Qui sommes nous ?

Une résidence

 

 

 

 

 

 Le plaisir et la nécessité  

     Encore en résidence, m’a demandé un jour Bernard Noël. C’est un choix de vie ?

    Aujourd’hui je peux répondre, oui, en quelque sorte…

    Vit-on de sa plume quand on est écrivain en résidence ? Oui, au moins pour quelques mois (et nous avons par nécessité l’art de faire durer quelques mois de résidence sur une année entière d’écriture)

    C’est donc pour des raisons financières qu’un écrivain accepte, ou sollicite une résidence ? Non, pas seulement. Ou, oui, mais pas seulement.

Une résidence : un projet 

     Car une résidence c’est un projet, c’est une équipe, ce sont des actions, des rencontres, des ateliers, des hommes des femmes et des enfants. C’est un partage sur l’essentiel : l’écriture. Celle qu’on poursuit (et nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles Flaubert). Celle qu’on lit, et celle que l’on invente ensemble, maladroite souvent, hasardeuse volontairement, surprenante ou attendue, émouvante toujours.

    Car l’émotion est la pierre de touche qu’il importe pour moi de faire sentir, quel que soit le projet initial.

    Traduire les poètes étrangers invités avec des poètes français et créer entre tous un lien à l’Abbaye de Royaumont, retrouver l’esprit de Le Corbusier à l’occasion du cinquantenaire de la Maison Radieuse, à Rezé, entraîner des enfants dans cette aventure d’écrire, dans la Somme et apprendre des « usagers » de bibliothèque de prêt ce que c’est que lire, le découvrir avec eux, le mettre en mots…

    Chaque résidence est une nouvelle aventure, un nouveau lieu de vie, et cela aussi a son importance.

    La Loire n’est pas la même à Nantes et à Tours, la baie de Somme est unique, et les ciels sont ici et là sans pareils. J’aime ce nomadisme dans lequel m’ont entraînée les différentes résidences que j’ai « faites », que j’ai occupées, qui m’ont accueillie.

Une résidence : une aventure passionnante 

     J’aime cette appropriation passagère d’une ville, d’une rue, d’un réseau d’amitié et de travail partagés, cette boucherie-charcuterie dépôt de pain et d’oeufs frais de la ferme, qui devient la mienne pour quelques semaines, quelques mois.

    J’aime ces enseignants, documentalistes, bénévoles, animateurs, permanents d’association dont j’accompagne durant quelques heures le travail. Un travail qu’ils mènent à longueur de temps, avec générosité, enthousiasme, découragement parfois.

    Et j’aime ouvrir la malle.

    Cette grande malle inépuisable qui est notre bien commun et qui reste trop souvent inaccessible. Cette malle pleine de mots, de voix, d’histoires, de secrets, de confidences, de connaissances, d’émotions : la littérature mondiale depuis le début de l’humanité ! Y compris la littérature orale, les contes d’hier et d’ailleurs, recueillis au fil des siècles. De l’épopée de Gilgamesh aux jeunes poètes contemporains, tout nous appartient à tous. Chercher pour chacun le chemin qui lui convient, quoi de plus exaltant, sinon ajouter à son tour son humble obole à la malle ?

    Faire écrire, écrire, lire, faire lire… (faire entendre la voix qui est dans le livre). Témoigner.

    Voilà tout l’enjeu d’une résidence !

    Comment ?

    Des stratégies sont à réinventer chaque fois, au cas par cas, avec. Avec les partenaires, avec les « encadrants », avec les participants.

    Il n’y a pas de recettes, mais vous pouvez vous rapporter à mon blog où sont offerts les différents plats concoctés au fil de ma résidence à Tours. A mon site où sont évoquées les différentes résidences où je suis allée depuis 2002, les différents pays aussi.

    Lectures, rencontres, ateliers, groupes de paroles, spectacles, expositions… Tout est possible. Y compris la création d’un festival (comme l’a fait Hubert Haddad à Chaumont).

    Pourvu que l’on n’oublie jamais que le désir est au coeur de l’écriture.

© Marie-Florence Ehret

 

  marie florence ehret

Née à Paris, près de la Goutte d’or. Marie Florence Ehret pratique divers métiers avant et après des études de Lettres et de Philosophie, puis enchaine les voyages en Turquie, en Afrique, en Europe et en Asie. « Ma grand-mère répétait souvent qu’il faut bien vivre. Je n’en étais pas très sûre. Plus convaincante me parut la devise des Argonautes : vivre n’est pas nécessaire, il est nécessaire de naviguer. » Son premier texte, Les Confessions de la Rouée, en 1986, bénéficie d’une préface de Bernard Noël. On lui doit depuis de nombreux ouvrages pour adultes et pour la jeunesse : romans, nouvelles, récits,  proses, poétiques ou non. Elle se déplace toujours beaucoup, animant des ateliers d’écriture, en France et à l’étranger, ou s’instalant pour un temps en résidence. Parmi ces ouvrages pour les jeunes lecteurs : A cloche-cœur (Rageot, 1990), Mortel coup d’oeil (Rageot, 1999), Fille des Crocodiles (Thierry Magnier, 2007), A la croisée des rêves (Bayard 2010). Claire Levassor a réalisé en 1993 Paroles mêlées, court-métrage à propos de la résidence de l’écrivain à Orléans dans le quartier de l’Argonne. Merci à Marie-Florence Ehret pour nous avoir confier ce texte.

 

 

 

Philippe Farge

     Philippe Farge nous a quitté. Il n’avait que 58 ans et a occupé une place de premier plan dans ce que nous nous obstinons à appeler l’animation culturelle en faveur de la lecture.

     Libraire issu des milieux syndicaux, il avait une passion, le livre, et une ambition, s’adresser en priorité à la jeunesse. Il travaillait à Rouen où le livre a historiquement tenu beaucoup de place.

     Son action volontaire et obstinée s’appuyait sur les milieux populaires, en particulier sur ce syndicat de dockers de Rouen dont le passé dans l’action d’éducation populaire remonte au début du siècle. C’est de là qu’est partie l’idée du Festival de Livre de Jeunesse de Rouen dont il a pu voir le vingtième anniversaire en décembre dernier.

    Nous avons eu la joie de participer à ses côtés à de nombreuses activités, hors et à l’intérieur du Festival.

    Autour de lui de nombreuses associations avaient mis en place des structures que les écoles et les municipalités avaient, avec les comités d’entreprise et les bibliothèques, poursuivies et amplifiées d’année en année.

    Alors que, sous le poids des contraintes économiques, beaucoup de nos initiarives locales avaient du s’effacer où se transformer en manifestations très largement commerciales, le Festival de Rouen, sous l’impulsion de Philippe et de ses collaborateurs restait centré sur le mouvement culturel associatif et fidèle à ses origines.

    L’édition ne s’y trompait pas, ai moins pour la partie du paysage éditorial qui fait du livre une valeur culturelle et du livre pour la jeunesse une composante du paysage éducatif.

    Les auteurs et illustrateurs répondaient toujours avec empressement aux appels de Philipppe, la plupart étaient devenus ses amis et ne manquaient jamais de le dire.

    Philippe n’est plus mais, grâce à son action, le Fetival de Rouen a vingt ans et va continuer une œuvre qui s’inscrit en droite ligne dans les batailles menées depuis un demi-siècle pour faire du livre de jeunesse autre chose qu’une marchandise, qu’un gadget culturel.

     A sa famille, à ses amis, nous ne pouvons que dire notre peine. Il avait encore tant à nous apporter, à apporter à la littérature de jeunesse.

