Nadèjda Garrel

 par Raymond Rener

     Quand je t’ai connue, en 1978, tu portais le prénom de Nadine et, par la suite, je le répétais. Tu me reprenais en me disant avec tes yeux malicieux, mais d’un ton impératif : « Je m’appelle Nadèjda. »

     Nadèjda, amie proche et lontaine …

 Lointaine

     En 1976, sortait ton best seller chez Gallimard Jeunesse, en Folio Junior, Au pays du grand condor, qui, chaque année, est encore vendu à 10 000 exemplaires, avec la couverture de Jean-Michel Nicollet et les illustrations intérieures de Bernard Héron.     Puis vinrent Les princes de l’exil, toujours en Folio Junior, illustré par Georges Lemoine.

     Tu as beaucoup écrit et bien écrit.

     Un de mes plus beaux souvenirs avec toi, cette rencontre avec les jeunes de la bibliothèque de Dijon à propos du Pays du grand condor. Eblouissant ! Je me souviens de la décoration et de la mise en scène théâtrale d’une séquence de ton livre joué par les jeunes acteurs.

     Et puis, avec tes livres, nous avons parcouru les salons, les manifestations, les débats, les signatures … Et ton chapeau cloche suivait.

     Nous n’avons jamais cessé de nous rencontrer et puis j’ai quitté Paris.

 Proche

     Thierry, ton mari, me dit m’avoir beaucoup cherché. Et pourtant, nous étions si proches, toi à Varengeville et moi à Rouen, dans le même département. Il n’a pu me prevenir qu’une semaine après l’acte final.

     Je me souviens de ton sourire, de ton visage si beau et si expressif, de tes exigences aussi, et toujours, je cédais. Tu disais de moi que j’étais le (petit) Prince de Gallimard Jeunesse. Pierre Marchand en était-il le roi ?

     Nadèdja, merci pour tout le bonheur que tu nous a apporté, par tes livres – et par toi.

( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

nadèjda garrel

Alors qu’elle est une amoureuse de la nature, Nadèjda Garrel est née (en 1939), a vécu et a écrit à Paris. Elle a fait de la danse, du théâtre et a publié très tôt deux romans. C’est avec Au pays du grand condor (1977) et Les Princes de l’exil (1984) qu’elle a eu accès à sa propre écriture en abolissant toute frontière entre le réel et l’imaginaire. Elle a découvert Varengeville à l’adolescence et avait juré de le faire découvrir à l’homme qu’elle aimerait. Cette liberté se retrouve dans tous ses romans, contes ou nouvelles qui s’adressent indifféremment aux jeunes et aux adultes, car la perfection dans son travail était sa seule préoccupation. Elle s’est éteinte dans la paix, dans sa petite maison du chemin de Pascaline à Varengeville et elle est enterré au cimetière marin. « Il y a des lectures qui sont comme des délivrances, parce qu’elles touchent au plus profond de nous-mêmes à ce qui est caché en nous et qui nous échappait. Elles font naître de nous une part restée invisible et qui nous est nécessaire pour élargir ce que nous sommes, vers d’autres bonheurs. Il y a des livres qui nous font changer de classe d’âge et les livres de Nadèjda Garrel furent pour moi de ceux-là. » (Yves Pinguilly)

Epatants découpages

 par André Delobel

   – C’est toi qui es chargé de l’éditorial ?

    – Ben oui.

    – Ça va pas être triste.

    – Pardon ?

    – Tu parles toujours de toi quand tu fais un éditorial.

    – Faut pas ?

    – Parle de Béatrice Tanaka.

    – C’était à la fin des années soixante. Jeune instituteur en Tunisie, j’avais abonné ma classe à Jeunes Années et…

    – Béatrice, s’il te plait.

   – Dans le numéro 2 d’octobre 1969, il y a avait un conte vietnamien, Un nom pour un chaton, raconté par Béatrice Tanaka et illustré par elle de curieux découpages multicolores. Il était accompagné d’un judicieux « jouet animé », en papier bien sûr. Les découpages m’épataient et épataient aussi mes élèves, pas contrariants pour deux sous.

   – Et après ?

   – Après, on s’est amusé avec les enfants à repérer, dans les numéros suivants, s’il y avait d’autres découpages de Béatrice Tanaka. Cela a duré plusieurs années. A cause de moi, bien sûr. On a aussi essayé, pluseurs fois, de faire pareil. Résultats catastrophiques.

   – Après ?

   – J’ai acheté La Fille du Grand Serpent, Maya, La Montagne aux trois questions et je me suis aperçu que Béatrice Tanaka ne faisait pas que manier les ciseaux. Puis, il y a eu 1982.

   – Tu veux dire 1981 ?

   – Pas de politique. Je parle bien de 82, l’année où Le Tonneau enchanté est publié à La Farandole. Un pur régal.

   – Découpages ?

   – Découpages. Et puis un noir et rouge de toute beauté. Ensuite, je me suis procuré régulièrement les albums paraissant chez Vif Argent et je me suis, peu à peu, débarrassé de ma fixation.

   – Tu as résilié ton abonnement à Jeunes Années ?

   – N’importe quoi ! Et dis-toi qu’il y avait aussi Eclats de Lire et Gullivore

   – C’est beau la fidélité.

   – Je n’ai connu que bien plus tard les illustrations des contes africains publiés chez Présence Africaine. Un noir et blanc modeste, immédiatement parlant.

   – Tu n’a pas cherché à en savoir plus sur Béatrice ?

   – De retour en France, grâce au CRILJ, la rencontre était certainement envisageable. Elle ne s’est pas faite. En 1990, travaillant avec mes élèves Le Tonneau enchanté

   – Encore ce tonneau !

   – Travaillant cet album pour en parler dans La République du Centre, j’ai cherché à en savoir un peu plus sur Béatrice Tanaka et nous lui avons écrit.

