En revenant des Journées mondiales de l’écrivain de Nice, en octobre 1983 …

L’écrivain

     L’écrivain pour la jeunesse est d’abord un écrivain. Cependant, le fait qu’il envoie son manuscrit à une maison d’édition pour la jeunesse semble indiquer qu’il a choisi de s’adresser prioritairement aux enfants et aux jeunes. Dans le cas d’un envoi à certains éditeurs, on peut même préciser qu’il cherche à atteindre un  très jeune public.

     Les écrivains et surtout les critiques présents à Nice ont manifesté une totale méconnaissance et parfois un véritable mépris pour les livres pour la jeunesse et leurs auteurs. La légitimité de ce type d’œuvres s’est trouvée ainsi posée, en même temps que le problème du statut de l’enfant dans notre société, dont 30 % seulement des citoyens sont de vrais lecteurs.

     Qu’est-ce qui justifie le dédain des écrivains tous publics pour leurs confrères auteurs d’ouvrages pour la jeunesse ? La question mérite d’autant d’être posée que bon nombre de ces écrivains se sont essayés à écrire pour la jeunesse, soit de leur propre chef, soit sollicités par des éditeurs soucieux de s’attacher des noms connus, et que leurs essais sont rarement des coups de maître.

     Il y a nécessité d’amener les adultes – écrivains, critiques mais aussi simples particuliers ayant en charge la culture des enfants – à lire des livres pour enfants.

     L’écrivain pour la jeunesse a de nombreuses occasions de rencontrer ses lecteurs. Il accomplit ainsi un certain travail social, de plus en plus souvent rémunéré et participe à la création d’une contre-culture avec les enfants. L’écrivain pour la jeunesse peut et doit rencontrer son public pour avoir un feed back, mais ce ne peut être, en aucun cas, son but premier.

 Les œuvres

     Les livres pour la jeunesse, plus intentionnels, plus didactiques que les livres pour adultes, sont trop souvent jugés sur le message et pas assez sur l’écriture.

     La lecture de la production incline à penser que bien des tabous sont tombés. Cependant, la question de l’éditeur ainsi formulée : « Etes-vous sûrs que ça s’adresse à des enfants ? » est une forme de censure car elle vise, en fait, à écarter la politique et le social comme ne s’adressant pas à des enfants.

     On admet qu’un auteur peut n’être pas le meilleur juge de son œuvre et qu’il peut y avoir concertation et même collaboration entre l’auteur et le directeur littéraire de la maison d’édition.

     On constate que les créations sont en augmentation mais que le tirage est de plus en plus limité. Ce qui pose le problème du prix des livres jugés trop élevés.

     Les auteurs se plaignent d’être peu informés en ce qui concerne la diffusion de leurs livres à l’étranger. Ils devraient savoir si leur éditeur publient des catalogues et des fiches sur les livres en plusieurs langues. Ils s’insurgent d’entendre que les livres français seraient ressentis par les étrangers comme « trop sophistiqués, trop compliqués, trop intellectuels et sans humour. »

 La lecture

     Malgré les enquêtes menées et qui toutes concluent à une trop grande part de non-lecteurs en France, on peut affirmer que les besoins culturels des enfants ne sont pas pris en compte. Ils sont évalués au niveau de « la pause-tartine » …

    Le peu de considération manifeste aux auteurs de livres pour la jeunesse empêche une véritable action pour faire lire. L’absence de chroniques régulières dans les grands médias témoignent aussi du désintérêt que les adultes détenteurs d’un certain pouvoir portent à la lecture des enfants.

 Les lecteurs 

     L’écrivain pour la jeunesse est le seul à qui l’on pose la question de ce que le public, son public, va penser de sa production. Lui demander de recueillir les avis des enfants, avant d’écrire, n’a pas de sens. Ceux-ci sont des êtres en devenir, en voie de formation. Ils doivent pouvoir trouver, dans la production diverse et multiple dont il faut les informer, des livres qui répondent à leurs demandes, à leurs besoins, à leurs aspirations, à leurs désirs, écrits par des créateurs authentiques. 

( article  paru dans le n° 22 – février 1984 – du bulletin du CRILJ )

   finifter

Née à Varsovie en 1923, après des études secondaires interrompues par la guerre, après des universités d’été et des séminaires pendant lesquels elle fréquente Georges Jean et Marc Soriano, Germaine Finifter rencontre Natha Caputo en 1954. Elle lui doit ses premiers travaux critiques dans Heures Claires. Elle fonde en 1960 la revue Livres Services Jeunesse en collaboration avec les enseignants et les parents de l’école Decroly de Saint-Mandé. Intervenante passionnée dans de nombreux stages ou colloques, directrice de collection chez  Nathan et chez Syros, elle écrira plusieurs ouvrages à caractère documentaire. Très active au sein du CRILJ, elle participera également, avec Christian Grenier, Béatrice Tanaka, Rolande Causse, Robert Bigot et quelques autres, à la rédaction du manifeste fondateur de la Charte des Auteurs et Illustrateurs pour la Jeunesse. Disparu de façon tragique en août 1996 alors qu’en compagnie d’Aline Roméas, autre pionnière de la littérature de jeunesse, elle se rendait chez un écrivain.

Pour en finir avec une idée fausse

  

     Une idée fausse qui peut vous coûter cher et on me pardonnera, j’espère, d’aborder un sujet aussi prosaïque.

     Nombre d’associations – et les divers CRILJ ne font pas exception – croient que les associations sous le régime de la loi de 1901 n’ont pas le droit de faire des bénéfices. Cette croyance limite considérablement leur action puisque les animations, formations et prestations de tous ordres sont réalisées au tarif les plus bas, quant elles ne sont pas carrément gratuites.

    Sachez que la loi n’interdit pas les bénéfices. Elle interdit le partage ou leur attribution aux membres de l’association. Les bénéfices engendrés par le produit d’une prestation de service, d’une vente, d’une location, d’abonnements, etc, doivent permettre le développement de l’association, son autofinancement.

    Naturellement, il ne s’agit pas de se lancer dans un commerce effréné qui n’aurait plus rien à voir avec l’objet de l’associaiton, auquel cas celle-ci devrait alors adopter un autre statut. La loi distingue d’ailleurs ce qui relève de l’activité normale de l’association ou d’opérations plus exceptionnelles. Je ne pense pas que les CRILJ soit dans ce cas de figure.

    Alors, je vous en conjure, faites payer vos interventions au juste prix sans oublier, bien sûr, que nous oeuvrons avec le souci du service public et dans un esprit d’éducation populaire. Mais, rien n’est gratuit, le travail et la compétence se paient.

    Une dernière précision : une association peut rembourser à ses membres des frais, de déplacement par exemple, engendrés par une intervention, sur présentation d’un justificatif de dépense.

    Alors, une fois pour toutes, faites savoir autour de vous ce que signifie réellement « à but non lucrarif » et … développez vous !

 ( article paru dans le n° 89 – mars 2007 – du bulletin du CRILJ )

denise

 

 

 

Inspectrice principale du Ministère de la Jeunesse et des Sports, Denise Barriolade a essentiellement œuvré dans le secteur ‘jeunesse et éducation populaire’. Après sept ans dans le Val-de-Marne, elle est conseillère technique au cabinet d’Edwige Avice puis d’Alain Calmat où elle gère notamment les projets de l’Année internationale de la jeunesse. Après un passage éclair à l’Institut National d’Education Populaire durant lequel elle met en place le Rayon vert, observatoire du livre scientifique et technique pour la jeunesse, elle passe quatre ans à Eurocréation où elle crée le réseau des Pépinières européennes pour jeunes artistes. Elle anime, entre 1986 et le début des années 90, le groupement d’intérêt scientifique PROMOLEJ (Promotion de la Littérature des Jeunes). Exerçant dix ans à la direction de la jeunesse, Denise Barriolade apporte un soutien important aux pratiques culturelles et artistiques (festivals de cinéma, théâtre et musique, stages de réalisation, etc). Elle gère le Prix de la jeunesse au festival de Cannes et les Prix littéraires du Ministère de la Jeunesse et des Sports dont le CRILJ fut prestataire de service. Après près de cinq ans à l’Organisation Internationale de la Francophonie où elle se consacre principalement aux politiques de jeunesse dans les pays d’Europe centrale et orientale, elle rejoint le ministère avant de prendre sa retraite et de se consacrer, entre autres choses, au CRILJ dont elle est l’actuelle présidente.

En revenant de la foire

     Pour cette Foire 2008, quelques 6000 professionnels de l’édition, livres et multimédia pour l’enfance et la jeunesse dont 4701 professionnels non italiens en provenance de 43 pays se sont retouvés à Bologne « sous le signe du business et du commence pour faire un tour d’horizon sur les nouvelles tendances du produit et échanger des droits d’auteurs. »

     Le Centre des agents littéraires est devenu le lieu privilégié des rencontres. Le Centre des traducteurs, acteurs essentiels pour la circulation du produit, revèle la création d’une base de données réunissant les traducteurs du monde entier, la Word Directory of Children’s Books Translators.

     Et les créateurs de livres – les poètes, les écrivains, les illustrateurs, les éditeurs concepteurs – dans tout cet ensemble d’affairisme ?

    L’on pouvait en croiser encore quelques uns pour un dialogue au Café des Illustrateurs (créé, rappelons-le, par l’éditeur français Pierre Marchand), dans l’exposition des illustrateurs dont les vedettes étaient, en cette année 2008, les artistes de l’Argentine, pays d’hôte de la Fiera. Mais les français étaient rares.

    A l’extérieur de la Foire, nombreuses cependant était encore, dans la ville, les conférences, débats et expositions organisés par les institutions culturelles.

     Décernant ses prix, le jury des Bologna Ragazzi Award, toujours sous la présidence du Professeur Faeti, de l’université de Bologne, en attirant cette fois l’attention sur l’éclectisme de la recherche conceptuelle dans les ouvrages présentés cette année, prouve, quand même, l’importance des liens à maintenir entre les créateurs et les professionnels dans la mise en valeur de la littérature pour l’enfance et la jeunesse.

     Il vaudrait mieux que le professionnels en tiennent compte.

 ( article paru dans le n°92 – mars 2008 – du bulletin du CRILJ )

 

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle fut jusqu’à récemment une fidèle  administratrice du CRILJ.  

