Kveta Pacovska, une véritable artiste


        Elle est née à Prague en 1928 et elle travaille et vit en République Tchèque.

       Je l’imagine comme une ancienne princesse slave, fantasque, rebelle et créative, pleine de courage, prête à affronter la moindre critique sur son art avec un sens de la  répartie digne d’une artiste sûre de l’impact de ses images si colorées et si vivantes.

       Diplômée de l’Académie des Arts Appliqués de Prague.Kveta Pacovska peint, sculpte, conçoit des affiches et des illustrations

       Ses premiers livres pour enfants ont été conçus pour ses propres enfants, dès les années 50. Comme le font les jeunes enfants, Kveta Pacovska découpe, colle et recolle, peint, en rouge, toujours en rouge, un rouge qui, dit-elle, « met en valeur les autres couleurs ». Elle crée du « volume de papier ».

       Elle est toujours, malgré son âge, « l’artiste du livre pour enfants » et on a l’impression que le coût de fabrication et d’impression de ses livres est le moindre de ses soucis.

       Kveta Pacovska donne de nombreuses conférences, Elle répond toujours aux questions en anglais, avec une jolie voix, douce et enjouée, et elle n’hésite pas à déployer un livre accordéon, sur plusieurs mètres, en souriant.

 

      Un de ces derniers livres, L’invitation (Grandes Personnes, 2012), est une comptine illustrée, très illustrée, gaie, absurde et poétique. Sur la couverture, un rond blanc enferme des yeux noirs avec pupille, rouge, une bouche, rouge sang, des joues de toutes les couleurs, un nez carré, rouge, un menton, bleu. Le rond prend toute la place. C’est un cadeau, un vrai cadeau, emballé sur fond rouge, et le titre en dessous, en noir, écrit avec ses lettres à elle.

       J’ai rencontré Kveta Pacovska à Saint-Paul les Trois Châteaux et, en octobre 2013, à Moulins. Sur son histoire, sa vie, son œuvre, je reste discrète et pudique. Je ne veux m’intéresser qu’aux livres.

      Et j’ai envie de prendre du papier, rouge, de le découper, de le coller, sur un fond noir, d’y faire un trou, de tout recoller à nouveau et de trouver que, recollé, c’est plus beau, plus poétique. J’ai envie de peindre des triangles, comme des poules en papier jaune, et des ronds, comme des trous de serrures où l’on peut regarder. La petite fille a qui je donnerai ma feuille va tout casser et ce sera encore plus beau parce qu’elle aura écrasé son bonbon vert dessus. Moi, qui suis graphiste, je faisais cela, avant. De nombreux artistes, illustres, l’ont fait aussi. D’autres, beaucoup d’autres, célèbres pendant leur vie ou après leur mort, ont gravé leur souffrance dans leur chair comme sur leurs œuvres.

       « A quoi servent les écrits : à dire ce que l’on voit ou ce que l’on ressent et accoucher de sa souffrance intérieure. A quoi servent les images : peut-être à rêver en pleine lumière saturé de couleurs arc-en-ciel. » (Kveta, encore et toujours)

       Alphabet, livre énorme, est un chef d’œuvre (Seuil jeunesse, 1996). Un A comme « Amour », avec des lèvres rouges, des ronds, deux personnages clowns, qui dansent avec grâce, des larmes, de vraies lettres comme on apprenait à dessiner dans les écoles d’Arts Appliqués avant l’ordinateur. Et la finesse, l’écriture à la plume de colibri, la saturation de l’œil qui regarde les couleurs complémentaires s’affronter dans un jeu de rôles. Regarder, ressentir, s’approprier la couleur, détruire le temps.

       Avec Kveta Pacovska, on vit une aventure colorée, démystifiée et folle comme une course sur une plage – rouge, la plage -, quand on a cinq ans, avec le soleil en face. On revit dans un pré vert et rempli de coquelicots écarlates que l’on cueille et qui meurent parce que leur place est dans le vert du pré et non dans un vase froid.

       Kveta réchauffe le sang des enfants et des adultes avec son âme, des outils et de la couleur. Ses livres sont souvent réédités et ils ont leur place dans le rayon des livres d’art.

      Je m’interdis de parler technique même si, sans elle (et sans les éditeurs), sans stylo, papier, couleurs, outils, ordinateurs, l’illustrateur ne peut rien offrir, ni aux enfants ni aux adultes. Sans sueur, sans dessiner encore et encore, il ne peut pas exprimer ses désirs, ses pensées, sa vision ou ses fantasmes.

      Un livre va être réédité, un autre mis en scène par des gens de théâtre. Pierre et le loup (Minedition, 2013) va paraitre bientôt et nous attendons le livre avec impatience.

       Kveta Pacovska, je vous dit merci…

   (octobre 2013)

Après un BTS et des études d’arts appliqués, Josiane Reumaux enseigne un an puis  devient graphiste et illustratrice, travaillant notamment à l’agence de publicité de La Marseillaise, à l’Agence Havas, à l’agence Eurosud, dans une agence de publicité de Gap. Elle sera un temps responsable d’un journal féminin, d’un journal gratuit et des pages régionales du magazine Marie Claire. « Actuellement, je m’occupe au sein du CRILJ des Bouches du Rhône de la tenue du site internet et participe aux actions littéraires de l’association en direction de la jeunesse et dans les maisons de retraite. » Josiane Reumaux est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier)


Elzbieta : pas de pacotille pour les enfants


  Le Festival des Illustrateurs de Moulins 2013 a été l’occasion pour de nombreux professionnels (ou néophytes) de bénéficier d’échanges enrichissants. A l’heure où la production éditoriale jeunesse est foisonnante et où il est parfois difficile de se repérer dans une offre pléthorique, l’occasion de croiser des grands noms de l’illustration contemporaine permet de remettre en perspective la richesse et la diversité de cette littérature encore trop ignorée ou minorée.

     Albertine, André François, Emmanuelle Houdart, Sara, Roberto Innocenti et plusieurs autres… Autant d’illustrateurs aux techniques picturales et aux univers opposés, mais finalement, à les entendre, unis par une même volonté : la littérature de jeunesse, saisie au travers de l’illustration comme point focal d’une représentation du monde mise à la portée de l’enfant et de l’adulte. Un travail de médiation donc, au travers de l’art, mais plus que ça : la littérature de jeunesse comme (pour reprendre le terme de Stendhal) : « un miroir que l’on promène le long du chemin. »

     Sous cet éclairage, le travail d’illustratrice d’Elzbieta prend tout son sens. Au cours d’une table ronde réunissiant Lionel Koechlin et Albertine, Elzbieta s’est volontiers prêtée au jeu. Rencontre avec une illustratrice qui, malgré plus de trente ans de carrière, a conservé un regard d’enfant.

 . Comment « penser par les yeux »

     Née en Pologne d’une mère française et d’un père polonais, Elzbieta vit et travaille à Paris. Cette personnalité discrète aux talents multiples a accepté d’ouvrir la table ronde, en expliquant pourquoi le cirque – thème phare du festival de Moulins -, était un élément récurrent dans ses albums.

     Elzbieta n’est jamais rentrée dans un cirque, mais là n’est pas la question fondamentale. La seule contemplation de l’extérieur du convoi des roulottes ou du chapiteau suscitait déjà en elle une foultitude d’images et décuplait son imaginaire. Elle évoque une réelle fascination pour le décorum en lui-même, qui l’amenait enfant à se projeter par l’imaginaire dans cet univers coloré, grouillant de vie. Le cirque, c’était pour elle l’évocation du voyage, de l’aventure mais également… De la sécurité de la maison (1). Deux éléments a priori totalement antinomiques, mais que le cirque conjugue avec brio. Deux éléments fascinants mais également primordiales pour l’enfant.

 

    Par ailleurs, le cirque évoque également pour Elzbieta un monde suranné, coloré, pétri d’excès et contre réaliste : le cirque comme caricature du monde, ou comme source inépuisable d’inspiration pour l’illustratrice qu’elle est devenue, c’est un ancrage dans l’imaginaire de l’enfant, une manière de « penser par les yeux » en l’érigeant réceptacle des émotions.

 . Une artiste aux multiples facettes

    En trente ans de carrière, plus d’une cinquantaine d’albums d’Elzbieta ont été publiés, essentiellement à L’École des Loisirs et aux Éditions du Rouergue. Tous témoignent de nombreuses techniques picturales aux styles très différents: aérien, coloré, épuré, foisonnant… Ces illustrations s’accompagnent souvent d’un texte minimaliste, mais intense.

