La littérature francophone pour enfants : réalité d'Europe et du Québec

    Le nombre de livres pour enfants publiés en français chaque année, la qualité, la pertinence de leurs contenus, la valeur accordée par l’adulte à l’utilisation de cette littérature, ainsi qu’à la réalisation d’activités s’y rapportant, sont des facteurs qui témoignent de sa présence et de l’intérêt qu’on y accorde dans les sociétés modernes. S’y attardant, bon nombre d’adultes d’Europe, d’Amérique ou d’ailleurs, contribuent au développement du goût permanent de la lecture notamment.

    Le Québec ne fait pas exception à ce fait. Ainsi, en milieu scolaire ou parascolaire, plusieurs ouvrages de littérature jeunesse publiés en français sont utilisés dans le cadre d’activités spécifiques auprès d’une clientèle d’enfants, les bibliothécaires et les conseillers pédagogiques, en fonction des intérêts et des préoccupations inhérentes aux enfants en cause ici, ces réalisations visent à accompagner l’enfant en voie de maturation, dans les étapes de développement intellectuel et psychologique auxquelles il est parvenu ; la connaissance, la compréhension, l’intégration de certains concepts, situations, comportements, etc, constituant la pierre angulaire sur laquelle repose une croissance harmonieuse. Evolution de l’enfant grâce au support de la littérature écrite à son intention. Dépassement également !

    A la lumière de ces brèves constatations, il apparaît réaliste de dégager que bon nombre d’orientations, d’objectifs, de priorités, voire d’activités liées aux livres pour enfants et à leurs utilisations en milieu scolaire ou parascolaire, soit en France ou au Québec revêtent un caractère identique et/ou complémentaire.

    Toutefois, il importe de souligner ici le caractère différent de la formation prévalant actuellement en France et au Québec, en regard de la formation des étudiants qui se destinent à enseigner aux enfants en primaire, en l’occurrence ceux dont l’âge varie entre 4-5 ans et 12 ans.

    De niveau universitaire au Québec, et d’une durée moyenne de 3 ans à temps plein (90 crédits de 15 heures de cours chacun), ce type de programme de formation propose aux étudiants des cours portant sur l’étude de plusieurs disciplines enseignées à l’école primaire. Parmi elles, la littérature pour enfants.

    Ainsi, à l’Université Laval, à Québec, la majorité des étudiants qui terminent ce programme d’études de 1er cycle, soit 17 ans de scolarité excluant le niveau scolaire, ont complété 3 ou 6 crédits en littérature pour enfants, selon le cas. D’autres part, des cours dans cette discipline sont également offerts dans le cadre d’un programme de formation à distance structuré à l’intention des maîtres en exercice, enseignant dans des régions avoisinantes de la Communauté urbaine de Québec.

    A l’intention des étudiants ayant obtenu un premier diplôme et désireux de poursuivre des études universitaires de maîtrise ou de doctorat, la faculté des Sciences et de l’Education de l’Université Laval propose plusieurs champs d’études et de recherches, dont celui de la littérature pour enfants. Ainsi, l’étudiant de 2ème ou 3ème cycle peut s’inscrire à 12 crédits de cours dans cette discipline, soit 6 crédits de cours en groupe et 6 crédits de cours individuels.

    Ailleurs au Québec, les Universités de Sherbrooke, Montréal et plusieurs autres, celles faisant partie du réseau des Universités du Québec notamment, proposent également un ou plusieurs cours de littérature pour enfants à leur clientèle respective. A cela s’ajoute des programmes de certificat de 1er cycle universitaire développé récemment à l’Université du Québec à Montréal.

    La majorité des cours en cause dans les programmes énumérés précédemment reposent sur l’utilisation d’ouvrages de jeunesse francophones publiés en Europe ou au Québec. D’où la présence de la littérature enfantine à l’école primaire, présence qui se distingue nettement de celle assurée par différentes méthodes d’apprentissage du langage oral et écrit.

    Désormais, les enfants du Québec apprennent à découvrir la richesse et la profondeur des thèmes développés dans les ouvrages publiés en français, soit au Québec, soit en Europe. Ainsi les jeunes peuvent-ils acquérir des connaissances, vibrer à des émotions, développer leur imagination, de semblable façon que s’y adonnent les autres enfants francophones du monde, qui lisent et apprécient les livres créés à leur intention, en Europe, au Québec et ailleurs.

    Sans doute est-ce par intérêt soutenu pour la littérature d’enfance et de jeunesse, par souci d’approfondir et d’enrichir certaines habilités d’ordre intellectuelle ou pratique, que bon nombre de québécois et de québécoises œuvrant dans ce domaine souhaitent réaliser des séjours « d’études » en France. Pays où de nombreuses manifestations s’articulent autour de la littérature jeunesse, où la majorité des livres publiés en français sont produits, où évoluent des théoriciens et des praticiens.

    Dans le cadre d’une année sabbatique, j’ai opté pour la réalisation d’un séjour de ce type. Au nombre des objectifs poursuivis, la réalisation de certaines étapes liées à l’élaboration d’un cours télévisé de 13 émissions de 57 minutes chacune, en littérature pour enfants.

    Cette série télévisée sera accessible aux étudiants sous deux formes différentes, soit en formule auto-enseignement réalisée en laboratoire à l’Université, soit dans le cadre de la programmation régulière des réseaux publics de télévision francophones au Canada.