La Foire de Bologne vue de Suisse

 

 

 

 

 

     Evénement mondial annuel numéro un dans le domaine de la littérature pour la jeunesse, la Foire du Livre pour Enfants vient d’ouvrir ses portes, pour sa vingt-deuxième édition, dans les modernes installations d’exposition de Bologne. Durant quatre jours, ce rendez-vous rassemble les éditeurs et spécialistes de littérature enfantine avant tout, mais également de livres scolaires, de bandes dessinées et, cette année, d’informatique éducative.

     S’il existe aujours’hui de par le monde plus d’une dizaine de très importantes foires internationales du livre, le Salon du Livre de Paris (en mars-avril) et, surtout, le Foire de Francfort (en octobre) étant les plus essentielles en Europe, la Foire de Bologne est la seule, à l’échelle planétaire, à se consacrer exclusivement à l’édition pour enfants et adolescents. Cette importance s’observe immédiatement dans les chiffres : 1007 éditeurs-exposants, issus de 53 pays ; 13000 mètres carrés de surface d’exposition ; 14826 visiteurs en 1984. En fait, Bologne est le seul endroit où le chaland peut découvrir simultanément les derniers livres anglais, japonais, hongrois, de Lausanne ou de Singapour, et cotôyer le « gratin et la plèbe » de la profession.

 Les fonctions d’une foire

     Caractéristique immédiatement sensible pour le visiteur, cette foire est une affaire de professionnels pour d’autres professionnels, ceci à deux niveaux. C’est d’abord le va-et-vient incessant des responsables littéraires et directeurs commerciaux d’un stand à l’autre. C’est à Bologne au printemps et à Francfort à l’automne que « se fait » commercialement parlant l’édition jeunesse. L’un des phénomènes actuels de celle-ci est en effet une internationalisation forcenée, qui permet d’abaisser sensiblement les coûts de production et qui voit classiques, auteurs reconnus et démarches originales se publier successivement dans de multiples langues ou se coéditer simultanément par-delà les océans. Chaque année voit ainsi des courants et des modes nouveaux se dessiner.

     Deuxième aspect : une telle manifestation constitue un mouvement de valse continu pour cartables. La foule quasi anonymes des illustrateurs qui ne veulent plus l’être court inlassablement stands et officines de spécialistes pour décrocher le contrat nourricier. Rude tâche, le plus souvent ingate et vaine, à laquelle ne sacrifient plus les « vedettes de l’artistic society » également présente en nombre. Poignées de mains, signatures, adresses et tuyaux s’échangent à la vitesse grand V et la caravane des non-initiés passe…

 Des expositions

     1985, promu Année de la Jeunesse a occasionné la modification de l’exposition d’illustrateurs. Un concours a été organisé par la Foire, l’ONU et l’UNICEF. 651 illustrateurs de 28 pays y ont participé en proposant un projet d’affiche de l’année. 55 ont été sélectionnés pour l’exposition et le vainqueur, l’allemand Fred Münzmaler, verra bientôt son affiche répandue sur les cinq continents comme symbole officielle de ce thème.

     Une autre exposition traditionnelle, beaucoup moins développée mais largement fréquentée, est consacré à un aspect structurel de la bande dessinée.

     Enfin, dans un secteur réservé chaque année à une région particulière du globe, c’est la collection Kerlan de l’Université du Minnesota, le plus riche agglomérat des USA en matériel figuratif, manuscrits, art populaire, constituant la part créative pour la jeunesse d’un groupe ethnique particulier, qui prendra la place admirablement occupée en 1984 par une expositon d’illustrateurs latino-américains.

 L’assaut de l’informatique

     S’ouvrant à une réflexion sur un thème parallèle à l’édition, la Foire de Bologne répond, pour la troisième année consécutive, au succès envahissant de l’informatique. Après le titre provocateur Les jeunes et l’ordinateur, un défi pour les éditeurs, un pas semble cette fois franchi vers de nouvelles possibilités d’échanges culturels et économiques avec un programme en trois volets.

     Multinationales et formes performantes du hardware et sofware seront largement représentée dans l’exposition Education et Informatique. Industriels, scientifiques et délégués du monde entier prendront part à un important séminaire centré sur La société de la connaissance et les nouvelles technologies de l’information alors qu’une conférence réunira les plus éminents chercheurs occidentaux afin d’argumenter sur les différents systèmes, projets, instruments et technologies pour l’éducation du futur. Cette ampleur prouve bien la ferme intention du monde éditorial de ne pas manquer le départ de la course technologique. Certaines grandes maisons françaises, italiennes et américaines sont d’ailleurs déjà concrètement présentes dans ce marché, conscientes qu’il s’y joue une partie vitale.

 ( texte paru dans le n° 25 – mai 1985 – du bulletin du CRILJ )

  bologne

Né en 1958, Olivier Maradan a travaillé dans le domaine de la promotion de la lecture et de la littérature de jeunesse durant les années quatre-vingt et jusqu’au milieu de la décennie suivante. Il a été en Suisse l’un des fondateurs d’AROLE, l’association romande de littérature pour l’enfance et la jeunesse, construite sur le modèle du CRILJ, et durant une décennie l’un des organisateurs des fameuses Journées d’AROLE, séminaire bisannuel de formation et d’échanges. Ses travaux ont surtout porté sur la transmission du goût de lire, dans le cadre de la formation des enseignants, des bibliothécaires et des parents. Il a tenu durant douze ans une chronique hebdomadaire de présentation de nouveautés éditoriales et de manifestations internationales en littérature de jeunesse pour un quotidien de Fribourg et a siégé dans plusieurs jurys en Suisse, en France et en Italie. Depuis 1996, ses responsabilités professionnelles dans l’éducation l’ont éloigné du domaine éditorial. Il est actuellement secrétaire général adjoint de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique et responsable de l’harmonisation de la scolarité obligatoire en Suisse.

 

 

 

Situation de la création poétique dans le livre pour les enfants

     La création poétique ne doit pas être confondue avec la diffusion de la poésie. On voit bien comment faciliter la diffusion, la préparer, la planifier ; par contre, la création est toujours « imprévisible et anarchique ». Au sein de la littérature enfantine, la création poétique occupe une place très originale, dans la mesure où la spécificité de la poésie conduit à rejeter l’idée d’une poésie « pour » les enfants : la vraie poésie est indivisible, simplement, les responsables de la diffusion (éditeurs ou pédagogues) choisissent des textes poétiques qui leurs semblent convenir aux enfants, ce qui est très différent.

     Malgré le grand intérêt de certaines anthologies et de certains ouvrages de pédagogie, ils n’appartiennent pas à la création poétique proprement dite ; ils ne seront signalés ici que pour mémoire.

 Les livres de création

     On peut affirmer sans paradoxe qu’une bonne part de la création poétique contemporaine de qualité se trouve actuellement dans les livres à destination des enfants qui ont été un lieu d’expériences originales.

 Les « commandes poétiques »

     Par l’intermédiaire de certaines collections destinées aux enfants, quelques éditeurs ont joué ces dernières années un rôle considérable d’incitation à la création par de véritables commandes à des poètes contemporains. Il ne s’est pas agi de racler des « fonds de tiroirs », mais de publier des textes inédits, originaux, spécialement écrits ou réunis par l’auteur en un recueil individuel destiné aux enfants. C’est ainsi que des poètes importants comme Marc Alyn, Luc Derimont, Alain Bosquet, Lucienne Desnoues, Frédéric Kiesel, Eugène Guillevic, Daniel Lander, Bernard Lorraine, Pierrre Menanteau, Jean-Luc Moreau, Catherine Paysan, Gisèle Prassinos, Jean-Claude Renard, etc. ont publié des recueils à l’intention des enfants, parfois avec un plus grand succès que leurs recueils « pour adultes ».

     Un deuxième type d’ouvrages apporte une aide directe à la création : il s’agit de recueils collectifs, de véritables anthologies spécialement conçues autour d’un thème pour une collection, mais ne regroupant, encore une fois, que des poèmes inédits, originaux, qui n’auraient jamais pu être publiés sans ce type d’ouvrages : il s’agit bien d’une « commande ». Là encore, la poésie vivante est directement concernée. Tel ouvrage de ce genre peut réunir une soixantaine de poètes contemporains, les plus connus permettant, par leur présence, la publication de poèmes d’auteurs moins connus. On trouve ainsi de jeunes « débutants », avec des poètes contemporains parmi les plus importants –du moins aux yeux du directeur de la collection qui, par son libre choix, « agit » de façon modeste mais réelle sur la création, en suscitant, par exemple, des textes de Jean Cassou, Jean-François Chabrun, André Chedid, Georges-Emmanuel Clancier, Luc Decaunes, Marc Delouze, Jean Desmeuzes, Charles Dobzinski, Luc Estang, Pierre Ferran, Pierre Gamarra, Georges Godeau, Jacqueline Held, Edmond Humeau, Jean l’Anselme, Jean Lescure, Jean Mogin, Jean Orizet, Pierre Sabatier, etc. Un joli palmarès ! Parmi tous les écrivains sollicités, certains n’auraient jamais pensé pouvoir proposer leurs textes à des enfants. Tous semblent avoir été très heureux de l’accueil fait à leurs poèmes.

     Ces livres de poèmes, en général non illustrés, qui donnent donc la primauté au texte, s’adressent à des enfants à partir de 7-8 ans. La poésie qui est ainsi proposée est sans concession, elle n’est pas bêtifiante : elle n’aborde certes pas tous les thèmes (par exemple ni l’amour, ni la révolte), mais elle aborde des thèmes profonds, voire métaphysiques (la mort par exemple, traitée avec délicatesse) en des formes dont la diversité correspond à celle de la création poétique contemporaine.

     Mais ces livres refusent, par une saine contrainte, tout snobisme, tout « truc » à la mode, pour une raison très simple : le public visé, celui des enfants, est un « vrai-public » – peut-être le seul « vrai public » aujourd’hui en matière de poésie.

     En effet, il existe toute une frange snobinarde parmi les poètes qui n’écrivent que pour certains critiques ou directement pour la glose universitaire, visant avant tout l’utilisation du dernier « truc » à la mode, le scandale, l’hermétisme confus, l’imitation de ce qui « se fait », toute une sauce pour moyens de masse et tralala langagier qui en impose aux naïfs. Nous sommes alors loin du « plaisir poétique » dont parlait André Spire.

