Nettoyage de printemps

 

Quand Susie Morgenstern fête son anniversaire, le mercredi 18 mars 2020, toute seule dans sa maison niçoise, elle est, comme tout un chacun, confinée depuis 24 heures. Voici, comme un flash-back, la lettre qu’elle avait  envoyée à ses petits enfants. Manière, pour nous, de commencer, à l’ombre d’une amie, à nous déconfiner.                    

Chers Yona, Noam, Emma et Sacha …

    Vous le savez déjà : je ne suis pas une fée du ménage. Je suis disciplinée pour certaines choses et pas pour d’autres. Mais, je voudrais profiter de cette période de confinement à Nice pour faire le grand nettoyage de printemps sachant que je ne suis pas douée.

    Je vais vraiment m’appliquer. D’abord, j’écris quelques lignes pour me donner du courage et puis promis, j’y vais. Et oui, je préfère écrire une histoire que de faire le tri dans mes affaires. Me voilà prête. J’ouvre un tiroir, la boîte de Pandore, une jungle de machins et de trucs que la consommation frénétique de ma jeunesse a fait s’accumuler. Je regarde, consternée, mais je ne touche à rien ! Est-ce que j’ai vraiment besoin de quatre louches, trois couteaux à pain, six paires de ciseaux, cinq agrafeuses et des collections infinies de pacotille ?

    Je ne referme pas le tiroir, mais je m’enfuis devant mon écran. Tout sauf ça. La mauvaise conscience me pousse à y retourner et à contempler la scène du crime. Je garde tout, au cas où l’un de vous en aurait besoin le jour où vous vous installerez en ménage. (Il y a une louche pour chacun d’entre vous !)

    Je prépare mon déjeuner.

    Le tiroir me nargue. Après la sieste, peut-être …

    Au lit, je ne me permets pas plus de cinq pages de relecture de Virginia Woolf, Une chambre à soi . Au compte gouttes pour savourer.  Et comme chaque fois que je lis un chef d’œuvre, j’espère que vous le lirez aussi. Que vous lirez tout court !

    Je retourne au travail. Je parcours mes messages. On me demande un article. Autant commencer tout de suite. Mais le tiroir est ouvert comme la bouche béante d’un monstre. Je remarque un chocolat qui aurait pu être là depuis l’antiquité.

    Je le mange. Et puis d’un coup décisif et déterminé, je vide le tiroir pour former une montagne sur la table de la salle à manger. Il y a un vieux cahier et des stylos. Je m’assois pour les essayer et je retrouve le plaisir d’écrire sur du papier. Je pense à tous mes manuscrits écrits à la main avec nostalgie.

   Mes yeux tombent sur un paquet de ballons de toutes les couleurs, un stock suffisant pour une future fête gigantesque. J’en gonfle un. Puis, un à un, je les gonfle tous. C’est un effort considérable, mais je ne peux pas m’arrêter. Les ballons remplissent la maison de légèreté, d’espoir, de folie. Un à un je les envoie par la fenêtre, mon message de gratitude et d’admiration au personnel soignant. Je les connais bien après ma longue maladie, ces anges sur terre, nos héros. Chaque ballon dit « I love you ! »

    Comme les ballons sont appropriés ! Aujourd’hui c’est mon anniversaire: j’ai 75 ans ! Happy birthday to me !

    Mes ballons expédiés, je fixe le contenu du tiroir, je fais les cent pas et d’un geste définitif et concluant, je remets toute la pagaille à sa place. Dans un mois peut-être ?

    Entre temps, ne serait-il pas urgent et important de vider le tiroir du bric à brac qui se trouve dans ma tête ?

    Mes chéris, savez-vous combien je vous aime ?

    Votre Bubie,

    Susie.

(mars 2020)

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Merci à Susie Morgenstern qui nous offre cette lettre en ligne également sur le site de France-Inter. C’est ici.

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Susie Morgenstern par elle-même :

« Je suis un écrivain de jeunesse. Est-ce que ça veut dire que je ne vieillirai pas ? Souvent on me demande pourquoi j’écris pour les enfants plutôt que pour les vieux et je réponds :  « J’écris pour tout le monde ! » C’est simple : quand j’ai une idée, d’habitude ça se passe dans l’enfance ou l’adolescence. Si un jour j’ai une idée pour les vieux, j’écrirai un roman pour eux (je l’ai déjà fait). C’est vraiment la même chose, même papier, même crayon et un, deux, trois, partez. »   […]  J’ai eu ce que l’on peut appeler une enfance heureuse. Il y avait un seul problème : ma famille était tellement bruyante et chacun devait absolument donner son avis sur tout et tout de suite, que je ne pouvais jamais placer un mot. J’ai découvert que le seul moyen pour moi de parler était d’écrire. Ca tombait bien parce que j’adorais ça. Je m’enfermais des heures entières pour « parler » à mes cahiers. A l’école on m’appelait « Susie Shakespeare » et je pleurais parce qu’il n’était pas très beau. Au lycée, j’étais rédactrice en chef du journal de mon lycée, à Belleville, dans le New Jersey. C’était très prestigieux. Je n’ai jamais cessé d’écrire pour moi tout en  poursuivant mes études à la Rutgers University, à l’Hebrew University de Jérusalem puis à la faculté de lettres de Nice. […] Le miracle de ma vie a été de tomber amoureuse d’un mathématicien français barbu, Jacques Morgenstern. Et puis mes enfants aidant, j’ai été très inspirée pour débuter ma carrière en tant qu’auteur/illustrateur. Rapidement, mes textes se sont allongés, mes livres grandissaient avec mes enfants. Tout m’intéresse, mais surtout l’amour, les gens, les rencontres, la famille, et les livres.  J’aime espionner la vie de tous les jours et essayer de construire mes histoires autour de ce monde réel. […] Vous trouverez plein de choses sur  mon site  dont la liste de tous mes livres, des photos inédites, certains projets en cours et toutes les nouveautés me concernant. »

 

Ce risque fou

 

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     Quatre mois. 118 jours.

    Voilà le temps que nous avons passé, confinés. Ensemble, toute la famille réunie à nouveau, mes frères, ma petite sœur, mes parents, un de mes oncles et son copain. Ensemble pour manger, trois repas par jour, pour cuisiner, boire, rire, pleurer, faire des puzzles, chanter, s’engueuler. Ensemble, mais seuls.

    Chacun dans sa bulle, ses peurs, le nez dans le bol de céréales, chacun dans ses musiques, ses insomnies.

    Les premiers temps, ça allait à peu près, je tenais le coup, je leur remontais le moral. Et puis il y  a eu un jour, le 43ème, où je n’ai pas réussi à sortir de ma nuit. Le flou, l’incertain, l’avenir sous les masques, ce temps infini, gluant, qui semblait s’étirer encore, encore, encore, tout ça m’a cloué au lit. Je me suis confiné dans le confinement, et j’ai passé le reste du temps dans ma chambre. Ma mère m’apportait à manger, on parlait peu, même les mots me semblaient de trop.

    J’ai beaucoup lu.

Dans la forêt, Un homme qui dort, Contagion, L’appel de la forêt, La peste, Cent ans de solitude, Les heures souterraines, Paul à la maison. 

    Que des trucs bien choisis.

    On nous a annoncé la fin du confinement, mais il était progressif, et ça restait dangereux. Alors, on a continué à sortir peu, toujours avec des gants et des masques, toujours à quatre mètres des autres. En juillet,  les restaurants et les bars n’avaient pas le droit de rouvrir, ni les cinémas. Les festivals, les vide-greniers, les concerts, tout ça était interdit. Un matin, mon père a dit : « Alors on fait une fête ! Ici, dans le jardin ! »

    Et ils se sont tous lancés dans l’organisation d’un barbecue géant, avec les potes qu’on n’avait pas vus depuis si longtemps. Il faudrait, bien sûr, respecter des règles strictes : distanciation, masques, gants. Les personnes âgées, les fragiles, les enrhumés ne seraient pas invités. Moi, j’ai dit que je ne viendrais pas, que je resterais dans mon antre. C’est quand j’ai entendu les premiers rires, la petite foule, les voix mêlées, un aboiement, que j’ai décidé de ressortir. J’ai ouvert la porte, fait mes premiers pas, pieds nus sur le parquet doux, puis dans l’herbe toute sèche. J’avais envie d’embrasser tout le monde, mais il ne fallait pas. J’ai senti le poids de ces semaines de solitude s’envoler, d’un coup. C’était comme m’envoler un peu, aussi. De la légèreté, presque brutale. Bizarre. Certains ont trop bu, d’autres ont dansé tard. Moi, je me suis allongé sous le grand arbre du jardin, l’acacia aux longues branches. Je voyais les étoiles à travers les feuilles, en essayant, comme d’habitude, de retrouver leurs noms. La voix de ma mère m’arrivait, par bribes. Un discours. A deux heures du matin, mais quelle bonne idée. J’ai tendu l’oreille. J’étais prêt à me moquer, je la connais : après  trois verres d’alcool, elle raconte n’importe quoi, elle ricane pour rien et s’égare dans ses propres phrases. J’avais déjà le sourire aux lèvres, déjà envie de rire. Je l’imaginais titubante, un verre à la main et les larmes aux yeux.