 ( texte paru dans le n° 76 – mars 2003 – du bulletin du CRILJ )

  renaissance 

Philippe Farge entre dans la vie militante à dix-sept ans et accepte très vite des responsabilités dans le domaine des activités culturelles rouannaises. Il crée, au début des années quatre-vingt, la Librairie Renaissance désormais en plein coeur de Rouen mais à l’incontestable rayonnement régionale. Ouvert, pluraliste, ce qui le fit entrer parfois en conflit avec certaines étroitesses des responsables du réseau Messidor, il crée en 1983, avec son complice et ami Jean-Maurice Robert, secrétaire de l’union locale CGT, le Festival du Livre de Jeunesse pour lequel il sut rassembler les énergies militantes de la région et obtenir la reconnaissance et le concours de toutes les institutions concernées. « De partout on salue l’homme de terrain, l’artisan têtu et effacé. Mais Philippe Farge était rien moins qu’un inconnu en région rouennaise, dont il était devenu une figure de premier plan de la vie culturelle. Dans les bibliothèques, les écoles, les comités d’entreprise, tous les lieux où l’on s’efforce de construire de nouveaux rapports à la lecture, avec en ligne de mire la visée démocratique traquant l’exclusion aux multiples masques. L’itinéraire de Philippe n’a jamais dérivé vers d’autres balises. Ni pour le Festival, ni pour ses tâches diverses, au Centre national du livre, à l’Association des libraires jeunesse. » (Bernard Epin) 

   

 

Dusan Roll en l’Hôtel de Massa

      Le Président du CRILJ et Michèle Kahn, Permier Vice-Président de la Société des Gens de Lettres, mais aussi Vice-Présidente d’IBBY France, ont reçu, le 19 mai 1987, le nouveau Président de l’IBBY, le Docteur Dusan Roll, venu en France pour une conférence à l’Unesco.

     On sait que le Docteur Dusan Roll est aussi le Sécrétaire Général de la prestigieuse Biennale de Bratislava (BIB) et cette rencontre permettait de fêter plus officiellement le Grand Prix reçu par Frédéric Clément à la BIB 1985.

    Etaient présents, des éditeurs, des libraires, des responsables de revues, des auteurs, des illustrateurs et, bien sûr, des représentants d’IBBY France.

     Dans un échange de discours enjoué et chaleureux, le Président Jean Auba a essayé d’expliquer la spécificité de chacune des grandes organisations françaises et le Docteur Dusan Roll a montré la complémentarité des actions internationales menées lors des Congrès de l’IBBY ou dans le cadre de la Biennale de Bratislava mais aussi dans les différentes expositions itinérantes qui font mieux connaître dans le monde la réalité littéraire et esthétique de la littérature pour la jeunesse.

     Il nous a rappelé à la fois l’importance qu’à joué la Bibliothèque Internationale de Munich dans le développement de cette littérature mais aussi le rôle prépondérant de la France et de ses représentants membres des comités exécutifs des grandes organisations internationales ou membres de jury.

     A cette occasion, il a souligné les liens d’amitié personnels qui le liait à Lise Lebel et le soutien que la section française de l’IBBY, dont elle était la Secrétaire Générale, lui a apporté dans les premières années de la BIB dont la création remonte à 1965.

     Il espère une délégation française nombreuse au prochain Congrès d’Oslo, en septembre 1988, dont le thème, on se souvient, est La littérature de jeunesse et les nouveaux médias, et relance une invitation aux illustrateurs présents de participer à la BIB 1987.

     Le Docteur Dusan Roll a rappelé que Jella Lepmann disait que les livres pour enfants sont comme des ponts lancés par delà les frontières et des rencontrees somme celle-ci, à la fois officielles et informelles, élargissant l’horizon de nos préoccupations, nous font prendre conscience de l’importance d’un travail international par nos organisations.

( texte paru dans le n° 31 – juiller 1987  – du bulletin du CRILJ )

bib

 Né en 1928 en Tchécoslovaquie, Dušan Roll a travaillé à la maison d’édition Mladé leta où il fut responsable des publications pré-scolaires et des livres d’art. Il a, sous pseudonyme, publié des pop-up et des livres-jeux. Il est l’un des fondateurs de la Biennale de l’Illustration de Bratislava dont il sera commissaire général de 1967 à 2005 puis président honoraire. Plusieurs fois vice-président de I’IBBY, il est élu président de l’organisation en 1986 lors de son vingtième congrès à Tokyo. Il présida également le jury pour l’attribution du prix Hans Christian Andersen de 1978 à 1982. Directeur de Slovenská filmová tvorba de 1978 à 1981, Dušan Roll entre  en 1986 au conseil d’administration de la Commission internationale du livre de l’UNESCO dont il sera, un peu après, vice-président.

Nicole Claveloux au Pays des Merveilles

 

 

 

 

 

  

     Nicole Claveloux n’illustre pas, elle est Alice au Pays des Merveilles, démiurge à l’instar de Lewis Carroll, d’un univers d’enfance baroque, gourmand  et mythique qui se construit entre les mots et les images, qui capte un air du temps intemporel et s’alimente de tout ce qui passe entre l’eau et le feu, le minéral et le végétal, le dedans et le dehors  à géométrie variable, la vie qui palpite entre les objets et les êtres indifférenciés à la lisière de l’humain et de l’animal, sans distinction d’âge, de sexe, de couleur.

     Entre classicisme et surréalisme, entre le Gustave Doré des Contes drolatiques de Balzac,  le Little Nemo de Windsor McCay  et le psychédélisme du Push Pin studio, l’interprétation originale d’Alice par Nicole Claveloux est fondatrice d’une œuvre immense où fourmillent « les petites sœurs d’Alice » dans un fantastique carousel où se reflètent les personnalités de l’artiste en un jeu de miroirs sans fin. De La forêt des Lilas, son premier voyage au Pays des anamorphoses avec la Comtesse de Ségur, en parallèle avec Alala et les télémorphoses (créée à New-York avec Harlin Quist) à Grabotte et aux Crapougneries, en passant par Brise et Rose et Poucette ou encore Gertrude la sirène ou la petite Josette  du Conte numéro 4 de Ionesco, Nicole Claveloux n’a cessé de décliner les variantes d’une héroïne « ultramarine » qui lui ressemble  L’affiche de l’exposition Sevilla92 organisée par Pedro Tabernero campe une Alice « monde » à la manière d’Arcimboldo. 

     Déjà dessinée par Lewis Carroll qui avait influencé par ses « crayonnés » le travail de Sir John Tenniel chez MacMillan, Alice existait déjà « for ever » comme le premier personnage littéraire dont l’imaginaire, le langage et le regard sur le monde sont vraiment ceux d’une petite fille, dont les repères ne cessent de basculer entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

     Créée en 1974 avec François Ruy-Vidal, directeur de collection pour Grasset Jeunesse, l’interprétation graphique d’Alice a reçu le prix Loisirs Jeunes en 1974 et la Pomme d’Or de la Biennale de Bratislava en 1976. Pour Janine Despinette, critique littéraire partie prenante des jurys internationaux, il s’agit bien d’un livre clef de l’histoire de l’illustration en France. Formée à l’école des Beaux Arts de Saint Etienne où enseignait sa maman Lucie, Nicole explorait déjà depuis dix ans avec Bernard Bonhomme et le premier tandem Harlin Quist-Ruy-Vidal, Denis Prache pour Okapi, les arcanes d’un art de l’image transformé par les nouveaux procédés de la publicité dans les magazines Planète ou Elle.