     Rien de tel avec l’enfant : on ne peut pas le tromper ainsi. Sa « naïveté n’est pas du même ordre. La poésie qui s’adresse à l’enfant doit le prendre tout entier, car il ignore, a priori, le nom de l’auteur, sa renommée, son prestige, sa surface dans les journaux. Le poème doit être vraiment un texte qui le saisit, l’enchante, ou l’amuse, ou l’émeut, etc. : il faut vraiment que le poème agisse sur lui.

     « Essayer » un poème avec des enfants, c’est un excellent moyen de remettre quelques valeurs à leur vraie place.

     Des adultes sont aussi devenus lecteurs de tels ouvrages de poésie où ils trouvent (ou ils retrouvent) la poésie telle qu’ils peuvent la souhaiter, loin du n’importe quoi à la mode.

     Bien entendu, de tels recueils personnels ou collectifs de poèmes inédits spécialement demandés à des écrivains n’ont pas tous la même valeur. Il y a des degrés dans la réussite. Mais un éditeur sérieux veille à ne pas infléchir la trajectoire d’un auteur, à ne pas lui demander de se trahir soi-même. Tout éditeur vise simplement à faire partager ses goûts. La pluralité des éditeurs est donc nécessaire en ce domaine pour garantir la pluralité des styles, le public restant juge.

     Le rôle des pouvoirs publics dans cette incitation directe à la création poétique en direction des enfants a été faible jusqu’ici. Personnellement, j’estime qu’il doit le rester. L’Etat n’a pas pour mission, même par l’intermédiaire d’une commission, d’orienter la création poétique à l’intention des enfants. La diffusion, c’est autre chose.

     Par contre, le rôle de l’école, des bibliothèques, des librairies, a été important pour faire connaître ces livres de création et insister sur leur originalité en servant de médiateurs. De même, le rôle de certains compositeurs de chansons pour les enfants, comme James Ollivier, Max Rongier, Christiane Oriol, Jacques Douai, etc. Mais nous touchons ici plus à la diffusion qu’à la création –encore que la mise en chanson oblige parfois l’écrivain et le musicien à un dialogue qui modifie le texte. Quant au rôle de la Grande Presse, il a été ponctuel et insuffisant. Bien des journaux sont encore prisonniers d’un certain mépris à l’égard de livres qui s’adressent en priorité aux enfants, il leur est difficile d’admettre qu’un renouveau poétique se trouve dans ces livres-là.

    Ces livres de création poétique originale doivent pourtant obtenir un succès commercial permettant à l’éditeur de poursuivre sa politique de « commandes » –donc d’incitation à la création. Mais ces ouvrages sont particulièrement sensibles au « piratage » : les enseignants, les bibliothécaires, etc. doivent savoir que si la reproduction par photocopie est très pratique, elle est nuisible à la création future, car elle pénalise l’éditeur, le poète –et les auteurs à venir. Il n’est cependant pas souhaitable de taxer spécialement les machines à reproduire pour compenser ce manque à gagner : l’expérience montre qu’une commission s’arrogerait le droit de décider des subventions à distribuer.

     En tout cas, on peut estimer que la poésie vivante se trouve aujourd’hui davantage dans ces livres à destination des enfants que dans de prétentieuses plaquettes qui ne sont que de « vains bibelots d’inanité sonore ».

 Les jeux de langage

     Par ailleurs dans la grande nébuleuse des livres « pour » les enfants, on assiste depuis longtemps à une floraison d’ouvrages tournant autour des « jeux de langage ». Leur pauvreté poétique est en général consternante et ces abécédaires d’un nouveau genre n’ont rien à voir avec la poésie –ni l’enfance : on bêtifie, on répète, on tourne en rond, c’est conventionnel, plat, sans invention. Il faut être exigent et dénoncer de telles sottises qui n’entrent pas dans la création vivante. Ba, be, bi, bo, bu constituent sans doute une étape dans l’apprentissage de la lecture, mais il est exagéré de présenter cette ritournelle comme un poème.

     Certes, il peut exister des ouvrages de qualité consacrés aux jeux de langage : mais on est alors plus proche de la pédagogie que de la poésie. On voit bien d’où vient la confusion : la poésie se fait « avec des mots » comme disait Mallarmé, le langage est sa matière première. Mais la poésie entend par le langage dire plus que le langage, atteindre un  « surréalisme » pour les uns, toucher l’âme pour les autres, en aucun cas elle ne peut se contenter d’en rester au niveau des sonorités. Or, ces ouvrages sont pléthoriques. Il faut les remettre à leur humble place.

 La poésie étrangère

     On le sait : la traduction de la poésie est impossible… et indispensable. Il existe actuellement aussi bien de déplorables traductions dans les livres pour enfants que de remarquables réussites. Quelques ouvrages sont bilingues et, à ce titre, intéressants a priori (mais il faut y regarder de très près). Il est évident que la véritable traduction est re-création, et elle ne peut être faite que par un poète français. Les règles de jeu sont très difficiles, mais connues ; après les remarquables études d’Etkind sur l’art de la traduction-recréation, il est impardonnable de proposer aux enfants de lamantables mot-à-mot avec des « contresens poétiques ». Les éditeurs devraient être plus attentifs à la qualité de ce genre d’ouvrage.

 Les anthologies

     Depuis La poèmeraie d’Armand Got (1928), mais surtout depuis 1950, nous avons assisté à un renouveau considérable d’anthologies poétiques rassamblant des textes modernes, à l’intention des enfants.

     Comme elles regroupent presque exclusivement des poèmes pré-existants publiés par ailleurs, ces anthologies n’entrent pas dans le cadre de la création vivante –donc de ce colloque– mais elles apportent une aide indirecte à la création en développant le plaisir et la connaissance de la poésie, en modelant les goûts : un poète aussi important que Jean Tardieu fut très surpris quand il constata l’accueil fait par des enfants à ses textes extraits de Monsieur Monsieur aux résonnances philosophiques, voire métaphysiques.

     Sans les étudier ici, il faut rappeler, face au snobisme dépréciateur de pseudo-élites, la très grande importance des anthologies dans la survie et la transmission du patrimoine poétique d’une part, dans la connaissance de la poésie contemporaine d’autre part : le bagage poétique des enfants à l’école élémentaire est aujourd’hui bien plus important que celui des adultes ; le paysage poétique de l’école a considérablement changé, c’est celui de la poésie de notre temps (ou d’une grande partie de la poésie de notre temps).

     Les anthologies de poèmes déjà publiées par ailleurs en des recueils personnels, proposent aujourd’hui une poésie vivante. Mais elles ne participent pas directement à la création. Leur influence mériterait pourtant une étude attentive.

 Les ouvrages pédagogiques

     De nombreux ouvrages pédagogiques consacrés à la poésie ont été publiés ces dernières années. C’est une démarche nouvelle, et paradoxale dans la mesure où la création poétique échappe évidemment à toute recette.

     Mais il est vrai que la poésie est un art – donc qu’on y trouve des techniques pouvant être enseignées (des « trucs » diront les pessimistes).

     La plupart de ces livres destinés à des pédagogues se répètent (certains copient les précédents) et proposent surtout des jeux de langage. Plusieurs ne sont, au fond, que des « exercices de vocabulaire et d’élocution » un peu modernisé. Les meilleurs expliquent qu’il s’agit d’un esprit et non de recettes pour devenir poète en quelques leçons.

     Malgré bien des réserves sur l’originalité et la valeur de la plupart de ces livres (souvent publiés par des éditeurs de « classiques ») ils correspondent à une volonté essentielle et assez nouvelle pour être soulignée : mener les enfants à s’exprimer, par un  de ces textes mystérieux qu’on appelle « poème », ce qu’ils ont en eux de plus profond (et qu’ils ne savaient peut-être pas avoir en eux). Il s’agit d’amener l’enfant à faire une expérience de la création. Ambition difficile à réaliser, mais importante et qui devrait être un aspect fondamental de toute pédagogie.

     L’école ne vise pas à former des « professionnels », mais des « auteurs ». La valeur esthétique des poèmes écrits par des enfants ou par des adolescents est le plus souvent très faible, mais leur valeur psychologique est considérable, tout comme l’intérêt sociologique de ces poèmes qui ont parfois été publiés. Mais ils ne semblent pas avoir eu d’influence sur la poésie contemporaine, pas plus que ne peuvent en avoir les études pédagogiques.

     Cependant, l’interrogation sur la création poétique contemporaine dans la littérature pour les enfants ne peut négliger cette importante constatation : aujourd’hui, la création poétique, c’est aussi l’enfance, à cet égard, l’école est devenu un lieu de création, quoi qu’en disent nos tristes détracteurs. L’enseignement ne vise pas la répétition, mais l’invention ; il ne réussit pas toujours, étant donné le poids des structures sociales et familiales. Du moins existe-t-il, grâce à l’école, un endroit où la création est reconnue.

     La création poétique a joué ces dernières années dans le livre pour les enfants, un rôle qui est loin d’être négligeable. Ce lieu d’accueil a, en retour, influencé la création elle-même en lui rappelant ses liens avec l’enfance.

     Cependant la situation me semble moins favorable depuis quelques mois.

     Non seulement ce secteur subit comme d’autres (plus que d’autres ?) les effets d’une certaine « crise du livre », mais il souffre également d’une baisse de qualité moyenne.

     Il serait tout à fait illusoire, et même dangereux à mon point de vue, de faire intervenir en matière de poésie l’Etat, ses commissions, des chapelles, des spécialistes, etc.

     Mieux vaut compter sur la vigilance et le discernement des relais entre le livre et l’enfant, enseignants, pédagogues, bibliothécaires, critiques, etc., pour qu’ils sachent distinguer entre la création véritable –et la répétition, l’invention créatrice -et le balbutiement, la poésie vivante –et le « truc » à la mode.

     La vitalité de la création poétique dans le livre pour enfants dépend en grande partie de l’exigence des éducateurs –et de leur formation.

 ( texte paru dans le n° 21 – octobre 1983 – du bulletin du CRILJ )

                  charpentreau

D’abord instituteur et professeur, puis écrivain, anthologiste, directeur de collections chez plusieurs éditeurs, Jacques Charpentreau fit beaucoup pour la diffusion de la poésie. Parmi ses nombreux recueils pour jeunes lecteurs : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant et Poèmes pour les jeunes du temps présent. Il écrivit aussi, pour les enfants, de nombreux romans (Comment devenir champion de football en mangeant du fromage, La Famille Crie-toujours). Auteur, pour des lecteurs adultes, de poésie, de théâtre, de pamphlets, il est président de La Maison de Poésie. Très attaché au CRILJ, il en fut longtemps l’un des vice-présidents.