   – Et, bien sûr, elle a répondu …

   – J’ai aussi rédigé, pour le journal, une courte biographie. Ça t’intéresse ? Tiens, je lis : « Béatrice Tanaka est né en 1932 à Cernaiti, ville moldave qui fut austro-hongroise avant d’être roumaine puis russe. Petite fille, elle voyage, bien malgré elle, vers la Turquie, la Palestine et l’Italie. Elle émigre au Brésil, enseigne le français et l’anglais, aspire à devenir comédienne, s’installe en France, fait des études de scénographie, crée des costumes de théâtre, écrit des pièces pour enfants, devient l’élève de l’affichiste Paul Colin, collabore à plusieurs revues pour enfants, publie chez divers éditeurs (La Farandole, Vif Argent, La Noria, l’Ecole des Loisirs, Bayard Presse, Magnard) des livres dont elle est le plus souvent l’auteur-illustrateur, parfois seulement l’illustrateur, quelquefois le traducteur. »

   – Dis donc, t’as vu …

    – T’as vu quoi ?

   – T’as réussi à ne pas parler de toi pendant plus de cent mots.

   – Pas fait exprès.

    – Dis …

   – Quoi ?

   – Tu me prêtes Le Tonneau enchanté ?

( Griffon  n° 226 – mars-avril 2011 – Béatrice Tanaka )

   béatrice tanaka

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Anne Pierjan

par Jacqueline et Raoul Dubois

     Anne Pierjean avait suivi dans l’édition pour la jeunesse pendant de longues années un parcours original et un peu atypique comme le soulignait Marc Soriano dans son Guide de Littérature pour la Jeunesse. Il plaisait à souligner dans ses ouvrages une authenticité, un réalisme poétique du quotidien et nous ne pouvons que le suivre dans cette analyse.

     Parler d’un de ses livres, c’était le point de départ d’une correspondance soutenue où elle dévoilait volontiers ses motivations et ses doutes, ses problèmes personnels, dessinant ainsi plus qu’une silhouette d’écrivain, une personnalité riche et parfois tourmentée. Pour peu que vous entriez dans le jeu, la correspondance devenait régulière, volontiers bavarde, toujours chargé de sens et d’une véritable bonté.

     Ecrire était pour elle une passion à laquelle elle se livra jusqu’à la fin de sa vie parce qu’elle ne la séparait pas de sa vie.

     Mais ce qui l’a marquée avec force ce sont les rencontres des lecteurs. Elle acceptait parfois, au risque de sa santé, de rencontrer des classes. Après ces passages, toujours trop brefs, les échanges de courrier continuaient, collectifs ou individuels. Elle a ainsi lié de véritable amitiés dont ses lettres renvoyaient des échos. Elle a aussi suscité de nombreux travaux, fait lire et fait écrire.

     Quand on assostait à ces petits évènements, on ne pouvait que s’émerveiller du contact établi. Une impression étrange, celle d’une petite fille, d’une jeune femme retrouvant ses jeunes interlocuteurs, la simplicité d’un dialogue amical.

     Sa dernière lettre, peu de temps avant sa mort, était débordante de vie simple, de souci pour les autres, de joie « d’avoir été peut-être utile » comme disait Aragon.

     Anne Pierjean était de ses écrivains de jeunesse dont la rencontre a justifié la confiance que nous avons mise en la littérature de jeunesse.

( article  paru dans le n° 76 – mars 2003 – du bulletin du CRILJ )

 anne pierjean

Née dans la Drôme en 1921, très attachée à sa région, Mademoiselle Marie-Louise Robert s’installe à Crest où, devenue Madame Grangeon, elle a trois enfants, Jean, Pierre et Anne, dont elle fait Anne Pierjean en créant son pseudonyme. Elle enseigne vingt ans mais doit, en 1965, quitter ce travail qu’elle aime. Lauréate du Grand Prix du Salon de l’Enfance, en 1972, pour Marika (GP Spirale), elle a écrit près de quarante livres, pour les enfants d’abord, les adolescents ensuite : L’innocente (Magnard 1969), L’Ecole ronde (GP Rouge et Or Dauphine 1974), Paul et Louise (GP Grand Angle 1975, Diplome Loisirs Jeunes), Loïse en sabots (GP Grand Angle 1977, Diplome Loisirs Jeunes), Saute Caruche (GP Grand Angle 1977). « Mon choix d’écrire pour les enfants coule de source, créé par ma vie même. J’étais institutrice et le serais restée sans un accident de santé. J’ai laissé l’enseignement sans laisser les enfants. J’aimais écrire, j’ai eu le temps de le faire. »

Une résidence

 

 

 

 

 

 Le plaisir et la nécessité  

     Encore en résidence, m’a demandé un jour Bernard Noël. C’est un choix de vie ?

    Aujourd’hui je peux répondre, oui, en quelque sorte…

    Vit-on de sa plume quand on est écrivain en résidence ? Oui, au moins pour quelques mois (et nous avons par nécessité l’art de faire durer quelques mois de résidence sur une année entière d’écriture)

    C’est donc pour des raisons financières qu’un écrivain accepte, ou sollicite une résidence ? Non, pas seulement. Ou, oui, mais pas seulement.

Une résidence : un projet 

     Car une résidence c’est un projet, c’est une équipe, ce sont des actions, des rencontres, des ateliers, des hommes des femmes et des enfants. C’est un partage sur l’essentiel : l’écriture. Celle qu’on poursuit (et nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles Flaubert). Celle qu’on lit, et celle que l’on invente ensemble, maladroite souvent, hasardeuse volontairement, surprenante ou attendue, émouvante toujours.

    Car l’émotion est la pierre de touche qu’il importe pour moi de faire sentir, quel que soit le projet initial.

    Traduire les poètes étrangers invités avec des poètes français et créer entre tous un lien à l’Abbaye de Royaumont, retrouver l’esprit de Le Corbusier à l’occasion du cinquantenaire de la Maison Radieuse, à Rezé, entraîner des enfants dans cette aventure d’écrire, dans la Somme et apprendre des « usagers » de bibliothèque de prêt ce que c’est que lire, le découvrir avec eux, le mettre en mots…

    Chaque résidence est une nouvelle aventure, un nouveau lieu de vie, et cela aussi a son importance.