     Avec Alice, Nicole commence à se dédier exclusivement aux livres illustrés ainsi qu’à la peinture et à la presse pour la jeunesse. Et d’emblée, elle révolutionne dans ce livre-phare les codes d’une imagerie classique, servie par la typographie élégante et novatrice, réalisée avec le studio Hollenstein. Le corps inhabituel du caractère Elzévir sépia, dans le ton des vignettes et l’utilisation d’une grande cursive pour les titres de chapitres déclinés verticalement dans les marges de gauche, dialoguent avec l’esprit et le bruit de la lettre dans les images de Nicole où les phylactères des fresques anciennes et de la bande dessinée installent une intimité avec le lecteur enfant en un raccourci très contemporain.

     Que les spécialistes de la littérature de jeunesse me pardonnent cette relecture jubilatoire des images de Nicole Claveloux pour une Alice au Pays des Merveilles considérée comme un classique du graphisme gravé dans toutes les mémoires des amoureux du livre de Jeunesse.

     Ainsi que le souligne Christian Bruel dans son ouvrage Nicole Claveloux et Compagnie, l’llustration la plus célèbre de l’artiste – celle des flamands – qui n’était qu’un simple essai, avait bien failli ne pas se retrouver dans le livre. L’émission d’un timbre en Tchécoslovaquie a rendu hommage à sa puissance visuelle et à sa modernité. Les expositions de la Bibliothèque publique d’Information au Centre Georges Pompidou : Images à la Page, Visages d’Alice et Les petites sœurs d’Alice ont installé s’il ne l’était déjà, le talent de Nicole Claveloux dans la légende.

     Nicole (née en 1940 à Saint-Etienne) connaissait le personnage Alice depuis 1952 à travers un livre « rouge » offert pour Noël, affreusement coloré mais fascinant par le texte. Elle adore l’anticonformisme de l’héroïne, s’amuse de ses métamorphoses, séduite par l’absence de moralisme et la liberté de ton et surtout par l’originalité des petites et grandes bêtes qui donnent la réplique avec aplomb à cette petite fille si proche d’eux.

     Bien sûr, les illustrations de Sir John Tenniel lui paraîtront froides et presque convenues comme d’ailleurs toutes celles qui s’en sont inspirées sans parler de l’adaptation populaire de Walt Disney, à quelques exceptions près, celles d’Arthur Rackham, de Ralph Steadman, de Lola Anglada ou de Barry Moser, dont la diffusion est restée confidentielle y compris dans leur pays d’origine. Revenons dans le paysage Carrollien de l’artiste, transfiguré à la faveur l’acte éditorial de François Ruy-Vidal.

     D’emblée, les fenêtres ouvertes sur les pages de couverture, placent le lecteur doué du don d’ubiquité, en situation de voyeurisme. Il suit le regard d’Alice et la course du Lapin Blanc vers l’univers musical des comptines, avec le Loir dans la théière, le sourire invisible du Chat de Cheshire, le bataillon des cartes à jouer et une pluie de larmes comme autant de reflets sur un autre monde en microcosme.

     Tout commence en sépia à la surface de l’eau sur la rivière Isis dans un cadre sphérique où de la bouche de Lewis Carroll s’échappe une bulle évoquant la fuite  d’Alice sur les traces du Lapin Blanc, une histoire en boucle qui commence et finit au même endroit.

     Dès lors une grammaire visuelle s’ébauche dans un découpage qui n’a rien de décoratif : la chute d’Alice et du lapin en trois plans verticaux lus simultanément pour donner l’impression du mouvement et de l’espace temps, le jeu des antipodes avec leurs bestiaires fantastiques (à la manière de la planète du Petit Prince dessinée par Saint-Exupéry).

     Nicole Claveloux  n’en finit plus de broder sur d’infimes détails qui vont retenir l’attention des enfants : une faune et une flore exubérantes en guise d’écrin pour le motif du flacon et du gâteau et ce qui s’en suit : les métamorphoses d’Alice décomposée en autant de poupées russes de la plus grande à la plus petite. Pour autant, il n’y a jamais de redondance entre le texte et l’image (les injonctions « Bois-moi » et « Mange-moi » ne figurent pas dans l’illustration).

     Nicole Claveloux va utiliser les procédés graphiques de la bande dessinée, mais aussi un jeu d’inversions subtiles sur la trame du miroir, pour rendre visibles et écrire véritablement à sa manière, les émotions.

     Ainsi la souris, en très gros plan va laisser apparaître dans ses yeux le reflet d’une Alice apeurée, tandis qu’un petit nuage révèle sa propre peur du chat…dont le nom  s’écrit en trois langues au moyen d’un cordage en forme de queue qui se tord en « éclairs de tonnerre » un contrepoint amusé au calligramme du conte – tale –  de la souris en forme de queue – tail

     L’œil, mis en valeur en gros plan, fonctionne comme le miroir et le maître de cet imaginaire. Et les jeux de mots ont pour corollaire les jeux de miroirs. Nicole Claveloux peut se permettre d’inverser alors les représentations habituelles. Le miroir des larmes est aussi l’univers marin des origines où Alice se reflète toute petite. Les animaux protagonistes de l’histoire, naissent et surnagent en chœur de cette mare joyeuse pour parlementer, chacun dans sa case…

     Les contrastes visuels induits par les changements de taille d’Alice devenue géante, génèrent des collages saisissants à partir du cadre architectural de la maison du Lapin Blanc et de son jardin à la Douanier Rousseau où les plantes apparaissent sous cloches de verre…bulles et reflets toujours !

     Bien évidemment, il était tentant pour l’artiste d’aller plus loin dans la provocation graphique avec la mise en scène du vers à soie opiomane alangui sur ses champignons dans un style psychédélique, et les jeux d’identification d’Alice en serpente au long cou, dévoratrice d’œuf de pigeon qui ne laissent pas d’inquiéter ou d’intriguer, avec la ronde des bébés changés en cochons.

     Ainsi de manière subliminale, Nicole Claveloux effleure le thème de Mélusine, la fée serpente et se délecte avec les motifs récurrent de toute son œuvre ceux de l’œuf, des bébés et des cochons.

     Chaque pleine page couleur, telle une apparition, condense les scènes clefs et les affects oniriques du texte de Lewis Carroll au point de rester à jamais gravée dans l’inconscient collectif des lecteurs. Il faut rappeler le « méli mélo » des théières, cuillers, brioches, montres molles et hauts de forme transformistes, tandis les heures égrenées sur le cadran de la montre du Lapin Blanc sont autant de tasses bues dans l’interminable partie de thé ou encore les pots de peinture rouge en action pour peindre la cour de cartes burlesque du  Roi et de la Reine de cœur tandis qu’une petite vignette évoque la hache du bourreau coupeur de têtes virtuelles. La splendeur des grands flamands roses sur fond solaire qui passent au dessus de la tête d’Alice et de son petit hérisson reste un poème visuel à l’état pur,  qui contraste avec l’extraordinaire puissance musculaire  d’un griffon pédagogue aux prises avec la tortue fantaisie dont les bulles de larmes hypocrites annoncent l’insolite classe dans la mer…autant d’images inédites dans l’iconographie carrollienne, avec en prime, un clin d’œil aux bibliothécaires, lorsque la tortue dévoile ses rayonnages de livre en patins à roulettes.

     Quant au quadrille des homards, chanté et  dessiné sous la plume du griffon enlacé à la tortue, il est une trouvaille visuelle très accordée aux rêves aquatiques de Nicole. La fin de chapitre se clôt sur la vignette d’ une soupe à la tortue où mijote un pauvre marmiton ! Et pour finir « Qui a dérobé les tartes ? » un procès baroque gourmand où le animaux jurés barbouillent péniblement leur page ou leur ardoise d’écritures truffées de fautes de sens ou d’orthographe !