Les tendances de la littérature de jeunesse en France au cours de ces quinze dernières années

 

 

 

 

 

 

     La littérature enfantine était en France, aux alentours des années 60, en pleine léthargie et l’arrivée en force des médias audio-visuels et notamment de la télévision ne manquait pas d’inquiéter bon nombre d’éditeurs et d’éducateurs sur le devenir du livre pour la jeunesse et de la lecture.

     C’est alors que quelques novateurs très marqués par l’art contemporain et le graphisme publicitaire vont introduire dans l’album pour enfants de nouvelles formes d’expression et faire appel à de grands créateurs.

     Le premier, Robert Delpire, sortira Les larmes de crocodile avec André François, C’est le bouquet d’Alain Le Foll ; il fera connaître en France Max et les maximonstres de Sendak. Son apport : une rigueur professionnelle sans concession qui fait appel à toutes les ressources des techniques d’expression et d’impression, une confiance absolue dans l’image et ses pouvoirs.

     Dans un autre registre, les éditions Tisné, Le Sénevé, Le Cerf ont à cette époque commencé, elles aussi, à s’intéresser à l’image. Mais ce sont deux autres grandes figures de l’édition française qui vont transformer ces essais et donner au livre pour enfants un nouvel essor en développant des politiques éditoriales conséquentes, et des analyses sur l’image dans ses rapports à l’enfant.

     François Ruy-Vidal, enseignant d’origine, va poursuivre de 1964 à 1982, d’abord avec Harlin Quist puis chez Grasset, Delarge et aux éditions de l’Amitié, au rythme de dix livres par an. Il se présente comme un « concepteur », ce qui exprime bien tous les nouveaux rapports qu’il veut établir entre l’éditeur et les artistes. Ruy-Vidal, comme Delessert, défend l’idée du livre pour enfants aux images fortes qui doivent inciter le lecteur à réagir et à se poser des questions, du livre pour enfants créatif, libéré des tabous, qui puisse, selon les lecteurs, se lire à plusieurs niveaux.

     Jean Fabre, directeur des éditions scolaires L’Ecole va mettre entre les mains des enfants, à partir des années 1965, à côté du livre didactique et uniformisant, des ouvrages qui apportent à l’enfant du plaisir et une forme d’expérience, qui incitent à une lecture aléatoire et divertissante. Son premier effort portera sur l’album, la recherche de bons conteurs d’images ; il fait appel à des artistes étrangers ou résidant à l’étranger  (Maurice Sendak, Arnold Lobel, Tomi Ungerer) et révèle des illustrateurs français  (Philippe Dumas, Michel Gay). Le choix des créateurs, le souci d’une structure efficace de diffusion, la volonté de toucher un large public constituent très vite pour cette maison un gage de réussite.

     Il fallait beaucoup de témérité pour attaquer sur ce terrain de l’image : mais c’est peut-être ce choix qui a entraîné une réhabilitation du livre de jeunesse aussi bien dans l’esprit des lecteurs et des professionnels que dans celui des utilisateurs parents, enfants et médiateurs.

     Il faut bien comprendre de même qu’en ouvrant cet espace aux meilleurs créateurs du monde entier, les éditeurs ont offert à l’enfant d’aujourd’hui, dès son plus jeune âge une véritable confrontation interculturelle qui favorise leur imaginaire, leur éveil esthétique, le familiarise avec d’autres formes d’expression, du beau, de l’homme, et de la vie. Que ce soit le plus vieux média du monde, le livre, qui ait amorcé ce tournant, alors que les autres médias de l’image ont tant de mal à le prendre, constitue sans aucun doute une chance pour ce rapport culturel et pour l’enfant lui-même.

     Cette lignée de rénovateurs explique bien des choix et bien des voies qui vont marquer pour longtemps la production du livre pour enfants dans notre pays. A l’époque, les initiatives en faveur du livre de jeunesse sont peu nombreuses voire inexistantes. C’est dans ce contexte que s’ouvre la période dont je vais vous parler. Cette communication sur les grandes tendances de la littérature de jeunesse au cours de ces quinze dernières années doit beaucoup aux informations du groupe de critiques du Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature de Jeunesse (CRILJ).

 Le paysage de l’édition française pour la jeunesse depuis 1970

 . Les éditeurs

     De grands éditeurs scolaires – en dehors de l‘Ecole qui devient l’Ecole des Loisirs – comme Hachette, Hatier, Magnard vont eux aussi être sensibles, dans la littérature qu’ils produisent parallèlement pour les enfants, à l’impact du graphisme, mais aussi aux activités d’éveil de plus en plus pratiqués à l’école. D’autres grands éditeurs vont créer des départements jeunesse : celui qui domine ces quinze dernières années par l’abondance et la qualité de sa production est le département jeunesse de Gallimard fondé en 1972 par Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron, département qui deviendra très vite le lieu de rencontre des grands auteurs « maison » : Joseph Kessel, Albert Cohen, François-Marie Le Clézio, Michel Tournier, Claude Roy et des meilleurs illustrateurs du moment (Etienne Delessert, Nicole Claveloux, Jean Claverie, Claude Lapointe, Georges Lemoine, Henri Galeron, etc), d’abord dans les collections « 1000 Soleils », « Enfantimages », « Folio Junior », et depuis 1980, dans les collections « Folio Benjamin », « Folio Cadet », « Découverte Cadet ». D’autres éditeurs comme le Centurion, Albin Michel, Le Seuil, se lanceront aussi dans la littérature de jeunesse.

     Mais le phénomène qui a aussi beaucoup marqué les années 1970 est l’arrivée de petits éditeurs sur le marché tels La Noria, Léon Faure, La Marelle, d’Au, Le Sourire qui mord, Ipomée, Syros, qui ont renouvelé profondément les pratiques éditoriales et l’approche thématique de certains sujets. Avec des auteurs, des illustrateurs, souvent militants, pédagogues, ils ont voulu créer des images différentes en accord avec leur sensibilité, leur projet idéologique ou culturel ; ils se sont attachés dans la plus grande liberté à sortir des livres de transgression ou d’agression, à prendre en compte les enfants tels qu’ils sont plutôt que comme la société adulte se les représente.

     Ils ont cherché des solutions originales, souvent artisanales, aux contraintes de la conception et de la fabrication. Mais ils ont été freinés dans leurs réalisations par des problèmes d’ordre économique ou de distribution. De ce fait, plusieurs de ces maisons d’édition n’ont eu qu’une vie éphémère.

     Aujourd’hui, on compte en France sur 687 maisons, 87 éditeurs qui publient des livres pour la jeunesse : dans la plupart des cas, le secteur jeunesse n’est qu’un département de production à côté de la littérature générale ou des livres scolaires ; une dizaine d’éditeurs seulement ne font que du livre de jeunesse et trois maisons d’édition ont un double secteur livres et presse pour la jeunesse important. Cinq maisons d’édition font à elles seules 65% du chiffre d’affaire « Jeunesse » : Hachette, Gallimard, Les Presses de la Cité, Nathan, Flammarion.  

 . L’évolution du marché de l’édition pour la Jeunesse

     En un peu plus de quinze ans en France, le nombre de titres pour enfants publiés à l’année a été multiplié par 3,4 (1448 en 1965 – 4926 en 1983), et le nombre d’exemplaires mis en vente par 2,12 (31 millions d’exemplaires en 1965 – 66 millions d’exemplaires en 1983). Actuellement le livre de jeunesse dépasse le livre scolaire en nombre de titres et en nombre d’exemplaires mais non en chiffre d’affaires.

     Cette expansion, dans l’ensemble assez remarquable, ne doit pas cacher certaines zones d’ombre et des contrastes :

– cette progression ne s’est pas poursuivie d’une façon continue : s’il y a croissance accélérée de 1970 à 1979, depuis les chiffres fluctuent d’une année à l’autre et connaîtraient même une certaine stagnation malgré de légers progrès ces deux dernières années ;

 – dans le domaine des nouveautés, on note un recul de la catégorie « albums » et à l’inverse une assez nette augmentation de la catégorie « livres », ce qui est sans doute la conséquence de l’essor foudroyant du livre de poche jeunesse et du documentaire ;

 – le nombre des réimpressions représente environ 60% de la production annuelle totale, ce qui peut être interprété comme un pourcentage considérable ou comme un signe de succès et de la pérennité de certaines œuvres. Il aurait tendance à augmenter dans la catégorie albums et à rester stationnaire dans la catégorie livre ;

 – les conditions de distribution et de mise en place constituent encore bien des obstacles à la percée du livre pour la jeunesse en France : hormis les grandes surfaces qui représentent 15% des circuits de distribution, mais dont les produits livres sont souvent de médiocre qualité, les libraires assurent 45% de la vente jeunesse. Mais, sur 25 000 points de vente en France, il n’y en a que 2 000 pour la jeunesse ; et sur ce nombre on compte seulement 3 à 400 libraires ayant un rayon jeune très diversifié et 40 à 50 spécialisés jeunesse. Et, comme malgré certains efforts des pouvoirs publics, le réseau de bibliothèques est très inégalement implanté, le livre pour enfants n’est pas présent partout. Il y a donc pour les jeunes, un problème d’accès au livre. Ces déficiences sont compensées en partie par de nombreuses initiatives locales en faveur de la lecture mais en partie seulement selon les départements, ce qui a pour conséquence de renforcer les inégalités culturelles : ce sont les enfants appartenant aux milieux culturels privilégiés qui sont les plus gros consommateurs de livres ; ce sont les enfants appartenant aux milieux les plus défavorisés qui ont le moins de chance de rencontrer le livre et surtout les meilleurs œuvres de la production.