    La Loire n’est pas la même à Nantes et à Tours, la baie de Somme est unique, et les ciels sont ici et là sans pareils. J’aime ce nomadisme dans lequel m’ont entraînée les différentes résidences que j’ai « faites », que j’ai occupées, qui m’ont accueillie.

Une résidence : une aventure passionnante 

     J’aime cette appropriation passagère d’une ville, d’une rue, d’un réseau d’amitié et de travail partagés, cette boucherie-charcuterie dépôt de pain et d’oeufs frais de la ferme, qui devient la mienne pour quelques semaines, quelques mois.

    J’aime ces enseignants, documentalistes, bénévoles, animateurs, permanents d’association dont j’accompagne durant quelques heures le travail. Un travail qu’ils mènent à longueur de temps, avec générosité, enthousiasme, découragement parfois.

    Et j’aime ouvrir la malle.

    Cette grande malle inépuisable qui est notre bien commun et qui reste trop souvent inaccessible. Cette malle pleine de mots, de voix, d’histoires, de secrets, de confidences, de connaissances, d’émotions : la littérature mondiale depuis le début de l’humanité ! Y compris la littérature orale, les contes d’hier et d’ailleurs, recueillis au fil des siècles. De l’épopée de Gilgamesh aux jeunes poètes contemporains, tout nous appartient à tous. Chercher pour chacun le chemin qui lui convient, quoi de plus exaltant, sinon ajouter à son tour son humble obole à la malle ?

    Faire écrire, écrire, lire, faire lire… (faire entendre la voix qui est dans le livre). Témoigner.

    Voilà tout l’enjeu d’une résidence !

    Comment ?

    Des stratégies sont à réinventer chaque fois, au cas par cas, avec. Avec les partenaires, avec les « encadrants », avec les participants.

    Il n’y a pas de recettes, mais vous pouvez vous rapporter à mon blog où sont offerts les différents plats concoctés au fil de ma résidence à Tours. A mon site où sont évoquées les différentes résidences où je suis allée depuis 2002, les différents pays aussi.

    Lectures, rencontres, ateliers, groupes de paroles, spectacles, expositions… Tout est possible. Y compris la création d’un festival (comme l’a fait Hubert Haddad à Chaumont).

    Pourvu que l’on n’oublie jamais que le désir est au coeur de l’écriture.

© Marie-Florence Ehret

 

  marie florence ehret

Née à Paris, près de la Goutte d’or. Marie Florence Ehret pratique divers métiers avant et après des études de Lettres et de Philosophie, puis enchaine les voyages en Turquie, en Afrique, en Europe et en Asie. « Ma grand-mère répétait souvent qu’il faut bien vivre. Je n’en étais pas très sûre. Plus convaincante me parut la devise des Argonautes : vivre n’est pas nécessaire, il est nécessaire de naviguer. » Son premier texte, Les Confessions de la Rouée, en 1986, bénéficie d’une préface de Bernard Noël. On lui doit depuis de nombreux ouvrages pour adultes et pour la jeunesse : romans, nouvelles, récits,  proses, poétiques ou non. Elle se déplace toujours beaucoup, animant des ateliers d’écriture, en France et à l’étranger, ou s’instalant pour un temps en résidence. Parmi ces ouvrages pour les jeunes lecteurs : A cloche-cœur (Rageot, 1990), Mortel coup d’oeil (Rageot, 1999), Fille des Crocodiles (Thierry Magnier, 2007), A la croisée des rêves (Bayard 2010). Claire Levassor a réalisé en 1993 Paroles mêlées, court-métrage à propos de la résidence de l’écrivain à Orléans dans le quartier de l’Argonne. Merci à Marie-Florence Ehret pour nous avoir confier ce texte.

 

 

 

Nicole Claveloux au Pays des Merveilles

 

 

 

 

 

  

     Nicole Claveloux n’illustre pas, elle est Alice au Pays des Merveilles, démiurge à l’instar de Lewis Carroll, d’un univers d’enfance baroque, gourmand  et mythique qui se construit entre les mots et les images, qui capte un air du temps intemporel et s’alimente de tout ce qui passe entre l’eau et le feu, le minéral et le végétal, le dedans et le dehors  à géométrie variable, la vie qui palpite entre les objets et les êtres indifférenciés à la lisière de l’humain et de l’animal, sans distinction d’âge, de sexe, de couleur.

     Entre classicisme et surréalisme, entre le Gustave Doré des Contes drolatiques de Balzac,  le Little Nemo de Windsor McCay  et le psychédélisme du Push Pin studio, l’interprétation originale d’Alice par Nicole Claveloux est fondatrice d’une œuvre immense où fourmillent « les petites sœurs d’Alice » dans un fantastique carousel où se reflètent les personnalités de l’artiste en un jeu de miroirs sans fin. De La forêt des Lilas, son premier voyage au Pays des anamorphoses avec la Comtesse de Ségur, en parallèle avec Alala et les télémorphoses (créée à New-York avec Harlin Quist) à Grabotte et aux Crapougneries, en passant par Brise et Rose et Poucette ou encore Gertrude la sirène ou la petite Josette  du Conte numéro 4 de Ionesco, Nicole Claveloux n’a cessé de décliner les variantes d’une héroïne « ultramarine » qui lui ressemble  L’affiche de l’exposition Sevilla92 organisée par Pedro Tabernero campe une Alice « monde » à la manière d’Arcimboldo. 

     Déjà dessinée par Lewis Carroll qui avait influencé par ses « crayonnés » le travail de Sir John Tenniel chez MacMillan, Alice existait déjà « for ever » comme le premier personnage littéraire dont l’imaginaire, le langage et le regard sur le monde sont vraiment ceux d’une petite fille, dont les repères ne cessent de basculer entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

     Créée en 1974 avec François Ruy-Vidal, directeur de collection pour Grasset Jeunesse, l’interprétation graphique d’Alice a reçu le prix Loisirs Jeunes en 1974 et la Pomme d’Or de la Biennale de Bratislava en 1976. Pour Janine Despinette, critique littéraire partie prenante des jurys internationaux, il s’agit bien d’un livre clef de l’histoire de l’illustration en France. Formée à l’école des Beaux Arts de Saint Etienne où enseignait sa maman Lucie, Nicole explorait déjà depuis dix ans avec Bernard Bonhomme et le premier tandem Harlin Quist-Ruy-Vidal, Denis Prache pour Okapi, les arcanes d’un art de l’image transformé par les nouveaux procédés de la publicité dans les magazines Planète ou Elle.

