Les voix de la création

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Souffle et performance : les voix de la création

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Plateau lecture est né en 2015 au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, entre deux signatures. Une petite poignée d’illustrateurs, d’illustratrices, auteurs, autrices, qui aimaient porter le livre hors des pages se sont donné rendez-vous sans un sou mais avec passion. L’idée était de nous unir, pour porter plus loin des pratiques et des réflexions qui déjà convergeaient. Nous étions des artistes-auteurs jeunesse, mais aussi, pour certains comédiens, performeurs, plasticiens… Chacun de nous proposait déjà de son coté des lectures protéiformes. Il s’agissait de les mettre en commun pour en faciliter la visibilité, mais aussi et de croiser nos univers pour concocter ensemble des créations « sur un plateau », « à la carte ». .

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    Faire vivre le livre d’une autre façon, donner souffle à nos écrits, nos images, rencontrer de nouveaux artistes, relier les publics, c’est ce qui nous motive. La lecture à voix haute permet de réinventer nos ouvrages, parfois même d’en créer d’autres. Elle est inspirante. Elle interpelle le lecteur ainsi fait spectateur. Cette transdisciplinarité nous permet de partager autrement nos livres et nos sensibilités dans une relation plus directe avec le public et les lecteurs.

Un collectif mouvant

    Plateau lecture n’est pas une agence, mais un collectif mouvant, vivant. Sa gestion, improvisée sur notre temps libre, ne permet pas encore de l’ouvrir à un trop grand nombre d’artistes. Pour l’instant, c’est d’abord une plateforme (plateaulecture.com) qui réunit les 25 créations/performances de ses neuf membres, toutes jouées en salons du livre, festivals, librairies, médiathèques, caves-poésie, théâtres… Petites formes modulables, performances d’arts croisés ou créations proches du spectacle : lectures dessinées, lectures musicales, lectures avec vidéo, lectures immersives dans une exposition… Il y a autant de manières de créer ces formes nouvelles que d’auteurs et d’artistes associés au projet.

    Chaque proposition permet d’inventer comment partager avec originalité le livre ou bien le texte créé pour le spectacle. Plateau lecture aime aussi répondre à des « commandes » inattendues, des créations sur mesure en résonance avec les programmations de manifestations littéraires. La Fête du livre jeunesse de Manosque et Forcalquier nous a ainsi offert une « carte blanche » en 2019, où l’illustratrice Carole Chaix avait réuni des complices du Plateau pour proposer des rencontres en duo, des lectures croisées dessinées, un cabinet de curiosités, une exposition, une fresque participative…

    L’accueil de ces propositions vivantes est excellent et la demande est grande. Plateau lecture permet à toutes les structures intéressées d’identifier ces formes nouvelles, ces lectures, performances ou spectacles de manière simplifiée, car aujourd’hui il est compliqué de connaître l’existence même de ces formes pour ces structures.

Un plateau et du public

    L’engouement depuis quelques années est fort pour la lecture en public. Une lecture live réinvente les rendez-vous littéraires. Elle est facile d’accès, même quand le texte ne l’est pas, elle invite au partage, au débat, élargit les publics et plaît aux plus jeunes (enfants et ados). Les enjeux de notre collectif sont d’accompagner cette demande, d’y répondre suivant nos envies/possibilités.

    Du côté technique, Plateau lecture facilite l’accueil de ces lectures événements en listant les équipements nécessaires : écran, vidéoprojecteur, système de sonorisation, liseuse, caméra, ainsi que les déclarations Sacem ou SACD éventuelles. Ces formes nouvelles rejoignent les exigences techniques du théâtre, mais les auteurs ne sont pas accompagnés de techniciens. L’idéal pour tout le monde est de trouver dans les structures accueillantes du personnel formé pour mettre en place le plateau, caler le son et la lumière, gérer le public, démonter le matériel…

Soutenir le livre hors des pages

    Pour créer une lecture, il faut du temps, un lieu, mêler des artistes de différents horizons et territoires. Cela a un coût. Il va falloir inventer ou adapter des lieux de « création ». Certaines bourses ou résidences de création de lectures « événements » existent déjà, comme celle d’ « Arts et Littérature » de Toulouse Métropole, dont ont bénéficié deux créations du Plateau (Les Bisous Volants par Annie Agopian et Régis Lejonc, et Une fille de… par Jo Witek). Mais ces aides sont encore rares, les multiplier nous permettrait d’approfondir notre travail, de porter encore plus loin ces lectures live.

    Ces nouvelles formes nous invitent tous à repenser les lieux et la place de la littérature. Au-delà des médiathèques qui en sont le cœur, elles peuvent investir musées, théâtres, salles de cinéma indépendant, auditoriums d’établissements scolaires, universités, festivals de musique, d’arts de la rue… Et créer des synergies entre ces lieux.

    Nous partageons ces pistes de réflexion avec les structures régionales pour le livre, les organisateurs de manifestations littéraires. Nous devons trouver de nouveaux réseaux de diffusion et organiser de « petites tournées ». Ces formes hors les pages doivent rayonner sur les territoires. Il est difficile de jouer un spectacle une fois tous les six mois. Multiplier ses représentations sur un même territoire (festivals, réseaux de bibliothèques, communautés de communes…) permettrait d’éviter les one shots. Comme tout spectacle, tout événement culturel, une lecture a un coût : hébergement, transport, paiement des intervenants (Plateau lecture base ses tarifs sur les préconisations du CNL). Une « tournée » permettrait de mutualiser les frais entre les différentes structures d’accueil.

Lire pour partager, rassembler

    Ces lectures créatives sont une nouvelle façon de penser la vie du livre. Elles ouvrent des possibilités de partage plus larges de nos œuvres auprès d’un public qui n’est pas forcément lecteur. Porter le livre sur les plateaux nous rassemble.

    Ces formes permettent de développer des rémunérations complémentaires qui font sens pour nous, autrices et auteurs. La crise sanitaire a et va encore fragiliser nos métiers comme tous ceux de la création et il est évident que sans une politique publique forte pour la médiation du livre, ces nouvelles formes de rendez-vous littéraires auront du mal à survivre, or elles augurent de beaux lendemains pour porter la littérature haut et fort auprès du plus grand nombre. Tout ce temps passé derrière nos écrans à nous rencontrer en virtuel nous a confortés dans l’idée que la rencontre « en vrai » est essentielle. Les lectures « événements » en prennent d’autant plus de sens. Les auteurs et autrices associés aux artistes qui pratiquent ces formes nouvelles et toutes celles, tous ceux qui ont pu y assister et les découvrir sont convaincus de leur nécessité.

    C’est fort de cette conviction que Plateau lecture reste un collectif réactif et engagé pour une lecture partagée pour tous, partout et à voix haute.

par le collectif d’artistes-auteurs Plateau lecture (Annie Agopian, Géraldine Alibeu, Carole Chaix, Guillaume Guéraud, Régis Lejonc, Martin Page, Coline Pierré, Cécile Roumiguière et  Jo Witek) ; texte publié dans le dossier « Faire vivre le livre autrement » du numéro 2 (2020) de la revue Tire-Lignes

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Illustration : Carole Chaix.

Merci à Occitanie Livre & Lecture pour ce partage.

Merci aussi à Cécile Roumiguière pour son entremise.

Le dossier complet « Faire vivre le livre autrement » est .

En revenant de Montreuil

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    Six jours une fois encore. Toujours au même endroit, au rez-de-chaussée, en face du Centre national de la littérature pour la jeunesse de la Bibliothèque nationale de France et à gauche du Ministère de la Culture.

    Un joli filet de visiteurs sur le stand, des têtes connues de longue date, d’autres personnes, assez souvent jeunes, à qui nous expliquons qui nous sommes. Insistance sur le récent colloque Habiter dans la littérature pour la jeunesse et sur les suites envisagées dans les prochains mois.

    Des achats raisonnables, les temps sont durs, mais nous nous souviendrons de cette dame et de sa fille qui ont acquis la collection complète des « Cahiers du CRILJ » (sauf un) et de Fabrice Melquiot qui préféra le numéro sur la poésie à celui sur le théâtre jeune public.

