Qui sommes nous ?

Mimi Barthélémy

par Lise Bourquin Mercadé

    Le coeur de la grande dame du conte qui nous a fait connaître et aimer Haïti a cessé de battre samedi 27 avril. Mimi Barthélémy fait partie des êtres chers qui ont donné un sens à ma vie et à mon travail d’éditeur. Il faudra nous habituer à vivre sans la lumière de ses yeux, sans cette joie de vivre, d’apprendre, de créer et de partager, qu’elle offrait de tout son coeur à ceux qui avaient la chance d’être ses amis, à ses “complices” en création, à tous ceux pour qui elle chantait et racontait ‐ encore et encore ‐ le pays chéri de son enfance.

    Mimi était pour moi, comme pour tous ceux qui ont travaillé avec elle, une source d’inspiration. À la fin des années 80, avec le fidèle Serge Tamas qui l’accompagnait à la guitare et Philippe Abadie, notre ingénieur du son ‐ qui veillait avec amour à lui faire “une belle voix” ‐ nous avons passé des heures, dans l’intimité complice d’un studio parisien, à enregistrer ses plus beaux contes: La reine des poissons, L’oranger magique, Crabe et sa carapace, Cheval, crapaud et coeur de princesse Livie, Bakouloubaka, La création des chandelles… J’évoquerai un seul de ces moments inoubliables. Un jour ‐ nous faisions une pause entre deux contes – la conteuse haïtienne et le guitariste guadeloupéen se remémoraient avec gourmandise les chansons de leur enfance. “Et toi, tu la connais, celle‐là?” Mimi chantait de tout son coeur… Émue, j’ai enregistré à leur insu ces petites perles qui deviendraient un jour Dis-moi des chansons d’Haïti.

    Ces annees‐là furent le début d’une amitié partagée avec Mimi et sa famille, dont chaque membre a participé, d’une manière ou d’une autre, à mon aventure éditoriale. Plus récemment, après Le Fulgurant (dont l’enregistrement réalisé au Festival Epos va être joint au livre), j’ai publié Dismoi des chansons d’Haïti et une édition enrichie de la Reine des Poissons, premiers titres d’un ensemble éditorial regroupant ce patrimoine enregistré.

    Sur la scène, qu’elle aimait par dessus tout, Mimi rayonnait. Elle captait l’attention de ceux qui l’écoutaient, par sa seule présence, par sa voix, par son engagement sincère et ses convictions. Elle illuminait le quotidien de ceux qui l’accueillaient pour une rencontre ou le temps d’une soirée “contée”, qui, chaque fois, serait inoubliable, sur un plateau de télévision comme dans la vie. Donnant le meilleur d’elle‐même, se dépensant sans compter, voyageant à la limite de ses forces, ne sachant refuser une invitation, surtout pour Haïti… elle ne se posait que pour écrire.

    Mais Mimi ne restait jamais seule bien longtemps: elle attirait les gens comme un aimant, elle était adulée, respectée, aimée. Amis fidèles, rencontrés aux quatre coins du monde, famille débarquant d’Haïti ou d’ailleurs, enfants et petits‐enfants qu’elle chérissait : sa “maison d’artiste”, sertie au coeur de la Goutte d’Or est un petit coin de Paradis tropical en plein Paris qui ne désemplissait pas!

    Elle aimait recevoir, offrir des présents, gâter ceux qu’elle aimait. Elle ne recevait jamais un visiteur sans lui offrir, délicatement présentés sur le verre d’une table en ferronnerie d’art signée par son mari Guillermo Cardet, un café, des fruits “exotiques”, un pâté africain, une patisserie marocaine ou une confisserie orientale, glanés dans les échopes voisines.

    Elle aimait aussi organiser des fêtes de “retrouvailles” : le temps d’une soirée joyeusement animée par ses amis musiciens, le patio fleuri, orné de vévés haïtiens aux perles brillantes et multicolores et d’une emblémathique “reine des poissons” en métal noir, fleurait bon l’amitié et l’air de la Caraïbe. On chantait des chansons d’Haïti, de Guadeloupe et d’ailleurs. On écoutait Amos Coulange et Serge Tamas qui ne venaient jamais sans leur guitare, et parfois, aussi, a capella, sa petite fille Alizé, interprétant avec conviction un chant de liberté italien.

    Dans la petite maison pleine de souvenirs qu’elle aimait tant, nous avons chanté pour Mimi Barthélémy une dernière fois. Sur le ciel bleu, le lilas mauve était en fleurs… En levant les yeux vers la fenêtre du premier étage, là où elle écrivait, il y a peu, je l’ai imaginée, assise à son bureau. Et je l’ai vue sourire en le regardant… Il nous manque tant, déjà, son beau sourire généreux, moqueur, parfois ‐ que pensait‐elle exactement quand je l’écoutais ? – qui la rendait si belle et nous chauffait le coeur. Mais la voix de la conteuse, sa parole, son souffle, sont immortalisés dans les enregistrements d’hier que nous nous efforcerons de garder bien vivants.

( Paris, 30 avril 2013 )

Après avoir travaillé dans la publicité, Lise Bourquin Mercadé crée, au début des années 1980, les éditions Vif Argent. Elle invente la cassetine, qui, sous une couverture cartonnée fort solide, contient les pages d’un album avec, à l’intérieur du plat antérieur, une forme en plastique pour loger la cassette. Ne pas oublier le petit ruban qui ferme le tout. Se retrouvent dans la collection les conteurs Bruno de La Salle, Mimi Barthélémy, Michel Hinndenoch, Catherine Zarcate illustrés par Joëlle Boucher ou Béatrice Tanaka et habillés de musiques du monde minitieusement choisies. Vif Argent disparait, mais, en 2008, Lise Bourquiun Mercadé récidive et, dans le même esprit, sous le label Kanjil Éditeur, elle alterne rééditions, avec souvent des illustrations nouvelles, et titres inédits. Parmi les premiers titres parus : Dis-moi les chansons d’Haïti par Mimi Barthélémy. Merci à Lise pouir nous avoir confié ce texte.

Griffon accueille Bernadette

par André Delobel

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« Bernadette Després ! Mais, je connais très bien ! Tu es chargé de l’éditorial ?

 – J’ai aussi coordonné le numéro.

 – Mazette ! Toi aussi, tu es tombé dans « Tom-Tom et Nana » quand tu étais petit ?