 Les tendances marquantes de la production

     Les albums, on l’a noté, ont opéré une véritable révolution graphique et culturelle, ce qui a modifié le paysage du livre d’images mais aussi des publics auxquels ils s’adressent maintenant. Les premiers bénéficiaires ont été bien sûr les jeunes enfants : cette tranche d’âge a bénéficié ainsi d’une floraison exceptionnelle de talents nouveaux tout en voyant son patrimoine se consolider et s’élargir avec l’extension du catalogue du Père Castor et l’arrivée de nouveaux éditeurs dans ce créneau. Mais les albums débordent aujourd’hui ce public : certaines œuvres illustrées de format albums s’adressent à d’autres catégories de la jeunesse (par exemple Thomas et l’infini de Michel Déon, illustré par Etienne Delessert aux éditions Gallimard). On peut donc parler d’une mutation éditoriale importante dans l’habitude des producteurs et des lecteurs.

     Mais le deuxième phénomène qui a modifié la physionomie de l’édition française pour la jeunesse durant cette période est l’essor foudroyant du livre de poche. Une première expérience tentée par Madame Rageot en 1971 resta sans lendemain. C’est Jean Fabre qui depuis 1975 a repris l’idée avec « Renard Poche » et « Lutin Poche ». Deux ans plus tard,   Gallimard lance sa fameuse collection « Folio Junior » qui comporte maintenant trois cents titres dont un tiers « d’œuvres maison », un tiers de reprises d’albums publiés par des confrères français, un tiers d’inédits français ou étrangers : de grands textes admirablement relayés par une mise en page et des illustrations d’époque ou signées des meilleurs artistes contemporains ; Gallimard s’intéresse aussi à l’image en poche avec « Folio Benjamin ». Magnard avec « Tire Lire Poche », Bordas avec « Aux quatre coins du temps », Hachette avec « le Livre de poche jeunesse », Nathan avec « Arc en poche », Casterman avec « l’Ami de poche », « Croque Livres », l’Atelier du Père Castor avec « Castor poche » se lancent à leur tour dans l’aventure. On compte en tout une vingtaine de collections de poche qui couvrent de petits livres d’images provenant ou non de réductions d’albums, des contes, légendes et romans pour moins de 8 ans, 8-12 ans, plus de 12 ans, des anthologies de poésie, des documentaires. Depuis cette percée du livre de poche, les jeunes et notamment les écoliers, ont à leur disposition, dans un conditionnement agréable et bon marché, les grands textes d’hier et d’aujourd’hui, français et étrangers. Mais la création littéraire dans ce secteur marque un peu le pas.

     La catégorie des documentaires pour la jeunesse est en pleine ébullition : ces livres représentent près de 50% des productions pour la jeunesse et ils ont tendance à proliférer dans le plus grand désordre, d’autant que la bataille du documentaire fait rage actuellement entre les éditeurs. Dans cette catégorie, il y a eu et il y a toujours beaucoup de faux documentaires aux sujets trop globalisants ou trop émiettés, aux images accompagnées de textes insignifiants ; il y a encore beaucoup de traductions et de coproductions qui relaient parfois, dans des adaptations mal transcrites, des informations mal adaptées ou non datées. Mais on observe aussi une part croissante d’œuvres françaises originales. Actuellement, la production française aligne trente collections publiées par quinze éditeurs, qui relèvent vraiment de l’information scientifique et technique. Certains thèmes sont surexploités : la nature, les animaux ; d’autres sont insuffisamment abordés : la chimie, la physique, la biologie, les objets, les techniques. Mais, fait étrange selon l’enquête du CRILJ de 1982, les enfants préfèrent pour s’informer sur le plan scientifique et technique : 1) regarder la télévision, 2) aller dans les musées, 3) consulter un livre. Il y a certainement à rechercher une meilleure adéquation entre les besoins des lecteurs, la demande des scientifiques et les offres des éditeurs.

     Dans la catégorie romans, contes et légendes, la situation est plus contrastée et plus inquiétante. Il existe quatre vingt collections bien étoffées et bien réparties pour lecteurs débutants, bons lecteurs, lecteurs chevronnés. Le développement de certaines d’entre elles en format de poche les rendent plus accessibles. Mais on constate aussi que :

– certaines valeurs sûres ne font plus autant recette sauf quand cette lecture est imposée par l’école ou par la famille. Certaines œuvres échappent bien sûr à ce désintérêt (Alphonse Daudet, Antoine de Saint Exupéry, Jules Renard, Mark Twain) ;

 – le roman social pour adolescents qui a été très en vogue après 1968 n’inspire plus aujourd’hui ni les éditeurs ni les lecteurs ;

 – les livres d’humour et d’aventures si recherchés par les 8-12 ans font quelque peu défaut ;

 – un genre en vogue depuis peu : les livres avec jeux de rôles et les interactions où le lecteur construit sa propre histoire mais où le livre reste maître du jeu (collection « Un livre dont vous êtes le héros », Ed. Gallimard) ;

 – les traductions dans le domaine des œuvres littéraires l’emportent largement sur les œuvres d’expression française. La production française qui avait aligné durant les années 1970-1980 un certain nombre de grands auteurs (Coué, Pelot, Solet, Garel, Massepain) semble avoir du mal à assurer la relève ; pourtant aux dires de certains éditeurs, de jeunes auteurs commencent à faire leur percée et à connaître le succès ;

 – comme sur le plan des tirages annuels, la production paraît étalée, la situation n’est pas alarmante mais le renouvellement des œuvres de fiction doit préoccuper tous ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse. 

     On peut ajouter un mot sur la Bande Dessinée. La B.D. a fait, en France, après mai 1968, un saut décisif : cantonnée jusqu’alors dans le monde des enfants, elle a conquis subitement et rapidement en deux ans le monde des adultes. De nouveaux créateurs, pas toujours chevronnés, se sont mis à raconter leurs phantasmes. Gros succès temporaires puis usure du genre. On revient aujourd’hui aux qualités du scénario et du graphisme. Mais le tirage global annuel s’en est ressenti (baisse de 30% en cinq ans) ; le nombre des réimpressions l’emporte maintenant sur les nouveautés ; et le tirage moyen par titre est tombé en cinq ans de 27 000 à 14 000, ce qui pose problème quand on connaît le coût des investissements dans ce genre de production. On note toutefois une remontée de ce tirage moyen en 1984.

     On ne peut clore ce chapitre sur la production sans évoquer l’image de marque du livre français pour la jeunesse à l’étranger. Cette image a profondément changé en quinze ans. D’abord un certain nombre d’auteurs et d’illustrateurs de notre pays ont atteint une notoriété internationale : une preuve toute récente en est le grand prix attribué cette année et pour la première fois, par la Biennale Internationale de l’Illustration de Bratislava, à un français, Frédéric Clément. Ensuite les éditeurs français ont acquis maintenant un savoir-faire qui les place en concurrence avec les producteurs étrangers les plus compétitifs : ils ont appris à manipuler les mécanismes complexes de la co-édition, à calculer pour certains leurs ratios économiques sur une exploitation internationale, à implanter pour d’autres des agents ou des filiales à l’étranger, voire, ce qui est plus rare, à vendre, comme les packagers anglo-saxons, leurs projets clé en main de conception et de fabrication. C’est pourquoi on peut espérer dans les années à venir un rayonnement plus grand de la production française mais aussi un développement de la création dans notre pays.

Un environnement culturel favorable à la lecture

     Ce retour en force de la littérature de jeunesse dans notre pays n’a été possible que parce que l’environnement culturel s’y est prêté. Certes cet essor est d’abord le fruit de l’innovation des éditeurs et des créateurs. Mais que serait-il advenu de ces efforts, auraient-ils même été engagés si les milieux éducatifs et culturels n’avaient pas favorisé et soutenu cette action ?

     L’école a reconsidéré, depuis quinze ans, dans son discours et dans ses pratiques, sinon toujours dans les moyens, la place du livre pour enfants. Des groupements comme le Groupe Français d’Education Nouvelle (GFEN), les groupes Freinet, l’Association Française pour la lecture (AFL) ont beaucoup fait pour l’éveil à la lecture, le plaisir de lire, l’expression de l’enfant. Les enseignants eux-mêmes ont bénéficié, non sans difficultés, de possibilités de formation à la littérature de jeunesse. Le développement des Bibliothèques Centres Documentaires (BCD) dans le premier degré, des Centres de Documentation et d’Information (CDI) dans le second degré, contribuent maintenant à faciliter l’accès de l’enfant aux livres, à l’inciter à l’utiliser pour son plaisir ou pour son travail scolaire. Les Projets d’Action Educative (PAE) introduisent des activités sur la lecture et des intervenants extérieurs (éditeurs, auteurs, illustrateurs) au sein même de l’école et contribuent à motiver les élèves pour la lecture. Cet aspect du problème a déjà été développé par ailleurs.

     Des institutions, comme les bibliothèques, les centres culturels ont beaucoup investi pour créer ce climat d’intérêt autour de la lecture en développant non seulement toutes les procédures traditionnelles comme l’heure du conte mais aussi toutes les ressources nouvelles qu’apporte une animation bien comprise dans ce domaine.

     Des associations comme « La Joie par les Livres », avec ses groupes de critiques, ses matériaux d’information, son action au niveau international et national, comme « Loisirs Jeunes » avec ses diplômes annuels et en particulier le prix graphique du Livre pour enfants créé en 1972, des vitrines comme la Bibliothèque des Enfants du Centre Pompidou, des organisations comme les Francs et Franches Camarades, Culture et Bibliothèques pour Tous, contribuent à faire connaître et soutenir les meilleures réalisations en faveur du livre et de la lecture.

     Mais plus originale encore est sans doute l’action du Centre de Recherche et d’Information du Livre de Jeunesse (CRILJ), créé en 1974, qui réunit en son sein, au niveau national et régional, des représentants de toutes les professions intéressées au problème du livre pour enfants (éditeurs, auteurs, illustrateurs, libraires, critiques, chercheurs, enseignants, bibliothécaires, animateurs culturels). Son existence et ses nombreuses initiatives favorisent des confrontations interdisciplinaires et interprofessionnelles à divers échelons et des actions communes sur le terrain grâce à ses vingt cinq sections régionales : circulation de malles de livres, débats, journées d’études, stages, interventions dans les écoles, animation, fête du livre. Le CRILJ ouvre aussi ses portes aux livres d’enfants dans des lieux ou des secteurs où jusqu’à présent il n’avait pas sa place : salons, professions médicales…

     On ne compte plus aujourd’hui en France les manifestations sur le livre et la lecture (colloques, semaines de la lecture, journées de formation, expositions, cycles de conteurs…).