    Nous aurions pu vendre bon prix, une cinquantaine de fois, le pop-up Ma maison de poupée en trois dimensions (Brian Sanders et Lizzie Sanders, Flammarion, 1995). Une idée de réédition pour l’éditeur ? Dans l’attente, cette photo – comme un cadeau.

(mardi 7 décembre 2021)

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Le bilan des organisateurs du Salon est ici.

Walter Crane à Pau

 

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En présentant, du 28 octobre au 17 décembre 2021, l’exposition Walter Crane : de l’album considéré comme un des Beaux-Arts, la bibliothèque de l’Université de Pau et des Pays invitait à découvrir l’univers d’un artiste qui a marqué l’histoire des publications pour la jeunesse.

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    Le propos de l’exposition est de montrer que les livres pour enfants de Walter Crane (1845-1915) s’inscrivent pleinement dans la démarche globale de cet artiste qui est aussi un peintre symboliste ainsi qu’un membre et un théoricien du mouvement Arts & Crafts né en 1860 sous l’impulsion de William Morris avec l’ambition de réformer les arts décoratifs. Dans le sillage de Morris, qui a prôné l’abolition de la hiérarchie entre artistes et artisans, Walter Crane a conçu ses livres pour la jeunesse comme l’espace d’un dialogue entre les pratiques artistiques. Il a ainsi montré que le cloisonnement établi par la tradition académique entre les Beaux-Arts et les arts décoratifs dits « mineurs » n’est pas pertinent.

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    L’exposition est organisée dans deux espaces de la bibliothèque universitaire. La première salle est consacrée aux toy books, c’est-à-dire aux fascicules illustrés, que Walter Crane a publiés entre 1865 et 1876 chez Ward, Lock & Tyler, puis chez George Routledge & Sons. Quatre vitrines, au centre de la pièce, présentent successivement par le biais de fac-similés, de gravures et de documents divers : la « Sixpenny Series », une collection de fascicules dans laquelle les textes sont ajoutés dans les gravures ; « la Shilling Series », une collection en huit volumes, au format in quarto un peu plus grand que celui de la « Sixpenny Series », dont les gravures sur bois réalisées par Edmund Evans sont présentées en pleine page ou en double pleine page ; la réception française des toy books qui, pour certains, sont entrés dans le « Magasin des petits enfants » de la Librairie Hachette tout en suscitant l’admiration d’artistes, de critiques d’art et d’écrivains comme Joris-Karl Huysmans et Colette ; les correspondances entre les motifs des toy books et ceux des papiers peints créés par l’artiste pour les chambre d’enfants. Sur les murs de la première salle, des agrandissements des six gravures d’Aladdin ou la lampe merveilleuse, un volume de la « Shilling Series » édité en 1875, montrent combien les gravures de l’artiste sont, dans les années 1870, marquées par l’influence des estampes japonaises. Ces toiles accrochées à des cimaises font aussi écho au commentaire de Huysmans présenté dans la troisième vitrine dans lequel l’auteur d’À Rebours juge que « maintes et maintes pages » des livres de Walter Crane « mériteraient plus un cadre » que les tableaux exposés au Salon officiel dans lesquels, selon lui, « le peintre néglige toute composition et semble seulement dessiner une anecdote pour un journal à images ».

    La seconde salle est consacrée aux trois livres carrés conçus et édités entre 1877 et 1887. Quand il réalise les toy books, Walter Crane s’inscrit dans un cadre où le format, le nombre de pages et d’images ont été déterminés à l’avance par l’éditeur. En 1876, il cesse de produire ce type de livre faute d’avoir trouvé un accord financier avec Routledge. Il veut être payé en droits d’auteur. L’éditeur refuse de le rémunérer autrement qu’au forfait. A Apple Pie, qui aurait dû constituer le trentième titre de la « Sixpenny Series », n’a finalement jamais été publié. The Baby’s Opera, paru en 1877, inaugure un nouveau type de collaboration entre Routledge, Walter Crane et Edmund Evans. Ceux-ci livrent désormais à l’éditeur un ouvrage qu’ils ont entièrement conçu dans un format carré alors inédit qu’ils reprendront en 1878 avec The Baby’s Bouquet puis, en 1887, avec The Baby’s Own Aesop. Deux vitrines exposent ces trois ouvrages ou leurs gravures tandis que la présentation filmée « The Baby’s Opera : la naissance de l’album moderne » écrite et réalisée par François Fièvre et mise en voix par Charlotte Michaux analyse en détail le premier des trois livres carrés conçus par Walter Crane. 

par Isabelle Guillaume – novembre 2021

 

  

BIBLIOGRAPHIE

. Florence Alibert, Cathédrales de poche. William Morris et l’art du livre, La Fresnaie-Faye, Otrante, 2018

. Isabelle Dubois-Brinkmann, Au royaume des petits princes. Le papier peint pour chambre d’enfant, Rixheim, Musée du Papier peint, 2012

. François Fièvre,  » L’œuvre de Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott, une piste pour une définition de l’album « , dans Strenæ, n° 3, 2012 (publication en ligne)

. François Fièvre, Le conte et l’image. L’Illustration des contes de Grimm en Angleterre au XIXe siècle, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2013

. Rodney K. Engen, Walter Crane as a Book Illustrator, Londres, Academy Editions, 1975

. Joris-Karl Huysmans, L’Art moderne, Paris, Charpentier, 1883.

. Morna O’Neill, Walter Crane. The Arts and Crafts, Painting, and Politics, New Haven, Yale University Press, 2011

. Isobel Spencer, Walter Crane, Londres, Studio Vista, 1975

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Isabelle Guillaume est Maître de conférences à l’université de Pau et des Pays de l’Adour où elle enseigne la littérature pour la jeunesse. Elle est titulaire d’un doctorat de littérature comparée obtenu, en 1999, à l’Université Paris III. Son dossier d’habilitation à diriger des recherches présenté à l’Université d’Artois portait le titre « Recherches sur le social et l’imaginaire dans la littérature générale et les livres pour la jeunesse (XIXe-XXIe siècles) ». Elle a rédigé vingt-quatre notices pour le Dictionnaire du livre de jeunesse : la littérature d’enfance et de jeunesse en France (Cercle de la librairie, 2013) dont celles concernant les romans du quotidien et les romans scouts, Charles Dickens, Robert Louis Stevenson, Boris Moissard, Florence Seyvos, Paule du Bouchet et Bernadette Després. Parmi ces nombreux articles, citons « Les visages d’Aladdin dans la littérature de jeunesse du tournant du dix-neuvième siècle » (Cahiers Robinson, Presses de l’université d’Artois, 2006) et « Un tueur de lions pour livres d’enfants : les chasses algériennes de Jules Gérard dans l’édition pour la jeunesse de 1870 à 1914 » (Revue des livres pour enfants, BnF-CNLJ, 2016). Isabelle Guillaume a coordonné, en collaboration avec Guy Belzane, le numéro 1089 de la revue Textes et documents pour la classe (TDC) titré « La littérature jeunesse aujourd’hui » (Canopé-CNDP, 2015).

 

Photo 1 : Delphine Sinic. Photos 2 et 3 : Mathilde Esperce

 

La Fontaine et Corentin

 

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Du vendredi 24 septembre au samedi 27 novembre 2021, le Centre André François de Margny-lez-Compiègne (Oise) présentait une exposition titrée Maître Corbeau : l’illustration des Fables de La Fontaine. À cette occasion, il avait invité Yvanne Chenouf qui, le mercredi 6 octobre, s’est permis quelques rapprochements stimulants entre le fabuliste et l’auteur-illustrateur Philippe Corentin.

