Déclaration d’attention

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    Nous tous, écrivains pour la jeunesse réunis en colloque à Nice, ce 9 octobre 1983, à l’occasion des Journées Mondiales de l’Écrivain, tenons à présenter nos excuses les plus confuses à nos confrères qui écrivent pour des adultes.

    Ce n’est ni par mépris ni par rejet conscient, que nous nous sommes désintéressés de leurs activités et que nous n’avons guère participé à leurs débats.

    Ces écrivains ont le mérite d’exister et il serait malséant de nier le fait patent que certains adultes (une forte minorité me souffle la muse de l’incommunicabilité digitale) ont encore besoin de retrouver, dans des livres s’adressant à leur âge, des sensations aussi puissantes que celles éprouvées dans l’enfance lors de leurs premières lectures fondamentales.

    Certes, nous pourrions nous réfugier derrière les chiffres pour masquer notre manque d’intérêt pour la littérature adulte. Nous savons tous qu’à peine 30% de la population adulte lit régulièrement des livres, alors que notre lectorat, bien que mineur, est d’une majorité plus qu’absolue. Mais il serait mesquin de s’en tenir à ces chiffres. Une façon très inélégante de jeter l’adulte avec l’eau du bain des statistiques.

    Et, honnêtement, il y aurait de notre part quelque outrecuidance à oublier que nous sommes, à tout le moins, responsables d’une partie de cet état de fait car si, par nos livres, nous ne donnions pas tôt envie aux enfants de lire, s’intéresseraient-ils, devenus adultes, à ce foisonnement de petits livres drôles, graves ou séduisants qu’on produit, de nos jours, pour les adultes ?

    Alors ? Même si nous, écrivains pour la jeunesse, trop occupés à rencontrer directement nos vrais lecteurs et à construire, avec eux, la trame de la future société qu’ils érigeront et qui transparait profondément dans nos œuvres, n’avons guère le temps de nous intéresser à la littérature adulte, nous tenons ici à dire très fort aux médias qu’il ne faut surtout pas enfermer la littérature adulte dans un ghetto. D’autant plus, il faut le dire, qu’elle a fort évolué ces dernières années et que bien des textes mériteraient de figurer au palmarès de la littérature de jeunesse.

    Ceci dit, et sans la moindre note d’humour superfétatoire, l’ensemble des écrivains de jeunesse ici présents aimeraient bien que, l’année prochaine, des séquences communes soient organisées. Peut-on l’espérer ?

(article  paru dans le n° 22 – 15 février 1984 – du bulletin du CRILJ)

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Né en 1944 à Paris, habitant le département de la la Sarthe depuis 1959, Christian Poslaniec est écrivain (romans, albums, poèmes, nouvelles, documentaires, polars et pièces de théâtre), spécialiste « tout terrain » de la littérature jeunesse : enseignant, formateur et organisateur de formation, chercheur, conférencier, directeur de collection (Zanzibar aux éditions Milan). Auteur de L’évolution de la littérature de jeunesse, de 1850 à nos jours, au travers de l’instance narrative (thèse publiée en 1999 aux Presses Universitaires du Septentrion), nommé en 2003 président de la commission de choix des livres pour la jeunesse du ministère de l’Éducation nationale, il vient de publier dans la collection Découvertes (Gallimard) Des livres d’enfants à la littérature de jeunesse. Christian Poslaniec est avec Christine Houyel à l’origine de Promolej, regroupement pour la « Promotion de la lecture et de l’écriture des jeunes ».

christian poslaniec