     Mais, aussi différentes soient l’ensemble des illustrations issues de l’imaginaire d’Elzbieta, et qu’elle qu’ait été la technique employée, elles ont toutes en commun la délicatesse du trait et reflètent chacune une émotion intense et poignante, si bien qu’elles pourraient parfois se suffire à elles-mêmes.

     Pourtant, l’ambition première d’Elzbieta n’a jamais été de devenir une artiste dédiée à la jeunesse : elle souhaitait même consacrer ses œuvres aux adultes. Néanmoins, quel que soit le public auquel ses illustrations sont destinées, le cheminement de l’œuvre, de sa conception à la réalisation, reste le même. L’artiste évoque la spontanéité dans la création, qui prime sur tout, mais également la nécessité de trouver le geste « juste » avant validation de l’œuvre.

     Le déclic artistique concernant la littérature de jeunesse serait venu d’un journal intime, dans lequel Elzbieta consignait ses sentiments personnels sous forme de dessins. Cette création très épurée, que l’on retrouve de façon magistrale dans l’album Petit Mops (créé en 1972 et paru en France en 2009 aux éditions du Rouergue) est une manière naturelle pour elle d’atteindre son objectif, d’autant plus qu’elle s’est rapidement rendue compte que, dès deux ans, les enfants étaient réceptifs à ces dessins minimalistes en noir et blanc.

     Petit Mops, au fond, c’est un peu le prolongement d’Elzbieta version papier : un être en enfance, qui ne parle pas et garde une posture tour à tour défiante et confondante de naïveté où se décèlent à la fois son autonomie relative et une volonté de donner un sens au monde qui l’entoure et qu’il découvre, où il peut se rêver astronaute, voire décrochant la lune.

 . Elzbieta et l’enfance : « ce pays que l’on s’empresse d’oublier trop vite »

     Que l’on ne s’y trompe pas : bien qu’Elzbieta soit avant tout une grande artiste plasticienne, elle est également un auteur de talent, qui considère que le livre est avant tout le lieu de l’écrit et qui pour cette raison, apporte beaucoup de soin à l’élaboration de ses textes. Pour ce, Elzbieta ne choisit pas la facilité : elle n’hésite d’ailleurs pas à y aborder des sujets tels que la mort (Petit lapin Hoplà, Pastel, 2001), la pauvreté dans Petit-Gris (Pastel, 1995), la guerre dans Flon-Flon et Musette (Pastel, 1993), album couronné par le prix Sorcières en 1994, mais également l’abandon avec L’Ecuyère (Le Rouergue, 2011). 

   

    Cette gravité dans le sujet et la manière de l’aborder, Elzbieta le revendique avec force. Chantre de la petite enfance, l’illustratrice proclame la nécessité de ne pas offrir de « la pacotille » aux enfants. Se mettre à leur portée sans les enfermer dans une bulle aseptisée, avec pudeur mais sans mièvrerie ou sans condescendance,  telle est la mission de l’auteur, car l’enfant reste avant tout un être pensant qui enregistre des bribes du monde adultes pour se les réapproprier d’une façon singulière (2). En témoigne ainsi une anecdote personnelle qui a marqué Elzbieta : au cours d’une réunion de famille fut évoqué par les adultes le décès d’une lointaine tante. Les enfants ayant surpris la conversation, se réapproprièrent alors l’information, en « jouant à l’enterrement de la tante X ». Et tous de former une lugubre procession funèbre émaillée de gémissements et de lamentations…

     La gravité dans l’album est donc une nécessité. Elle répond à une attente des enfants. Mais ne nous y méprenons pas, il ne s’agit pas là d’univers noirs et désespérants propres à susciter l’angoisse chez les enfants : l’humour est toujours présent en filigrane, et les albums se terminent toujours par une note positive. Car pour Elzbieta, si personne n’est en mesure de prédire à un enfant ce qui l’attend, on peut en revanche essayer de lui insuffler espoir et confiance et on peut lui faire pressentir l’existence de ses ressources intérieures. Et c’est bien là l’essentiel.

     Elzbieta travaille actuellement sur un recueil de contes traditionnels à destination des enfants. Affaire à suivre.

 (octobre 2013)

   

(1) Les thèmes de l’exil et du nomadisme sont récurrents dans l’œuvre d’Elzbieta. Ainsi, dans un entretien accordé au Monde, elle explique : « L’exil est aussi, en nombre d’œuvres, une source cachée, une image dont le dessin demeure secret. Ainsi, même lorsqu’ils ne parlent pas directement ou explicitement de l’exil, beaucoup de livres trouvent en lui leurs origines et ne peuvent se comprendre qu’à partir de la séparation, brutale ou non, rêvée ou vécue par leur auteur. »

 (2) Elzbieta est fascinante en ce qu’elle défend toute forme de censure aux enfants, tant dans l’oralité que dans l’écrit. Ainsi, dans une interview accordée au Monde, elle écrit : « Il n’est pas de style élégant ou vulgaire pour l’enfant, alors que l’on prône souvent une censure pour éviter qu’il n’accède, puis s’adonne avec prédilection, à des expressions jugées vulgaires. Est-ce bien utile ? L’enfant a la capacité de faire feu de tout bois. »

 

Née en 1986, Sonya Beyron, après une préparation de deux ans à l’école des Chartes en vue de devenir conservateur de patrimoine, intègre l’université d’Angers où elle obtient une licence option Patrimoine écrit, archives et bibliothèque. Elle obient en 2009 un master professionnel avec un mémoire titré Histoire et métiers des archives et des bibliothèques. Elle est actuellement  directrice de la médiathèque d’Auterive (Haute-Garonne). Adhérente du CRILJ depuis deux ans, Sonya Beyron est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier).

 

 

Emmanuelle Houdart habille et déshabille

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Texte écrit après une rencontre avec Emmanuelle Houdart, à l’occasion du deuxième Festival des illustrateurs de Moulins de septembre-octobre 2013.

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      Se sentir enfermé, supporter le poids du malheur, c’est porter des griffes sur les épaules. Avoir l’envie de s’évader, ce sont les oiseaux sur les robes des sœurs siamoises. Gagner sa vie pour l’artiste, c’est partir à la chasse, muni de flèches. Déclarer son amour c’est arracher son cœur et l’offrir à son amoureux… Autant de symboles qu’Emmanuelle Houdart illustre au premier degré et qui habillent ses personnages.

     Je rencontre pour la première fois l’illustratrice, nous sommes au Centre national du costume de scène à Moulins. « S’habiller, c’est comment être perçue des autres. »

     Les personnages d’Emmanuelle Houdart démesurément chargés « en dehors » , autour de la taille, sur la chevelure, autour des jambes sont ainsi vêtus de leur peur, leur désir, leur passé, leur rêve. Mais aussi chargés « en dedans », car les accessoires à outrance jamais gratuits, et les bagages encombrants, n’enlèvent rien à la place du corps. Bien au contraire : comme un habit qui révèle, embellit, encombre, ou camoufle, Emmanuelle Houdart dévoile le personnage dans ce qu’il a de plus intime. Son intérieur est visible : il bat, le sang circule. L’illustratrice dessine tout ce qui fourmille dans le corps, ce qui vibre, ce qui grouille, ce qui le constitue, parfois malgré lui. Le corps habille. L’être vit. Il est révélé au plus profond de lui-même, au point d’en extraire souvent quelques organes – les poumons, le cœur. Emmanuelle Houdard s’attache aux contradictions : ainsi largement vêtus, les personnages sont mis à nu. La sincérité déclenche alors une émotion pour le lecteur.

     Emmanuelle Houdart exprime la complexité de l’être, et pousse l’étrangeté jusqu’à l’extrême en créant des personnages difformes comme dans Saltimbanques : le colosse, les sœurs siamoises, la femme à barbe…

 

     Des livres pour les enfants, bien sûr, (sauf Garde Robe, qui a été l’occasion pour elle de ne pas perdre sa liberté, de ne se donner aucune contrainte), justement parce qu’ils attirent, fascinent, qu’ils peuvent être lus et relus sans ennui, même les tout-petits ont un attrait déroutant et inépuisable pour l’album Tout va bien Merlin. Les grands yeux, les expressions franches, les couleurs vives, les attitudes précises… C’est cette justesse, me semble-t-il, qui captive les enfants, car les livres d’Emmanuelle Houdart permettent de mettre des mots sur des émotions, de ne pas utiliser un langage ou des images que l’on réserverait aux enfants, d’accepter des contradictions, des colères, de comprendre des peurs, de dépasser des faiblesses. « Sortir la menace devant soi, pour ne pas la garder en soi, mystérieuse. »

     Les personnages d’Emmanuelle Houdart invite à la complexité. Quoi de mieux pour susciter le désir de l’enfant ?