 – Grossière erreur de date ! Faut être précis quand on veut persiffler. Ma première rencontre avec Bernadette Després, c’est Nicole au quinzième étage, un album tout simple et fabuleux à la fois, paru à La Farandole. Et, en 1969, je ne suis plus vraiment un gamin…

 – Je croyais que tu allais me parler de Jeunes Années.

 – J’ai fouillé dans ma collection et – je n’invente pas – Bernadette a collaboré à Jeunes Années à la fin des années 60, surtout pour des jeux et des découpages. A peu près à la même période que Béatrice Tanaka.

 – Le monde est petit.

 – Et, à Jeunes Années, on savait faire confiance.

 – A La Farandole aussi, me semble-t-il…

 – Chez cet éditeur, avant le premier titre de la série des « Nicole », Bernadette avait publié Annie fait les courses. C’était en 1965 et je suis très content d’en avoir retouvé un exemplaire.

 – Quand Bernadette Desprès publie chez Bayard, tu continues à suivre ?

 L’album Les mots de Zaza, dont l’histoire parait initialement dans « Les Belles histoires de Pomme d’Api » en 1976, est quand même devenu une sorte de best-seller.

 – Tu ne t’es pas abonné à J’aime lire, tout de même ?

 – Pas la peine. En Tunisie, mes élèves me prêtaient. Des « cours préparatoire » qui apprenaient à lire ! Le petit roman que publiait le magazine ne les intéressait pas, mais ils se faisaient lire l’épisode mensuel de « Tom-Tom et Nana » par un plus grand qu’eux, pour le relire ensuite eux-mêmes, à leur façon.

 – Allez, tu brûles d’envie de raconter le moment où tu rentres en France…

 – Je rencontre assez vite Bernadette Després, lors d’une séance de dédicaces organisée par la Coopérative du livre à Orléans. Sur le « Nicole » que je me fais signer, l’illustratrice m’attribue le prénom Arnold. A cause d’Arnold Lobel.

 – Très drôle !

 – J’ai appris un peu plus tard que le quartier que Nicole admire de son quinzième étage est précisément le quartier gare d’Orléans et qu’Andrée Clair, auteur de l’album, avait demandé à Bernadette de gommer l’église qu’elle avait placée dans son dessin…

 – Et ensuite ?

 – Bernadette Després a suivi de près l’aventure de « Lire à belles dents » dans La République du Centre et elle nous a offert quelques belles illustrations. Je suis aussi allé plusieurs fois chez elle, dans le Gâtinais.

 – A Givraines ?

 – A Givraines. A une dizaine de kilomètres de mon premier poste d’instituteur, avant même la Tunisie.

 – Le monde est petit.

 – Tu l’as déjà dit.

 – Continue.

 – Une visite chez Bernadette et Denis, c’est, à chaque fois, la certitude de découvertes nouvelles. Si Denis ne manque jamais de montrer et de commenter son univers art brut, Bernadette possède de passionnantes archives et elle n’aime rien tant que de sortir de ses cachettes secrètes les preuves de ce qu’elle explique généreusement, en réponse à nos curiosités. Elle est aussi collectionneuse et possède un bel ensemble d’ouvrages pour la jeunesse.

 – La dernière fois que tu as rencontré Bernadette ?

 – C’était à Blois, à l’automne dernier, à l’occasion d’une exposition finement conçue. Il y a un article qui explique dans ce numéro de Griffon.

 – Je vais lire. Plus rien à dire sur toi-même ?

 – Si tu insistes, je peux trouver.

 – Je préfère apprendre sur Bernadette Després. Merci et à une autre fois. »

 ( Griffon  n° 237 – mai-juin 2013 – Bernadette Després )

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Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Qui sont les écrivains pour les jeunes ? (1)

par Michèle Kahn

Communication prononcée lors du colloque L’écrivain pour la jeunesse… un écrivain à part entière organisé par le CRILJ et par l’Institut National de l’Education Populaire – Journées Mondiales de l’Ecrivain de Nice – octobre 1983.

PREMIERE PARTIE

    Qui sont les écrivains pour les jeunes ? Ou, plutôt, qui sont les écrivains qui, volontairement ou non, écrivent pour ce secteur de l’édition classé sous l’étiquette générale : littérature pour l’enfance et la jeunesse ?

    Il est apparu, au cours d’un entretien entre spécialistes réunis pour mettre au point notre colloque des Journées mondiales de l’écrivain, que si des écrivains avaient déjà été interrogés sur les motifs pour lesquels ils s’adressent au jeune public et sur leur conception de cet exercice, il n’y avait jamais eu véritablement – sauf erreur – de consultation systématique et spécifique des écrivains pour l’enfance et la jeunesse. Il n’est pas certain que j’étais qualifiée pour ce genre de travail. Peut-être aurait-il mieux valu s’adresser à un théoricien ou à un statisticien, à un économiste ou à un démographe, toutes choses que je ne suis pas. Mais nous nous trouvions dans un Paris estival presque vide. Aussi ai-je accepté bien volontiers, en tant que Secrétaire Général de la Société des Gens de Lettres et membre du CRILJ, de tenter une première approche.

    Ayant fait le compte à rebours des opérations, je me suis vue dans l’obligation de rédiger un questionnaire rapide en vingt-quatre heures, ce que j’ai pu réaliser en m’inspirant de celui qu’avait établi Michèle Vessillier-Ressi pour son ouvrage, le premier du genre en France, intitulé Le Métier d’Auteur. Ce questionnaire a ensuite été adressé aux 161 écrivains d’une liste communiquée par le CRILJ, et 84 d’entre eux ont répondu, ce qui constitue un pourcentage remarquable, tout le monde me le dit. Nous avons donc reçu plus de 50% de réponses, alors que d’habitude on en escompte environ 10%.

    A partir de ces premiers résultats, il se dégage un curieux portrait-robot de l’écrivain pour les jeunes.

    Imaginez un monsieur de 50 ans. Voici une quinzaine d’années, non seulement qu’il écrit, mais qu’il est publié. Il avait en effet 35 ans à la parution de son premier livre, dans une collection destinée aux jeunes. Marié, il a deux enfants. Né en province, il y est resté. Son père était fonctionnaire. Lui-même, à la suite d’études supérieures, travaille au service de l’Education Nationale. Tout son temps libre, il le passe à écrire, écrire, écrire, et parfois il rêve de ne plus faire que cela. Mais ses livres, bien que nombreux, ne lui rapportent que 3 000 à 10 000 francs par an. Aussi attend-il la retraite pour satisfaire son rêve.