     Nicole Claveloux déjà au faîte de son art, il y a trente six ans !  nous a livré une Alice intemporelle et pudique certes mais espiègle et remplie d’humour, tout entière immergée dans son imaginaire graphique au service du langage dans le respect d’un texte qui garde à jamais son mystère. Les clefs en sont peut-être données par la dernière pièce à conviction- en vers- du  Procès royal  lue par le Lapin Blanc (alter ego de Lewis Carroll) :

  » Ne lui avouez pas à lui qu’elle les aime,

  Car tout ceci sans doute devrait demeurer

  Du reste des humains à jamais ignoré,

  Un secret, un secret entre vous et moi-même « 

     Pour conclure, en assumant ce coup de cœur graphique, fondateur d’une littérature visuelle ouverte à toutes les classes d’âge, il m’est impossible de ne pas associer à cet hommage le photographe bibliophile Pierre Pitrou, partenaire concepteur des expositions de la Bibliothèque publique d’Information du Centre G. Pompidou ouvert au public en 1978.  Les éditions Gallimard nous avaient accompagnés dans l’aventure des Visages d’Alice en 1983 et d’Images à la Page en 1984, avec un clip de François Vié L’album en plein boum. Les éditions Syros avaient réalisé le catalogue de l’exposition présentée en 1983 à la Biblliothèque des enfants : Les Petites sœurs d’Alice dessinées par Nicole Claveloux pour Manuelle Damamme.

     De nombreux reportages photographiques avaient été réalisés autour des grands noms de l’illustration contemporaine – une expérience unique qui nous avait notamment conduits à explorer l’origine des « visages d’Alice » à Christ Church collège et au Musée de Lewis Carroll dans la ville natale de Charles L. Dodgson à Guildford.

     Entre tous les illustrateurs contemporains d’Alice, Nicole Claveloux nous a révélé dans sa grande modestie, une incroyable affinité intime et littéraire avec son héroïne aux prises avec le langage et aux lapsus – freudiens – dans son rapport au monde.

     Les Métamorphoses d’Ovide et de Kafka, les monologues intérieurs de  Proust, et Virginia Woolf, mais aussi les jeux de mots de Bobby Lapointe ! les peintures de Jérôme Bosch, Cranach, Bruegel l’Ancien entre beaucoup d’autres grands modèles de référence, font partie de son paysage intérieur et renforcent une approche incisive, sans complaisance du territoire éditorial d’une littérature de jeunesse par trop aseptisée.

     Nicole Claveloux prend l’enfant au sérieux. Pour elle, le grand jeu d’Alice  est une traversée de tous les dangers,  elle exorcise ses peurs par  le langage et l’empathie avec des créatures animales, fragiles, différentes, qui l’aident à grandir dans une jubilation imaginaire, où les adultes n’ont pas le beau rôle (à l’exception du « Vieux père Guillaume » récité par Alice au Vers à soie (Lewis Carroll ?).  Il n’est que de décrypter l’épilogue  de la déposition d’Alice (chapitre 12) dont la modernité ne nous échappera pas !

 – La condamnation d’abord, le jugement ensuite, s’écria la Reine.

– Mais c’est de la bêtise dit alors Alice, condamner avant de juger, a-t-on idée de cela ?

– Qu’on lui tranche la tête, s’écria la Reine. 

– Mais qui se soucie de vos ordres ? dit Alice qui, maintenant avait retrouvé toute sa taille,  vous n’êtes qu’un jeu de cartes ! 

     Henri Wallon et Marc Soriano avaient insisté sur la valeur de tels mythes pédagogiques fonctionnant comme un formidable légo, pour la structuration de la personnalité de l’enfant.

     Pour conclure on dira que l’extraordinaire réservoir d’images de Nicole Claveloux pour Alice, ne pouvait que sublimer et enrichir ce processus dans une liberté regards et l’intelligence de la parole libre d’une petite fille rendue visible pour la première fois dans l’histoire de la litérature.

(version longue de la carte blanche parue dans le numéro 2 des Cahiers du CRILJ – novembre 2010)

 

Visages d’Alice. Exposition 1983. Bibliothèque publique d’Information du Centre Georges Pompidou. Livre-catalogue préfacé par Jean Gattegno sous la Christiane Abbadie-Clerc et Pierre Pitrou avec des textes de Christiane Abbadie-Clerc, Pierre Pitrou, Janine Despinette, Peter Roegiers. Gallimard, 1983.

Les petites sœurs d’Alice. Exposition 1983 Bibliothèque des Enfants de la Bpi au Centre Georges Pompidou. Livre Catalogue de Nicole Claveloux et Manuelle Dammame. Syros (Petits Carnets), 1983.

Images à la Page. Exposition 1984. Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. Livre catalogue. Pref et textes  Christiane Abbadie-Clerc, François Vié, Patrick Roegiers avec les créateurs d’images. Crédits photos Pierre Pitrou. Gallimard, 1984.

Une Odyssée dans les images. Exposition 1991. Salon du Livre de Bordeaux et Bibbliothèque Publique d’information. Préface et textes de Christiane Abbadie-Clerc avec Janine Despinette, Jean-Luc Peyroutet. Imprimeur Balauze et Marcombe.

Nicole Claveloux et Compagnie.  Exposition 1995. Maison du livre de l’image et du Son. Villeurbanne. Concepteur et auteur du catalogue : Christian Bruel. Le Sourire qui mord, 1995.

Nicole Claveloux. Sevilla 89. directeur artistique: Pedro Tabernero. Fundation Luis Cernuda, 1992.

         claveloux

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

 

 

Pierre Marchand

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Pierre Marchand vient de nous quitter prématurément à 62 ans. J’éprouve beaucoup de chagrin en écrivivant ces lignes qui concernent aussi bien l’ami très cher que l’éditeur incomparable qu’il fut.

     Car cet homme autodidacte, né dans un milieu très modeste, cet homme d’humeur, appartenait à l’espèce des créateurs. Il a en effet, dans le cadre de Gallimard Jeunesse qu’il dirigea de longues années, inventé des livres pour les enfants, des plus petits au plus grands, qui ne ressemblaient à rien de ce qui avait été fait jusque là pour la jeunesse. Il refusait d’infantiliser l’enfance, il la prenait au sérieux et avait compris que tout tenait dans la qualité des textes, dans la qualité des images et, surtout, dans une dialectique entre l’écrit et l’image. Pour lui, l’image n’est pas seulement illustration, elle partage avec le texte toute la sémantique d’un album ou d’un livre. Il avait l’art de conduire les auteurs écrivains et artistes à travailler dans le même sens. J’en ai fait personnellement l’expérience avec plusieurs ouvrages publiés chez Gallimard sous sa direction. Sans intervenir en quoi que ce soit dans notre travail, il savait tirer le meilleur de nous-même et je lui dois d’avoir appris que la clarté, la simplicité ne sont jamais des réductions « pour les enfants » mais le moteur de propositions neuves pour la raison comme pour l’imaginaire.

     Il aimait la poésie et loin de considérer comme un art la « poésie pour enfants », faisait confiance aux poètes, ceux qu’il aimait, ceux que nous aimions, des anciens aux plus modernes. Je lui suis reconnaissant d’avoir su que cet « autre langage » qu’est la poésie, les enfants la saisissait pour peu qu’on leur propose, dans son opacité et son pouvoir, de « tout dire ».

     Et puis il a créé la plus fabuleuse des encyclopédies, Gallimard Jeunesse. J’ai réalisé trois ouvrages pour cette collection, traduite dans une trentaine de langues. Lorsque je lui avais proposé l’ouvrage sur l’histoire des écritures, il me demanda un projet. En bon universitaire, je lui apportai un manuscrit de 400 pages.

     Je me souviens de son rire homérique. Il fallait réduire ce texte complexe en une conquantaine de pages, scientifiquement exactes, clairement exposées et en rapports constants et complémentaires avec l’iconographie. Ce fut un énorme travail dont je remercie Pierre. Il venait de m’apprendre « l’impératif de l’essentiel ».

