Claude Aveline

par Mathilde Leriche

    Claude Aveline, né le 19 juillet 1901 (de son vrai nom Evgen Avtsine) était fils d’immigrés russes installés à Versailles. Il est mort à Paris dans la nuit du 3 au 4 novembre 1992.

     Editeur, auteur connu de nombreux romans, d’études sur des sujets variés révélant une grande richesse intellectuelle. Auteur aussi d’ouvrages scolaires, membre actif de divers organismes et associations, militant du Front Populaire en 1936, Claude Aveline participait pleinement à la vie sociale et littéraire de la France. Mais d’autres, mieux que moi, sauront évoquer son rôle, analyser sa personnalité.

    Je connais mieux son œuvre pour les enfants, pleine de fraicheur, de drôlerie, originale et malicieuse comme Histoire du chien qui voulait apprendre à lire, L’éléphant qui voulait passer pour un moustique, L’arbre Tic-Tac, Histoire du lion, de l’élephant, du chat … et de quoi encore ?

     Mais de tous ces livres pour enfants, celui qui me semble exprimer le mieux la pensée de Claude Aveline, c’est Baba Diène et Morceau de sucre, conte moderne paru en 1937, un des premiers livres anti-racistes écrit pour les enfants et qui se déroule en Afrique, dans une palmeraie.

     Conte moderne où la cornue et l’alambic du savant remplacent la baguette magique et deux hommes blancs généreux les fées. Un liquide, fruit des recherches d’un savant est bu en cachette par un petit noir, ce qui le rend blanc et blond. Un autre liquide lui rendra sa première apparence et tout le monde sera heureux. Mais que d’aventures, que de mystères et une bien jolie amitié entre les enfants.

     Voilà ce que dit le savant :

Je suis fou de joie, aujourd’hui est le plus beau jour de ma vie … J’ai trouvé le moyen de changer un nègre en blanc … Je pourrai aussi bien transformer un jaune en nègre ou un blanc en jaune … On nous racontait depuis toujours qu’il y a des races supérieures et des races inférieures et que, par exemple, les nègres sont moins intelligents que nous, qu’ils ne parviendront jamais à nous égaler. Ce sont de mauvaises raisons, inventées par les blancs afin de dominer les noirs. Les noirs savent moins de choses que nous, voilà la différence mais, pour le cœur et pour l’esprit, tous les hommes ont frères … J’ai pensé que si les hommes sont vraiment frères, il devrait y avoir un moyen pour qu’ils se ressemblent aussi par leur aspect physique.

     Je sais peu de chose sur Claude Aveline. Je l’ai connu vers 1936, au temps des années pleines d’enthousiasme du Front Populaire. On se retrouvait dans des réunions débordantes de projets consacrés au bonheur des enfants : école aux méthodes d’éducation nouvelle, bibliothèque, culture, loisir. On discutait beaucoup, on travaillait aussi.

     Chaque fois que j’ai rencontré Claude Aveline, il y avait entre nous une atmospère amicale, chaleureuse. On se quittait avec les promesses de se retrouver bientôt.

     Et les années passèrent …

     En 1959, Simone Martin-Chauffier reçut le Prix Jeunesse pour L’Autre chez les corsaires (Editions Bourrelier), excellent roman que Claude Aveline admirait beaucoup. A cette occasion, nous renouvelâmes une fois de plus la promesse de nous revoir.

     Mes plus récentes relations avec Claude Aveline dataient de ces dernières années, relations téléphoniques. Claude Aveline s’occupait très activement des rééditions de ses livres et pensait que je pourrais l’aider.

     Comme j’aime bien écouter ce qui m’intéresse, ces longues conversations avaient beaucoup de charme. C’est au cours d’une d’elles que Claude Aveline m’apprit qu’il avait créé une petite école portant son nom dans le Morbihan, près de l’Ile aux Moines. Je souhaite que cette petite école qu’il aimait beaucoup reste fidèle au souvenir de son créateur qui lui offrit sans doute, avec son œuvre si variée, le meilleur de lui-même.