   Et puis, elle a dit ça :

   « Merci d’être là, tous. Après des mois sans se voir, sans avoir le droit de se toucher, après des mois où la plus belle preuve d’amour c’était se tenir loin les uns des autres, changer de trottoir, se laver les mains, s’exclure, après ces quatre mois secs, vous êtes là. Certains ont perdu des proches et n’ont pas pu les enterrer dignement, d’autres ont été malades et vont mieux, d’autres sont ruinés, doivent s’inventer un autre métier, une autre vie. Beaucoup ont peur de ce nouveau monde derrière des masques, de ce nouveau monde où résister, c’est obéir, où être solidaires c’est se tenir loin. Où s’embrasser c’est prendre un risque fou, où pour s’occuper des autres, il faut les isoler. Beaucoup ont peur, oui. Peut-être que nous avons tous peur, même, sans oser le dire. Et que c’est pour la cacher, cette trouille, qu’on a ri si fort, ce soir, qu’on a dansé, bu, mangé, ri encore, qu’on s’est lâché. Pour la conjurer. Nos masques ne  cachent pas nos yeux : et nos yeux disent l’amour, l’amitié, l’envie d’être à nouveau libre, serrés et vibrants. Nous sommes là, effrayés, dans le flou, fragiles, forts, fragiles, forts. Et debout. »

    Et debout.

    Alors, je me suis levé et j’ai pris ce risque fou : j’ai marché vers elle et je l’ai embrassée.

par Séverine Vidal – mai 2020

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Merci à Séverine Vidal qui nous offre ce texte, également en ligne sur le site Le monde d’après initié, à Arras, par l’association Colères du présent. C’est ici.

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Après avoir été professeure des écoles, Séverine Vidal se consacre, depuis la rentrée 2011, à l’écriture à temps plein. Son premier livre à destination de la jeunesse, Philo mène la danse, est paru en mars 2010 aux éditions Talents Hauts. Elle écrit beaucoup : des romans pour adolescents et jeunes adultes (Sarbacane, Robert Laffont, Nathan), des albums (Gallimard, Sarbacane, Milan, La Joie de lire, Mango), des bandes dessinées (Delcourt, Marabout, Les Enfants rouges), des séries (« Tiago, baby sitter des animaux » chez Magnard, « Prune » et « La tribu » chez Frimousse) Elle aime animer des ateliers d’écriture dans les écoles, les collèges et les lycées, les centres sociaux et les centres d’alphabétisation. Ses ouvrages sont souvent sélectionnés ou récompensés. Quelqu’un qu’on aime (Sarbacane, 2015) a reçu sept prix et La drôle d’évasion (Sarbacane, 2015) quinze. Parmi ses ouvrages récents : Soleil glacé (Robert Laffond, 2020), Le manteau, illustré par Louis Thomas (Gallimard, 2020), Le petit secret, illustré par Clémence Monnet (éditions des Éléphants, 2020), Des vacances bien pourries (Milan, 2019), Voyage de poche, illustré par Florian Pigé (Alice, 2019), Le jour où j’ai sauvé un fantôme (Auzou, 2018), Magic Félix, avec des dessins de Kim Consigny (Jungle, 2018). Nombreuses traductions. Séverine Vidal est, chez Mango, directrice de la collection « Les Romans dessinés ». En ligne, à la demande de France Inter, écrit avec Sophie Aram et lu avec elle pour la collection de postcast « Une histoire… et Oli », le conte Les papiers d’Omar qui parle d’amitié, de solidarité et de l’accueil fait aux migrants. 

Ecrire, un enfer ?

 

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A l’occasion du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, le quotidien Libération a grandement ouvert ses pages du mercredi 27 novembre 2019 aux écrivains et illustrateurs pour la jeunesse pour un passionnant Libé des auteurs jeunesse coordonné par Marie Despléchin. Belle distribution. Nous avons lu avec grand intérêt le texte de Marie-Aude Murail. Le voici avec son autorisation et l’aval du journal.

 

De quoi l’enfer est pavé

Les indignations observées sur les réseaux sociaux sont tout aussi présentes dans l’édition. Une censure qui pourrait mener jusqu’à l’impossibilité même de la fiction.

    Au Salon du livre de Paris de 1987, je croisais dans les travées mon éditeur à l’école des loisirs, monsieur Jean Fabre, qui était en ébullition : on attaquait sa maison d’édition ! L’offensive venait des milieux d’extrême droite qui faisaient circuler une liste de livres jeunesse « écrits pour nuire », dont La Guerre des chocolats de Robert Cormier. Minute clouait au pilori « les pervers de la littérature enfantine » et Valeurs actuelles dénonçaient aux parents « le vice au rayon jeunesse ». Pour manipuler l’opinion, les censeurs employaient deux techniques éprouvées : ils citaient des extraits des ouvrages incriminés en les coupant de leur contexte et ils faisaient semblant de croire que l’évocation dans un roman pour la jeunesse du vol, de la violence, de la drogue, etc. était une incitation à adopter des comportements déviants. À ces accusations de prosélytisme, Melvin Burgess, l’auteur du très explicite Junk, répondit de façon lapidaire : « Je souhaite que, la première fois que mes enfants entendent parler de la drogue, ce ne soit pas le jour où on leur en propose. »

    Cette censure, qui reparut régulièrement tel un serpent de mer, ne me gênait pas quand j’écrivais. L’adversaire, clairement identifié, était réactionnaire. Ma situation devint plus inconfortable dernièrement quand les tirs vinrent de mon propre camp. Qui sont les nouveaux censeurs ? A priori des gens que j’estime, très investis sur un certain nombre de sujets, le féminisme, les mauvais traitements envers les animaux, le racisme, l’homo ou la transphobie, etc. Je respecte leurs convictions, mais l’esprit de sérieux dont ils font preuve les pousse à une lecture fondamentaliste des textes, sans recul et sans humour. Bien plus, ils s’indignent de toute divergence de point de vue et tout personnage qui ne voit pas le monde strictement comme eux est une offense à leur sensibilité. J’ai été soupçonnée de « grossophobie » pour avoir fait dire à une petite héroïne de 10 ans : « Elle est grosse, mais elle est gentille », puis accusée de cruauté animale pour avoir proposé au déchiffrage dans un manuel de lecture la phrase : « Milo tape Riri le rat. » J’ai dû intervenir pour faire cesser une pétition sur Change.org et des réactions en chaîne sur les réseaux sociaux, du type « Ah, c’est dommage ! moi qui aimais Marie-Aude Murail ». Comme disait Alain, « Rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on n’a qu’une idée ».

    Les maisons d’édition américaines se sont dotées de « détecteurs de faux pas littéraires », encore appelés sensitivity readers. Ce sont des lecteurs appartenant à diverses communautés ou minorités, homosexuelle, hispanique, africaine-américaine, etc. qui veillent à ce que rien ne soit controversial, c’est-à-dire sujet à débat, dans les livres publiés. En littérature jeunesse, ils font maintenant partie du processus normal de l’édition pour éviter tout déchaînement sur les réseaux sociaux après publication. Le bad buzz, c’est mauvais pour les affaires.

    Par conscience professionnelle, dès que j’aborde un sujet délicat ou sur lequel je manque de connaissances, j’ai mes propres détecteurs de faux pas, que ce soit un addict des cartes Pokemon de 10 ans ou le médecin ivégiste de mon planning familial. Je ne m’oppose donc pas à une relecture vigilante de mes romans avant publication. Mais je suis restée perplexe récemment quand une de mes correctrices a « tiqué », disait-elle, en lisant sous ma plume que deux petits Noirs jouaient au football. Ce n’était pas à cause du cliché supposé d’enfants noirs amateurs de foot, mais parce que je signalais à l’attention du lecteur leur couleur de peau. Je suppose que j’aurais dû en faire abstraction comme d’une caractéristique non remarquable. Par ailleurs, je sais que je prends un risque si je dote un personnage de caractéristiques qui ne sont pas avantageuses et qui pourraient blesser toute personne susceptible (c’est le cas de le dire) de lui ressembler. Donc, un personnage ne peut plus être gros, mais à la rigueur en surcharge pondérale, il ne peut plus être handicapé, mais en situation de handicap, et Le New York Times proposait récemment de rebaptiser le roman de Hemingway Le monsieur d’un certain âge et la mer. « Stigmatiser » est le mot-clé : l’auteur ne doit pas stigmatiser.

    L’autre procès qu’on fait à l’écrivain concerne sa légitimité. Lors d’une intervention dans un IUT métiers du livre à Bordeaux, une jeune étudiante m’a dit qu’elle ne comprenait pas pourquoi les adolescents n’écrivaient pas eux-mêmes les romans pour adolescents puisqu’étant les mieux placés pour parler de l’adolescence. Elle me reprochait de leur confisquer la parole et d’en tirer profit. Je suis également illégitime si je prends un héros noir comme dans « Sauveur & fils » puisque je ne suis pas noire, ou en créant Ella-Elliot, un jeune personnage trans puisque je ne suis pas trans. Au mieux, je vais être jugée caricaturale et stéréotypée, au pire, je vais verser dans l’appropriation culturelle. Si l’on n’y prend pas garde, de capitulation d’éditeur en autocensure d’auteur, on arrivera, sous la pression de ces censeurs bardés de bonnes intentions, à l’impossibilité même de la fiction, c’est-à-dire la liberté pour un créateur d’imaginer ce qu’est l’autre.

    Depuis la plus petite enfance, j’abrite en moi des personnages qui vivent à ma place pendant de longues heures. J’ai été chevalier, sorcier, artiste peintre, comédien, prince, archéologue, et le plus souvent du sexe opposé. C’est la raison même de ma vocation. Les enfants jouent à on dirait que je serais… indien, adulte, chien, princesse, corsaire, voleur… et du sexe opposé. Protéiforme avant tout et sans tabou. Quand j’écris, je veux être aussi libre qu’un enfant qui joue.