    Toute son équipe peut en témoigner : il n’était pas tous les jours facile de travailler avec lui ; mais son exigence conduisait aux résultats que l’on connait.

     Enfin, je ne saurais oublier l’ami incomparable : affectueux, tendre et timide, marin expérimenté, il savait que j’aimais la mer en poète et que la navigation n’était pas mon fort ; il se moquait gentiment de ce « piéton du vent » que j’étais à ses yeux. Et surtout notre amitié n’était ni « langagière » ni démonstrative, mais conteuse. Jusqu’à la fin il m’a envoyé de petits messages par téléphone et, il y a peu, un album qu’il venait de produire chez Hachette sur les jardins zen. Image et message de la perfection silencieuse d’un homme qui respectait assez l’enfance et l’amitié pour s’effacer derrière ce qu’il offrait de nouveaux à nos regards d’enfants et d’hommes.

 ( texte paru dans le n° 74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

   gallimard

Né le 17 novembre 1939 à Bouin, petit port de la baie de Bourgneuf (Loire-Atlantique), en pays chouan. Pierre Marchand fit de brèves études au collège Amiral Merveilleux du Vignaux, aux Sables-d’Olonne. Sur le chemin de l’établissement, une librairie qui propose les premiers livres de poche et ses exceptionnelles couvertures. Entre comme courantin puis mousse aux chantiers maritimes Dubigeon à Nantes. Devient, à Paris, apprenti-typographe à l’imprimerie Blanchard. Algérie pour 27 mois et 27 jours, entre 1959 et 1961. Vendeur d’aspirateurs, magasinier, puis entrée  aux éditions Fleurus. « J’emballe les livres et les livres m’emballent. » Neuf ans plus tard, Pierre Marchand quitte la maison, quoique désormais à la direction, et crée, avec Jean-Olivier Héron, le mensuel Voiles et Voiliers. Dettes que les deux amis épongent en entrant chez Gallimard avec un projet d’édition d’édition pour la jeunesse accepté aussi par Nathan et Hachette. On connait, entre autres créations, les collections 1000 soleils, Folio Junior, Cadet et Benjamin, Enfantimages, Les Yeux de la découverte, Les premières découvertes, Découvertes Junior. Le catalogue accueillera un temps Christian Bruel et Le Sourire qui mord. Pour les adultes, les innovants Guides (touristiques) Gallimard. « Bien des années plus tard, début 1999, j’entre chez Hachette pour y honorer un contrat proposé par Bernard de Fallois vingt-sept ans auparavant et que je n’avais pas signé. »

Le Grand Prix de Poésie pour la Jeunesse

Grâce à la rencontre du Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports et de la Maison de Poésie, le premier Grand Prix de Poésie pour la Jeunesse a été décerné en octobre 1989.

    Quatre cent vingt deux poètes ont concouru, quatorze manuscrits ont été sélectionnés et le jury, sous la présidence de Claude Roy, a attribué ce prix de 30 000 francs à un poète belge, Pierre Coran, pour son recueil Jaffabules, tout en soulignant également la grande valeur du manuscrit de Marc Alyn, A la belle étoile. La remise du prix a eu lieu à l’Hôtel de Massa, à Paris, le samedi 21 octobre 1989, pendant la Nuit de la Poésie, retransmis par France-Culture.

    Jaffabules sera prochainement édité dans la nouvelle collection de poésie Hachette-Jeunesse.

    Ce Grand Prix attire l’attention sur la vitalité de cette création poétique par le grand nombre des candidats. Mais la sélection sévère, qui s’est opérée dans le plus stricte anonymat, montre que les deux organismes responsables sont soucieux de promouvoir une politique de qualité et d’exigence dans un genre particulièrement difficile.

    Par-delà cette excellente sélection, ce premier Grand Prix consacre l’importance de la poésie dans la littérature de jeunesse. Grâce au travail des enseignants, des bibliothécaires, des animateurs, des critiques, etc, la rencontre des enfants et des adolescents avec la poésie de leur époque est souvent une réalité quotidienne – et l’on sait qu’elle se prolonge tout naturellement par une création personnelle de chaque enfant.

    Par ailleurs, pour beaucoup de poètes contemparains, cette rencontre est une expérience importante, essentielle même, par la qualité d’accueil de ce jeune public qui, en dehors de tout snobisme, est un vrai public, inaccessible aux modes, mais sensible à la seule qualité du texte qui lui communique son émotion.

    Beaucoup de poètes vont aujourd’hui retrouver les enfants dans des classes ou des bibliothèque, pour se ressourcer.

    En cette fin du XXème siècle, enfance et poésie semblent avoir partie liée – mais on sait aussi que la poésie n’a pas d’âge.

    Ce mouvement qui poursuit son cours influencera forcément la poésie des prochaines années et rélèguera sans doute au second plan un hermétisme désuet, au profit d’une poésie plus vaste, plus généreuse, mieux partagée.

    Le grand succès de ce premier Prix le montre bien, puisque des poètes de tous âges, de pays divers, en des styles différents, des « amateurs » inconnus et des « professionnels » célèbres ont participé à ce concours.

    Voulant poursuivre leur aide à cette rencontre de la jeunesse et de la poésie vivante, le Secrétariat d’Etat et la Maison de Poésie ont donc décidé de lancer dès à présent une deuxième édition, celle de 1990, doté d’un prix de 40 000 francs. Le règlement peut en être demandé au Secrétariat à la Jeunesse et aux Sports, 78 rue Olivier de Serres, 75015 Paris.

    Il reste à résoudre le problème de la diffusion de cette poésie vivante. Beaucoup de manuscrits de valeur (en particulier parmi les quatorze sélectionnés) mériteraient d’être édités. Le poésie ne devrait pas être incompatible avec la grande édition moderne.

    La réussite de ce prix montre en tout cas que la poésie pour l’enfance et la jeunesse est un secteur vigoureux de la création contemporaine.

( texte paru dans le n° 37 – 3/1989 – du bulletin du CRILJ )

   jaffabules

D’abord instituteur et professeur, puis écrivain, anthologiste, directeur de collections chez plusieurs éditeurs, Jacques Charpentreau fit beaucoup pour la diffusion de la poésie. Parmi ses nombreux recueils pour jeunes lecteurs : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant et Poèmes pour les jeunes du temps présent. Il écrivit aussi, pour les enfants, de nombreux romans (Comment devenir champion de football en mangeant du fromage, La Famille Crie-toujours). Auteur, pour des lecteurs adultes, de poésie, de théâtre, de pamphlets, il est président de La Maison de Poésie. Très attaché au CRILJ, il en fut longtemps l’un des vice-présidents.

   

Mes commentaires

 

 

 

 

 

 Les victimes du système de financement des associations culturelles en France

     Le système de financement des associations culturelles en France est cassé. Et,  avec le Salon du Livre de jeunesse de Montreuil, avec Livres au Trésor, Ricochet risque d’en être l’une des premières victimes marquantes. Et pourtant, la bonne solution, solide, a été trouvée, qui obtient l’appui du gouvernement suisse.

     Le sort de Ricochet est entre les mains de Mme Anne de Pingon, Juge commissaire, du Procureur de la République et de Me François Brucelle, Mandataire judiciaire à Charleville-Mézières. Et le critère du choix du repreneur serait, paraît-il, strictement d’ordre financier, à l’exclusion de tous aspects culturels ou de projet viable !