 ( texte paru dans le n° 46 – décembre 1992 – du bulletin du CRILJ )

 aveline

Né Evgen Avtsine, en 1901, à Paris, de parents russes qui, fuyant la ségrégation raciale dont ils étaient victimes en Russie, s’étaient installés en France, Claude Aveline fut, malgré une santé fragile, un homme de lettres prolifique : poèmes, romans, récits, pastiches, contes et nouvelles, théâtre et théâtre radiophonique, articles de presse, critiques cinématographique, essais, mémoires et quelques textes pour les enfants dont, en 1946, Histoires du lion, de l’éléphant, du chat et … de quoi encore ? Il fonda en 1951 le Prix Jean Vigo – du nom d’un cinéaste mort jeune et dont il fut le fidèle soutien – et il publia en 1932 un singulier roman policier La Double Mort de Frédéric Belot, premier titre d’une « suite policière » qui, selon Boileau-Narcejac, « donna au genre ses lettres de noblesse ». Claude Aveline, prémonitoire, déclarait dans la préface :« Il n’y a pas de mauvais genres, il n’y a que de mauvais écrivains. »

Brigitte Richter

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       Brigitte Richter nous a quitté à la fin de 1991. Elle avait 48 ans.

     Directrice de la médiathèque municipale Louis Aragon au Mans de 1984 à 1991 après avoir dirigé la Bibliothèque Centrale de Prêt de la Sarthe de 1968 à 1984, elle avait littéralement créé et donné vie à ses deux institutions.

     Cette amie de longue date avait en effet, en même temps qu’une compétence aiguë des pratiques de bibliothécotomie moderne, un sens extrêmement ouvert de la lecture publique. Tant sur le plan de la distribution des livres dans les campagnes que sur celui de la création de dépôts vivants dans les petites villes et bourgades du département, elle avait lors de son passage à la BDP fait pénétrer le livre et la lecture partout. Et surtout elle veillait avec une vigilance de tous les instants à l’animation et au développement de la section « jeunesse ».

    Créant de toutes pièces la moderne médiathèque municipale du Mans, elle avait conçu un système original de présentation au public des différentes sections de l’établissement et d’exposition des docuents rares ou récents. Là encore elle apporta un soin tout particulier à la section « jeunesse », organisant des expositions et des rencontres avec des écrivains et des illustrateurs.

     Il faut dire que cette bibliothécaire moderne, auteur d’un magistral Précis de Bibliothéconomie, participait à des séances d’animation et de présentation de livres pour les jeunes. Remarquable pédagogue, elle enseignait aux Universités du Mans et de Paris formant des bibliothécaires avec compétence et passion.

     C’est que Brigitte ne se contentait pas d’être une bibliothécaire, une enseignante, une animatrice, elle portait en elle le démon de la poésie. Auteur d’un remarquable recueil Le cœur gouverné (éditions Saint-Germain-des Près, 1974), elle exalte en même temps que l’amour une espèce de méditation sur le temps. « Il fait jour chaque matin. Je t’offre la durée. » écrit-elle et cela résonne amèrement aujourd’hui.

     Et puis, elle écrivit et publia des poèmes plus particulièrement destinés aux enfants dont Le jardinier des bêtes (éditions Corps Puce. 1980), délicieux textes remplis de rêves. Ainsi : « Le hérisson se couche en rond comme une pelote de soleil. »

     Brigitte adorait conter et ses histoires pour les jeunes ont le charme rempli d’humour des vieux contes écrits pour des enfants d’aujourd’hui.

    Ses recueils sont en partie publiés : La Fugue de Grand père Médéric (éditions Magnard, 1984), L’arbre à chats (éditions de la Queue du chat, 1987), La vie compliquée de Marie Chicotte (éditions Magnard, 1989), Moi Benoît Largeliet fils de ma mère (éditions Magnard, 1991). Et il reste beaucoup de poèmes et de textes inédits à paraître.

     C’est avec des êtres comme Brigitte que la lecture en général et la lecture des jeunes en particulier peuvent devenir une réalité qui assure aux hommes une survie culturelle plus que jamais nécessaire. Elle a montré que dans ce domaine la conjonction d’un professionnalisme solide et d’un imaginaire généreux et sans cesse en marche est indispensable.

