Qui sommes nous ?

Du côté d’Oskar

par André Delobel

Entretien avec Bertil Hessel, directeur des éditions Oskar.

André Delobel : Bertil Hessel, racontez-nous quand et comment vous avez été amené à créer la maison d’édition pour la jeunesse Oskar ?

Bertil Hessel : Oskar Jeunesse, cela commence il y a cinq ans, à Paris, J’étais enseignant et j’ai décidé de continuer ma mission d’éducation en devenant éditeur, c’est-à-dire en poursuivant des objectifs qui me semblaient aujourd’hui essentiels : faire des livres que les enfants apprécient, trouver des histoires qui permettent aux enfants et adolescents de parler avec leurs parents, leurs copains sur des sujets pas forcément faciles, éditer des histoires qui permettent de faire réfléchir à des choses importantes : lutter contre les préjugés, aborder des thèmes qui engagent, etc. Je pense que les trois quarts de la production de notre maison donne à penser, à réfléchir et fait aimer la lecture. C’est le cas pour les auteurs ici présents : Véronique Delamarre dont les livres ont beaucoup de succès et qui a reçu de nombreux prix, Florence Koenig qui a illustré chez nous beaucoup de textes et de contes sur l’Afrique, des livres dans lesquels on découvre l’Afrique et qui contiennent aussi une réflexion sur ce vaste continent.

Comment se fait la rencontre entre éditeur et auteut ? Comment se noue le premier contact ?

Il est bien difficile de convaincre les gens de vous suivre quand on crée une maison d’édition. Une maison d’édition fonctionne beaucoup sur les relations personnelles. Mais, dès le début, j’ai eu la chance de rencontrer des auteurs formidables. Ensuite, comment faire découvrir ces auteurs aux enfants ? Et bien, c’est grâce aux salons comme celui-ci organisés avec ténacité par des équipe bénévole dans de nombreuses villes de province, c’est grâce aux bibliothécaires, grace aux enseignants, aux parents et aux enfants que l’on y rencontre. Ces salons du livre permettent d’apporter les livres jusqu’àux enfants. Le salon de Montreuil, pour moi, ce n’est pas une priorité. Je préfère beaucoup venir dans les salons comme celui-ci où Oskar est invité. L’important, c’est le travail sur les territoires.

Comment se passe le choix des textes que vous éditez ? Sont-ce des commandes ou des textes repérés ?

Cela se passe surtout autour d’un café. Certains auteurs ont des textes déjà écrits, mais, chez nous, beaucoup de textes naissent à partir de discussion. On parle droits civiques, droit à la différence, etc. On se dit qu’il faudrait faire un texte sur ce sujet ou sur celui-ci, en fonction parfois de l’actualité, et quelqu’un s’en charge. Il y a, dans ce cas, une vraie connivence entre auteur et éditeur. C’est ainsi, par exemple, qu’a été écrite par Éric Simard la biographie de Rosa Parks, la femme noire qui refuse de se soumettre.

Est-ce que – je prends aussi un exemple – Je suis un homme : Martin Luther King est un titre qui représente les valeurs auxquelles Oskar est prioritairement attaché ?

En quelque sorte oui, mais je suis aussi fier d’être le premier éditeur jeunesse à avoir publié un livre sur Aimé Césaire, Le nègre indélébile, un livre qui, lui aussi, je pense, donne à réfléchir. Depuis l’an dernier, nous prenons mieux garde à privilégier l’autonomie des enfants dans leur réflexion. Il faut qu’ils se fassent leur propre opinion. Ce n’est pas parce qu’un proverbe est connu de tous que ce qu’il énonce est une vérité ! Nous voulons permettre aux enfants, au travers de leurs lectures, de se forger leurs propres opinions.

Et les romans d’aventure ? Les romans policiers ?

Nous avons aussi, pour ces livres-là, des exigences. Comment dire ? Nous refusons beaucoup de romans qui feraient que les enfants ne soient pas, les ayant lu, plus intelligents.

Qu’espérez-vous pour Oskar pour les prochains mois ou pour les prochaines années ?

Que ce type de salon continue ! Mais nous craignons qu’ici ou là le découragement gagne les bénévoles des associations de promotion du livre qui ont de plus en plus de mal à survivre. Il n’y aurait, alors, plus de relais. Si les gens se mettaient à considèrer les livres comme des cacahuètes et se mettaient à les vendre ou à les acheter comme tel, nous aurions des soucis à nous faire. Mais nous espérons bien exister encore dans dix ans…

Quelques mots de Véronique Delamarre ?

Véronique Delamarre : J’apprécie d’être éditée chez Oskar chez qui j’ai de nombreux titres. J’aime les rencontres avec les lecteurs dans les classes et aussi ce moment où les enfants reviennent me voir sur le salon. Cela me (re)donne de l’énergie pour écrire.

Et vous, Florence Koenig ?

Florence Koenig : Je suis très attachée à Oskar. J’y ai illustré de nombreuses couvertures ainsi que des illustrations intérieures. J’aime voyager en dessinant et je prends beaucoup de plaisir aux rencontres quand je vois les enfants dessiner avec mes propres techniques. Comme Véronique, c’est un grand plaisir quand les rencontres se poursuivent, le lendemain, sur le salon.

( propos recueillis par André Delobel le dimanche 3 avril 2011 lors du Salon du livre pour la jeunesse de Beaugency )

Maître-formateur retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de La République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Réflexions sur la vie, le devenir hypothétique ou la disparition des associations culturelles, sans nostalgie mais pour mémoire

par Monique Hennequin

Ecrit en 2009 par celle qui fut pendant plusieurs dizaines d’années secrétaire générale du CRILJ, à un moment où peu nombreux étaient ceux qui croyaient aux chances de survie de l’association, ce texte en forme de bilan apprendra beaucoup à ceux qui aujourd’hui découvre le CRILJ ou qui en ont oublié l’histoire. A lire (ou à relire) et à garder dans un coin de sa mémoire … dans l’attente du jubilé de 2015.

     Le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, carrefour de toutes les activités concernant la littérature pour la jeunesse était ouvert à toutes les initiatives éducatives et culturelles, dans le cadre associatif et institutionnel. Conscient de la nécessité d’une promotion de la littérature pour la jeunesse, le CRILJ a proposé pendant une trentaine d’années une plate-forme d’informations, de rencontres et de réflexions.

    Le CRILJ [tel qu’il fonctionnera à compter de 1974] est né à l’issue de journées d’études organisées au Centre International d’Etudes Pédagogiques, à Sèvres, par son directeur Jean Auba, inspecteur général de l’éducation nationale et du travail de la Section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse (IBBY) lors d’une rencontre organisée par cette dernière à Marly le Roi, en octobre 1973.

    Sous la présidence de Jean Auba, il a repris le nom d’une association créée en 1965 autour de Natha Caputo, critique et journaliste au Progrès de Lyon, Isabelle Jan, productrice à la radio, Mathilde Leriche, bibliothécaire à l’Heure joyeuse, Marc Soriano, professeur d’université, Jacqueline Dubois, institutrice, et Raoul Dubois, son époux, instituteur et critique, Raymonde Dalimier, bibliothécaire au Lycée La Fontaine.

     Le CRILJ par ses statuts association loi 1901 sans but lucratif a été agréé par le Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1979, et reconnue d’utilité publique en 1983. Il a toujours observé une rigoureuse indépendance et une totale neutralité par rapport à tout mouvement politique ou confessionnel. Il est ouvert autant aux utilisateurs du livre qu’aux professionnels du livre.

    Le CRILJ a surtout été composé de membres individuels, venant de toutes les régions de France et regroupant les illustrateurs, écrivains, éditeurs, libraires, critiques, journalistes, documentalistes, bibliothécaires des secteurs public et privé, enseignants de la maternelle à l’université, personnels du secteur médical ou paramédical, animateurs culturels et scientifiques, parents et toute personne s’intéressant à la littérature de jeunesse et au développement de l’enfant. Une grande majorité des adhérents font des actions de terrain et se retrouvent dans les sections régionales du CRILJ.

AUTOUR DES LIVRES POUR LA JEUNESSE ET DU MOUVEMENT DES IDEES

    Dès sa création le CRILJ a lancé la mise en œuvre d’une série d’études et de confrontation dans un grand nombre de domaines et il s’est aussi penché sur les grands problèmes de notre société, vus à travers la littérature de jeunesse.

    En 1975, au Festival du Livre à Nice, le CRILJ tenait un colloque sur La place et le rôle du livre dans la vie des jeunes et la place de la lecture dans l’éducation de la jeunesse.

    En 1977, une rencontre était proposée, au CIEP Sèvres, réunissant des pédagogues, libraires, chercheurs, graphistes ayant une expérience de formation dans le domaine de la littérature de jeunesse.

    En 1978, un « cycle d’études » dans le cadre du Laboratoire de Psychologie en milieu scolaire, réunissant un samedi après-midi par mois, une trentaine de personnes (dont la moitié de province) était organisé par Hélène Gratiot-Alphandéry, vice-prési-dente du CRILJ et directeur à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Les intervenants étaient Mme Chombard de Lauwe, le professeur Widlocher, Georges Jean, Jacques Wittwer, Jacqueline Danset, Marc Soriano, Denise Escarpit, Michèle Kahn.

    Après avoir constaté que la presque totalité des documentaires sur les sciences et les techniques étaient des traductions et pour sensibiliser les scientifiques français, en 1980, un colloque ayant pour thème Où se situe la demande des enfants en matière de livre scientifiques et techniques a eu lieu, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, professeur au Collège de France, au Centre Georges Pompidou, réunissant 150 personnes et une quarantaine de jeunes venus de toute la France.

    Le résultat de ce colloque a été la création de deux collections avec des ouvrages écrits par des scientifiques français, chez Hachette sous la direction de Patrick Baradeau et chez Nathan avec Daniel Sassier.

    En 1982, A Saint Etienne, se sont réunis plus de 300 personnes sur le thème : Littérature pour la jeunesse : la création en France. Il s’agissait de faire le point sur la situation des années fin 70, début 80 et d’essayer de stimuler la création par des propositions concrètes des groupes concernés : écrivains, illustrateurs, techniciens du livre et de la presse, mais aussi de faire prendre conscience aux médias de l’importance de leur rôle.

    La création a vraiment été au centre des débats de ce Colloque. On pourrait citer quelques réflexions des participants : « La création, c’est le retour aux sources de l’élémentaire » (Georges Jean) – « La création est une vraie littérature de l’imaginaire, les livres ne délivrent pas de message monolithique étroit, ils constituent des graines que l’on sème en aveugle » (Jacqueline Held) – « Le livre est le plus enrichissant des jeux, le livre c’est la complicité entre l’auteur et le lecteur » (Huguette Perol)

    Le cri de Jean Claverie « Apprenez à connaître les gens de l’image » fut entendu puisque dès 1983, les illustrateurs regroupés firent appel au CRILJ, pour présenter sous son égide une exposition de dessins originaux, accompagnés des livres correspondants – 82 illustrateurs et 250 dessins originaux étaient au rendez-vous au Salon du Livre, à Paris, au Grand Palais – Une présentation des différents courants de l’illustration par Janine Despinette avait fait l’objet de l’éditorial du catalogue du Salon.

    Préalablement, ce colloque en leur donnant l’occasion d’une première rencontre entre eux aura permis une reconnaissance des illustrateurs en tant qu’artistes à part entière, ce qui n’existait pas jusqu’alors. Il aura été le début de la présence des illustrateurs dans les classes et aussi d’expositions dans les bibliothèques et autres lieux.

    En 1986, aété organisé en collaboration avec la BPI, sous la présidence de Jacques Charpentreau, un colloque consacré à la poésie L’Enfant et la Poésie. Une importante collecte d’expériences réalisées avec des enfants a été présentée avec l’aide efficace de Christiane Abbadie-Clerc, alors responsable de la Bibliothèque des enfants du Centre Georges Pompidou.

    Premier colloque sur ce thème qui avait réuni 150 personnes et qui a permis de confronter les points de vue sur le rôle et la situation de la poésie, notamment contemporaine, à l’école et vis à vis du public.

    Après avoir travaillé sur une bibliographie avec le Groupe de Recherche en Education Nutritionnelle (GREEN) et le Professeur Deschamps du Centre de Médecine Préventive CMP) de Vandoeuvre les Nancy, le CRILJ a organisé en 1987, en partenariat avec les institutions précitées, un colloque La santé, le livre et l’enfant qui avait pour but d’informer les non-spécialistes de littérature de jeunesse médecins, orthophonistes, infirmières, professions para-médicales) de ce qui existait sur les différents thèmes liés à la santé, sur leur approche, du documentaire, de la symbolique à la fiction.

    Nous rappellerons les paroles du Dr Schwartz : « Le message de la santé n’est pas neutre, d’où nécessité de faire équipe : éducateurs, professionnels de la santé et du livre pour que s’épanouisse la vie ».

    En 1988, le CRILJ avait réuni, au Collège de France, sous la présidence de Jean-Claude Pecker, une cinquantaine de personnes, sur le thème L’enfant sous influence : culture et conquête de son autonomie, avec Jacques Perriault, Suzanne Mollo, Isabelle Jan et une remarquable introduction d’Hélène Gratiot-Alphandéry.

