de Promolej, regroupement pour la « Promotion de la lecture et de l’écriture des jeunes ».

christian poslaniec