   

En chemins avec La Fontaine et Philippe Corentin

    C’est assez tardivement que ces deux-là sont entrés dans l’écriture pour la jeunesse (1). La Fontaine a d’abord été tenté par la religion avant de se consacrer à des études de Droit et de reprendre une charge héritée de son père et de son grand-père, dans l’administration des Eaux et Forêts. S’étant essayé à des écritures diverses (pièces de théâtre, épîtres, poèmes…), il est repéré par le surintendant Fouquet dont il devient le  « chroniqueur » et l’ami, au château de Vaux-le-Vicomte. Quand son mécène est accusé de malversation, il lui conserve son soutien ce qui lui vaut l’exil de la Cour. Il continue d’écrire, compose des contes puis des fables au moment où le dauphin, âgé de 7 ans, passe du giron des femmes à la gouverne des hommes. Philippe Corentin a d’abord été dessinateur, dans la publicité et dans la presse.  Dès 1968, il a publié dans L’Enragé, dans Elle, L’Expansion, Le Jardin des modes, Lui, Marie-Claire, Playboy, Vogue… Il a aussi conçu des affiches, illustré des guides (2) et des romans (chez Hatier, Gallimard). Contemporain des mouvements d’une époque aussi créative que contestataire, il en a croqué les crises politiques (guerres d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam…) et socio-économiques (Trente Glorieuses, baby-boom, industrialisation, urbanisation, exode rural, émancipation des femmes, révoltes des étudiants, nouveau statut de l’enfant…). Puis, il a suivi son frère, Alain Le Saux, dans la littérature de jeunesse. Après un livre en commun (3), il a fait cavalier seul, illustré un conte (4) et des romans (5)  avant de s’acquitter lui-même du texte et des images dans l’album. (6)

    Si La Fontaine et Corentin ont tiré leur inspiration d’un contact régulier avec la nature (7) (l’un dans sa fonction de Maître des Eaux et Forêts, l’autre dans la campagne où il vit (8)), leurs sources littéraires varient sans se contrarier. Pour La Fontaine, elles remontent à l’Antiquité (Ésope, Phèdre…), au Roman de Renart, à la culture orientale (Pancatantra), pour Corentin, l’éventail s’élargit avec les siècles. S’inspirant lui aussi du Roman de Renart (et des illustrations de Benjamin Rabier), il revisite les contes (Perrault, Grimm), puise dans sa passion pour les bandes dessinées et les dessins animés de sa jeunesse (Pif, Roudoudou et Riquiqui, Totoche, Walt Disney, Tex Avery, etc.), sans oublier les fables de La Fontaine, devenues pièces maîtresses de la culture enfantine, de la culture tout court. Si ces deux œuvres sont abondamment illustrées, c’est par de nombreux artistes pour le premier quand le second s’illustre lui-même ou plutôt écrit comme il dessine et inversement.

Bestiaires

    A l’époque de La Fontaine, comme à celle de Corentin, l’animal est au cœur des questions de société : au XVIIème siècle, on épiloguait sur le classement des espèces, la frontière entre l’animalité et l’humanité, au XXème et au XXIème siècles, le refus d’exploiter les animaux conduit à réclamer, pour eux, un statut juridique. La taille restreinte et la familiarité des espèces choisies rend le corpus facilement identifiable par des enfants qui reconnaissent là, l’animal domestique, là, les spécimens du zoo ou du cirque, là, le héros d’un livre ou d’un film. Formés à l’anthropomorphisme par les proverbes, les chansons, les récits, les images, les enfants savent que le lion, roi des animaux, est orgueilleux et autoritaire, que le renard, rusé, est insaisissable, que le corbeau est bavard et stupide, que le loup, cruel, peut être idiot, etc. La Fontaine et Corentin ont cependant glissé un peu de jeu dans cette typologie, l’un en montrant qu’il pouvait y avoir de la solidarité entre un faible et un fort (Le lion et le rat), entre deux faibles (La colombe et la fourmi), l’autre en adoubant les utopistes (L’Afrique de Zigomar, Le Chien qui voulait être chat). Si, par des articles définis (le corbeau, le renard, la cigale, la fourmi, etc.) La Fontaine souligne le caractère archétypal de ses personnages, Philippe Corentin les dote d’un prénom (Biplan le moucheron) ou d’un trait de caractère (Pipioli la terreur), ce qui les singularise sans mépris pour la tradition : L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau est la reprise de l’histoire du chasseur, du loup, de la chèvre et du chou, antique énigme mathématique, quelque peu chamboulée.

Corpus (9)

    Pour le quatrième centenaire de La Fontaine, Arte a diffusé un documentaire (10) qui débutait par le listage des animaux, comme un casting dans le générique d’un grand film : 18 lions, 19 renards, 1 tigre, 14 loups, 12 chats, 1 héron, 9 singes, 5 coqs, 4 belettes, 1 éléphant, 1 hirondelle, 5 aigles, 1 milan, 1 vautour, 5 mouches, 4 serpents, 1 hibou, 1 faucon, 2 pigeons, 3 tortues, etc. La liste est tout aussi fascinante chez Corentin : huit albums avec loup (11), chien (12) et lapins (13), sept avec souris, souriceaux (14) et cochon (15), six avec chat (16), cinq avec crocodile (17), quatre avec grenouille (18), deux avec merle (19), mouches et moucherons (20), un avec fourmi et chauve-souris (21) sans oublier, les figurants (araignée, cheval, hippopotame, poule, veau, vache, renard, etc.). Composé d’une faune rurale, de spectre légendaire (loup), de créatures (ogres, monstres) ou de visions exotiques (crocodile, hippopotame), le bestiaire de Corentin s’inspire de romans que La Fontaine ne pouvait connaître : il y puise l’humour et la tendresse d’un Jules Renard (Histoires naturelles), d’un Maurice Genevoix (Bestiaire enchanté, Tendre bestiaire), d’un Marcel Aymé (Contes bleus du chat perché, Contes rouges du chat perché), d’une Colette (Dialogues de bêtes) ou d’un Benjamin Rabier (22). L’animal de notre époque n’est plus considéré comme le double ou l’envers de l’humain mais comme un proche, un prochain : « L’idée selon laquelle on est l’un ou l’autre se dissout au profit de celle selon laquelle on peut être l’un et l’autre ou l’un par l’autre. » (23)

    Corentin n’a pas parodié les fables de son ancêtre une à une, il en a saupoudré ses récits par citations, variations, détournements. Dans les deux bestiaires les animaux sont confrontés à la nécessité de survivre en luttant ou en rusant avec un tel naturel que l’existence apparaît sous son meilleur jour : joliment perdue d’avance.

On a toujours besoin d’un plus petit que soi

    Dans Le lion et le rat, le roi des animaux est libéré par un mulot auquel il avait, jadis, laissé la vie sauve. Dans La colombe et la fourmi, l’insecte, tirée de la noyade par « l’oiseau de Vénus« , lui rend la pareille, pique l’archer au talon et détourne sa flèche (24). Chez Corentin, la réciprocité (entre fort et faible ou entre égaux) n’est jamais gagnée : elle se monnaye ! Flatté par les dessins de souris de monsieur Corentin, Pipioli décide d’ « aller voir« . (« Si on allait voir... » (25)). Oubliant la leçon de son ancêtre (« Garde-toi de juger les gens sur la mine. » (26)), il trouve l’illustrateur d’abord bon bougre (« Il n’a pas l’air méchantIl a l’air gentil… »). Mais « pris au dépourvu », le voilà capturé puis gracié : il se retrouve arpète et modèle dans l’atelier et obtient, en contrepartie, le droit de manger les livres de la bibliothèque (« On a discuté« , dit-il). Toutes les aventures souriquoises ne finissent pas aussi bien. Souvent, on en revient « gros Jean comme devant » (27), plus « confus » qu’ « honteux » (n’ayant pas vu l’Afrique, Pipioli en garde pourtant un bon souvenir : « Pas maL »).

    Chez Corentin, seul l’ogre possède une force absolue mais ce n’est pas un animal (ou alors un drôle d’animal). Toutes les bêtes alentour n’ont plus qu’à s’unir pour sauver leur peau. Dans L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, par exemple, un ogre traverse le fleuve avec des proies avides de s’entredévorer. Il pense avoir réussi lorsque des crocodiles et un hippopotame le font soudainement chavirer sous les moqueries générales. « Il faut s’entraider, c’est la loi de la nature » (28), telle est la leçon des conjurés du fleuve, inaccessible aux proies qui, elles, ont préféré se chamailler, oubliant que…

… La raison du plus fort est toujours la meilleure

    Le loup, qui incarne cet adage chez La Fontaine, est rarement gagnant chez Corentin. Dans L’Ogrionne, un ogre rafle tout le gibier et contraint tout un clan au régime carotte :

« Jupin pour chaque état mit deux tables au monde.