    Voici donc notre écrivain. Qu’en pensent mes confrères ? Pour ma part, j’ai beaucoup de peine à me reconnaître dans le miroir que je me suis tendu, mais il est vrai que le portrait-robot permet rarement de trouver l’assassin.

    Sans rejeter ce portrait, qui correspond à une vérité partielle, dans la mesure où il a été obtenu par la juxtaposition des dominantes, il convient d’analyser l’ensemble des réponses données par les écrivains à chaque élément du questionnaire.

1. Le sexe.

    Combien de Comtesse de Ségur, combien de Jules Verne ?

    Nous obtenons le résultat de 38 femmes pour 46 hommes, soit 45,2% de femmes. Ce qui représente le double de l’effectif féminin qui se consacre habituellement à des carrières créatrices (dans son livre Le Métier d’Auteur, Michèle Vessilluer-Ressi annonce 23% de femmes en 1979), mais, en dépit de cette forte participation féminine, le sexe masculin reste prédominant.

2. L’âge (à noter qu’il s’agit ici, pour une fois, de l’âge de l’écrivain et non de celui du lecteur)

    Aucun écrivain ayant répondu n’a moins de trente ans. La majorité, 41 d’entre eux, soit 48,8%, se situe entre 30 et 50 ans, 32, soit 38,1%, entre 50 et 70 ans, tandis que 11 écrivains, soit 13,1%, ont fêté leurs 70 ans. La plus nombreuse catégorie occupe donc la tranche de 30 à 50 ans, mais on obtient une moyenne d’âge de 52 ans.

3. Quel âge avaient ces auteurs à la parution de leur premier livre ?

. moins de 30 ans pour 25 d’entre eux, soit 29,7%,

. de 30 à 50 ans pour 52 écrivains, soit 61,9%,

. de 50 à 70 ans pour 6 d’entre eux, soit 7,2%.

Aucun écrivain n’a eu son premier livre après 70 ans. Et la moyenne d’âge, pour cet important événement, donne 35 ans.

4. Sont-ils célibataires, mariés ou divorcés ?

Ils ont confiance dans les valeurs traditionnelles puisque 64 écrivains, soit 78,6%, déclarent être mariés (les veufs ont été classés dans cette catégorie) alors que 10 d’entre eux, soit 11,9%, sont restés célibataires et que 8 écrivains, soit 9,5%, sont divorcés.

5. Aiment-ils les enfants au point d’en avoir ? Si oui, combien ?

    Deux écrivains ont partie liée avec les dix célibataires cités plus haut, ce qui en fait 12 en tout, pour porter à 14,3% le nombre d’écrivains pour les enfants… des autres.

. 18 d’entre eux, soit 21,4%, ont un enfant,

. 30, soit 35,7%, ont deux enfants,

. 16, soit 19%, en ont trois,

. 5, soit 6%, sont parents de quatre enfants,

. 1 écrivain, soit 1,2%, a cinq enfants,

. 2 autres, soit 2,4%, ont plus de cinq enfants.

6. Lieu de naissance

56 écrivains, soit 66,6% sont nés en province, alors que 22, soit 26,2%, sont nés à Paris ou dans la région parisienne et 6 autres, soit 7,2%, dans les pays étrangers.

7. Adresse actuelle

    La région parisienne présente un irrésistible attrait puisque 39 écrivains, soit 46,5%, y résident actuellement (c’est-à-dire presque le double de la quantité des natifs de cette région), mais le plus grand nombre, 45 écrivains, soit 53,5%, habite la province.

8. Profession des parents

    Cette question, qui devrait servir à déterminer le milieu socio-culturel d’origine des écrivains, a été quelquefois mal-comprises. « Décédés » a-t-on répondu, ou « à la retraite ».

Sur les 67 réponses exploitables, nous obtenons le tableau suivant (en ayant utilisé les catégories adoptés par l’INSEE) :

. agriculteurs, exploitants (2 = 3%),

. salariés agricoles (1 = 1,5%),

. patrons de l’industrie et du commerce (9 = 13,4%),

. professions libérales, cadres sup. (15 = 22,4),

. cadres moyens (24 = 35,8%),

. employés (14 = 20,9%),

. ouvriers (1 = 1,5%),

. personnel de service (0 = 0%),

. autres catégories (1 = 1,5%).

    Nos écrivains sont donc, en majorité, des enfants de cadres moyens, avec 35,8% (parmi lesquels on trouve principalement des fonctionnaires) et une assez forte proportion, 22,4%, de professions libérales ou de cadres supérieurs, ainsi que d’employés, 20,9%.

9. Niveau d’études

    Sur 82 réponses à ce sujet, 50 écrivains, soit une écrasante majorité de 61% ont fait des études supérieures alors que, note Michèle Versillier-Ressi, cela reste un privilège pour 3,8% de la population active en 1982, 14 écrivains, soit 17%, ont le baccalauréat pour seul diplôme, tandis que 12, soit 14,6%, se sont arrêtés avant le baccalauréat, que 4 écrivains, soit 4,8%, ont fréquenté une école spécialisée après le baccalauréat et que 2 d’entre eux, soit 2,3%, ont obtenu le diplôme d’une école technique.

    Ces résultats nous conduisent à une autre question fondamentale :

10. Avez-vous un autre métier que celui d’écrivain ?

    Oui, ont répondu 75 personnes, le fait de bénéficier d’une retraite constituent à nos yeux le second métier. 9 écrivains sur 84, soit 10,7%, ont donc l’écriture pour seul métier. Ces réponses ont également permis de mettre en valeur le fait que sur 74 personnes, 29 d’entre elles, soit 39,2%, travaillent au service de l’Education nationale.

    La répartition de ce second métier, toujours selon les catégories adoptées par l’INSEE, se fait ainsi :

. agriculteurs, exploitants (0),

. salariés agricoles (0),

. patrons de l’industrie et du commerce (2 = 2,6%),

. professions libérales, cadres sup. (12 = 26%),

. cadres moyens (42 = 56%),

. employés (3 = 4%),

. ouvriers (0),

. personnel de service (0),

. autres catégories (16 = 21,4%).