(novembre 2019)

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Née dans une famille d’artistes – son père est poète, sa mère journaliste, son frère aîné Tristan, compositeur, son autre frère Lorris et sa soeur Elvire, qui signe Moka, écrivains -, Marie-Aude Murail a fait des études de lettres à La Sorbonne et soutenu une thèse titré Pauvre Robinson ! ou pourquoi et comment on adapte le roman classique au public enfantin. Premiers textes pour les enfants chez Bayard Presse. Succès, à l’école des loisirs, de la série « Emilien » (1989-1993). Variant thèmes et manières d’écrire, Marie-Aude Murail a publié près

de cent livres, souvent traduits, dont Le Hollandais sans peine (1989), L’assassin est au collège (1992), Oh Boy ! (2000), Simple (2004), Maïté coiffure (2004), Miss Charity (2008), Trois mille façons de dire je t’aime (2013), tous publiés à l’école des loisirs comme l’épatante série « Malo de Lange ». Auteur, avec son frère Lorris, de la série « Le Golem » (Pocket, 2002). Engagée notamment pour la cause de la lecture, elle a écrit plusieurs essais dont Continue la lecture, on n’aime pas la récré (Calmann-Lévy, 1993) et, avec Patricia Bucheton et Christine Thiéblemont, Bulle, méthode d’apprentissage de la lecture pour le CP qui met au cœur du projet littérature pour la jeunesse et lecture à haute voix. Ne pas omettre les cinq saisons de « Sauveur & fils » (école des loisirs, 2017-2019)

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Cette image qui accompagnait la campagne « Banned Book » de 2017 de l’Association des bibliothécaires américains (ALA – Office for intellectual freedom) est signée du graphiste indépendant Tom Deja.

 

 

 

Qui sont les écrivains pour les jeunes ? (2)

par Michèle Kahn

Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.

DEUXIEME PARTIE

    Deux questions devant donner lieu à des développements :

1. Quel est votre souhait personnel ?

2. Quels sont vos espoirs et revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ?

En posant la première question : « Quel est votre souhait personnel », j’avais deux idées comme on dit, derrière la tête. Premièrement, dégager le sentiment, peut-être le ressentiment, des écrivains quant à leur second métier, qu’il faut souvent, pour des raisons financières, appeler le premier. Sont-ils satisfaits de ce partage nécessaire ?

Voici la réponse :

    Si 9 écrivains souhaitent modestement pouvoir écrire plus et davantage, « mieux », ajoutent certains, il s’en trouve 11 pour dire nettement qu’ils souhaiteraient pouvoir vivre de ce métier. « J’aimerais, bien sûr, pouvoir me consacrer entièrement à l’écriture », répond Christian Léourier. Cette réponse n’est pas, j’imagine, très originale. Et Yves Pinguilly d’ajouter : « en recevant commande des media ou des maisons d’édition ».

    Ici, une précision : dans la mesure où il était demandé aux écrivais de donner des renseignements sur le montant de leurs droits, une pudeur – qui ferait hausser les épaules américaines – m’a incité à proposer un questionnaire anonyme. Les écrivains ont cependant étaient très nombreux à révéler spontanément leur identité et, dans ce dernier cas, je me permettrai de les citer.

    Toujours à l’ordre du souhait personnel, ma deuxième « idée derrière la tête » résultait d’une question, dont nous ne mesurons pas ici le degré de perfidie, que nombre d’auteurs écrivant exclusivement pour les jeunes ont entendu tinter à leurs oreilles : « Ah vous écrivez pour les petits ? Pourquoi ? Ca ne marche pas pour les adultes ? » Et au dernier colloque du CRILJ à Saint-Etienne, dont le thème était « La création en France aujourd’hui », n’avait-il pas été fait allusion au fait que la littérature pour la jeunesse pourrait être « le refuge de certains ringards déçus par leur insuccès auprès des adultes » ? Si cette hypothèse était fondée, les réponses ne devraient pas manquer de faire jaillir une certaine amertume à ce sujet. Or, il s’est trouvé un seul auteur qui ait exprimé, pour souhait personnel, l’envie « d’écrire des romans grand public pour adultes ». 1 sur 41, vous avouerez que c’est peu. Cette fois, j’ai manifestement fait chou blanc et suis heureuse de pouvoir le proclamer.

    Il s’agit donc là d’une vingtaine de réponses. Pour les autres, on note quelques souhaits que j’appellerai « disparates », dans la mesure où ils n’apparaissent qu’une fois, tels que le désir d’arriver à faire publier l’ouvrage qu’on porte en soi, ou bien une demande de clarification du rôle de l’AGESSA (Association pour la gestion de Sécurité Sociale des auteurs), ou encore des vœux tels que :

. « un monde plus juste, moins cupide et moins pollué »

. « que le regard des enfants s’ouvre davantage sur les autres enfants du monde »

. « voir… et entendre autour de moi un peu moins d’adultocentrisme pour tout ce qui concerne la littérature pour la jeunesse ».

    Quelques souhaits disparates, donc, mais une majorité de réponses recoupant celles qui ont été données pour la question suivante : « quels sont vos espoirs et vos revendications pour les auteurs de livres pour l’enfance et la jeunesse ? » et dont, pour cette raison, je rendrai compte en même temps.

    Les revendications concernent globalement quatre secteurs : l’édition, les pouvoirs publics, l’école et les medias, alors que les espoirs portent sur un meilleur statut de l’auteur et une reconnaissance de la littérature pour les jeunes.

L’édition :

    De nombreux écrivains critiques les conditions de travail faîtes aux auteurs par les éditeurs. Ils souhaiteraient percevoir un à-valoir correspondant mieux au temps au temps passé, signer le contrat dès l’acceptation des synopsis par l’éditeur, n’être plus assujettis au droit de référence et surtout avoir un moyen de contrôle des ventes effectives. « Que les écrivains, ajoute Claude Cénac, soient tenus au courant de toutes les publications faîtes à partir de leurs œuvres (par exemple, extraits dans les livres scolaires dont nous ignorons tout et sur lesquels nous ne percevons aucun droit) ».

    Béatrice Tanaka résume : « ne pas avoir à marchander à chaque contrat, ni être obligés de réclamer ses comptes et ses droits d’auteur comme si on demandait l’aumône. Enfin, un contrat-type honnête et un code des usages respectés. Un droit de regard sur la fabrication. Une information préalable en cas de réédition, d’épuisement ou de soldes ». D’autres écrivains déplorent la mauvaise qualité des rapports humains auteur-éditeur placés plus souvent, comme l’observe Monique Bermond, sous le signe de l’argent que celui de la création commune. « J’aimerais bien que les éditeurs, écrit un auteur exerçant par ailleurs la profession de bibliothécaire, m’aident à me perfectionner, me fassent refaire, parfaire les textes, aient un rôle de formateur par leurs critiques. Au lieu de quoi, ils se contentent de dire « je prends » ou « je refuse ».

    A relever également : des plaintes sur les conditions matérielles, la basse rentabilité des ouvrages, le faible pourcentage des droits d’auteur, l’un des écrivains précisant qu’il ne touche que 5% sur un livre à 20 000 exemplaires, alors qu’un autre ne perçoit que de 1 000 à 3 000 francs de droits par an pour 25 romans publiés. « J’aimerai bénéficier de droits d’auteur au moins égaux au salaire d’une femme de ménage », déclare amèrement René Antona.

    Un écrivain s’étonne que les droits confondus de l’auteur et de l’illustrateur n’atteignent pas systématiquement les 10% en rigueur en littérature générale. On se souvient que l’analyse comparative des droits d’auteur pour les écrivains tous publics et les écrivains jeunesse, faite plus haut, a clairement montré que les droits d’auteur sont inférieurs dans le secteur jeunesse. Cela nous est confirmé par Michel Jeury, un écrivain professionnel tous publics dont voici le souhait : « que les contrats proposés aux auteurs jeunesse s’alignent sur les autres secteurs avec un plancher de conditions sous lesquelles les éditeurs ne pourront pas descendre.

    Est ensuite critiqué le choix éditorial, dans sa forme (où sont les beaux livres reliés ?), mais surtout dans son contenu. C’est ici que les théories s’affrontent.

    Si Michel Tournier espère « voir changer l’idéologie victorienne qui terrorise l’édition destinée aux jeunes », si un journaliste et un professeur s’accordent pour souhaiter que les éditeurs s’intéressent davantage à leurs lecteurs qu’aux profs, aux grands-parents, aux psychologues, aux psychiatres et aux responsables d’associations familiales, Marie-Claude Monchaux, Suzanne Puligami et Jacqueline Verly dénoncent la permissivité, la place faites au vol, à la drogue, à l’homosexualité, à la contestation, aux thèmes angoissants. « Qu’on publie moins de conneries », tranche Hilaire Cuny. On réclame aussi plus d’audace, on demande aux éditeurs de ne pas enfermer, autant par facilité que par souci de rentabilité, les auteurs dans la routine de leurs collections.

    On souhaite également, de la part des professionnels, un effort pour découvrir et publier les auteurs français de préférence aux étrangers. Jacques Cassabois dénonce, « directement issue des grandes foires internationales, la surabondance de productions étrangères, qui ressemble plus à une prise de pouvoir de l’impérialisme de l’argent qu’à un véritable échange interculturel. Cette prise de pouvoir, poursuit-il, permet à des œuvres médiocres d’exister dans un marché où les particularismes culturels sont écartés parce qu’ils deviennent des freins à la vente ».

    Autre sujet de mécontentement : la part minime faite aux auteurs contemporains. « L’édition fait actuellement une place de plus en plus réduite aux créations, nous dit encore Jacques Cassabois, au profit de la réédition d’auteurs classiques ou néo-classiques, ce qui continue d’accréditer cette idée conservatrice d’une culture éloignée du public, puisque produite par des hommes et des femmes morts depuis longtemps.