L’adroit, le vigilant et le fort sont assis

A la première ; et les petits

Mangent les restes à la seconde. » (29)

    Ils sont plusieurs chez Corentin à avoir le sentiment d’être assis à la seconde table et à réclamer justice : « Pourquoi Ginette part-elle en Afrique et pas nous ?, « Si un lapin vole, pourquoi une souris ne volerait-elle pas ? », « Pourquoi on n’en mange jamais… des petites filles ? » (30). Telle la tortue, les souriceaux sont las « de leur trou » et, voulant « voir le pays », font grand cas « d’une terre étrangère » (31). Pipioli, sédentaire et aptère, veut migrer en Afrique, le crocodile veut goûter aux petites filles et les mouches s’étourdir de gloire. Désirs extravagants certes, mais sans eux, y aurait-il matière à fables ?

    Les loups de Corentin ne sont que ventres affamés. Pour une bouchée, pour une gorgée, ils sont prêts à tout gober. Chez La Fontaine, le loup n’est pas toujours le plus fort, il lui arrive d’être dupé. Un renard succombe au mirage du puits (« l’orbiculaire image lui parut un fromage ») et comme « Deux seaux alternativement/Puisaient le liquide élément », il en prend un et chute :

« Comment remonter, si quelque autre affamé,

De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tirait d’affaire. » ?

    Un loup passe par là, saisit l’autre seau et de « son poids, emportant l’autre part, Reguinde en haut maître renard. » (32). Corentin reprend l’affaire à son conte. Dans Plouf !, le loup chute puis remonte au moyen du cochon lequel revient à la surface grâce aux lapins qui regagnent l’air libre en se faisant la courte échelle comme dans Le renard et le bouc (33). Oublieux du piège par lui-même initié, le loup revient et rechute. Par un jeu à trois bandes, Corentin rend la partie plus excitante. Pour s’en sortir, la force physique n’est plus de mise : mieux vaut savoir embobiner les autres avec ce qu’ils veulent entendre. Le loup a beaucoup trop faim pour conserver cette lucidité jusqu’au bout.

    Seul le chien, chez Corentin, arrache de force la victoire. Dans Machin Chouette, recueilli par des humains, il guigne le « fauteuil vert du salo », privilège du chat. Estimant le rapport de force inégal, le chat essaie de ruser, tente le mépris (l’imbécile), la flatterie (« C’est toi qui es bon à tout et moi bon à rien. »), le raisonnement (« Tu peux comprendre ça… ») puis se résout à l’affrontement (« C’est donc moi qui dors dans le fauteuil vert du salon…« ). Nenni ! Le chien le déloge « sans autre forme de procès ». Comment a débuté cette formidable querelle ? « Sur un rien » comme c’est le cas « plus des trois quarts du temps » (34), répond La Fontaine. Effectivement, dans Machin Chouette, c’est une histoire de sel qui a réveillé l’animosité du chat et du chien face à deux souris, deux convives, que le bruit a fait fuir comme rat des villes et rat des champs interrompus dans leur festin (« quelqu’un troubla la fête » (35)) . Les bris de fables s’insèrent dans les albums comme pierreries dans un kaléidoscope : la nouvelle forme n’éclipse pas l’ancienne mais dit le lien pérenne entre changement et permanence, création et imitation.

Si Dieu m’avait fait naître/Propre à tirer marrons du feu,/Certes marrons verraient beau jeu. 

    Pour garder son fauteuil, le chat de Machin Chouette a d’abord plaidé « le droit et l’usage » (36) (« Le chat, ça va bientôt faire cinq ans que je fais ça. ») mais le chien n’a que faire de « la loi du premier occupant ». Débouté, le chat a alors songé rouler le chien en le flattant mais il est loin d’avoir le talent du renard. Ni « ramage », ni « plumage », ni « Phénix » mais tout bêtement : « Oh ! qu’il est beau le chien ! ». Sa ruse, en plus d’être bâclée, est plombée d’ironie dédaigneuse. En mimant les hautes fonctions de son adversaire pour l’endormir (chien de police, de traîneau, de troupeau, de chasse), il les dénigre : la pièce à conviction du détective est une crotte de chien, le musher est un pataud, le patou se fait charger par un bélier et la cible du chasseur est le chien en personne. Le matou feint alors la (fausse) modestie : « Si je savais un tant soit peu aboyer et montrer les dents, je n’hésiterais pas une seconde à faire le chien de garde ». Revient, sous ces mots, le marché de dupes entre le singe Bertrand (37) invitant le chat Raton à retirer les marrons du feu à sa place en le flattant : « Si Dieu m’avait fait naître/Propre à tirer marrons du feu,/Certes marrons verraient beau jeu » . Mais le chat de Corentin, comme presque tous ces personnages, échoue faute de posséder la qualité distinctive du dupeur : la distance.

    Même problème chez le loup qui confond malice et tartufferie. Dans Le Roi et le roi, il se déguise en carotte pour attraper des lapins qu’un crocodile fait détaler. Furieux, le loup s’en prend à l’amphibien qui servait de refuge à un escargot contre les étourneaux (ce n’était qu’une peau morte, une peau de crocodile). « Tel est pris qui croyait prendre » (38) ? L’affaire n’est pas tout à fait close. Découvrant qu’ils portent tous deux une couronne, le loup et l’escargot décident de la jouer à la course dans une nouvelle version de la fable Le lièvre et la tortue (39). Le loup part vite, court à tout rompre, nage, saute, ne se repose jamais (contrairement au lièvre). Il arrive pourtant le dernier, précédé par l’escargot qui avait pris la précaution de se camoufler dans les poils de sa queue. Corentin tire des fables des fondus enchaînés vertigineux : il ne condamne pas la paresse ni n’encense la vertu, il dit le pouvoir de la duplicité quand il y a crédulité. Le loup quitte la course, vaguement désabusé mais pas blasé (« Je ne veux pas rater ça.« ). Bien faire et laisser dire (40), accepter le poids des ans sans en perdre la grâce.

    Il est enfin des ruses aimables destinées à faire plaisir. Dans Patatras !, un louveteau est en pleine dépression : « Personne ne l’aime. On se moque de lui, on lui fait des farces... » Les lapins ne sont pas les derniers à le berner : ayant mis une carotte sur son chemin, ils le font dégringoler dans leurs « souterrains séjours« . Là, étonné de voir le gîte désert (« Où sont-ils ? C’est l’heure du déjeuner. Ils devraient tous être à table. »), le loup installe ses « pénates » (41) éclaire la lumière, prend un bain. Tout ce temps, les lapins, qui ne sont pas allés  » faire à l’Aurore [leur] cour, Parmi le thym et la rosée », l’entraînent à son insu dans un anniversaire-surprise renversant :

« Qu’un ami véritable est une douce chose !

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; 

Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même. » (42)

    Si tambour et trompette sont de la fête, c’est pour célébrer le succès (enfin) gagné contre l’adversité.

Adieu veaux, vaches, cochons, couvée ?

    Les personnages de Corentin ressemblent à la grenouille de La Fontaine. Ils se bombent et éclatent, « marris » mais jamais vaincus. Le chien de chasse, fatigué de servir, veut être indépendant comme le chat (43) mais, tel ce corbeau que des bergers avaient encagé pour « servir d’amusette » (44) aux enfants, il finit en poisson rouge dans un aquarium, face à des lapereaux ébahis. Qu’importe ! Tous les petits héros de Corentin continuent à vouloir bâtir des châteaux en Espagne, à « détrôner le Sophi » : tout souriceau veut voler, toute mouche aspire à la grandeur, tout louveteau rêve de la puissance perdue de ses ancêtres. Aucun ne veut écouter les leçons des aînés, chacun veut en faire à sa tête, tête à claques le plus souvent ! L’auteur les soutient ardemment avec un slogan comme art de vivre : foutre le camp et s’en foutre. Si chez La Fontaine, l’hirondelle échoue à raisonner les petits oiseaux (« Demeurez au logis… vous n’êtes pas en état/De passer comme nous les déserts et les ondes/Ni d’aller chercher d’autres mondes. » (45)), celle de L’Afrique de Zigomar prend le soin d’informer Pipioli sur les qualités et les défauts des oiseaux migrateurs mais ne le dissuade pas de partir, de quitter les vies fades, de partir en quête de desserts (Tête à claques). Quand La Fontaine cherche à « faire passer le précepte avec le conte » sans démontrer, tout simplement, Corentin choisit la force de la simplification. Il déroule ses gags de mieux en pire et, sous chaque pique, chaque trait, sème la révolte. Au travail et à la peine du laboureur, il propose aux enfants de trouver l’unique trésor : la liberté.