    Une grande majorité donc de cadres moyens, avec 56%, parmi lesquels deux tiers d’enseignants et quelques journalistes. Aucun écrivain n’exerce de métier agricole, et l’on ne note pas plus d’ouvriers ou de personnel de service. La proportion de profession artistiques, 21,4%, est considérable, comparée aux 0,3% de la population.

11. Ces écrivains écrivent-ils uniquement pour la jeunesse ou pour tous les publics ?

    Le résultat obtenu est bien sûr relativement significatif mais – étonnante coïncidence – il y a 42 écrivains dans chaque camp, soit très exactement 50% d’écrivains spécialisés dans la littérature pour les jeunes.

12. Que publient d’autre les 50% d’écrivains tous publics ?

    25 d’entre eux se livrent à des genres divers, alors que 17 écrivains se consacrent exclusivement à un seul genre. Nous avons ainsi 6 auteurs de romans, 4 poètes, 3 auteurs de science-fiction, 1 de nouvelles, 1 d’ouvrages scientifiques et 1 de livres de voyages.

13. Combien de droits d’auteur touchent-ils, dans une fourchette allant de moins de 1000 F à plus de 100 000 F ?

    Il faut signaler que les écrivains s’adressant à divers publics ont répondu pour l’ensemble de leurs droits.

    Pour résumer :

. 41% des écrivains spécialisés pour la jeunesse touchent de 3000 à 10 000 francs par an.

. 23% perçoivent de 1000 à 3 000 francs.

. 23 autres % de 10 000 à 50 000 francs, somme dépassée par un seul écrivain.

. 10% se contentent de moins de 1 000 francs par an.

( encore s’agit-il, pour comprendre ces chiffres, de savoir à quelle masse de travail ils correspondent : l’un des écrivains touchant de 1 000 à 3 000 francs par an précise qu’il a publié 25 romans )

( texte paru dans le n° 23 – juin 1984 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1940 à Nice, un temps strasbourgeoise, Michèle Kahn vit désormais à Paris. Plus de cent titres en littérature pour la jeunesse dont Mes rêves de tous les jours (La Farandole 1945), Moi et les autres (Bordas, 1978), David et Salomon (Magnard, 1985), Justice pour le capitaine Dreyfus (Oskar 2006). A noter également, chez Hachette, une série de récits attribuant à Boucles d’Or des aventures supplémentaires. Nombreux titres également en littérature générale. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a été vice-présidente de la Société des gens de lettres ainsi que de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM). Cofondatrice du Prix Littéraire du Rotary, fondatrice, à la SCAM, du Prix Joseph Kessel et du Prix François Billetdoux, vice-présidente du jury du Prix des Romancières et jurée dans de nombreux autres. Journaliste au Magazine littéraire de 1987 à 2006. Ses multiples activités lui laisse toutefois un peu de temps pour fréquenter le Club des croqueurs de chocolat. Michèle Kahn fut au conseil d’administration du CRILJ.

Roger Boquié

par Francis Vernhes

    Enseignant, Roger Boquié a d’abord été délégué des Francs et Franches Camarades (Francas) en Normandie. Déjà dans l’action en direction des enfants il s’intéressait aux activités telles que le livre, le cinéma, le spectacle, la presse, la radio.

    C’est avec l’idée « d’avoir un film à nous, qui parlerait des Francas de leur raison d’être » qu’il décide, en 1954, de réaliser le premier document audio visuel qui présentait les Francs et Franches Camarades. On peut visionner ici, sur le site des Archives départementales du Val-de-Marne. ce film où l’on retrouve Roger Boquié et Monique Bermond

    Roger Boquié est ensuite venu à la Fédération nationale des Francas où il avait en charge la formation et où il animait la commission nationale chants, puis chants et danses pour devenir activités musicales. Dès 1960 des commissions nationales d’activités (jeu et activités physiques, chants et activités musicales, activités manuelles) ont permis à la fois de mutualiser les pratiques de terrain, de les faire évoluer, de les enrichir et de diffuser un répertoire commun vers l’ensemble des régions. Écoutons-le :

    « Nous nous sommes appuyés sur des méthodes pédagogiques nouvelles permettant de pratiquer l’animation musicale à tous les degrés et d’utiliser tout le matériel réalisé ou rassemblé : disques, instruments de musique (percussion et autres), d’exploiter les différentes expériences menées autour de la percussion, de l’évolution, de l’audition motivée… On ne parlait plus technique « chants et danses » mais activités musicales. Nous recherchions toutes les formes d’activités pouvant être proposées à partir de la musique. C’est ainsi que naquit l’évolution, c’est-à-dire une recherche de la visualisation de la musique qui soit suffisamment simple et permette à des guides (animateurs) non techniciens mais aimant la musique de mener à bien des réalisations intéressantes. Puis la musique fut également utilisée comme décor sonore, ce qui permit de lancer l’idée d’auditions musicales motivées prenant la « relève » des anciennes auditions musicales passives. »

    À ce propos Roger Boquié rappelait que les Francas avaient été les premiers à éditer et à commercialiser les disques avec accompagnement musical, à la demande des formateurs et des directeurs de centres qui souhaitaient disposer de ce type d’accompagnement pour les spectacles musicaux mis en place dans les stages, les fêtes de centres de loisuirs et d’écoles….

    Ainsi, avec Jean Naty Boyer, dans leurs créations, dans la mise en place d’outils pédagogiques, dans la production de disques ils ont non seulement révolutionné nos façons de faire mais ils ont permis un développement de ces activités sur l’ensemble des régions et des départements. Il n’y avait pas un patro ou un centre aéré se réclamant des Francas qui ignorait nos « tubes » de cette époque. Et, de Marchons dans le vent, à Feu de bois en passant par Le joli jeu de Jacques à dit, les airs composés par Roger Boquié ont été chantés dans beaucoup de groupes d’enfants.

Pour l’anecdote rappelons la performance réussie au cours du vingtième anniversaire des Francas en 1964, où Roger Boquié a dirigé un chœur de 300 choristes ayant appris les chants par petits groupes de 10 à 20, dans des départements différents, et qui, sans répétition, avec le soutien d’un accompagnement orchestral, ont donné un spectacle remarquable.

    Roger Boquié est devenu ensuite conseiller technique et pédagogique à l’INEP (aujourd’hui INJEP) à Marly-le-Roi où il a su déployer la même activité créatrice et novatrice au service de la littérature de jeunesse.