    Avant l’acte unique européen, il a semblé au CRILJ, important de se poser la question sur les enjeux de 1992 concernant la littérature pour la jeunesse dans l’Europe de demain, d’où un colloque, en 1989, co-organisé par le CRILJ et la Bibliothèque d’Information du Centre Georges Pompidou, sous la présidence d’Emile Noël, directeur général de la Communauté européenne à Bruxelles et président de l’Institut universitaire européen de Florence.

    En 1991, Le CRILJ organisait pour Jean Perrot, membre de l’IRSCL du 10ème Congrès de l’IRSCL à l’Ecole Polytechnique, qui avait pour thème L’application des théories contemporaines de la Culture et de la Littérature de Jeunesse.

    1997 : La tolérance, la littérature de jeunesse peut-elle participer à la formation des jeunes lecteurs ?

    Pour toucher des publics différents, un thème non littéraire au sens propre du terme a été proposé pour un colloque, sous la présidence de Roger Bambuck, Le sport, c’est aussi dans les livres, à l’INJEP, en 1997.

    En 1999, au Palais de la Découverte, nous avons souhaité organiser des rencontres destinées aux animateurs de clubs scientifiques et de centres de loisirs pour une utilisation de livres pour la jeunesse dans leurs pratiques avec les jeunes, ce qui a donné lieu au colloque Lire la science, s’ouvrir au monde, sous la présidence de Jean-Claude Pecker.

    L’image des adultes se détériorant dans les romans, un colloque a été organisé, en 2000, à l’INRP, sur le thème L’image des adultes dans la littérature pour la jeunesse, où il a été essayé de répondre à quelques questions sur l’évolution de l’image de l’adulte, présent ou absent, modèle ou caricature ? Quel lien a-t-il avec la société ? Des inter- venants d’autres pays sont venus nous dire sous quelle forme l’adulte était présenté dans la littérature de leur pays : Penny Cotton, de l’université de Roehampton, Carla Poesio, du Comité scientifique de la revue LIBER de Florence, Jean-François Bouttin, de l’université Laval à Québec

    En 2001, un échange de réflexion intéressant se tenait, à la Société des Gens de Lettres, sur Le livre, un produit comme les autres ? « Il est un temps pour la rapidité, celui de l’économie de marché, un temps que l’on espère préserver par la lenteur, celui de l’auteur, de l’illustrateur et du libraire, un temps pour l’écoute, celui de tous les passeurs de livres ». où avaient pris la parole François Rouet, économiste et attaché au Ministère de la Culture, Ahmed Silem, professeur d’université, des éditeurs ont témoigné : François Geze pour La Découverte- Syros et Dominique Korach pour Flammarion.

    Beaucoup d’adultes s’interrogent sur la prévention face au mal de vivre de l’adolescence. Aussi le CRILJ a-t-il proposé aux psychologues de l’hôpital Necker à Paris de réfléchir comment et avec quel contenu la littérature de jeunesse abordait la Prévention. A partir de cette interrogation est née l’idée de proposer en 2002 un colloque Les maux dans les mots aux animateurs et professionnels de la santé. Une enquête auprès des collégiens lancée avec la collaboration d’Inter-CDI, eut un retour de 500 réponses.

    En 2005, La précarité dans les livres pour enfants, était-ce un phénomène de mode ou une réflexion sur ce qu’elle est et comment la faire percevoir aux jeunes à travers les ‘’passeurs de livres’’ ?

    Reprenons les mots laissés par Raoul Dubois qui avait soutenu ce projet : ‘’Et si la précarité n’était en fait que le nouveau moyen de conjurer ce mot, ce mot qu’on avait cru banni et renvoyé aux images du passé, celles de la pauvreté ».

    Seynadou Dia et Lydiane Chabin, militantes du Secours Populaire Français ont apporté l’éclairage de leur expérience au contact quotidien de ces réalités vécues. Le sociologue Jean-Charles Lagrée et le psychanalyste Claude Allard ont abordé la question en combinant les approches économique et sociologique, Anne Rabany, inspectrice d’Académie a présenté une « géographie de l’école » au regard de la précarité. Pour Alain Serres « mêler sa plume au mouvement du monde, est son projet, mais pas à n’importe quel prix. »

    Quant aux jeunes ayant rempli le questionnaire : le mot « précarité » n’est pas de leur langage.

   Internet envahissant l’espace, on se devait au CRILJ de s’interroger sur la place du livre et de la lecture à l’ère numérique. Il nous a semblé important de réfléchir sur les problèmes qui désormais se posent et comment inciter les médiateurs à un nouveau regard sur leur rôle pour une approche différente de la lecture, une incitation au désir de lire, à la circulation de textes de qualité, à la promotion de la littérature pour la jeunesse. C’est ainsi qu’est née en 2006 l’idée d’un colloque qui a eu lieu en juin 2007 à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, co-organisé avec Ghislaine Azémar, Henri Hudrisier de l’université Paris 8. Existe-t-il un projet d’une bibliothèque jeunesse numérique au service des langues et des cultures, pour une culture humaniste ?

    Au-delà de la numérisation, Internet, avec les moteurs de recherche, inaugure une nouvelle forme d’accès au savoir. Les chercheurs s’interrogent sur les compétences de lecture que les jeunes désormais doivent acquérir pour maîtriser à la fois l’outil, les codes et le contenu. La formation à la recherche et au traitement de l’information est une préoccupation des éducateurs, qui vise non plus une formation info documentaire mais une véritable culture de l’information.

    Les jeunes ne sont plus seulement les enfants de l’image. Ils naviguent sur la toile et bénéficient d’un réseau de communication numérisé permettant le passage d’un média à un autre. Consommateurs avides de jeux vidéo, ils sont des lecteurs à leur manière

    Les communications étaient remarquables et même très savantes.

LE CRILJ ET SES PARTENARIATS AU FIL DES ANNEES

    Dès 1977, avec Travail et Culture et Georges Jean, pour une exposition dans les comités d’entreprise, le CRILJ a assuré le choix des livres, la réalisation des panneaux de présentation et le concours des animateurs pour une opération Les livres pour les jeunes et le monde d’aujourd’hui.

    A la demande de la Délégation à l’Information scientifique et technique (DBMIST) du Ministère de la Recherche, présentation pendant plusieurs années de livres scientifiques et techniques pour les jeunes, dans le cadre du Salon de l’Enfance, de manifestations au Palais de la Découverte ou lors de la Fête de la science dans les jardins de l’ancienne Ecole Polytechnique, rue de la Montagne Ste Geneviève, à Paris

    En 1978, dans le cadre de l’année internationale de l’enfant, l’UNICEF et la Commission française de l’Unesco ont organisé un colloque Le livre dans la vie quotidienne de l’enfant auquel le CRILJ a été largement associé dans la préparation.

    En 1984 et 1985, le CRILJ a collaboré à toutes les actions du Ministère de la Jeunesse et des Sports concernant le livre et la lecture dans le cadre de la Semaine Le livre et les jeunes. Sensibilisation de 500 libraires pour une vitrine – Participation au train Paris-Pékin – Mise en place des « Point Rencontre Information Littérature de jeunesse » en province avec les Francas, les CRIJ et les sections régionales du CRILJ.

    De 1984 à 2007, Avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports, organisation du Prix Roman jeunesse, puis du Prix Premier Roman pour les trois dernières années

    Après une exposition des livres scientifiques et techniques à Toulouse, lors d’Assises de la Culture scientifique et techniques, le CRILJ fait partie du Collectif d’associations pour la culture scientifique, le CIRASTI, avec outre les réunions une participation régulière aux Exposciences départementales, nationales (Brest, Grenoble, La Réunion) et internationales (Prague – Québec).

    Opération avec les Pionniers de France sur la Culture scientifique et technique.

    Toujours tourné vers la culture scientifique, le CRILJ a été l’un des membres fondateurs de l’Observatoire du Livre Scientifique, Technique et Industriel pour la Jeunesse, présidé par le professeur Albert Jacquard

    En 1995, co-organisateur et gestionnaire de l’université d’été organisée par le Centre Internationale d’Etudes en Littérature pour la Jeunesse (CIELJ) à Charleville-Mézières, La littérature de jeunesse, les nouvelles technologies et la communication ?

    Avec le CIEP (Sèvres) et pendant plusieurs années, participation aux séminaires annuels d’été des professeurs de français, langue étrangère, à Caen. Des lycées français à l’étranger

    Collaboration avec la Fondation Nationale de la Gérontologie pour la création du Prix Chronos, sur le thème « Grandir, c’est vieillir ».

    2001 – Pour le Ministère de la Défense : des recherches bibliographiques sur les albums, les romans, les documentaires traitant des conflits du XXème siècle.

    2003 – Implication dans le programme national d’initiation à la lecture et à l’écriture dans le cadre de prévention et de lutte contre l’illettrisme mis en place par le Ministère de l’Education Nationale

( les partenariats ont été repris par date au début de la coopération, un certain nombre se poursuivent )

    Depuis 2000, grâce à l’implication personnelle et l’action internationale de Monique Hennequin, participation active dans deux projets Comenius.

    BARFIE (Books ans reading for Intercultural Education) projet soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de promouvoir une éducation interculturelle à travers la littérature de jeunesse d’un certain nombre de pays en touchant un maximum de professeurs et d’élèves mais aussi d’animateurs, de procurer une plateforme créatrice pour échanger des informations, des expériences sur les meilleures pratiques en terme d’utilisation novatrice de la littérature au sein d’une éducation interculturelle et de renforcer la dimension européenne dans le processus d’éducation. C’est ainsi qu’a été constituée une collection de livres européens destinée à circuler.

    Cette recherche a fait l’objet de l’édition d’un catalogue dans les langues de chaque pays partenaire (10 partenaires) présentant chaque livre avec son résumé

    EDM Reporter (Electronic Digital Media Reporter), projet également soutenu par les institutions européennes qui travaillent dans le domaine de la littérature de jeunesse et de l’éducation. L’objectif était de mettre en place des outils pour les enseignants, bibliothécaires, animateurs et jeunes pour utiliser le WEB dans toutes activités liées à la lecture, à la littérature de jeunesse dans toute son interculturalité et sa multiculturalité.

LE CRILJ, C’ETAIT AUSSI UN CENTRE DE RESSOURCES

    Pendant 35 ans, grâce à son secrétariat permanent, dans son centre national et parisien, le CRILJ engrangera toute information quelle qu’elle soit sur la littérature et la presse de jeunesse, assurera au quotidien toute recherche de documentation, diffusera l’information aidant à une meilleure connaissance de ce domaine.

    Il a été un lieu d’accueil et de travail fréquenté par les documentalistes de collège, les enseignants, les bibliothécaires, les libraires, les animateurs mais aussi les professeurs et étudiants français et étrangers en diverses disciplines s’engageant dans des mémoires ou des thèses liés à l’enfance, la jeunesse, l’édition, la littérature de jeunesse.

( texte paru dans le n° 93-94 – septembre 2008 – du bulletin du CRILJ )

 

Quittant les éditions Stock quand Hachette rachète la maison, Monique Hennequin entre à l’Association nationale pour le livre français à l’étranger (Ministère des Affaires étrangères) où elle est l’adjointe de Lise Lebel. Elle publie chez Seghers en 1969 un Dictionnaire des écrivains pour la jeunesse de langue francaise, non signé, pour la section francaise de l’Union internationale des livres pour la jeunesse (IBBY). Travaillant ensuite à mi-temps au Comité permanent du livre français à l’étranger (Ministère de la Culture), elle assure à compter de 1980 le secrétariat général du CRILJ. Déclarant volontiers ne pas être une militante, Monique Hennequin fut, pendant trente années, l’indispensable cheville ouvrière de l’association.

Rencontre avec Géraldine Alibeu

 

 

    Le 21 octobre 2010, à Muret, dans le cadre de la manifestation régionale Chemin Faisantet dans la salle Agora Peyramont prêtée par la municipalité, le CRILJ Midi Pyrénées a reçu Géraldine Alibeu.

    Après un historique rapide de l’association, de sa création en 1963 à Paris à son déménagement en 2009 à Orléans, après une présentation de ses objectifs tant au plan national que régionale, la soirée se poursuit par la projection d’un petit film d’animation, auto-interview réalisée par Géraldine Alibeu en septembre 2009.

    C’est Martine Tatger, libraire à Cazères, qui anime la rencontre.

Votre entrée en littérature, en plaisir de lire, s’est-elle faite par le texte ou par l’image ?

    Vraiment par le dessin. J’étais mauvaise lectrice. J’ai décidé de faire l’Ecole des Arts Décoratifs à Strasbourg. On y expérimente beaucoup les deux premières années. Et je me suis rendu compte que ce que j’aimais, correspondait à l’illustration. La peinture à l’huile et le dessin, c’est ma technique principale. A cause de Suzanne Janssen. Je l’ai copiée ! Le livre et les choses concrètes du métier me restaient peu connus Le côté narratif m’intéressait. A l’école, je me suis mise à lire, à m’intéresser aux livres. Mon premier livre est La Mariguita. Etre illustratrice est très confortable. On réagit à quelque chose qui existe déjà. On peut aussi lire mes albums sans le texte.