     Comme à chaque rencontre avec les enfants, elle se déplace avec la petite fée de l’album Les voyages merveilleux de Lilou la fée, elle-même chargée de plusieurs accessoires : trois baguettes magiques (l’une qui réalise les rêves, l’autre qui efface les chagrins, la dernière qui change le président de la République), des poumons, une pierre précieuse… Des petits objets essentiels pour la fée, rassurants sans doute, qui facilitent les échanges. La préciosité de ces accessoires coïncide avec l’exigence du travail de l’illustratrice, et sa générosité.

     Emmanuelle Houdart consacre une année de travail à chaque album. Elle y construit des symboles personnels, ce qui lui importe c’est qu’il y ait une émotion. « Le lecteur doit se débrouiller, chacun a ses clés. » Elle traite de préoccupations personnelles. Le dernier sujet abordé est L’argent, créé avec Marie Desplechin, sorti très récemment aux éditions Thierry Magnier.

 

     L’engagement d’Emmanuelle Houdart donne une force aux images, mais elles sont toujours proposées, jamais imposées. Le lecteur a le choix de comprendre ce qu’il veut ou ce qu’il est en mesure de comprendre, de faire ainsi un pas de plus vers lui-même ou de ne pas se laisser déranger, bousculer. « Ce que certains perçoivent comme une menace est une délivrance pour moi. »

     Le travail d’Emmanuelle Houdart est ainsi nourri et bâti sur des contradictions : profusion des dessins avec un seul outil : le feutre. « J’aime l’unicité. » Elle  s’acharne sur cet unique matériau, elle le connaît par cœur, l’utilise jusqu’à épuisement, comme elle décortique les personnages, creuse leur chair. Une contradiction encore : des personnages souvent figés, très soignés, ancrés dans la page, silencieux peut-être, et pourtant qui suggèrent le voyage, invitent à l’exploration (de soi, du monde), et qui interrogent la liberté. « Mes personnages sont des cartes. »

 

     La phrase de conclusion ne m’appartient pas. Une jeune étudiante venue rencontrer Emmanuelle Houdart a très simplement formulé : « Vous dites ce que les gens n’arrivent pas à dire. »

 (octobre 2012)          

 

Après des études de lettres modernes, Audrey Gaillard travaille en librairie, puis se tourne vers l’animation. Elle est, depuis 2011, chargée de mission de l’association Val de Lire à Beaugency (Loiret) dont elle coordonne les actions : lecture à haute voix pour tous publics, des bébés aux résidents de maison de retraite, organisation de l’annuel Salon du Livre Jeunesse de Beaugency. Jeune adhérente du CRILJ, Audrey Gaillard est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier)

 

 

 

Roberto Innocenti et ses histoires extraordinaires

   Jusqu’au 12 janvier 2014, le Festival des illustrateurs étant terminé, d’autres chanceux pourront admirer au musée de l’iIlustration jeunesse (mij) de Moulins près de 180 originaux de Roberto Innocenti, extraits de ses albums les plus connus : Cendrillon, La petite fille en rouge, Pinocchio, Rose Blanche, L’étoile d’Erika, L’auberge de Nulle Part – un parcours de visite, conçu aussi pour les enfants par le biais de jeux et de panneaux explicatifs, et qui permet à tout visiteur de découvrir l’univers de cet illustrateur et d’analyser son œuvre.

      Cette rétrospective permet de découvrir et de plonger dans neuf albums, à travers les 180 originaux présentés. Malheureusement, les plus vieilles planches ont été emportées lors de l’inondation de la maison de l’illustraeur.

     L’ensemble de l’exposition met en exergue, dans son style graphique,  l’influence de la peinture flamande de la Renaissance, notamment à travers le peintre Peter Brueghel, le souci  du détail, la finesse du trait et la recherche du figuratif. Mais elle n’écarte pas non plus l’influence du cinéma et de la photographie.

     Cette rétrospective montre également que l’on peut aborder les sujets les plus graves avec les enfants par le dessin, mais que l’on peut s’amuser aussi avec les contes traditionnels, en les contextualisant, pour, paradoxalement, leur rendre toute leur universalité.

 

 L’AUBERGE DE NULLE PART 

auteurs : J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti, Gallimard,

     Un illustrateur, qui n’est autre que Roberto Innocenti, part à la recherche de son imagination perdue et se retrouve devant une étrange auberge battue par les flots. Les clients ont tous quelque chose de particulier, mais, en même temps, un air qui nous est familier : marin à jambe de bois, chevalier à la triste figure, sirène cachant sous ses dentelles une queue de poisson… Il s’agit bien sûr de quelques-uns des plus célèbres héros littéraires de notre enfance, et tous semblent en quête d’une partie d’eux-mêmes.  (quatrième de couverture)

     Cet album questionne en fait les mystères de la création artistique et le désarroi d’un peintre en quête d’inspiration, Roberto Innocenti lui-même, n’hésitant pas à se mettre en scène au début de l’histoire. Les références littéraires, artistiques et cinématographiques, qui constituent notre patrimoine commun, sont nombreuses : La Petite Sirène, Moby Dick, Don Quichotte entre autres, pour la partie littéraire. Il convoque Hokusaï pour la peinture mais, si vous regardez bien, vous découvrirez aussi un détail d’un tableau de Brueghel dans le tableau accroché dans la bibliothèque de l’auberge. On y retrouve aussi l’acteur Peter Lorre qui a joué dans plusieurs films aux USA dont Vingt Mille Lieux sous les mers. Sur le plan artistique, Roberto Innocenti utilise d’ailleurs tous les procédés cinématographiques, multipliant plans et cadrages, diversifiant les points de vue … pour rendre le lecteur témoin de ce qui se joue dans l’auberge.

 LA MAISON

auteur : J. Patrick Lewis et Roberto Innocenti, Gallimard jeunesse, 2010

     Au-dessus de ma porte est gravé 1656, une année de peste, l’année de ma construction. Je fus bâtie de pierre et de bois mais, au fil du temps, mes fenêtres se sont mises à voir et mon toit à entendre. J’ai vu des familles grandir, j’ai vu tomber des arbres. J’ai entendu des rires et le son du canon. J’ai connu  des tempêtes, des marteaux et des scies et enfin l’abandon. (première page)

     Voici l’histoire d’une maison dans la campagne italienne qui nous raconte sa vie et celle de ses habitants tout au long du XXème siècle. Les vieilles maisons ont une âme, on le sait bien, et c’est, sous la forme de quatrains, que celle-ci nous dévoile ses souvenirs et ses sentiments. Elle assiste, impuissante, aux grands évènements de ce siècle : la montée du fascisme, les deux guerres, l’exode rural, le mouvement hippie.Cet album a incontestablement dû représenter un travail énorme de documentation et de reconstitution historique, tant les illustrations fourmillent de détails. Chacune d’elles nous raconte sa propre histoire et leur succession nous révèle, à travers l’évolution de la maison, l’évolution de la société. La mise en page est toujours la même : une petite illustration encadrée et datée en vis-à-vis d’un quatrain précède une illustration en double-pleine page. Celle-ci vise à développer et illustrer minutieusement l’évènement qui était annoncé en page précédente.

    Enfant, Roberto Innocenti a été profondément marqué par la guerre et le fascisme. Illustrateur engagé, il milite contre l’oubli. Rose Blanche et L’Etoile d’Erika abordent les thèmes de la Shoah et de l’enfance dans la guerre.

 ROSE BLANCHE

 auteurs : Christophe Gallaz et Roberto Innocenti,  Les 400 coups, 1985.

     Rose Blanche habite une petite ville d’Allemagne avec des rues étroites, des fontaines, des maisons hautes et des pigeons. Un jour, des camions chargés de militaires envahissent les rues. Rose ne comprend pas ce qui se passe. Elle ne veut pas que des gens souffrent. Cette belle innocence lui coûtera la vie. L’histoire de Rose Blanche tissée dans les trames de l’holocauste se situe quelque part en Allemagne, vraisemblablement à la frontière polonaise. Roberto Innocenti a été le premier, au milieu des années 80, à aborder la question de l’Holocauste en montrant un camp de concentration dans un album pour la jeunesse. L’histoire est racontée du point de vue d’une fillette allemande, pas encore assez âgée pour comprendre pleinement les événements qui l’entourent dans cette période trouble de guerre. Pour écrire cet ouvrage, Innocenti s’est inspiré d’un souvenir d’enfance : l’arrivée dans sa maison familiale  de deux soldats de 15 ans qui ne voulaient plus faire la guerre. C’est aussi un hommage au mouvement étudiant de résistance allemande « . Rose Blanche  » La publication de l’ouvrage Rose Blanche s’est avérée difficile. Suite à de nombreux refus de la part des éditeurs italiens, il le présente à des éditeurs étrangers – par l’entremise d’Etienne Delessert – qui acceptent de l’éditer.