 Le temps passe, une candidature fantaisiste se déclare

     Les semaines passent malgré les appels lancés au juge par notre défenseur, Me Dominique Tricaud, et une minuscule maison d’édition du nom de Ricochet (déjà usurpé à sa création en 1995) vient de se déclarer intéressée à reprendre le site, du fait simple de porter son nom. Les finances de cette maison d’édition (qui publie péniblement 5-6 titres par an) ne lui permettent clairement pas d’assumer la charge du site. Il est en plus impensable qu’une maison d’édition quelconque reprenne un site ouvert à la production de tous les éditeurs, petits et grands. Ce conflit d’intérêt, fondamental, a été relevé par des éditeurs qui cesseraient alors tout service de presse au site ainsi dévoyé, en particulier Gallimard Jeunesse dont la Présidente, Hedwige Pasquet, menace de saisir le Syndicat National des Editeurs (SNE) de ce litige : sans service de presse de tous les éditeurs de langue française, le site se meurt, puisque notre vaste public vient principalement pour découvrir les critiques des nouveaux ouvrages.

     Il nous a été aussi signifié que seule la somme mise à reprendre le site allait compter, quelle que soit par la suite la viabilité de Ricochet. Il s’agit donc uniquement d’une histoire d’argent : l’Institut suisse, à la demande du liquidateur, a proposé d’acheter le site pour un euro, sachant bien le niveau des sommes à investir dans les années à venir. Mais il faut absolument « réduire la dette ». Or on ne nous dit pas, à ce jour, ce qu’elle peut représenter !

     Il faut bien le dire tout haut : le système de financement des associations culturelles par les deniers publics est bel et bien cassé. Il va falloir complètement changer ce système et recourir exclusivement à des sponsors, à l’américaine : la France n’y pas préparée ! Cela explique clairement un transfert vers la Suisse, où l’Office Fédéral de la Culture et l’Institut Jeunesse et Médias ont reconnu l’intérêt incontesté du site pour la Francophonie, et ont mis à sa disposition de quoi poursuivre et développer ses activités culturelles pour la jeunesse.

     Le financement public français est exsangue. Un point c’est tout. « Le site vaut des millions ! » affirme-t-on. Oui, des millions de visiteurs, mais ne rapporte pas un sou ! Et il faut le faire tourner chaque jour. Ce qui demande un budget annuel conséquent.

 Le sujet : le sens critique des enfants

     Dans une situation de crise financière globale, il paraît indispensable de proposer à nos enfants, et de façon indépendante des circuits commerciaux, des livres qui éveillent leur imagination, leur sens critique aussi, pour qu’ils puissent à leur tour prendre leurs responsabilités.

     Il ne s’agit pas seulement de livres et de lecture, mais de la survie intelligente de la nation.

     Ricochet doit rester un instrument respecté internationalement au service de la Francophonie. Hedwige Pasquet insiste : « Alors que les médias accordent, hélas, de moins en moins de place aux critiques des livres pour la jeunesse, Ricochet prend une importance évidente pour tous ceux qui créent et publient des livres et assurent ainsi le rayonnement de la culture francophone. »

 ( texte envoyé au CRILJ par son signataire le lundi 10 janvier 2010 )

 

  ricochet

 

 Né à à Lausanne en 1941, Étienne Delessert y entame une carrière de graphiste, travaille à Paris de 1962 à 1965 puis part pour New-York. Son premier album, Sans fin la fête, est publiée en 1967 par Harlin-Quist. Suivront Le conte n°1 en 1969 et Le conte n° 2 en 1970 sur des textes d’Eugène Ionesco. Revenu en Suisse en 1971, il ouvre l’atelier de films d’animation Carabosse et imagine le personnage de Yok-Yok. En 1985, il s’installe dans le Connecticut d’où – aujourd’hui auteur et illustrateur de plus de 80 livres – il continue à s’exprimer par l’album, l’affiche, le graphisme, le dessin de presse et la peinture. Il est l’actuel président du CIELJ (Centre International d’Etudes en Littérature pour la Jeunesse).

 

 

 

 

Fernand Bouteille

Un pionnier de la presse jeunesse

     Fernand Bouteille vient de nous quitter au début mai.

     Il avait été le fondateur de Jeunes Années aux Francas et avait multiplié les réalisations pour la presse des jeunes.

     Son action dans l’édition de journaux d’activités et d’activité scientifique a été à la base de l’édition actuelle.

     A « Edicop », l’édition d’ouvrages documentaires a été à l’origine des activités de Pierre Marchand et de ses collaborateurs.

     De nombreux auteurs et illustrateurs de l’édition pour la jeunesse ont fait leurs premiers pas avec lui.

     C’était un homme pour qui le faire était la base de toute action éducative.

 ( texte paru dans le n° 73 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

Né en 1906 dans un milieu parisien très populaire, Fernand Bouteille rencontre le scoutisme à la Maison pour Tous du cinquième arrondissement de Paris dont il sera plus tard directeur. Collaborateur d’André Lefevre, Commissaire Général des Éclaireurs de France, il occupe des responsabilités à ses côtés tout en conservant son travail d’ouvrier. Pendant la guerre, il est membre du commissariat EDF où il représente à l’origine un courant Sillonniste. Après 1945, il devient journaliste spécialisé dans les questions de jeunesse. Il se rapproche des Francs et Franches Camarades (Francas) et crée en 1952  Jeunes Années, nom qu’il trouva en rêvant à ce « magazine actif » pendant la Résistance.

  jeunes années

« À notre première rencontre, Fernand Bouteuille me demande d’illustrer quelques travaux dits « manuels ». Quelques mois plus tard, il accepte ceux que j’invente. Puis, m’ayant entendu raconter une histoire à mes enfants, il m’encourage à écrire. Et, entre croquetons et contes, rigolades et engueulades, cet animateur-inventeur-éditeur absolument unique passe de Monsieur Bouteille à l’Ami Fernand. D’après lui, un véritable magazine pour jeunes doit être actif, donc se construire, autant que possible, avec ses lecteurs et non pas simplement pour eux. Alors il invente ce qu’il appelle des Équipées : une dizaine de jours pendant lesquels l’équipe du magazine et un groupe de jeunes de 6 à 16 ans vivent et « trouvaillent » ensemble autour d’un thème. Quand je pense à l’invraisemblable mélange de travail et de fantaisie débridée que Fernand Bouteille encourageait chez ses collaborateurs de tout âge, je m’aperçois que le temps passé auprès de lui correspond assez bien au titre d’un grand film de l’après-guerre réalisé par William Wyler : Les Plus belles années de notre vie. » (Béatrice Tanaka)

En revenant des Journées mondiales de l’écrivain de Nice, en octobre 1983 …

L’écrivain

     L’écrivain pour la jeunesse est d’abord un écrivain. Cependant, le fait qu’il envoie son manuscrit à une maison d’édition pour la jeunesse semble indiquer qu’il a choisi de s’adresser prioritairement aux enfants et aux jeunes. Dans le cas d’un envoi à certains éditeurs, on peut même préciser qu’il cherche à atteindre un  très jeune public.

     Les écrivains et surtout les critiques présents à Nice ont manifesté une totale méconnaissance et parfois un véritable mépris pour les livres pour la jeunesse et leurs auteurs. La légitimité de ce type d’œuvres s’est trouvée ainsi posée, en même temps que le problème du statut de l’enfant dans notre société, dont 30 % seulement des citoyens sont de vrais lecteurs.

     Qu’est-ce qui justifie le dédain des écrivains tous publics pour leurs confrères auteurs d’ouvrages pour la jeunesse ? La question mérite d’autant d’être posée que bon nombre de ces écrivains se sont essayés à écrire pour la jeunesse, soit de leur propre chef, soit sollicités par des éditeurs soucieux de s’attacher des noms connus, et que leurs essais sont rarement des coups de maître.