    Parmi les événements les plus significatifs de ces dernières années, on peut relever :

 – sur les nouvelles pratiques de la lecture, les rapports entre culture orale et écrite : le colloque international du CRILJ « Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant » en 1979.

 – sur la création : le colloque national du CRILJ en 1982.

 – sur les illustrateurs : les expositions : « L’enfant et les images » organisée par le Musée des Arts Décoratifs en 1973, « la littérature en couleurs » organisée par la SPME en 1984, « Images à la page » organisée par le Centre Pompidou en 1985, mais aussi les expositions des illustrateurs pour enfants aux Salons du Livre et au Salons des Illustrateurs à Paris.

 – sur l’information scientifique et technique : les colloques nationaux de Strasbourg, de Paris, de Toulouse, de Marly mais aussi la mise en place d’un observatoire du livre et de la presse scientifique et technique pour les enfants avec le concours des pouvoirs publics, de musées, des associations spécialisées et des scientifiques eux-mêmes ; l’expérience pilote de recherche sur ordinateur des livres scientifiques et techniques menée avec des enfants par le CRILJ.

 – sur l’enfant et la poésie : un colloque national en avril 1986 organisé par le CRILJ.

 – en faveur de certaines catégories particulières d’enfants (enfants handicapés, enfants du Quart-Monde, enfants de travailleurs migrants) : de nombreuses initiatives d’associations des ouvrages originaux (ouvrages bilingues, ouvrages pour mal-voyants) des bibliographies thématiques, des rencontres spécialisées.

     Au-delà de cette énumération un peu sèche, il faut bien voir que nous assistons en France à un renouveau d’intérêt et à un redéploiement des actions en faveur de la lecture à tous les niveaux. Cette vogue touche les professionnels, la recherche, les milieux éducatifs et culturels et beaucoup de bénévoles. On regrettera toutefois que cette vitalité de la littérature de jeunesse ne soit pas suffisamment prise en compte par les autres médias : la grande presse et la télévision ne lui consacrent que peu de place. Il reste encore à toucher efficacement les premiers intéressés : les parents et les enfants eux-mêmes car avant d’amener l’enfant à la lecture, il convient d’amener le livre à l’enfant.

     Cette prise de conscience globale, ce concours de toutes les forces vives dans cette bataille de la lecture peuvent à terme changer le rapport de forces entre les médias mais aussi contribuer au développement culturel de l’enfant et du citoyen.

     « La lecture, disait Jacques Rigaud lors du colloque de 1979, apparaît comme quelque chose de paradoxal. Il n’y a pas en effet d’activité plus individuelle parfois même plus solitaire et qui en même temps soit davantage subordonnée à un environnement, à une vie collective, à un rapport social. Les nouvelles approches de la lecture sont étroitement liées à un contexte culturel d’innovation, de changement, de prise de responsabilités par les communautés ». Je crois que nous en faisons tous en ce moment l’expérience.

 Conférence donnée à Padoue en octobre 1985 au colloque franco-italien sur Lecture et Temps Libre pour la Jeunesse, dans le cadre des manifestations du 10ième Prix Européen de littérature pour la jeunesse.

( texte paru dans le n° 27 – janvier 1986 – du bulletin du CRILJ )

  colloque

S’intéressant particulièrement à la presse pour l’enfance et la jeunesse, Eudes de la Potterie fonde, en 1946, au sein des éditions Fleurus, un centre de documentation où il rassemble, quarante années durant, la totalité des publications périodiques francophones pour la jeunesse, un fort échantillonnage de publications étrangères et une très riche documentation sur le sujet. Cette collection est désormais, par convention, déposée à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulème. Actif au sein du Bureau International Catholique de l’Enfance, président de 1963 à 1974 de l’ADBS (Association des professionnels de l’information et de la documentation), Eudes de la Potterie siégea, dès 1949, à la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Homme de dialogue, il fut un administrateur du CRILJ aux contributions toujours parfaitement documentées.

 

 

 

 

Réflexion sur la création

 

 

 

 

 

 

Réflexion sur la création

par Madeleine Gilard

Pour quoi écrit-on ?

Il y a une telle variété de motivations qu’on a du mal à dégager une idée et à s’y tenir. On écrit souvent parce qu’on étoufferait sans cela.

L’écrivain allemand, Ludwig Renn, a dit un jour, dans une interview en France, que son père et son frère aîné étaient doués d’une grande facilité de parole. Se trouvant muet devant eux, il a plongé dans l’écriture.

On écrit aussi parce que l’on a vécu une expérience qui vous paraît unique. Si elle est bien racontée, transposée, avec authenticité, et colorée par la personnalité de l’auteur, elle aura peut-être bien ce caractère unique.

On peut écrire pour se souvenir, ou pour compenser ce qui a pu manquer dans une vie, pour compléter.

Il arrive que l’on écrive parce que l’on vous dit : « Vous qui racontez si bien les histoires, il faut les écrire. » Ce peut être parfait ; ce peut être désolant. Les enfants, petits-enfants ou élèves ont pu écouter avec ravissement une voix connue et aimée, mais sur le papier, on peut trouver un récit mièvre en paroles banales. Il faut cependant ne pas se décourager et travailler pour faire passer dans l’écriture le charme du récit oral. Je crois fermement à la possibilité de s’améliorer dans le domaine de l’écriture comme dans beaucoup d’autres.

Il y a pourtant bien des dangers et des tentations dans ce travail d’écrivain. Pour les auteurs féconds, qui ont de la facilité, du brillant, ce doit être presque irrésistible d’écrire vite, fréquemment, pour le plaisir de produire, d’être imprimé, d’être lu, et, pourquoi ne pas le dire, pour recevoir son droit d’auteur. Il est difficile, me semble-t-il qu’une production trop abondante reste toujours à son plus haut niveau de qualité.

Vivre de sa plume, c’est parfois normal et inévitable, mais c’est un danger à ne pas négliger. On est trop tenté d’aller vite. D’accepter n’importe quelle commande. Je ne sais si c’est fréquent. A un moment le bruit courait qu’écrire pour les enfants rapportaient. Je n’oublie pas que bien des chefs-d’œuvre en peinture ou en musique sont des œuvres de commande. Pour la littérature, j’en suis moins sûre. Cependant, il est des cas individuels et tout le monde n’a pas la chance d’avoir un gagne-pain qui permette de vivre et faire vivre les siens, en gardant aussi le temps, le temps, le goût et la force d’écrire.

Autant d’individualités, autant de façon d’écrire. Tout peut être valable si c’est fait de bonne foi. Aussi bien le roman d’aventures à la Jules Verne, que le roman d’anticipation moderne, le roman de la vie quotidienne, le roman psychologique.

Pour la jeunesse, il existe, bien entendu, des contraintes, mais pas plus que pour un écrivain qui s’adresse aux adultes, à moins que l’on ne considère le pêle-mêle et le laxisme comme une nécessité de l’écriture moderne.

Pour qui écrit-on ?

La réponse, là aussi, varie selon les individualités.

Je suppose que certains écrivains ont en tête des lecteurs bien définis, d’autres, anonymes, tout en étant réels, auxquels ils souhaitent s’adresser. Kipling a écrit pour « la mieux aimée » qu’il avait perdue. On peut aussi écrire sans penser au public, en égoïste, pour soi. Mais si l’on est de bonne foi et le thème intéressant, je pense qu’il y aura un public et que le jeune lecteur pourra dire : « C’est moi, me voilà ». Je ne veux pas parler spécialement d’autobiographie. Le lecteur peut se rencontrer à travers le personnage que l’auteur est ou aurait voulu être et dont il invente une représentation projetée hors de lui.

Les livres pour les « jusqu’à dix ans » sont ceux qui présentent, à mon avis, le moins de problèmes. Si l’on a un peu de fantaisie, d’observation, le souvenir spontané de sa propre attitude d’enfant, et le don d’observer les jeunes autour de soi, on risque souvent de réussir. Bien entendu, pour cette tranche d’âge – et aussi pour des enfants plus âgés – il y a le danger de moraliser, de guider. C’est une tentation sournoise, difficile à éviter. On est naturellement amené au « Fais pas ci, fais pas ça » et « Voilà comment il faudrait vivre ». Il ne faut pas craindre d’éviter les fins heureuses, si la logique de l’histoire ne le veut pas. Des parents divorcés peuvent rester séparés, des grands-parents aimés peuvent mourir. J’ai souvent parlé avec Marc Soriano de cette très réelle notion et préoccupation de la mort qui existe chez les enfants, et l’on devrait en tenir compte.

Dans les romans pour les 10-12 ans, je ne sais pas si l’on continue à insister sur la nécessité de les confronter aux « problèmes ». C’est un grand point d’interrogation. Dans le monde où nous vivons, on peut se demander si on a le droit de peindre un milieu douillet, empli de tendresse, alors que les enfants voient la violence autour d’eux, souvent parmi eux, de même que sa présentation sur les écrans. Lorsqu’on fait évoluer son petit monde où règnent la gaieté, l’ordre et l’affection, on se demande si on n’est pas en train d’écrire pour un petit nombre de favorisés, de faire un livre d’évasion, sans plus. C’est dans ce domaine que je situerai fortement la responsabilité du créateur. Pour faire vrai, on sera amené à parler de la violence, du marginalisme, du chômage et de la drogue, mais il faudrait s’arranger pour qu’à la fin, en quelques pages, l’espoir apparaisse pas de façon artificielle par l’intervention de personnages positifs, relativement muets jusque là ou soudainement apparus. On est tenté de le faire si l’on est soi-même habité par l’espoir. A-t-on tort ? Raison ? Si la logique de l’intrigue, la psychologie des personnages le permettent, alors, oui, il serait bon d’ouvrir la fenêtre sur un avenir meilleur.