 

L’ETOILE D’ERIKA                                      

auteur : Ruth Vander Zee,Milan, 2003.

     Ruth Vander Zee, l’auteur de L’étoile d’Erika, relate les événements qui ont bouleversé les premiers mois de la vie d’Erika qu’elle a rencontrée par hasard en 1995. Erika ne sait rien de ses premières années de vie. Elle sait juste qu’elle est rescapée de l’Holocauste grâce au courage inouïe de sa mère, qui, sentant qu’ils ne reviendraient pas vivants, profite d’un ralentissement de train pour la jeter du wagon. Elle sera recueillie par une famille allemande aimante.

     Pour ces deux albums, les évènements tragiques sont simplement suggérés. Dans le deuxième album, les personnages sont toujours montrés de dos. Roberto Innocenti traduit l’atmosphère du récit, en sélectionnant des couleurs sombres et ternes. Seules quelques touches de couleurs plus vives en début et fin d’ouvrage peuvent suggérer l’espoir, le bonheur.  Même si l’édition de L’Etoile d’Erika fut moins laborieuse que celle de Rose Blanche, plusieurs éditions différentes de l’illustration de 1ère de couverture furent nécessaires pour ne heurter aucune sensibilité : présence ou pas de l’étoile de David par exemple.

      Roberto Innocenti a également illustré plusieurs contes traditionnels en restant fidèle aux textes d’origine. Par des recherches documentaires précises, il a su reconstituer le mobilier, les costumes, l’architecture et les paysages des lieux dans lesquels se déroulaient les histoires.

 LES AVENTURES DE PINOCCHIO

auteur : Carlo Collodi, Gallimard, 2005.

    Roberto Innocenti situe son Pinocchio dans l’Italie du 19ème siècle, à Florence, sa ville natale et celle de Carlo Collodi  (1826-1890), l’auteur des aventures du célèbre pantin de bois. Bien que très fidèle au texte, il en  renouvelle l’approche en accentuant le réalisme des décors et du village dans lequel Collodi avait situé les aventures de son héros. Il introduit dans son illustration un décalage visuel entre le pantin, personnage fictif et les personnages de chair et met ainsi en évidence la critique sociale que Collodi souhaitait mêler à la fantaisie du récit.

    

 UN CHANT DE NOËL

auteur : Charles Dickens, Gallimard, 1991.

     Au même titre que Roberto Innocenti, Charles Dickens était un écrivain engagé qui n’avait de cesse de dénoncer la misère sociale et humaine, dont il avait été victime enfant. Roberto Innocenti a très bien retranscrit cette atmosphère de Noël : les illustrations de scènes de rues où les personnages sont saisis dans leurs occupations quotidiennes, trouvent, sans conteste, leur inspiration  dans les œuvres de Brueghel l’Ancien. L’album est malheureusement totalement indisponible.

 

CASSE-NOISETTE ET LE ROI DES RATS

auteur : Hoffmann, Gallimard; 1996

     Le soir de Noël, Marie s’endort, entourée de ses cadeaux. Elle a couché Casse-Noisette, le pantin de bois, dans un lit de poupée. Mais, lorsque l’horloge sonne le douzième coup de minuit, les jouets s’animent ! Casse-Noisette se prépare à affronter le terrible Roi des Rats pour sauver une princesse victime d’une affreuse malédiction. Marie, qui assiste au combat, se retrouve entraînée dans une aventure fantastique et périlleuse. La grande réussite de l’illustrationde Roberto Innocenti tient dans sa capacité à soutenir l’étrangeté du récit par un jeu permanent de changements d’échelle et de points de vue et par le travail minutieux de lumière et de composition de l’image.

     

     Comme il a coutume de le dire, Roberto Innocenti a aussi envie de s’amuser avec les textes patrimoniaux et c’est ainsi qu’il a « recontextualisé » d’autres contes comme Le Petit Chaperon Rouge et Cendrillon.

CENDRILLON

auteur : Charles Perrault, Grasset, 1990.

     Roberto Innocenti réinterprète le conte de Perrault en le situant dans un village anglais des années 20 : il intègre ainsi des monuments londoniens et fait des clins d’oeil à plusieurs personnalités de la couronne britannique, la reine Victoria et le Prince Charles notamment. En usant de procédés cinématographiques, il multiplie les effets de plongée et de contre plongée et insère même une photographie noir et blanc pour la scène de mariage.

LA PETITE FILLE EN ROUGE

auteur : Aaron Frisch, Gallimard, 2013

     Sophia réside près d’une forêt de béton et de briques : une ville moderne. Pour aller chez sa grand-mère, elle doit traverser le Bois, un endroit magique qui se trouve être un immense centre commercial. Etourdie par cet univers, elle se perd. Un chasseur souriant se présente à elle sur une moto noire. Elle lui parle de sa grand-mère mais, sur la voie rapide, il la quitte subitement pour arriver le premier chez la grand-mère. A vous d’imaginer la suite… L’auteur propose deux fins, telles des rappels des versions de Perrault et des Frères Grimm : l’une dramatique, avec la disparition de la grand-mère et de l’enfant et l’autre, plus heureuse, avec l’arrivée à temps de la police qui arrête « le méchant » Il y a une complémentarité parfaite entre le texte court et le foisonnement de détails de l’illustration, montrant la dangerosité de cet environnement urbain. Il dénonce l’agressivité de la société moderne (tags, circulation intense, surabondance des panneaux publicitaires aux couleurs trop vives).  Il va même plus loin en caricaturant Silvio Berlusconi sur une affiche électorale.

     Du très grand art, Monsieur Innocenti ! Merci de croire que le livre peut sortir les enfants de leur posture de « spectateurs passifs ».

 (octobre 2013)

Enseignante pendant de longues années, Martine Abadia fut responsable et animatrice de la Salle du Livre du Centre d’animation et de documentation pédagogique (CADP) de Rieux-Volvestre, centre de ressources littérature jeunesse et lieu d’accueil de classes lecture, ouvert en partenariat par le Conseil Général et l’Inspection Académique de la Haute-Garonne. « Je profite de mon nouveau statut de retraitée pour approfondir au CRILJ Midi-Pyrénées ma connaissance de la littérature de jeunesse et pour faire partager ma passion aux médiateurs du livre du  département. » Marine Abadia est l’actuelle présidente de la section

Choses vues et entendues au Festival des illustrateurs de Moulins

 

 . 27 septembre, 9 heures

     Temps beau et chaud. Le soleil donne de l’éclat aux vieilles pierres de la ville. Des petits groupes se pressent : ils convergent vers le Colisée où se tiennent les Journées professionnelles du deuxième Festival des illustrateurs de Moulins. Sous le chapiteau blanc, l’accueil chaleureux de Nicole Maymat, présidente de l’association Les Malcoiffés.

 

 .  Une journée en guise de mille-feuilles

     Des tables rondes et des entretiens, encore des tables rondes et encore des entretiens… C’est ainsi que se succèdent tout au long de la journée des illustrateurs d’une qualité rare. Nous découvrirons qu’un fil rouge les unit : le thème du cirque.

 . Ailleurs…

     Ils sont souvent venus d’ailleurs, tous ces illustrateurs. Ils arrivent avec leur bel accent. Ils apportent avec eux des images du pays de leur enfance : Roberto Innocenti de sa Toscane  éternelle, Albertine de son canton suisse, Elzbieta de sa Pologne, Kvĕta Pacoska de Tchéquie et Lorenzo Mattotti, lui aussi, d’Italie.

     Ils sont souvent venus d’ailleurs, aussi, tous ces festivaliers qui sillonnent la ville. Des quatre coins de France et de bien au-delà. Une commerçante me dit : « Ces visages étrangers, ici, à Moulins, moi, je les reconnais de suite. Ils mettent dans les rues une effervescence qui me fait du bien. »

 . 28 septembre : 9 expositions à découvrir

     On nous a tellement mis l’eau à la bouche, la veille, que tous nous n’avons qu’une priorité : tout voir, surtout ne rien manquer. Heureusement c’est tout près ! Alors on court d’un lieu d’exposition à l’autre, on se croise, on se reconnaît, on sympathise.