Conclure en revenant au début

    Les deux œuvres s’ouvrent avec un animal plutôt ingrat : d’une part, une fourmi laborieuse et stricte opposée à une cigale frivole (La cigale et la fourmi), d’autre part, une chauve-souris volante étrangement cousine avec des souriceaux rampants (Mademoiselle Tout à l’envers).

    La fourmi de La Fontaine, peu prêteuse (c’est là son moindre défaut), dénie toute qualité à la cigale (qui a pourtant chanté tout l’été) et la laisse à son triste sort (Et bien dansez maintenant !). Chez Corentin, la fourmi est une reine, ailée comme une cigale. Elle n’est pas face à une chanteuse mais à un enchanteur : le Père Noël (46). Le mythe bat cependant de l’aile, poussé dans les bas-fonds par la modernité (plus de cheminée, trop d’antennes sur les toits). Toujours pas prêteuse, l’insecte lui loue ses galeries à un tarif exorbitant : « Deux tonnes de miel et huit cents pots de confitures de fraises ». Elle ne l’encourage pas à l’épargne mais à la retenue : qu’il abandonne son « plumail« , son « superbe équipage » et, hors des néons du commerce, qu’il retourne à son mystère, à sa nuit de silence, creuset d’imaginaire. Le Père Noël rejoint donc le ciel dans son traîneau, aussi minus et indestructible qu’une fourmi :

« Les petits, en toute affaire

Esquivent fort aisément ;

Les grands ne peuvent le faire. » (47)

    La chauve-souris n’est pas aimée. Par deux fois, celle de La Fontaine s’est jetée dans un nid de belette (48).  D’abord prise pour un rat puis, pour un oiseau, elle s’en est sortie en se dénaturant :

« Moi souris ! Je suis oiseau voyez mes ailes. »

« Qui fait l’Oiseau ? c’est le plumage. Je suis Souris ; vivent les rats. »

    Corentin remplace l’hypocrisie par l’affirmation de soi. Sa chauve-souris ne cache pas ses différences, elle les revendique, exige de dormir à l’envers, réclame un régime insectivore et vit la nuit. Ce sans-gêne choque les souriceaux qui médisent sur ses ailes (affreuses) et critiquent ses poils (elle n’est pas chauve) mais quelque chose pourtant les fascine : elle vole ! Comme dans La tortue et les deux canards, le vol se scratche. Chez La Fontaine, la tortue qui affichait « imprudence, babil, et sotte vanité », crève. Chez Corentin, les apprentis voyageurs penseront à se munir de parachutes car il y aura une prochaine fois. Rien, ni le pouvoir des autres, ni celui des contingences ne peut entraver la liberté d’être et de rêver, d’atteindre les étoiles.

Images

    Nombreuses illustrations de La Fontaine sont réinterprétées par Corentin qui affirme ainsi la filiation. Il y a, dans Zigomar n’aime pas les légumes, interversion de l’oiseau noir au sol et du souriceau « sur un arbre perché« , hommage décalé au corbeau et au renard (celui qui est à terre encourage celui qui est sur la branche), il y a les cigognes de L’Afrique de Zigomar qui ont des flûtes à champagne, à table, rappel des invitations réciproquement embarrassantes des deux faux-amis dans Le renard et la cigogne (49) , il y a ces deux souris dînant sur la table des humains dans Machin chouette comme Le rat des villes et le rat des champs, il y a la course du loup contre l’escargot (autre animal à porter sa maison sur le dos) qui relaie Le lièvre et la tortue, le loup tombant dans le puits comme dans Le loup et le renard, les lapins essayant de remonter en se faisant la courte échelle comme dans Le renard et le bouc. Mais surtout, il y la nature et toute cette eau qui coule d’une œuvre à l’autre. Le ruisseau où choit la chauve-souris avec les souriceaux est-il celui où l’agneau se désaltérait ? La rivière de L’Arbre en bois donne l’image « d’un sommeil doux, paisible et tranquille » avant d’être polluée : l’époque a changé et les nouveaux bestiaires ne peuvent masquer les menaces que les humains font peser sur les espèces vivantes. Dans L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, l’onde est d’abord limpide ( Point de bords escarpés, un sable pur et net« ) mais elle se fait « onde noire« , offrant « un séjour ténébreux » (50) à l’ogre chasseur. A ces eaux rurales, Corentin ajoute les eaux urbaines, celles des canalisations (Le Père Noël et les fourmis) et des baignoires (Patatras !, N’oublie pas de te laver les dents !) et celle du verre d’eau qui sert de piscine au moucheron (Biplan le rabat-joie). Mais pour entrer dans l’appartement de la petite fille qu’il souhaite dévorer, le petit crocodile se déplace entouré de l’eau de son marigot originel, peut-être ce liquide amniotique dont nous venons tous, humains, animaux, arbres et fleurs.

    La Fontaine et Corentin croquent des portraits avec une rapidité non exempte de précision. Si le premier, en observateur, évalue l’état du monde et les places à y tenir, le second, sans Cour et sans mécène, cultive les voix singulières. Il tonitrue et s’enchante, se désole et s’exalte, faisant rire « par le haut » et parlant à « voix basse » de l’essentiel : le temps, limité, ne prend sa valeur que partagé autour de soi, avec ce qui vit, palpite et se bat. L’essentiel, aux pires moments, c’est d’avoir toujours « un petit peu faim » (51).

par Yvanne Chenouf – septembre 2021.

 

NOTES

(1)  « Vous êtes à un âge où l’amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes.« , préface aux Fables (A monseigneur le dauphin).

(2) Affiche de l’exposition Cité Ciné à La Villette, dans les années 1980, Guide SAS, Gérard de Villiers, Hachette, 1989

(3) Totor et Lili chez les moucheurs de nez, Alain Le Saux, Philippe Corentin, Rivages, 1982

(4) Conte n° 3 pour enfants de moins de trois ans, Texte de Eugène Ionesco, Jean-Pierre Delarge, 1976

(5) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979 ; 365 devinettes énigmes et menteries, Muriel Bloch, Hatier, 1990

(6) Hachette Le Loup blanc, 1980, Les Avatars d’un chercheur de querelle, 1981, Pie, thon et python, 1988), Rivages (C’est à quel sujet ?, 1984, Papa n’a pas le temps, 1986, Nom d’un chien, Porc de pêche et autres noms de bêtes, 1985)

(7) « On tient toujours du lieu dont on vient », écrit La Fontaine dans La Souris métamorphosée en fille (Livre IX).

(8) Dans son livret autobiographique (L’école des loisirs, p. 10), Philippe Corentin, en jardinier, décrit son amour de la nature par antiphrase :  » Philippe Corentin n’aime pas la campagne. Il n’y aime pas les arbres. Il y en a trop. Ils dénaturent le paysage, cachent la forêt et mettent des feuilles partout... « 

(9) Le corpus choisi ici pour Corentin concerne sa production à l’école des loisirs, hormis Papa, maman, ma sœur et moi.

(10) « La Fontaine, l’homme qui aimait les fables », Pascale Bouhénic, 2020

(11) L’Ogrionne, Plouf !,Le Roi et le roi, Patatras !, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Tête à claques, ZZZZ… zzzz….

(12) Le Chien qui voulait être chat, Machin Chouette, Les Deux goinfres, L’Arbre en bois, N’oublie pas de te laver les dents !, Le Père Noël et les fourmis, Mademoiselle Sauve-qui-peut, ZZZZ… zzzz….