    Sont également critiqués : le lancement publicitaire, la distribution et le manque d’agressivité des éditeurs sur le marché étranger. Si les bons livres pour enfants bénéficiaient du même lancement que les bons livres pour adultes, observe Jean-Côme Noguès, « les parents apprendraient à choisir les livres qu’ils donnent à leurs enfants. » Pour ce qui concerne la distribution, il est reproché au système actuel de favoriser les grandes maisons d’édition, de les laisser « inonder le marché ». Cependant, certains écrivains observent que, même publiés par ces grandes maisons, ils ne bénéficient pas toujours pour autant de l’artillerie lourde préposée à la mise en place, dans les librairies, des livres de série qui sont, le plus souvent, de qualité médiocre. Quant au marché étranger, Christian Poslaniec pense qu’il serait nécessaire, pour le conquérir, afin de pallier la carence des éditeurs, de créer un organisme « connaissant parfaitement la production française, capable de favoriser l’adaptation de nos œuvres en langues étrangères ».

    Vous voyez que nos auteurs ne sont pas uniquement négatifs. Ils font encore d’autres suggestions qui, notons-le au passage, traduisent leur isolement. Ils souhaitent pouvoir discuter de leurs problèmes avec d’autres auteurs, avoir leur mot à dire sur le choix de l’illustrateur par l’éditeur, avoir la possibilité de rencontrer les illustrateurs de leurs ouvrages avant la mise en chantier de l’illustration, bref que la production d’un livre soit l’aboutissement d’un véritable travail d’équipe.

    En amont, ne sachant souvent à quelle porte frapper lorsqu’ils ont écrit un ouvrage qui n’a pas sa place dans les collections de leur éditeur habituer, ils aimeraient pouvoir être orientés, mieux informés sur les possibilités éditoriales des diverses maisons d’édition.

    Si Christian Poslaniec imagine la création d’un organisme capable de recevoir les manuscrits et de les proposer aux éditeurs concernés (en observant que ceux-ci ne seraient plus alors submergés de manuscrits non aboutis), Christian Léourier suggère l’édition d’un « annuaire récapitulant les collections existante avec leurs orientations et les noms des responsables ».

    Voici pour l’édition, dont il convient de rappeler quelques chiffres non négligeables, obtenus auprès du Syndicat National de l’édition. En 1981, les livres et albums pour la jeunesse constituaient 6% du chiffre d’affaire global de l’édition française, sur une production de livres représentant 13,15% du tirage global de l’édition en France, le pourcentage étant porté à 17,8% si l’on inclut les livres de bande dessinée.

Les pouvoirs publics :

    Coup d’envoi de Jacques Cassabois, soutenu par quelques confrères, qui déplore une « réticence à faire participer les créateurs aux instances institutionnelles les concernant, comme la récente « Commission Jeunesse » du Centre national des Lettres dont ils sont quasiment écartés, alors que les écrivains sont largement représentés dans toutes les autres commissions du même organisme. Faut-il, s’interroge Jacques Cassabois, lorsqu’il s’agit de l’enfance, détourner les créateurs des décisions pour les confier à des personnes plus patentées ? »

    Sont réclamées :

. en premier, une aide matérielle, sous forme de concours, bourse ou prix, pour aider les jeunes auteurs à se faire publier ou qui permettrait à des écrivains chevronnés de se consacrer entièrement à l’écriture.

. deuxièmement une réflexion sur le livre pour les jeunes et des manifestations nationales pour sa promotion, celles-ci pouvant se ramifier en actions régionales, départementales, municipales, etc.…

. troisièmement, comme le résume Michel Cosem : « une véritable politique de la lecture en direction des jeunes (écoles collèges, bibliothèques municipales) largement débattue par toutes les personnes concernées. « Jacques Cassabois réapparaît ici en soulignant qu’ainsi une littérature active pourrait s’intégrer dans les établissements scolaires, sans être pour autant tributaire du bénévolat obligé et de la recherche d’expédients financiers.

L’école :

    « On veut honnêtement espérer, écrit Georges Fonvilliers, que l’effort déjà entrepris dans les écoles et collèges, pour éveiller l’enfant au goût de la lecture et du livre, porte un jour ses fruits en accroissant le nombre des lecteurs, tout en élargissant et améliorant leu choix ».

    Mais, tous ne partagent pas son optimisme. Ici ou là, on critique les méthodes d’apprentissage de la lecture, l’insuffisance des moyens mis en œuvre par les enseignants pour développer le goût du livre et de la lecture chez les enfants, et même, on milite pour le renouveau de l’enseignement de l’histoire, « car tout roman fondé sur une trame historique, précise ce dernier écrivain, risque de tomber dans le désert avec une jeunesse dont on aura pas cultivé et formé la mémoire ».

    Il faudrait « que les écrivains soient mieux connus en milieu scolaire où un travail considérable reste à faire » déclare Michel Lamart, lui-même professeur. De nombreux écrivains, heureux d’avoir pu participer à des animations dans les écoles, souhaitent que ces expériences se renouvellent le plus souvent possible, mais peut-être dans des conditions matérielles plus favorables. Que la tâche des auteurs disponibles à un public d’enfants, avec ce que cela suppose de déplacements et de temps passé en correspondance avec les enfants, soit reconnue, demande Anne Pierjean. Même son de cloche chez Claude Cénac qui revendique dans ce cas, sinon une rémunération, tout au moins un défraiement. Et Pef d’observer que la « rétribution de ces prestations permettrait aux auteurs de trouver dans ce métier un revenu suffisant sans avoir à s’éparpiller ».

Les media :

    Sujet qui provoque de nombreuses doléances. « Je souhaite, écrit Jean Joubert, une plus grande attention de la presse, de la radio et de la télévision qui, dans l’ensemble, sont peu attentives à cet aspect de la littérature que je juge capital, puisqu’il est le lieu d’initiation de l’enfant à la lecture ».

Sont donc véhémentement réclamés :

. l’intégration, à part entière, de la littérature pour les jeunes dans le réseau actuel des informations culturelles nationales à travers la presse écrite (quotidiens et magazines) et audiovisuelle (radio et télévision). Avec cette précision : à tout moment de l’année, ce qui signifie en clair autrement qu’à la veille de Noël ou des vacances. Et cela, souligne Jacques Cassabois, afin d’apporter « au public les éléments de choix de plus en plus indispensables devant l’abondance inflationniste de la production ».

. « des émissions de radio et de télévision spécialisées plus fréquentes et plus intelligentes ».

. Le passage des auteurs de livres pour les jeunes dans de grandes émissions culturelles type Apostrophes. « J’aimerais être l’invité d’une émission à une heure de grande écoute » soupire Huguette Pérol, tandis que Jean Cazalbou grogne : on aimerait « voir les auteurs et les illustrateurs de livres « jeunes » reçus à Apostrophes tout comme Spaggiari, le gangster bien connu. En attendant la création d’émissions de qualité sur la littérature pour la jeunesse ».

    Et enfin, un autre vœu concernant les media, ainsi formulé par Christian Poslaniec : « que les réalisateurs audio-visuels de produits destinés aux jeunes mettent un peu leur nez dans le vaste champ des publications françaises destinées à la jeunesse. Quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays, la situation française constitue un véritable scandale ».

    Rien de nouveau donc. Il y a des années que nous déplorons le manque d’intérêt le manque d’intérêt des média. Il serait cependant intéressant, dans le cadre des travaux que nous devons mener à la suite de ce colloque, de voir avec nos confrères de l’audiovisuel comment, de leur point de vue, se présente la situation. Et aussi d’étudier effectivement, avec exemples précis à l’appui, ce qui se passe dans les autres pays que la France.

    Enfin, le dernier point de ces espoirs et revendications, mais non le moindre : Le statut des auteurs et de la littérature pour les jeunes

     Jacqueline Held résume parfaitement la situation lorsqu’elle espère :

. « Voir la littérature de jeunesse reconnue comme une littérature tout simplement (elle l’est dans beaucoup d’autres pays)

. « Que la littérature soit un métier, c’est-à-dire une activité qui permette de gagner sa vie ».

    Reviennent comme un leitmotiv sur une trentaine de fiche ces quelques mots : davantage de considération, davantage d’estime, littérature à part entière, sortir du ghetto, pas de frontière littéraire.

    Laissons parler ces écrivains dont, note un auteur tous publics, « les libraires cachent les livres au fond de leur magasin », comme autrefois les livres pornographiques. « Que soit enfin reconnu que nous ne faisons pas de la sous-littérature, dit Robert Bigot, sous prétexte que nous ne mettons dans nos écrits ni violence, ni corruption, ni sexe pour le sexe, mais plus souvent ce qui reste d’amour entre les hommes ».

    « Ne plus être traités en éternels mineurs, revendique Béatrice Tanaka : un livre pour jeunes est un livre pour tous ». Et Jean François Laguionie : « ne pas être considérés comme des auteurs de livre pour l’enfance ou la jeunesse mais des auteurs tout simplement ». Madeleine Gilard ajoute : « un livre authentique est une chose précieuse, qui que ce soit qui le lise ».

    L’humeur n’est pas toujours à l’optimisme. « Que peut-on espérer, s’interroge Michèle Albraud, dans un pays qui n’aime pas les enfants et se méfie de la jeunesse ? » A en croire Michel-Aimé Baudouy, il y aurait peut-être une solution. Il faudrait que « l’action entreprise par certains enseignants, bibliothécaires et quelques critiques soit amplifiée. Que cette action, soutenue par les media, aboutisse – enfin – à la distinction entre les fabricants de séries (tant auteurs qu’éditeurs), responsable du discrédit qui pèse sur la littérature pour la jeunesse, et les véritables créateurs d’œuvres de qualité (justement parce qu’elles sont destinées aux jeunes), d’œuvres tout court ».

    Ici ou là, les auteurs suggèrent que les critiques et les prix reconnaissent, à l’instar du Grand Prix Jeunesse de la Société des Gens de Lettres, la qualité littéraire des ouvrages.

    Afin que la littérature pour la jeunesse ne soit plus coupée de la littérature pour adultes, propose Nadine Garrel, « que la même exigence existe pour l’une et l’autre, la même audience et qu’on en finisse avec cette séparation ».