     Avec Alice, Nicole commence à se dédier exclusivement aux livres illustrés ainsi qu’à la peinture et à la presse pour la jeunesse. Et d’emblée, elle révolutionne dans ce livre-phare les codes d’une imagerie classique, servie par la typographie élégante et novatrice, réalisée avec le studio Hollenstein. Le corps inhabituel du caractère Elzévir sépia, dans le ton des vignettes et l’utilisation d’une grande cursive pour les titres de chapitres déclinés verticalement dans les marges de gauche, dialoguent avec l’esprit et le bruit de la lettre dans les images de Nicole où les phylactères des fresques anciennes et de la bande dessinée installent une intimité avec le lecteur enfant en un raccourci très contemporain.

     Que les spécialistes de la littérature de jeunesse me pardonnent cette relecture jubilatoire des images de Nicole Claveloux pour une Alice au Pays des Merveilles considérée comme un classique du graphisme gravé dans toutes les mémoires des amoureux du livre de Jeunesse.

     Ainsi que le souligne Christian Bruel dans son ouvrage Nicole Claveloux et Compagnie, l’llustration la plus célèbre de l’artiste – celle des flamands – qui n’était qu’un simple essai, avait bien failli ne pas se retrouver dans le livre. L’émission d’un timbre en Tchécoslovaquie a rendu hommage à sa puissance visuelle et à sa modernité. Les expositions de la Bibliothèque publique d’Information au Centre Georges Pompidou : Images à la Page, Visages d’Alice et Les petites sœurs d’Alice ont installé s’il ne l’était déjà, le talent de Nicole Claveloux dans la légende.

     Nicole (née en 1940 à Saint-Etienne) connaissait le personnage Alice depuis 1952 à travers un livre « rouge » offert pour Noël, affreusement coloré mais fascinant par le texte. Elle adore l’anticonformisme de l’héroïne, s’amuse de ses métamorphoses, séduite par l’absence de moralisme et la liberté de ton et surtout par l’originalité des petites et grandes bêtes qui donnent la réplique avec aplomb à cette petite fille si proche d’eux.

     Bien sûr, les illustrations de Sir John Tenniel lui paraîtront froides et presque convenues comme d’ailleurs toutes celles qui s’en sont inspirées sans parler de l’adaptation populaire de Walt Disney, à quelques exceptions près, celles d’Arthur Rackham, de Ralph Steadman, de Lola Anglada ou de Barry Moser, dont la diffusion est restée confidentielle y compris dans leur pays d’origine. Revenons dans le paysage Carrollien de l’artiste, transfiguré à la faveur l’acte éditorial de François Ruy-Vidal.

     D’emblée, les fenêtres ouvertes sur les pages de couverture, placent le lecteur doué du don d’ubiquité, en situation de voyeurisme. Il suit le regard d’Alice et la course du Lapin Blanc vers l’univers musical des comptines, avec le Loir dans la théière, le sourire invisible du Chat de Cheshire, le bataillon des cartes à jouer et une pluie de larmes comme autant de reflets sur un autre monde en microcosme.

     Tout commence en sépia à la surface de l’eau sur la rivière Isis dans un cadre sphérique où de la bouche de Lewis Carroll s’échappe une bulle évoquant la fuite  d’Alice sur les traces du Lapin Blanc, une histoire en boucle qui commence et finit au même endroit.

     Dès lors une grammaire visuelle s’ébauche dans un découpage qui n’a rien de décoratif : la chute d’Alice et du lapin en trois plans verticaux lus simultanément pour donner l’impression du mouvement et de l’espace temps, le jeu des antipodes avec leurs bestiaires fantastiques (à la manière de la planète du Petit Prince dessinée par Saint-Exupéry).

     Nicole Claveloux  n’en finit plus de broder sur d’infimes détails qui vont retenir l’attention des enfants : une faune et une flore exubérantes en guise d’écrin pour le motif du flacon et du gâteau et ce qui s’en suit : les métamorphoses d’Alice décomposée en autant de poupées russes de la plus grande à la plus petite. Pour autant, il n’y a jamais de redondance entre le texte et l’image (les injonctions « Bois-moi » et « Mange-moi » ne figurent pas dans l’illustration).

     Nicole Claveloux va utiliser les procédés graphiques de la bande dessinée, mais aussi un jeu d’inversions subtiles sur la trame du miroir, pour rendre visibles et écrire véritablement à sa manière, les émotions.

     Ainsi la souris, en très gros plan va laisser apparaître dans ses yeux le reflet d’une Alice apeurée, tandis qu’un petit nuage révèle sa propre peur du chat…dont le nom  s’écrit en trois langues au moyen d’un cordage en forme de queue qui se tord en « éclairs de tonnerre » un contrepoint amusé au calligramme du conte – tale –  de la souris en forme de queue – tail

     L’œil, mis en valeur en gros plan, fonctionne comme le miroir et le maître de cet imaginaire. Et les jeux de mots ont pour corollaire les jeux de miroirs. Nicole Claveloux peut se permettre d’inverser alors les représentations habituelles. Le miroir des larmes est aussi l’univers marin des origines où Alice se reflète toute petite. Les animaux protagonistes de l’histoire, naissent et surnagent en chœur de cette mare joyeuse pour parlementer, chacun dans sa case…

     Les contrastes visuels induits par les changements de taille d’Alice devenue géante, génèrent des collages saisissants à partir du cadre architectural de la maison du Lapin Blanc et de son jardin à la Douanier Rousseau où les plantes apparaissent sous cloches de verre…bulles et reflets toujours !

     Bien évidemment, il était tentant pour l’artiste d’aller plus loin dans la provocation graphique avec la mise en scène du vers à soie opiomane alangui sur ses champignons dans un style psychédélique, et les jeux d’identification d’Alice en serpente au long cou, dévoratrice d’œuf de pigeon qui ne laissent pas d’inquiéter ou d’intriguer, avec la ronde des bébés changés en cochons.