(13) Le Chien qui voulait être chat, Plouf !,Patatras !, Tête à claques, Le Roi et le roi, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois, Zigomar n’aime pas les légumes, Machin Chouette 

(14) Mademoiselle Tout à l’envers, Le Père Noël et les fourmis, L’Afrique de Zigomar, Pipioli la terreur, Zigomar n’aime pas les légumes, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Machin chouette

(15) Plouf !,Tête à claques, Le Roi et le roi, Le Chien qui voulait être chat, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois, Machin Chouette

 (16) Le Chien qui voulait être chat, Machin Chouette, Le Père Noël et les fourmis, Mademoiselle Sauve-qui-peut, ZZZZ… zzzz…., N’oublie pas de te laver les dents !

(17) N’oublie pas de te laver les dents !, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau,  L’Afrique de Zigomar, Le Roi et le roi, L’Arbre en bois

(18) Biplan le rabat-joie, Plouf !, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois,L’Afrique de Zigomar

(19) L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, Le Chien qui voulait être chat

 (20) Le poisson dans Le Chien qui voulait être chat et L’Arbre en bois, les mouches et les moustiques dans Biplan le Rabat-joie, les mouches et autres coléoptères dans ZZZZ… zzzz….

(21) Le Père Noël et les fourmis (1989), Mademoiselle Tout à l’envers (1988)

(22) Illustrateur aux éditions Taillandier des Fables, de La Fontaine (2003) et du Roman de Renart (2016)

(23) Bestiaire du roman contemporain d’expression française, Introduction, Lucile Desblache, Presses Universitaires Blaise Pascal, Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2002, pp. 11-12

(24) Le lion et le rat, La colombe et la fourmi (Fables 11 et 12, Livre II)

(25) Pipioli la terreur

(26) Le Cochet, le Chat et le Souriceau (Fable 5, Livre VI)

(27) Le corbeau et le renard (Fable 2, Livre I) puis La laitière et le pot au lait (Fable 9, livre VII)

(28) L’âne et le chien (Fable 17, Livre VIII)

(29) L’araignée et l’hirondelle (Fable 6, Livre X)

(30) Respectivement L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, N’oublie pas de te laver les dents !

(31) La tortue et les deux canards (Fable 2, Livre X)

(32) Le loup et le renard, Fable 6, Livre XI

(33) Fable 5, Livre III

(34) La querelle des chiens et des chats et celle des chats et des souris, Fable 8, Livre XII

(35) Le rat des villes et le rat des champs (Fable 9, Livre I)

(36) Le corbeau et le renard (Fable 2, Livre I) puis Le chat, la belette et le petit lapin (Fable 15, Livre VII)

(37) Fable 10, Livre I, Fable 2, Livre I, Fable 17, Livre IX

(38) Le rat et l’huître (Fable 9, Livre VIII)

(39) Fable 6, Livre X

(40) L’avantage de la science (Fable 19, Livre VIII)

(41) Le chat, la belette et le petit lapin (déjà cité)

(42) Les deux amis, Fable 11, Livre VIII

(43) Le chien qui voulait être chat, 1989

(44) Le corbeau voulant imiter l’aigle (Fable 16, Livre VI)

(45) L’hirondelle et les petits oiseaux (Fable 8, Livre I)

(46) Le Père Noël et les fourmis, L’école des loisirs, 1989

(47) Le combat des rats et des belettes,

(48) La chauve-souris et les deux belettes (Fable 5, Livre II)

(49) Fable 48, Livre 1

(50) Les citations sont issues de : Le torrent et la rivière, Livre 8, Fable XXIII

(51) Les Deux goinfres

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Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Etre, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud.

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Bibliographie de Philippe Corentin

(à l’école des loisirs)

. Mademoiselle Tout à l’envers (1988)

. Le Chien qui voulait être chat (1988)

. Le Père Noël et les fourmis (1989)

. Pipioli la terreur (1990)

. L’Ogrionne (1991)

. Plouf ! (1991)

. L’Afrique de Zigomar (1991)

. Biplan le moucheron, (1992)

. Zigomar n’aime pas les légumes (1992)

. Le Roi et le roi (1993)

. Patatras ! (1994)

. L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau (1995)

. Papa ! (1995)

. Mademoiselle Sauve-qui-peut (1996)

. Les Deux goinfres (1997)

. Tête à claques (1998)

. L’Arbre en bois (1999)

. Machin Chouette (2002)

. ZZZZ… zzzz…. (2007)

. N’oublie pas de te laver les dents ! (2009)

 

Les animaux malades de la peste – illustration d’Auguste Vimar (1897)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Après le colloque

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Entre hier et demain

Le colloque du CRILJ Habiter dans la littérature pour la jeunesse des vendredi 15 et samedi 16 octobre 2021 est derrière nous. Cent-trente inscrits, dix-neuf intervenants, six modérateurs, huit administrateurs pour la logistique, quatre malicieux traducteurs en langue des signes et Nicole qui regarde par la fenêtre de son appartement du quinzième étage.

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Nicole et l’ascenseur, Andrée Clair et Bernadette Després, La Farandole, 1969

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A VENIR

– des ateliers et des rencontres, en classe et en bibliothèque, sur le thème du colloque

– l’édition d’une plaquette destinée à aider les médiateurs à mettre en place ces animations

– la mise en ligne, courant novembre, de la captation vidéo des interventions du colloque

– la parution du numéro 11 des « Cahiers du CRILJ » restituant, elle aussi, les interventions

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Régis Lejonc et Martin Jarrie

 

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Parait cet automne, Les Deux Géants de Régis Lejonc et Martin Jarrie (HongFei 2021, 44 pages, 18,90 euros). « Deux  géants  marchent  chacun  d’un côté du  monde qu’ils font tourner  au  rythme  de  leurs  pas. Ils marchent inlassablement, chacun sa destinée, chacun son caractère.  Ils  ne  se  connaissent  pas.  Ils ne se voient jamais. Quand l’un est ici, l’autre est là-bas. Tout le monde le sait.  C’est  toujours  comme  ça.  Mais  que  se  passerait-il  si  venait  à  l’un  d’eux l’idée de se retourner ? »

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Rencontre avec Régis Lejonc, auteur

    Ce texte vient de loin. De mon enfance. Je l’avais dédié à mes parents, mes deux géants, lorsqu’il fut publié il y a vingt ans aux éditions du Rouergue avec mes propres illustrations. J’avais (déjà) sollicité Martin Jarrie pour en être l’illustrateur. Ce vœu est exhaussé aujourd’hui aux éditions HongFei. J’ai ainsi le sentiment que mon texte trouve enfin son légitime illustrateur. L’univers artistique et le vocabulaire graphique de Martin, uniques et hors de mode, lui apportent une dimension poétique et puissante. L’écriture de ce texte a pris la forme d’un mythe sur la marche du monde. Pourquoi le republier aujourd’hui ? j’ai toujours été sensible aux grands imaginaires collectifs ancestraux venus de la nuit des temps (mythes fondateurs, contes des origines). Mais, j’ai le sentiment que, dans notre société individualiste, nous partageons de moins en moins cet imaginaire (chacun de nous puisant à des sources multiples et atomisées). Avec ce récit aux tonalités cosmogoniques, j’espère humblement apporter un peu de poésie dans nos vies pour rêver notre monde. (RL)

 

 

 

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Rencontre avec Martin Jarrie, peintre