    Qu’il s’agisse des stages L’enfant, le livre et l’expression, des animations qui ont fait les belles heures du Festival du livre à Nice ou qui ont sillonné la France comme La forêt aux histoires, on retrouve une recherche de qualité permanente et une rigueur pédagogique remarquable. Roger produit des idées, initie de nouvelles pratiques et assure la promotion de la littérature de jeunesse vers les parents, les enseignants, les animateurs mais aussi vers les institutions et les médias. Il a pour cela donné une autre dimension aux actions de formation et fait sortir l’animation de sa routine parfois appauvrissante.

    Après avoir animé, à l’ex ORTF, avec Monique Bermond, l’émission Partons à la découverte, ils ont produit ensemble sur France Culture l’émission Le livre, ouverture sur la vie. Cette perspective d’ouverture sur la vie s’est concrétisée dans de nombreuses actions initiées par Roger Boquié. Il a permis à des acteurs très divers – bibliothécaires, libraires, éditeurs, conseillers techniques, enseignants, animateurs – de se côtoyer, de se connaître, de se comprendre, de s’enrichir mutuellement, de co-construire des actions communes. De nombreux auteurs ou illustrateurs, des éditeurs parfois, ont bénéficié de conseils toujours précieux auprès de Monique Bermond et de Roger Boquié, de leur connaissance de la production et de leurs pratiques pédagogiques originales et novatrices.

    Roger Boquié était un militant du CRILJ. En s’appuyant sur l’expérience de Monique Bermond qui a été pendant plusieurs années critique littéraire à la revue de L’école des parents, dans le cadre du CRILJ des Yvelines, ils ont prolongé leur action en impulsant la base de données Livrjeun, initiative qui, avec l’aide des Francas de Loire Atlantique se poursuit encore aujourd’hui. Le lien est ici.

    La Ville de Nantes a créé dans le cadre de la médiathèque Jacques Demy un centre Bermond/Boquié très actif qui rappelle ce qu’a été l’action des ses deux militants de l’enfance et de la littérature de jeunesse. On peut visiter ici.

    Militant de l’éducation populaire, pédagogue averti, créateur sans relâche, telles sont les caractéristiques de l’action de Roger Boquié.

    L’intervention qu’il a faite dans l’une des tables rondes mises en place à l’occasion du cinquantième anniversaire des Francas en 1995 confirme cette volonté permanente d’une recherche d’activités ou d’actions sans cesse renouvelées et adaptées aux évolutions de notre société. Il disait : « Je pense que les mouvements de jeunesse doivent innover parce que c’est en innovant que l’on avance, que l’on progresse, que l’on apporte son originalité et c’est en prenant des risques que l’on s’enrichit par l’expérimentation. »

    Qu’il s’agisse des activités musicales, de la littérature de jeunesse et, pourrait-on ajouter, qu’il s’agisse de produire une émission de radio, de créer un spectacle de marionnettes, Roger Boquié a toujours su nous étonner et nous surprendre.

    Merci à lui de nous avoir fait chanter, de nous avoir fait rêver, de nous avoir fait grandir et d’avoir su nous faire aimer et partager ses passions.

(avril 2013)

 

Enseignant désormais retraité, Francis Vernhes est mis à disposition de la Fédération nationale des Francas de 1965 à 1995 et en devient, en 1996, vice-président. Nombreuses opérations d’animation, d’information et de formation dans le domaine du livre et de la lecture. Directeur des éditions Jeunes Années de 1985 à 1996, Secrétaire général puis président du Syndicat de la presse des jeunes jusqu’en 1997 et chargé de mission de ce syndicat jusqu’en 2009, Francis Vernhes fut, pendant 15 ans, membre de la Commission de surveillance des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence. Il est coordinateur de l’ouvrage collectif Lire à loisir, loisir de lire (INJEP, 1987) et du fichier d’activités Jeux de lecture et d’écriture (Francas). Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.

Lire est comme une rencontre amoureuse qui n’aurait pas de fin

par Rolande Causse

    Parfois il est réconfortant de puiser chez des écrivains reconnus pour mieux s’enrichir et offrir cette manne aux jeunes.

    Catherine Millot, dans son livre O Solitude, dit : « Si je peux m’imaginer sans écrire, sans lire je mourrai à coup sûr. »

    Oui, l’heure glisse, le calme et le silence de la lecture essaime un monde clos, magique qui s’ouvre sur des aventures et des sentiments mêlés. Bienfait du moment.

    La lecture tel que la voit Catherine Millot peut être un chant, un bercement qui ondule où beauté, voyages, passions personnages vous prennent, vous enlèvent, vous élèvent…

    La lecture ouvre à soi, à l’autre, au sourire, à la bonté, à l’intelligence. Lumière du soir, voyage intérieur, vagabondage onirique, elle emporte et fait grandir.

    L’auteur écrit encore : « La bibliothèque est comme un cercle d’amis qui ne sont jamais importuns et toujours disponibles, une compagnie de rêve qui préserve la solitude et la peuple d’une infinie variété, d’univers d’êtres dont la singularité merveilleuse s’exprime à loisir. « 

    Lire offre « une vie surnuméraire ». Silence, vide, absence sont des espaces sacrés où l’amour, la création, le plaisir de lire et d’écrire peuvent advenir.

    Pour Roland Barthes avec lequel Catherine Millot se sent proche, « Les livres sont une fécondation d’autres livres. J’écris parce que j’ai lu » et « Ecrire est la seule réponse aux extases de la lecture. »

    Catherine Millot ajoute : « Le goût de la solitude et du silence comme celui de la lecture et de l’écriture est peut-être le goût de l’enfance, sa part préservée. »

    « Le goût de la solitude plonge dans le monde antique de l’enfance. »

    La lecture : une survie toujours possible, toujours présente, toujours offerte, un temps à préserver…

(avril 2013)

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

 

Psychanalyste lacanienne et écrivain, Catherine Millot est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont cinq dans la collection « L’Infini » aux Editions Gallimard : La Vocation de l’écrivain (1991), Gide Genet Mishima (1996), Abîmes ordinaires (2001), La Vie parfaite (2006) et O solitude (2011). Ce dernier titre est paru en février 2013 en collection Folio.

Au bon temps du Ministère

    L’attribution aujourd’hui du Grand Prix du livre pour la Jeunesse montre la volonté du Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de mener une politique active en matière de livres pour les jeunes.