    Autre observation d’un écrivain tous publics : « Il faut que l’on admette que les bons romans juvéniles sont des œuvres littéraires majeures, avec ce que cela implique moralement et matériellement ».

    Matériellement, venons-y ! Il ne s’agit pas de faire fortune, mais tout simplement de pouvoir vivre. « Que le métier d’écrivain pour jeunes, souhaite Luce Fillol, soit désormais un métier […] capable de nourrir celui qui l’exerce avec honnêteté et courage ».

    « Que les auteurs ne soient pas obligés de « produire » vite, commente Madeleine Gilard, parce que c’est indispensable pour nourrir la famille. Qu’ils puissent consacrer le plus de temps et de soins possibles à leur œuvre ». Et certains d’observer que revaloriser le statut de cette catégorie d’auteurs pourrait favoriser le développement d’une création véritable.

    Citons également le point de vue de trois auteurs professionnels tous publics : Jean Joubert, Michel Jeury et Michel Peyramaure, qui trouvent important pour eux d’écrire des livres pour les jeunes, « dans ce domaine, précise Jean Joubert, trop souvent réservé à des spécialistes ». Quant à Michel Peyramaure, il souhaite « avoir le temps d’écrire d’autres livres pour la jeunesse » sans s’épancher sur ce qui pourrait l’en empêcher.

    On comprend en effet que certains hésitent à tout donner d’eux-mêmes pour un livre qui ne leur attirera ni droits d’auteur substantiels, ni même la considération du public, et l’on en vient parfois à se demander si le fait de commencer par écrire pour les jeunes ne jette pas, irréversiblement, un discrédit sur l’écrivain. Ecoutez cette plainte d’Huguette Pérol : « beaucoup d’auteurs « pour adultes » écrivent des livres pour enfants, c’est un fait admis. L’inverse est une tare, un handicap. Pourquoi ? »

    Que peuvent espérer, en conclusion, les auteurs de livres pour les jeunes ? « Du talent, encore du talent et des lecteurs, toujours des lecteurs… » résume Paul Fournel, cependant que de nombreux écrivains s’attristent d’un constat plutôt raide : talent et lecteurs ne vont pas forcément de pair.

    Toutefois, cette enquête a mis en évidence certains éléments positifs qui méritent d’être signalés, et tout particulièrement le nombre d’écrivains qui se sont manifestés, n’hésitant pas à remplir des pages entières d’observations.

    Il faudrait pousser plus l’étude, l’étendre aux illustrateurs, inclure la BD. Mais il faudrait surtout que les auteurs continuent à se mobiliser. Il y a une action à conduire avec le CRILJ, avec la Société des Gens de Lettres qui, au sein du CPE (Conseil permanent des écrivains) a suscité l’ouverture de négociations avec le groupe Jeunesse du Syndicat national de l’édition, ces négociations devant logiquement aboutir à la signature d’un avenant spécifique au Code des usages déjà signé pour la littérature générale.

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.

Griffon accueille Bernadette

par André Delobel

.

« Bernadette Després ! Mais, je connais très bien ! Tu es chargé de l’éditorial ?

 – J’ai aussi coordonné le numéro.

 – Mazette ! Toi aussi, tu es tombé dans « Tom-Tom et Nana » quand tu étais petit ?

 – Grossière erreur de date ! Faut être précis quand on veut persiffler. Ma première rencontre avec Bernadette Després, c’est Nicole au quinzième étage, un album tout simple et fabuleux à la fois, paru à La Farandole. Et, en 1969, je ne suis plus vraiment un gamin…

 – Je croyais que tu allais me parler de Jeunes Années.

 – J’ai fouillé dans ma collection et – je n’invente pas – Bernadette a collaboré à Jeunes Années à la fin des années 60, surtout pour des jeux et des découpages. A peu près à la même période que Béatrice Tanaka.

 – Le monde est petit.

 – Et, à Jeunes Années, on savait faire confiance.

 – A La Farandole aussi, me semble-t-il…

 – Chez cet éditeur, avant le premier titre de la série des « Nicole », Bernadette avait publié Annie fait les courses. C’était en 1965 et je suis très content d’en avoir retouvé un exemplaire.

 – Quand Bernadette Desprès publie chez Bayard, tu continues à suivre ?

 L’album Les mots de Zaza, dont l’histoire parait initialement dans « Les Belles histoires de Pomme d’Api » en 1976, est quand même devenu une sorte de best-seller.

 – Tu ne t’es pas abonné à J’aime lire, tout de même ?

 – Pas la peine. En Tunisie, mes élèves me prêtaient. Des « cours préparatoire » qui apprenaient à lire ! Le petit roman que publiait le magazine ne les intéressait pas, mais ils se faisaient lire l’épisode mensuel de « Tom-Tom et Nana » par un plus grand qu’eux, pour le relire ensuite eux-mêmes, à leur façon.

 – Allez, tu brûles d’envie de raconter le moment où tu rentres en France…

 – Je rencontre assez vite Bernadette Després, lors d’une séance de dédicaces organisée par la Coopérative du livre à Orléans. Sur le « Nicole » que je me fais signer, l’illustratrice m’attribue le prénom Arnold. A cause d’Arnold Lobel.

 – Très drôle !

 – J’ai appris un peu plus tard que le quartier que Nicole admire de son quinzième étage est précisément le quartier gare d’Orléans et qu’Andrée Clair, auteur de l’album, avait demandé à Bernadette de gommer l’église qu’elle avait placée dans son dessin…

 – Et ensuite ?

 – Bernadette Després a suivi de près l’aventure de « Lire à belles dents » dans La République du Centre et elle nous a offert quelques belles illustrations. Je suis aussi allé plusieurs fois chez elle, dans le Gâtinais.

 – A Givraines ?

 – A Givraines. A une dizaine de kilomètres de mon premier poste d’instituteur, avant même la Tunisie.

 – Le monde est petit.

 – Tu l’as déjà dit.

 – Continue.

 – Une visite chez Bernadette et Denis, c’est, à chaque fois, la certitude de découvertes nouvelles. Si Denis ne manque jamais de montrer et de commenter son univers art brut, Bernadette possède de passionnantes archives et elle n’aime rien tant que de sortir de ses cachettes secrètes les preuves de ce qu’elle explique généreusement, en réponse à nos curiosités. Elle est aussi collectionneuse et possède un bel ensemble d’ouvrages pour la jeunesse.

 – La dernière fois que tu as rencontré Bernadette ?

 – C’était à Blois, à l’automne dernier, à l’occasion d’une exposition finement conçue. Il y a un article qui explique dans ce numéro de Griffon.

 – Je vais lire. Plus rien à dire sur toi-même ?

 – Si tu insistes, je peux trouver.

 – Je préfère apprendre sur Bernadette Després. Merci et à une autre fois. »

 ( Griffon  n° 237 – mai-juin 2013 – Bernadette Després )

.

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Qui sont les écrivains pour les jeunes ? (1)

par Michèle Kahn

Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.

PREMIERE PARTIE

    Qui sont les écrivains pour les jeunes ? Ou, plutôt, qui sont les écrivains qui, volontairement ou non, écrivent pour ce secteur de l’édition classé sous l’étiquette générale : littérature pour l’enfance et la jeunesse ?

    Il est apparu, au cours d’un entretien entre spécialistes réunis pour mettre au point notre colloque des Journées mondiales de l’écrivain, que si des écrivains avaient déjà été interrogés sur les motifs pour lesquels ils s’adressent au jeune public et sur leur conception de cet exercice, il n’y avait jamais eu véritablement – sauf erreur – de consultation systématique et spécifique des écrivains pour l’enfance et la jeunesse. Il n’est pas certain que j’étais qualifiée pour ce genre de travail. Peut-être aurait-il mieux valu s’adresser à un théoricien ou à un statisticien, à un économiste ou à un démographe, toutes choses que je ne suis pas. Mais nous nous trouvions dans un Paris estival presque vide. Aussi ai-je accepté bien volontiers, en tant que Secrétaire Général de la Société des Gens de Lettres et membre du CRILJ, de tenter une première approche.

    Ayant fait le compte à rebours des opérations, je me suis vue dans l’obligation de rédiger un questionnaire rapide en vingt-quatre heures, ce que j’ai pu réaliser en m’inspirant de celui qu’avait établi Michèle Vessillier-Ressi pour son ouvrage, le premier du genre en France, intitulé Le Métier d’Auteur. Ce questionnaire a ensuite été adressé aux 161 écrivains d’une liste communiquée par le CRILJ, et 84 d’entre eux ont répondu, ce qui constitue un pourcentage remarquable, tout le monde me le dit. Nous avons donc reçu plus de 50% de réponses, alors que d’habitude on en escompte environ 10%.

    A partir de ces premiers résultats, il se dégage un curieux portrait-robot de l’écrivain pour les jeunes.

    Imaginez un monsieur de 50 ans. Voici une quinzaine d’années, non seulement qu’il écrit, mais qu’il est publié. Il avait en effet 35 ans à la parution de son premier livre, dans une collection destinée aux jeunes. Marié, il a deux enfants. Né en province, il y est resté. Son père était fonctionnaire. Lui-même, à la suite d’études supérieures, travaille au service de l’Education Nationale. Tout son temps libre, il le passe à écrire, écrire, écrire, et parfois il rêve de ne plus faire que cela. Mais ses livres, bien que nombreux, ne lui rapportent que 3 000 à 10 000 francs par an. Aussi attend-il la retraite pour satisfaire son rêve.

    Voici donc notre écrivain. Qu’en pensent mes confrères ? Pour ma part, j’ai beaucoup de peine à me reconnaître dans le miroir que je me suis tendu, mais il est vrai que le portrait-robot permet rarement de trouver l’assassin.