     Je n’oublierai jamais son regard rempli de songes exprimant une vie intérieure originale où l’esprit rejoignait la « raison ardente ».

     Brigitte, reçois mon affectueuse tendresse et celle de tous tes amis du CRILJ : « Nous ne connaitrons pas nos limites car l’éternité nous a pris dans sa foulée ».

 ( texte paru dans le n° 44 – mars 1992 – du bulletin du CRILJ )

   richter

Née en 1943 à Charlieu (Loire), Brigitte Richter écrit son premier récit à neuf ans. Elle continuera à écrire sa vie durant mais, à quelques exceptions près, seuls ses contes et ses romans pour enfants auront une diffusion commerciale. Conteuse, elle participa à de nombreuses animations dans les écoles, les collèges et les veillées festives. Photographe, elle aima travailler avec des plasticiens. Elle régala, dit-on, ses amis de plats inédits où « son talent créateur faisait merveille ». Brigitte Richter fut directrice de la bibliothèque de prêt de la Sarthe puis de la bibliothèque municipale du Mans. Elle fit connaître ses expériences dans des rapports, des articles et un Précis de bibliothéconomie qui a eu cinq éditions de 1976 à 1992.

Colette Vivier

par Raoul Dubois

 

      Comme elle avait vécu, avec une grande discrétion, Colette Vivier s’est éteinte en ce mois de septembre qui voit les nouveautés des éditeurs affluer dans les librairies et sur les tables des critiques.

      Ce ne sera pas un événement du monde littéraire, l’œuvre de Colette Vivier ne doit rien aux tapages publicitaires et aux scandales de l’insolite. La vieille dame qu’elle était devenue avec ses 80 ans ne faisait l’étalage ni de ses livres ni de ses activités de résistante. Elle avait fait ce qu’il fallait faire dans les activités de son choix.

     Nous garderons un souvenir ébloui de ces après-midi passés avec elle auprès d’enfants d’une classe de 6ième découvrant à la fois la réalité de son œuvre et la luminosité de sa présence. Nous la revoyons disant à une petite fille émerveillée : “Mais voyons ! Aline (son héroîne de La maison des petits bonheurs), c’est moi, mais c’est aussi toi.”

      Colette Vivier portait témoignage d’un renouveau de la littérature enfantine française qui, avec Charles Vildrac et elle-même, s’arrachait à la routine pour retrouver son véritable souffle : vie quotidienne, langage quotidien, soucis quotidiens, héros sortis des forces même de la population et saisis dans la richesse de leurs vies, de leurs espoirs, de leurs rêves, de leurs luttes aussi. Une idée de la famille qui évolue, la place des femmes qui se fait un peu plus importante, des petites filles des milieux modestes qui réfléchissent et qui ont des idées.

      Colette Vivier parlait juste à un moment où le ton des livres restait loin de la réalité de la langue, juste sans démagogie, sans concession à la vulgarité, sans décalque du langage parlé.

      A quarante années de distance, La maison des petits bonheurs séduit encore les jeunes lecteurs. Et si c’était un des classiques de notre littéraure de jeunesse qui vient de disparaitre ?

      Tous ses lecteurs, tous ses amis la saluent comme une présence très chère et permanente.

 ( texte paru dans le n° 10 – octobre 1979 – du bulletin du CRILJ )

 

Colette Vivier est née à Paris en 1898. Premiers textes en 1932 destinés à apprendre le français à des enfants allemands. Elle rencontre son premier grand succès en 1939 avec La maison des petits bonheurs qui recevra le Prix Jeunesse. Dans les années 1940, elle écrit pour L’almanach du gai savoir que publie Gallimard. Pendant la guerre, elle appartient au réseau du Musée de l’Homme, expérience qu’elle racontera dans La maison aux quatre vents. Colette Vivier excelle dans la description du monde ouvrier qu’elle met souvent en scène dans ses récits. Elle est aujourd’hui considérée comme un écrivain important dans l’histoire du renouveau du roman pour la jeunesse.

        

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