Il y a un grand besoin d’amour et de sécurité chez les jeunes, même s’ils affectent le cynisme et l’indifférence ; et pas seulement chez les petits. J’ai été frappée une fois, par une émission télévisée qui présentait quelques scènes de l’Aiglon de Rostand devant un groupe de lycéens. Ils restèrent d’abord muets et fermés, puis ils parlèrent et plusieurs garçons que l’ombre de Napoléon paraissait laisser indifférents ont demandé avec étonnement, avec chagrin : « Mais sa mère, Marie-Louise, elle ne l’aimait donc pas ? »

Ceux-là ont peut-être besoin de trouver dans les livres des mal-aimés, mais des mal-aimés capable de chérir les autres et qui se préparent à aimer leurs futurs enfants…

Je regrette de ne pas voir plus souvent des romans mettant en scène des personnages dans leur travail quotidien. Souvent, l’on a vu dépeindre des carrières de sportifs, pilotes d’essai, danseuses, mais les auteurs semblent moins tentés par les débuts dans les métiers techniques ou manuels, la vie d’apprentis dans la mécanique, la boulangerie, la vente en magasin, la coiffure, la tenue de la caisse, la poste, le secrétariat, etc. avec tous les drames et comédies de chaque jour que cela peut comporter. Je ne parle pas de faire du roman populiste et s’il l’on veut décrire des tâches dans l’électronique ou le laboratoire de physiologie, pourquoi pas ? Je suis trop âgée; personnellement, pour me lancer dans des stages qui me révèleraient le mécanisme intérieur de certains métiers, mais je souhaiterais que de jeunes confrères et consœurs le fassent. J’ai connu des écrivains doués qui avaient fait de la musique de groupe, conduit des marionnettes à travers la France et l’Europe. Si on leur suggérait de trouver là un cadre pour leur prochain roman ou livre-document, ils paraissaient indécis, et le prochain manuscrit était souvent une fantaisie non dépourvue de qualité d’écriture mais se complaisant dans l’irréel et le fantastique. Faut-il devenir vieux pour attacher du prix, un climat aussi bien dramatique que comique au vécu de tous les jours ?

Pour en revenir aux thèmes difficiles de la violence, de la guerre, de la drogue, etc. et aborder en même temps la question des livres pour adolescents (les Américains disent « jeunes adultes »), ces thèmes ne seraient-ils souvent pas mieux traités dans des livres-documents et les jeunes ne les liraient-ils pas plus volontiers que des « romans pour adolescents » ?

Sur la sexualité, par exemple, il existe et il existera des essais et des livres-documents fort bien faits. Ce n’est pas que la question soit à exclure des romans, nous n’en sommes plus là. Mais souvent, il m’a semblé que l’auteur se forçait pour en parler, parce que l’évolution des mœurs le veut, et qu’il en résultait un curieux mélange de froideur et d’une certaine brutalité. Cela choquait à cause du manque d’émotion.

On se demande parfois, pourquoi les écrivains pour adultes se sentiraient forcés de pimenter leur ouvrage d’érotisme si cela ne les amuse pas, ni ne répond à leur mode d’interprétation de la vie par l’écriture. De même, l’auteur pour jeunesse n’est pas tenu d’aborder les relations sexuelles si son sujet ne l’exige pas. Et, s’il le fait, ne peut-il pas écrire si tel est son penchant, avec naturel et discrétion, comme il aborderait le sujet dans une conversation intime avec des amis. Il existe un art de l’ellipse et de l’allusion, de l’évocation en sous-expression. Après tout, bien que les jeunes aient un parlé fort cru, on trouve souvent chez eux une grande pudeur à respecter.

Je souhaiterais qu’on puisse réunir devant le public, par les médias, des auteurs pour la jeunesse qui disent comment ils ont commencé à écrire, comment cette maladie leur est venue, quels sont leurs découragements, leurs enthousiasmes, ce qu’ils éprouvent à la lecture des premières épreuves. Je souhaiterais des réunions d’auteurs, d’éditeurs, de bibliothécaires, d’enseignants et d’animateurs qui soient aussi vivantes, touchantes, drôles et même éclatant en chahut, en conflits et ces querelles où tout le monde parle à la fois, bref chargées de cette atmosphère qui fait une grand part du succès de certaines émissions célèbres. Si le public pouvait recevoir cela, il me semble que le respect, l’estime et la curiosité pour le livre de jeunesse et ceux qui le font ne feraient que croitre.

( texte paru dans le n° 22 – février 1984 – du bulletin du CRILJ )

madeleine gilard

Née en Espagne d’une famille d’origine protestante, passant ses étés en France, Madeleine Gilard apprend à lire avec son grand-père paternel pasteur dans le Sud-Ouest. Ayant fait toutes ses études à la maison, ne possédant aucun diplôme, elle maitrisera parfaitement, outre le français et l’espagnol, l’anglais, l’allemand et le russe. Vie de bureau pendant près de cinquante ans puis aux éditions La Farandole comme secrétaire littéraire. Paulette Michel, secrétaire administrative, la pousse à écrire et, en 1956, est publié un premier album, Le bouton rouge, illustré par Bernadette Desprès. Près de trente ouvrages suivront, pour tous les âges, dans une veine réaliste proche de Colette Vivier. Notons Anne et le mini-club (1968), La jeune fille au manchon (1972), Camille (1984). Madeleine Gilard a reçu en 1983 le Grand Prix de Littérature Enfantine de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre.

Peter Härtling

 

 

 

 

 

 Portrait d’un auteur par son traducteur

     C’était il y a maintenant plus de trois ans. On s’inquiétait chez l’éditeur allemand Beltz & Gelberg du fait que si quatre romans pour la jeunesse de Peter Härtling avaient été traduits en français, les autres ne trouvaient pas preneur. Il fallait trouver un nouvel éditeur français notamment pour Béquille, mais aussi pour Sophie fait des histoires, Les fugues de Théo, Derrière la porte bleue et Flo qui allait paraître. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je crois qu’à La Farandole, quand la proposition fut faite de publier Peter Härtlong, on n’hésita pas longtemps. A la grande satisfaction de tous les partenaires emportés par cette belle aventure, et dont je fais partie avec joie, puisque je viens de terminer, il y a quelques jours, ma cinquième traduction d’un roman de jeunesse de Peter Härtling, Derrière la porte bleue.

     Peter Härtling est l’un de ces écrivains allemands, plus nombreux que ses homologues français, qui alterne la littérature « pour adultes » et la littérature « de jeunesse » et qui contribue à ce que cette dernière soit prise au sérieux et constitue une branche maîtresse de l’arbre littéraire.

     Quelques mots de la biographie de cet écrivain majeur :

     Peter Härtlong est né en 1933 à Chemitz, en Saxe. Son père était avocat et, étant anti-fasciste, il ne put bientôt plus exercer sa profession. Il mourra au lendemain de la libération dans un camp de prisonniers russes. Sa mère se suicidera quelques semaines plus tard.

     Permettez-moi de vous raconter trois anecdotes qui expliquent l’écrivain.

     Pendant la guerre, la famille de Peter Härtling avait été balottée au gré des évènements tragiques, fuyant l’avance de l’Armée Rouge. Elle s’installa finalement à Zwettl, en Basse Autriche. Le jeune Peter, qui portait l’uniforme des jeunes nazis, vit de jeunes soldats et officiers organiser la résistance aux libérateurs russes : le Führer finirait bien par gagner la guerre. Un vieux médecin réussit à les persuader d’arrêter leur geste insensé, sinon la ville aurait brûlé. Quelques jours plus tard, Peter, qui portait toujours l’uniforme mais sans les insignes, jouait avec les soldats russes. Il vit venir à lui, en civil, un des anciens officiers nazis qui lui dit : « Espèce de petit nazi, nous allons te montrer comment on devient un démocrate. » Cette métamorphose le fit beaucoup réfléchir sur le sens du mot démocratie et ce que sont certains de ses défenseurs.

     Un autre souvenir que Peter Härling évoque volontiers est celui du jeune adolescent qui dut, en 1945, se rendre à pied avec sa tante, de Brünn à Zwettl, chez des parents tchèques. Des kilomètres et des kilomètres avec deux valises et un sac à dos. Il ne faisait pas bon parler allemand. Or, Peter Härtling ne connaissait que quelques mots de tchèque. Dès que quelqu’un lui parlait, il devait faire semblant d’être muet. Cette expérience de mutisme fut, dira-t-il dans son récit Der Wanderer, la première qui fit que, plus tard, il se mit à écrire. En faisant semblant d’être muet, il avait commencé à trouver les moyens de s’exprimer.

     La troisième souvenir est lié au lycée. Il avait un très bon professeur d’allemand qui l’avait initié aux grands écrivains. Ce professeur tombe malade avant le baccalauréat et il est remplacé par un professeur qui avait été nazi. Peter Härtling fit un exposé sur Thomas Mann et un autre sur Wollfgang Borchert. L’appréciation du professeur fut que ces deux écrivains avaient trahi leur patrie et étaient des déserteurs. Cet enseignant devint professeur principal et déclara à Peter Härtling :

–  Vous pouvez être sûr que vous aurez une mauvaise note en allemand.

 –  Vous voulez que je quitte l’école ?

 –   Oui.

 –  Alors, je m’en vais.

 –  Et je vous prie d’aller voir vos professeurs et de leur dire adieu.

     C’est ce que fit Peter Härtling, qui put se rendre compte de la sincérité de certains enseignants.

     Voilà l’homme dont la vie et l’écriture est faite de cette sincérité, qui travailla ensuite comme journaliste, puis comme éditeur, avant de devenir l’écrivain que nous savons.

     Peter Härtling est donc un de ces écrivains pour adultes reconnus qui n’écrit pas sporadiquement mais régulièrmeent pour les adolescents de 10 à 13 ans, c’est-à-dire pour cette tranche d’âge qui n’a pas encore atteint la puberté et qui est encore capable de curiosité.

     Au départ de cette vocation, Peter Härtling explique qu’il s’était mis en colère en voyant les livres que ses propres enfants rapportaient à la maison ou recevaient en cadeau. Il avait découvert une littérature infantile, idiote, une littérature qui ne prenait pas les enfants au sérieux, une littérature qui perpétuait les vieux mécanismes sociaux. Il décida donc de se mettre lui-même à l’épreuve, pour d’abord constater que, s’il savait écrire pour les adultes, il ne savait pas le faire pour les enfants, qu’il ne comprenait pas leur langue, qu’il ne connaissait pas leurs problèmes et qu’il ne savait pas grand-chose d’eux, alors qu’il avait lui-même quatre enfants. Il lui fallait changer de méthode.