    Sans rejeter ce portrait, qui correspond à une vérité partielle, dans la mesure où il a été obtenu par la juxtaposition des dominantes, il convient d’analyser l’ensemble des réponses données par les écrivains à chaque élément du questionnaire.

1. Le sexe.

    Combien de Comtesse de Ségur, combien de Jules Verne ?

    Nous obtenons le résultat de 38 femmes pour 46 hommes, soit 45,2% de femmes. Ce qui représente le double de l’effectif féminin qui se consacre habituellement à des carrières créatrices (dans son livre Le Métier d’Auteur, Michèle Vessilluer-Ressi annonce 23% de femmes en 1979), mais, en dépit de cette forte participation féminine, le sexe masculin reste prédominant.

2. L’âge (à noter qu’il s’agit ici, pour une fois, de l’âge de l’écrivain et non de celui du lecteur)

    Aucun écrivain ayant répondu n’a moins de trente ans. La majorité, 41 d’entre eux, soit 48,8%, se situe entre 30 et 50 ans, 32, soit 38,1%, entre 50 et 70 ans, tandis que 11 écrivains, soit 13,1%, ont fêté leurs 70 ans. La plus nombreuse catégorie occupe donc la tranche de 30 à 50 ans, mais on obtient une moyenne d’âge de 52 ans.

3. Quel âge avaient ces auteurs à la parution de leur premier livre ?

. moins de 30 ans pour 25 d’entre eux, soit 29,7%,

. de 30 à 50 ans pour 52 écrivains, soit 61,9%,

. de 50 à 70 ans pour 6 d’entre eux, soit 7,2%.

Aucun écrivain n’a eu son premier livre après 70 ans. Et la moyenne d’âge, pour cet important événement, donne 35 ans.

4. Sont-ils célibataires, mariés ou divorcés ?

Ils ont confiance dans les valeurs traditionnelles puisque 64 écrivains, soit 78,6%, déclarent être mariés (les veufs ont été classés dans cette catégorie) alors que 10 d’entre eux, soit 11,9%, sont restés célibataires et que 8 écrivains, soit 9,5%, sont divorcés.

5. Aiment-ils les enfants au point d’en avoir ? Si oui, combien ?

    Deux écrivains ont partie liée avec les dix célibataires cités plus haut, ce qui en fait 12 en tout, pour porter à 14,3% le nombre d’écrivains pour les enfants… des autres.

. 18 d’entre eux, soit 21,4%, ont un enfant,

. 30, soit 35,7%, ont deux enfants,

. 16, soit 19%, en ont trois,

. 5, soit 6%, sont parents de quatre enfants,

. 1 écrivain, soit 1,2%, a cinq enfants,

. 2 autres, soit 2,4%, ont plus de cinq enfants.

6. Lieu de naissance

56 écrivains, soit 66,6% sont nés en province, alors que 22, soit 26,2%, sont nés à Paris ou dans la région parisienne et 6 autres, soit 7,2%, dans les pays étrangers.

7. Adresse actuelle

    La région parisienne présente un irrésistible attrait puisque 39 écrivains, soit 46,5%, y résident actuellement (c’est-à-dire presque le double de la quantité des natifs de cette région), mais le plus grand nombre, 45 écrivains, soit 53,5%, habite la province.

8. Profession des parents

    Cette question, qui devrait servir à déterminer le milieu socio-culturel d’origine des écrivains, a été quelquefois mal-comprises. « Décédés » a-t-on répondu, ou « à la retraite ».

Sur les 67 réponses exploitables, nous obtenons le tableau suivant (en ayant utilisé les catégories adoptés par l’INSEE) :

. agriculteurs, exploitants (2 = 3%),

. salariés agricoles (1 = 1,5%),

. patrons de l’industrie et du commerce (9 = 13,4%),

. professions libérales, cadres sup. (15 = 22,4),

. cadres moyens (24 = 35,8%),

. employés (14 = 20,9%),

. ouvriers (1 = 1,5%),

. personnel de service (0 = 0%),

. autres catégories (1 = 1,5%).

    Nos écrivains sont donc, en majorité, des enfants de cadres moyens, avec 35,8% (parmi lesquels on trouve principalement des fonctionnaires) et une assez forte proportion, 22,4%, de professions libérales ou de cadres supérieurs, ainsi que d’employés, 20,9%.

9. Niveau d’études

    Sur 82 réponses à ce sujet, 50 écrivains, soit une écrasante majorité de 61% ont fait des études supérieures alors que, note Michèle Versillier-Ressi, cela reste un privilège pour 3,8% de la population active en 1982, 14 écrivains, soit 17%, ont le baccalauréat pour seul diplôme, tandis que 12, soit 14,6%, se sont arrêtés avant le baccalauréat, que 4 écrivains, soit 4,8%, ont fréquenté une école spécialisée après le baccalauréat et que 2 d’entre eux, soit 2,3%, ont obtenu le diplôme d’une école technique.

    Ces résultats nous conduisent à une autre question fondamentale :

10. Avez-vous un autre métier que celui d’écrivain ?

    Oui, ont répondu 75 personnes, le fait de bénéficier d’une retraite constituent à nos yeux le second métier. 9 écrivains sur 84, soit 10,7%, ont donc l’écriture pour seul métier. Ces réponses ont également permis de mettre en valeur le fait que sur 74 personnes, 29 d’entre elles, soit 39,2%, travaillent au service de l’Education nationale.

    La répartition de ce second métier, toujours selon les catégories adoptées par l’INSEE, se fait ainsi :

. agriculteurs, exploitants (0),

. salariés agricoles (0),

. patrons de l’industrie et du commerce (2 = 2,6%),

. professions libérales, cadres sup. (12 = 26%),

. cadres moyens (42 = 56%),

. employés (3 = 4%),

. ouvriers (0),

. personnel de service (0),

. autres catégories (16 = 21,4%).

    Une grande majorité donc de cadres moyens, avec 56%, parmi lesquels deux tiers d’enseignants et quelques journalistes. Aucun écrivain n’exerce de métier agricole, et l’on ne note pas plus d’ouvriers ou de personnel de service. La proportion de profession artistiques, 21,4%, est considérable, comparée aux 0,3% de la population.

11. Ces écrivains écrivent-ils uniquement pour la jeunesse ou pour tous les publics ?

    Le résultat obtenu est bien sûr relativement significatif mais – étonnante coïncidence – il y a 42 écrivains dans chaque camp, soit très exactement 50% d’écrivains spécialisés dans la littérature pour les jeunes.

12. Que publient d’autre les 50% d’écrivains tous publics ?

    25 d’entre eux se livrent à des genres divers, alors que 17 écrivains se consacrent exclusivement à un seul genre. Nous avons ainsi 6 auteurs de romans, 4 poètes, 3 auteurs de science-fiction, 1 de nouvelles, 1 d’ouvrages scientifiques et 1 de livres de voyages.

13. Combien de droits d’auteur touchent-ils, dans une fourchette allant de moins de 1000 F à plus de 100 000 F ?

    Il faut signaler que les écrivains s’adressant à divers publics ont répondu pour l’ensemble de leurs droits.

    Pour résumer :

. 41% des écrivains spécialisés pour la jeunesse touchent de 3000 à 10 000 francs par an.

. 23% perçoivent de 1000 à 3 000 francs.

. 23 autres % de 10 000 à 50 000 francs, somme dépassée par un seul écrivain.

. 10% se contentent de moins de 1 000 francs par an.

( encore s’agit-il, pour comprendre ces chiffres, de savoir à quelle masse de travail ils correspondent : l’un des écrivains touchant de 1 000 à 3 000 francs par an précise qu’il a publié 25 romans )

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.

Michèle Piquard

par Viviane Ezratty

    Nous avons appris avec tristesse la disparition cet été de Michèle Piquard. Nous avions eu la chance de partager certains de ses questionnements en tant que chercheuse et d’apprécier ses qualités humaines. A quel moment Michèle Piquard est-elle devenue une habituée de l’Heure Joyeuse ? Il me semble me souvenir qu’elle avait pris rendez-vous avec Françoise Lévèque, responsable du Fonds historique, pour travailler sur la collection des Enfants de la terre, et que Françoise lui avait proposé de la mettre en relation avec François Faucher, pour travailler sur les archives du Père Castor. Elle en avait été ravie et cela a pu se faire facilement. Les liens étaient noués.

    Ils se sont renforcés, alors que Françoise et moi rencontrions régulièrement François Ruy-Vidal, ce dernier nous parlait toujours d’une personne formidable doublée d’une chercheuse rigoureuse qu’il serait bien que nous rencontrions. Il s’agissait de Michèle Piquard et nous nous sommes retrouvés tous les quatre à déjeuner un certain nombre de fois. Ces déjeuners discussions, nous plongeaient dans l’histoire foisonnante et passionnante du travail d’éditeur de François Ruy-Vidal, dont elle avait une grande connaissance. Je garderai toujours en mémoire ces moments d’exception, joyeux par moments, plus graves à d’autres, alors que Michèle Piquard faisait part de ses doutes en tant que chercheuse. Et puis la maladie était là, elle en parlait librement, disant qu’elle mettait toute son énergie à se battre contre elle pour son fils.

    Lorsque François Ruy-Vidal a fait don de ses archives à l’Heure Joyeuse, cela nous est apparu comme une évidence à tous, que c’était elle qui devait les explorer et également mener des interviews de François Ruy-Vidal sur son travail. Elle est venue un certain nombre de fois à l’Heure Joyeuse pour cela, mais ce printemps 2012, elle nous a dit qu’elle ne pouvait plus assumer ce travail, à cause de la fatigue que cela représentait. Et puis il y a eu une dernière opération et le choc d’apprendre son décès, parce que jusqu’au bout nous ne pouvions imaginer que ce ne soit pas sa volonté qui gagne.

