Michèle Piquard

par Viviane Ezratty

    Nous avons appris avec tristesse la disparition cet été de Michèle Piquard. Nous avions eu la chance de partager certains de ses questionnements en tant que chercheuse et d’apprécier ses qualités humaines. A quel moment Michèle Piquard est-elle devenue une habituée de l’Heure Joyeuse ? Il me semble me souvenir qu’elle avait pris rendez-vous avec Françoise Lévèque, responsable du Fonds historique, pour travailler sur la collection des Enfants de la terre, et que Françoise lui avait proposé de la mettre en relation avec François Faucher, pour travailler sur les archives du Père Castor. Elle en avait été ravie et cela a pu se faire facilement. Les liens étaient noués.

    Ils se sont renforcés, alors que Françoise et moi rencontrions régulièrement François Ruy-Vidal, ce dernier nous parlait toujours d’une personne formidable doublée d’une chercheuse rigoureuse qu’il serait bien que nous rencontrions. Il s’agissait de Michèle Piquard et nous nous sommes retrouvés tous les quatre à déjeuner un certain nombre de fois. Ces déjeuners discussions, nous plongeaient dans l’histoire foisonnante et passionnante du travail d’éditeur de François Ruy-Vidal, dont elle avait une grande connaissance. Je garderai toujours en mémoire ces moments d’exception, joyeux par moments, plus graves à d’autres, alors que Michèle Piquard faisait part de ses doutes en tant que chercheuse. Et puis la maladie était là, elle en parlait librement, disant qu’elle mettait toute son énergie à se battre contre elle pour son fils.

    Lorsque François Ruy-Vidal a fait don de ses archives à l’Heure Joyeuse, cela nous est apparu comme une évidence à tous, que c’était elle qui devait les explorer et également mener des interviews de François Ruy-Vidal sur son travail. Elle est venue un certain nombre de fois à l’Heure Joyeuse pour cela, mais ce printemps 2012, elle nous a dit qu’elle ne pouvait plus assumer ce travail, à cause de la fatigue que cela représentait. Et puis il y a eu une dernière opération et le choc d’apprendre son décès, parce que jusqu’au bout nous ne pouvions imaginer que ce ne soit pas sa volonté qui gagne.

    Au-delà de l’émotion qui perdure, il restera le fruit de son travail de chercheuse et en particulier son ouvrage sur l’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980 qui, sans jargon inutile, démontre sa maîtrise du sujet. Un traité qui est encore la référence sur la question du livre pour la jeunesse et permet d’en objectiver l’approche. Je garderai aussi la vision d’une chercheuse en action, exigeante, allant jusqu’au bout de ses questionnements, intéressée par l’enfance, l’éducation nouvelle et la création artistique.

(octobre 2012)

Conservatrice des bibliothèques de la Ville de Paris depuis 1979, Viviane Ezratty est, depuis 1986, directrice de la bibliothèque L’Heure Joyeuse. Elle a collaboré à L’Histoire des bibliothèques françaises (Promodis-Cercle de la librairie, 1992), L’Heure Joyeuse, 1924-1994 : 70 ans de jeunesse (Agence culturelle de Paris, 1994), Désherber en bibliothèque (Cercle de la librairie, 1999). Elle est signataire régulière d’articles dans le Bulletin des Bibliothèques de France et dans La Revue des livres pour enfants où elle assure la veille des revues spécialisées “littérature pour la jeunesse” de langue anglaise. Membre du comité permanent des bibliothèques jeunesse à l’IFLA (International Federation of Library Associations), elle apporte également son concours au conseil d’administration du CRILJ.

 

Chargée de recherche au CNRS, Michèle Piquard fut spécialiste de l’histoire du livre et de la lecture. Elle a consacré ses recherches à une analyse historique et sociologique du processus de « patrimonialisation » de la littérature pour la jeunesse au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, dans le cadre de l’histoire économique, juridique et institutionnelle de l’édition pour la jeunesse.