    C’est pourquoi trois axes ont été privilégiés :

– encourager la réflexion autour du livre pour les jeunes

– promouvoir la lecture des jeunes

– stimuler la création

    Pour la réflexion et la promotion, le Ministère aide un certain nombre d’associations à mener un travail de recherche autour du livre pour les enfants et les jeunes.

    Ainsi à titre d’exemple, il soutient des associations qui font un travail d’analyse de la production de livres pour enfants, telle l’association « Loisirs Jeunes ». Il aide financièrement l’organisation de colloques traitant de ce problème.

    Le dernier en date, organisé au mois d’octobre à Saint-Etienne par le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse a montré tout le foisonnement d’idées qui existe dans ce secteur. Il a permis également de situer le climat de notre édition nationale. Ainsi, sur 360 éditeurs en exercice, 85 travaillent pour la jeunesse et publient plus de 5000 titres à raison de 80 millions d’exemplaires.

    Les principaux problèmes abordés, lors du Colloque : critères de sélection des manuscrits ou réédition de certains sujets tabous, ou au contraire provocations, auto-censure des auteurs désireux d’abord de se vendre, motivations d’achat et envie de lire, démocratie du choix et éducation du choix, écriture spécifique ou non – sont autant de questions posées par les animateurs et par les professionnels. Elles m’apparaissent bien être celles qu’il faut aborder et notamment les deux dernières.

    La question est en effet de savoir si la littérature générale n’est pas la seule littérature ? Bref, si elle n’est pas la seule littérature fabriquée par de vrais et grands écrivains, alors que la littérature pour jeunesse ne serait qu’une sous-littérature, un genre mineur à l’usage d’un public mineur. Ce qui est dit ici pour les auteurs, vaudrait aussi pour les éditeurs.

    Bien entendu, à ces questions je réponds non. L’écriture pour les adolescents n’est pas une écriture spécifique en ce sens où on la considère comme l’écriture du pauvre, comme l’écriture à l’usage des sous-lecteurs non encore formés, car bien souvent, on perçoit la littérature pour la jeunesse comme une littérature tout court, avec quelque chose en moins. En fait, il s’agit de tout autre chose. Elle est un autre genre, un autre parti, un autre mode d’expression avec ses chefs-d’œuvre et ses « navets », comme n’importe quel genre.

    Pour la démocratie du choix et l’éducation du choix, il me semble que l’essentiel pour que le livre prospère est qu’il soit partout, la bibliothèque ne doit pas être un lieu sacré d’enfermement. A la crèche, dans les locaux de PMI., dans la classe, dans les transports, à l’hôpital, l’enfant, le jeune doit côtoyer le livre.

    Ceci me permet d’aborder le deuxième axe de notre politique :

    La promotion de la lecture auprès des jeunes : lancé comme une sorte de bouteille à la mer, le livre est certes bon ou mauvais. Mais, il est toujours bon, s’il offre des qualités d’écriture, d’invention, de préparation et s’il s’adresse à l’adulte à travers l’enfant et à l’enfant à travers l’adulte, car il est le lien privilégié de tous les âges. Or les livres lus quand on est enfant ne s’oublient jamais. Qui sait même s’ils ne laissent pas en nous plus que les livres que nous avons lus plus tard ?

    C’est cette idée qui a initié la mise en place de l’opération La Forêt aux Histoires dont nous avons pu apprécier tout l’intérêt.

    Je voudrais tout spécialement remercier le président du Centre Georges Pompidou ainsi que le Directeur de la Bibliothèque Public d’Information de l’accueil qu’ils ont réservé à cette exposition. En accueillant l’exposition sur La Forêt aux Histoires, le Centre Georges Pompidou joue pleinement son rôle, c’est-à-dire être ouvert à toutes les formes d’expression, être un lieu de rencontre, un lieu de créations multiformes. Il démontre que les créations culturelles vont être de plus en plus au cœur de la vie de nos contemporains que tous, quel que soit l’âge, peuvent être actifs et créatifs lorsqu’ils disposent d’instruments d’expression adéquats.

    Cette exposition montre bien la créativité des enfants et tout le travail de formation qui a été mené durant cette opération. Il existe une forte demande de formation de la part des enseignants et des responsables qui ne trouvent que rarement dans leur formation professionnelle une réponse correspondant à leurs préoccupations dans ce domaine.

    Votre démarche d’apprivoisement du public par l’enfant est originale. Toute exposition qui a pour thème le livre ou la lecture rebute a priori les parents s’ils n’appartiennent pas un certain milieu intellectuel. Par ailleurs, souvent elle ne mobilise pas l’imagination enfantine.

    Or, La Forêt aux Histoires tient à la fois du cirque, de la parade, fait appel au fantastique des formes et des couleurs. Elle mobilise l’enfant qui entraîne ses parents. L’arbre sert d’annonce pour inciter à pénétrer dans le monde de la lecture. En outre, il s’agit là d’une mobilisation plus générale de la famille et du milieu environnant. Les adultes découvrent leurs enfants dans un autre contexte que le contexte familial ou scolaire. Il est important pour ceux-ci de voir avec quelle passion, quel intérêt, des enfants, même très jeunes, peuvent spontanément se précipiter sur les livres.

    Par ailleurs, La Forêt aux Histoires a fait participer à un même objectif, le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports, celui de la Culture, de l’Education Nationale, du Fonds d’Intervention Culturelle, le Centre National des Lettres. Compte-tenu de son intérêt, un nombre important d’organismes très divers y a participé. Je n’en citerai que quelque uns : associations familiales et de parents d’élèves, maisons pour tous, bibliothèques, écoles, écoles de beaux-arts, instituts médico-pédagogiques.

    Ainsi plus de 1000 enfants d’origines très diverses, ont participé à cette animation en lisant beaucoup de livres. Plus de 45 000 visiteurs ont pu découvrir 300 livres pour les enfants et les jeunes, à Cugnaux, près de Toulouse, à la Seyne-sur-Mer, à Brest, à Grand-Quevilly, à Besançon, et dans tout le département des Yvelines.

    L’exposition que nous avons visitée montre bien l’extraordinaire force créatrice qui a stimulé l’effort des enfants, des éducateurs, des bibliothécaires, pour aboutir à ces forêts toutes bruissantes d’idées, de formes, de couleurs, de matières.

    Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant est en fait un vaste sujet. Mais l’absence du livre dans cette vie, le livre délaissée rejeté, le livre objet d’indifférence ou de rancune, voilà qui soulève bien des problèmes. En fait, si le livre a une place si faible dans la vie quotidienne de l’adulte, c’est peut-être parce que trop d’enfants d’hier ne l’ont pas connu. A travers le livre, c’est toute la culture ou presque qui prend racine dans la vie. La Forêt aux Histoires constitue dans aucun doute, l’un des moyens pour mieux connaître le monde de la lecture.

    Mais, aujourd’hui, la communication et l’expression passent massivement par l’audiovisuel. Certes, quelques émissions sur les livres pour les jeunes existent déjà sur les différentes chaînes de télévision : Les pieds au mur sur TF1, Bouquin, Bouquine coproduit avec la Ligue Française de l’Enseignement et de l’Education Permanente et Antenne 2, Des livres pour nous sur FR3, et, à la radio, Le livre, ouverture sur la vie (émission hebdomadaire de Monique Bermond et Roger Boquie sur France Culture). Mais, elles me semblent peu importantes par rapport à l’enjeu, c’est-à-dire le goût de la lecture chez les jeunes. Pourquoi, alors, ne pas imaginer que la télévision puisse faire un effort supplémentaire dans ce domaine et fasse connaître de nouveaux talents ?

    Promouvoir la création, découvrir de nouveaux talents, telles sont en fait les raisons pour lesquelles le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports de 8 à 12 ans et intitulé Grand Prix du Livre pour la Jeunesse.

    Un des problèmes de l’édition française est certainement la relative rareté des auteurs et beaucoup de textes publiés en France pour les jeunes sont des traductions. On dira que les éditeurs privilégient dans leur programme les œuvres déjà recommandées par un succès international, que les maisons étrangères offrent peu de chance aux livres français d’être mieux connus dans le monde. Quoi qu’il en soit, beaucoup de progrès restent à faire, et le gouvernement a entrepris une action dans ce sens.

    Le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse prend part à cette politique en cherchant de nouveaux auteurs, notamment pour les 8-12 ans, créneau particulièrement difficile à cerner au niveau de la demande. La découverte de nouveaux auteurs devrait constituer un des facteurs pour augmenter la diffusion du livre pour les jeunes aussi bien en France qu’à l’étranger. En effet, la diffusion du livre français à l’étranger est une des priorités du gouvernement à la fois sous l’angle du commerce extérieur et sous l’angle du rayonnement culturel.

    Voilà en quelques mots les actions menées par le Ministère délégué à la Jeunesse et aux Sports qui complètent celles d’autres Ministères et notamment celui de la Culture. Elles devraient permettre l’accès à un public élargi et préparer dès aujourd’hui les lecteurs de demain.

( texte paru dans le n° 19 – 15 mars 1983 – du bulletin du CRILJ )

Née en 1945 à Nevers (Nièvre), Edwige Avice est diplômée en lettres, en sciences politiques et en commerce international. Elle est nommée, après la victoire de François Mitterrand, Ministre déléguée à la Jeunesse et aux Sports auprès du Ministre du Temps Libre, André Henry. Elle devient Ministre déléguée au Temps libre, à la Jeunesse et aux Sports dans le troisième gouvernement Mauroy. Femme politique qui a la plus grande longévité ministérielle. Edwige Avice est aujourd’hui encore une experte en défense au niveau européen. Nommée Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur en 1998, par le gouvernement de Lionel Jospin, elle est promue au grade d’officier par Nicolas Sarkozy (promotion de Pâques 2009), au titre du Ministère de la Santé et des Sports.

 

Créé en 1981 par le Ministère de la jeunesse et des sports et le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse (CRILJ), le Prix du Livre pour la Jeunesse de Ministère de la jeunesse et des sports, avait pour but de favoriser la création et la diffusion des livres de qualité pour les jeunes et de découvrir et promouvoir de nouveaux talents littéraires. Deux jurys, l’un composé d’adultes, l’autre de jeunes de 11 à 14 ans. Le prix récompensait deux romans ou contes inédits d’expression française, sur manuscrit anonyme. Il fut, en 1992, remplacé par le Prix du roman jeunesse du Ministère de la jeunesse et des sports,

L’Asie dans les livres pour enfants

par Christiane Abbadie-Clerc

      La sagesse orientale, mais aussi l’humour bouddhiste ou taoïste, l’amour de l’art et de la nature, la transmission rituelle de la connaissance entre le maître et le disciple, et le dépaysement d’une culture très visuelle, fascinent les auteurs et illustrateurs pour la jeunesse. L’arrivée des artistes et auteurs asiatiques sur l’espace européen et hexagonal grâce aux co-éditions mises en œuvre dans le cadre international dela Foirede Bologne, a fortement contribué à renouveler l’inspiration et les codes esthétiques des créateurs occidentaux.

     L’idée du conte initiatique se transmet, tel un signe calligraphique, très simplement dans une image, un poème graphique, des personnages simples aux caractères forts. Et la référence à l’Asie traditionnelle est en quelque sorte un prétexte pour aborder des thèmes universels : l’art et la nature, la violence et la liberté, la sagesse intérieure face à la tyrannie des puissants, comme en témoigne la démarche d’Yves Heurté et de Claire Forgeot dans Le Livre de la Lézarde, mais aussi, (pour reprendre un classique ancien): Marguerite Yourcenar et Georges Lemoine dans Comment Wang Fô fut sauvé ou encore Claude et Frédéric Clément à travers Le peintre et les cygnes sauvages : la contemplation de la beauté naturelle, est aussi une réponse aux agressions extérieures.

    Paradoxalement ce sont les auteurs orientaux qui ont la volonté de sortir des cadres traditionnels, à la recherche d’une modernité qui tient aussi à l’influence des Mangas.

   Les albums japonais pour les tout-petits sont des imagiers parfaits, dans leur dépouillement, l’art très « zen » de mettre en valeur les objets et les éléments de l’environnement à travers les formes et couleurs très stylisées.

    La Chine, le Vietnam,la Corée, les montagnes du Tibet et l’Inde offrent un répertoire inépuisable de contes éducatifs animaliers, de génies et de dragons dont le « Livre de la jungle » (une référence à ne pas oublier) condense la saveur originelle. La modernité intervient dans les messages contemporains de solidarité et d’humanité.