     Mutine, l’illustratrice Albertine quitte parfois la Galerie des Bourbons où elle expose pour s’échapper. On la cherche. On l’aperçoit, spectatrice intéressée, chez Sara, chez Roberto Innocenti, chez Lorenzo Mattotti… Mais quand elle réintègre enfin sa galerie, quelle joie !

 . Albertine disparue, Albertine retrouvée

     Elle nous accueille comme elle le ferait chez elle, patiente, chaleureuse : « Mais je vous en prie, asseyez-vous. » Elle déplie un « leporello » (livre accordéon) pour en expliquer la fabrication , elle loue son Rotring (ou crayon d’architecte) qui lui sert à faire des dessins d’une grande finesse et d’une grande légèreté, elle parle technique mais pas trop. Elle semble surtout sensible à l’autre qui s’intéresse à son art.

     Nous sommes séduits par ses dessins poétiques, cet univers bien à elle que l’on retrouve « En ville », « A la montagne », « A la mer », chez le « Grand couturier Raphaël ».

    Nous aimons déjà Marta, sa belle vache orange, son personnage intrépide et généreux : Marta et la bicyclette, Le retour de Marta…

     C’est une belle rencontre.

 

 . Sara à la cathédrale

     Je m’imprègne de sa belle exposition. Sur un panneau je lis ce texte où elle justifie l’emploi des papiers déchirés : « J’utilise cette technique parce qu’elle me permet de faire passer émotions et sensations de manière immédiate. Ce que voit le lecteur ou le spectateur ce sont des silhouettes. Son attention est requise. Il doit prendre le risque de penser sur ces images.  Ce que je mets en scène c’est un théâtre d’ombres dans lequel le spectateur est aussi auteur. Il est auteur de son regard. Il doit écouter ses sensations, ses états d’âme, ses émotions pour entrer dans ces albums sans texte. La déchirure est la faille par laquelle se précipite tout ce qui dans notre être aspire à dire quelque chose d’inexprimé. »

     Une dame âgée, un peu sèche, entre alors dans l’église. Elle s’indigne : « Pourquoi  tous ces tableaux dans la maison de Dieu ? Pourquoi ces noirs, pourquoi ces rouges ? Ce sont les couleurs du diable. »

 . Elzbieta

     Dans ce lieu improbable qu’est Le Goût des autres, à la fois salon de thé, librairie, galerie d’art et boutique, sont accrochées aux murs les planches de L’Ecuyère, le dernier album d’Elzbieta, petits pastels légers et délicats qui racontent les souffrances de l’abandon et de la solitude et qui pourtant ouvrent sur des éclaircies.

     Un peu à l’écart se tient l’auteur, discrète mais accueillante. Je lui demande une dédicace, je lui dis combien j’ai apprécié ses propos sur l’enfance, hier : « Les enfants aiment qu’on leur parle de sujets importants et non de pacotille  » Ou encore : « Les jeunes enfants arrivent très bien à remplir les images abstraites. Un trait horizontal et pour eux c’est la mer… Le fonctionnement mental de l’enfant est proche de celui des artistes. »

     Dans son ouvrage L’Enfance de l’art (Le Rouergue, 2006), on lit : « L’enfant et l’artiste habitent le même pays  : un lieu de transformations et de métamorphoses. »

 . Le musée de l’illustration jeunesse

     Comme on aurait bien aimé s’y attarder dans ce musée de l’illustration jeunesse (mij), A la fois centre de documentation et d’exposition permanente, atelier, salle de lecture et de vidéo, c’est un lieu de référence qui permet de découvrir l’histoire de l’illustration dans le livre jeunesse, celle de ses techniques, de ses matériaux, et de ses meilleurs artistes. C’est également un lieu d’exposition temporaire.

     Aujourd’hui, à l’étage, Roberto Innocenti y est à l’honneur avec ses planches de La Maison, de Pinocchio, de La Petite fille en rouge ou de l’Auberge de nulle part pour ne citer qu’elles. J’y rencontre Albertine. Nous sommes impressionnées par cette œuvre colossale, réaliste ou imaginaire, caractérisée par un extraordinaire souci de la mise en scène, du détail et de la précision. Une œuvre émouvante aussi où se mêlent mémoire des lieux, mémoire des groupes, mémoire des individus.

     C’est encore au mij que, chaque année, est décerné le Grand prix de l’illustration. Ce samedi, c’est à May Angeli que revient le Prix 2013 pour son ouvrage Des oiseaux réalisé sur des textes de Buffon et publié chez Thierry Magnier

 

   . Kvĕta Pacovska à l’Hôtel de ville

     Qui dirait que cette petite silhouette cache une aussi grande artiste ? Qui penserait que cette femme, plus toute jeune, qui a commencé à dessiner pour et avec ses enfants, en 1959, est capable de telles audaces, d’une telle inventivité, d’un tel humour ?

     A Moulins, l’avant-garde, c’est elle. Ses couleurs claquent, son rouge surtout. Ses personnages ont souvent des formes singulières. Ses livres se déploient (parfois sur 10 mètres), deviennent sculptures, espaces à explorer et par la vue et par la voix et par le toucher.

     Cette plasticienne qui peint, réalise des affiches, travaille le papier, le bois, l’acier et dont les œuvres sont exposées dans le monde entier, est aussi une militante. Pour elle, elle l’a dit hier, l’art contemporain doit être proposé aux enfants très tôt pour qu’ils se familiarisent avec les formes, les matières, les couleurs. C’est alors une chance pour que cela survive en eux une fois qu’ils seront devenus adultes.

 . A l’Hôtel du Département

     Un seul lieu pour cinq artistes aux univers tellement différents !

     On commence par André François dont Janine Kotwica a fait un vibrant éloge la veille, rappelant son immense carrière de décorateur, de sculpteur, de créateur d’affiches et, bien sûr, d’illustrateur de livres pour enfants. A la vue de ses dessins chacun sourit et pense aux jubilatoires Larmes de crocodile, et à la Lettre des Iles Baladar réalisé avec Jacques Prévert et que nous achèterons au mij.

     On poursuit par l’exposition de Lionel Koechlin que nous ne connaissions pas. Voilà un artiste qui a vraiment le cirque comme univers. Il a dit, lors de la table ronde d’hier, qu’il n’osait pas, dans ses œuvres, aborder la gravité. Mais ce qu’il voulait, au contraire, c’était « du jeu, du jeu, du jeu, » « Sous un chapiteau, avait-il ajouté, il y a l’essentiel de notre monde ; le cirque est un concentré de l’existence. »

     Nous aimons Colossal circus, ses planches légères, colorées, tout en mouvement. Et nous remarquons que les enfants les aiment aussi. Une petite fille, entrée à l’exposition en même temps que moi, voudrait toutes les emporter…

     Bien différent est l’univers de François Roca. Sans tabou, il aborde le thème de la différence, de la difformité à travers les « phénomènes de foire » : les hommes-troncs, les nains, les femmes à barbe. Ses peintures à l’huile, baignées de clair-obscur, créent un univers à la fois réel et imaginaire, « Je cherche, a-t-il dit, à croiser des faits historiques méconnus avec des évènements imaginés ». Le thème est grave et, faut-il l’avouer, nous ne sommes pas toujours à l’aise avec ces images pourtant splendides qu’il nous arrive de ne pas vouloir regarder. Les enfants, eux, parfois se détournent violemment. C’est une invitation au dialogue, une leçon de tolérance.

     Reste Lorenzo Mattotti qui a enchanté Janine Kotwica dans un entretien de trois heures et qui a subjugué la salle du Colisée par ses propos. On présente ici son Pinocchio de 1992, héros qu’il reprendra dix ans plus tard, d’abord dans un autre album, puis dans un film, à la demande du réalisateur Enzo d’Alo qui lui a confié les personnages et les décors. Ce film nous le verrons tout à l’heure à Cap cinéma où nous rejoindra l’illustrateur pour un débat intéressant sur les rapports entre illustrateur et réalisateur.