     Ainsi de manière subliminale, Nicole Claveloux effleure le thème de Mélusine, la fée serpente et se délecte avec les motifs récurrent de toute son œuvre ceux de l’œuf, des bébés et des cochons.

     Chaque pleine page couleur, telle une apparition, condense les scènes clefs et les affects oniriques du texte de Lewis Carroll au point de rester à jamais gravée dans l’inconscient collectif des lecteurs. Il faut rappeler le « méli mélo » des théières, cuillers, brioches, montres molles et hauts de forme transformistes, tandis les heures égrenées sur le cadran de la montre du Lapin Blanc sont autant de tasses bues dans l’interminable partie de thé ou encore les pots de peinture rouge en action pour peindre la cour de cartes burlesque du  Roi et de la Reine de cœur tandis qu’une petite vignette évoque la hache du bourreau coupeur de têtes virtuelles. La splendeur des grands flamands roses sur fond solaire qui passent au dessus de la tête d’Alice et de son petit hérisson reste un poème visuel à l’état pur,  qui contraste avec l’extraordinaire puissance musculaire  d’un griffon pédagogue aux prises avec la tortue fantaisie dont les bulles de larmes hypocrites annoncent l’insolite classe dans la mer…autant d’images inédites dans l’iconographie carrollienne, avec en prime, un clin d’œil aux bibliothécaires, lorsque la tortue dévoile ses rayonnages de livre en patins à roulettes.

     Quant au quadrille des homards, chanté et  dessiné sous la plume du griffon enlacé à la tortue, il est une trouvaille visuelle très accordée aux rêves aquatiques de Nicole. La fin de chapitre se clôt sur la vignette d’ une soupe à la tortue où mijote un pauvre marmiton ! Et pour finir « Qui a dérobé les tartes ? » un procès baroque gourmand où le animaux jurés barbouillent péniblement leur page ou leur ardoise d’écritures truffées de fautes de sens ou d’orthographe !

     Nicole Claveloux déjà au faîte de son art, il y a trente six ans !  nous a livré une Alice intemporelle et pudique certes mais espiègle et remplie d’humour, tout entière immergée dans son imaginaire graphique au service du langage dans le respect d’un texte qui garde à jamais son mystère. Les clefs en sont peut-être données par la dernière pièce à conviction- en vers- du  Procès royal  lue par le Lapin Blanc (alter ego de Lewis Carroll) :

  » Ne lui avouez pas à lui qu’elle les aime,

  Car tout ceci sans doute devrait demeurer

  Du reste des humains à jamais ignoré,

  Un secret, un secret entre vous et moi-même « 

     Pour conclure, en assumant ce coup de cœur graphique, fondateur d’une littérature visuelle ouverte à toutes les classes d’âge, il m’est impossible de ne pas associer à cet hommage le photographe bibliophile Pierre Pitrou, partenaire concepteur des expositions de la Bibliothèque publique d’Information du Centre G. Pompidou ouvert au public en 1978.  Les éditions Gallimard nous avaient accompagnés dans l’aventure des Visages d’Alice en 1983 et d’Images à la Page en 1984, avec un clip de François Vié L’album en plein boum. Les éditions Syros avaient réalisé le catalogue de l’exposition présentée en 1983 à la Biblliothèque des enfants : Les Petites sœurs d’Alice dessinées par Nicole Claveloux pour Manuelle Damamme.

     De nombreux reportages photographiques avaient été réalisés autour des grands noms de l’illustration contemporaine – une expérience unique qui nous avait notamment conduits à explorer l’origine des « visages d’Alice » à Christ Church collège et au Musée de Lewis Carroll dans la ville natale de Charles L. Dodgson à Guildford.

     Entre tous les illustrateurs contemporains d’Alice, Nicole Claveloux nous a révélé dans sa grande modestie, une incroyable affinité intime et littéraire avec son héroïne aux prises avec le langage et aux lapsus – freudiens – dans son rapport au monde.

     Les Métamorphoses d’Ovide et de Kafka, les monologues intérieurs de  Proust, et Virginia Woolf, mais aussi les jeux de mots de Bobby Lapointe ! les peintures de Jérôme Bosch, Cranach, Bruegel l’Ancien entre beaucoup d’autres grands modèles de référence, font partie de son paysage intérieur et renforcent une approche incisive, sans complaisance du territoire éditorial d’une littérature de jeunesse par trop aseptisée.

     Nicole Claveloux prend l’enfant au sérieux. Pour elle, le grand jeu d’Alice  est une traversée de tous les dangers,  elle exorcise ses peurs par  le langage et l’empathie avec des créatures animales, fragiles, différentes, qui l’aident à grandir dans une jubilation imaginaire, où les adultes n’ont pas le beau rôle (à l’exception du « Vieux père Guillaume » récité par Alice au Vers à soie (Lewis Carroll ?).  Il n’est que de décrypter l’épilogue  de la déposition d’Alice (chapitre 12) dont la modernité ne nous échappera pas !

 – La condamnation d’abord, le jugement ensuite, s’écria la Reine.

– Mais c’est de la bêtise dit alors Alice, condamner avant de juger, a-t-on idée de cela ?

– Qu’on lui tranche la tête, s’écria la Reine. 

– Mais qui se soucie de vos ordres ? dit Alice qui, maintenant avait retrouvé toute sa taille,  vous n’êtes qu’un jeu de cartes ! 

     Henri Wallon et Marc Soriano avaient insisté sur la valeur de tels mythes pédagogiques fonctionnant comme un formidable légo, pour la structuration de la personnalité de l’enfant.

     Pour conclure on dira que l’extraordinaire réservoir d’images de Nicole Claveloux pour Alice, ne pouvait que sublimer et enrichir ce processus dans une liberté regards et l’intelligence de la parole libre d’une petite fille rendue visible pour la première fois dans l’histoire de la litérature.