Vous avez écrit trois albums. Mais comment faites-vous le choix d’illustrer le texte d’un auteur ?

    Pour Quelle est ma couleur ? c’est un illustrateur qui m’a proposée car il n’avait pas envie lui de l’illustrer. Il y avait peu de contraintes, juste un petit garçon et tout le reste était dans l’imaginaire. Ça met en valeur notre travail quand on nous fait confiance pour raconter quelque chose. On peut aussi feuilleter un album sans le lire.

Comment avez-vous reçu le texte de On n’aime pas les chats ? Il est très fort ! C’est comme un engagement ?

    Quand j’accepte un texte, c’est d’abord parce qu’il est bien écrit. Surtout que, dans ce cas, c’est un sujet un peu casse-gueule. L’éditrice m’avait laissé du temps, ce qui me convenait bien. Le sujet homme-animal me plaisait. C’est typiquement un travail d’illustrateur de trouver une forme pour les personnages. Cela s’apprend à l’école. Le dessin est parfois comme une forme d’hypnose, on dessine, on dessine et, peu à peu, quelque chose apparaît. On n’aime pas les chats est un livre où il fallait créer de l’action. L’image de tous dans l’avion a été faite avant la mode des charters.

Vous avez choisi de greffer votre histoire dans l’histoire ?

    Chacun peut y voir des choses bizarres, mais on ne peut pas dire les nationalités ni les âges. J’ai mis des petits clins d’œil…

Cet album là, vous l’avez pris avec ce titre ?

    Oui. J’ai décidé pour les oiseaux, mais pas pour les chats.

Le chat est un personnage qui vous touche, que vous placez souvent dans vos histoires… Quand vous illustrez un album, vous vous adressez à un public jeunesse ?

    Au début, je n’y connaissais rien. Je côtoie peu les enfants. Maintenant davantage car je vais dans les classes. Les héros de mes histoires sont rarement des enfants. Quand je dessine ou quand j’écris, je pense à quelqu’un en particulier, un peu comme quand on écrit une lettre. J’ai mis ma technique en place sur La Mariguita. L’idée est née d’un livre que j’étais en train de lire, de Richard Brautigan, La vengeance de la pelouse. Je vous en en lit un passage… J’ai commencé à dessiner puis m’est venue l’idée de ces deux personnages. Il y a, avec ce livre, des choses qui m’interpellent. Construire, coudre, les histoires d’amour, j’aime bien.

Tout à l’heure, vous avez dit : J’ai mis au point ma technique avec La Mariguita…

    Oui, je travaille en papiers découpés et je peins à l’huile. Je copie Susan Janssen ! Je pose les papiers coupés et quand ça va, j’appelle ma secrétaire pour coller ! Non, ce n’est pas vrai ! En fait, je mets beaucoup de temps pour le premier dessin et les autres viennent en fonction.

Comment mettez-vous en place ?

    Il y a une ou deux étapes de crayonnage, mais c’est juste pour savoir. Jz vous montre, en projection, des crayonnés de Jardins suspendus. Le premirt dessin est important, et quand je trouve que l’expression est bonne, j’arrête là.

Etes-vous en contact avec les auteurs des albums ?

    Je ne cherche pas trop à parler avec les auteurs, cela pourrait faire naître des idées faisant interférence avec les miennes. Sauf pour Les trois fileuses car l’éditrice a souhaité qu’on parle ensemble, l’auteur et moi. On a explicité le sens de certains termes. J’aime beaucoup cet auteur, Corinne Bille, qui a écrit La balade en traîneau, mais je ne l’ai jamais rencontrée. Les saisonniers est une livre qui existait déjà aux USA, écrit par une vieille dame, Eve Bunting.

Dans Le Petit Chaperon Rouge a des soucis, les arbres sont rouges. Pourquoi ?

    L’illustration est en sérigraphie. Avec le guide des couleurs, j’ai trouvé que ça allait bien avec l’hiver.

Comment vous est venue l’idée de L’un d’entre eux ?

    Ça faisait un moment que ce livre était dans ma tête. J’avais envie d’un livre avec des personnages sans relations particulières, envie de dessiner certaines scènes. Par exemple, à la piscine, il y a plein de gens, on ne sait pas qui connaît qui, on s’aborde parfois… J’ai alors l’idée d’un livre sur la piscine. Je commence à écrire plein de phrases qui concernent ces personnages, sans beaucoup de contraintes. Il y a une espèce de manif, des personnages un peu monomaniaques comme la dame qui a une épine dans le pied. Je cherche à faire des dessins qui donnent raison à l’histoire.

J’ai l’impression que vous avez dessiné avec une caméra…

    C’est plus facile de dessiner des personnages en maillot de bain, leur corps, leurs expressions. Aujiourd’hui, j’ai envie de dessiner mes livres avec des images qui parlent de moi. Quand je fais un livre toute seule, je prends beaucoup de temps. C’est un luxe, et j’adore ! Je suis bien dedans. La plage, je l’ai dessinée en hiver. Y a un truc physique du dessin, ça évoque les vacances ! Et je n’en prends pas souvent.

Et les chevaliers dans les dunes ?

    En fait, vous avez l’explication dans la scène du café. Cela vient d’une expérience précise. J’ai fait une résidence d’auteur en Auvergne et dans les villages alentour avaient lieu des fêtes médiévales. En fin de journée, les acteurs, à demi déguisés, déambulaient. Et graphiquement, le chevalier est un personnage qui me plaît bien.

Avez-vous d’autres projets ?

    J’ai envie de reprendre ces personnages de chevaliers, d’élaborer une histoire entre un chevalier et une femme esquimaude. J’ai un projet de livre en couture. On m’a offert une machine à coudre et ça me plaît bien. Une galerie m’a proposé de faire une exposition.

     Les questions étant épuisées, Géraldine nous lit des poèmes de Richard Brautigan en nous montrant les illustrations qu’ils lui ont inspirées. Elle a, dot-elle, un ou deux livres en projet avec ces personnages-là. La soirée se termine, entre bavardages et dédicaces, jusqu’à épuisement de l’illustratrice.

( compte rendu de Martine Cortès – jeudi 21 octobre 2010 )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Raoul Dubois

par Bernard Epin

Les chemins croisés du militantisme

     Raoul Dubois, homme d’écrit et de parole. Mais, pour moi, d’abord, homme de parole. Parole donnée à des engagements jamais démentis, par-delà les chocs de l’histoire. Parole distribuée à tous les âges d’interlocuteurs, pour défendre pied à pied des convictions, des certitudes, pour partager savoir et expérience avec des enfants, des jeunes, paroles d’ironie coupante quand se pointaient élitisme plus ou moins déguisé, obscurantisme jamais mort, mépris distingué pour l’enfance et le populaire. Tout cela incarné dans une voix au timbre si singulier, si tonique, dont le souvenir suffira à faire ressurgir tant et tant de facettes d’un homme que seule la maladie pouvait entraver dans sa volonté de se collecter, par le dire et par le faire, avec les espoirs et les tragédies qui ont marqué le XXe siècle.

    La minutie avec laquelle il évoque son enfance et ses premiers rapports au monde social dans son beau livre Au soleil de 36, publié par La Farandole en 1986, fournit bien des clés pour appréhender ce qui fonde l’unité cohérente de l’homme engagé avec la même intensité dans l’action politique, le syndicalisme, la solidarité, l’éducation progressiste, la passion de l’hisroire, la lecture…

    Ayant eu la chance de croiser plusieurs de ces cheminements simultanés, je mesure encore plus aujourd’hui à quel point il serait erroné d’en isoler tel ou tel. Même si, ici, au CRILJ, c’est bien sûr aux dizaines d’années consacrées aux livres et à la presse des jeunes que l’attention se porte en priorité. Travail mené en commun de manière continue avec la chère Jacqueline qui a fait de leur double signature une référence durable.

    A travers les multiples initiatives et débats menés en commun – sans oublier la confiance chaleureuse qu’il m’accorda, lorsque je dus, au pied-levé, assurer la suite du travail critique de Natha Caputo dans L’Ecole et la Nation – je voudrais insister sur le fait que, pour moi, Raoul est à la fois et sans hiérarchisation des genres, celui qui sut aider et encourager tant de jeunes auteurs (Faut-il citer Christian Grenier, Bertrand Solet, Yves Pinguilly, Pef…) et le bagarreur du progrès et de la laïcité, de la justice sociale, le jardinier des idéaux de 1793 et de la Commune, le vendeur de L’Huma au matin d’un dimanche… Bref un militant que la confrontation constante avec le réel sur le terrain a conduit plus d’une fois à chahuter les dogmatismes, ici et là.

    Pas de passions sans excès. Les siens, inséparables d’une générosité à pleins bords, contribuèrent à l’authenticité des souvenirs qu’il nous laisse.

( texte paru dans le n° 82 – février 2005 – du bulletin du CRILJ )

 

Né à Paris en 1936, Bernard Epin fut instituteur puis directeur d’école de 1955 à 1991, à Paris et à Saint Ouen, ville dont il sera élu municipal de 1965 à 2001. Il fit ses débuts de critique de livres pour la jeunesse en 1968 dans L’École et la Nation en remplacement de Natha Caputo, décédée : « Je lis désormais des livres pour les enfants, quelque huit cents titres chaque année. » Auteur d’ouvrages documentaires (Histoires d’école en 1981 à La Farandole, Le grand livre du jeune citoyen en 1998 chez Rue du Monde) et de plusieurs études sur les livres pour l’enfance et jeunesse dont l’anthologie Découvrir la littérature d’aujourd’hui pour les jeunes parue chez Seghers en 1976. Participation à divers ouvrages collectifs dont plusieurs guides édités par le Cercle de la librairie.

Jany Saint-Marcoux : la France des Trente Glorieuses racontée aux jeunes filles

par Monique Oyallon

  Le 26 novembre 2002 s’éteignait Jeanne Sabran (Jany Saint-Marcoux). Cette disparition m’est particulièrement douloureuse, puisque quelques mois auparavant j’avais eu la joie de la rencontrer, et de donner enfin un visage et une présence à la voix qui avait enchanté les lectures de mon enfance.

Pourquoi Saint-Marcoux ?

    Depuis quelques années aux Etats-Unis le renouvellement souhaité des enseignements touchant aux pratiques culturelles de la France contemporaine (identité et traditions) amène les chercheurs à identifier des documents et sources d’information autres, avec une nouvelle importance donnée à des textes diversifiés, tant par leurs auteurs que par leur genre. Le nom de Saint-Marcoux s’est imposé, et comme ses livres étaient encore à ma disposition, je me suis replongée dans l’univers de mon enfance, avec l’ambition de révéler la vision de la société française présentée dans cette œuvre, fort commodément étendue sur les fameuses trente années (en fait une vingtaine) au centre de mes préoccupations de recherche. Ce retour aux textes, bien des années après une première lecture naïve, m’a tout d’abord convaincue de la nécessité de replacer Saint-Marcoux dans le contexte élargi d’un corpus d’écrits procédant d’un projet éducatif et quelque peu militant. Il a également fait renaître le désir de rencontrer l’auteur de ces livres qui ont accompagné mes années formatives. Après quelques recherches j’ai pu établir un contact avec Jany Saint-Marcoux, qui a fort gentiment accepté de me recevoir en janvier 2002 lors d’un de mes passages à Paris. Cette rencontre d’une grande dame fatiguée mais encore rayonnante de vie et de lucidité autour d’un thé dans son appartement de Neuilly se teinte aujourd’hui de mélancolie mais confirme le portrait en filigrane qui transparaît dans tous ses ouvrages.

    Entre 1950 et 1973, Jany Saint-Marcoux a publié vingt-sept livres pour jeunes filles (en dépit de l’inscription sur la jaquette « G.F à partir de 12 ans », le lecteur visé était clairement une lectrice), dont l’action se situe dans des villes et régions emblématiques d’une France en pleine transformation économique et culturelle. Un rapide survol de sa bibliographie illustre la répartition géographique des histoires racontées : le Mont Saint Michel de La Duchesse en pantoufles (1952) ; l’Alsace des Sept filles de roi Xavier (1953) ; Montmartre dans Fanchette (1955) ; le Pays Basque du Voleur de lumière (1955) ; la Provence d’Aélys ou la cabre d’or (1956) ; l’île Saint Louis des Chaussons verts (1956) ; l’île de Sein du Château d’Algues (1957) ; la place des Vosges du Diable doux (1958) ; Toulouse de La Caravelle (1959) ; l’île de Ré de Cet été là (1961) ; Paris de Espoir en 33 tours (1961) ; Paris – la Provence d’Un si joli petit théâtre (1961) ; l’île de Porquerolles du Jardin sous la mer (1963) ; Paris et la banlieue de Mon village au bord du ciel (1965) ; Paris pour Corinne qui voulait danser et Corinne et son prince (1970-71).