    L’écriture dans l’image, la pensée de la nature qui rejoignent l’art et la poésie, la pédagogie par l’humour, la simplicité et la stylisation du dessins et des textes épurés mais aussi la magie du rêve sont les apports essentiels de cette « littérature en couleurs » de l’Asie, un continent à découvrir dans son actualité complexe, à travers les échanges d’une grande richesse entre les créateurs. Une façon de prendre du recul face à notre culture européenne quelque peu figée dans ses certitudes.

    Les coups de cœur présentés ne prétendent pas épuiser une thématique aussi riche ou délivrer un message autre que celui de l’intelligence du cœur pour rassembler autour de ces titres toutes les générations de lecteurs. Des médiations très différentes et complémentaires croisent les points de vue de « médiathécaires », enseignants, libraires ou conteurs, à l’œuvre dans l’équipe du CRILJ Pau-Béarn.

( écrit pour le salon Frissons d’Asie à Borderes – 16/17 octobre 2010 )

 

Christiane Abbadie-Clerc travailla à la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Georges Pompidou dès les années de préfiguration. Elle y créa et y anima la Bibliothèque des Enfants puis la salle d’Actualité Jeunesse et l’Observatoire Hypermedias. A noter l’ouvrage Mythes, traduction et création. La littérature de jeunesse en Europe (Bibliothèque publique d’information/Centre Georges Pompidou 1997), actes d’un colloque qu’elle organisa en hommage à Marc Soriano. Ayant dirigé, de 1999 à 2004, la Bibliothèque Intercommunale Pau-Pyrénées, elle est actuellement chargée de mission pour le Patrimoine Pyrénéen à la DRAC Aquitaine et s’investit à divers titres, notamment en matière de formation (accueil, accessibilité, animation), sur la question des handicaps. Elle est, depuis fort longtemps, administratrice du CRILJ.

Les difficultés de la création

 

« L’inédit fait peur aux adules, il ne fait pas peur aux enfants »

    L’adulte fait bagarre aux productions nouvelles de toutes ses forces, se rassurant avec les valeurs sûres : contes et mythes, qui nous rattachent à nos racines, textes d’auteurs devenus classiques, mais dont les thèmes parlent d’un monde déjà révolu. Parler du monde contemporain effraie.

   Personnellement, il m’a semblé capital que les enfants retrouvent dans leurs lectures le monde dans lequel ils vivent sans pour autant sacrifier l’imaginaire et la poésie.

    Je suis un des rares éditeurs à n’avoir publié depuis vingt cinq ans que des œuvres inédites, mais j’avoue qu’il faut y croire et avoir derrière soi, ce qui fut ma chance, une maison d’édition scolaire à la carrure solide qui m’a permis de faire mes petits essais de laboratoire.

    Faire accoucher sur le marché des auteurs et des illustrateurs jusqu’alors inconnus est une entreprise aujourd’hui parfaitement démentielle alors que la grande majorité des enseignants, des parents passent leur temps à installer des chevaux de frise sur leur plage personnelle pour ne pas avoir à se remettre en question sous l’assaut de ces nouveautés dérangeantes (il y aurait notamment beaucoup à dire sur l’anthropomorphisme animal qui évite aux humains de se mettre à découvert…). Je comprends la politique éditoriale mitigée de nombre de mes confrères (je viens d’y sacrifier dans ma collection pour adolescents, et, serai-je en mesure de résister pour les autres collections ?).

    J’ai lancé « Tire Lire Poche » pour que le gosse achète lui-même son livre. Je l’ai voulue comme une collection tremplin, par comme une fin en soi, destinée à débloquer à la lecture les gosses qui ne lisent plus ou peu. Je suis partie du terrain, c’est-à-dire d’une connaissance des besoins de l’enfant à partir de nombreux entretiens dans des classes avec des enseignants ouverts, conscients des problèmes de lecture criants dans notre société en mutation. Tout enfant a le droit de découvrir le plaisir de lire et pas seulement une certaine élite.

    Je n’ai publiée que lorsque des preuves réelles d’intérêt et de déblocage à la lecture avaient été constatées après la lecture des manuscrits « Tire Lire ».

    Des enseignants, des documentalistes, des conseillères pédagogiques ont participé à ce travail. Le résultat, à mon sens extrêmement positif auquel je suis heureuse d’avoir pu atteindre, c’est que l’enfant qui a pu lire deux ou trois « Tire Lire » est ensuite apte à lire seul des œuvres plus difficiles et plus élaborées qu’il n’aurait pu aborder d’emblée.

   L’enfant qui, par exemple a lu avec passion, le mot n’est pas trop fort, Pépé révolution de Jean-Paul Nozière, porte un regard nouveau (et non plus conditionné par l’adulte) sur le troisième âge.

    Mais trop de problèmes contemporains risquent de placer les adultes dans des situations gênantes et l’adulte n’accepte pas d’être mis en question, voire piégé par l’enfant et d’avoir à dialoguer avec lui, comme s’il avait à se disculper alors qu’il s’agit de tenter de communiquer.

    Le dialogue ne débouche-t-il pas sur la confiance réciproque et sur une plus grande ouverture d’esprit, à partir de points de vue divergents ? C’est mon sentiment.

    Si « Tire Lire » touche aujourd’hui le grand public par l’intermédiaire de libraires jusqu’alors réticents, c’est grâce à l’action d’enseignants qui ont accepté de tester les ouvrages manuscrits et qui devant les réactions fructueuses et positives obtenues, ont tenu à contribuer à les faire connaître autour d’eux.

(texte paru dans le n° 18 – 15 décembre 1982 – du bulletin du CRILJ)

 

Née à Guéret (Creuse), Thérèse Roche a passé son enfance dans la maison familiale, en pleine nature, et dans la librairie de sa grand-mère. Elève au lycée Fénelon à Paris, puis études de droit, licence ès lettres et diplôme d’études supérieures. Directrice, de 1958 à 1988, des productions pour la jeunesse des éditions Magnard (collections « Fantasia » , « Le temps d’un livre », « Tire lire poche » et nombreux albums). Thérèse Roche publie son premier livre pour la jeunesse, Le Naviluk, en 1983, roman qui reçoit le Prix de la Science-fiction française pour la jeunesse. Nombreux titres, chez Magnard, et dans la collection d’ouvrages à prix réduit « Lire c’est partir » de Vincent Safrat. Depuis 1989, existence tranquille entre écriture et interventions dans les bibliothèques, établissements scolaires et salons du livre. « L’une des plus grandes joies que j’éprouve est de dialoguer avec ses jeunes lecteurs. »