    Cet artiste italien, aux talents multiples, affirme ne pas aimer être présenté seulement comme un auteur  pour enfants. Mais lorsqu’il crée un album jeunesse, il est toujours soucieux de « trouver les mots, les codes, les signes pour leur parler ». Par exemple. « pour que ce personnage ne leur soit pas hermétique » il a cherché dans la tradition les différentes représentations qui en avaient été faites. Il n’avait pas l’idée de s’approcher des classiques, il n’osait pas. Il dit : « Je n’ai pas cherché Pinocchio, c’est lui qui m’a poursuivi pendant plusieurs années, toujours par hasard. »

     Les dessins, croquis, peintures qui nous sont proposés ici ne laissent pas indifférent.  Trait vigoureux, personnages souvent déformés, couleurs intenses et même parfois violentes. Pourtant les paysages peuvent être, eux, d’une grande douceur avec des collines, des villages accrochés à leur flanc, une belle lumière – la Toscane.

 . Dernières visites

     Il faudrait aller encore au Centre national du costume de scène (CNCS) voir l’exposition d’Emmanuelle Houdard, mais il est trop tard. Nous délaisserons Christian Lacroix pour les mêmes raisons.

     En revanche dans les locaux des Imprimeries réunies, autour et sur d’authentiques machines à imprimer, nous trouverons le temps d’admirer Joëlle Jolivet, ses minutieuses compositions à l’encre dans des planches remplies à l’extrême : c’est le bestiaire de Zoo logique, les jolis fatras de Presque tout , le travail patient et documenté des Costumes qui, par son jeu de rabats coquins, n’exclut pas l’humour.

 . Place d’Allier, le soir, avant un pique-nique au bord du fleuve

    A la Maison de la presse, je demande un journal local qui parle du festival. « Un festival ? A Moulins ? » La commerçante précise : « Nous, vous savez, nous sommes enfermés dans nos boutiques. »  Mais une cliente intervient : « Mais si ! Il y a un festival important ! Mais, dites, d’où venez-vous ? » Le buraliste : « D’Aix en Provence ! Et vous êtes venue jusqu’ici, à Moulins, pour ce festival ? Ça vaut vraiment le coup ? Ah, bien. alors, j’irai. »

     Et nous, peut-être, nous reviendrons !

 (octobre 2013)

 

De formation littéraire et classique, Josette Maldonado découvre la littérature de jeunesse en 1982 en préparant un Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB). Documentaliste dans l’Education nationale, passionnée par son métier, elle a initié de nombreux projets de lecture/écriture dans les établissements où elle a exercé, notamment en partenariat avec les écrivains Jacques Cassabois, René Escudié, Christian Poslaniec, Jean Joubert ; elle a mis en place des comités de lecture et  elle a, trois fois, permis à de jeunes élèves de participer au jury du Prix Roman Jeunesse. A la retraite depuis fin 2004, Josette Maldonado peut enfin se rendre disponible pour le CRILJ des Bouches du Rhône dont elle est adhèrente depuis près de 30 ans. Elle en est actuellement la secrétaire.

 

 

 

 

 

Jean Claverie à Moulins

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    Moulins était jusqu’alors pour moi l’adresse des éditions Ipomée. Les livres publiés par Nicole Maymat et Dominique Beaufils en avaient fait déjà depuis longtemps à mes yeux un haut lieu de l’édition artistique. La mise en place du Centre de l’Illustration et ses missions annoncées ont évidemment retenu mon attention. En découvrant le Point 3 de ses Missions : ‘’Etre un point de convergences et de rencontres entre professionnels impliqués dans l’édition d’albums jeunesse pour une transmission de la passion de l’illustration’’ je ne pouvais que me sentir concernée. Ce Point 3 est aussi dans les statuts du CIELJ et du site Ricochet depuis 1988. Nous sommes là ce soir, parce que après Elzbieta, Yvan Pommaux, Nathalie Novi, Jean Claverie vient d’investir l’Hôtel de Mora et vous avez pu constater par vous-mêmes qu’il ne faut pas moins de neuf salles pour que les visiteurs puissent prendre la mesure de la complexe diversité de son travail d’illustration à l’intention de l’édition pour la jeunesse. Et de salle en salle, vous avez sans doute constaté la diversité des thèmes et des ambiances de ses livres d’images. Madame l’attaché de conservation a raison : l’Hôtel de Mora se révèle un cadre idéal pour permettre à des illustrateurs artistes de faire sortir l’illustration française de son carcan d’art appliqué.

   Il est toujours impressionnant en visitant une rétrospective de faire en un moment bref le parcours de toute une vie de création d’un artiste. Et, pour la plupart d’entre vous, c’est la découverte sans doute d’un ensemble : une quarantaine d’ouvrages publiés entre 1977 et aujourd’hui. Des livres d’images, écho de moments de vie d’enfance, souvent pour des lectures familiales. Mais aussi, des jeux d’images pour une perception visuelle à affiner. Des illustrations pour des contes traditionnels dont on connaît les textes. Des illustrations pour des contes anciens venus d’ailleurs. Des créations de contes modernes. Et encore des récits en images, témoignages et échos d’une autre part de vie de l’artiste : celle consacrée à la musique et aux dessins d’animation pour écran cathodique.

   On prend conscience alors, ici, de l’aisance du théoricien de l’image de communication, qu’est aussi Jean Claverie, à prouver (par son éclectisme dans ses références graphiques et picturales) qu’il est vraiment possible de faire coexister la tradition littéraire et la modernité du regard et de l’expression.

   Jean Claverie a retenu l’attention des universitaires, spécialistes de littérature comparée, comme celles des pédagogues depuis quelques années déjà. Et les uns et les autres ont déjà beaucoup écrit sur le sujet. Pourquoi est-ce moi qui me retrouve ici à disserter sur cette complexe diversité de l’œuvre, en présence de l’artiste, alors qu’il pourrait lui-même, mieux que personne, nous transformer tous en étudiants attentifs. Peut-être parce que ma particularité est d’avoir lu ses livres l’un après l’autre, au fil du temps, depuis la parution du premier (Le joueur de flûte de Hamelin, en 1977). Oui, la clé de l’énigme est, je pense, dans la présentation chronologique de la bibliographie des livres créés par Jean Claverie. Il y est noté que La Princesse sur une noix, réalisée avec Michelle Nickly, a reçu le prix graphique Loisirs Jeunes 1981. Les trois contes de Ludwig Bechstein, la plaqueta d’or de la BIB de Bratislava (1983), Julien, avec un texte d’Anne-Marie Chapouton, le Prix Octogone Graphique 1990 et Little Lou, le Prix Octogone Musique 1990, des prix décernés par le CIELJ.

   Il semblerait que pour Jean Claverie, ces initiatives de promotion culturelle, il est vrai spectaculaires, prises par nous dès les années 1960 dans le cadre de l’association Loisirs Jeunes Paris et à partir de 1988 dans le cadre des travaux du Comité scientifique Ricochet paraissent assez importantes dans leurs aboutissements pour être mentionnées dans cette exposition et pour susciter ma rencontre avec vous.

   Après tout, peut-être est-il intéressant quelquefois, pour un artiste, de se resituer dans le temps et dans l’espace avec des témoins pouvant dire ‘’je me souviens’’.

   Que le sujet soit une abstraction, un auto-portrait ou un paysage, un tableau est le reflet de l’imaginaire du peintre car même s’il prend soin de cacher les clés pour attiser la curiosité de l’amateur de peinture, dans une œuvre picturale, c’est lui-même qu’il met en scène.

   La personnalité du cartooniste de bandes dessinées se définit par la facture technique de son trait dans une image narrative dont le rythme de case en case, recrée le sens d’un temps déterminé dans un espace défini, celui d’une aventure dédiée à un lecteur complice.

   Le publicitaire a la charge de parler de tout sauf de lui, dans une affiche, une maquette ou un spot télévisé ; Il doit mettre en scène des produis et des idées qui ne sont pas de lui. Il doit pratiquer un art de synthèse qui soit incitateur de désir pour le public acheteur, et consommateur.

   L’artiste artisan qu’est l’illustrateur de livres doit donner à lire un objet-livre autant dans sa forme que dans les idées émises par un écrivain. L’imagier peut soutenir, compléter, illustrer, détourner le sens des idées du texte au profit de son propre message : la mise en page, la qualité du trait, de la couleur, la qualité d’impression et de photogravure, l’ambiance iconique, en un mot, déterminent  maintenant la lecture autant que l’intérêt du thème et le style de l’écriture. Tout dans un livre d’images, concourt à donner un jeu précis de tension et d’attrait pour le lecteur ciblé. Mais, de toutes les ambiguïtés de l’époque de transition dans laquelle nous vivons – balançant entre le passé de la Galaxie Gutemberg en quête de notre patrimoine littéraire accumulé dans les livres, et le présent, en mutation incessante, de la constellation Marconi par l’universalisation de l’image mouvante – la reconnaissance des richesses artistiques de cette « Littérature en couleurs » n’est pas la moindre.