    Journaliste de formation, Saint-Marcoux combine une approche documentaire sur des faits de société : handicaps physiques, villages d’enfants, alcoolisme, emprisonnement – des événements culturels : théâtre, cinéma, chanson – les traditions et la géographie de régions françaises phares : Alsace, Bretagne, Provence, Pays basque, Paris, avec la relation d’une expérience et d’une morale très personnelles mais socialement situées dans les couches aisées et cultivées. Elle aborde souvent le thème de l’attraction des carrières (ou des pratiques) artistiques : musique, théâtre, danse, cinéma, en mettant souvent en garde contre l’illusion des ambitions de succès. Beaucoup de ses héroïnes renoncent à leur art volontairement après un succès d’estime. Saint-Marcoux présente également dans plusieurs de ces livres une thématique de la modernité, en décrivant des questions d’urbanisme (les grands ensembles, la transformation des vieux quartiers), des avancées scientifiques (biologie et médecine, recherche sous-marine) et industriels (l’aéronautique).

    Ses ouvrages constituent un témoignage vivant, illustré par des figures féminines attachantes créées avec justesse, et ont attiré au moment de leur publication une très large audience (un million et demi de lectrices). Ils sont actuellement tous épuisés, et à ma connaissance, il n’y a pas de projet de réédition. Dans le Dictionnaire des écrivains français pour la jeunesse (1993), Nic Diament écrit : « ces romans ont mal vieilli. Leur ancrage dans la réalité des années 60, qui a été une des raisons de leur succès, les date inexorablement ». En réalité, les premiers ouvrages des années 50 renvoient à une réalité sensiblement différente, et à ce titre, pourraient revendiquer un statut de classiques de la littérature pour la jeunesse, aux côtés de ceux de la comtesse de Ségur, et figurer dans une rétrospective de portraits de jeunes filles à travers les âges.

    Pour les lecteurs (relecteurs) adultes, l’intérêt des ouvrages de Saint-Marcoux se place sans doute ailleurs, dans le retour nostalgique à des textes de l’enfance et dans la constitution d’un lieu de mémoire (selon la formule de Pierre Nora) de la France des Trente glorieuses. Le « goût de la documentation » que Saint-Marcoux souligne elle-même, citée par Nic Diament (et par elle-même, dans la jaquette de La Caravelle, au cours de l’entretien de janvier 2002) contribue à l’intérêt de ces pages comme témoignage d’une réalité quotidienne. « A travers une fiction romanesque, j’ai donc toujours essayé de cerner l’essentiel d’une réalité qui m’enthousiasmait et que je souhaitais faire partager. » Cette phrase résume les techniques d’écriture de Saint-Marcoux et révèle une dimension essentielle de sa personnalité et une motivation profonde de son travail d’écrivain : un amour de la vie, de la nouveauté, de la création, l’intention de communiquer aux jeunes filles la satisfaction éprouvée à participer pleinement au mouvement de la vie.

    Cet article a donc deux ambitions : d’une part retrouver la personnalité de Jany Saint-Marcoux à travers quelques livres clé, d’autre part évoquer la France telle qu’elle apparaît dans son œuvre.

    L’intrigue de sa première œuvre, largement inspiré de son expérience personnelle, La Duchesse en Pantoufles, se déroule dans le cadre de la baie du Mont Saint-Michel, à Genêts (petit village de la Manche) et nous présente une famille heureuse, mais tourmentée par des difficultés financières (un thème récurrent), les Bellegarde, au cours de vacances estivales annuelles (de juin à septembre) dans la maison familiale, La Nef. Le père (un industriel) travaillant à Paris, la figure parentale dominante est maternelle, Mamy, Madame Bellegarde (dernière héritière de la demeure conçue par l’amiral Le Harpeur) « si jeune dans sa robe fleurie », « apportant (…) le rayonnement de sa douceur blonde et de sa robe claire », « son regard clair », « sa sérénité ». Avec son autorité tendre, respectueuse des personnalités des enfants, sa grande dignité face aux difficultés financières qui affectent la famille, sa maîtrise de la conduite automobile et des contraintes du monde moderne, Madame Bellegarde est le prototype de beaucoup de personnages maternels rencontrés au fil des livres (Espéria de L’Oubliée de Venise, « Sœur Anne » de La Caravelle, Madame Marly du Village au bord du ciel, et beaucoup d’autres), très évocatrice de la personnalité de Saint-Marcoux elle-même, perçue dans les interactions directes avec elle et dans les photos publiées dans les années 50 à 70. Murièle, l’héroïne atypique (entre deux générations) des Sept filles du roi Xavier est aussi une personnalité rayonnante, énergique, pleine de vie, d’entrain et d’ambition, dépositaire du « secret de la joie », « épanouie dans sa robe couleur du ciel », « répandant sa lumière ». Elle fait preuve de l’énergie et de la compétence requises pour prendre en main une famille privée de mère, et soulager une « douce aïeule », mais dans le respect des traditions familiales et des personnalités individuelles, en témoignant d’une compréhension pleine de chaleur et d’humour. Elle met en place tout un programme éducatif : éduquer sans ennuyer, surprendre et séduire les jeunes « sauvageonnes » par une approche neuve de contenus classiques (histoire, géographie). Saint-Marcoux, à travers l’exemple de Murièle nous apprend que « la joie de vivre… le bonheur… se fabrique chaque jour, car on le porte en soi. (…) Il frappe à la fenêtre dès la minute où on sait donner et recevoir. (…), qu’il faut savoir apprécier la valeur des « choses de rien », qui une à une emplissent une existence. » Dans le Village, un des personnages déclare à la famille Marly « grâce à vous, j’ai compris que dans la cellule la plus étonnante, la plus luxueuse, la plus confortable du monde, chacun finit par se retrouver en face de ce qu’il y apporte d’essentiel : ses propres facultés au bonheur, d’adaptation, d’échanges ». « Mirentchou (du Voleur de Lumière), ayant perdu la vue, a retrouvé en elle une autre lumière, indestructible, celle-là.

La tradition catholique

     Cadre moral et complément de cette joie de vivre, le système de valeurs d’un catholicisme ouvert, sous-jacent dès la rédaction de La Duchesse, s’avère être un révélateur important de la personnalité de Saint-Marcoux :

« Bellegarde, se garde !

– Se garde de quoi ? avait un jour demandé Maïlys.

– De la colère, de la paresse, de l’égoïsme, avait dit sa Maman.

– Se garde, comment ? avait insisté la fillette.

– Se garde courageux, bon et loyal, avait répondu Papa.

– C’était là un programme que chacun s’efforçait de suivre, à la Nef. »

    Ces préceptes tirés des enseignements de la religion catholique servent de rappel de sa forte présence dans les paysages, les pratiques familiales, les rythmes de vie de la France des années 1950. S’il est vrai que les références directes au culte et aux symboles religieux se font plus rares dans les livres publiés à la fin des années 60, il n’est pas difficile d’en trouver de nombreux exemples dans les plus anciens. Une des pratiques les plus couramment citée, outre les prières quotidiennes et la fréquentation de la messe, est l’ex-voto, ou requêtes adressées à la Vierge pour le salut d’un être aimé. Dans La Duchesse, les enfants Bellegarde offrent leur nouveau cerf-volant, objet de leur fierté et garant de leur succès dans un concours local, en ex-voto pour demander la vie sauve de leur ami Edmond égaré en mer sur un bateau de pêcheur un jour de brume. Dans Les sept filles, Claude fait une offrande à la Vierge (Notre Dame des Jolis Soupirs) pour aider les amours contrariées de sa sœur Nelly. Mirentchou offre ses yeux d’aveugle, « la seule chose qui lui appartienne en propre », (tout le reste lui a été donné) comme terrain de pratique pour son futur mari, chirurgien des yeux. L’image du sacrifice est omniprésente. Presque tous les personnages de Saint-Marcoux se sacrifient ou sacrifient leurs possessions les plus chères pour le bien des autres.

    Dans ses derniers ouvrages, datant des années 60, la présence de la religion se fait plus discrète, plus symbolique, moins ancrée dans les faits et gestes quotidiens. Dans Mon village, elle apparaît autour de la construction d’une chapelle au cœur d’un grand ensemble situé au sud-ouest de Paris, au-delà de la fameuse « ligne de Sceaux », avec une réflexion œcuménique sur la prière vue comme un recueillement dans un lieu de sérénité ouvert à toutes les religions. La forme choisie pour la chapelle qui sera finalement réalisée est celle d’un œuf, blanche et pure, comme inspirée par un projet de Le Corbusier, Dans Criss ou j’étais une idole et Corinne qui voulait danser, le débat moral individuel du choix à faire entre une carrière artistique dévorante et la vie familiale (l’enfance) surpasse les préoccupations ou l’observation du rituel religieux traditionnel. Les valeurs morales d’entraide et de charité restent dominantes dans les derniers ouvrages, avec un crescendo dramatique dans le cas de Pour qu’un cœur batte encore, où Saint-Marcoux présente pour la première fois le choc de la mort d’un enfant, avec ce sacrifice ultime qui permet à une autre vie de continuer.

La découverte des régions de la France

     Dans la tradition du Tour de France de deux enfants, Saint-Marcoux reprend (sur l’ensemble de son œuvre) le thème du voyage de découverte des richesses multiples de la France, de la variété de ses cultures, langues, paysages, climats, traditions professionnelles, mais aussi de la cohésion nationale exprimée à travers les liens entre les régions, qu’ils soient de type personnel ou administratif.

    Dans La Caravelle, le lien Nord-Sud (Paris-province) est représenté par l’intégration de Jean-Luc Nordier (le « Viking parisien » à la troupe « sarrasine » des jeunes Soutiers toulousains, et par le placement du projet Caravelle dans le schéma de développement industriel national, la concentration des industries locales en une industrie nationale (à terme européenne – en effet la Caravelle est un précurseur de Concorde, puis d’Airbus).

    Le Parisien dédaigneux, ou déboussolé « c’est pas drôle, drôle, Toulouse, en hiver, quand on y débarque » va se voir présenter les charmes de Toulouse par les bons services de Marie-Cat Berlhiac (la demoiselle de la Soute). La présentation de la ville quoique succincte, couvre cependant les points essentiels du passé glorieux de la Ville des Troubadours, riche en hôtels somptueux et en venelles tortueuses, (les restes imposants du « rêve bleu pastel de la Ville Rose ») ce pays de cocagne qui fait encore soupirer parfois les héritiers dépossédés, à l’évocation des nouveaux quartiers et réalisations récentes (Allées, Grand-Rond, le Parc des Sports datant du Front Populaire). Une ville riche aussi de sa tradition littéraire et poétique : les Jeux floraux (« institués en 1323 par les sept Troubadours de Toulouse, qui désiraient ainsi maintenir les traditions de lyrisme courtois (l’art, talent de bien dire, d’émouvoir, de persuader) compromises après la croisade contre les Albigeois ») récompensent les poètes avec des fleurs d’or et d’argent (un lys d’or à Hugo, une Eglantine à Fabre), l’université, l’architecture romane, et la charmante histoire de Clémence Isaure, muse inspiratrice ou impôt ? Une ville où l’histoire et la géographie se rencontrent (comme dans l’enseignement pratiqué par Murièle, des Sept filles) avec la Garonne et le Canal du Midi (une autre réalisation du génie français au 17ème siècle), le vent d’antan et les printemps mouillés ornés de glycine et d’acacia, et « la neige des lointains sommets, ceux que l’on aperçoit du pont Neuf, par temps clair ». Une ville idéalisée, certes, mais dont le charme subtil est décrit avec justesse.

     Le Château d’Algues vient compléter le tour de France des régions commencé par Les Sept filles du roi Xavier, Le Voleur de lumière, Aélys et la cabre d’or, ouvrages où elle présente des traditions culturelles régionales et familiales, en situant des récits captivants et bien construits et des héroïnes mémorables dans quatre anciennes provinces saluées alors et maintenant pour leur particularisme : l’Alsace, le pays Basque, la Provence et la Bretagne.

     Le Château d’algues souligne le mélange de superstition et de pratiques religieuses fortes caractéristique de la Bretagne de l’Ile de Sein, avec l’importance de saints locaux (Corentin), le rôle du recteur (curé) dans la vie de la paroisse, la fonction sociale de la gouvernante du curé. Là encore, il faut noter la justesse de l’observation de Saint-Marcoux. Il est possible de vérifier les informations précises qu’elle donne, en choisissant presque au hasard, qu’il s’agisse du nom du bateau qui assure le passage Audierne-Sein (l’Enez Sun), de la Chapelle Saint Corentin, des noms attribués aux habitants de l’île (Guilcher-Thymeur, Merzin le fou, entre fol-en-Christ et Merlin l’enchanteur, un personnage du récit et Marzin un des patronymes courants sur l’île), de la récolte des laminaires, des souvenirs de la guerre (Sein est la première commune de France à avoir donné la totalité de ses civils au Général de Gaulle en 1940).

    L’inscription dans l’atmosphère de la vie culturelle du moment est assurée par une citation lancinante du poème de Prévert Démons et merveilles (par le fou Merzin), associé au film Les Visiteurs du soir et à la légende de la ville d’Ys, telle qu’elle est rapportée par le folklore celtique :

« As-tu vu, pêcheur, la fille de la mer,

Peignant ses cheveux blonds dorés

Au grand Soleil sur le bord de l’eau ?