    Au-delà de l’émotion qui perdure, il restera le fruit de son travail de chercheuse et en particulier son ouvrage sur l’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980 qui, sans jargon inutile, démontre sa maîtrise du sujet. Un traité qui est encore la référence sur la question du livre pour la jeunesse et permet d’en objectiver l’approche. Je garderai aussi la vision d’une chercheuse en action, exigeante, allant jusqu’au bout de ses questionnements, intéressée par l’enfance, l’éducation nouvelle et la création artistique.

(octobre 2012)

Conservatrice des bibliothèques de la Ville de Paris depuis 1979, Viviane Ezratty est, depuis 1986, directrice de la bibliothèque L’Heure Joyeuse. Elle a collaboré à L’Histoire des bibliothèques françaises (Promodis-Cercle de la librairie, 1992), L’Heure Joyeuse, 1924-1994 : 70 ans de jeunesse (Agence culturelle de Paris, 1994), Désherber en bibliothèque (Cercle de la librairie, 1999). Elle est signataire régulière d’articles dans le Bulletin des Bibliothèques de France et dans La Revue des livres pour enfants où elle assure la veille des revues spécialisées “littérature pour la jeunesse” de langue anglaise. Membre du comité permanent des bibliothèques jeunesse à l’IFLA (International Federation of Library Associations), elle apporte également son concours au conseil d’administration du CRILJ.

 

Chargée de recherche au CNRS, Michèle Piquard fut spécialiste de l’histoire du livre et de la lecture. Elle a consacré ses recherches à une analyse historique et sociologique du processus de « patrimonialisation » de la littérature pour la jeunesse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, dans le cadre de l’histoire économique, juridique et institutionnelle de l’édition pour la jeunesse.

 BIBLIOGRAPHIE

. Ouvrages :

2004, L’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, Presses de l’ENSSIB, réédition. 2005

. Articles :

2011. Paul Faucher, concepteur des albums du Père Castor, sergent recruteur de la Nouvelle Education dans l’entre deux guerres (Recherches & éducations n°4)

2008. Robert Delpire, précurseur dans l’édition pour la jeunesse des années 1950-1970, (in « Robert Delpire éditeur », mis en ligne le 14 juin 2010 : http://strenae.revues.org/75)

2007. La Bibliothèque Rouge & Or à l’heure de la concentration des entreprises d’édition, 1961-2006, (in Les Cahiers Robinson n°21, Université d’Artois)

2007. La Littérature de jeunesse a-t-elle atteint l’âge adulte ? (in Dazibao, n°15, Agence régionale du livre PACA)

2007. L’Emergence d’un nouveau concept d’édition dans l’album pour la jeunesse des années soixante-dix (in « La Littérature jeunesse, une littérature de son temps ? », Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis)

2005, Les Stratégies des éditeurs pour la jeunesse depuis 1965 : réponse aux demandes et élaboration de l’offre, analyse d’exemples, (in « Regards sur le livre et la lecture des jeunes : la joie par les livres a 40 ans », actes du colloque 29 et 30 septembre 2005, Bibliothèque Nationale de France)

2005. New Editing Strategies of French Catholic Publishing Houses since 1945, (in « Religion children’s literature and modernity inEurope 1750-2000 », sous la direction de Jan de Maeyer, Hans-Heino Ewers, Rita Ghesquière, Michel Manson, Leuven University Press)

2004. Les Presses enfantines chrétiennes aujourd’hui en France : la montée en puissance du groupe Bayard, (in « Les Presses enfantines chrétiennes », actes du colloque des 14 et 15 décembre 2004, Presses de l’Université d’Artois)

2004, Le Roman de Renart : patrimoine littéraire pour la jeunesse, entre culture scolaire et culture de masse, (in « Children’s publishing between heritage and mass culture, L’Edition pour la jeunesse entre héritage et culture de masse », Institut international Charles-Perrault, GREC (Paris XIII), CEEI (Paris VII) et Afreloce)

2004. Renart et les anguilles dans l’édition pour la jeunesse depuis 1945 : Renart de male escole, (in Les Cahiers Robinson, n° 16, Université d’Artois)

2003. La Loi du 16 juillet 1949 et la production de livres et albums pour la jeunesse, (in « L’Image pour enfants : pratiques, normes, discours : France et pays francophones, XVI-XXe siècles », La Licorne, n°65, Poitiers : Maison des Sciences de l’Homme et de la Société)

2002. François Ruy-Vidal et Harlin Quist, nouveaux concepteurs dans l’édition pour la jeunesse des années 1970. Etude de cas : Les Contes de Ionesco, (in « Communication et histoire : Ecritures et espaces-temps pluriels », journées d’étude organisées les 9 et 10 mars)

François Ruy-Vidal, éditeur, a souhaité compléter ce témoignage par un extrait de la lettre qu’il a adressée au fils de Michèle :

« Michèle m’a toujours accompagné. sans faille, sans hésitation en me permettant même, sur la fin de ma vie, par son courage, son engagement, sa générosité et son soutien moral et amical, alors qu’elle était déjà affaiblie par les assauts de ce qui la rongeait, de ne pas désespérer, de regarder mon passé sans trop le discréditer comme j’étais porté à le faire, en m’obligeant à voir les livres que j’ai publiés avec le regard indulgent et tonique avec lequel elle les considérait elle-même.

Je souhaite qu’elle vive en vous comme elle vivra en moi tant que je vivrai. Avec sa profonde honnêteté, sa rigueur, sa simplicité et cette intuition exceptionnelle qui lui permettait, sans rien demander, de nous obliger à nous élever à sa hauteur. Ce fut pour moi un grand bonheur de la connaître et un honneur de savoir qu’elle me comptait parmi ses amis. Je lui dois beaucoup car elle m’a toujours accompagné et aidé. »

(septembre 2012)

Rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauts

 

La rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauls qui s’est tenue le 6 novembre 2010 dans le cadre de Vivons livres au Centre de Congrès Pierre Baudis de Toulouse était animée par Nicole Folch.

Nicole FolchAnne Brouillard, il y a deux thématiques très fortes dans vos albums : la nature et le temps. On est touché par la chaleur et la convivialité de vos maisons. On aimerait y être invité …

Anne BrouillardSi je les dessine, c’est parce que j’aimerais y habiter.

Nicole FolchElles donnent une impression de sérénité, de douceur.

Anne BrouillardL’orage est le livre que je préfère pour expliquer le cheminement pour la maison. Dès la première page, on voit l’extérieur dans un miroir et l’intérieur par une fenêtre. L’histoire de l’orage se passe autour et dans la maison. C’est autant l’histoire de la maison que de l’orage. Pour une maison, je fais un plan, je construis une maquette.

Nicole FolchC’est construit, en effet, comme si on se déplaçait avec une caméra dans la maison.

Anne BrouillardDès le départ, il y a des points de repère pour la suite de l’histoire. Mais elles ne sont pas toutes si rassurantes. Par exemple? la maison dans Le rêve du poisson. Mes maisons sont inspirées de maisons existantes que je ré-invente.

Nicole FolchOn y voit une foule de détails, cafetière, réveil, petits pots, etc. Elles sont très habitées !

Anne BrouillardLes objets ont une importance, comme le décor d’un théâtre et révèlent quelque chose des personnes qui y habitent. Même si on ne voit pas les personnes, on a des indications sur elles par les objets.

Anne Herbaults C’est le lieu où s’inscrivent des émotions qui sont reflétées à taille humaine dans les fenêtres. La maison est comme un corps-âme qui serait un reflet de ce qui se passe. Ces maisons sont des sortes de réceptacles.

Anne BrouillardElles sont aussi liées au passé des gens. Je m’inspire de la maison de mes grands-parents. Les maisons abandonnées aussi me fascinent. Les gens sont partis mais ont laissé des choses derrière eux et on a l’impression d’un temps arrêté.

Nicole FolchVos albums sont traités comme des nouvelles, ce décor aide à connaître les personnages. Il y a à la fois la fixité du regard du narrateur et quelque chose qui se déplace tout le temps. Ce désir d’aller ailleurs, cette curiosité toujours bienveillante, sont des points d’ancrage nécessaires à votre narration ?

Anne BrouillardOn vit, on se déplace, on voyage, quantité de chemins apparaissent mais on ne peut les prendre tous. A côté, ces maisons, immobiles, voient passer les gens, durant des générations peut-être. Les arbres aussi sont restés là. Nous on passe.

Anne Herbauts Chez toi, les trains sont au rythme de la marche, ils ont un rythme humain qui permet la contemplation. C’est vraiment la respiration de tes livres, tu regardes les choses dans l’optique du marcheur.

Nicole FolchVous avez, Anne Herbauts, beaucoup de choses en commun avec Anne Brouillard. Vous parlez souvent du goût des mots et quand je lis un album de vous, j’ai l’impression qu’il est construit par associations d’idées. Au début, il y a toute une logique, puis à la relecture tout un réseau apparaît.

Anne Herbauts Depuis toujours, le texte et les images sont liés. Je travaille le livre comme un objet en volume, en trois dimensionS. Le livre est comme une sculpture, mais n’existe que quand il est ouvert. Il doit être ouvert et parcouru pour atteindre à la quatrième dimension, le temps. On travaille de la matière temps dans un objet physique. C’est une écriture à part entière : texte, images, volume, papier, temps. Il y a des choses indicibles que j’essaye de rendre tout autour de l’album, quelque chose qu’il faut malaxer dans la tête pour le mettre en forme dans la pâte à papier du livre. Comment vais-je utiliser ce support d’écriture pour arriver à ce que je veux dire, pour faire parler l’objet livre ? Je tape dedans pour lui faire sortir ce qu’il a dans les tripes ! J’installe tout, puis à un moment, le livre commence à fonctionner seul, quelque chose sourd du livre, des choses qu’on n’a pas prévues ! Un livre, c’est rien, c’est du bête papier et en même temps, quand tout fonctionne, c’est infini !