    Un projet ambitieux qui vise à répondre aux attentes de centaines d’étudiants qui souhaitent suivre ce cours, chaque année. A ce jour, un grand nombre ne peut y parvenir, le dit cours étant réservé à un nombre limité d’étudiants (environ 300 par année) inscrits au programme de formation des maîtres. D’où une ouverture déterminante du domaine de la littérature pour enfants et qui vise à en favoriser l’étude aux étudiants inscrits à différents programmes d’études de l’Université Laval, de maîtres en exercice, de conseillers pédagogiques, de bibliothécaires, etc.

    Emissions de télévision privilégiant l’étude de chaque genre de cette littérature, de différents aspects de l’animation du livre pour enfants, etc. Cours télévisés reflétant la diversité et la complémentarité des thèmes abordés et des approches retenues par les théoriciens, les formateurs, les utilisateurs de ces livres. Et ce, aussi bien en France qu’au Québec.

    Projet structuré en étroite collaboration avec le Service des Ressources Pédagogiques de l’Université Laval, où réalisateurs, conseillers pédagogiques, techniciens, etc. participent activement aux étapes de préparation et de production de chaque émission.

    A cette fin, il m’importe de parachever actuellement en France en France des entrevues, des discussions avec des spécialistes en littérature pour enfants ou des créateurs d’ouvrages destinés aux jeunes. Mais aussi de participer à des colloques, de rechercher du matériel visuel ou audio-visuel approprié, etc.

    Une tâche passionnante grandement facilitée grâce à l’accueil généreux et au soutien assidu du CRILJ. Sans conteste, une collaboration judicieuse et déterminante du succès de la démarche que j’effectue présentement.

    Saurais-je évaluer correctement la valeur d’un séjour de ce type ainsi que des bienfaits qui en découleront ? Je vous invite à venir au Québec et à le demander plutôt aux enseignants ayant une formation en littérature pour enfants. Mais aussi aux enfants qui fréquentent le réseau scolaire et parascolaire dans lequel les adultes appliquent les connaissances acquises et requises dans ce domaine.

( texte paru dans le n° 40 – septembre 1990 – du bulletin du CRILJ )

 

Professeure titulaire en didactique de la littérature d’enfance et de jeunesse à l’Université Laval (Québec) pendant plus de trois décennies, Charlotte Guérette (1946-2010) a mené des recherches portant sur la littérature et le conte, publiant plus de vingt ouvrages sur des sujets tels que les contes traditionnels et l’utilisation des livres pour enfants dans l’enseignement. Citons Peur de qui ? Peur de quoi ? Le conte et la peur chez l’enfant (Hurtubise 1991), et Au cœur de la littérature d’enfance et de jeunesse (La liberté 1998). Charlotte Guérette fut la première, en 1991, à créer un cours télévisé de 13 épisodes sur la littérature jeunesse. Prix Claude Aubry 2008 d’IBBY Canada et de l’Union internationale pour les livres de jeunesse pour sa contribution à la diffusion de la littérature pour enfants, elle avait constitué une collection de près de 30 000 albums, contes, œuvres de poésie et de théâtre, bandes dessinées, romans et livres documentaires pour l »enfance et la jeunesse, la plus importante de la francophonie en milieu universitaire, dont elle a fait don à l’Université Laval.

Les éditeurs français face à l’Europe

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     Les éditeurs français de livres pour la jeunesse sont-ils, face à l’Europe, considérés comme innovateurs ou sont-ils à la traine ?

     D’abord, qui est concerné ? Les éditeurs industriels et déjà internationalisés depuis longtemps ou la littérature et l’art graphique français ?

     Quelles conséquences à long terme ? Pour l’évolution des mentalités des générations 2000 ? Pour celles des jeunes lecteurs d’une part, celles des admirateurs étrangers de la culture française d’autre part ?

     La Foire de Bologne a fêté le printemps dernier ses 25 ans d’existence. Les stands de quelques 1190 éditeurs exposaient la production de 55 pays.

     De cet ensemble de livres (présentés par pays) se dégage, pour le visiteur attentif, les lignes pédagogiques sous-jacentes qui déterminent les nouveaux comportements de lecture, mais aussi, liés alors aux contextes socio-économiques, les modes artistiques lancées par des personnalités fortes de créateurs que ceux-ci soient éditeurs, concepteurs ou illustrateurs, plus rarement romanciers jusqu’à maintenant.

     Avec l’industrialisation, le vocabulaire se modifie. Le livre n’est plus une œuvre mais un produit à rentabiliser par une diffusion et une vente rapide.

     Dans la rationalisation des écoulements de cette production sur un marché de dure compétition, nous pouvons le reconnaitre, les livres d’audience limitée comme les romans « littéraires » ou les albums d’artistes trouvent de plus en plus difficilement leur place.

     Selon les statistiques du Syndicat National de l’Édition, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse en Francophonie représente 10 % du chiffre d’affaire de l’ensemble de l’édition avec quelques 550 collections, 4500 titres au tirage moyen de 13000 exemplaires dont plus de 55 % de traduction sur l’ensemble des titres parus en 1987. 112 sont des rééditions, 2738 des réimpressions en poche, reste donc, pour la création, 1970 titres à répartir entre bandes dessinées, ouvrages documentaires, ouvrages à caractère historique, livres-jeux, livres pratiques, romans et livres d’images.

        Sur quoi faut-il juger de la novation ?

     Sur le production des technocrates qui savent renouveller les emballages et qui assurent, sans risque financier mais avec honnêteté intellectuelle, la pérennité des textes classiques en direction du plus large public ?

     Ou sur l’œuvre d’avant-garde, pleine d’inventivité, conçue, créée, composée avec passion par une équipe artisanal, avec tous les aléas de diffusion et, par conséquent, de rentabilité que cela comporte ?

 ( article paru dans le n°35 – mars 1989 – du bulletin du CRILJ )

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.  

  despinette