J’ai vu la blanche fille de la mer,

Je l’ai même entendu chanter,

Plaintifs étaient l’air et la chanson. »

Saint-Marcoux reconstitue dans chaque microcosme régional un cadre vivant où se mêle avec bonheur la vie quotidienne « moderne » et nationale et les traditions locales inscrites dans les paysages, les rythmes de vie, le physique des hommes et des femmes, le langage quotidien, les joies et les peines de la vie de tous les jours.

Le chantre de la modernité

     On retrouve dans tous ces livres l’exploration de thèmes portant sur l’organisation sociale : la pauvreté, l’isolement et le dénuement, les différences, voire les barrières, qui séparent les catégories sociales, les citadins et les ruraux, Paris (ou la grande ville) et les régions éloignées. Chacun d’entre eux développe des problématiques plus individualisées : le choix que les jeunes femmes doivent faire entre le métier et la vie de famille (Les sept filles), l’ambiguïté des divisions nationales et régionales vue à travers la question de la contrebande frontalière (pré-Marché commun) dans Le Voleur, les dilemmes provoqués par les situations d’adoption dans Le Château. Saint-Marcoux s’efforce également de présenter la diffusion de la modernité dans des environnements traditionnels, à travers une attention aux détails de la vie quotidienne (hygiène, salle de bains et brosses à dents), en insistant sur la présence (vite indispensable) de produits de consommation nouveaux (magnétophone et transistor), en observant l’assouplissement des relations entre les générations. Dans chaque livre figure un thème de découverte scientifique ou de développement économique, soit au centre de l’intrigue (ou nécessaire à sa résolution) comme la chirurgie oculaire dans Le Voleur, l’exploitation commerciale des algues de l’île de Sein (le Château), des techniques agricoles et d’élevage (apiculture et poussins en couveuse dans Les Sept filles).

     La Caravelle, livre dédié à son fils Bernard, se situe à l’intersection de questions de politique économique (développement industriel et recherche aéronautique) et d’identité régionale (Toulouse). D’un point de vue économique, la Caravelle soutient « un enjeu qui entraîne la victoire ou la défaite d’une industrie entière », la chance de survie d’une industrie (d’une région), qui englobe la revanche sur toutes les défaites passés : celles du Sud et les Cathares, la fin du pays de Cocagne et le pastel ; celle de la France : l’écroulement de 1940, les difficultés économiques. Ce « miracle » de l’industrie aéronautique française est aussi présenté comme le résultat d’une tradition et d’une culture locale. Toulouse, siège de Sud-Aviation, héritière de l’Aéropostale (qui disparaît début 1930, racheté par Air France), se réclame de la mémoire de Mermoz et Saint-Exupéry (les pionniers), mais aussi de ses traditions culturelles remontant au Moyen âge et du savoir faire d’un artisanat ancien.

    Dans un avertissement aux lecteurs, Saint-Marcoux précise :

    « Cette histoire ne ressemble pas aux précédentes. C’est le roman de la naissance d’un avion. Epopée moderne, authentique et merveilleuse, qui a permis, grâce au génie d’une équipe et à l’effort patient de milliers d’hommes, la réalisation de cet enfant prodige de l’aéronautique française : la Caravelle. Je vous souhaite à tous d’emprunter un jour la Caravelle, afin qu’elle vous emporte, rapide et sûre, vers ces horizons neufs dont vous rêvez peut-être, et qui vous rapprocheront de la jeunesse du monde entier. Mais, en attendant ce jour-là, que chacun de vous, quand il verra s’élancer dans le ciel de France les ailes de mouette au dessin si pur de la prestigieuse Caravelle, se sente heureux et fier c’est une victoire qui passe ».

    Dans cet ouvrage particulier, Saint-Marcoux a mené une enquête directe et semble avoir reproduit scrupuleusement les informations techniques données par les ingénieurs de la compagnie qui était à l’époque Sud-Aviation (depuis le 1er janvier 1970, la Société nationale industrielle aérospatiale), en partie parce qu’elle se sentait redevable aux dirigeants et ingénieurs de leur disponibilité.

    Mais au-delà de cette exactitude technique qui fait honneur à son sens de la documentation, Saint-Marcoux veut communiquer aux jeunes lecteurs, « garçons et filles à partir de 12 ans », l’émotion (bonheur et fierté) devant une réalisation de génie (national), d’un miracle (technologique et commercial) qu’elle présente comme une victoire de l’espoir, une épopée, un mythe (« l’enfant prodige » Caravelle, pur-sang, mouette, phénix, reine et déesse), une image du progrès (voix de tonnerre, long fuselage, voilure étirée) et aussi « un avion français » (un avion formidable, un bel avion, un appareil fabuleux). Elle est présentée aux jeunes lecteurs comme un symbole du progrès (un tableau moderne, un étonnant schéma de l’allure du siècle, la beauté d’une aile et l’idéal d’un symbole).

    Saint-Marcoux rapproche cette expression du « génie français » au vingtième siècle de la construction des cathédrales, suivant en cela Barthes, qui écrivait en 1957 dans Mythologie  » je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques. Je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie avec elle un objet parfaitement magique. »

    « Car chacun des ouvriers de la Caravelle, du plus petit mécanicien au plus important ingénieur, chacun pouvait éprouver la fierté de collaborer à quelque chose de grand : à l’instar des artisans de jadis, les tailleurs de pierre, qui à côté des architectes bâtissaient les cathédrales. (…) « Vous êtes tous les bâtisseurs de la cathédrales » avait dit le président Héreil aux 22 000 ouvriers employés à la construction de la Caravelle » (La Caravelle).

    On retrouve cette admiration pour la beauté de l’innovation dans Mon village au bord du ciel, où la famille Marly, transplantée brusquement du centre de Paris dans un « habitat futuriste » de la grande banlieue (les grands ensembles qui se multiplient au cours des années 60), la « maison du fada », finit par ne plus pouvoir se passer des volumes élargis et de la lumière de leur 27ème étage. Le motif récurrent de la cathédrale revient en écho avec la construction d’une chapelle censée donner une âme à ce nouvel ensemble. On retrouve le même plaidoyer pour la beauté des bâtiments modernes « oiseaux prêts à l’envol », « voiles déployées », qui feraient « crier au miracle nos bâtisseurs de cathédrales ».

L’horizon du possible

     Beaucoup des héroïnes des Saint-Marcoux, et presque toujours leurs mères, doivent choisir entre famille et activité professionnelle. Les mères sont souvent décédées ou « au foyer » (une réflexion des réalités démographiques et sociales des années 50) ou aident leur mari dans la tenue d’un commerce de quartier. Aucune n’a une activité remarquable ou prestigieuse. Les filles deviennent secrétaires (Cathy de La Caravelle, Mirentchou du Voleur de lumière), se fiancent sans plus d’attention apportée à leur avenir professionnel (Corinne-Tann Foll du Château d’algues, Nelly des Sept filles du Roi Xavier), attendent que l’élu se déclare (Colombe du Village). Les vocations artistiques semblent avoir plus de succès, Corinne (Corinne qui voulait danser) s’engage dans une carrière de danseuse, Marie Bé (Un si joli petit théâtre) fait des débuts prometteurs, Chriss-Cristelle (Criss ou j’étais une idole) découvre sa voie vers une pratique plus professionnelle de la chanson. Les études des jeunes héroïnes sont rarement mentionnées, et presque jamais soulignées, elles semblent accidentelles.

    Les milieux décrits par Saint-Marcoux sont en majorité des classes moyennes, artisans et artistes, petits commerçants, parfois des familles plus bourgeoises ou d’origine aristocratique qui ont connu des jours meilleurs, quelques exemples de foyers très modestes, mais jamais d’ouvriers. Cette facture sociale explique probablement les attentes envers les filles, bien élevées et respectées, mais rarement destinées à des carrières prestigieuses. Dans La Caravelle, les Soutiers appartiennent à un milieu classes moyennes (professions libérales, cadres moyens), promis à un avenir professionnel (les aînés préparent les concours d’entrée aux Grandes Ecoles). La seule fille du groupe, l’héroïne du roman, est présentée comme « égale mais différente ». Comme Bourdieu l’a analysé dans ses ouvrages sur l’éducation, « l’horizon du possible » borne ses ambitions professionnelles. Mais le message est modulé : il n’y a pas d’interdit social, le blocage est présenté comme psychologique, dû à la mort précoce d’un père, pilote d’essai tué en vol, qui interdit à sa fille, pour ne pas renouveler le chagrin de sa mère, de risquer une carrière aussi dangereuse.

Cette approche est caractéristique de Saint-Marcoux : elle est porteuse d’un message de changement (social, culturel, scientifique), mais elle ne croit pas dans une révolution culturelle. Elle pense fermement que tous les frémissements du progrès doivent être soulignés, encouragés, mais que la progression se doit de rester cela : une progression. Un jour bien sûr les femmes seront pilotes d’essai, il n’y a pas d’obstacle congénital, mais des blocages personnels et temporaires.

    L’idéologie de l’ensemble, pour revenir au modèle possible du Tour de France, illustre bien le chemin parcouru depuis la fin du 19ème siècle ou le début du 20ème. La France ne peut plus être représentée dans un catéchisme patriotique et moral uniformisé. La France séculaire et immobile du Tour de France a vécu. Si les ouvrages des années 50 retiennent encore un parfum un peu nostalgique de cette France traditionnelle, ceux des années 60 et 70 reflètent déjà une autre réalité, moins attachante peut-être. Pour faire passer un message au fond similaire : la beauté et la richesse des régions françaises, la valeur de l’effort et du courage, la dignité et la charité, les traditions artisanales du terroir français, le sens patriotique, il faut à Saint-Marcoux des personnages plus complexes, plus développés, différenciés, des récits, des familles et des amis, un tissu social au moins ébauché. Elle rend compte du souffle de la modernité en respectant les traditions, elle souligne le développement des destins individuels, réalisés ou potentiels, sans négliger le respect des autres. Des valeurs inspirées par un catholicisme tolérant et ouvert, compatibles avec celles de la République, tel qu’il a pu s’inscrire dans le consensus républicain.

( article paru dans le n°79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Après des études de didactique des langues et des cultures à l’université de Paris III Sorbonne Nouvelle, économiques, de russe et de linguistique à l’univestité de Toulouse Le Mirail, Monique Oyallon entame une riche carrière internationale : univesité de Mansfileld en Pennsylvania (USA), Volgograd State University à Volgograd (Russie), université de Silésie à Katowice (Pologne), université de Riga (Lettonie).

Rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauts

 

La rencontre avec Anne Brouillard et Anne Herbauls qui s’est tenue le 6 novembre 2010 dans le cadre de Vivons livres au Centre de Congrès Pierre Baudis de Toulouse était animée par Nicole Folch.

Nicole FolchAnne Brouillard, il y a deux thématiques très fortes dans vos albums : la nature et le temps. On est touché par la chaleur et la convivialité de vos maisons. On aimerait y être invité …

Anne BrouillardSi je les dessine, c’est parce que j’aimerais y habiter.

Nicole FolchElles donnent une impression de sérénité, de douceur.

Anne BrouillardL’orage est le livre que je préfère pour expliquer le cheminement pour la maison. Dès la première page, on voit l’extérieur dans un miroir et l’intérieur par une fenêtre. L’histoire de l’orage se passe autour et dans la maison. C’est autant l’histoire de la maison que de l’orage. Pour une maison, je fais un plan, je construis une maquette.

Nicole FolchC’est construit, en effet, comme si on se déplaçait avec une caméra dans la maison.

Anne BrouillardDès le départ, il y a des points de repère pour la suite de l’histoire. Mais elles ne sont pas toutes si rassurantes. Par exemple? la maison dans Le rêve du poisson. Mes maisons sont inspirées de maisons existantes que je ré-invente.

Nicole FolchOn y voit une foule de détails, cafetière, réveil, petits pots, etc. Elles sont très habitées !

Anne BrouillardLes objets ont une importance, comme le décor d’un théâtre et révèlent quelque chose des personnes qui y habitent. Même si on ne voit pas les personnes, on a des indications sur elles par les objets.

Anne Herbaults C’est le lieu où s’inscrivent des émotions qui sont reflétées à taille humaine dans les fenêtres. La maison est comme un corps-âme qui serait un reflet de ce qui se passe. Ces maisons sont des sortes de réceptacles.

Anne BrouillardElles sont aussi liées au passé des gens. Je m’inspire de la maison de mes grands-parents. Les maisons abandonnées aussi me fascinent. Les gens sont partis mais ont laissé des choses derrière eux et on a l’impression d’un temps arrêté.

Nicole FolchVos albums sont traités comme des nouvelles, ce décor aide à connaître les personnages. Il y a à la fois la fixité du regard du narrateur et quelque chose qui se déplace tout le temps. Ce désir d’aller ailleurs, cette curiosité toujours bienveillante, sont des points d’ancrage nécessaires à votre narration ?