    Régis Lejonc m’a proposé d’illustrer Les Deux Géants en 2000. Peu avant, j’avais devenues les illustrations du Colosse Machinal paru en 1996 (texte de Michel Chaillou). Est-ce ce qui a conduit Régis à me solliciter ? Je ne sais pas. Mais j’ai longtemps refusé parce que je ne voulais pas refaire Le Colosse. Or, à un moment, ce texte avait fait son chemin en moi ; j’y trouvais des résonances avec ce que je vivais. Je savais pouvoir le nourrir de ces émotions personnelles et intimes. Quand Régis m’a annoncé avoir trouvé un éditeur, je me suis dit que je ne pouvais plus reculer.Et puis il y a eu le confinement. Je me suis retrouvé coincé chez moi, loin de mon atelier et de ce qui pouvait me distraire. J’ai alors pris plaisir à travailler ce texte. Les images sont venues, puisant aux sources des anciennes cartes du ciel, des cartes marines des îles Marshall, des enluminures inspirées des visions d’Hildegarde de Bingen à propos de la création du Monde et de l’Apocalypse. J’ai très vite décidé que les deux géants seraient de sexe opposé, ce qui n’était pas clairement précisé dans le  texte  au  départ.  Je  ne  sais  pas  si  je  fais  référence  à  Adam  et  Eve.  C’est  une  interprétation possible mais ce n’est pas la seule.Quand  est  venu  le  moment  de  trouver  une idée pour la dernière image du livre,  j’ai  tout  de  suite  pensé  à  ce  que  le  monde  entier  était  en  train  de  vivre,  ce  temps  suspendu  et  incertain  lié  à  la  première  vague  du  COVID.  C’est  ce  en  quoi  le  texte  de  Régis  a  quelque  chose  de visionnaire (ce qui le rapproche d’Hildegarde  de  Bingen).  Il  est  d’une  actualité  troublante  et  saisissante.  J’ai  glissé  une  allusion  au  virus  dans  une  des images mais j’ai pensé aussi au dérèglement  climatique  et  à  toutes  les  menaces qui pèsent au-dessus de nos têtes. Je ne pense pas que Régis ait eu toutes ces menaces en tête en écrivant son texte qui, d’ailleurs, est plus ouvert que l’interprétation possible que j’en donne ici. On peut penser à toutes sortes d’antagonismes, le Nord et le Sud, la Chine et les États-Unis, les religions monothéistes, etc. Quant à moi, au moment où je dessinais Les deux géants, j’avais forcément à l’esprit ce que nous étions en train de vivre. (MJ)

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« Depuis la nuit des temps passent les deux géants.

On les connait, ils tournent sur Terre inlassablement. »

 

Merci à  Loïc Jacob pour ce partage.

 

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Lire Raiponce

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Lecture et interprétation

     La rentrée fut fatigante : nouvelle classe (encore des CM1-CM2), nouvelles habitudes à installer, cadre à mettre en place et à « tenir ». En ce début d’année, je m’étais dit que j’allais commencer par la lecture de contes traditionnels pour travailler la lecture à voix haute, ce que je n’avais pas du tout assez travaillé l’année précédente.

    L’objectif, c’est donc la « fluence » et la lecture à voix haute (lire par groupes de souffle, mettre le ton, etc.), mais je garde dans un coin de ma tête d’essayer de travailler un peu la question du stéréotype de genre dans le conte. Comme j’ai un exemplaire des Contes d’un autre genre dans le fond de ma classe, avec notamment une réécriture de La Belle aux bois dormant, je lance les élèves dans cette première lecture.

    Ce n’est pas passionnant, mais assez rapidement, la lecture des élèves s’améliore et les lectures collectives deviennent de plus en plus agréables. Pour construire l’idée de stéréotype (des figures féminines), on se lance dans la lecture de Raiponce des frères Grimm.

    Et puis, aujourd’hui, on termine le conte. C’est l’histoire de cette jeune fille enfermée dans une tour sans escaliers par une sorcière, et qui déroule sa chevelure pour faire une échelle. Un jour, un prince vient la rejoindre, mais quand la sorcière s’en rend compte, elle coupe les cheveux de sa protégée, et l’exile dans le désert. Quant au prince, il a les yeux crevés. Cependant, parce que le conte est un conte, le prince aveugle retrouve la jeune femme dans le désert. Elle a deux enfants, des jumeaux, et, lorsque ses larmes touchent les yeux du prince, il retrouve la vue. Ils « vécurent heureux et eurent  beaucoup d’enfants « .

    Alors qu’on allait passer à autre chose, une élève de CM2 lève la main et dit : « Mais, ils viennent d’où ses deux enfants ? ». En effet, le texte ne le dit pas, mais on peut imaginer, combler les trous du texte.

    Son hypothèse est que, lorsque le prince retrouvait la jeune fille, il et elle ont fait des enfants. Toutefois, cette idée semble difficile pour ses autres camarades qui échafaude d’autres scenarios : peut-être qu’elle les a adoptés ? Peut-être qu’elle a rencontré un autre homme dans le désert ?

    Un élève déclare que ce n’est pas possible car il et elle ne sont pas mariés et donc « leurs âmes ne se sont pas mélangées ». Un autre imagine une histoire de « portail magique ».

   Là, j’explique que souvent, lire c’est combler les trous, c’est imaginer ce que le texte ne dit pas, mais que le plus souvent, l’hypothèse la plus simple, celle où on invente le moins est la meilleur.

   – Mais alors, pourquoi la sorcière elle ne les a pas vus dans la tour ? questionne un élève.

   – Et bien, elle était enceinte, peut-être qu’elle avait encore un ventre tout plat.

   – Oui, mais les sorcières, elles sont capables de repérer les femmes enceintes, réplique le garçon. »

    Et là, c’est moi qui me prend au jeu de l’interprétation : « Oui, c’est vrai que traditionnellement, on appelait sorcière les femmes qui avaient des connaissances sur le corps, et notamment le corps des femmes. Donc… peut-être…, dis-je tout en réfléchissant, peut-être que la sorcière a compris que Raiponce était enceinte et que c’est pour ça qu’elle l’a chassé. Elle l’a chassé parce qu’elle avait un enfant sans être marié et que c’était un scandale. »

    On a déroulé ensemble le texte, un long débat d’une grosse vingtaine de minutes. Passionnant. J’avais découvert ce texte avec eux. On avait parlé de sujet sensible, suscitant des interrogations profondes, de manière pudique et au service du texte.

    De la lecture, au hasard de nos interrogations, nous avons fait de ce conte un bel et imprévu dispositif didactique pour aborder ce que signifie interpréter un texte. Ici, en acceptant de prendre le temps, de se plonger pleinement dans le débat interprétatif, on accède aussi à des manières de lire les textes qui rendent signifiant les silences, qui mettent en lumière la marge. En CM1-CM2 aussi, on peut faire des lectures critiques des œuvres.

par Arthur Serret  – L’imprévu, numéro 8, septembre 2021.

 

La rubrique L’imprévu publiée sur le site Questions de classe se propose de relater des récits de classe de la part de pédagogues engagé.es : « moments champagne » où la coopération fait pétiller le quotidien, ou au contraire, scène de crise illustrant la violence du métier et de l’institution, récits d’événement pédagogique où l’inattendu entre dans la classe ou compte-rendus minutieux d’une séance bien ficelée, moments de classe qui font rire, réfléchir, pleurer et s’engager. Des moments toujours imprévisibles où le vivant entre par la fenêtre, l’endormi se réveille, les passions s’échauffent. Adepte de la pédagogie Freinet, Arthur Serret enseigne à Paris, dans le 19ième arrondissement.

 https://www.questionsdeclasses.org

Merci pour ce partage.

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AUTRES LECTURES

L’ouvrage Contes d’un autre genre (Talents Hauts, 2011) propose trois contes (ré)écrit par Gaël Aymon « où les princesses prennent en main leur destin, où la vaillance n’est pas toujours du côté des hommes ni la sensibilité l’apanage des femmes. » : La belle éveillée (illustré par François Bourgeon), Rouge-Crinière (illustré par Sylvie Serprix), Les souliers écarlates (illustré par Nancy Ribard). « Je n’ai aucune leçon à donner, le but n’est pas de remplacer un modèle unique par un autre. Mon métier c’est de raconter des histoires qui fassent rêver et réfléchir. Et ça ce n’est possible que si on laisse les enfants avoir accès à une diversité de modèles et de représentations. » (Gaêl Aymon)

Gwen le Gac à Beaugency

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Le mercredi 28 novembre 2018, dans le cadre des animations initiées par le CRILJ, Gwen Le Gac  a rencontré, à Beaugency (Loiret), des enfants fréquentant le centre de loisirs de la commune.

