Et que revienne la paix

 

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Ukraine : la solidarité en actes

Merci à Alain Serres, directeur des éditions Rue du monde, pour son autorisation de mise en ligne. Nous nous sommes permis un titre.                            

     Parce que nos collections sont largement ouvertes sur le monde, nous avons publié des livres venant de Russie ou d’Ukraine et, en particulier, les cinq livres du talentueux duo de jeunes talents ukrainiens Romana  Romanyshin et Andriy  Lesiv, très connu dans leur pays, honoré par trois distinctions à la Foire de Bologne du livre jeunesse.

    Nous sommes en contact avec tous ces amis. Nos posts sur les réseaux sociaux apportant de leurs nouvelles sont suivis par des dizaines de milliers de personnes.

    Ainsi, notre dernier message Facebook au sujet de Romana et Andriy a touché plus de 800 000 personnes, 7000 d’entre elles ont liké les propos émouvants et la photo des deux artistes, La guerre qui a changé Rondo en mains. Leur album date de 2015, mais il est très fort à partager aujourd’hui avec les enfants, en particulier pour ses valeurs de résistance et l’espoir qu’il offre aux jeunes lecteurs.

    Afin de répondre à la demande des enseignants, parents et bibliothécaires, qui cherchent des outils pour poser des mots sur cette effroyable guerre avec les enfants, Rue du monde a décidé de remettre en place en librairie ce livre si pertinent. Notre politique de sauvegarde des stocks, que nous menons de puis 25 ans avec le soutien de notre diffuseur-distributeur Harmonia Mundi, nous permet de remettre en circulation 1500 exemplaires de cet album, dès ce lundi 7 mars.

    J’ai souhaité que ce geste s’accompagne d’une action solidaire : nous reverserons 1 euro par livre vendu au compte Urgence solidarité Ukraine du Secours populaire français, en commençant, par un versement de 1000 euros, effectué la semaine dernière parce que l’urgence, c’est maintenant.

    De l’autre côté de la frontière ukrainienne aussi, l’émotion est grande. Nos amis russes, avec lesquels nous avons notamment publié Le Transsibérien, il y a trois mois, nous informent qu’un courageux appel pour que cesse immédiatement cette guerre a été signé par plus de 10 000 illustrateurs, graphistes et professionnels de l’image.

   Nous appelons à ce que, parallèlement aux sanctions économiques justement infligées à l’État russe, les professionnels européens de la culture agissent pour que soient maintenus des liens solidaires avec tous ces acteurs de la culture qui portent les émotions, les rêves de paix et l’identité du peuple russe, au risque d’être privés de leur propre liberté.

par Alain Serres – dimanche 6 mars 2022

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Romana Romanyshin et Andriy Lesiv envoient de leurs nouvelles

     « Nous sommes relativement en « sécurité ». Nous avons décidé de déménager de Lviv à la maison des parents d’Andriy, dans la région de Karpaty (dans le sud-ouest du pays). Sécurité, signifie que, pour l’instant, il n’y a ni chars ni combats dans nos rues, mais nous entendons régulièrement des sirènes de raids aériens et nous devons nous rendre à l’abri anti-bombardement.

    Nous ressentons toute la gamme des sentiments – peur, chagrin, horreur, colère, fierté, détermination, confusion qui se transforme en calme.

    Nous ressentons de la peur pour notre famille, du chagrin pour les Ukrainiens tués, nous ressentons de l’horreur envoyant nos villes brûlées, de la colère et de la haine envers les envahisseurs, de la détermination à les battre, de la fierté pour notre pays. Nos pensées confuses sur l’avenir s’apaisent lorsque nous voyons nos courageuses Forces armées ukrainiennes.

    La seule chose que nous ne ressentons pas, c’est la solitude. Tous les Ukrainiens sont tellement unis, nous ne faisons qu’un. Chacun fait ce qu’il peut pour aider à sauver notre peuple, notre Ukraine. Et nous ressentons le soutien de nos amis du monde entier. »

    Cinq livres de Romana Romanyshyn et Andriy Lesiv sont publiés, en français, chez Rue du monde, dont trois ont été primés à la Foire de Bologne : Maïa qui aimait les chiffres ; Dans mes oreilles, j’entends le monde ainsi que La guerre qui a changé Rondo, album écrit après la guerre de 2014. Dernière parution en 2021 : D’ici jusqu’à là-bas.