Anne BrouillardOn vit, on se déplace, on voyage, quantité de chemins apparaissent mais on ne peut les prendre tous. A côté, ces maisons, immobiles, voient passer les gens, durant des générations peut-être. Les arbres aussi sont restés là. Nous on passe.

Anne Herbauts Chez toi, les trains sont au rythme de la marche, ils ont un rythme humain qui permet la contemplation. C’est vraiment la respiration de tes livres, tu regardes les choses dans l’optique du marcheur.

Nicole FolchVous avez, Anne Herbauts, beaucoup de choses en commun avec Anne Brouillard. Vous parlez souvent du goût des mots et quand je lis un album de vous, j’ai l’impression qu’il est construit par associations d’idées. Au début, il y a toute une logique, puis à la relecture tout un réseau apparaît.

Anne Herbauts Depuis toujours, le texte et les images sont liés. Je travaille le livre comme un objet en volume, en trois dimensionS. Le livre est comme une sculpture, mais n’existe que quand il est ouvert. Il doit être ouvert et parcouru pour atteindre à la quatrième dimension, le temps. On travaille de la matière temps dans un objet physique. C’est une écriture à part entière : texte, images, volume, papier, temps. Il y a des choses indicibles que j’essaye de rendre tout autour de l’album, quelque chose qu’il faut malaxer dans la tête pour le mettre en forme dans la pâte à papier du livre. Comment vais-je utiliser ce support d’écriture pour arriver à ce que je veux dire, pour faire parler l’objet livre ? Je tape dedans pour lui faire sortir ce qu’il a dans les tripes ! J’installe tout, puis à un moment, le livre commence à fonctionner seul, quelque chose sourd du livre, des choses qu’on n’a pas prévues ! Un livre, c’est rien, c’est du bête papier et en même temps, quand tout fonctionne, c’est infini !

Nicole FolchVous exprimez parfois votre goût des mots. Vous jouez avec la syntaxe, les expressions. Est-ce que vous partez de là pour certains livres ou pas ?

Anne Herbauts C’est un danger aussi d’être juste gourmande des mots. Si j’écris juste pour la griserie ça n’a plus de sens. J’intellectualise peu mais je fais attention à ce que tout ait un sens. J’utilise beaucoup les répétitions par sonorités afin d’obtenir une sorte de musicalité avec, de temps en temps, une espèce de dissonance. Un mot qu’on répète plusieurs fois va aller chercher son histoire cachée. J’aime bloquer le lecteur en répétant, pour qu’il se dise « Ai-je bien compris ? », qu’il soit attentif à toutes les géologies de notre langue et puis chacun a son histoire de lecteur… J’aime quand ça sonne sourd.

Nicole FolchAnne Brouillard, pouvez-vous nous lire la premoère page de La terre tourne car j’ai l’impression qu’il y a là en germe tous vos thèmes

Anne BrouillardC’est l’histoire des chemins … (Anne Brouillard lit)

Nicole FolchDans la plupart de vos albums, l’homme comprend sa juste place, il est rassuré là où il est, c’est une contemplation paisible.

Anne BrouillardOn ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille. On naît, on vit, on meurt.

Nicole FolchIl y a une relation familière avec l’animal, dans La vieille dame et les souris, je vois une harmonie dans tout ça. Il n’y a pas d’hostilité dans votre monde.

Anne BrouillardC’est ma façon de ressentir la vie. Le monde des animaux et celui des humains sont sur le même pied. Tout dans ce monde cohabite, les hommes, les souris, les araignées …

.Nicole FolchAnne Herbauts, pouvez-vous nous parler de l’entre-deux ?

Anne Herbauts Moin dans l’entre-deux, j’aime bien le mot lisière. Faire des livres, c’est un entêtement, c’est une obstination. On a des thèmes qui sont là. On ne dit pas « Je vais faire un livre sur le carnaval » mais les livres en découlent. Quand on fait des livres, on est toujours sur les bords, on se râpe, on se blesse, on se prend des échardes et c’est ça qu’on met dans les livres. L’idée, c’est de picoter le lecteur avec des mots. La lisière ? Il ne faut jamais dire ce qu’on veut dire directement, on entoure ce qu’on veut dire par des mots, des images et c’est le trou qui signifie.

Nicole FolchVous pourriez dire, par rapport à L’idiot, ce qu’est pour vous le mot juste ?

Anne Herbauts On est plus juste quand on bégaie que quand on construit une phrase parfaite. De même quand on dessine trop de la main droite, il faut changer pour provoquer la surprise, pour qu’on soit sous tension. Quand on connaît le chemin, on ne regarde plus les choses de la même façon. Le mot jardin n’a pas de limite, je dois tout dire, mais pour décrire le jardin, il faut enlever, enlever.

Nicole FolchComment savez-vous que le livre est terminé ?

Anne BrouillardJamais

Anne Herbaults Pour moi, la fin du livre, c’est le prochain. Toi, tu peux parler du livre comme un sentier. Pour moi, c’est un noyau. C’est tellement construit. L’image tape sur les bords car c’est trop construit. Toi, tu construis ta maison, tu construis un univers.

Anne BrouillardLe sujet des bouquins est souvent lié simplement à des choses vues. Mon intention n’est pas d’observer mais je vois ! Le pêcheur et les oies c’est ça, un jour où je me promenais. C’est un échange en continu. Ce que je vois, j’ai envie de le dessiner, sans arrêt.

Anne Herbauts Je crois qu’on a un côté un peu espiègle, comme ça. Est-ce que ça vient de notre pays ? C’est un fonctionnement à nous. Depuis toute petite, j’ai l’impression que je transforme tout en images. En ce moment, j’ai cinq livres dans la tête ! J’aime bien ce que tu disais, que les livres tu ne les finissais jamais car il y a plein de choses. Bon, mais il arrive quand même un moment où il faut élaguer !

Après cette touche d’humour, les présents assistent à la projection du film Le verger qu’Anne Herbauts a réalisé en parallèle à son album L’idiot. « L’idiot se construit en rêve un verger, il plante ses arbres, il leur parle. Le film est une suite d’images, dessins accompagnés de sons et de textes lus. »

  

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Cultures plurielles et littérature de jeunesse

Communication donnée lors des journées organisées par le CRILJ et le Laboratoire Jeux et Jouets de l’Université Paris-Nord les 19 et 20 septembre 1991.

     Avant d’aborder le thème du « multiculturalisme » dans l’édition pour la jeunesse, laissez-moi vous dire toute mon inquiétude sur le « multiculturalisme » en général (et d’ailleurs sur le « culturel » tout court).

    Les mots « multiculturel » ou « pluriculturel » sonnent bien et donnent souvent lieu à de très beaux discours. Quand à savoir ce qu’ils recouvrent concrètement, dans la réalité de tous les jours, c’est une autre affaire…

    Si est « multiculturel » tout ce qui favorise un dialogue vrai avec l’autre, avec l’étranger, celui qui parle une autre langue, qui a peut-être une autre écriture, une autre religion, d’autres références que les nôtres, alors je dirai que nous sommes mal partis, que notre époque pressée et superficielle n’est pas multiculturelle, et que de plus elle est menacée par deux dangers mortels et contradictoires, en Europe aujourd’hui qui sont flagrants :

    D’un côté nous assistons, navrés, au réveil des nationalismes et des intégrismes les plus étriqués tandis que dans le même temps, nous voyons s’avancer de façon insidieuse et rampante une uniformisation réductrice, sous l’hégémonie d’une culture et d’une langue dominantes dans lesquelles risquent de s’estomper peu à peu l’irremplaçable diversité des langues et des cultures. Entre l’homme éclaté, barricadé dans ses particularismes, et l’homme « unidimensionnel » la voie est étroite.

    Et malheureusement, nous sommes en Occident, paradoxalement, particulièrement désarmés devant cette double menace du fait de notre ignorance du monde qui nous entoure. Parce que nous voyageons librement, que nous avons des médias que nous pensons libres et pluralistes, un haut niveau de scolarisation, des universitaires persuadés d’avoir les outils d’analyse nécessaires pour comprendre et décortiquer les autres cultures, nous sommes persuadés de « savoir ». En réalité, gavés d’informations comme nous sommes gavés de nourriture, nous n’avons plus de réelle curiosité, ni d’appétit, nous ne cherchons pas vraiment la connaissance, mais seulement la spectaculaire, qui n’est que l’écume de choses.

    Il n’est pas grave d’être ignorant, on ne peut pas tout savoir, il est dramatique d’être inconscient de ses ignorances. Donc, avant de parler de « multiculturel », prenons la mesure de ces ignorances et l’unité de mesure, l’étalon infaillible, c’est tout simplement, notre désir, notre capacité ou notre incapacité à parler les langues étrangères, car la connaissance réelle d’un peuple et de sa culture passe, obligatoirement, par la connaissance de sa langue qui seule peut traduire la forme et la subtilité de sa pensée. Dialoguer par l’intermédiaire d’une langue tierce si c’est infiniment mieux que de ne pas dialoguer du tout, ne créera jamais la même richesse de relation et d’échanges.

    Permettez-moi de citer ici Maurice Allais, prix Nobel d’économie. Il écrivait en 1989 :  » La langue d’un peuple représente une partie de son âme, et un stricte bilinguisme risque de « compromettre l’épanouissement de la Communauté européenne. En réalité, ce dont nous avons tous besoin, nous européens, c’est d’un « plurilinguisme, au minimum d’un trilinguisme… Si l’on veut réaliser une véritable communauté économique et la communauté politique qui la conditionne, si l’on veut réaliser un véritable humanisme européen fondé, non pas sur la domination d’une seule langue et d’une seule culture, mais sur un juste équilibre entre les différentes langues et les différentes cultures, nous nous devons de réformer fondamentalement l’enseignement dans chacun de nos pays ».

    En effet, la volonté d’un pays de véritablement jouer un rôle dans le monde contemporain, sa volonté de préparer ses enfants à avoir une place dans un avenir qui ne peut être que de plus en plus international, se mesure à la priorité qu’il donne ou ne donne pas à l’enseignement des langues dans ses programmes scolaires et à la précocité, c’est-à-dire dès la maternelle, de la sensibilisation linguistique des enfants.

    Or, jusqu’ici, pour faire face à cette internationalisation nous voyons nos pays industriels consacrer beaucoup de milliards, de temps et d’efforts à développer leurs « moyens de communication » : autoroutes, trains à grande vitesse, avions supersoniques, télécommunications, etc. Mais, faut-il rappeler qu’en français, le mot « communication » a deux sens ? Il y a « les communications – transports », avec les « moyens de communication » dont nous venons de parler, et puis il y a « la communication-dialogue ». Car « communiquer » c’est aussi parler, échanger des idées, des rêves, des projets, des expériences, et il est fondamental de pouvoir le faire aussi avec l’autre, avec l’étranger, grâce à ces « outils de communication » que sont les langues. Là, malheureusement, nous ne voyons ni milliards, ni efforts particuliers consacrés dans nos écoles, ni peut-être dans nos éditions pour la jeunesse, à la sensibilisation, puis à la maîtrise des langues étrangères, à la connaissance sérieuse et approfondie des autres cultures, comme si, aux défis de notre temps nous n’avions plus que des réponses techniques, comme si nous faisions de moins en moins appel aux capacités humaines. Certes, le monde a besoin d’un outil collectif de communication, et l’anglais joue aujourd’hui parfaitement ce rôle, mais le monde a aussi un ardent besoin de préserver ses diversités culturelles, condition absolue de sa richesse et de son dynamisme.

    Après cette trop longue introduction que je vous demande de me pardonner, venons-en enfin aux tendances de l’édition dans cette situation internationale et les bouleversements que nous voyons se précipiter aujourd’hui.

    Concernant l’ouverture vers les autres pays et les autres cultures, il y a trois types de livres :

– les ouvrages documentaires, dont je ne dirai rien, dont l’intérêt est évident, il y en a pour tous les âges et de très bien faits, ils ont parfois du mal cependant à suivre la rapidité des évolutions et dans certains secteurs, ils sont facilement dépassés par les événements. Dans ce type d’ouvrages, il faut se garder aussi du regard extérieur porté sur l’autre à la lumière de nos références culturelles, de notre propre échelle des valeurs. Et il faut bien reconnaître que cela est en partie inévitable quelle que soit notre vigilance et notre honnêteté en la matière.

– en second lieu, nous avons les traductions de contes et de romans étrangers. Et là, nous avons en France une proportion de rachats de droits démesurée. Cette invasion de traductions témoigne-t-elle de cette ouverture au monde extérieur que nous appelons de nos vœux ? Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas, du fait, d’une part de l’énorme déséquilibre qu’il y a entre le nombre de traductions venant de l’anglais par rapport aux autres langues en général, même aux autres langues européennes. Nous avons peu d’ouvrages d’origine allemande, encore moins d’Italie, d’Espagne, de Grèce, des pays nordiques ou des pays de l’est et nous retrouvons là nos inquiétudes précédentes. D’autre part, les textes choisis sont trop souvent « passe-partout » et peu révélateur d’un pays donné. De plus, la traduction demandée va plus ou moins gommer ce qu’il pouvait y avoir d’insolite dans le style ou dans les situations. Alors, l’enfant n’a pas conscience, devant ce live écrit en français comme les autres, d’avoir en main un ouvrage qui vient d’ailleurs et rien, la plupart du temps, ne viendra le faire réfléchir à ce qui pourrait être une approche de l’autre.