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    Deux rencontres ont eu lieu en novembre 2018 à Beaugency avec Gwen Le Gac, à l’initiative de l’association Val de Lire, pour faire découvrir aux enfants du centre de loisirs et à un large public l’album Un enfant de pauvres. de Christophe Honoré et Gwen le Gac.

« Enzo est un champion de surf de douze ans, qui connaîtra probablement la richesse à sa majorité, mais restera celui qui dit « non’, marqué à jamais par la pauvreté qui est entrée dans sa vie à huit ans. Le récit est sec, le personnage jamais dans l’épanchement. La représentation de la pauvreté et des sentiments du personnage face à celle-ci sont réalistes, complexes. Ainsi la mère retrouve un travail, mais celui-ci reste insuffisant pour bien vivre. Enzo se met à voler, mais sans exploiter ses vols, juste pour dépasser la contrainte de devoir tout se refuser. » (Anouk Gouzerh, Val de lire)

    L’action a été menée en deux temps :

– le mercredi 21 novembre, les animateurs et animatrices de Val de Lire ont proposé deux séance de lectures et d’animations sur l’univers de Gwen Le Gac. Pendant deux heures, elles ont lu les livres sur la pauvreté, thématique proposée par le CRILJ. Les enfants ont échangé, dessiné et passé beaucoup de temps à commenter les illustrations d’Un enfant de pauvres (Actes Sud Junior, 2016) . Ils ont préparé les questions, très pertinentes, qu’ils pourront poser à Gwen Le Gac.

– le mercredi 28 novembre, Gwen Le Gac a animé un atelier intitulé Pauvre de moi  en lien avec son album.  Elle a expliqué le déroulement de son travail, les recherches, les idées qui surgissent, les inspirations. Elle a proposé un atelier à partir de collage de symboles, d’étiquettes, de prix et de mots clés tirés du livre à placer dans le pochoir représentant la tête d’Enzo. Cet atelier fut pensé comme un prolongement de la discussion autour de la pauvreté et de la consommation en général,  afin que chacun puisse exprimer par l’image et les mots sa vision de l’expérience vécue par le personnage.

    Le mercredi 21 novembre, une dizaine d’enfants et leur animatrices avaient suivi des temps de lectures et réfléchi sur ce que représentait pour eux la pauvreté et identifié comment différents auteur(e)s rendaient compte de cette pauvreté dans leurs œuvres.

    Ces mêmes enfants se sont retrouvés le 28 novembre et, à partir des informations et conseils donnés par l’auteure, en faisant un clin d’œil à l’image de la couverture d’Un enfant de pauvres, ils ont réalisé à l’aide de matériaux modestes, un collage à partir de « mots clefs », de symboles et d’images qualifiées « ordinaires ».

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Gwen Le Gac, née en Bretagne, vit et travaille désormais en Seine-Saint-Denis. Elle est auteure, illustratrice, plasticienne, créatrice textile. Après des études en arts plastiques, histoire de l’art et arts décoratifs, elle navigue aujourd’hui, selon ses propres mots, « dans l’univers de la création et cherche une autre manière de faire l’histoire ». Elle se consacre de plus en plus aux livres pour enfants. Elle a écrit avec Christophe Honoré Le terrible six heures du soir, La règle d’or du cache-cache (Prix Baobab de l’album du Salon du livre de Montreuil en 2010), L’une belle, l’autre pas (2013) et Un enfant des pauvres (2016) chez Actes Sud Junior. Elle a également écrit et illustré seule trois ouvrages également publiés chez Actes Sud. : Avant Avant (2009), Douze (2012) et Je suis une couleur  (2015).

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L’association Val de Lire développe des actions collectives qui permettent de renforcer liens familiaux, solidarités et de coordonner des initiatives favorisant vie collective, prise de responsabilité des usagers en inscrivant des pratiques culturelles le plus tôt possible au sein des familles, particulièrement celles où la littérature n’est pas invitée, et en maintenant ces pratiques culturelles le plus longtemps possible pour des personnes âgées. Elle est organisatrice du Salon du livre jeunesse de Beaugency et Saint-Laurent-Nouan.

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Pour l’été et pour après

 

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Se souvenir de l’avenir

    Et si la Culture n’était pas la recherche du temps perdu, mais la recherche du temps à venir ? Et si nous pouvions, par le poème et la réunion des bonnes volontés, changer ce qui a été, en lui donnant d’autres conséquences ? Ce dont l’homme a le plus besoin, c’est de destin, et la politique est poétique quand elle ouvre pour tous des possibilités nouvelles, particulièrement pour ceux dont le destin a été nié. Mais qui répond au besoin de destin intime, intérieur, secret ? C’est le poétique qui devient politique quand il agit sur le désir, le transforme, lui donne forme, le rend légitime, enviable, et possible.

    Quelque chose dans la société, dans la politique, dans le murmure du temps nous fait croire que demain est prémédité. Par contre, la folie artistique, l’enthousiasme paradoxal des foules, la catharsis joyeuse nous invitent à croire que demain n’est pas écrit. Et puisque la génération la plus jeune est confrontée au plus grand danger que la terre ait connu, nous devons l’assurer qu’en dépit de tous les découragements, tous les doutes et toutes les démissions, la page est encore blanche, la forme de l’avenir est celle d’un désir commun, mais qui commence dans la vie intérieure de chacun.

par Olivier Py

(extraits de l’éditorial du programme de la 75ième édition du  Festival d’Avignon  – 2021)

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Olivier Py, écrivain, metteur en scène et comédien, réalisateur, est l’actuel directeur du festival d’Avignon. Il a adapté et porté au plateau pour le jeune public quatre contes des frères Grimm : La jeune fille, le diable et le moulin (école des loisirs, « Théâtre », 1995), L’eau de la vie (école des loisirs, « Théâtre », 1999), La vraie fiancée (Actes Sud, « Heyoka jeunesse », 2009) et L’amour vainqueur (Actes Sud Papier, « Heyoka jeunesse », 2019).

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Parler sans-abris à Paris

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Une rencontre avec Sophie-Bordet-Pétillon et Xavier Emmanuelli

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Le mardi 4 juin 2019, dans le cadre des animations initiées par le CRILJ, Sophie Bordet-Pétillon et Xavier Emmanuelli ont rencontré, à la Médiathèque Marguerite Duras (Paris), les élèves de trois classes de CM1.

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     Sophie Bordet-Pétillon a d’abord présenté l’ouvrage Le petit livre pour parler des sans-abris, (Bayard jeunesse, 2018). Elle a expliqué comment et pourquoi il était né. Elle a aussi parlé de la façon dont elle avait travaillé avec Xavier Emmanuelli. Puis très vite, les enfants ont été invités à poser des questions. Ayant été sensibilisés au préalable par leurs enseignants, leurs questions furent motivées et pertinentes.

    Xavier Emmanuelli a renvoyé souvent les enfants à la réflexion pour qu’ils trouvent d’abord par eux-mêmes des éléments de réponse. Il y a eu, au cours de cette rencontre, une belle interactivité. Xavier Emmanuelli a également beaucoup insisté pour renverser ou expliquer certains aprioris négatifs qui peuvent exister sur les sans-papiers.

    La rencontre qui a concerné cinquante-cinq enfants a duré une heure trente. Elle fut très riche et il s’est dégagé de ces deux personnalités invités une belle complémentarité et une grande envie de transmettre et de faire réfléchir sur ce sujet sensible. De l’avis des organisateurs, ce fut « une grande leçon de raisonnement, de générosité et d’humanité, qui restera comme une des belles rencontres ayant eu lieu à la Médiathèque Marguerite Duras. »

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.Sophie Bordet-Pétillon est journaliste de formation, elle fut directrice du journal d’actualité pour les 10/14 ans, Mon quotidien, pendant plus de 10 ans. Elle conçoit des livres documentaires, des cahiers d’activité et des livres-jeux avec le souci de donner aux enfants et aux adolescents accès à l’information sur le monde et son fonctionnement.

Xavier Emmanuelli, médecin hospitalier, homme politique, est fondateur du SAMU social de la ville de Paris. Président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées de 1997 à 2015, il est co-fondateur de Médecins Sans Frontières. Parmi ses nombreux ouvrages : Les Enfants des rues (Odile Jacob, 2016)

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