     Il y a nécessité d’amener les adultes – écrivains, critiques mais aussi simples particuliers ayant en charge la culture des enfants – à lire des livres pour enfants.

     L’écrivain pour la jeunesse a de nombreuses occasions de rencontrer ses lecteurs. Il accomplit ainsi un certain travail social, de plus en plus souvent rémunéré et participe à la création d’une contre-culture avec les enfants. L’écrivain pour la jeunesse peut et doit rencontrer son public pour avoir un feed back, mais ce ne peut être, en aucun cas, son but premier.

 Les œuvres

     Les livres pour la jeunesse, plus intentionnels, plus didactiques que les livres pour adultes, sont trop souvent jugés sur le message et pas assez sur l’écriture.

     La lecture de la production incline à penser que bien des tabous sont tombés. Cependant, la question de l’éditeur ainsi formulée : « Etes-vous sûrs que ça s’adresse à des enfants ? » est une forme de censure car elle vise, en fait, à écarter la politique et le social comme ne s’adressant pas à des enfants.

     On admet qu’un auteur peut n’être pas le meilleur juge de son œuvre et qu’il peut y avoir concertation et même collaboration entre l’auteur et le directeur littéraire de la maison d’édition.

     On constate que les créations sont en augmentation mais que le tirage est de plus en plus limité. Ce qui pose le problème du prix des livres jugés trop élevés.

     Les auteurs se plaignent d’être peu informés en ce qui concerne la diffusion de leurs livres à l’étranger. Ils devraient savoir si leur éditeur publient des catalogues et des fiches sur les livres en plusieurs langues. Ils s’insurgent d’entendre que les livres français seraient ressentis par les étrangers comme « trop sophistiqués, trop compliqués, trop intellectuels et sans humour. »

 La lecture

     Malgré les enquêtes menées et qui toutes concluent à une trop grande part de non-lecteurs en France, on peut affirmer que les besoins culturels des enfants ne sont pas pris en compte. Ils sont évalués au niveau de « la pause-tartine » …

    Le peu de considération manifeste aux auteurs de livres pour la jeunesse empêche une véritable action pour faire lire. L’absence de chroniques régulières dans les grands médias témoignent aussi du désintérêt que les adultes détenteurs d’un certain pouvoir portent à la lecture des enfants.

 Les lecteurs 

     L’écrivain pour la jeunesse est le seul à qui l’on pose la question de ce que le public, son public, va penser de sa production. Lui demander de recueillir les avis des enfants, avant d’écrire, n’a pas de sens. Ceux-ci sont des êtres en devenir, en voie de formation. Ils doivent pouvoir trouver, dans la production diverse et multiple dont il faut les informer, des livres qui répondent à leurs demandes, à leurs besoins, à leurs aspirations, à leurs désirs, écrits par des créateurs authentiques. 

( article  paru dans le n° 22 – février 1984 – du bulletin du CRILJ )

   finifter

Née à Varsovie en 1923, après des études secondaires interrompues par la guerre, après des universités d’été et des séminaires pendant lesquels elle fréquente Georges Jean et Marc Soriano, Germaine Finifter rencontre Natha Caputo en 1954. Elle lui doit ses premiers travaux critiques dans Heures Claires. Elle fonde en 1960 la revue Livres Services Jeunesse en collaboration avec les enseignants et les parents de l’école Decroly de Saint-Mandé. Intervenante passionnée dans de nombreux stages ou colloques, directrice de collection chez  Nathan et chez Syros, elle écrira plusieurs ouvrages à caractère documentaire. Très active au sein du CRILJ, elle participera également, avec Christian Grenier, Béatrice Tanaka, Rolande Causse, Robert Bigot et quelques autres, à la rédaction du manifeste fondateur de la Charte des Auteurs et Illustrateurs pour la Jeunesse. Disparu de façon tragique en août 1996 alors qu’en compagnie d’Aline Roméas, autre pionnière de la littérature de jeunesse, elle se rendait chez un écrivain.

Autour du CRILJ, une naissance, une disparition

Naissance du centre Robinson

     La part grandissante occupée par la littérature de jeunesse dans le secteur de l’édition exerce sans doute son effet sur la manière dont les « prescripteurs » pensent leur action. Certes, il demeure chez beaucoup une âme militante, mais l’heure n’est plus au combat, en tout cas plus le même, et il s’agirait plutôt de gérer convenablement une victoire, même si cette dernière reste fragile et surtout inégalitaire. Les rôles évoluent, et les certitudes laissent place, ou devraient laisser place, à davantage de prudence et de souplesse. C’est peut-être ce qui justifie le mieux la « recherche », non pas une démarche arrogante s’avançant au nom de son expertise, mais un effort toujours renouvelé pour mieux comprendre ce qui est et ce qui a été. Ce dernier point est essentiel, car nous sommes dans un secteur qui vit sur deux modes absolument contradictoires, d’une part l’exploitation jusqu’à la corde de textes ou de thèmes toujours ressassés, d’autre part l’illusion de savoir enfin ce que serait l’enfance véritable et la célébration d’une non moins « vraie » littérature de jeunesse.

     D’autres considérations, moins réjouissantes, permettent d’expliquer le déclin du militantisme. Elles ont pesé sur le fonctionnement du site parisien du CRILJ et sur la décision de le fermer (1). Aujourd’hui, les livres et les archives qu’il abritait sont en cours d’installation dans de vastes locaux du site IUFM d’Arras, devenu école interne de l’université d’Artois. Le centre Robinson, ainsi nommé par symétrie avec les Cahiers Robinson créés en 1997, est conçu à la fois comme un lieu de recherche et un espace de documentation destiné à s’enrichir par d’autres collections et ouvert à toute personne intéressée par ces questions. Le CRILJ, pour sa part, a maintenu ses activités dans plusieurs régions, a ouvert un site, Le site du CRILJ, et a lancé une parution annuelle, Les Cahiers du CRILJ, dont le premier numéro pose la question Peut-on tout dire (et tout montrer) dans les livres pour la jeunesse ? André Delobel, son nouveau secrétaire général, diffuse également un intéressant Courrier du CRILJ/orléanais, qui rassemble régulièrement des annonces et coupures de presse. Le CRILJ est associé au centre Robinson, qui se donne pour objet non seulement la littérature de jeunesse dans son acception la plus « légitime », mais toutes les sortes de publications, qu’il s’agisse de la presse, du cinéma ou encore de la radio, sur laquelle un projet est en cours d’élaboration.

     L’histoire et la critique des livres pour l’enfance connaissent un essor sans précédent, marqué entre autres par le nouveau statut de La Joie par les livres, par la création de la revue en ligne Strenae de l’AFRELOCE, par le lancement prochain de la série « Écritures jeunesse » chez Minard, sous la direction de Christian Chelebourg, etc. En ce qui concerne le centre Robinson, issu d’un centre de recherche à dominante littéraire, sa coopération avec le CRILJ lui permet d’ajouter un volet concernant les politiques et les actions en faveur de la lecture. Cette dimension peut ainsi être travaillée en synchronie, d’autant que la plupart des  membres de ce centre ont pour charge la formation professionnelle des enseignants, mais aussi en diachronie : un séminaire est actuellement en cours d’organisation autour des « Grands témoins de la recherche et de la promotion des publications pour la jeunesse ». Cet intitulé suffisamment large ne restreint pas le domaine aux seules recherches universitaires mais fait place aux activités militantes, éditoriales, journalistiques, etc.