– démesurée, jusqu’à 80% dans certains secteurs, cette proportion de rachats de droits réduit à la portion congrue nos propres créateurs, qui, n’étant pas publiés dans leur pays, ne se retrouvent pas évidement sur le marché international.

– enfin, je ne voudrai pas quitter le terrain des traductions et des échanges sans évoquer la situation actuelle des pays de l’est nouvellement rendus à la liberté. Ces pays ont aujourd’hui un formidable appétit de confrontation et d’échanges avec l’ouest, dans tous les secteurs de la culture et donc aussi dans celui du livre pour enfants, mais ils sont pour l’heure dans l’impossibilité financière de racheter des droits et des films. Il faudrait que les éditeurs que nous sommes, inventent de nouvelles formes de transaction, des échanges de films par exemple, pour favoriser le dialogue, au niveau du livre pour la jeunesse avec ces pays trop longtemps muselés, et pour commencer à rétablir un meilleur équilibre dans l’origine de nos traductions.

    Je voudrais aborder pour terminer, toujours dans la perspective de cultures plurielles, un troisième type de livres qui me tient particulièrement à cœur, les livres bilingues. Très marginaux, encore trop rares dans le monde de l’édition pour enfants, le nombre de livres bilingues progresse, lentement mais régulièrement ces dernières années. Je ne parle pas seulement des livres anglais-français qui ont connu une véritable explosion ces cinq dernières années, mais d’autres langues aussi commencent à arriver sur le marché, alors que le public n’y est encore pas prêt, n’a pas encore compris l’intérêt et l’usage que l’on peut faire de ce genre d’ouvrages.

    Pourquoi en effet un livre bilingue, pourquoi ces deux langues différentes face à face ? D’abord, parce que, contrairement aux traductions dont il était question, le livre bilingue ne permet pas à l’enfant d’ignorer qu’il est en face de l’autre. L’autre est là, à chaque page dans cette langue, dans cette écriture parfois, différente. Bien au-delà de toute fonction linguistique, le livre bilingue a un rôle de sensibilisation, d’éveil de la curiosité, de familiarisation et d’acceptation de la différence.

    Livre-rencontre, livre-dialogue, il y a la même différence entre un livre bilingue et une simple traduction qu’entre un film en version originale sous-titré et un film doublé : l’authenticité et la présence de l’autre sont toujours plus fortes dans la version originale.

    Il est inutile d’insister sur l’importance du livre bilingue pour ceux que l’on appelle les enfants de l’immigration. Même s’ils ne parlent plus leur langue d’origine, c’est une valorisation nécessaire de la langue de leurs parents. C’est l’occasion d’un dialogue entre ces enfants, leurs parents, leurs maîtres, leurs camarades.

    Pour les enfants étrangers provisoirement loin de leurs pays, et nous retrouvons là les problèmes de l’Europe, de ce grand brassage de population qu’elle suppose, dans ce contexte, le livre bilingue permet aux enfants contraints à la suite de leurs parents de passer d’un pays dans un autre, d’une langue à une autre, d’un système scolaire à un autre, de garder des liens nécessaires avec leur culture et leur langue maternelle.

    Mais plus encore qu’à ces enfants de l’immigration ou à ces enfants étrangers, c’est à nos propres enfants, à notre propre société, à notre opinion publique que ces livres s’adressent, en cela qu’ils nous préparent l’acceptation de sociétés véritablement multiculturelles. Moyen dérisoire pour un si vaste objectif ? Certes mais au-delà des beaux discours, ils représentent une action concrète de sensibilisation à l’existence et au respect de l’autre, ce qui n’est déjà pas si mal.

    Aujourd’hui, face à l’ouverture de l’Europe, ouverture élargie aux pays de l’est, peu de choses sont faîtes pour préparer l’opinion, pour adapter l’école, à l’arrivée d’étrangers sur notre terrain. De même que par imprévoyance nous n’avions préparé ni l’opinion, ni l’école à l’arrivée massive de travailleurs venus des pays du sud, laissant ainsi se déclencher des réactions de rejet, d’intolérance, de xénophobie, que nous payons cher aujourd’hui, de même face à l’Europe la même imprévoyance, le même aveuglement, la même ignorance, font le lit des tensions, des refus, des souffrances de l’Europe de demain.

    Le livre bilingue est une toute petite réponse aux inquiétudes que nous avons manifestées tout au long de cette intervention, je vous laisserai découvrir en sortant le sens du travail mené en collaboration par les éditions Syros et l’Association des Amis de l’Arbre à livres, dans le domaine de l’édition pour enfants, depuis la collection pour tout-petits les contes du poulailler, bilingue en douze langues, jusqu’aux triptyques de l’arbre aux accents où trois livres bilingues ouvrent les portes d’un pays : un livre de cuisine, un livre de contes, un livre de nouvelles contemporaines.

( article paru dans le n°43 – novembre 1991 – du bulletin du CRILJ )

 

 Longtemps libraire à L’arbre à livre, Suzanne Bukiet fut également, avec Françoise Mateu, directrice des éditions Syros. Auteur notamment de Écritures (Syros, 1984), Les cahiers de la République : promenade dans les cahiers d’école primaire, 1870-2000, à la découverte des exercices d’écriture et de la morale civique, avec Henri Mérou (éditons Alternatives, 2000) et de Paroles de liberté en terres d’Islam (Editions de l’Atelier 2002).

Sous d’étranges étoiles

 

   En 1937, en Roumanie, vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus. Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jaune, interdiction d’école pour les enfants juifs, arrestations et départs en wagons à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri,mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakha. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Shemen, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfried Lehman. Une création où l’on pratique le partage des tâches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre… Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt, et une artiste, Noémi Smilansky, encourage Béatrice à dessiner… Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil, où Béatrice passera sa jeunesse.)

Sous d’étranges étoiles

    Je me souviens, il y a longtemps, mon fils est rentré de l’école me disant avec fierté :

– J’ai un excellent copain, il est merveilleux et plus vieux que moi, il s’appelle Josué Tanaka.

– Moi je connais sa mère, Béatrice Tanaka. Comme moi, elle fait des livres pour les enfants.

    Et quelques mois plus tard toutes les deux nous réalisions pour les Éditions La farandole : Contes d’étoiles et de la lune. J’écrivais les textes, Béatrice les illustrait. Puis nous inventions un album de poésies et de recettes vietnamiennes ; tous les droits allant à ce pays qui se battait avec courage.

    Au fil des années, nos enfants se perdirent de vue, grandirent et toutes deux nous nous retrouvâmes grand-mère. Un jour, dans une galerie, je revis mon amie Béatrice. Ce qui me frappa et que je n’avais nullement oublié, ce fut son rire. Chapelet de rires perlés, printaniers et joyeux. le rire, malice, de Béatrice. J’avais néanmoins suivi les albums dans lesquels elle contait le Brésil et illustrait de manière poétique ces histoires magiques.

    Mais, à propos de livres, je me suis penchée longuement sur son beau livre de souvenirs qu’elle vient de publier aux éditions Kanjil, intitulé Sous d’étrages étoiles. J’ai apprécié cette lecture dans laquelle de nombreux jeunes devraient se plonger.

Là je rejoins l’amie connue mais je la découvre aussi à travers son errance avec ses parents de Roumanie jusqu’au Brésil. J’ai eu grand plaisir à lire cette vie qui commence avant la guerre et va son chemin dans la même époque que moi.

    En 1937, en Roumanie vit cette petite fille quelque peu impertinente. Elle est juive – mais ne le sait pas – et entend à la radio Hitler qui aboie ses ordres. Curieuse, elle se pose quelques graves questions : un pays peut-il mourir comme une personne ? Mais les adultes effrayés par ses interrogations n’osent lui répondre. Enfant généreuse, elle ne supporte pas les inégalités et partage ses goûters trop copieux avec les enfants pauvres et tondus.

    Un jour, elle voit sa mère pleurer : Paris est tombé ! Puis, sa région, la Bucovine, devient russe. La famille n’a plus de domestique et l’institutrice apprend des chansons soviétiques à ses élèves afin qu’ils connaissent des bribes de la langue russe. Puis les nazis envahissent l’Union Soviétique. Alors, dans sa ville, la Wehrmacht défile et les lois anti-juives entrent en vigueur. On instaure un ghetto. Étoile jeune et interdiction d’école pour les enfants juifs. Suivent des arrestations et des départs en wagon à bestiaux. Les adultes veulent mettre les enfants à l’abri mais la jeune Béatrice espionne et devine tout. Heureusement ses parents et elle réussissent à fuir. Après un dur et éprouvant voyage, ils arrivent en Palestine.

    Là, Béatrice devient Brakna. Séparée de ses parents, à l’école de Ben Sheven, elle passe deux années merveilleuses qui la forment et lui ouvrent de nombreuses possibilités artistiques. Ce village de jeunesse a été pensé et est dirigé par le docteur Siegfrid Lehman. Une création où l’on pratique le partage des taches. Mais il y a aussi une bibliothèque, un petit musée, un ensemble musical, un théâtre. Les professeurs sont des intellectuels qui inventent les savoirs à transmettre. Par exemple les cours de botanique se pratiquent dans la forêt… Une artiste, Noémie apprend le dessin à Béatrice.

    Mais le père veut aller vers un monde neuf. Tous les trois partent en direction du Brésil où Béatrice passera sa jeunesse. Dans ce récit, elle décrit ses personnages aimés, ses tantes, son grand-père Opa. Pourquoi prendre les mésaventures avec gravité lorsqu’on peut encore en rire ? L’humour, souvent présent, ne contrarie en rien l’émotion intense de certaines scènes douloureuses.

    Sous d’étranges étoiles (Kanjil 2010), un livre rare, à l’écriture subtile, parfois cocasse. Un parcours de vie comme un voyage dans le temps et dans l’espace. Un enseignement aussi sur pays et événements que l’héroïne a vécus.

    Et générosité, espièglerie, force et finesse révèlent l’amie Béatrice au rire communicatif.

(texte initialement paru dans le numéro 226, février 2011, de Griffon)

 

Rolande Causse travaille dans l’édition depuis 1964. Elle anime, à partir de 1975, de nombreux ateliers de lecture et d’écriture et met en place, à Montreuil, en 1984, le premier Festival Enfants-Jeunes. Une très belle exposition Bébé bouquine, les autres aussi en 1985. Emissions de télévision, conférences et débats, formation permanente jalonnent également son parcours. Parmi ses ouvrages pour l’enfance et la jeunesse : Mère absente, fille tourmente (1983) Les enfants d’Izieu (1989), Le petit Marcel Proust (2005). Nombeux autres titres à propos de langue française et, pour les prescripteurs, plusieurs essais dont Le guide des meilleurs livres pour enfants (1994) et Qui lit petit lit toute sa vie (2005). Rolande Causse est au conseil d’administration du CRILJ.

Le héros enfantin, témoin de l’évolution du statut social de l’enfant

    Dans le cadre des manifestations de Lire en Fête de septembre-octobre 2001 lancé par le Ministère de la Culture, diverses expositions et colloques consacrés aux Images et représentations de l’enfance dans le Patrimoine écrit, textes administratifs, manuels scolaires et livres pour la jeunesse sont devenus témoins de l’évolution su statut social de l’enfant.

    Depuis 1972, l’UNESCO lançant son projet d’une Année Internationale du Livre et de la Lecture, a déclenché un vaste réseau de coopération culturelle et de lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme dans le monde, y compris dans les pays européens. L’évolution de ce Patrimoine écrit est suivie avec attention dans tous les milieux professionnels ou associatifs de promotion de la lecture.

    Aujourd’hui à travers les études socio-historiques et d’anthropologie culturelle qui se multiplient en France et ailleurs, il est clair que le système scolaire aura permis à l’institution littéraire de gagner un public relativement large par le fait même de sa mission d’alphabétisation.

    Marie-José Chombart de Lauwe dans Un monde autre, l’enfance (Payot 1971), Philippe Ariès dans L’enfant et la famille sous l’ancien régime (Le Seuil 1973), Marc Soriano dans Guide de littérature pour la jeunesse (Flammarion 1975) ont appris aux professionnels de l’éducation de ma génération que les relations enfants-adulte, le type d’autorité auquel les enfants doivent se soumettre et la place que la société civile et politique leur accorde, sont des facteurs se modifiant sans cesse…

    Si l’on excepte les enfances des Maternités des légendes dorées chrétiennes de l’imagerie populaire, et les bois gravés représentant Le petit chaperon rouge ou Le petit poucet, l’enfance et un thème introduit relativement tard dans la littérature française. Il faut attendre le 18ème siècle et le déclic de l’Emile de Jean-Jacques Rousseau pour que l’enfant personnage romanesque apparaisse : chaque étape de la vie a une « sorte de maturité qui lui est propre. Nous avons souvent ouï parler d’un homme fait. Considérons un enfant fait, le spectacle sera nouveau pour nous… ».