(version longue de la carte blanche parue dans le numéro 2 des Cahiers du CRILJ – novembre 2010)

 

Visages d’Alice. Exposition 1983. Bibliothèque publique d’Information du Centre Georges Pompidou. Livre-catalogue préfacé par Jean Gattegno sous la Christiane Abbadie-Clerc et Pierre Pitrou avec des textes de Christiane Abbadie-Clerc, Pierre Pitrou, Janine Despinette, Peter Roegiers. Gallimard, 1983.

Les petites sœurs d’Alice. Exposition 1983 Bibliothèque des Enfants de la Bpi au Centre Georges Pompidou. Livre Catalogue de Nicole Claveloux et Manuelle Dammame. Syros (Petits Carnets), 1983.

Images à la Page. Exposition 1984. Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. Livre catalogue. Pref et textes  Christiane Abbadie-Clerc, François Vié, Patrick Roegiers avec les créateurs d’images. Crédits photos Pierre Pitrou. Gallimard, 1984.

Une Odyssée dans les images. Exposition 1991. Salon du Livre de Bordeaux et Bibbliothèque Publique d’information. Préface et textes de Christiane Abbadie-Clerc avec Janine Despinette, Jean-Luc Peyroutet. Imprimeur Balauze et Marcombe.

Nicole Claveloux et Compagnie.  Exposition 1995. Maison du livre de l’image et du Son. Villeurbanne. Concepteur et auteur du catalogue : Christian Bruel. Le Sourire qui mord, 1995.

Nicole Claveloux. Sevilla 89. directeur artistique: Pedro Tabernero. Fundation Luis Cernuda, 1992.

         claveloux

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

 

 

Tove Jansson

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par Monique Hennequin

     Après Gabrielle Vincent (1) et Eléonore Schmid, la littérature de jeunesse a perdu un de ses grands auteurs, Tove Jansson, créateur des Moumines.

     En France, son oeuvre a été traduite par Kersti et Pierre Chaplet et publié dès 1969 par les éditions Nathan dans la très belle collection dirigée par Isabelle Jan, la Bibliothèque Internationale. Les enfants français ont pu ainsi découvrir, à travers le personnage de Moumine, l’univers des trolls.

     Tove Jansson, parmi d’autres prix, avait obtenu en 1966, pour l’ensemble de son œuvre, le Prix Hans Christian Andersen.

     Plusieurs titres ont été réédités récemment par les éditions Pocket : Moumine le troll, L’été dramatique de Moumine, Un hiver dans la vallée de Moumine.

 ( texte paru dans le n° 71 – novembre 2001 – du bulletin du CRILJ )

  (1) à qui personne ne rendit hommage dans la revue du CRILJ.

   moumine

Née à Helsinki le 9 août 1914 et décédée le 27 juin 2001, Tove Jansson est femme de lettres, illustratrice et peintre finlandaise. Fille du sculpteur Viktor Jansson, suédophone de Finlande, et de l’illustratrice suédoise Signe Hammersten, elle étudia à la faculté d’art de Stockholm et devint peintre. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pensant aux enfants qui rêvaient de s’évader, elle inventa le pays des Moumines. Elle n’écrivait pas en finnois mais en suédois de Finlande. Elle travailla pour la presse avec l’aide de son frère Lars Jansson, dessinateur de bandes dessinées. Elle vécut pendant la majeure partie de sa vie avec l’artiste plasticienne Tuulikki Pietilä. « C’est sans conteste par la traduction des onze volumes de la saga de la famille Moumine que les enfants des pays latins peuvent comprendre un peu mieux la place des trolls dans l’imaginaire collectif des peuples scandinaves, c’est-à-dire la place de tout ce qui est vivant dans une nature impressionnante où l’homme et l’enfance savent qu’ils ne sont pas véritablement les maîtres. » L’œuvre de Tove Jansson culmine certainement avec Papa Moumine et la mer, méditation mélancolique sur la solitude, où ses personnages de prédilection atteignent une gravité inhabituelle.

Anne-Marie Chapouton

 

 

 

     Parmi tous les écrivains qui, depuis les années 70, ont marqué la littérature de jeunesse dans notre pays, Anne-Marie Chapouton a occupé une place à part.

     Nous lui devons près de 200 ouvrages pour la jeunesse répartis entre de nombreux éditeurs. Bayard, Nathan, Hachette, Albin Michel, Casterman et, surtout, Flammarion Père Castor ont bénéficié de sa collaboration.

     De l’album pour tous petits aux livres de l’adolescence, l’univers qu’elle explore est celui du quotidien vu le plus souvent avec tendresse et humour. Beaucoup de ses ouvrages sont épuisés, en un temps où la durée des œuvres se heurte aux lois du marché. Nous lui devons aussi quelques belles traductions comme Akawak et On l’appelait Tempête.

     L’année du mistouflon a, dès 1975, inauguré une véritable symbiose entre la littérature de jeunesse et l’apprentissage de la lecture en classe. Son personnage a eu de nombreux émules, pas toujours aussi attachants et si bien mis en situation.

     Anne-Marie Chapouton a mené pendant les dernières années un combat courageux contre la maladie, sans cesser de travailler, épaulée en cela par Martine Lang à qui la liait une solide amitié. Un bon exemple de l’action éditeur-auteur dont il subsiste encore quelques témoins dans un monde où les rapports commerciaux tendant à devenir le modèle.

     On peut souhaiter que la disparition d’Anne-Marie Chapouton ramène, un temps au moins, l’attention sur cette œuvre de grande qualité humaine.

( article  paru dans le n° 67 – avril 2000 – du bulletin du CRILJ )

 mistouflon

Née en septembre 1939 à Millau, décédée à Lourmarin en janvier 2000, Anne-Marie  Chapouton a passé une partie de son enfance en Tunisie, en Hollande, puis aux Etats-Unis. Très jeune, elle est passionnée par la littérature et écrit en secret. Elle est diplômée de littérature française de l’Université de Columbia. De retour en France, à partir de 1964, elle s’installe dans le Lubéron et écrit des histoires pour sa fille. Elle se découvre alors une véritable vocation pour la littérature de jeunesse et partage son temps entre l’écriture et la traduction de romans anglo-saxons. Elle est auteur d’albums pour les petits, de contes, de nouvelles, de romans, de poèmes publiés chez de nombreux éditeurs parmi lesquels La vache Amélie (Père Castor, 1977), Clément et le rangement (Casterman, 1986), Berceuses pour une nuit de lune (Nord-Sud, 1991), Le loup Loulou (Bayard, 1999).