     Ce séminaire, qui se tiendra plusieurs vendredis de l’année universitaire, aura pour première invitée, le 3 décembre 2010, Janine Despinette. Son témoignage devrait être d’un grand intérêt car son parcours déborde largement la seule question de la littérature de jeunesse pour toucher aux questions de l’action culturelle depuis la période de la guerre : son époux, Jean-Marie Despinette, ayant lui-même eu une action importante chez les Compagnons de France, dans l’Office franco-allemand pour la jeunesse, etc. Janine Despinette est sans doute plus reconnue à l’étranger qu’en France, et son intervention portera le titre suivant : « Janine Despinette : un itinéraire de passeur dans le cadre européen ».

     Ce séminaire devrait également s’intéresser à la période comprise entre la fin de la première guerre mondiale, qui a vu l’essor du pacifisme et de l’ouvriérisme ainsi qu’une nouvelle approche de l’enfance, et la fin des années 60, marquée par l’effondrement brutal de ce modèle, auquel le CRILJ, par l’intermédiaire de ses responsables les plus anciens, est resté plus ou moins rattaché.

Décès de Jacqueline Dubois

     C’est dans ces circonstances que le décès de Jacqueline Dubois, un(e) de ces grands témoins, prend une signification particulière. Si l’on connaît assez bien son nom, c’est toujours associé à celui de son époux, Raoul Dubois, rencontré en 1945 dans une manifestation de défense de l’école laïque sur les marches de la Mutualité et avec lequel elle aura signé de nombreux ouvrages et articles. Il est assez difficile d’en savoir plus à son sujet, d’autant que les sites marchands mais aussi le catalogue de la Bnf mélangent allégrement ses ouvrages avec ceux d’une autre Jacqueline Dubois, une ancienne journaliste qui a écrit Le Petit Octobre et Le Gué du Ciel : mes années chinoises, et lui attribuent l’année de naissance de cette dernière.

     Notre Jacqueline Dubois est née le 16 janvier 1924 à Jalèches dans la Creuse, apparemment un peu par hasard puisque sa mère, Maximilienne Murgier, a toujours été Parisienne. Jacqueline n’a jamais connu l’identité de son père, et son nom de jeune fille, Szinetar, est celui de son beau-père, d’origine hongroise, qui l’a reconnue. Maximilienne Murgier était une institutrice très engagée dans le parti communiste, comme le sera sa fille, elle-même institutrice puis directrice d’école maternelle dans le quartier de la rue des Pyrénées, où elle vécut longtemps avec son mari (elle s’est retirée à L’Absie, dans la Vendée natale de ce dernier, après sa mort en 2004, d’abord dans la maison de famille puis en maison de retraite). Dans ce couple fusionnel, les activités étaient totalement partagées, et avec Raoul elle milita également à Ciné-Jeunes (2), aux Francas (3) – comité de rédaction de Jeunes Années, rédaction de Une Année de Lecture, supplément à Camaraderie -, au mouvement d’enfants Copain du Monde du Secours Populaire Français, ainsi qu’au CRILJ (Centre de recherche et d’information sur la littérature de jeunesse), dont elle aura été la première trésorière en 1963, alors que celui-ci était hébergé par l’IPN (Institut pédagogique national), ancêtre de l’actuel INRP (Institut national de recherche pédagogique). Mathilde Leriche en était la présidente, Natha Caputo et Marc Soriano les vice-présidents. 1963, année importante puisqu’elle voit aussi la naissance de La Joie par les livres. Année qui nous paraît désormais lointaine, et la mort de Jacqueline Dubois, pour certains de ses contemporains, marque la fin d’une époque où l’éducation et la culture populaires étaient des valeurs portées par une poignée d’humanistes, humanistes dont les convictions purent cependant prendre une allure quelquefois redoutable (4).

     Cette culture passait par les livres, mais aussi par la presse ou le cinéma, auquel les Dubois apportèrent beaucoup d’attention. Les anciens se souviennent avec émotion de leur petit appartement, au 6ième étage sans ascenseur, rue des Pyrénées, où se préparait notamment l’édition annuelle de Une année de lecture. À leur actif, la rédaction de plus de 25 000 fiches critiques de livres pour enfants de 1950 à 2000. On leur doit aussi des enquêtes, La Presse enfantine française, vue d’ensemble, bibliographie critique (Éditions des Francs et franches camarades, Cofremca/Savoir-livre, 1957), Journaux et Illustrés (Gamma, 1971), et Votre enfant deviendra-t-il lecteur ?, une étude Cofremca/Savoir livre commentée par Jacqueline et Raoul Dubois et Michèle Kahn (1992). Il existe également un ouvrage inédit, Littérature buissonnière, un recueil d’études de 350 pages sous forme de tapuscrit, consultable au Centre Robinson, et dont un des textes, « Le roman scolaire est-il dépassé ? » (conférence donnée à Tarbes en 1987) sera publié dans le n°29 (premier semestre 2011) des Cahiers Robinson consacré au roman scolaire.

     Sous son seul nom, Jacqueline Dubois a publié en 1965 L‘Hiver arrive, adapté du Polonais d’Helena Bechler et, en 1969, Au balcon de Sylvain, également adapté du Polonais de Anna Pogonowska, tous deux parus aux Éditions la Farandole dans la collection « Mille couleurs », où l’on retrouve d’autres membres du CRILJ, Isabelle Jan, Nata Caputo, Colette Vivier, qui reçoit à cette occasion en 1972 une mention du Prix international H.C. Andersen. À cette époque, La Farandole a des accords avec les éditeurs d’État de l’URSS mais aussi de la RDA, de la Tchécoslovaquie ou de la Pologne, où sont produits les livres de cette collection créée en 1963 et adressée aux enfants de 3 à 6 ans.

     Ce grand témoin ne pourra donc plus venir nous exposer son itinéraire, mais nul doute que son nom se retrouvera dans les travaux à venir, tant sur le militantisme culturel que sur l’histoire de l’édition pour la jeunesse, où La Farandole méritera une attention particulière.

 ( article initialement publié dans le numéro 254 de septembre 2010 de La Revue des Livres pour Enfants. Merci à Francis Marcoin et à Annick Lorrant-Jolly pour leur autorisation )

 (1) Lire Réflexions sur la vie, le « devenir hypothétique » ou la disparition des associations culturelles, sans nostalgie mais pour mémoire, dans la page magazine du site Ricochet-jeunes.org

 (2) Un cousin de Jacqueline Dubois a reçu en dépôt un nombre important de fiches critiques portant sur des films.

 (3) Sur les Francs et Franches Camarades, voir Noëlle Monin, Le mouvement des Francs et Franches Camarades (FFC) : de l’animation des loisirs des jeunes à la participation au écoles ouvertes, Revue française de pédagogie n° 118, INRP, Paris, 1997, p. 81-94.

 (4) Voir Bernard Joubert, Dictionnaire des livres et journaux interdits, éditions du Cercle de la Librairie, 2007.

     cahiers robinson

Professeur de littérature française à l’UFR Lettres et Arts de l’université d’Artois (Arras), Francis Marcoin est spécialiste en histoire et critique de la littérature de jeunesse. Ses recherches portent sur l’école, la lecture, les manières de critiquer aussi que sur le roman des XIXe et XXesiècles. Membre de l’équipe de direction de l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) en 2006-2007, il participa, de 2001 à 2007, aux travaux de l’Observatoire National de la Lecture (ONL). Créant en 1994, à Arras, le centre de recherche « Imaginaire et didactique » (CRELID), il le dirigera jusqu’en 2006. Il est  directeur de publication des Cahiers Robinson qui « explorent, sans s’y limiter ni s’y enfermer, le domaine de la littérature de jeunesse, des lectures, des récits et des activités de l’enfant. » Parmi ses ouvrages : A l’école de la littérature (Editions Ouvrières, 1992), Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIX° siècle (Champion, 2006), La Littérature de jeunesse (avec Christian Chelebourg, Armand Colin, 2007). Francis Marcoin est président de la Société des amis d’Hector Malot.