    Mais sur l’essence de la nature enfantine, la querelle était grande depuis toujours. C’est la pensée d’Augustin qui, au Vème siècle avait enseigné que l’enfant était l’image de l’anti-perfection, que Jean-Jacques Rousseau remettait en cause. Et l’on retrouvera des partisans des deux thèses de génération en génération d’éducateurs.

    Introduits ainsi par les propos de Rousseau dans la vie sociale et culturelle de la société bourgeoise française, les enfants vont devenir effectivement « personnages de romans » dans un courant littéraire d’éducation moralisatrice.

    L’enfant innocent et son altération par la société est la base des interrogations des uns, alors que les autres craignent l’ébranlement de cette société par la présence de l’enfant vu comme un perturbateur quelque peu insaisissable parce que biologiquement évoluant. Berquin dans L’ami des enfants lancé par lui en 1872, fut, en France, le premier qui, en sortant de la féérie des contes pour parler de la vie réelle, montra l’enfance aux enfants. Mais il suffit de regarder les tableaux de Greuze, de Fragonard ou de madame Vigée-Lebrun pour comprendre comment le monde des adultes concevait l’enfance et façonnait, alors le naturel et la spontanéité des enfants.

    Les relations enfants-adultes en famille, la place que la société accorde aux enfants, le type d’autorité auquel ceux-ci doivent se soumettre, tous ces facteurs se modifient sans cesse. Le tournant historique dans l’évolution du statut de l’enfant en France a lieu au 19ème siècle. Pris en compte par la société avec l’institution de la scolarité obligatoire et la réglementation de l’âge d’entrée dans la vie professionnelle, l’enfant de « mini-adulte » est devenu parfois infantilisé par l’exploitation commerciale qui a pu être faite de son nouveau statut social, y compris dans l’édition et la Presse. En littérature, on le voit passer peu à peu des rôles secondaires à celui de héros principal d’une histoire et pas seulement dans l’édition pour la jeunesse.

    Il serait intéressant d’étudier longuement l’impact symbolique de la présence du jeune garçon qui, en brandissant fièrement son pistolet dans le sillage de La liberté guidant le peuple peinte par Delacroix au lendemain des Journées de juillet 1830, va inspirer à Victor Hugo, trente ans plus tard (alors qu’il est exilé à Guernesey) la création de Gavroche, un des personnages clés des Misérables. Le qualificatif attribué par Victor Hugo au gamin : Gavroche est devenu aujourd’hui, dans le dictionnaire et dans les esprits, tout simplement synonyme d’enfant de la rue.

    Les Misérables de Victor Hugo sont un des grands classiques de la littérature mondiale, en réédition constante avec illustrations très diverses. L’écrivain qui était lui-même, on le sait, un bon dessinateur, nous a laissé des croquis intéressants évoquant son personnage. Mais pour le public français, l’image référence reste celle du tableau de Delacroix. Victor Hugo n’a-t-il exprimé à propos de ce gamin de Paris « épris de liberté, mais cœur d’or, malicieux, effronté et incapable de tenir sa langue pour le simple plaisir de jouer avec les mots et les idées » qu’une partie du non-dit du peintre Delacroix pour que, 150 ans après, nous les gardions ainsi liés en mémoire, complémentairement ?

    Gavroche conduit à bien d’autres interrogations… Un portrait d’enfant tracé par un écrivain, par un peintre pour réaliste qu’il soit, n’est cependant qu’artefact : sous le détail descriptif et objectif, le référent symbolique est à décoder. Les auteurs écrivant sur l’enfance ne sont pas des sociologues, mais ils observent souvent l’enfance dans un contexte historique. Et naturalistes ou fabulateurs, leur œuvre est évidemment le résultat d’une réflexion personnelle prenant en considération, la constance de l’état d’enfance et l’originalité de la situation d’un enfant précis.

    L’enfant et les Sortilèges de Colette, mis en musique par Ravel en 1920 et qui vient de suggérer à une quarantaine d’artiste plasticiens l’une des expositions les plus ludiques qui soit à l’Orangerie du Luxembourg en est un autre exemple significatif.

    Il est indéniable que dans l’évolution de notre littérature pour la jeunesse, l’enfant est aux yeux de l’adulte « créateur », celui qui relie au mystère du temps qui passe. Il est l’occasion d’exprimer, soit une nostalgie d’un passé, paradis perdu, soit un point d’interrogation sur un destin à venir. La caractéristique du héros enfantin qui va s’imposer par son illustration est aussi d’avoir un nom qui appelle une image avec son halo de signification teinté ou non d’affectivité.

    L’enfant éternel, gage de pureté et d’innocence, c’est pour nous : Tistou les pouces verts de Maurice Druon et Jacqueline Duhême, mais surtout Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Nous constatons que là encore tout tient à la présence physique d’image de l’enfant. Vous est-il possible de dissocier du titre du livre la silhouette fragile de cet enfant blond, mains dans les poches et l’air grave, debout sur une boule grise, qui nous apparaît comme une planète, puisque l’environnement est constitué d’étoiles ? Les vêtements de cet enfant n’ont ni pittoresque, ni mode, ils ne datent pas, ils ne sont pas datables. Mais depuis plusieurs générations, chacun de ses lecteurs l’atteste : on se retrouve marqué par cette image, qui plus encore que me texte fait entrer Le Petit Prince dans notre mémoire collective. Le dessin est constamment le support du récit avec l’originalité d’être un dessin d’aviateur qui regarde la terre sous un autre angle de perspective et de la coloration des choses. Et peut-être aussi un dessin d’un écrivain qui considère ces croquis comme une expression normale complémentaire des mots dans le jeu même de l’écriture de son texte, et par conséquent, indissociable.

    Cependant, le signe de l’aspect social de notre époque est sans doute moins l’enfant-roi que l’enfance-reine.

    Aujourd’hui, innombrables sont les enfants qui, effectivement sont personnages témoins de l’état d’enfance vécu au quotidien : Emile (Domitille de Pressensé), Mimi Cracra (Agnès Rosentiehl), Valentine (Michel Gay), Caroline (Pierre Probst), Ernesto (Marguerite Duras/Bernard Bonhomme), Le Petit Nicolas (Goscinny/Sempé), Grabote (Nicole Claveloux), Pierre l’ébouriffé (Hoffman/Claude Lapointe), La petite géante (Philippe Dumas)…

    On rencontre parfois ces enfants en héros d’une seule histoire, mais souvent aussi dans des récits à rebondissements comme dans les feuilletons de télévision. Ces personnages très vivants, remuants, très présents pour la plupart, sont créés par des illustrateurs « professionnels » et père, mère ou grand-pères… donc des adultes contemporains voyant vivre des enfants et qui font d’eux des croquis sur le vif.

    Sans faire abstraction de la déréalisation que provoque désormais l’ambiance des médias visuels, ces auteurs-illustrateurs ont la préoccupation de faire prendre conscience à leurs jeunes lecteurs, de la nécessaire sociabilité de notre vie quotidienne. Ils évoquent dans leurs livres illustrés les heurs et malheurs, les moments de tension et les moments heureux des rapports réciproques adultes-enfants… à la maison, à l’école, dans les transports, dans les loisirs.

    La communication et l’incommunicabilité entre les générations dans nos sociétés contemporaines sont traitées le plus souvent par la caricature… ou plutôt avec une certaine fantaisie qui peut aller jusqu’au surréalisme ou à l’hyperréalisme selon le tempérament de l’artiste. Le glissement de sens dans le jeu des mots, conduisant à oser des improvisations visuelles dont la logique sera poussée jusqu’à un absurde provoquant un rire de distanciation, est peut être ce qui peut unir et faire communiquer encore aujourd’hui les enfants et les adultes.

    C’est peut-être l’un des aspects paradoxaux de notre époque de communication que peu de sociologues prendront en compte mais qui est un fait tangible : les artistes qui disposent des commandes de l’imaginaire contemporain s’intéressent avec éclat aux problèmes de l’Enfance et des enfants et n’hésitent pas à bouleverser l’univers culturel adulte relativement clos sur lui-même, en réintroduisant avec les livres « pour enfants » un plaisir de lecture partagée.

Post-scriptum

    Chaque médiateur adulte entre le livre d’images et le jeune enfant perçoit vite la réalité du dialogue qu’instaure l’illustrateur-auteur avec son lecteur. Les enfants sont pour le conteur-imagier des interlocuteurs directs.

    Pour l’écrivain, les enfants sont plus souvent le point de départ d’une réflexion « littéraire » sur des faits de société dans lesquels les enfants sont impliqués. L’un des exemples le plus récent est le conte philosophique de Sophie Ducharme qui vient de paraître chez Syros sous le titre Les enfants perdus : quelque part sur la Terre, dans un pays sans non, une adolescente refuse la facilité (le diktat du maître) qui devrait la conduire à être esclave comme sa mère et ses aïeules avant elle. Par sa révolte personnelle elle arrivera à entraîner tous les enfants perdus de sa cité à sortir de l’emprise de la fatalité du malheur.

    Parce qu’elle travaille ses phrases en poète, Sophie Ducharme attire ses lecteurs en vraie conteuse et on comprend qu’elle ait reçu le Prix du roman jeunesse 2000 du Ministère de la Jeunesse et des Sports.

( article paru dans le n°71 – novembre 2001 – du bulletin du CRILJ )

 

Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.

Tout a changé, tout change, y compris le voyage

 

    La maison de famille où cousins, cousines se retrouvaient pendant un long temps de vacances, est transformée en lots. L’indivision, au bout de trois générations, n’est plus supportable et fait des ravages dans les résidences devenues secondaires.

    Les voyages, réservés à l’élite au 19e siècle, se sont démocratisés grâce aux congés payés en 1936 et aux charters en 1970. Puis les documentaires, puis les reportages photos, puis la télévision, puis internet, non seulement démystifient totalement les voyages et leurs destinations mais encore les dépeignent comme des paradis et, ce faisant, gomment la peur de partir.

    Alors est apparu le tourisme de masse : une industrie qui tue son propre objet. Prenez une plage idyllique, n’importe où, dans l’archipel du Kiribati par exemple, mettez y un complexe hôtelier, un aéroport de taille, pour remplir les hôtels, transformez les indigènes en larbins et le tour est joué : c’est l’enfer. Tout le monde ou presque, je parle d’avant la crise, peut « faire » un pays, jusqu’au vieilles veuves qui se lancent sur les routes, et des retraités qui alimentent confortablement les voyages organisés

    Mais la grande nouveauté, la belle nouveauté et malgré tout il y en a une, c’est que maintenant, la peur de partir gommée par les médias, les enfants, du berceau jusqu’à l’âge du chômage, partent loin avec leurs parents et/ou leur grands parents. Avec les grands parents ce sont des voyages de découverte qui peuvent être lointains mais qui sont courts. Avec les parents cela va jusqu’au changement de vie pendant une ou plusieurs années sabbatiques le plus souvent en camping car ou en bateau.

    Les enfants n’ont pas de préjugés.Ils n’ont pas encore appris les différences de classe, le racisme et ils aiment les autres enfants comme une autre image d’eux même. Il n’y a pas de meilleur alibi que les enfants pour communiquer ce qui est le but même du vrai voyage. Il n’y a pas de meilleur outil que le voyage pour la communication familiale, car on s’observe à la loupe. les parents s’aperçoivent de leur propre fragilité les enfants se responsabilisent très vite.

    A voyager en famille les enfants apprennent par eux même à distinguer l’essentiel de l’accessoire et à s’adapter à tout. Le conformisme, l’engrenage des « marques » disparaissent. Ils désapprennent la télévision et goûtent la lecture dans les temps morts de la pérégrination.

    Les guides « voyager avec vos enfants » sont apparus ainsi que les guides destinés aux enfants ce qui prouve que la tendance est là.

    Voyager avec sa famille c’est être à l’école de la vie, en travaux pratiques permanentsn et point n’est besoin d’aller au bout de la terre, on peut découvrir la France par région, à pied ou à dos d’âne, donc le voyage n’est pas mort df vive le voyage !

    Enfants, poussez vos parents à l’aventure !

(novembre 2011)

 

Au terme de dix années de voyages sur tous les continents, Catherine Domain, petite-fille d’un grand-père navigateur au long cours et d’un autre libraire en Périgord, ouvre en 1971 la première librairie au monde spécialisée dans les voyages. Désormais installée au 26 rue Saint Louis en l’Île à Paris, la Librairie Ulysse – dont la marraine est Ella Maillard et le parrain Hugo Pratt – propose plus de 20 000 livres neufs et anciens, des revues et des cartes sur tous les pays et pour tous les voyages. Catherine Domain est membre du Club des explorateurs et du Club international des grands voyageurs. Elle a fondé le Cargo Club pour les passionnés de mer ainsi que le Club Ulysse des petites îles du monde. En 2007, elle fonde le Prix Pierre Loti qui récompense un récit de voyage paru dans l’année, Attention : pour rencontrer Catherine Domain entre juin et septembre, il faudra aller jusqu’à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) où, dans un ancien casino de style mauresque, elle tient librairie d’été. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte, en écho à Littérature du grand large : aventures et voyages, numéro 3 juste paru des Cahiers du CRILJ.