 

« Je  pense que ma terrible faim de lecture pendant mon enfance et le petit nombre de livres que je pouvais lire, après la guerre et vivant à l’étranger, ont accentué en moi l’importance des livres pour enfants. Je n’ai pas vraiment choisi d’écrire pour les enfants. Cela s’est fait par hasard. Je pensais que c’était un accident et que, plus tard, j’écrirai pour les adultes. »

 

 

 

Reconnaissance

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    J’ai, chers amis du CRILJ, reçu ce matin le bulletin numéro 62 et j’ai soudain pensé que vous seriez sans doute heureux de savoir que cette littérature de jeunesse pour laquelle vous ne cessez d’œuvrer a obtenu une sorte de consécration à Moutiers Sainte- Marie (Alpes de Hautes Provence), à 6 kilomètres du lac de Sainte Croix, 10 kilomètres des Gorges du Verdon est, surtout, comme au XIXième siècle, capitale de la faïence.

     En 1964, Magnard publiait mon second roman pour les adolescents Le colchique et l’étoile qui fut, en 1965, diffusé en feuilleton sur France-Culture grâce à Roger Boquié et Monique Bermond, puis adapté en téléfilm, pour la 2, en 1974, par Michel Subiéla.

     Il y eut d’autres romans chez Magnard, Hachette, Bordas, Pocket, mais c’est le Colchique qui me valut cette grande joie de donner mon nom – inretenable pour les adultes, mais mémorisé par les enfants parce qu’il les intrigue – à une école.

 ( courrier paru dans le n° 63 – novembre 1998 – du bulletin du CRILJ )

 ciravegna

 Née à Nice en 1925, Nicole Ciravegna fait ses études à Aubagne, Marseille, Aix-en-Provence et à l’École normale supérieure de Fontenay où elle entre en 1945. Professeur de lettres dès 1948, elle enseignera dans le midi jusqu’en 1985, année de la retraite. Passionnée d’histoire et de littérature, Nicole Ciravegna écrit, à compter de 1962, de nombreux ouvrages pour les enfants, les adolescents, les adultes, où elle traite de sujets graves comme l’accueil des enfants démunis dans Le sentier sous les herbes (1962),  la Deuxième Guerre Mondiale dans La rue qui descend vers la mer (1971) ou de la vie quotidienne comme dans la série des Chichois (à partir de 1979). Ses personnages sont chaleureux, authentiques et incarnent les valeurs d’amitié et de tolérance. En septembre 1999, le Grand Prix littéraire de Provence a couronné l’ensemble de son œuvre, soit, à cette date, vingt-deux romans.

« Mes élèves adolescentes aiment lire et font une totale confiance au professeur qui les conseille dans leurs lectures. Laissées à elles-mêmes, elle lisent la presse du cœur ; mais aidées et éclairées, elles ont d’intelligentes lectures. Elles ne demandent que cela : bien lire. Je connais bien les adolescentes, leurs problèmes, leurs bons et leur mauvais goûts, et il m’est relativement facile de composer des histoires dont les thèmes répondent à leur attente. »

Yvonne Meynier

 

 

 

 

      Le 29 janvier, à Rennes, le Prix Korrigan 1996 a été décerné à Margot Bruyère pour son ouvrage Les aventures de Marion du Faouêt par chez Liv’Editions.

     Il s’agit là d’un des plus anciens prix de littérature de jeunesse, attribué chaque année par l’Association des Ecrivains de l’Ouest, fondé peu après la guerre par Yvonne Meynier et Robert Merle.

     Yvonne Meynier, un nom sans doute oublié aujourd’hui par les jeunes lecteurs mais toujours à l’esprit (et au cœur) d’un grand nombre de leurs ainés. Limousine  de naissance, elle se fixa à Rennes en 1938 pour suivre son mari André Meynier, professeur de géographie et nommé à l’université de la ville, une rue de Rennes portant aujourd’hui son nom. A partir d’août 1944, Yvonne Meynier créera et animera sur Radio Bretagne Comme une plume au vent, une chronique régulière. En 1946, parait son premier roman Marion de l’assistance, chez Calman-Lévy.

     A dater de 1958, elle se consacrera presque exclusivement à la littérature de jeunesse. Vingt neuf livres en guère plus de vingt années, dont Un lycée pas comme les autres que beaucoup aujourd’hui aimerait voir rééditer. Elle a reçu le Prix Enfance du Monde en 1961 pour Une petite fille attendait et le Prix Jeune France en 1972 pour Delphine reine de la lumière.

     Décédée un lundi de Pâques à l’âge de 97 ans, son souvenir est ravivé chaque année lors de la remise du Prix Korrigan.

     Dans le courant de 1997, l’Institut culturel de Bretagne prévoit d’organiser avec la Bibliothèque Principale de Rennes, une exposition consacrée à Yvonne Meynier avec les témoignages de tous ses amis et les documents et manuscrits cédés à la ville par ses filles.

 ( texte  paru dans le n° 58 – mars 1997 – du bulletin du CRILJ )   

meynier

Née le 15 mars 1908 à Bourganeuf (Creuse), enseignante, directrice de jardin d’enfants adepte de Maria Montessori, conférencière, productrice à la radio et à la télévision à partir de 1944 où elle assure des chroniques régulières de critique littéraire, Yvonne Meynier publie en 1958 son premier livre pour enfants, L’expédition du Puy Caprice, chez GP, en Rouge et Or Dauphine. Nombreux autres titres, romans ou albums, chez GP, Hatier, Magnard dont en 1962 Un lycée pas comme les autres qui reçoit le Grand prix de la littérature pour les jeunes, Erika des collines en 1964, Un cambriolage pour rire en 1980. Gros tirage, nombreuses traductions, adaptation de nombreux titres pour la radio et le théâtre.