   Je suis donc là, parce que membre chercheur au Centre de Psychologie comparative de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, entre 1958 et 1983, mes articles avaient trouvé échos dans les Ecoles des Beaux Arts autant qu’auprès des collègues universitaires étrangers. Je suis là parce que je m’interroge aujourd’hui comme hier sur l’apport de l’album d’images dans l’éducation de la sensibilité esthétique d’un enfant. Ma lecture première de critique, passeur de culture d’un pays à l’autre porte toujours sur l’ambivalence de sens surgissant des images (dites illustratives) que suggère un texte à un illustrateur.  Mais aussi … sur l’évolution de l’approche critique des médiateurs que sont les professionnels de la lecture.

   Mon approche de l’œuvre de Claverie ici ne sera ni analytique, ni pédagogique, ni théorique, plutôt un écho d’une étude menée au fil des années, un écho de la découverte d’une œuvre graphique s’imposant à l’attention au gré des envois des maisons d’édition souhaitant que leurs productions retiennent mes réactions de critique. Pour vous une information de base essentielle, pour Jean Claverie la case départ du choix du livre d’enfant comme support de création se trouve à la Foire de Bologne, il en témoigne dans l’introduction de L’AZ du CRILJ en 1990. Il est vrai qu’il suffit de visiter une fois la Fiera pour comprendre le sens du mot iconosphère. La Fiera, manifestation annuelle qui a débuté en 1966 est vite devenue un lieu phare de découvertes et de rencontres pour les professeurs des Beaux Arts et les étudiants rêvant d’un art visuel compris partout au delà des mots. Jean Claverie y est venu pour la 1ière fois vers 1975. Il était déjà professeur à l’Ecole des Beaux Arts de Lyon mais encore illustrateur publicitaire. Mieux que d’autres, il m’a semblé, il va prendre la mesure de la complexité de la circulation de la « Littérature en couleurs » d’un pays à l’autre, avec ses impératifs industriels laminant pour la création, par la standardisation des modes de représentation. Mais il est sûr qu’il y découvre aussi qu’entrer dans le jeu de la compétition internationale est vitale pour la survie d’une certaine approche culturelle à la française, sans entrer pour autant dans les querelles d’influence pédagogique d’utilisation de ce type de livres.

   Jean Claverie, il le dit, il l’écrit, est par tempérament autant lecteur que musicien, il s’intéresse depuis l’enfance à l’univers des contes, il aime aussi les romans d’atmosphère. Et il arrivera que de sa lecture d’un texte qu’il apprécie particulièrement, surgissent des griffonnages entre les mots comme un éclairement de sens à ses yeux. Il peut à l’occasion y mettre de la couleur. Et de l’ensemble, naît un nouveau livre, texte-images-texte qui par ses dérives ouvre nos yeux, à nous, sur l’imaginaire de l’artiste Jean Claverie. Voir Que ma joie demeure de Michel Tournier, chez Gallimard. En 1977, dans les envois d’éditeurs, proposant leurs dernières publications à ma critique pour la rubrique Livres de Loisirs Jeunes, il y avait Le joueur de flûte de Hamelin. L’adaptation du texte était signée de Kurt Bauman, un auteur suisse (Garnier, Lotus et Nord-Sud). Les images évoquaient pour moi comme un écho de Beattlemania et d’influence Heitz Edelmann alors à la mode. Jean Claverie avait 30 ans et ce Joueur de flûte de Hamelin était un  projet conçu avec François Ruy-Vidal, Jean Claverie le voulait comme un hommage à Samivel, autant qu’un écho des recherches de style de la génération après Ruy-Vidal et l’intégration de l’interculturel dans la réalisation des images.

   En 1980, les éditions Nord-Sud m’envoie Le Prince heureux, un texte d’Oscar Wilde, avec des illustrations de Jean Claverie, style gravure anglaise. Hachette m’envoie L’auberge de la peur d’Isaac Bashevis Singer avec des illustrations de Jean Claverie d’une sobriété presque classique et Bayard Presse, dans le secteur Presse Enfance, fait paraître dans la revue Blaireau Les boutons de Bérangère, puis Le pêcheur d’oiseaux qui, soudain, relativisent pour moi la modernité d’expression des albums éducatifs alors sur le marché. Jean Claverie casse là, avec une belle simplicité les stéréotypes des relations figées texte-image. Il prouve qu’il sait ce qu’est pratiquer la lecture interactive avec des enfants et qu’il connaît le pouvoir d’impact du visuel pour une éducation du regard des tout jeunes lecteurs.

   Pour le numéro de Loisirs Jeunes Etrennes 1982, dans l’envoi Nord-Sud, il y a La princesse sur une noix, un conte de Michelle Nickly imagé par Jean Claverie, avec ce livre Jean Claverie va se retrouver en compétition pour le Prix Graphique de l’année avec Philippe Dumas pour Ce changement là (Ecole des Loisirs), Françoise Boudignon pour Hans le trop bavard (La Farandole), Frédéric Clément pour Chevêche aussi rouge que l’aurore (Amitié/Ruy-Vidal), Puig-Rosado pour L’encadreur de rêves (Hachette) – Rappelons peut-être pour information que le jury du Prix Graphique était composé du conservateur du Musée des Arts Décoratifs, François Mathey, de Raoul Dubois et Eudes de la Potterie, critiques de la presse et de la littérature pour les jeunes, d’un représentant du Syndicat de l’Edition, d’un représentant de la Fédération Française des Syndicats de Librairie, du Directeur de Loisirs Jeunes, Pierre Debuche et de moi-même. Le jury, à l’unanimité décidera que La Princesse sur une noix apparaissait comme ‘’l’un des plus remarquables exemples de l’art de passer de la tradition à la modernité. Le thème du conte est classique : un prince en quête d’une princesse idéale, mais chaque phrase de Michelle Nickly résonne d’une ‘’moralité’’ contemporaine d’un après 68. Les aquarelles pastelles de Jean Claverie ont un charme romantique incontestable mais, ambiance décorative et mise en scène sont perçues immédiatement actuelles. Par un subtil détail dans l’attitude de ses personnages, par le cadrage des objets dans le décor, l’artiste provoque chez le lecteur un regard de distanciation comme au théâtre. L’enfant sourit et s’amuse en spectateur averti, l’adulte aussi’’ (Loisirs Jeunes 1981).

   L’analyse ne correspond pas aux critères d’une recension de lecture pour revue de bibliothécaires, mais Loisirs Jeunes, revue hebdomadaire d’avant-garde parce que multiculturelle intéressait les éditeurs, les libraires et les journalistes des grands médias de communication,  télévision et presse qui trouvaient là matière à penser.

   A ce propos, je vais quand même théoriser quelques instants sur le rôle de la critique médiatique.

   La compréhension du sens d’une image polysémique implique toujours le regardé intentionnel, qu’il s’agisse d’images narratives pour fixer l’attention sur le message d’un conte, d’une fable ou d’images descriptives et démonstratives qui peuvent aider à développer les connaissances techniques ou historiques dans les documentaires ; un regardé intentionnel qui est lié à une manière personnelle d’appréciation, d’interrogation, d’hypothèse, d’anticipation du développement du sens de cette image dans sa complémentarité avec le texte, de la part du lecteur.

   Le rôle de la critique est de prendre la mesure de ce regardé intentionnel en fonction de la médiatisation à établir avec le public d’une revue spécialisée ou celui plus large des magasines et de la presse pour lequel elle fait ses analyses.

   On accorde généralement à la critique le don de ‘’faire l’opinion’’, elle est, en principe, effectivement le premier médiateur et un lecteur privilégié puisqu’elle dispose du pouvoir de comparer d’un auteur à l’autre, d’une édition à l’autre, et parfois de l’originalité à la translation et à la traduction d’un pays à l’autre.

   De plus en plus, même les livres d’images sans texte ont du sens et un sens perceptible et perçu par beaucoup d’enfants parce que les images des supports médiatiques (TV ou presse) font évoluer les perceptions visuelles dans la plupart des pays industrialisés, au même rythme et en même temps – avec plus ou moins de bonheur, évidemment, selon le degré de vigilance de l’opinion publique à rejeter la médiocrité des stéréotypes.