 BIBLIOGRAPHIE

. Ouvrages :

2004, L’Edition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, Presses de l’ENSSIB, réédition. 2005

. Articles :

2011. Paul Faucher, concepteur des albums du Père Castor, sergent recruteur de la Nouvelle Education dans l’entre deux guerres (Recherches & éducations n°4)

2008. Robert Delpire, précurseur dans l’édition pour la jeunesse des années 1950-1970, (in « Robert Delpire éditeur », mis en ligne le 14 juin 2010 : http://strenae.revues.org/75)

2007. La Bibliothèque Rouge & Or à l’heure de la concentration des entreprises d’édition, 1961-2006, (in Les Cahiers Robinson n°21, Université d’Artois)

2007. La Littérature de jeunesse a-t-elle atteint l’âge adulte ? (in Dazibao, n°15, Agence régionale du livre PACA)

2007. L’Emergence d’un nouveau concept d’édition dans l’album pour la jeunesse des années soixante-dix (in « La Littérature jeunesse, une littérature de son temps ? », Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis)

2005, Les Stratégies des éditeurs pour la jeunesse depuis 1965 : réponse aux demandes et élaboration de l’offre, analyse d’exemples, (in « Regards sur le livre et la lecture des jeunes : la joie par les livres a 40 ans », actes du colloque 29 et 30 septembre 2005, Bibliothèque Nationale de France)

2005. New Editing Strategies of French Catholic Publishing Houses since 1945, (in « Religion children’s literature and modernity inEurope 1750-2000 », sous la direction de Jan de Maeyer, Hans-Heino Ewers, Rita Ghesquière, Michel Manson, Leuven University Press)

2004. Les Presses enfantines chrétiennes aujourd’hui en France : la montée en puissance du groupe Bayard, (in « Les Presses enfantines chrétiennes », actes du colloque des 14 et 15 décembre 2004, Presses de l’Université d’Artois)

2004, Le Roman de Renart : patrimoine littéraire pour la jeunesse, entre culture scolaire et culture de masse, (in « Children’s publishing between heritage and mass culture, L’Edition pour la jeunesse entre héritage et culture de masse », Institut international Charles-Perrault, GREC (Paris XIII), CEEI (Paris VII) et Afreloce)

2004. Renart et les anguilles dans l’édition pour la jeunesse depuis 1945 : Renart de male escole, (in Les Cahiers Robinson, n° 16, Université d’Artois)

2003. La Loi du 16 juillet 1949 et la production de livres et albums pour la jeunesse, (in « L’Image pour enfants : pratiques, normes, discours : France et pays francophones, XVI-XXe siècles », La Licorne, n°65, Poitiers : Maison des Sciences de l’Homme et de la Société)

2002. François Ruy-Vidal et Harlin Quist, nouveaux concepteurs dans l’édition pour la jeunesse des années 1970. Etude de cas : Les Contes de Ionesco, (in « Communication et histoire : Ecritures et espaces-temps pluriels », journées d’étude organisées les 9 et 10 mars)

François Ruy-Vidal, éditeur, a souhaité compléter ce témoignage par un extrait de la lettre qu’il a adressée au fils de Michèle :

« Michèle m’a toujours accompagné. sans faille, sans hésitation en me permettant même, sur la fin de ma vie, par son courage, son engagement, sa générosité et son soutien moral et amical, alors qu’elle était déjà affaiblie par les assauts de ce qui la rongeait, de ne pas désespérer, de regarder mon passé sans trop le discréditer comme j’étais porté à le faire, en m’obligeant à voir les livres que j’ai publiés avec le regard indulgent et tonique avec lequel elle les considérait elle-même.

Je souhaite qu’elle vive en vous comme elle vivra en moi tant que je vivrai. Avec sa profonde honnêteté, sa rigueur, sa simplicité et cette intuition exceptionnelle qui lui permettait, sans rien demander, de nous obliger à nous élever à sa hauteur. Ce fut pour moi un grand bonheur de la connaître et un honneur de savoir qu’elle me comptait parmi ses amis. Je lui dois beaucoup car elle m’a toujours accompagné et aidé. »

(septembre 2012)