 

Alice Piguet

 

     » Pourquoi j’écris pour les jeunes ? Parce que je les aime et parce que c’est difficile.

     J’ai eu le privilège d’être élevée par une mère exigeante qui combattait la bassesse d’âme, la petitesse d’esprit, mais respectait les dons d’enfance.

     J’ai grandi, de ce fait, sans me dépouiller de cette aura spéciale aux jeunes et aux peuplades primitives. Bref, j’ai été mal élevée, si l’on s’en tient aux critères conventionnels, mais je me trouve de plain-pied avec les enfants et je préfère leur compagnie à celle des adultes.

     En littérature, le roman pour enfants est le genre le plus difficile qui soit. Il y faut, non seulement une grande aisance de langue, mais encore un sens développé de la construction : un mauvais synopsis ne retient pas l’attention des jeunes lecteurs.

     A cela, il  faut ajouter des clartés sur la vie de la nation, les mœurs, les nouvelles méthodes d’éducation, les progrès de la science, la psychologie et l’optique enfantine, la camaraderie, le sport. Cet ensemble de connaissances doit demeurer en toile de fond et ne jamais montrer le bout de l’oreille.

     L’auteur doit s’amuser en écrivant et seulement s’amuser.

    Ecrire pour les enfants, comme c’est gentil ! Comme j’aimerais ! s’écrient les femmes du monde. Eh là, mesdames, en échange de tout ce travail, qu’obtiendrez-vous ? La rentabilité ? Médiocre. La considération ? Nulle. En France, un écrivain pour les jeunes est un écrivain qui n’a pas su faire autre chose. Reste l’amour que les enfants portent à l’auteur à travers ses héros, et c’est cela la vraie récompense.

     Mais quoi, s’occuper des jeunes, n’est-ce pas tenter de les aider à devenir des hommes ? C’est dans cet espoir que j’écris. J’écris me servant plus souvent des ciseaux et de la gomme que du stylo. Et je sais bien que j’écrirai jusqu’à mon dernier souffle, parce que le livre, le vrai, celui qui portera enfin toute la chaleur de mon esprit est de mon cœur est encore à naître. »

     C’est cette Alice-là, transcendée, qui m’apparut à travers la petite dame d’un âge certain qui poussa un jour la porte de mon bureau. Ce fut elle l’instigatrice de notre collabotation auteur-éditeur qui, de 1965 à 1978, donna naissance à la trilogie des Tonio, à Traine les cœurs et à Tremblez Godons.

     Je savais à quel point elle était agacée parfois par des remarques du comité de lecture qui, disait-elle, n’avait absolument rien compris à sa démarche, combien elle était irritée des lenteurs éditoriales, par des délais trop longs de parution. Elle faisait partie sans nul doute de ce que j’appelais les « auteurs-oursins ». Mais elle fut certainement celui d’entre eux avec lequel j’entretins des relations de travail les plus passionnantes, dès que j’avais sauté par-dessus les fils barbelés de ses récriminations.

     Je lui demandais un jour de m’expliquer cette passion pour l’Histoire. Elle me démontra combien il était capital que les jeunes d’aujourd’hui ne se croient pas le fruit d’une génération spontanée, mais l’aboutissement de l’évolition qui leur a donné naissance. Elle m’expliqua le plaisir intense qu’elle éprouvait à se documenter, la joie de comparer sa propre vie à celles d’autres temps, révolus, et de pouvoir ainsi relâcher la pression du quotidien et les inévitables tâches matérielles et soucis qu’elle engendre.

      » Après les notes, les fiches, enfin toute la compilation, vient le temps de me laisser vivre avec mes personnages, de leur donner vie et forme à partir de ce que j’ai pu apprendre sur leur époque. C’est exaltant de penser que mes lecteurs vont s’enrichir à leur tour de ce dont le me suis enrichie, et peut-être se révéler à eux-mêmes à travers mes histoires. »

     Cette possible maïeutique la stimulait tout particulièrement : « Quand mes romans sont mûrs, je les cueille. » J’entendais : quand j’ai porté mes romans en certain temps dans ma tête, je les écris.

     Elle n’éprouvait aucune honte à avouer qu’elle écrivait pour les enfants, bien au contraire, et elle se moquait de ceux qui, disait-elle, se vantent, non sans une « prétention matinée d’hypocrisie » de faire avant tout une œuvre littéraire, sans viser un public déterminé.

     Alice Piguet contribua comme Pierre Devaux, René Guillot, Léonce Bourlaguiet, Claude Cénac, Nicole Ciravégna, Pierre Debresse, Susie Arnaud-Valence, Robert Escarpit et bien d’autres auteurs à enrichir de textes de qualité la collection « Fantasia » qu’alors je dirigeait. Parmi eux, certains nous ont quitté, mais ils survivent dans leurs œuvres comme témoins, pour les jeunes d’aujourd’hui, de valeurs auxquelles le temps n’oppose pas de barrière.

     Alice Piguet a désormais franchi le miroir des apparences. Au revoir, chère Alice – par delà l’espace et le temps.

 ( texte publié dans le numéro 48/49 – avril 1993 – du bulletin du CRILJ )

piguet

 Née à Nîmes en 1901, découvrant le pouvoir de la littérature à sept ans en lisant Les mémoires d’un âne, Alice Piguet aura vécu sous le signe de l’enfance : garderies et visites aux enfants malades dès sa classe de philosophie, articles dans un petit journal, éducation de ses propres enfants, intérêt marqué pour la pédagogie nouvelle, contribution régulière à la page des jeunes de La mode pratique, institutrice dans un village de Saône-et-Loire, écrivain s’adressant, à compter de 1945, principalement aux jeunes lecteurs et, de la fin de la guerre à 1958, membre rapporteur de la Commission de Contrôle de la Presse Juvénile. Hormis pour Thérèse et le jardin (Bourrelier) qui recevra le Prix Jeunesse à l’unanimité des membres du jury, les romans d’Alice Piguet se déroulent tous à des époques éloignés sur lesquelles elle se documente scrupuleusement. Prix Fantasia en 1966 pour Tonio et les Tarboules (Magnard), un de ses meilleurs livres.