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Une voix venue de Moscou

     Une jeune collègue travaillant dans l’édition en Russie a fait parvenir à Rue du monde un message fort et courageux.  Quelques extraits :

    « Sachez que vos partenaires russes – éditeurs, auteurs, artistes, traducteurs, éditeurs – sont toujours les mêmes, ceux-là qui ont fait de leur mieux pour construire des ponts culturels et partager des valeurs humaines avec vous.

     Notre manière à nous de lutter contre la terrible réalité d’aujourd’hui est de poursuivre notre travail, de partager encore et encore des idées d’humanité, la force des mots et celle de l’art.

    Sincèrement, je ne sais pas comment nous y parviendrons ; tout est trop sombre aujourd’hui. Mais nous continuerons à travailler, à lutter pour la vérité et la liberté.

    Toutes mes pensées vont au peuple ukrainien. Nous ne sommes pas des ennemis ! Et, quels que soient les événements actuels, telle est la vérité. »

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Un été de déconfiture

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Après ce printemps de confinement, s’annonce un été de déconfiture

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Cinq questions-clés et cinq bulles d’air urgentes pour réanimer l’édition jeunesse indépendante en danger.a

    La situation est violente pour le maillon fragile de la chaîne du livre que nous sommes. Les chiffres laissent à penser que Rue du monde s’achemine vers une baisse de 30 à 40 % des ventes de livres sur 2020, comme la plupart de nos confrères. Les libraires et les éditeurs indépendants des grands groupes ne tenaient déjà qu’à un fil ! Pour les auteurs et les illustrateurs, travailleurs solitaires qui ne vivent souvent que grâce à des animations dans les classes, annulées, des salons, déprogrammés, et bien des projets éditoriaux, désormais repoussés… c’est quasiment le désert. Période très rude enfin pour les imprimeurs que nous faisons travailler (pour ne pas fabriquer à 10 000 kilomètres de chez nous) ; leurs machines, elles aussi, ont dû se taire.

    Pourtant, ces frêles maillons de la chaîne du livre indépendant constituent bien la force de l’édition française, tout particulièrement en littérature jeunesse. Elle offre une fabuleuse vitrine de talents. Un fourmillement d’audaces et de diversités qui fait rêver les créateurs du monde entier même si notre pays la méconnaît gravement. Comment allons-nous sauver cette source d’inventions en mots et en images ?

    Sous l’impact de la lourde boule de virus que nos petites maisons prennent en pleine arcade, les interrogations se bousculent pour éviter la démolition :

  1. Les recettes d’avril sont à zéro et le chômage partiel ne nous a toujours pas été payé pour le mois de mars. Sans recette durant deux mois, probablement plus, comment va-t-on financer les prochains projets pourtant indispensables au retour des yeux curieux dans les librairies.
  1. Avec tous les doutes sur un redémarrage des ventes « comme avant », comment les petits éditeurs vont-ils réussir à ne pas supprimer d’emploi dans leurs équipes de 3 ou 4 salariés.
  1. Comment poursuivre nos efforts pour maintenir, dans nos stocks et notre catalogue, les titres du fonds à faibles ventes annuelles (qui ne sont pas forcément les moins bons…), malgré les surcoûts que cela entraîne chaque année.
  1. Comment les petits éditeurs vont-ils avoir assez de trésorerie pour régler les droits d’auteur 2019, parvenir à payer chacune de leurs factures, ne pas cesser de communiquer pour faire connaître leurs productions, ne pas se replier sur eux-mêmes ?
  1. Comment le réseau des libraires va-t-il non seulement sortir indemne mais parvenir à se densifier ? Nous avons besoin qu’il s’étoffe dans bien des territoires, pour se rapprocher des lecteurs potentiels…

    Je pourrais en écrire des pages. Ce sont nos angoisses de chaque jour et de chaque nuit. Mais je veux surtout resserrer mes pensées autour de quelques espoirs. Voici donc des propositions. Elles visent à réanimer d’urgence l’édition jeunesse indépendante en grandes difficultés, au-delà des aides de circonstances ou des aimables propositions de crédits des banques. Et si nous saisissions la vague pour rêver plus haut les années à venir ?

     Cinq propositions de bulles d’air :

  1. Nous avons besoin d’un vaste plan public d’acquisition de livres. Des enveloppes exceptionnelles allouées par les régions aux lycées pour acheter des livres récents ; et par les Conseils départementaux, aux CDI des collèges et aux Bibliothèques départementales qui irriguent les territoires.
  1. Au plus près des enfants, les maires ont les clés des bibliothèques municipales et des écoles. Il faut notamment que cesse cette érosion régulière qui ronge chaque année les budgets d’acquisitions et d’animation dans de plus en plus de médiathèques. Les élus locaux ont un rôle décisif à jouer pour que, dans leur commune, la lecture soit une fête qui n’exclut personne. C’est une des missions majeures du service public parce qu’elle fonde la démocratie.
  1. Parallèlement, les ministères de la culture et de l’éducation doivent décider de dotations exceptionnelles pour que les écoles du pays deviennent véritablement des écoles du livre et de la lecture. C’est l’occasion de redonner des moyens aux BCD ( bibliothèques d’écoles) qui s’essoufflent dans trop d’écoles maternelles et élémentaires. Les listes conseils ne suffisent plus ! Il faut des livres, en nombre, des formations et des moyens humains pour les faire vivre. Ce serait une action-ricochet qui contribuerait aussi à relancer toute la chaîne du livre, des auteurs aux libraires, des imprimeurs aux petits éditeurs.
  1. Parce que rien ne remplace un vrai livre que l’on possède, il faut que des chèques-lire arrivent massivement dans les familles qui en ont besoin. Ils permettraient à beaucoup de découvrir le chemin de la librairie. Il faut que les CAF, mais aussi les comités d’entreprise, les élus territoriaux, offrent régulièrement des livres, pour marquer les événements de la vie de l’enfant. Des cadeaux symboles souvent porteurs de sens sur le vivre ensemble, les enjeux planétaires ou tout simplement du bonheur de devenir, un jour, un adulte lecteur.
  1. N’est-ce pas enfin le moment de prendre des mesures techniques attendues depuis longtemps comme des tarifs postaux pour les livres alignés sur ceux de la presse ou comme ces encouragements financiers qui accompagneraient les éditeurs faisant le choix d’imprimer en France à un coût bien supérieur aux devis venus de Chine ou de Malaisie ? La sortie envisagée de cette crise historique ne pourrait-elle pas être l’occasion de mettre la barre haut pour une ambition culturelle exigeante et justement partagée ? Pour davantage de respect de la planète par le monde de l’édition ? Sur la remise en question des volumes astronomiques de production des grands groupes de l’édition ? Pour pouvoir survivre, les petites maisons, dont le faible nombre de titres publiés est balayé par l’ouragan croissant des parutions, doivent en effet parvenir à mieux vendre chacun de leurs titres sinon bon nombre d’entre elles disparaîtront, asphyxiées. Chacun de ces éditeurs a pourtant une place unique dans le paysage de l’enfance de notre pays.

  

    Chez Rue du monde, nous essayons, par exemple, d’apporter du neuf sur le rapport au monde naturel, sur une citoyenneté fraternelle, une éducation à la liberté, à l’art, au rêve et à la poésie comme autant de moyens pour mieux réussir ensemble nos vies. Nous avons décidé de réagir à la crise en faisant ces quelques propositions. Et, pour la première fois en bientôt 25 ans, nous allons aussi lancer un appel à tous ceux qui sont  attachés à l’identité originale que nous avons construite en quelque 500 livres : familles, enseignants, libraires, bibliothécaires, associations, réseaux solidaires… leur soutien va être la clé de nos prochains mois. »

par Alain Serres  (lundi 4 mai 2020)

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Alain Serres est né à Biarritz en 1956. D’abord enseignant en école maternelle, son premier album, Pain, beurre et chocolat, est publié à La Farandole en 1992. Auteur de nombreux ouvrages chez de nombreux éditeurs (Nathan, Gallimard, Albin Michel, Syros, Cheyne, etc), il a réalisé avec Pef, pour Canal J et France 3, « Les Pastagums », série d’animation diffusée en 1994. En 1997, il crée par souscription les éditions Rue du monde afin de présenter aux enfants « des livres qui leur permettent d’interroger et imaginer le monde ». Premier ouvrage : Le Grand Livre des droits de l’enfant., toujours au catalogue. Alain Serres rencontre volontiers ses jeunes lecteurs pour parler de ses livres ou animer des ateliers d’écriture et il est souvent partie prenante de rencontres et de formations au cours desquelles il explique aux médiateurs du livre que si sa « maison porte des engagements, elle n’oublie jamais l’art et la littérature, en développant des vibrations artistiques et littéraires, non des slogans. »