       Peter Härtling fit parler ses enfants et leurs amis. Il les écouta et entendit ainsi leur façon de comprendre les choses et ce qui les intéressaient. Ces fragments de conversations devinrent un premier livre, …ind das ist die ganze Familie, qui sera suivi plus tard d’un récit connu en France sous le titre On l’appelait Filot. Il lui avait fallu deux longues années d’apprentissage pour se sentir enfin capable d’écrire pour les enfants. Peter Härtling me disait un jour, pour caractériser ce long parcours d’acquisition : « La plupart des écrivains, hommes ou femmes, qui écrivent pour les enfants, l’ignorent : la littérature pour les enfants n’est pas une petite littérature. C’est au contraire la littérature, une littérature très complexe qui doit être très simple. Cette simplicité, ce naturel est la chose la plus difficile qui soit en art. De loin, la chose la plus difficle. »

     En ce qui concerne le contenu, Peter Härtlng considère que la littérature est quelque chose qui apprend à vivre, mais indirectement puisqu’elle raconte. Tout ce qui fait que les hommes deviennent des hommes, tous les sentiments, toutes les émotions, l’amour, la haine, l’amitié, la peur, la tendresse, tout commence chez l’enfant et non pas chez l’adulte. Tout cela apparait dans l’enfance et commence avec une grande force puisque l’enfant est encore inexpérimenté et il est encore pur : le premier amour, la première colère, la première peur, le premier froid, la première chaleur, tout arrive pour la première fois. Les premières expériences sont de grandes expériences, des expériences fondamentales que l’écriture se doit de raconter, sans en exlure aucune : la peur de la mort, l’amour, par exemple, font partie de ces expériences. L’écrivain doit raconter comment les êtres vivent ensemble ou comment ils sont capables de le faire. Il doit raconter comment les choses se construisent, mais de telle façon que le lecteur comprenne que c’est lui qui a les choses en main, qu’il peut aimer mais qu’il peut haïr, qu’il peut avoir des amis et être aussi infiniment seul.

     D’où les thèmes extrèmement bien ancrés dans la vie quotidienne des jeunes que traitent respectivement les différrents romans de Peter Härtling : l’enfance handicapée, l’éducation par des grands-parents, l’amour entre deux enfants, l’amitié entre un adulte et un enfant, la fugue, la mort, l’arrivée d’un nouvel enfant qui risque d’être handicapé…

     Dois-je encore préciser que cette conception active de la littérature de jeunesse s’accompagne d’une pratique d’échanges avec le jeune public. Avant qu’un livre paraisse, l’écrivain le lit dans les classes. Il écoute les réactions et n’hésite pas à y apporter des modifications quand, par exemple, la tension se relache ou que des incompréhensions se font jour.

–  discours prononcé lors de la remise du Prix Natha Caputo-Enfance du Monde à Béquille publié en 1992 aux éditions Messidor-La Farandole  –

  ( texte paru dans le n° 45 – octobre 1992 – du bulletin du CRILJ )

        béquille

D’abord instituteur, puis journaliste, professeur d’allemand, auteur, chroniqueur pour le journal L’Humanité (littérature pour la jeunesse, poésie, traductions de l’allemand, de l’anglais et des langues d’Europe centrale), François Mathieu a, comme traducteur littéraire, permis que soient lus en français près de cent recueils de poèmes, essais, catalogues d’exposition, romans dont de très nombreux romans pour la jeunesse, notamment ceux de Christoph Hein, Isolde Heyne, Irina Korschunow, Christine Nöstlinger, Mirjam Pressler et Peter Härtling pour lesquels il a reçu plusieurs prix. « Chaque langue à sa propre logique, comme un tableau, un poème, un roman. A moi de faire mienne cette logique, cet autre système enrichissant du penser – y compris de me penser autrement que ce que me permet ma propre langue ! De marcher à côté de moi-même pour mieux me comprendre et comprendre les autres. » Membre de la commission jeunesse du CNL de 1998 à 2001, président de l’Association des traducteurs littéraires de France de 2000 à 2004, François Mathieu a publié en 2003, aux éditions du Jasmin, Il était une fois, première biographie en français consacrée à Jacob et Wilhelm Grimm.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Reconnaissance

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    J’ai, chers amis du CRILJ, reçu ce matin le bulletin numéro 62 et j’ai soudain pensé que vous seriez sans doute heureux de savoir que cette littérature de jeunesse pour laquelle vous ne cessez d’œuvrer a obtenu une sorte de consécration à Moutiers Sainte- Marie (Alpes de Hautes Provence), à 6 kilomètres du lac de Sainte Croix, 10 kilomètres des Gorges du Verdon est, surtout, comme au XIXième siècle, capitale de la faïence.

     En 1964, Magnard publiait mon second roman pour les adolescents Le colchique et l’étoile qui fut, en 1965, diffusé en feuilleton sur France-Culture grâce à Roger Boquié et Monique Bermond, puis adapté en téléfilm, pour la 2, en 1974, par Michel Subiéla.

     Il y eut d’autres romans chez Magnard, Hachette, Bordas, Pocket, mais c’est le Colchique qui me valut cette grande joie de donner mon nom – inretenable pour les adultes, mais mémorisé par les enfants parce qu’il les intrigue – à une école.

 ( courrier paru dans le n° 63 – novembre 1998 – du bulletin du CRILJ )

 ciravegna

 Née à Nice en 1925, Nicole Ciravegna fait ses études à Aubagne, Marseille, Aix-en-Provence et à l’École normale supérieure de Fontenay où elle entre en 1945. Professeur de lettres dès 1948, elle enseignera dans le midi jusqu’en 1985, année de la retraite. Passionnée d’histoire et de littérature, Nicole Ciravegna écrit, à compter de 1962, de nombreux ouvrages pour les enfants, les adolescents, les adultes, où elle traite de sujets graves comme l’accueil des enfants démunis dans Le sentier sous les herbes (1962),  la Deuxième Guerre Mondiale dans La rue qui descend vers la mer (1971) ou de la vie quotidienne comme dans la série des Chichois (à partir de 1979). Ses personnages sont chaleureux, authentiques et incarnent les valeurs d’amitié et de tolérance. En septembre 1999, le Grand Prix littéraire de Provence a couronné l’ensemble de son œuvre, soit, à cette date, vingt-deux romans.

« Mes élèves adolescentes aiment lire et font une totale confiance au professeur qui les conseille dans leurs lectures. Laissées à elles-mêmes, elle lisent la presse du cœur ; mais aidées et éclairées, elles ont d’intelligentes lectures. Elles ne demandent que cela : bien lire. Je connais bien les adolescentes, leurs problèmes, leurs bons et leur mauvais goûts, et il m’est relativement facile de composer des histoires dont les thèmes répondent à leur attente. »

Rue du monde, une histoire pas comme les autres

  

  

  

  

 

     Fin 1996, Alain Serres, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages pour la jeunesse crée une nouvelle maison d’édition indépendante. Sans aucun moyens financiers et loin des règles habituelles. En deux ans, la petite Rue du monde est parvenue à asseoir sa fonction dans le paysage éditorial mais aussi dans la société.

 Le jour de la décision

     Au milieu des année 1990, l’édition pour la jeunesse perdait un peu de ses couleurs. Des maisons d’éditions battaient de l’aile, d’autres disparaissaient. Les chemins de l’audace, des contenus et de l’exigence littéraire étaient de moins en moins nombreux, de plus en plus broussailleux. L’idée en tête depuis deux ans, Alain Serres a considéré qu’il était temps de proposer un espace différent pour encourager le regard critique et imaginatif des enfants sur le monde. Il prit l’avis de quelques libraires jeunesse, d’auteurs et de Pierre Marchand, alors directeur de Gallimard Jeunesse.

     Alain Serres refuse plusieurs propositions émanant d’autres maisons et, la veille du jour où il allait fêter ses quarante ans, il prend sa décision et fait le choix de l’indépendance totale vis-à-vis des grands groupes. Il se lance alors dans l’aventure avec plusieurs dizaines de projets de livres, de collections, mais à peine ce qu’il faut pour réaliser un tiers d’album. Plus une idée qui va lui, permettre de faire naître Rue du monde.

     En novembre 1996, Alain Serres lance un appel pour que se retrouvent ceux qui ressentaient les mêmes lacunes et aspiraient aussi à un pôle novateur. Il propose la réservation des quatre premiers titres de Rue du monde avant même leur parution. Mille souscripteurs relèvent le défi, essentiellement des enseignants, des bibliothécaires et des directeurs de centres de loisirs.

La rue de papier est lancée

     En trois semaines, le premier ouvrage, Le grand livre des droits de l’enfant, dont le manuscrit était prêt, est illustré, iconographié, imprimé et relié. Incroyables délais rendus possibles par la mobilisation chaleureuse de nombreux amis et professionnels. Les 250 premiers exemplaires arrivent tard dans la nuit, la veille de l’ouverture du Salon de Montreuil. Sur les 4m2 du stand, ils seront tous vendus et cet ouvrage est, dix ans apès sa parution, l’une des meilleures ventes, avec plus de 50000 exemplaires.

     Les quatre premiers titres en mains, Alain Serres essaie de convaincre un diffuseur-distributeur de relever le défi avec lui. C’est Frédéric Salbans et Bernard Coutaz, chez Harmonia Mindi, qui oseront s’ouvrir à la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont toujours partenaires.

 Editer, un sacré métier

     Il a fallu tout apprendre : comment faire des factures, comprendre la TVA, celle qui rentre et celle qui sort, louer un nouveau local, calculer le poid du papier. L’équipe compte aujourd’hui six personnes.

     En dix ans, plus de 8000 projets ont été reçus, 130 ont été publiés. Ils sont, le plus souvent, nés d’une rencontre autour d’une ébauche, d’une réaction de l’éditeur à un dessin, d’un propos lu ou entendu. Pour la plupart des livres, une sorte de jeu de ping-pong s’instaure entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur afin que les choix les plus pertinents puissent être faits en commun, au service du livre et de ses futeurs lecteurs.

     Née il y a dix ans de façon atypique, Rue du monde poursuit son travail pour titiller l’intelligence des enfants, attiser leur esprit critique et leur sensibilité artistique.

     Pour cette année anniversaire, des ouvrages forts, beaux et éclectiques : du travail d’orfèvre de François Place à l’humour de Pef, d’une Alice décapante à une succulente Cuisine tout en chocolat, des enfants des rues aux sans-papiers, de l’amour tout court à l’amour d’une terre en péril. Des images et des idées pour voir et rêver le monde.

( texte paru dans le n° 88 – décembre 2006 – du bulletin du CRILJ )     

 munich