   L’approche de l’image de la critique spécialisée se traduira donc, d’abord, par une lecture du message perçu par elle comme traditionnel ou novateur en soi, mais en fonction aussi de sa finalité : arriver jusqu’à l’enfant lecteur, donc avec une anticipation interrogative sur la perception de quelqu’un différent de soi. L’esthétique graphique et plastique de l’image ainsi que la qualité littéraire l’aident à situer l’œuvre dans l’évolution au quotidien de l’univers culturel de l’enfance.

   Ce ne sont pas toujours ces qualités qui inciteront les enfants à la lecture, mais bien plus la novation dans le thème et surtout, plus encore, la transgression d’expression des artistes contemporains qui savent montrer que parallèlement au code abstrait et conventionnel de l’écriture, l’image en étant infra verbale, infra langagière, comme disent les sémiologues, permet une communication directe conduisant à une lecture plaisir et parfois ludique aussi bien qu’à une lecture connaissance – source de réflexion. Mais curieusement, revient à la critique, enfin de compte, la charge de le démontrer avec des mots.

   Ces réflexions en marge m’amènent à Bratislava en 1983. J’étais aussi du jury de la BIB cette année là avec Lucia Binder (Autriche), Sybille Jagush (Etats-Unis), Nicolas Popov (Russie), Val Manteanu (Roumanie), Vibeke Stybe (Danemark), Rico Lins (Brésil), Yoko Inokuma (Japon), Otilie Dinges et Horst Kuntze (Allemagne), Carla Poesio (Italie), Marian Vesely et Miroslav Kudran (Tchécoslovaquie).

   Sur les cimaises des salles d’exposition de la Bibiana étaient présentés les originaux d’illustrations de plus de 300 artistes venant de tous les pays d’Europe, du Canada, des Etats-Unis, du Mexique et du Brésil, de la Chine et du Japon … du Burundi et de la Turquie.

   Les six illustrations que présentait Jean Claverie étaient celles de Drei Marchen (Les Trois contes) de Ludwig Bechstein, un conteur allemand de la période classique apprécié en Suisse et toujours publié en coffret par les éditions Nord-Sud. Ces illustrations étaient des dessins au crayon et aquarelle sur papier format 12×19, le jury international va réagir de la même manière que le jury Loisirs Jeunes. Il sera retenu et mise en valeur la même singularité claverienne : ces glissements de la référence classique assimilée par une mémoire d’érudit… à un étonnant rapport texte-image d’avant-gardiste dans le traitement de l’illustration de ce texte. En 2006, 40 livres et plus,  plus tard, auxquels on ajoute les affiches, les travaux graphiques, les films… Jean Claverie représente dans la vie internationale de l’édition jeunesse l’éclectisme et l’ouverture sur le monde de l’Ecole française de l’illustration. Ses éditeurs sont Nord Sud en Suisse mais aussi Albin Michel, Gallimard, Bayard Presse en pays francophones, il lui est arrivé de séjourner en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pour créer des livres sur place, il a des éditeurs dans ces pays. Nous en avons des échos avec Little Lou et avec Le Noël d’Auggie Wren de Paul Oster. Jean Claverie peut rêver sur la mélancolie immédiate au quotidien familial parce qu’il croit encore comme nous à la co-lecture affective adulte-enfant et à la douceur de vivre en famille partout. Il n’y a que Claverie pour être caricaturiste redoutable et portraitiste attendri dans la présentation, d’un face à face enfant-adulte (voir Julien, Jérémy peur de rien, Riquet à la Houppe), face à face conduisant à de vraie co-lecture, toute génération confondue.

   Ici, dans cette rétrospective d’ensemble, vous avez noté vous-même certainement à quel point Jean Claverie cultive avec délectation l’art de pratiquer le dessin.

   ‘’Le dessin est pour moi une façon de penser comme l’écriture qui résiste ou cède, qu’on affronte ou contourne, qui joue avec le filtre de la mémoire et celui de l’anticipation. Le dessin ajuste les idées qu’il a fait naître mentalement’’ écrit-il dans l’ouvrage collectif sur les Images à la page, publié par le Centre Pompidou, accompagnant l’exposition conçue par Christiane Abbadie-Clerc et François Vié en 1984.

   Et les dessins de Claverie ont souvent les couleurs d’un moment d’enfance heureuse, d’enfance rêvée parce que d’un croquis, d’une esquisse d’attitude d’un personnage entrevu, il va arriver à la théâtralisation de la scène captée par son regard, l’espace d’une minute, et il en fera peut-être une histoire en images.

   Lisez Les Boutons de Bérengère, Jérémy peur de rien, Julien et aussi le Petit Chaperon rouge …

   Il est un théoricien de l’image de communication face à ses étudiants, il sait ce qui est en jeu dans la mise en scène des images. Il tente la perception globale sensible de ce qui est perçu fragmentairement par l’enfant des réalités quotidiennes. Il est un inventeur d’histoire en images pour les interlocuteurs de tous âges. Ses histoires surgissent d’un aperçu d’une attitude, d’un jeu entre enfants, d’une phrase entendue … de touts ces petits riens familiaux dans le quotidien des jours. Mais cela donne L’art du pot, L’art de lire, L’art des bises et encore Le Théorème de Mamadou, imaginé par l’auteur lyonnais Azoug Begag, ‘’à quoi ça sert d’apprendre puisqu’on oublie tout quand on est vieux ?’’. Question existentielle pour un jeune écolier avec en écho La batterie de Théophile, d’égale qualité d’approche philosophique à l’âge des premiers questionnements.

   Mais l’exposition ici par la présentation des croquis, des aquarelles, isolés du contexte de mise en page, m’a fait découvrir que Jean Claverie est aussi un paysagiste, voir la première esquisse de Little Lou, ce bord de fleuve où on a envie de rester à rêver et ailleurs les jeux d’ombre et de lumière à l’entrée d’une rue inconnue où toute aventure est possible.. Et encore l’entrée au théâtre des Trois Contes.

   Aujourd’hui, on peut repérer ici et là l’influence des mises en scène des images narratives à la Claverie. L’influence d’une certaine manière de diffuser l’éclairement pour théâtraliser au maximum l’action en contrepoint des mots lus mais on ne confond jamais l’original.

   Au Japon, il est entré il y a quelques années déjà au Musée Chihiro Iwasaki avec The secret Garden mais aussi avec L’art du pot. Les japonais ne s’y sont pas trompés. Ils ont bien compris qu’il était l’artiste français qui, dans ses livres, pouvait le mieux les aider à saisir les subtilités de notre imaginaire hexagonal… Si faire se peut.

( article paru dans le n°88 – mars 2007 – du bulletin du CRILJ )

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Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.  

 

 

Coup de pouce 2013

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Le CRILJ propose d’aider cinq adhérents en région désireux de participer, le vendredi 27 septembre 2013, à la journée professionnelle du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier).

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     Le programme du Festival a été envoyé le dimanche 31 mars à l’ensemble des personnes recevant le courrier du CRILJ/orléanais et il sera prochainement disponible  sur le site de la manifestation.

     A cette période, l’association moulinoise Les Malcoiffés, organisatrice du Festival  des Illustrateurs, met en place dans la ville plusieurs expositions prestigieuses et  propose de nombreuses rencontres et animations, Le mij (musée de l’illustration jeunesse) présentera une exposition consacrée à Roberto Innocenti et l’exposition  du CNCS (Centre national du costume de scène) sera dédiée au cirque. Le vendredi  soir, le groupe Bratsch se produira au Théâtre de Moulins.

     Nous avons réservé cinq places auprès de Nicole Meymat et nous demandons  aux sections régionales de nous faire parvenir, très vite, les candidatures de deux personnes (au plus) intéressées par cette proposition.

     Deux seules conditions :

 – les adhérents pouvant bénéficier de ce « coup de pouce » devront être choisis parmi  ceux qui, ayant rejoint récemment l’association, ont témoigné de leur implication et de leur volonté de participer aux activités de la section : vie statutaire, animations, rencontres, expositions, formation, etc.

 – en posant leur candidature, ces adhérents s’engagent à écrire, pour notre site,  un article pouvant être mis en ligne dans la rubrique « Textes amis, images complices » ; pour éviter les doublons, le sujet de cet article sera choisi en accord avec le  secrétariat général.

     Les candidatures reçues avant le lundi 13 mai 2013 seront examinées par le bureau du CRILJ et les réponses communiquées aux candidats et aux sections avant  le jeudi 31 mai.

     Après délibération et vote en Assemblée Générale, le samedi 6 avril, il est décidé d’éditer cinq chèques d’un montant de 200,00 euros chacun.

 (Orléans, le 7 avril 2013)

   http://festivaldesillustrateurs.com