 

Rue du monde, une histoire pas comme les autres

  

  

  

  

 

     Fin 1996, Alain Serres, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages pour la jeunesse crée une nouvelle maison d’édition indépendante. Sans aucun moyens financiers et loin des règles habituelles. En deux ans, la petite Rue du monde est parvenue à asseoir sa fonction dans le paysage éditorial mais aussi dans la société.

 Le jour de la décision

     Au milieu des année 1990, l’édition pour la jeunesse perdait un peu de ses couleurs. Des maisons d’éditions battaient de l’aile, d’autres disparaissaient. Les chemins de l’audace, des contenus et de l’exigence littéraire étaient de moins en moins nombreux, de plus en plus broussailleux. L’idée en tête depuis deux ans, Alain Serres a considéré qu’il était temps de proposer un espace différent pour encourager le regard critique et imaginatif des enfants sur le monde. Il prit l’avis de quelques libraires jeunesse, d’auteurs et de Pierre Marchand, alors directeur de Gallimard Jeunesse.

     Alain Serres refuse plusieurs propositions émanant d’autres maisons et, la veille du jour où il allait fêter ses quarante ans, il prend sa décision et fait le choix de l’indépendance totale vis-à-vis des grands groupes. Il se lance alors dans l’aventure avec plusieurs dizaines de projets de livres, de collections, mais à peine ce qu’il faut pour réaliser un tiers d’album. Plus une idée qui va lui, permettre de faire naître Rue du monde.

     En novembre 1996, Alain Serres lance un appel pour que se retrouvent ceux qui ressentaient les mêmes lacunes et aspiraient aussi à un pôle novateur. Il propose la réservation des quatre premiers titres de Rue du monde avant même leur parution. Mille souscripteurs relèvent le défi, essentiellement des enseignants, des bibliothécaires et des directeurs de centres de loisirs.

La rue de papier est lancée

     En trois semaines, le premier ouvrage, Le grand livre des droits de l’enfant, dont le manuscrit était prêt, est illustré, iconographié, imprimé et relié. Incroyables délais rendus possibles par la mobilisation chaleureuse de nombreux amis et professionnels. Les 250 premiers exemplaires arrivent tard dans la nuit, la veille de l’ouverture du Salon de Montreuil. Sur les 4m2 du stand, ils seront tous vendus et cet ouvrage est, dix ans apès sa parution, l’une des meilleures ventes, avec plus de 50000 exemplaires.

     Les quatre premiers titres en mains, Alain Serres essaie de convaincre un diffuseur-distributeur de relever le défi avec lui. C’est Frédéric Salbans et Bernard Coutaz, chez Harmonia Mindi, qui oseront s’ouvrir à la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont toujours partenaires.

 Editer, un sacré métier

     Il a fallu tout apprendre : comment faire des factures, comprendre la TVA, celle qui rentre et celle qui sort, louer un nouveau local, calculer le poid du papier. L’équipe compte aujourd’hui six personnes.

     En dix ans, plus de 8000 projets ont été reçus, 130 ont été publiés. Ils sont, le plus souvent, nés d’une rencontre autour d’une ébauche, d’une réaction de l’éditeur à un dessin, d’un propos lu ou entendu. Pour la plupart des livres, une sorte de jeu de ping-pong s’instaure entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur afin que les choix les plus pertinents puissent être faits en commun, au service du livre et de ses futeurs lecteurs.

     Née il y a dix ans de façon atypique, Rue du monde poursuit son travail pour titiller l’intelligence des enfants, attiser leur esprit critique et leur sensibilité artistique.

     Pour cette année anniversaire, des ouvrages forts, beaux et éclectiques : du travail d’orfèvre de François Place à l’humour de Pef, d’une Alice décapante à une succulente Cuisine tout en chocolat, des enfants des rues aux sans-papiers, de l’amour tout court à l’amour d’une terre en péril. Des images et des idées pour voir et rêver le monde.

( texte paru dans le n° 88 – décembre 2006 – du bulletin du CRILJ )     

 munich