Nicole FolchVous exprimez parfois votre goût des mots. Vous jouez avec la syntaxe, les expressions. Est-ce que vous partez de là pour certains livres ou pas ?

Anne Herbauts C’est un danger aussi d’être juste gourmande des mots. Si j’écris juste pour la griserie ça n’a plus de sens. J’intellectualise peu mais je fais attention à ce que tout ait un sens. J’utilise beaucoup les répétitions par sonorités afin d’obtenir une sorte de musicalité avec, de temps en temps, une espèce de dissonance. Un mot qu’on répète plusieurs fois va aller chercher son histoire cachée. J’aime bloquer le lecteur en répétant, pour qu’il se dise « Ai-je bien compris ? », qu’il soit attentif à toutes les géologies de notre langue et puis chacun a son histoire de lecteur… J’aime quand ça sonne sourd.

Nicole FolchAnne Brouillard, pouvez-vous nous lire la premoère page de La terre tourne car j’ai l’impression qu’il y a là en germe tous vos thèmes

Anne BrouillardC’est l’histoire des chemins … (Anne Brouillard lit)

Nicole FolchDans la plupart de vos albums, l’homme comprend sa juste place, il est rassuré là où il est, c’est une contemplation paisible.

Anne BrouillardOn ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. On naît, on vit, on meurt.

Nicole FolchIl y a une relation familière avec l’animal, dans La vieille dame et les souris, je vois une harmonie dans tout ça. Il n’y a pas d’hostilité dans votre monde.

Anne BrouillardC’est ma façon de ressentir la vie. Le monde des animaux et celui des humains sont sur le même pied. Tout dans ce monde cohabite, les hommes, les souris, les araignées …

.Nicole FolchAnne Herbauts, pouvez-vous nous parler de l’entre-deux ?

Anne Herbauts Moin dans l’entre-deux, j’aime bien le mot lisière. Faire des livres, c’est un entêtement, c’est une obstination. On a des thèmes qui sont là. On ne dit pas « Je vais faire un livre sur le carnaval » mais les livres en découlent. Quand on fait des livres, on est toujours sur les bords, on se râpe, on se blesse, on se prend des échardes et c’est ça qu’on met dans les livres. L’idée, c’est de picoter le lecteur avec des mots. La lisière ? Il ne faut jamais dire ce qu’on veut dire directement, on entoure ce qu’on veut dire par des mots, des images et c’est le trou qui signifie.

Nicole FolchVous pourriez dire, par rapport à L’idiot, ce qu’est pour vous le mot juste ?

Anne Herbauts On est plus juste quand on bégaie que quand on construit une phrase parfaite. De même quand on dessine trop de la main droite, il faut changer pour provoquer la surprise, pour qu’on soit sous tension. Quand on connaît le chemin, on ne regarde plus les choses de la même façon. Le mot jardin n’a pas de limite, je dois tout dire, mais pour décrire le jardin, il faut enlever, enlever.

Nicole FolchComment savez-vous que le livre est terminé ?

Anne BrouillardJamais

Anne Herbaults Pour moi, la fin du livre, c’est le prochain. Toi, tu peux parler du livre comme un sentier. Pour moi, c’est un noyau. C’est tellement construit. L’image tape sur les bords car c’est trop construit. Toi, tu construis ta maison, tu construis un univers.

Anne BrouillardLe sujet des bouquins est souvent lié simplement à des choses vues. Mon intention n’est pas d’observer mais je vois ! Le pêcheur et les oies c’est ça, un jour où je me promenais. C’est un échange en continu. Ce que je vois, j’ai envie de le dessiner, sans arrêt.

Anne Herbauts Je crois qu’on a un côté un peu espiègle, comme ça. Est-ce que ça vient de notre pays ? C’est un fonctionnement à nous. Depuis toute petite, j’ai l’impression que je transforme tout en images. En ce moment, j’ai cinq livres dans la tête ! J’aime bien ce que tu disais, que les livres tu ne les finissais jamais car il y a plein de choses. Bon, mais il arrive quand même un moment où il faut élaguer !

Après cette touche d’humour, les présents assistent à la projection du film Le verger qu’Anne Herbauts a réalisé en parallèle à son album L’idiot. « L’idiot se construit en rêve un verger, il plante ses arbres, il leur parle. Le film est une suite d’images, dessins accompagnés de sons et de textes lus. »

  

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Sous d’étranges étoiles

 

   En 1937, en Roumanie, vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus. Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jaune, interdiction d’école pour les enfants juifs, arrestations et départs en wagons à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri,mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakha. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Shemen, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfried Lehman. Une création où l’on pratique le partage des tâches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre… Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt, et une artiste, Noémi Smilansky, encourage Béatrice à dessiner… Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil, où Béatrice passera sa jeunesse.)

Sous d’étranges étoiles

    Je me souviens, il y a longtemps, mon fils est rentré de l’école me disant avec fierté :

– J’ai un excellent copain, il est merveilleux et plus vieux que moi, il s’appelle Josué Tanaka.

– Moi je connais sa mère, Béatrice Tanaka. Comme moi, elle fait des livres pour les enfants.

    Et quelques mois plus tard toutes les deux nous réalisions pour les Éditions La farandole : Contes d’étoiles et de la lune. J’écrivais les textes, Béatrice les illustrait. Puis nous inventions un album de poésies et de recettes vietnamiennes ; tous les droits allant à ce pays qui se battait avec courage.

    Au fil des années, nos enfants se perdirent de vue, grandirent et toutes deux nous nous retrouvâmes grand-mère. Un jour, dans une galerie, je revis mon amie Béatrice. Ce qui me frappa et que je n’avais nullement oublié, ce fut son rire. Chapelet de rires perlés, printaniers et joyeux. le rire, malice, de Béatrice. J’avais néanmoins suivi les albums dans lesquels elle contait le Brésil et illustrait de manière poétique ces histoires magiques.

    Mais, à propos de livres, je me suis penchée longuement sur son beau livre de souvenirs qu’elle vient de publier aux éditions Kanjil, intitulé Sous d’étrages étoiles. J’ai apprécié cette lecture dans laquelle de nombreux jeunes devraient se plonger.

Là je rejoins l’amie connue mais je la découvre aussi à travers son errance avec ses parents de Roumanie jusqu’au Brésil. J’ai eu grand plaisir à lire cette vie qui commence avant la guerre et va son chemin dans la même époque que moi.

    En 1937, en Roumanie vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus.

    Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jeune et interdiction d’école pour les enfants juifs. Suivent des arrestations et des départs en wagon à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakna. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Sheven, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfrid Lehman. Une création où l’on pratique le partage des taches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre. Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt… Une artiste, Noémie apprend le dessin à Béatrice.

    Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil où Béatrice passera sa jeunesse. Dans ce récit, elle décrit ses personnages aimés, ses tantes, son grand-père Opa. Pourquoi prendre les mésaventures avec gravité lorsqu’on peut encore en rire ? L’humour, souvent présent, ne contrarie en rien l’émotion intense de certaines scènes douloureuses.

    Sous d’étranges étoiles (Kanjil 2010), un livre rare, à l’écriture subtile, parfois cocasse. Un parcours de vie comme un voyage dans le temps et dans l’espace. Un enseignement aussi sur pays et événements que l’héroïne a vécus.

    Et générosité, espièglerie, force et finesse révèlent l’amie Béatrice au rire communicatif.

(texte initialement paru dans le numéro 226, février 2011, de Griffon)

 

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

Madeleine Gilard

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    Madeleine Gilard n’est plus. Elle nous a quittés discrètement comme elle a vécu. Seuls ceux qui ont eu la chance de la rencontrer savent à quel point elle a marqué la littérature de jeunesse, ce qui lui valut, en 1983, un Grand Prix de la Littérature de Jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

    Née en Espagne en 1906, elle a aidé à la connaissance de nombreuses œuvres littéraires par ses traductions de l’espagnol, de l’anglais et de l’allemand, contribuant par ses choix à un véritable enrichissement de ce secteur.

    Animatrice littéraire des éditions La Farandole, elle a contribué à donner à l’édition pour la jeunesse ses lettres de noblesse. Sa participation aux nombreux débats des années 60 à 80 nous a permis d’échanger avec elle de nombreux moments d’intérêt et de passion. Jamais nous ne l’avons vu se départir de sa courtoisie. Tout au plus un petit sourire ironique nous montrait-il qu’elle n’était pas dupe de certaines outrances de langage.

    Une grande dame de la littérature n’est plus qui sut passer par tous les genres avec un profond sens de l’humain et du quotidien. Espérons qu’il se trouvera des éditeurs pour rééditer des ouvrages qui devraient trouver un nouveau public.

( texte publié dans le numéro 79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Née en Espagne d’une famille d’origine protestante, passant ses étés en France, Madeleine Gilard apprend à lire avec son grand-père paternel pasteur dans le Sud-Ouest. Ayant fait toutes ses études à la maison, ne possédant aucun diplôme, elle maitrisera parfaitement, outre le français et l’espagnol, l’anglais, l’allemand et le russe. Vie de bureau pendant près de cinquante ans puis aux éditions La Farandole comme secrétaire littéraire. Paulette Michel, secrétaire administrative, la pousse à écrire et, en 1956, est publié un premier album, Le bouton rouge, illustré par Bernadette Desprès. Près de trente ouvrages suivront, pour tous les âges, dans une veine réaliste proche de Colette Vivier. Notons Anne et le mini-club (1968), La jeune fille au manchon (1972), Camille (1984). Madeleine Gilard a reçu en 1983 le Grand Prix de Littérature Enfantine de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre.