Philippe Corentin, un rire engageant

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En prélude à l’Assemblée Générale du CRILJ, Yvanne Chenouf est venue à Montélimar le 24 mars 2012 faire part de son analyse de l’œuvre de l’auteur et illustrateur Phillippe Corentin. Décapante et éclairante présentation, images et film à l’appui.

Les signes avant-coureurs de l’œuvre

     Avant d’entreprendre une carrière d’auteur et d’illustrateur pour la jeunesse, Philippe Corentin (Le Saux de son vrai nom) a vécu du dessin de presse et de la publicité. Il a travaillé dans le journalisme en publiant, dès 1968, des dessins dans L’Enragé puis il a continué avec d’autres magazines comme Elle, L’Expansion, Lui, Marie-Claire, Vogue… Il a aussi conçu des affiches, illustré des guides et des romans accompagnant les mouvements politiques et sociaux d’une époque créative, marquée par différentes prises de position sur les guerres du Vietnam et d’Algérie, la décolonisation, l’exode rural, la croissance économique, le baby-boom, l’émancipation des femmes, etc. C’est muni de ce regard qu’il est entré dans l’édition pour la jeunesse, un champ en pleine expansion. Sa première participation a consisté à illustrer un conte d’Eugène Ionesco (1) publié par François Ruy-Vidal et Harlin Quist chez Jean-Pierre Delarge (des éditeurs d’avant-garde) puis un roman (2): « J’ai trouvé ce travail d’illustrateur très ingrat. Le livre était plein de descriptions. J’avais l’impression d’être un tâcheron, un tâcheron de génie, mais un tâcheron. Très frustrant. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire à l’avenir les dessins et le texte.  » (3) Il a donc fait ses premiers pas d’auteur et d’illustrateur pour enfants chez Hachette avec une collection au titre expressif : Gobelune.

     Le Loup blanc (4), premier album, est une charge contre la chasse et les chasseurs assimilés à des va-t-en-guerre. Lacomposition ne suit pas la structure d’un récit pour la jeunesse (début, milieu, fin) mais aligne des planches plus ou moins liées. Aucune soumission aux lois du genre malgré un début aux formes convenues (« Il y avait une fois un château au milieu des bois. Dans les bois, il y avait des loups.« ). L’œuvre, référencée, résonne de La Légende de Saint-Julien l’hospitalier de Flaubert, l’histoire d’un chasseur harcelé par les bêtes qu’il extermine sauvagement. Ce conte commence ainsi : « Le père et la mère de Julien habitaient un château au milieu des bois… » À la fin de Flaubert : « Un soir d’été, à l’heure où la brume rend les choses indistinctes… » Philippe Corentin répond ainsi : « Que c’est beau !  » s’exclamaient les nouveaux chasseurs découvrant enfin la nature dans la brume du petit matin. » Le sous-titre « Conte à régler » renvoie au titre de la légende : Trois contes.

    Pendant huit ans, Philippe Corentin gardera ce ton caustique, livrant environ un album par an (Hachette, Rivages, Hatier). Loin des fictions classiques, il opte pour des recueils de sketches, gags et jeux de mots fondés sur le décalage entre le texte et l’image. Seul, il publie, chez Rivages, Les Avatars d’un chercheur de querelle, puis il co-signe avec son jumeau, Alain le Saux, Totor et Lili chez les Moucheurs de nez : « C’était un grand projet, il devait y avoir une dizaine de volumes. On en a fait trois, » … chez les moucheurs de nez « , « … chez les mangeurs de soupe » et » … chez les laveurs de mains« . Un seul est paru. Cette encyclopédie persifleuse a été un fiasco. Trop d’ironie. Le deuxième degré pris au premier, ça ne pardonne pas.  » (5) Dans C’est à quel sujet ?, dans Papa n’a pas le temps, il caricature des situations familiales ou des comportements adultes à travers des scènes vues par un ours en peluche, une enfant ou un narrateur anonyme. Le père, cible de l’ironie, cache mal sa ressemblance avec l’auteur. Sinon, il livre des recueils de jeux de mots sur le thème des animaux : Nom d’un chien, Porc de pêche et autres drôles de bêtes (Rivages, 1985), Pie, thon et Python (Hatier, 1988).

    L’entrée dans le champ de l’enfance n’a pas été simple et a nécessité des ajustements périlleux parce que sans concession : faire une oeuvre stimulante qui n’endorme pas les enfants. Pour les rallier à son mode de narration, l’artiste a dû combiner un pôle franchement « rigolo » et un pôle plus subtil, gorgé de références, un travail d’orfèvre sur l’image et la langue. Alors les histoires se sont déployées, dosant les montées du rire, gérant l’économie des silences, enveloppant dans le feuilleté du sens toute la charge sociale, dépouillée de ses rictus vengeurs, de son cynisme canaille, évidée d’arrogance, affinée de seuils, de degrés, de nuances. Le goût des enfants pour les histoires a été entendu, comblé. Un respect que le jeune public a immédiatement plébiscité reconnaissant dans cette volonté de faire rire « par le haut », la « voix basse » qui leur parle avec pudeur et bouleverse le texte et les images, sans pitié pour les bons sentiments. Tout un art du mouvement met en branle un « je-ne-sais-quoi » évident, un don d’enfance.

Les degrés de l’ironie

    Les textes se sont étoffés, des intrigues se sont nouées, tirant parti des infinies possibilités de l’écriture et du dessin, tout en gagnant en clarté et en lisibilité. Les gags n’ont pas disparu, marbrant la chair des récits. L’ironie, ce genre qui posait problème aux jeunes lecteurs et devenait source de méfiance chez les éditeurs, a été posée comme point de départ du premier album « narratif ». Philippe Corentin l’a endiguée, contrôlée, travaillée comme une matière et ses effets sont devenus accessibles sans qu’aucun renoncement aux règles du « bien écrire pour la jeunesse » n’ait été consenti. Les marqueurs de l’ironie (inversion des valeurs, retournement des situations, contestation des règles établies…) ont été inscrits dans le titre, actionnés dès le titre : Mademoiselle Tout-à-l’envers (1988) !

    La couverture montre une chauve-souris, tête en bas, venue se réfugier chez les souris ses cousins après un revers de fortune : la dévoration de ses parents par un boa. Pouvait-on rêver meilleure intrigue : une orpheline, des bêtises enfantines etdes références intratextuelles (L’Afrique de Zigomar) et intertextuelles (Le Voyage de Nils Holgerson) ? Pour voir la chauve-souris à l’endroit, il faut retourner le livre. Le nom de l’auteur et le titre apparaissent à l’envers. Comment mieux dire ce jeu de dessus/dessous, marqueur de l’ironie, cet envers du décor, ces doubles sens qui contestent une norme pour en imposer une autre ? Le corps de la demoiselle a beau être inversé, sa robe n’est pas soumise aux lois gravitationnelles des souris (« Nous aussi on vole. On a déjà sauté du toit avec des parapluies. On a volé jusqu’en bas.« ), ce que montrent les pages de garde avec la vision de deux souriceaux timorés accrochés à leur parapluie (un rose pour lui, un bleu pour elle, encore une inversion). Logique hautement défiée par la chauve-souris qui déclare : « Oui, mais moi je peux aussi voler en montant ». Images surprenantes du vol avec un personnage présenté tête en bas et deux autres protégeant leur descente par des parapluies. La couverture rappelle L’Opossum qui avait l’air triste (6) tandis que la seconde fait écho à la couverture de Ma Vallée (7).

Les envers du décor

     Philippe Corentin jouera encore avec ces inversions d’univers, ces lois opposées qui régissent des mondes pourtant mitoyens : dans ZZZZ… zzzz… (2007), les mouches parlent dans des rubans emberlificotés qui nécessitent de tourner le livre pour pouvoir le lire (à moins de lire à deux en étant face à face).

    L’inversion sera encore travaillée dans Le Chien qui voulait être chat (1989). Ici, la mutation est de taille puisque le chien, qui convoite la place du chat, son ennemi, abandonne la chasse pour se réfugier dans le terrier du lapin. L’œuvre s’installe sur la scène sociale, cadastre idéologique où s’affrontent inégalement les nomades, les sans feu ni lieu, les transfuges vagabonds et les sédentaires, les « assis » de Rimbaud, les autochtones et les autres enracinés.

L’Autre, cet étrange étranger

     De plus, la demoiselle est étrangère (elle vient d’Amérique) : ce statut d’immigrante en fait la cible de l’ironie. (8) On s’étonne (elle est bizarre, pas sympathique, rouspéteuse, oudeuse, dort le jour, mange la nuit, hiberne…), on l’épingle ( » Mademoiselle fait tout à l’envers… Le jour, elle ne joue pas avec nous parce qu’elle dort, et la nuit elle joue sans nous Et puis elle mange des trucs dégoûtants…« ).

    L’imposteur, intrus dans un monde familier habite Machin Chouette (2002). L’adoption d’un chien errant (un clochard…) dans une famille ordinaire met le chat (qui craint pour son fauteuil) hors de lui. Les injures pleuvent (« ce gros nigaud« , « l’imbécile« , « il ne doit pas être très malin« , « petite cervelle« , « complètement idiot« , « ce balourd« , « le premier corniaud venu« , « soupe au lait et sans humour« ) sur cet être qu’il est si peu question d’accueillir qu’il demeurera l’anonyme « Machin Chouette ».

    Même traitement pour le loup dans Mademoiselle Sauve-qui-peut (1996) où l’enfant, qui vient rendre visite à sa grand-mère, démasque l’intrus qu’elle chasse sans ménagement du lit de son aïeule : « Non, mais, dis donc le loup, tu crois que je ne sais pas faire la différence entre un loup et une mamie ? Allez, ouste ! Hors d’ici ! » « Allez, zou ! Dehors ! Et plus vite que ça ! Il veut que je m’énerve en vrai, le loup ? Il me croit aussi bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi ? » Il faudra l’intervention de la grand-mère pour sauver ce mythe de la littérature, devenu indigent : « Laisse-le, ce n’est qu’un pauvre bougre que j’ai ramassé dans la neige, mourant de froid et de faim.« 

    Dans Biplan le rabat-joie (1992), on distingue nettement « ceux du plafonnier » et ceux de l’abat-jour, et, là encore, le clivage bénéficie à « ceux d’en haut » : « Son seul copain, c’est le moustique du plafonnier./Les moustiques, c’est bien connu, sont des pédezouilles, mais celui du plafonnier est sympa./Ce n’est pas comme celui d’en bas./Celui de l’abat-jour vert qui, lui, est un vrai pédezouille.« 

    Ils sont nombreux ces « étrangers » qui doivent se confronter à un monde inconnu, parfois adverse : un Père Noël chez les souris, les fourmis ou les loups, des animaux continentaux au pôle Nord, des souriceaux ou des mouches chez leur auteur (9), un loup, un cochon, des lapins dans l’univers aquatique de la grenouille (qui semble étrangère), des moucherons chez les poux (des pedzouilles), un merle et un souriceau chez les légumes, un enfant et son chien chez les gâteaux, un monstre chez un enfant et l’inverse, un loup recueilli par une grand-mère ou reçu chez des lapins, un chien vivant dans un terrier, un autre adopté par des humains et, enfin, un crocodile chez des humains. Les héros de Philippe Corentin ne sont pas à leur place mais ce « déplacement », cette prise de distance, ce « pas de côté », va souvent les aider à mieux se définir, mieux se spécifier… quitte à perdre son identité comme le chien qui voulait être chat… et finira poisson dans un aquarium. Ironie du sort.

Les leçons des autres

     C’est l’autre qui détient nos propres ouvertures et nous aide à forger les clés de notre identité :  » [L’enfer, c’est les autres.] On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c’était toujours des rapports infernaux. Or, c’est tout autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont, au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond, nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous, nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Quoi que je sente de moi, le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui et alors, en effet, je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres, ça marque simplement l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous.  » (10).

Ironie du sort

     Le chien de chasse, fatigué de courir (11), cherche un emploi plus reposant. Vouloir échapper à une  » vie de chien  » est une source de comique en soi, renforcée par les contraintes d’un recrutement dominé par l’homme : l’employabilité varie selon qu’on est domestiqué ou non, corvéable ou non, comestible ou non et voilà l’animal obligé de se former. Autre ironie du sort, c’est à sa proie que le chien va devoir sa conversion : ( » Écoute, Routoutou ! Les poules pondent des œufs, les chiens montent la garde et les vaches donnent du lait. Voilà, c’est comme ça !  » lui répond Grandoreille excédé. Ou tu travailles, ou tu finis dans une casserole. « ).

    Même ironie du sort pour Tête à claques (2000) et N’oublie pas de te laver les dents ! (2009). Louveteau et petit crocodile renouent avec leurs instincts grâce à la proie qu’ils convoitaient : le louveteau apprend à hurler comme un loup avec les lapins et le crocodile, reptilien, se souvient de sa grand-mère grâce à la fillette « Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi. » (12)

    En refusant ces codes, seul le chat s’est attaqué au système humain ( » Un chat ne vient jamais quand on l’appelle !  »  » Un chat ne rapporte jamais rien, ni balle, ni carotte, ni quoi que ce soit !« ) ce qui lui confère une place enviée : (« Je te l’avais dit. Tout le monde veut être chat en ce moment ! « dit Grandoreille.) Mais, comme le montre Machin Chouette, en gagnant cette indépendance, le chat n’a-t-il pas perdu le prestige dont il jouissait dans les anciennes civilisations : « Un caractère seulement. Un caractère de Chat. C’est en de tels moments irrités que je sens, à n’en pas douter l’humiliante situation qui nous est faite, à moi et à tous ceux de ma race. Je me souviens d’un temps où des prêtres en longues tuniques de lin nous parlaient courbés et tentaient, timides, de comprendre notre parole chantée. Sache Chien que nous n’avons pas changé. » (13) Déclassé le chat par refus d’altérité ?

Retournements de situation

     Mais la chauve-souris outragée retourne la situation et fait valoir un monde inversé. Deux procédés, l’un sémantique, l’autre graphique, disent le jeu des miroirs. D’abord, la référence à Dracula (« C’est Chiffonnette qui nous empêche de dormir avec ses histoires de vampires.« ), soutenue par la cape, les ailes, la salade de bougies, l’activité nocturne. Ensuite, le point de vue de l’image. Tout est vu à partir du regard des souris : l’univers de la chauve-souris est inversé. Mais, lors du sommeil hivernal, tandis que les souriceaux aimeraient jouer, la scène est vue depuis le lit de Chiffonnette, celle qui impose la rupture et mène le bal. Quel est le vrai monde ? Celui des souris ou des chauves-souris ? Des diurnes ou des nocturnes ? Des granivores ou des insectivores ? Monde des chasseurs ou des chassés ? De ceux d’en haut ou de ceux d’en bas ? Des dominants ou des dominés ? Les cloisonnements sociaux sont interrogés, rarement dépassés.

    Dans Machin Chouette, le chien, lui aussi, retourne la situation à son avantage puisqu’il finit par usurper la place du chat sur le fauteuil (une place qu’il ne quittera plus). Quant aux mouches de ZZZZ… zzzz…, n’ont-elles pas, elles aussi, transformé la situation en leur faveur puisqu’elles ont obtenu ce qu’elles voulaient, malgré le démenti de l’auteur ( « Une histoire de mouches et puis quoi encore !« ) : un album rien que pour elles.

    Dans Papa !, deux univers parallèles se côtoient et s’affolent mutuellement : celui des humains et celui des « monstres ». Et pourtant, dans une homologie de situation impeccable, les mondes se ressemblent « terriblement » comme si un miroir les séparait : même crainte de l’enfant dans le lit, même secours des parents (les mères ont la même robe), même vie sociale de part et d’autre (réception au salon), même explication du cauchemar (excès de sucreries, seuls les genres de gâteaux varient), même issue (le recouchage de l’enfant).

    Dans Le Chien qui voulait être chat, on note un changement de position entre le chien et le lapin (le chien, demandeur, porte d’abord le lapin car il est son obligé avant que la situation ne s’inverse l’inverse puisqu’il il est pris en charge par le lapin). Cette soumission du lapin (sa domestication ?) se remarque à son allure : il se déplace d’abord par bonds (tel un lapin) avant de se mouvoir comme un chat (la cible incorporée).

Degrés et perspectives

     L’ironie, qui n’est pas qu’un jeu de contraires ou d’inversions, repose sur la perception de degrés et de connivences. Comprendre un discours ironique nécessite toujours la reconstruction d’un implicite (sous-entendu) : comment comprendre l’oisiveté de la chauve-souris qui regarde, sans rien faire, sa famille s’activer pour réaliser son désir de dormir la tête en bas (« Il faut déménager les meubles, accrocher, attacher, coller et clouer une partie de la nuit. Ça y est, c’est terminé. Tout le monde va pouvoir enfin se coucher.« ) alors qu’elle est extraordinairement active, la nuit, quand ses cousins dorment (« Toute la nuit, Chiffonnette, voletant, joue au ballon, sort, rentre, chantonne, bouscule les chaises et ne s’endort qu’au petit matin.« ) ? Comment expliquer cette attitude ? Détermination biologique (c’est une nocturne et pas une diurne) ou réalité psychologique (c’est une rouspéteuse, une boudeuse… une capricieuse) ? En permanence, sous des allures simples et franches, l’œuvre de Philippe Corentin conduit ses lecteurs à franchir des seuils pour dépasser les apparences.

    Mademoiselle (mademoiz-ailes) n’apparaît qu’au moment du dîner, s’endort au petit matin, commence ses repas par le dessert. A-t-elle des désirs de grandeur (« Elle monte encore plus haut, toujours plus haut.« ) ? Se prend-elle pour une star ? Cache-t-elle, sous son habit de vampire, une nature de « vamp », femme fatale du cinéma américain ? C’est par un dernier retournement, celui du livre, que la chute s’imposera. L’auteur a-t-il tiré parti de la position dominante de l’animal (elle plane) (14) pour contester les normes de la littérature de jeunesse ? Un point de vue narratif s’est imposé : « … l’ironie introduit dans notre savoir le relief et l’échelonnement de la perspective.  » (15) L’œuvre ne quittera plus ce regard d’œil surplombant (Flaubert), cet échelonnement du langage (Barthes), ce regard oblique (Doisneau) toute une signalisation de l’ironie que file une métaphore spatiale : péri-phrase, para-doxe, par-odie, circonlocution, intertextualité, digression, mise en abîme…

Le jeu des masques

     L’ironie, qui s’énonce à mots couverts, use de masques pour « dévoiler  » le monde. Les personnages se déguisent, changent de peau, vivent par procuration : de cette façon de « faire corps avec soi » résulte toute une manière de « faire corps avec les autres « .*

    Dans L’Ogrionne (1991), le loup capture le père Noël pour échapper au régime carottes infligé par l’ogre. Prise rejetée par la louve : « Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? C’est tout vieux, c’est tout dur… Même l’ogre n’en voudrait pas. » qui renvoie le vieillard à l’illusion, à la fable. Sous l’habit rouge, se dissimule non pas un être altruiste, comme on voudrait le faire croire, mais un dupeur d’enfants. Le loup suggère le piège en se glissant dans l’accoutrement. Quant au Père Noël, sous la table, il guette les effets d’une monstrueuse recette : sa propre tête en vinaigrette ! Une tartufferie aux allures de galette des rois ! Le sens du titre est servi sur un plateau. En se désignant comme princesse, l’enfant fait miroiter une couronne qui rappelle l’épisode de l’ogre égorgeant ses filles (des ogrionnes) dans le Petit Poucet. La tête du Père Noël rappelle l’horrible décapitation. Le rapport symétrique des fils du bûcheron et des filles de l’ogre, dans le conte, éclaire la position de Loustique et de Baignoire de part et d’autre d’un Père Noël aux allures de gisant. Leur différence, celle que l’ogre avait omise, est suggérée par l’inversion des couverts à table. L’enfant, seule dans la neige, a-t-elle échappée au massacre ? Les loups miséreux renvoient aux bûcherons tandis qu’avec sa botte ôtée près de la cheminée le Père Noël fait figure d’ogre. Quand le loup/Père Noël dort, sous l’arbre, il rappelle l’ogre de Gustave Doré.

    Dans Le Roi et le roi (1993) une carotte apparaît sur une pirogue : c’est un chasseur attiré par des lapins (eux-mêmes armés d’un arc… normal qu’ils « visent  » une carotte). Mais la carotte est en fait un renard (poil de carotte… comme dirait un certain Jules)… furieux qu’un crocodile ait fait fuir ces proies. Ce renard n’est pas un goupil mais un loup (Roman de Renart) déguisé en carotte pour berner les lapins (vêtus de peaux de bêtes). Le crocodile était un escargot déguisé en caïman pour échapper à l’étourneau. Jeu de mimétisme, courant chez les animaux, décrit par mis à jour par Henry Walter Bates dont la plupart des travaux partent de l’Amazonie… Le mimétisme confronte trois espèces : l’espèce « modèle », l’espèce imitatrice et l’espèce dupée. Le « modèle » (carotte), le « mime » qui imite l’espèce référente (loup) et le « dupe » dont les sens confondent les stimuli (lapins) reprennent les instances du mimétisme. Ces « entre-corps » en cachent d’autres. Loup et escargot recèlent, sous leurs défroques, une couronne. Les symboles ont beau être usurpés (aucun n’est roi) ils s’affrontent pour l’honneur (Le lièvre et la tortue).

La langue de l’ironie

     L’ironie pointe son museau jusque dans les choix linguistiques qui jouent sur des degrés d’homonymie et d’antonymie (Mère Sourit sourit après avoir sangloté), de paronymie (les aviateurs, descendants d’Icare, sont hilares), de proximités phonologiques (« Et chat ?« , « Ah ! Chat, ça c’est pas mal !« ).

    Nombre d’expressions sont inversées comme ce couple bien connu (« la carotte et le bâton« ) détourné (« Les coups de carotte ont fait leur effet.« ) (16) La carotte est préparée à toutes les sauces : Routoutou qui a un « poil dans la main » a aussi un « poil de carotte » et les carottes qu’il tire par la « racine » sont volées dans le champ du paysan, alors « carotté ». Quand le lapin court, hors du terrier, il n’a que son pelage, mais chez lui, il enfile un habit professionnel, il va « à la mine » chercher à manger. Les galeries des garennes se transforment en galeries de mineurs, lieux de gisement où la carotte trouve un autre emploi : échantillon cylindrique tiré du sol par forage. Ce sens sera réactivé dans Plouf ! par le cochon : (« Eh ! Je suis bien, ici. Je me baigne, je nage, je plonge… Je m’amuse beaucoup, mais je m’en vais car, comme dans tous les puit à carottes, il y fait trop chaud… » « Un puits à quoi ? » s’exclame le lapin. « Un puits à carottes ! » hurle le cochon « ).

    Que dire du sens de certaines expressions comme celle que le loup (déguisé en Père Noël) profère (« Avec cette astuce, on attrapera bien un gamin.« ) alors que se prépare une incroyable réplique entre le loup (déguisé en Père Noël) et une fillette (vêtue d’une cape ou chaperon rouge) :  » Lâchez-moi ! Je suis une princesse… « Le loup, qui s’y connaît en artifice, dévoile le sien : « C’est ça ! C’est ça ! Et moi je suis le Père Noël ! » ?

    Ces exemples illustrent deux types d’ironie : « une ironie paradigmatique qui s’attaquera à toutes les hiérarchies et jouera sur les ‘mondes renversés’ (…) une ironie syntagmatique qui s’attaquera à la logique des déroulements et des enchaînements, (…) aux diverses formes du ratage et des mauvaises évaluations… » (17)

Références et reverences

    Petit signe discret à Saint-Exupéry à travers l’image d’un boa avalant un couple de chauves-souris (l’auteur dessinait, lui, un boa avalant souris et éléphant). et patronymiques (Trottinette renvoie à la BD Moustache et Trottinette, à la patinette et trotte comme la souris de Verlaine dans Impression Fausse, Totoche renvoie à la BD, Totoche, et à la  » totote « , faisant naître par son suffixe  » – oche « collé au suffixe » – ette », le souvenir de Gavroche et de Cosette, l’hommage à Hugo.)

Corps à corps

     Philippe Corentin n’a rien oublié de la voix du conte : (Voilà c’est l’histoire d’un loup), (C’est trois loups qui font un pique-nique…), (Oh là là ! Il n’a pas l’air content l’animal. Qu’est-ce qu’il a ?), (Il tombe dans l’eau. Il s’aperçoit alors que le froma… Patatras ! Voilà le seau ! Il s’aperçoit donc que le fromage n’était que le reflet de la lune. », (C’est encore l’histoire d’un ogre mais celle-là, elle est rigolote. C’est donc un ogre…), (Bon, ça commence bien on n’y voit rien… Ah, là ça va mieux ! C’est donc une histoire de loups, de deux loups rigolos… Quoiqu’en y regardant de plus près on a du mal à croire que ce sont des loups. Ce n’est pas comme ça les loups…) (18) Une vive voix confère à l’œuvre une incroyable présence.

    La parole enfantine est associée à la faim, l’appétit, le désir. Si les repas familiaux sont constitués d’aliments frustes (salades, tartes, carottes, ragoût), le goûter est central : chocolat chaud, tartes aux pommes, aux noix, aux cerises, aux moucherons, aux La voix de Philippe Corentin est pleine d’accents, chargée de dialogues sociaux, empreinte de comptines, de chansons, de sonorités, de rimes, striée de formules répétitives, de continuités, saturée d’une  » opinion publique « , d’un  » déjà dit « , d’un  » déjà ouï « , une polyphonie qui crée un style propre : « C’est encore l’histoire d’un ogre mais celle-là, elle est rigolote.  » (19)

    L’auteur insère son intention parmi d’autres intentions : il « ne détruit pas les perspectives, il les introduit dans son œuvre. Il utilise des discours déjà peuplés par les intentions sociales d’autrui, les contraint à servir ses intentions nouvelles, à servir un second maître.  » (20) Pour que le jeune lecteur se repère dans cette confusion de Babel, l’auteur assure physiquement une transition entre la vive voix du conteur (l’oral) et les voix sensibles du texte (l’écrit), tout en prévoyant la participation de son auditoire. Dans Patatras !, par exemple, quand le narrateur pose cette question « Tiens, aujourd’hui par exemple, c’est son anniversaire. Qui y a pensé ?« , il n’est pas rare que de jeunes voix s’élèvent pour répondre « Moi !« , manifestant ainsi leur soutien au loup. Il interveint personnellement dans le texte pour provoquer des réactions et interroger le flux du langage comme dans Zigomar n’aime pas les légumes (1992) :  » Si un lapin vole, pourquoi une souris ne volerait-elle pas ? « se dit-il alors. Alors quoi ? » Même vigilance dans la réponse ( » Alors, il est allé voir un vrai oiseau. « ) où l’étrange début qui présentait le merle et le souriceau comme « un oiseau et un autre oiseau » s’éclaire. Deux oiseaux c’est deux oiseaux différents, un vrai et un faux, ce que montrait l’image. Philippe Corentin n’oublie pas que « le langage n’est pas un système abstrait de formes normatives, mais une opinion multilingue sur le monde. (…) Tous les mots, toutes les formes sont peuplés d’intentions. (…) le discours n’est pas dans un langage neutre et impersonnel (car le locuteur ne le prend pas dans un dictionnaire !) ; il est sur des lèvres étrangères, dans des contextes étrangers, au service d’intentions étrangères, et c’est là qu’il faut le prendre pour le faire « sien ». (…) Tous les discours ne se prêtent pas avec la même facilité à cette usurpation, cette appropriation. Beaucoup résistent fermement ; d’autres restent « étrangers », sonnent de façon étrangère dans la bouche du locuteur qui s’en est emparé…  » (21) En devenant l’écrin du plurilinguisme, l’œuvre présente aux enfants non pas le langage mais des langages dialogiques.

    Dialogue entre les formes artistiques, ici le cinéma de Godard :  » Ouf ! Je n’en peux plus ! On est allés trop loin !  » dit, à bout de souffle, l’autre oiseau.« , « Qu’es-ce que je peux faire, je sais pas quoi faire ? », dit Biplan le rabat-joie. (1992) et ce crocodile lisant dans sa baignoire comme Pierrot le fou.

    Dialogue entre le passé et le présent : l’incipit de Perrault « Il était une fois, une petite fille de village, la plus jolie qu’on eut su voir. » devient, dans Mademoiselle Sauve-qui- peut « Il était une fois, une petite fille, la plus espiègle qu’on eut su voir.« .

    Dialogue entre des logiques adultes et des logiques enfantines :  » « Dis maman ! pourquoi Ginette part-elle en Afrique et pas nous ?  »  » Parce que ton amie est une hirondelle et que les hirondelles se nourrissent d’insectes et qu’en hiver il n’y a d’insectes qu’en Afrique « , répond la souris à son souriceau.  » Si, pour aller en Afrique, il suffit de manger des insectes, je veux bien en manger !  » insiste Pipioli le souriceau.  »  » Si un lapin vole, pourquoi une souris ne volerait-elle pas ?  » se dit-il alors.

    Dialogue entre les niveaux d’énonciation : « Le voilà ! Le voilà ! » crie quelqu’un dans Patatras ! au moment où le loup touche au but d’un long jeu de piste qui devait le conduire à son gâteau d’anniversaire. Puis le texte continue ainsi : « Le voilà par terre ! » Il est évident que le présentatif vient de changer de nature et peut-être de bouche.

    Le sujet ne sort pas scindé mais fortifié de cette aventure comme le montre ce passage du « je » au « nous » puis au « on » dans Les Deux goinfres (1997) : « Maman me dit tout le temps :  » Bouboule, tu vas être malade à manger autant de gâteaux. Tu vas faire des cauchemars ! « Bouboule, c’est moi et c’est vrai que j’en mange beaucoup, des gâteaux. Attention, Pas tous les gâteaux. Je ne mange pas n’importe quoi. J’ai mes préférés. Et j’en ai plein, des gâteaux préférés et je peux en manger plein, si je veux. Plus même. Mon plus préféré, c’est celui-là. Au chocolat. Plus il est gros, mieux c’est bien. Mon plus préféré comme chien, c’est Baballe. C’est mon chien. Lui aussi il aime les gâteaux et il n’est pas né le gâteau qui nous rendra malades. Ce soir-là, alors que la nuit venait de tomber, nous, on venait de finir nos gâteaux. Et contrairement à ce qu’avait prédit maman, on n’était pas du tout malades, sauf que… « 

    Quand la littérature (sens et forme) réagit sensiblement aux atmosphères sociales, le lecteur peut entrer dans l’œuvre en tant que créateur, dans une position axiologique ou sa perception ne vise pas des mots, des phonèmes, un rythme mais s’accompagne de mots, de phonèmes, de rythme. Il embrasse le contenu, l’informe, le parachève, « con-sonne » avec lui, maître de l’activité de bout en bout dans: « le sentiment d’une activité valorisante (…) nécessitant l’unité subjective de l’homme sentant et voulant« . (22)

    Le mouvement perpétuel d’un vol d’insectes venant de nulle part et allant on ne sait où laisse derrière lui indifférence, crispation ou ravissement. Dans Biplan le rabat-joie (1992) nulle histoire sinon le long road-movie de deux moucherons en quête de sensations mais incapables de saisir l’aventure qui les poursuit de bout en bout sous la forme de l’araignée. « Bibi, qu’est-ce qu’on fait ? « , demande, au début de l’album, le moustique au moucheron. » Quoi qu’est-ce qu’on fait ? Je n’en sais rien !  » dit Bibi.  » Qu’est-ce que tu veux faire, toi ? « ,  » Je ne sais pas, moi ! On fait ce que tu veux ! « , répond Moustique. À la fin de l’album, le dialogue n’a pas varié d’un poil :  » Bon ! Alors, qu’est-ce qu’on fait ? « , demande Moustique le moustique.  » On fait ce que tu veux !  » répond Bibi le moucheron. Cette suspension du temps narratif n’est pas sa destruction mais la dilatation d’un autre temps, celui de la lecture interprétative, entreprise créatrice se saisissant du vide de la parole et du silence de l’action pour exister. Ici, l’image montre une aventure dont le texte ne s’empare pas (menaces de l’araignée, de l’oiseau, de l’homme, risque de noyade dans le verre de vin…) et le texte dément toute idée d’événement fictionnel pourtant mis à l’image : « Le film était nul, on n’a joué à rien et on n’a même pas vu l’araignée. » Dans ZZZZ… zzzz…., autre vol de mouches, le narrateur emploie l’espace pour rejeter l’intrigue :  » Une histoire de mouches ? Et puis quoi encore ? Elles peuvent toujours attendre. Non, mais des fois ! Ho ! ça ne va pas la tête ?  » Le temps, dans ces deux albums, n’est pas celui de l’action mais celui de l’écoulement des heures, leur fuite inachevée, l’espace vide et plein de l’ennui seulement rompu par une intimidation de scarabée ou de coprophage et une bagarre avec des poux ou des Suisses Allemands. Des vétilles.

    Audace de l’auteur pour enfants qui ne cherche pas à les divertir mais à les installer dans la durée, la linéarité régulière et monotone du temps qui passe : («  Je voudrais bien que tu me dises quand tu ne t’ennuies pas !  » s’énerve le moustique.  » Tu t’ennuies le matin, tu t’ennuies l’après-midi, tu t’ennuies le soir, tu t’ennuies tous les jours. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, jeudi, tu ne t’ennuierais pas. « ). En refusant tout  » emploi du temps « , le moucheron espère-t-il échapper à l’absence de signification de l’existence ? Dans ZZZZ… zzzz…., l’album s’organise autour d’une histoire en train de se faire (work in progress). L’auteur place son narrateur (Monsieur Corentin) dans la situation d’une  » histoire  » qui viendrait  » le chercher  » :  » Voilà le bonhomme… C’est lui, je le reconnais !… on va lui dire deux mots. « . Il expose ce  » vague magma d’émotions  » (23) , préexistant à l’écriture constitués d’allers-retours entre lui et la page, lui et ses lecteurs :  » Bon, ça commence bien, on n’y voit rienAh, là ça va mieux !Ah ! Ils se sont retournésBon, alors c’est quoi cette histoire ?Ah, elles parlent ! C’est déjà çaen français ! Ça c’est bienMais ça parle de quoi ?On n’y comprend rienEt c’est quoi ça ? Et bing ! Ouille !… Ça, ça devait arriverEt allez donc ! Un chat maintenantIl ne manquait plus que çaBon, ça va ! On arrête là !… ça suffit ! Tout cela devient grotesque. On ne sait pas qui est qui ! Qui fait quoi ! Qui va où !… Tiens, quelqu’un…, etc.  » L’auteur invente devant son lecteur l’histoire qu’il ne saura imaginer sans lui. Il donne à l’écriture la fonction majeure  » d’une écoute qui ne soit pas pure réceptivité mais activité. Ré-énonciation. Celle du lecteur.  » (24) Il ne parle pas aux enfants il les écoute l’écouter  » une écoute traversière (…) l’écoute des autres écoutes.  » (25) Plusieurs fois le moucheron tentera d’infléchir l’action du père par des  » idées  » à lui : « Z’ai la très grosse idée qu’elle est zéniale… si on passait d’abord à la pâtisserie… (…) Dis papa ! Zzze pense à un truc…. La souette idée que ze viens de penser…. Papa ! Zuste encore un truc…  » Mais le père n’entend pas poursuivant son projet non explicité : « Bon, allons-y ! N’aie pas peur. Suis-moi ! Ce n’est pas loin.  » Aucune place pour le rejeton qui concentre son désir dans une seule question ( » Papa ! Tu m’écoutes ? « ), s’épuisant vainement à faire exister une parole subjective. Le vrombissement du titre (ZZZZ… zzzz….) peut alors se lire comme la forme zozotée du pronom personnel d’une première personne qui peine à être un inter-locuteur. Philippe Corentin ne fait pas qu’entendre cette difficulté des enfants, il met en scène une représentation littéraire du langage où tous les mots sont pesés, pensés, distanciés. En cela  » il se démarque radicalement du mélange des langages chez les prosateurs médiocres, mélange superficiel, irréfléchi, sans système, frisant souvent l’inculture. » (26)

    Homme de culture, respectueux des enfants, Philippe Corentin fait de la littérature un jeu sérieux mais pas pesant. En cela, il poursuit la grande lignée théâtrale qui va de la pantomime au théâtre de boulevard : « Faites sauter le boîtier d’une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs. C’est une pièce de Feydeau qu’on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c’est une pièce de Feydeau vue de la salle – les heures passent, naturelles, rapides, exquises.« , disait Sacha Guitry Il a l’air rigolo comme ça, mais il ne faut pas s’y fier. C’est un as, un malin, un futé. Un diable de créateur.

 

Professeur des écoles et d’IUFM désormais en retraite, chercheuse, présidente de l’AFL (Association Française pour la Lecture), conférencière infatigable, Yvanne Chenouf a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Etre, 2006). Grande adepte des « lectures expertes ».

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(1) Conte n° 3, Texte de Ionesco, Jean-Pierre Delarge, 1970

(2) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979. En 1990, il a illustré 365 devinettes énigmes et menteries de Muriel Bloch, chez Hatier

(3) « Tête à tête avec Philippe Corentin « , Bernadette Gromer, La Revue des livres pour enfants, n° 180, avril 2008, p. 51

(4) Le Loup blanc, Philippe Corentin, Hachette, coll. Gobelune, 1980

(5) « Tête à tête avec Philippe Corentin « , Bernadette Gromer, La Revue des livres pour enfants, n° 180, avril 2008, p. 52

(6) Conte n° 3, Texte de Ionesco, Jean-Pierre Delarge, 1970

(7) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979. En 1990, il a illustré 365 devinettes énigmes et menteries de Muriel Bloch, chez Hatier

(8) « Tête à tête avec Philippe Corentin « , Bernadette Gromer, La Revue des livres pour enfants, n° 180, avril 2008, p. 51

(9) Le Loup blanc, Philippe Corentin, Hachette, coll. Gobelune, 1980

(10) « Tête à tête avec Philippe Corentin « , Bernadette Gromer, La Revue des livres pour enfants, n° 180, avril 2008, p. 52

(11) L’Opossum qui avait l’air triste, Franck Tashlin, L’école des loisirs, coll . Mouche, 1991

(12) Ma Vallée, Claude Ponti, L’école des loisirs, 1998

(13) « … marginaux, vagabonds, « barbares » (…) voyageurs, nomades sans feu ni lieu, tous personnages qui incarneront une quelconque marginalité ou variations sur le thème de l’étranger ou de l’intrus [sont] les personnages exemplaires de cette marginalité qui définit un genre à tonalité globalement ironique et critique. », L’ironie Littéraire, Philippe Hamon, Hachette, p. 116

(14) Dans La Petite fille du livre (Nadja, L’école des loisirs), les personnages vont aussi à la rencontre de leur auteure.

(15) Extrait audio et texte de Jean-Paul Sartre, Huis clos, Emen, 1964 et Gallimard, 2004.

(16) Il y a un chien mutant dans Le Loup blanc :  » Notre corniaud de bonne augure, qui avait changé de camp…  » Jean-Paul Sartre, « L’existentialisme est un humanisme »

(17) Dialogues de bêtes, p. 65

(18) Vinci a créé la machine volante à partir de la chauve-souris :  » ses membranes sont l’armature, la charpente des ailes « 

(19) Jankélévitch, L’Ironie, Flammarion, 1999, pp. 130-131

(20) Le Chien qui voulait être chat.

(21) Philippe Hamon, L’ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, 1996, pp. 69-70

(22) Plouf !, Tête à claques, Patatras !, Plouf !, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, Zzzzz, Philippe Corentin, EDL

(23) L’Ogre, le loup, la petite fille et le chou, Philippe Corentin, L’école des loisirs, 1995

(24) Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Gallimard, coll. Tel, 1978, p. 120

(25) Mikhaïl Bakhtine, pp. 114-115

(26) idem, p. 77

Pierre Probst

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par Janine Despinette

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Pierre Probst est mort le jeudi 12 avril 2007. Le dimanche 25 mars, eu Salon du livre de Paris, il signait encore ses albums à de nouveaux fans. Il avait 93 ans. Et l’on a pu découvrir dans chaque écho journalistique une nostalgie de sa propre enfance.

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     Je ne sais si on enseigne dans les académies des Beaux Arts combien la connotation sociologique et topologique marque le style d’un illustrateur. Je ne sais si beaucoup de lecteurs prennent en compte cette co-notation graphique lorsque l’œuvre est traduite d’un pays à un autre ou rééditée après un long temps, mais, du point de vue de la critique, il apparait évident que si, à la création, une œuvre icono-textuelle a trouvé place par l’osmose de connivence implicite avec l’entourage et dans un contexte linguistique précis, c’est lorsqu’elle entrera en affinité visuelle avec le regard des lecteurs d’ailleurs qu’elle pourra échapper à la limite de sa temporalité.

    Alors, j’ai longtemps considéré Caroline, créée par Pierre Probst pour Hachette, et Martine, créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier pour Casterman, comme de l’imagerie distractive dont la présentation me semblait parfois à la limite du kitch, même si je reconnaissait à Pierre Probst et ou à Marcel Marlier un vrai talent de création et que j’admirais leur capacité à en renouveler les attraits au fil du temps.

    Or, lors d’un voyage en plein cœur de l’Anatolie turque, visitant la Bibliothèque municipale d’Urgup, en découvrant les deux séries complètes sur les rayons, j’ai eu la singulière surprise d’apprendre que Caroline et Martine représentaient pour les petites filles et les jeunes femmes de là-bas leur exotisme français et qu’au-delà des péripéties des histoires, nos jeunes amis turques s’exerçaient à copier le charme désinvolte de Caroline ou lé préciosité sucrée de Martine. Et notre conversation, ensemble, portait bien sur l »esthétisme, mais féminine : chaque détail des attitudes, de la coiffure, des vêtements portés, reconnu comme made in France, était discuté, apprécié ou non. Détour inattendu de la lecture.

    Les albums Caroline et Martine, outre en Turquie, sont en vente en Grèce, en Italie, en Espagne, dans les pays de langue arabe et de langur hébraïque, dans les pays franciscains, mais aussi dans les pays scandinaves et dans les pays du Commonweath comme au Japon. Bref, partout. Ces deux petites fille sont notre image de marque, le reflet de la féminité française et de la vie à la française, telles qu’en elles-mêmes les autres choisissent de nous voir.

( article paru dans le n°90 – juillet 2007 – du bulletin du CRILJ )

 Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle fut très longtemps administratrice du CRILJ.

Rencontre avec Thierry Dedieu

L’éditeur François Ruy-Vidal fut longtemps adhérent du CRILJ. C’est en citant sa fameuse phrase-slogan que Martine Tatger introduit la rencontre. A quoi Thierry Dedieu répond : « Oui, mais il y a une masse de livres idiots et … trop faciles à lire ! On a tendance à lire aux enfants, le soir, comme on remonte une couverture. Ce n’est pas ça, la lecture ! La lecture, c’est une découverte, c’est une aventure. »

Martine TatgerParlons de vos débuts  …

Thierry Dedieu raconte sa carrière dans la publicité, puis son premier album issu de la commande non aboutie d’un conte de Noël. Ce fut Le petit soldat Noël, plus vendu aux USA que chez nous. Thierry Dedieu a trouvé, au départ, très plaisante cette entrée en littérature de jeunesse, avec beaucoup moins de contraintes que dans la publicité. Tout de suite après ce premier livre, il a travaillé sur Cocottes Perchées, des variations à partir de la comptine Une poule sur un mur. Il se souvient de réunions, plusieurs samedis de suite, avec Chrisitan Bruel l’éditeur et l’illustratrice Katy Couprie. Tous deux reprenaient son texte et ajoutaient leur « grain de sel ». Il se sentait un peu humilié. Il en a discuté avec Denis Cheissoux, le journaliste de l’émission L’as-tu lu, mon P’tit Loup, qui l’a encouragé à continuer. « C’était il y a quatorze ans, commente Thierry Dedieu, il paraissait moins de livres, il y avait un champ d’exploitation immense et beaucoup de liberté. Voilà ce que furent mes débuts. »

M.T. Désormais, vous êtes auteur-illustrateur. Comment naissent vos livres ?

T.D. – Le processus est toujours le même. Une fois que j’ai une idée, je vais l’écrire, puis j’entre dans une période douloureuse et excitante, le choix d’une technique. Je cherche et, tous les matins, je remets tout en question. Je souffre. C’est un tourment, mais c’est le coeur intéressant de mon travail : trouver l’outil et la technique qui iront dans le sens de l’histoire ou qui contrebalanceront un aspect important de l’histoire.

M.T. – Avez-vous besoin du graphisme pour illustrer ? Que vous apporte le graphisme ?

T.D. – Pour moi, l’album doit être un tout, il doit être cohérent. Dans la publicité, je trouvais des concepts-idées et je cherchais le meilleur illustrateur. Maintenant, quand j’ai mon texte, je cherche aussi le meilleur illustrateur : moi ! Et je le mets à rude épreuve ! Par exemple, pour Yakouba, je commence avec l’idée d’un livre sur l’Afrique. Je veux quelque chose d’étonnant. L’histoire n’est pas encore finie, mais je cherche la tête de Yakouba. Je réfléchis. Je me mets dans la peau de Yakouba face au lion … et le lion apparaît comme blessé. Ça n’était pas prévu, ça !

(Thierry Dedieu montre l’original du « premier jet » avec un Yakouba qui a l’air particulièrement féroce)

Yacouba, ici, il me tue mon lion et il me le mange ! Ça ne va pas ! Je ne le maîtrise pas ! Lui, il ne va pas me porter les valeurs du livre ! Yakouba, il est droit dans ses bottes, même s’il est pieds nus, mais il n’a pas cette tête là, ni ces couleurs là. Yakouba ne fait pas de concessions, donc, graphiquement, je ne vais pas en faire non plus. Je retravaille, je me décide pour du noir et du blanc. Ce n’était pas évident il y a quatorze ans ! J’expliqué ça à l’éditeur. Heureusement, j’en ai trouvé un d’intelligent et il accepte.

La plupart du temps, j’écris l’histoire d’abord, je passe au graphisme après. Pour Barbe Bleue, ça a commencé avec l’envie de travailler la technique du papier découpé. C’est joli, ça fait dentelle, donc je vais faire un livre sur les princesses ! Je réfléchis et Barbe Bleue arrive dans ma mémoire. Stop ! On ne peut pas mieux !

(Avec un sourire gourmand, Thierry Dedieu continue)

Barbe bleue, c’est un livre interdit. Avant sept ans, il ne faut pas le lire aux enfants. Quand je vais dans un classe maternelle, je le lis, mais j’avertis les enfants : « Je vais vous lire un livre interdit ! Quand ce sera le moment, vous aurez très, très peur et vous fermerez les yeux ! » Evidemment, j’en fais des caisses ! Vous l’aurez compris, je suis un méchant ! Il y a quand même un ou deux enfants sur cent qui pleurent, je suis un peu malheureux …

Je me suis, un jour, trouvé dans un colloque où un pédopsychiatre a déclaré : « Voilà un livre qui est toxique pour les enfants ! » Et il a brandi mon album à la page où on voit une femme nue, un couteau sur la gorge …

M.T.Lorsque vous avez posé votre scénario, vous interrogez-vous : pour quel public ? pour quel âge ?

T.D. – Non, non, j’écris pour tout le monde.

M.T.Comment le monde de l’édition reçoit-il vos projets ?

T.D. – Je n’ai eu que deux éditeurs, Albin Michel, puis la même personne qui a créé Le Seuil Jeunesse. J’ai été un auteur maison ! J’étais dérangeant mais j’ai eu des prix ! J’étais une caution. Depuis deux ou trois ans, ça a changé, je dois avoir plusieurs maisons d’édition, car je produis beaucoup, donc c’est trop pour un seul éditeur. J’ai essayé de prendre un pseudo, mais ça n’a pas marché …

Et puis, mainteant, il faut qu’un livre se vende dans les six mois. Ensuite, c’est fini, le libraire le retire des rayons. Yakouba, au départ, ne s’est pas vendu, il est « marronnasse » ! Aujourd’hui, il est connu, ça s’est fait peu à peu, par le bouche à oreille. On le trouve beaucoup dans les écoles. Yakouba a eu la chance qu’on lui laisse du temps, Aujourd’hui, ça ne se passerait pas comme ça.

M.T.C’est moins vrai avec les petits éditeurs ?

Oui, certes, mais ils sont moins bien distribués ! J’ai eu récemment une prise de bec avec mon éditrice et j’ai ensuite poussé un coup de gueule sur mon blog. Elle m’avait dit un jour : « Fais-moi un livre de Noël ! » Evidemment, les livres se vendent surtout à Noël et pour les anniversaires ! Mais, pour moi, il y avait un malentendu… J’allais être obligé de faire du joli, comme sur les boîtes de chocolat, avec un graphisme pour plaire au plus grand nombre !

(Nicole Folch, sœur de l’éditrice en question, réagit et apostrophe Thierry Dedieu)

N.F.Ce n’est pas vrai. Quel livre avez-vous sorti qui soit joli ?

T.D. (en riant) – Elle, je la connais, elle est méchante ! Il y a des auteurs qui font du joli et qui réussissent : Claude Ponti, Rebecca Dautremer, Benjamain Lacombe. Mais, bon, d’accord, ils sont bons dans leur registre…

Tenez, voici Un océan dans les yeux. C’est une tentative de joli ! Un challenge pour moi ! L’aquarelle, je ne savais pas faire. A une autre époque, le phare, je l’aurais fait d’un trait, très vite. Et ici, j’ai passé des heures et des heures à en avoir les mains noires !

Ici, c’est une double page de Comme une soudaine envie de voler. En voulant faire du joli, j’ai des contraintes et c’est terrible ! Il faut que le regard soit happé par la couleur – c’est le côté tape à l’oeil – puis qu’il se pose sur la branche très dessinée… Pour que ce soit tout à fait à la norme, il faudrait une princesse, mais moi, je fais un petit bonhomme avec le nez retroussé, bien dessiné mais laid.

L’album Le Pacificateur, une histoire de guerre dans l’univers des jouets robots dinosaures, est difficile pour les enfants. Je me suis régalé à le faire, mais il n’est pas sympa pour les enfants. Enfin, il plairait certainement aux enfants, mais les parents ne l’achètent pas !

Mais le pire album est celui-là : L’Ogre. Je voulais faire un livre qui fasse peur. Je suis allé au bout du bout ! J’ai réussi. Il est parfait. Personne ne l’achète. Il a eu une mention à la Foire internationale du livre de jeunesse de Bologne ; mais il n’a pas marché. Pour tous les gens – à part vous, évidemment – un livre, il faut que ce soit joliment fait !

Moi, je m’intéresse à tout en littérature de jeunesse. Depuis longtemps, j’avais envie de faire quelque chose pour les tout petits mais mon éditeur me disait : « Non, tu ne vas pas y arriver ! » Ça m’a vexé et, quand même, j’ai cherché ce qui allait plaire aux enfants petits. Ah, tiens, disons, par exemple, des dinosaures et un méchant qui va être puni à la fin ! Très bien, ça. Et j’ai fait Le grobidon contre le mochgnac. Parfait pour les petits, à mon avis. J’avais tout bon ! Et pourtant, non ! J’avais oublié que le petit n’achète pas et qu’il faut passer par le filtre des parents. Si le père, le soir, ne se met pas en costume de Mochgnac, pour raconter, ça ne va pas marcher ! Et quand il rentre crevé du boulot, il ne peut pas se mettre en costume de Mochgnac ! Alors j’ai abandonné. Un peu après, j’ai fait Dieux et maintenant, je ne ferai que des choses comme Dieux. (clin d’oeil de Thierry Dedieu au public)

Marie-Hélène Roques Votre Petit Chaperon rouge qui est fait en collaboration avec Jouy en Josas, est-ce que c’est un joli livre ?

T.D. – Ah oui, j’ai réussi ! C’est un livre de Noël, ça ! Mais, j’avais envie de me coltiner au Petit Chaperon rouge. C’était un vrai challenge !

M.H.R Pourquoi avez-vous choisi un décor de toile de Jouy ? Etiez-vous sponsorisé ?

T.D. – Après Barbe-Bleue, j’ai eu envie de faire un Petit Chaperon rouge. Au départ, je voulais le faire en papier découpé et inclure des connotations sexuelles « non visibles par les enfants ». Finalement, je ne l’ai pas fait. Puis, j’ai participé à un concours dans le Val de Marne, département qui offre un album à chaque nouveau-né. C’est à ce moment là que j’ai découvert la toile de Jouy et que j’ai appris que les décors racontaient des moments historiques ou mythologiques.

M.H.R Lorsque vous avez choisi la version Perrault, avez-vous pensé aux parents qui préfèrent celle de Grimm ?

T.D. – Moi, je suis méchant ! Pour moi, celle de Grimm n’est pas la bonne fin.

M.H.R Quand parait en librairie un nouveau Petit Chaperon Rouge, c’est à 80% une version Grimm !

T.D. – Moi je l’ai fait pour tout le monde, je n’ai pas ciblé les petits.

M.T. Est-ce que vous collaborerez avec d’autres auteurs ou illustrateurs comme pour Dieux ?

T.D. – C’est difficile ! Pour celui-là justement, ça ne s’est pas bien passé. Par exemple, cette double page représentant les statues de l’Ile de Pâques, je ne suis pas d’accord avec l’illustrateur. Pour L’Ogre, l’éditeur m’a envoyé le texte, mais il n’a pas voulu que nous collaborions, l’auteur et moi. En voyant mes illustrations, l’auteur a eu un choc, puis il a considéré que c’était l’avis d’un lecteur. L’illustration est une lecture du texte et l’auteur a accepté. Une collaboration aurait sûrement donné autre chose.

M.T. Pouvez-vous parler de votre formation de biologiste ?

T.D. – J’ai fait deux ans en IUT. Je voulais porter un chapeau de paille et observer les petites bêtes comme Jean-Henri Fabre. Et puis, je me suis retrouvé en hôpital à Paris, à faire des analyses de sang et d’urine. Là, j’étais mal ! Je me suis sorti de ça. Et ce qui est resté, c’est ma passion d’enfant plus que mes études. Quand j’étais petit, je gardais une boîte pleine d’eau de mare sous mon lit, pour attendre la naissance des larves. Petit, c’était ma passion… Voici Comme une soudaine envie de voler. Certaines illustrations reproduisent des gravures empruntées à de vieux livres. Le tome 2, Comme un poisson dans l’eau, sortira dans une quinzaine de jours.

M.T. Nous n’avons pas parlé des « suites » justement, Kibwe par exemple ?

T.D. Yakouba a une fin ouverte qui déstabilise. Je vais souvent voir des classes et les enfants me disent : « On vous a fait la suite de Yakouba. » Au bout d’un moment, je me suis dit : « Stop ! je vais faire la mienne ! Au moins pour moi. » Et mon éditeur a accepté. Et puis, j’ai pensé à faire une trilogie. Là, je suis en train de finir le troisième tome qui s’intitulera Yakoubwe. Mais ce sera vraiment le dernier. Très triste évidemment !

M.T. Vous n’avez pas envie d’aller vers la BD ?

T.D. – J’ai essayé. Mais c’est très long ! Cinq fois le temps d’un album et les éditeurs m’ont payé comme pour un album ! Je peux le faire mais c’est difficile à faire accepter.

M.T. – Pouvez-vous revenir sur votre façon d’écrire et sur ces fins déroutantes ?

T.D. – Avec Aagun, j’avais l’idée d’illustrer un proverbe africain : « A celui qui a faim ne donne pas de pain, donne du grain. » J’ai donc écrit un conte sur ce thème et je l’ai illustré en style asiatique car j’aime l’art asiatique. Au départ, j’ai voulu faire des chevaux, des armures, pensant que ça plairait aux enfants, puis je me suis dit que ça avait été trop vu. Alors, je me suis tourné vers les oeuvres de la calligraphe toulousaine Fabienne Verdier et je m’en suis inspiré.

Les fins ? J’aime bien dérouter. Ici, j’ai voulu finir l’histoire comme l’ont vécu les protagonistes, dans l’incompréhension. Ensuite, la lettre adressée à Aagun, un ou deux ans après, montre que les villageois ont compris. Sans cette clé là, nous n’aurions pas compris, nous non plus. C’est vrai que c’est difficile pour les enfants, même les illustrations, mais une fois qu’ils arrivent à la compréhension, ils sont vraiment contents. Dans une classe où les enfants n’avaient rien compris à cette histoire, j’ai repris tous les épisodes avec eux. En fait, ils avaient très bien compris, mais ils n’étaient pas satisfaits de la fin. Ils ne l’acceptaient pas. J’étais un peu atterré car l’instituteur ne les avait pas aidés. Quand on referme le livre, il y a un temps de questionnement, il faut discuter avec les enfants. Moi, j’ai besoin à chaque fois d’un médiateur entre les enfants et mes livres.

Des fins déroutantes, j’en ai écrit d’autres, par exemple Un loup au paradis. Regardez le titre imprimé couleur bonbon avec des petits nuages. C’est un piège : les gens achètent à cause de la couverture et, dedans c’est très différent ! C’est l’histoire d’un loup qui ne se sent pas très loup et qui envie les moutons. Comme vous savez que je suis méchant, vous vous dites « Il va tous les manger. » Eh bien non …

Question du public Envisageriez-vous d’écrire sans illustrations ?

T.D. – Non, l’album me va bien pour ce qu’il est. Pourtant, je passe plus de temps à illustrer qu’à écrire. En fait, pour moi, jusqu’à maintenant, je n’étais pas illustrateur. Les illustrations se suivaient et faisaient partie du récit. j’étais plutôt un graphiste qui faisait des livres. Je ne m’attendais pas qu’on me dise que telle ou telle image etait belle. Cela m’était égal. Maintenant, ça ne m’est plus égal !

Question du public : – Est-ce que parfois l’image peut modifier le texte ?

T.D. – Le texte est fait quand arrivent dans ma tête les illustrations, Illustrations qui sont au service du texte et non le contraire. Souvent, je vois des albums qui sont des prétextes à images. Oui, parfois l’image parasite le texte. Quand le texte est fort, un trait minimaliste, japonisant, suffit.

M.H.R. Fabienne Verdier a appris la calligraphie pendant plus de 10 ans et vous ?

TD. – Au moins quinze jours ! Oui, j’aurais aimé apprendre mais je n’ai pas les moyens. J’ai heureusement un accélérateur. C’est l’ordinateur. Ici, pour la tache de la première page. j’avais fait trois petites taches. Je les ai grossies et manipulées à l’ordinateur et je suis arrivé à l’image définitive ! Autre exemple, pour L’Océan dans les yeux, j’ai peiné à faire les pastels. Comme la couleur, je ne sais pas faire, j’ai colorisé à l’ordinateur. Un jour, j’ai été piégé : pour Aagun, une médiathèque m’a demandé les originaux et j’ai été obligé de les faire… après !

Question du public Parlez-nous du Roi des Sables.

T.D. – Je voulais le réaliser comme un dessin animé tchécoslovaque d’autrefois. Puis j’ai changé d’avis. Imaginez-moi du côté de Gruissan, sur la plage, à cinq heures du matin, avec un château de sable d’un mètre environ. En fait, il était en polystyrène, recouvert de sable, afin que je puisse le bouger pour les photos. J’ai un peu bidouillé. Ensuite, quand le château est détruit par les vagues, je suis à quatre pattes. J’attends la vague. j’ai fait deux cents photos ! J’étais un peu mouillé, hein ! Ce roi, ce personnage en volume, il est presque vivant. J’ai adoré faire le livre comme ça, avec des photos et hors des conventions habituelles. Pour l’image des deux rois devant la fenêtre en ogive, je l’ai préparée dans mon jardin. Des enfants m’ont demandé comment j’avais fait pour prendre la photo de la larme. J’ai répondu : « Ben, dès qu’il a pleuré, tchak, j’ai pris la photo ! » Mais, en fait, j’ai fabriqué une larme en colle scotch. J’ai fini par leur dire, d’ailleurs, aux enfants …

( 19 octobre 2011 )

Quelle soirée ! Thierry Dedieu nous a offert une présentation de ses oeuvres et de techniques comme en un one man show ! Il a répondu, très à l’aise et avec humour, à toutes les questions, debout tout au long de la soirée, très près de nous, la parole facile, discours entrecoupé de tournures familières, ponctué de mimiques et postures comiques, jouant de son accent. Je ne sais s’il a convaincu tout le monde par sa manière d’expliciter ses choix et ses procédés, mais il nous a fait rire ! Au CRILJ, nous sommes divisés sur ce personnage médiatique. Alors on peut dire que ce soir-là, il a gagné en épaisseur, en complexité et en intérêt. Et puis, quand après Yakouba, on découvre L’océan dans les yeux, Le roi des sables et Aagun, on peut penser qu’il est au sommet de son art. Il était, en tout cas, au sommet de sa forme, pour le CRILJ, l’autre soir. (Martine Cortes)

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJMidi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

Rencontre à deux voix

Beaucoup d’enfants et beaucoup de parents, ce mercredi 24 novembre 2010, au Théâtre Olympe de Gouges, à Montauban (Tarn-et-Garonne). Dehors, il faisait beau et, sur la scène, les auteurs-illustrateurs Claude Ponti et François Place…

François Place – On va faire un truc qu’on a jamais fait ! On va se poser des questions ! C’est pas un exercice facile !

Claude Ponti  – Souvent, dans les interviews, je me dis : « Mais pourquoi on me pose cette question ? » Au fait, à quel âge tu as été vacciné ?

François Place – Je ne sais pas. Et toi, à quel âge tu as arrêté de faire pipi au lit ?

( Claude Ponti raconte l’appareillage que ses parents avaient installé pour son frère qui lui, faisait pipi au lit, un système assez agressif, réagissant à l’humidité )

Claude Ponti  – Et toi, le pipi au lit ?

François Place – Jamais ! Jamais !

( Claude Ponti  et François Place ironisent sur leur perfection, même avant la naissance )

laude Ponti – On a des tas de points communs. On a aussi une mère enseignante tous les deux.

François Place – C’est peut-être la même ?

Claude Ponti  – ça m’étonnerait ! Elle est très spéciale ma mère ! Toi, tu as l’air normal ! C’était un hussard noir, ma mère ! Moi, j’ai appris à lire avec la méthode globale intégrale !

François Place – Dis donc, tu crois vraiment à ce que tu écris, toi ?

Claude Ponti  – Ah oui ! Et toi, tu trompes les enfants ?

François Place – Non, mais toi, tu crois que les robinets ont des pattes !

Claude Ponti  – Dis-moi, la première fois où tu as fait des cartes, c’est que tu étais puni ?

François Place – Non, non, j’ai toujours adoré ça. Tu sais, Stevenson a commencé à dessiner la carte avant d’écrire L’Ile au trésor ! Bon, les enfants, vous comprenez ? Au fait, vous connaissez les livres de Claude Ponti ?

( Des enfants citent des titres )

François Place – L’arbre sans fin, c’est un de tes livres que je préfère. Comment est venue l’idée ?

Claude Ponti  – L’idée est venue par le titre : le monde entier dans un arbre. Souvent, on me dit que c’est l’histoire de la disparition d’une grand-mère. Désolé, il me fallait des évènements pour faire sérieux, alors j’ai parlé de la mort d’une grand-mère. J’adorais ma grand-mère, moi. Lorsqu’elle est morte, ma fille a accepté de voir son arrière-grand-mère morte et elle a dit : « C’est rigolo – chez nous ça veut dire : c’est bizarre – il n’y a personne dedans. » Souvent, les enfants disent des choses importantes. J’ai utilisé ça dans l’histoire. Quand j’ai pensé à mettre quelqu’un dans l’arbre, tout s’est enchaîné ! « Moi non plus, je n’ai pas peur de moi. » Cette phrase dans la bouche d’Hipollène répondant au monstre Ortic, a été le moteur ! La mort de la grand-mère est seulement un évènement.

François Place – L’illustration aussi m’a frappé. On a l’impression d’être au milieu des feuilles, il y a un effet de profondeur, l’impression très forte d’être immergé dans l’arbre.

Claude Ponti – C’était un petit coup de chapeau en passant ? Alors attends, il faut que je trouve un truc à te dire de vachement gentil.

François Place – Ah, ah ! le Pontilécheur est un animal qu’on trouve sur scène juste pendant une interview !

Claude Ponti – Je vais parler de ton livre La douane volante. Je me suis retrouvé complètement ailleurs, je me suis senti comme un enfant après la lecture du livre. Cette façon de parler de la réalité en s’échappant, en contournant le monde, c’est la démarche des enfants. J’ai traversé la Bretagne, côtoyé le monde des peintres hollandais – grâce à toi !

François Place – Nous sommes tous les deux intéressés par le phénomène de l’initiation : prendre un personnage, l’entraîner, l’accompagner à travers le monde un peu terrifiant des forêts, de la nuit, des monstres dans les placards et, au bout de l’histoire, le retrouver qui a évolué. Dans Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, quelques pages m’ont beaucoup ému ! Ces choses qu’on veut apprendre aux enfants, on ne peut le faire que comme ça. Il faut que l’enfant passe par la culture, même dans des univers très différents. Il faut passer par ces chemins là pour grandir ! Alors merci aux libraires, merci aux enseignants ! Avec un livre, on peut se promener dans un lit.

Claude Ponti – Moi je peux te poser une question ? Oui ? Alors, François Place, quel est votre parcours ? (rires)

François Place – Eh bien, je suis passé par ici et … je n’ai pas encore fini de passer ! (rires)

Claude Ponti – Moi je suis content quand j’apprends encore des choses. Faire des livres où on montre que la vie c’est comme ça, qu’il y a des obstacles… Les enfants sont des êtres humains si les parents sont des êtres humains ! Ça s’apprend. Il faut parler, il faut du racontage ! En ce moment, les enfants sont poussés à croire que notre planète est un énorme vaisseau spatial. Mais il a fallu un immense passé ! Les Arabes pour les maths, les Indiens pour autre chose, etc. Il est essentiel que les enfants puissent savoir ça pour grandir plus humains.

François Place – Dis donc, tu crois vraiment qu’on peut avoir des parents comme ceux que tu montres ou tu as pété un câble ?

Claude Ponti – Non, je ne crois pas avoir jamais eu de câble. C’était un moment où j’avais des soucis avec ma mère, ça fait longtemps que j’essaie de m’en débarrasser (rires). J’ai fait un livre là-dessus Le catalogue des parents. La plupart des enfants veulent changer de parents – mais pas longtemps !

François Place – Tu as fait aussi Le livre des frères et des soeurs

Claude Ponti – Ah oui, j’ai fait des études très sérieuses pour ça. Mais j’aurais voulu rajouter des cris ou des odeurs. Tu as eu des frères, toi ?

François Place – Trois frères et deux soeurs ! Mais c’était à une époque où les livres pour changer, ça n’existait pas !

Questions du public :

Un adulte – Vous êtes-vous déjà rencontrés ?

François Place –  Oui, c’est pour ça qu’on a l’air vachement pro. Mais non, c’est la première fois !

Un enfant – Comment vous faites pour dessiner aussi bien ?

François Place – Moi je suis plus dans le détail réaliste. Claude s’adresse à des enfants jeunes. Moi j’ai des textes plus compliqués. Lui son rôle, c’est d’enchanter la vie quotidienne, de vous emmener dans le monde des rêves. Les dessins grand format sortent le monde du livre. Moi qui m’adresse à des plus grands, je fais des dessins qui attirent vers l’intérieur, qui font renter dans la page. Dans nos livres à tous les deux, la lecture est toujours à plusieurs étages. Tu peux revenir plusieurs fois, tu découvriras toujours des choses. Tous les deux, on a envie de perdre le lecteur dans le texte et les images.

Claude Ponti – Tu t’en sors bien !

François Place – Tu n’es pas d’accord ?

Claude Ponti – Si, si ! Chaque livre, chaque histoire doit avoir son propre monde ! Chaque livre est un monde et il faut que l’enfant entre dedans. Moi je m’adresse aux petits qui sont très intelligents !

Un enfant – Qu’est-ce qui a poussé Claude Ponti à faire des bonshommes aussi bizarres ?

Claude Ponti – J’invente des espèces de mélanges de bestioles qui n’existent pas. Les enfants, quand ils lisent, se mettent à la place du personnage et c’est le meilleur costume que je puisse faire !

Un enfant – C’est votre vrai nom Claude Ponti ?

Claude Ponti  – Non, je s’appelle Ponticelli, mais j’ai coupé car pendant longtemps il n’a pas été d’accord avec son père.

Un enfant – Est-ce que vous pouvez expliquer comment vous faites vos livres ?

François Place –  On est tous les deux des illustrateurs alors on pense en images ! (rires) Je travaille une narration dans ma tête. La narration plutôt que le texte-images. Je prends des notes pendant longtemps, je fais des croquis…

Claude Ponti – Moi, c’est évidemment différemment pareil ! Ce qui compte, c’est la narration. En général, je commence par une maquette, des petits croquis, des notes, mais juste quelques pages car je ne sais pas refaire deux fois la même chose. J’ai été éduqué à la perfection immédiate ou tu meurs ! J’ai tous les éléments dans la tête, je fais peu de croquis préparatoires.

François Place – Moi à l’inverse, je fais beaucoup de croquis préparatoires, presque trop.

Claude Ponti – J’ai fait un petit livre avec deux poussins et le A. Des gens me demandent « Quand faites-vous le B ? » Mais non ! Par contre, j’ai reçu des livrets faits par des classes sur d’autres lettres. C’est bien ! Il faut que les enfants s’approprient le monde. Il faut que je me sente bien dans ce que je dessine ! Il faut que j’y sois, même dans le cinqième arrière plan. Comme un enfant. Quand on est adulte, on recherche les émotions qu’on a ressenties en tant qu’enfant dessinateur. C’est plus difficile quand on est adulte, d’être dans le dessin qu’on fait.

Un enfant – Vous avez l’intention de faire d’autres livres ?

Claude Ponti – Oui y a intérêt !

Un adulte – Est-ce que vous peignez toujours ?

Claude Ponti  – Non, j’ai arrêté de peindre quand j’ai commencé à dessiner pour ma fille. J’avais commencé par la peinture, mais je n’aimais pas le milieu. Je ne suis pas très sociable ! Je n’aimais pas trop le fait de vendre mes originaux. Et ça ne me plaisait pas que les tableaux que j’aimais, soient achetés par des gens que je n’aimais pas.

Un adulte – Vous êtes papa tous les deux. Est-ce que vous avez été des pères qui ont entraîné leurs enfants dans leur monde ?

François Place –  C’est un métier où on travaille beaucoup, mais on est à la maison. On est pas toujours disponible, mais on est là. J’étais un papa assez carré, mais mon atelier était totalement ouvert et, pendant plusieurs années, mon fils a eu un coin pour  dessiner près de moi. Mais raconter des histoires à ses enfants, ce n’est pas forcément les entraîner dans son univers à soi.

Claude Ponti – Moi, j’ai été un père normal. Le dos de ma fille est constellé de cicatrices de coups de plume et de pinceau que je lui lançais quand elle venait me déranger ! (rires)

François Place – Mais non, c’est pas vrai !

Claude Ponti – J’étais à la maison et tous les soirs, je racontais à ma fille de petites histoires de son quotidien mises en scène avec de petites bêtes, jusque vers 10/11 ans. Maintenant, elle a un master 2 de philo et elle lit des livres auxquels je ne comprends rien !

Un enfant – C’est une histoire vraie Le mange poussin ?

Claude Ponti – Elle est vraie dans le livre ! Et j’ai toujours un poussin…

François Place – Oui, un poussin qui a 32 ans !

( Applaudissements chaleureux, échange réussi, rencontre vraiment plaisante )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.

A la guerre comme à la guerre

par Raoul Dubois

    Tomi Ungerer publie aux éditions école des Loisirs un ouvrage déjà paru à Strasbourg en 1991 et qu’il sous-titre Dessins et souvenirs d’enfance.

    Tout ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse et ceux qui la font, c’est-à-dire tous les membres du CRILJ, se doivent de lire et de faire lire ce texte.

    D’abord parce qu’il met en évidence beaucoup des aspects de l’œuvre de Tomi Ungerer dont il serait fastidieux de faire la bibliographie. Tout s’éclaire et les critiques auront l’occasion dans les années à venir de montrer toutes les correspondances entre ces souvenirs et l’œuvre de l’auteur.

    « … Tomi a huit ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Du jour au lendemain, il doit changer de nom, parler allemand, écrire en gothique, faire un dessin raciste pour son premier devoir nazi. Il obéit, il s’adapte. Il devient caméléon. Français sous son toit, Allemand à l’école, Alsacien avec les copains. Heureux quoiqu’il arrive … »

     On nous permettra d’aller plus loin dans ce texte et d’y voir un extraordinaire résumé des drames de notre temps.

    En premier lieu parce qu’il s’agit d’un enfant placé au centre de ces tourments qui, à travers les âges, mettent en cause, plus que les vies même, le sens de la vie. Tomi est dans la guerre et la guerre est dans Tomi. Peut-être d’ailleurs ne l’a-t-elle jamais quitté. Le fait qu’il appartienne à un milieu cultivé lui a sans doute permis, son talent aidant, de se trouver une issue. Seul l’humour de l’auteur rend certains passages supportables sans que jamais il ne nous entraîne dans la dérision et l’horreur.

    On ne peut s’empêcher de penser aux enfants, victimes d’hier et à ceux d’aujourd’hui. Pour notre génération la liste est longue : les enfants alsaciens, les enfants juifs, les enfants de la Pologne et de la Russie occupée, les enfants Tziganes et ceux Hiroshima qui succédaient aux enfants espagnols que certains oublièrent vite.

    En ce début de siècle, les enfants du Rwanda, du Congo et de tant d’autres pays d’Afrique, nous pensons à ceux de Bosnie, de Serbie, du Kosovo, de Palestine et d’Israël, d’Iran ou d’Afghanistan, d’Irak et d’Algérie (ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui), les Tchétchènes ou les Indonésiens … on n’en finirait pas d’aligner les lieux où se perpétuent des crimes dont les victimes n’auront pas toutes la « chance » – excusez-moi, Tomi – de s’en sortir.

    Mais c’est pour cela qu’il faut lire et faire lire ce livre au moment où peut-être se prépare une guerre qui peut, d’une erreur tactique à l’autre, devenir la troisième guerre mondiale.

    Parce que tous les enfants du monde ont droit à la vie et que rien jamais ne justifie celui qui déclenche une guerre.

    N’aurait-il écrit que ce livre, Ungerer aurait sa place dans la littérature enfantine. Il en a écrit et dessiné beaucoup d’autres, une chance que la guerre nous l’ait épargné.

( texte paru dans le n° 75 – novembre 2002 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en 1931 à Strasbourg, Tomi Ungerer est fils d’un fabricant d’horloges historien et astronome. Il fréquente en 1953 les Arts Décoratifs de Strasbourg, puis, en 1956, part à New York où il se fait connaître comme dessinateur publicitaire. Son premier livre pour enfants, The Mellops go flying, paraît chez Harper and Row en 1957 et obtient le Spring Book Festival Honor Book. Dans les années 1960 il collabore avec l’éditeur suisse Diogenes Verlag qui édite la majorité de ses livres. Après un passage par le Canada, il s’installe en 1976 en Irlande. Il est l’auteur de près de cent cinquante livres dont plus de quarante disponibles en français. Le premier paru en France, Les trois brigands (Ecole des Loisirs 1968) est un album connu de tous. De retour à Strasbourg, Tomi Ungerer a renoué avec sa terre d’origine, multipliant présences et initiatives. Le Musée Tomi Ungerer-Centre International de l’Illustration, à la Villa Greiner à Strasbourg, regroupe un fonds important de dessins, livres, revues, jouets et documents d’archives donné à sa ville natale par l’illustrateur.

  ungeerer

« Dans la maison de Tomi Ungerer, il y a des meubles qu’il a fabriqués, des jambons qu’il a salés, des mécaniques qu’il a montées. Il n’y a pas de télévision. Dans la penderie de Tomi Ungerer, il y a une veste à quatorze poches pleines de manuels de botanique, de loupes, de couteaux, de dictionnaires de minéraux. Dans les œuvres complètes de Tomi Ungerer, il y a des affiches, des publicités, des sculptures, des machines et des jouets, des livres érotiques, des livres de satire sociale, des livres de reportage et des livres pour enfants. Dans les livres pour enfants de Tomi Ungerer, il y a des animaux : serpent, pieuvre, chauve-souris et vautour, maudits et réhabilités, des ogres convertis, des brigands repentis et des histoires sans queue ni tête. Dans les récompenses obtenues par Tomi Ungerer, il y a le Prix du Plus Mauvais Livre pour enfants décerné dans l’Amérique du « politiquement correct ». Dans la bouche de Tomi Ungerer, il y a des imprécations, des moqueries, des colères, des provocations, des engagements, des jeux de mots, des révoltes, des enthousiasmes et des passions. » (Sophie Cherer)

Jean-Claude Marol

      On ne rencontrera plus dans les allées des salons le sourire et la gentillesse de Jean-Claude Marol, illustrateur, humoriste, écrivain, poète, conteur, concepteur, homme de théâtre, qui avait su garder un regard d’enfance.

     D’abord architecte, il s’est transformé en bulle et s’est posé dans de nombreux magazines (Pilote, L’Echo des Savanes, Paris Match, L’Evènement du Jeudi, Panorama, les magazines de Bayard-Presse) et ses premiers livres d’humour se sont retrouvés chez Gallimard comme Vagabul et ses personnages sur FR3.

     Pour son album Exils paru aux éditions Axel Noël, Régine Pernoud disait : « J’ai vivement apprécié votre conte plein de fraicheur et d’humour dénotant une connaissance approfondie de cet héritage médiéval que visiblement vous aimez autant que moi. »

     A propos de Vagabond (Gallimard, 1982) :

 – « Il est inimitable, Marol, dans ce mélange de naïveté tendre et d’impayable dureté. » (Bayard Presse)

– « Marol, avec ses petits personnages fantomatiques, bougons et obstinés et ses décors vides, nous emmène dans l’imaginaire le plus poétique. » (Les Nouvelles Littéraires)

     A propos de Pli urgent (L’originel, 1985) :

 – « Marol ramène les mots d’amour à leurs résonances premières, enfantines. A leur évidence poétique. » (Le Monde)

– « Quoi de plus urgent qu’une lettre d’amour ? Marol s’adresse à tous ceux qui aiment, à tous ceux qui s’aiment, et qui l’aimeront sîrement. » (Télérama)

     A propos de Feudou dragon secret (Ipomée, 1983) :

 – « Un conte moderne écrit de façon limpide et avec un certain humour. » (Odile Berthémy, Les Nouvelles Littéraires)

 ( article paru dans le n°71 – novembre 2001 – du bulletin du CRILJ )

« Dimanche 14 octobre 2001, sur un quai de Seine, nous sommes une trentaine à rendre un dernier hommage à notre ami Jean-Claude Marol, récemment disparu. Le vent, la bruine, les feuilles dorées de l’automne, le chant sans âge de deux musiciens, les cloches de Notre-Dame qui font vibrer les voûtes du ciel, les fleurs jetées à l’eau longeant lentement chacun d’entre nous avant de disparaître dans le vif du courant… Difficile en cet instant de délimiter clairement la frontière entre ombre et lumière, tristesse et joie. Nous sommes sur le fil. À égale distance de la déchirure et du bonheur. » (Thierry Cazals)

   jean-claude marol

 « Un jour, j’étais attendu dans une classe. Malheureusement, mon intervention (demandée par la direction) avait dû irriter l’instituteur : quand je suis arrivé, une interrogation écrite avait été prévue. On me faisait comprendre que j’étais de trop. J’aurais pu repartir. Quasiment sans réfléchir, j’ai dit aux enfants : “Écoutez, j’ai une idée. On va bien faire une interro écrite, mais vous allez vous poser des questions sur vous-mêmes, aussi impertinentes qu’elles soient.” C’est allé très vite. En dix secondes tout a échappé à l’instit’. Les gosses m’ont regardé avec cette sorte de vitalité, prête à tous les coups, qu’ont les onze, douze ans. Le résultat fut époustouflant. Contrairement à d’autres fois, ils n’ont pas posé de questions sur le sexe, mais des questions sur Dieu ou sur la mort. En un instant, on a assisté à un fantastique retournement, passant d’une interrogation qui crée le barrage à une totale ouverture. Alors, j’ai accéléré le mouvement. J’ai dit : “Dans dix minutes, je ramasse les copies ! Vite, vite !” Recréer l’urgence. Dans cette urgence, on n’a pas le temps de tricher, de faire semblant. Il faut aller vite. Ils ont en face d’eux un adulte pressé, qui fait face, qui est dangereux, tendrement dangereux. Il faut y aller. C’est une colère. »

Stépan Zavrel

  par Janine Despinette

     La communauté internationale des artistes illustrateurs des cinq continents est en deuil. Stépan Zavrel est mort accidentellement à Sarmède, en plein chantier de ses fresques sur les facades des maisons de la cité du Vénéro, le 27 février 1999.

     Pour la plupart des lecteurs du bulletin du CRILJ, le nom de Stépan Zavrel n’est sans douté lié qu’aux illustrations de Un rêve à Venise (Nathan), Le soleil disparu (Nord-Sud), Une pluie d’étoiles (Le Cerf), Le dernier arbre (Bohem Press et Bilboquet), La Cité des fleurs (Le Cerf), prix « Critique en herbe » de la Foire de Bologne en 1988.

     Pourtant, nous pensons que ceux qui ont eu l’occasion de visiter Imaginaires des illustrateurs européens, exposition présentée en 1993 à la salle d’actualité de la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou par Christiane Abbadie-Clerc et la Communauté de Sarmède dont Stépan Zavrel était le directeur artistique, comprendront que nous rendions hommage ici, même brièvement, au rôle essentiel  qu’a joué, pour l’Europe, ce peintre poète praguois, émigré en Italie en 1959, et vers qui est venue toute une génération d’artistes et d’artisans d’images pour qui il fondera, avec Oscar Bozejvsky, Bohem Press, basé en Suisse. Mais pour qui il inventera aussi, dans des structures « à la jonction de l’école et du musée », une nouvelle esthétique de la communication, totalement pluriculturelle, capable de résister pour longtemps aux stéréotypes numériques en place et à venir.

     Il était polyglotte, il savait tout faire, des marionnettes, des films et des livres. Il aimait la vie. Il savait dialoguer avec les enfants et inventer pour eux des mondes colorés fabuleusement beaux, mais il savait aussi regarder les images des autres et être à l’écoute de leurs projets, de les aider à découvrir leur vrai talent. A partir de Sarmède, il montait avec eux des expositions itinérantes, événements culturels aussi bien à Nex-York qu’à Tokyo ou à Paris, à Strasbourg qu’à Zagreb.

     Au stand Bohem Press comme au stand de Sarmède Paese della Fiaba, cette année, à Bologne, le sentiment d’absence sera grand.

 ( texte paru dans le n° 64 – mars 1999 – du bulletin du CRILJ )

zavrel

Né à Prague en 1932, Stépan Zavrel y fréquente la Faculté des arts cinématographiques et se spécialise dans le film d’animation. En 1959, il s’inscrit à la Faculté de Peinture de l’Académie des Beaux-Arts de Rome, et en 1963, s’établit à Munich où il approfondit ses études. De 1965 à 1968, il dirige à Londres la section du film animé du studio Richard Willims. S’établissant enfin à Rugolo, près de Trévise, il exerce son activité de peintre et d’illustrateur. En 1971, il fonde avec Otakar Bozejovsky la maison d’édition suisse Bohem Press. Son intérêt pour le monde de l’enfance et son attention constante aux jeunes illustrateurs l’incite à organiser de nombreuses expositions itinétantes d’illustrations d’originales. En 2001, s’est tenue à Sarmède (Italie), sous le titre Le monde magique de Stépan Zavrel, une exposition-hommage accompagnée d’un fort beau catalogue.

Samivel

    Samivel vient de mourir à 84 ans. Nous sommes nombreux à avoir devant nos yeux des illustrations d’albums pour jeunes : une double page avec un champ de neige et un petit personnage, un chamois au sommet d’une montagne, un très gros et rond personnage tiré de l’œuvre de Rabelais.

    Il fut un dessinateur, un écrivain pour les jeunes et les adultes, un poète, un humoriste plein de saveur et un écologiste avant l’heure. Explorateur, il fait partie de la première expédition Paul-Emile Victor au Groenland en 1948. Conférencier à « Connaissance du Monde » de ses nombreux voyages en Egype, en Grèce, en Crête, en Isalnde, il rapporta es films, des livres illustrés, des photos.

    Ses premiers albums pour jeunes ont été publiés dans les années 1933-35 : Parade de Diplodocus et Les blagueurs de Bagdad chez l’éditeur Paul Harmann en 1937, Sous l’œil des choucas chez Delagrave. Puis il illustra des adaptations de Rabelais, Pantagruel et Gargantua, et illustra trois épisodes du Roman de Renard : Goupil, Brun l’ours, Les malheurs d’Isengrin, toujours chez Delagrave. Pendant la guerre, chez l’éditeur IAC, à Lyon, il écrivit et illustra, entre autres, Chansons de France et Bon voyage monsieur Dumollet. En 1944, il donna sa vision des Fables de La Fontaine. Dans les années 1950 vont paraître, chez divers éditeurs, Les Contes à pic et Alain Bombard naufragé volontaire.

    Certains livres ont été réédités ou se trouvent toujours chez Delagrave. L’éditeur Hoëbeke a fait paraitre en 1986 le Samivel des rêves, anthologie pour jeunes, et, en 1991, Tartarin dans les Alpes.

    En décembre 1990 une exposition des originaux de ses dessins a été organisée au Musée Ethnologique de Conches près de Genève.

    Samivel dit par le dessin, l’écriture, les conférences, les films, son amour de la nature, de la neige, des glaces. Il traite les animaux avec une indulgence amusée et les hommes avec une ironie parfois cinglante. Son trait est précis, enveloppant pour les rondeurs, ses couleurs sont simples et fraîches. Et il sait faire vibrer le blanc de la neige. Michel Tournier a dit : « Perdu dans la grandiose splendeur alpine, que l’homme est petit, laid, stupide et sale. »

    Pour moi, l’homme Samivel est un curieux non spécialiste, épris de la beauté et de la nature. Il a déclaré un jour : « La liberté coûte cher, mais c’est la liberté. »

    Samivel a su faire partager à ses lecteurs ses passions et son œil amusé.

( texte paru dans le n° 44 – mars 1992 – du bulletin du CRILJ )

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Né à Paris en 1907, savoyard d’adoption, Paul Gayet-Tancrède emprunta son nom à une lecture d’enfance, Les Aventures de Mr Pickwick de Charles Dickens. Samivel se fait connaître dès 1928 par ses illustrations dédiées à la montagne, notamment celles qu’il donne à la revue La vie Alpine. Ecrivain dès 1940 avec L’Amateur d’abîmes, Samivel n’oublia pas les enfants, adaptant et illustrant pour eux quelques grands auteurs. Alpiniste confirmé, grand voyageur, artiste multiple, écologiste de la première heure, humaniste avant tout, Samivel est traduit en anglais, allemand, italien, espagnol, polonais, islandais.

 

Jean Claverie à Moulins

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    Moulins était jusqu’alors pour moi l’adresse des éditions Ipomée. Les livres publiés par Nicole Maymat et Dominique Beaufils en avaient fait déjà depuis longtemps à mes yeux un haut lieu de l’édition artistique. La mise en place du Centre de l’Illustration et ses missions annoncées ont évidemment retenu mon attention. En découvrant le Point 3 de ses Missions : ‘’Etre un point de convergences et de rencontres entre professionnels impliqués dans l’édition d’albums jeunesse pour une transmission de la passion de l’illustration’’ je ne pouvais que me sentir concernée. Ce Point 3 est aussi dans les statuts du CIELJ et du site Ricochet depuis 1988. Nous sommes là ce soir, parce que après Elzbieta, Yvan Pommaux, Nathalie Novi, Jean Claverie vient d’investir l’Hôtel de Mora et vous avez pu constater par vous-mêmes qu’il ne faut pas moins de neuf salles pour que les visiteurs puissent prendre la mesure de la complexe diversité de son travail d’illustration à l’intention de l’édition pour la jeunesse. Et de salle en salle, vous avez sans doute constaté la diversité des thèmes et des ambiances de ses livres d’images. Madame l’attaché de conservation a raison : l’Hôtel de Mora se révèle un cadre idéal pour permettre à des illustrateurs artistes de faire sortir l’illustration française de son carcan d’art appliqué.

   Il est toujours impressionnant en visitant une rétrospective de faire en un moment bref le parcours de toute une vie de création d’un artiste. Et, pour la plupart d’entre vous, c’est la découverte sans doute d’un ensemble : une quarantaine d’ouvrages publiés entre 1977 et aujourd’hui. Des livres d’images, écho de moments de vie d’enfance, souvent pour des lectures familiales. Mais aussi, des jeux d’images pour une perception visuelle à affiner. Des illustrations pour des contes traditionnels dont on connaît les textes. Des illustrations pour des contes anciens venus d’ailleurs. Des créations de contes modernes. Et encore des récits en images, témoignages et échos d’une autre part de vie de l’artiste : celle consacrée à la musique et aux dessins d’animation pour écran cathodique.

   On prend conscience alors, ici, de l’aisance du théoricien de l’image de communication, qu’est aussi Jean Claverie, à prouver (par son éclectisme dans ses références graphiques et picturales) qu’il est vraiment possible de faire coexister la tradition littéraire et la modernité du regard et de l’expression.

   Jean Claverie a retenu l’attention des universitaires, spécialistes de littérature comparée, comme celles des pédagogues depuis quelques années déjà. Et les uns et les autres ont déjà beaucoup écrit sur le sujet. Pourquoi est-ce moi qui me retrouve ici à disserter sur cette complexe diversité de l’œuvre, en présence de l’artiste, alors qu’il pourrait lui-même, mieux que personne, nous transformer tous en étudiants attentifs. Peut-être parce que ma particularité est d’avoir lu ses livres l’un après l’autre, au fil du temps, depuis la parution du premier (Le joueur de flûte de Hamelin, en 1977). Oui, la clé de l’énigme est, je pense, dans la présentation chronologique de la bibliographie des livres créés par Jean Claverie. Il y est noté que La Princesse sur une noix, réalisée avec Michelle Nickly, a reçu le prix graphique Loisirs Jeunes 1981. Les trois contes de Ludwig Bechstein, la plaqueta d’or de la BIB de Bratislava (1983), Julien, avec un texte d’Anne-Marie Chapouton, le Prix Octogone Graphique 1990 et Little Lou, le Prix Octogone Musique 1990, des prix décernés par le CIELJ.

   Il semblerait que pour Jean Claverie, ces initiatives de promotion culturelle, il est vrai spectaculaires, prises par nous dès les années 1960 dans le cadre de l’association Loisirs Jeunes Paris et à partir de 1988 dans le cadre des travaux du Comité scientifique Ricochet paraissent assez importantes dans leurs aboutissements pour être mentionnées dans cette exposition et pour susciter ma rencontre avec vous.

   Après tout, peut-être est-il intéressant quelquefois, pour un artiste, de se resituer dans le temps et dans l’espace avec des témoins pouvant dire ‘’je me souviens’’.

   Que le sujet soit une abstraction, un auto-portrait ou un paysage, un tableau est le reflet de l’imaginaire du peintre car même s’il prend soin de cacher les clés pour attiser la curiosité de l’amateur de peinture, dans une œuvre picturale, c’est lui-même qu’il met en scène.

   La personnalité du cartooniste de bandes dessinées se définit par la facture technique de son trait dans une image narrative dont le rythme de case en case, recrée le sens d’un temps déterminé dans un espace défini, celui d’une aventure dédiée à un lecteur complice.

   Le publicitaire a la charge de parler de tout sauf de lui, dans une affiche, une maquette ou un spot télévisé ; Il doit mettre en scène des produis et des idées qui ne sont pas de lui. Il doit pratiquer un art de synthèse qui soit incitateur de désir pour le public acheteur, et consommateur.

   L’artiste artisan qu’est l’illustrateur de livres doit donner à lire un objet-livre autant dans sa forme que dans les idées émises par un écrivain. L’imagier peut soutenir, compléter, illustrer, détourner le sens des idées du texte au profit de son propre message : la mise en page, la qualité du trait, de la couleur, la qualité d’impression et de photogravure, l’ambiance iconique, en un mot, déterminent  maintenant la lecture autant que l’intérêt du thème et le style de l’écriture. Tout dans un livre d’images, concourt à donner un jeu précis de tension et d’attrait pour le lecteur ciblé. Mais, de toutes les ambiguïtés de l’époque de transition dans laquelle nous vivons – balançant entre le passé de la Galaxie Gutemberg en quête de notre patrimoine littéraire accumulé dans les livres, et le présent, en mutation incessante, de la constellation Marconi par l’universalisation de l’image mouvante – la reconnaissance des richesses artistiques de cette « Littérature en couleurs » n’est pas la moindre.

   Je suis donc là, parce que membre chercheur au Centre de Psychologie comparative de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris, entre 1958 et 1983, mes articles avaient trouvé échos dans les Ecoles des Beaux Arts autant qu’auprès des collègues universitaires étrangers. Je suis là parce que je m’interroge aujourd’hui comme hier sur l’apport de l’album d’images dans l’éducation de la sensibilité esthétique d’un enfant. Ma lecture première de critique, passeur de culture d’un pays à l’autre porte toujours sur l’ambivalence de sens surgissant des images (dites illustratives) que suggère un texte à un illustrateur.  Mais aussi … sur l’évolution de l’approche critique des médiateurs que sont les professionnels de la lecture.

   Mon approche de l’œuvre de Claverie ici ne sera ni analytique, ni pédagogique, ni théorique, plutôt un écho d’une étude menée au fil des années, un écho de la découverte d’une œuvre graphique s’imposant à l’attention au gré des envois des maisons d’édition souhaitant que leurs productions retiennent mes réactions de critique. Pour vous une information de base essentielle, pour Jean Claverie la case départ du choix du livre d’enfant comme support de création se trouve à la Foire de Bologne, il en témoigne dans l’introduction de L’AZ du CRILJ en 1990. Il est vrai qu’il suffit de visiter une fois la Fiera pour comprendre le sens du mot iconosphère. La Fiera, manifestation annuelle qui a débuté en 1966 est vite devenue un lieu phare de découvertes et de rencontres pour les professeurs des Beaux Arts et les étudiants rêvant d’un art visuel compris partout au delà des mots. Jean Claverie y est venu pour la 1ière fois vers 1975. Il était déjà professeur à l’Ecole des Beaux Arts de Lyon mais encore illustrateur publicitaire. Mieux que d’autres, il m’a semblé, il va prendre la mesure de la complexité de la circulation de la « Littérature en couleurs » d’un pays à l’autre, avec ses impératifs industriels laminant pour la création, par la standardisation des modes de représentation. Mais il est sûr qu’il y découvre aussi qu’entrer dans le jeu de la compétition internationale est vitale pour la survie d’une certaine approche culturelle à la française, sans entrer pour autant dans les querelles d’influence pédagogique d’utilisation de ce type de livres.

   Jean Claverie, il le dit, il l’écrit, est par tempérament autant lecteur que musicien, il s’intéresse depuis l’enfance à l’univers des contes, il aime aussi les romans d’atmosphère. Et il arrivera que de sa lecture d’un texte qu’il apprécie particulièrement, surgissent des griffonnages entre les mots comme un éclairement de sens à ses yeux. Il peut à l’occasion y mettre de la couleur. Et de l’ensemble, naît un nouveau livre, texte-images-texte qui par ses dérives ouvre nos yeux, à nous, sur l’imaginaire de l’artiste Jean Claverie. Voir Que ma joie demeure de Michel Tournier, chez Gallimard. En 1977, dans les envois d’éditeurs, proposant leurs dernières publications à ma critique pour la rubrique Livres de Loisirs Jeunes, il y avait Le joueur de flûte de Hamelin. L’adaptation du texte était signée de Kurt Bauman, un auteur suisse (Garnier, Lotus et Nord-Sud). Les images évoquaient pour moi comme un écho de Beattlemania et d’influence Heitz Edelmann alors à la mode. Jean Claverie avait 30 ans et ce Joueur de flûte de Hamelin était un  projet conçu avec François Ruy-Vidal, Jean Claverie le voulait comme un hommage à Samivel, autant qu’un écho des recherches de style de la génération après Ruy-Vidal et l’intégration de l’interculturel dans la réalisation des images.

   En 1980, les éditions Nord-Sud m’envoie Le Prince heureux, un texte d’Oscar Wilde, avec des illustrations de Jean Claverie, style gravure anglaise. Hachette m’envoie L’auberge de la peur d’Isaac Bashevis Singer avec des illustrations de Jean Claverie d’une sobriété presque classique et Bayard Presse, dans le secteur Presse Enfance, fait paraître dans la revue Blaireau Les boutons de Bérangère, puis Le pêcheur d’oiseaux qui, soudain, relativisent pour moi la modernité d’expression des albums éducatifs alors sur le marché. Jean Claverie casse là, avec une belle simplicité les stéréotypes des relations figées texte-image. Il prouve qu’il sait ce qu’est pratiquer la lecture interactive avec des enfants et qu’il connaît le pouvoir d’impact du visuel pour une éducation du regard des tout jeunes lecteurs.

   Pour le numéro de Loisirs Jeunes Etrennes 1982, dans l’envoi Nord-Sud, il y a La princesse sur une noix, un conte de Michelle Nickly imagé par Jean Claverie, avec ce livre Jean Claverie va se retrouver en compétition pour le Prix Graphique de l’année avec Philippe Dumas pour Ce changement là (Ecole des Loisirs), Françoise Boudignon pour Hans le trop bavard (La Farandole), Frédéric Clément pour Chevêche aussi rouge que l’aurore (Amitié/Ruy-Vidal), Puig-Rosado pour L’encadreur de rêves (Hachette) – Rappelons peut-être pour information que le jury du Prix Graphique était composé du conservateur du Musée des Arts Décoratifs, François Mathey, de Raoul Dubois et Eudes de la Potterie, critiques de la presse et de la littérature pour les jeunes, d’un représentant du Syndicat de l’Edition, d’un représentant de la Fédération Française des Syndicats de Librairie, du Directeur de Loisirs Jeunes, Pierre Debuche et de moi-même. Le jury, à l’unanimité décidera que La Princesse sur une noix apparaissait comme ‘’l’un des plus remarquables exemples de l’art de passer de la tradition à la modernité. Le thème du conte est classique : un prince en quête d’une princesse idéale, mais chaque phrase de Michelle Nickly résonne d’une ‘’moralité’’ contemporaine d’un après 68. Les aquarelles pastelles de Jean Claverie ont un charme romantique incontestable mais, ambiance décorative et mise en scène sont perçues immédiatement actuelles. Par un subtil détail dans l’attitude de ses personnages, par le cadrage des objets dans le décor, l’artiste provoque chez le lecteur un regard de distanciation comme au théâtre. L’enfant sourit et s’amuse en spectateur averti, l’adulte aussi’’ (Loisirs Jeunes 1981).

   L’analyse ne correspond pas aux critères d’une recension de lecture pour revue de bibliothécaires, mais Loisirs Jeunes, revue hebdomadaire d’avant-garde parce que multiculturelle intéressait les éditeurs, les libraires et les journalistes des grands médias de communication,  télévision et presse qui trouvaient là matière à penser.

   A ce propos, je vais quand même théoriser quelques instants sur le rôle de la critique médiatique.

   La compréhension du sens d’une image polysémique implique toujours le regardé intentionnel, qu’il s’agisse d’images narratives pour fixer l’attention sur le message d’un conte, d’une fable ou d’images descriptives et démonstratives qui peuvent aider à développer les connaissances techniques ou historiques dans les documentaires ; un regardé intentionnel qui est lié à une manière personnelle d’appréciation, d’interrogation, d’hypothèse, d’anticipation du développement du sens de cette image dans sa complémentarité avec le texte, de la part du lecteur.

   Le rôle de la critique est de prendre la mesure de ce regardé intentionnel en fonction de la médiatisation à établir avec le public d’une revue spécialisée ou celui plus large des magasines et de la presse pour lequel elle fait ses analyses.

   On accorde généralement à la critique le don de ‘’faire l’opinion’’, elle est, en principe, effectivement le premier médiateur et un lecteur privilégié puisqu’elle dispose du pouvoir de comparer d’un auteur à l’autre, d’une édition à l’autre, et parfois de l’originalité à la translation et à la traduction d’un pays à l’autre.

   De plus en plus, même les livres d’images sans texte ont du sens et un sens perceptible et perçu par beaucoup d’enfants parce que les images des supports médiatiques (TV ou presse) font évoluer les perceptions visuelles dans la plupart des pays industrialisés, au même rythme et en même temps – avec plus ou moins de bonheur, évidemment, selon le degré de vigilance de l’opinion publique à rejeter la médiocrité des stéréotypes.

   L’approche de l’image de la critique spécialisée se traduira donc, d’abord, par une lecture du message perçu par elle comme traditionnel ou novateur en soi, mais en fonction aussi de sa finalité : arriver jusqu’à l’enfant lecteur, donc avec une anticipation interrogative sur la perception de quelqu’un différent de soi. L’esthétique graphique et plastique de l’image ainsi que la qualité littéraire l’aident à situer l’œuvre dans l’évolution au quotidien de l’univers culturel de l’enfance.

   Ce ne sont pas toujours ces qualités qui inciteront les enfants à la lecture, mais bien plus la novation dans le thème et surtout, plus encore, la transgression d’expression des artistes contemporains qui savent montrer que parallèlement au code abstrait et conventionnel de l’écriture, l’image en étant infra verbale, infra langagière, comme disent les sémiologues, permet une communication directe conduisant à une lecture plaisir et parfois ludique aussi bien qu’à une lecture connaissance – source de réflexion. Mais curieusement, revient à la critique, enfin de compte, la charge de le démontrer avec des mots.

   Ces réflexions en marge m’amènent à Bratislava en 1983. J’étais aussi du jury de la BIB cette année là avec Lucia Binder (Autriche), Sybille Jagush (Etats-Unis), Nicolas Popov (Russie), Val Manteanu (Roumanie), Vibeke Stybe (Danemark), Rico Lins (Brésil), Yoko Inokuma (Japon), Otilie Dinges et Horst Kuntze (Allemagne), Carla Poesio (Italie), Marian Vesely et Miroslav Kudran (Tchécoslovaquie).

   Sur les cimaises des salles d’exposition de la Bibiana étaient présentés les originaux d’illustrations de plus de 300 artistes venant de tous les pays d’Europe, du Canada, des Etats-Unis, du Mexique et du Brésil, de la Chine et du Japon … du Burundi et de la Turquie.

   Les six illustrations que présentait Jean Claverie étaient celles de Drei Marchen (Les Trois contes) de Ludwig Bechstein, un conteur allemand de la période classique apprécié en Suisse et toujours publié en coffret par les éditions Nord-Sud. Ces illustrations étaient des dessins au crayon et aquarelle sur papier format 12×19, le jury international va réagir de la même manière que le jury Loisirs Jeunes. Il sera retenu et mise en valeur la même singularité claverienne : ces glissements de la référence classique assimilée par une mémoire d’érudit… à un étonnant rapport texte-image d’avant-gardiste dans le traitement de l’illustration de ce texte. En 2006, 40 livres et plus,  plus tard, auxquels on ajoute les affiches, les travaux graphiques, les films… Jean Claverie représente dans la vie internationale de l’édition jeunesse l’éclectisme et l’ouverture sur le monde de l’Ecole française de l’illustration. Ses éditeurs sont Nord Sud en Suisse mais aussi Albin Michel, Gallimard, Bayard Presse en pays francophones, il lui est arrivé de séjourner en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pour créer des livres sur place, il a des éditeurs dans ces pays. Nous en avons des échos avec Little Lou et avec Le Noël d’Auggie Wren de Paul Oster. Jean Claverie peut rêver sur la mélancolie immédiate au quotidien familial parce qu’il croit encore comme nous à la co-lecture affective adulte-enfant et à la douceur de vivre en famille partout. Il n’y a que Claverie pour être caricaturiste redoutable et portraitiste attendri dans la présentation, d’un face à face enfant-adulte (voir Julien, Jérémy peur de rien, Riquet à la Houppe), face à face conduisant à de vraie co-lecture, toute génération confondue.

   Ici, dans cette rétrospective d’ensemble, vous avez noté vous-même certainement à quel point Jean Claverie cultive avec délectation l’art de pratiquer le dessin.

   ‘’Le dessin est pour moi une façon de penser comme l’écriture qui résiste ou cède, qu’on affronte ou contourne, qui joue avec le filtre de la mémoire et celui de l’anticipation. Le dessin ajuste les idées qu’il a fait naître mentalement’’ écrit-il dans l’ouvrage collectif sur les Images à la page, publié par le Centre Pompidou, accompagnant l’exposition conçue par Christiane Abbadie-Clerc et François Vié en 1984.

   Et les dessins de Claverie ont souvent les couleurs d’un moment d’enfance heureuse, d’enfance rêvée parce que d’un croquis, d’une esquisse d’attitude d’un personnage entrevu, il va arriver à la théâtralisation de la scène captée par son regard, l’espace d’une minute, et il en fera peut-être une histoire en images.

   Lisez Les Boutons de Bérengère, Jérémy peur de rien, Julien et aussi le Petit Chaperon rouge …

   Il est un théoricien de l’image de communication face à ses étudiants, il sait ce qui est en jeu dans la mise en scène des images. Il tente la perception globale sensible de ce qui est perçu fragmentairement par l’enfant des réalités quotidiennes. Il est un inventeur d’histoire en images pour les interlocuteurs de tous âges. Ses histoires surgissent d’un aperçu d’une attitude, d’un jeu entre enfants, d’une phrase entendue … de touts ces petits riens familiaux dans le quotidien des jours. Mais cela donne L’art du pot, L’art de lire, L’art des bises et encore Le Théorème de Mamadou, imaginé par l’auteur lyonnais Azoug Begag, ‘’à quoi ça sert d’apprendre puisqu’on oublie tout quand on est vieux ?’’. Question existentielle pour un jeune écolier avec en écho La batterie de Théophile, d’égale qualité d’approche philosophique à l’âge des premiers questionnements.

   Mais l’exposition ici par la présentation des croquis, des aquarelles, isolés du contexte de mise en page, m’a fait découvrir que Jean Claverie est aussi un paysagiste, voir la première esquisse de Little Lou, ce bord de fleuve où on a envie de rester à rêver et ailleurs les jeux d’ombre et de lumière à l’entrée d’une rue inconnue où toute aventure est possible.. Et encore l’entrée au théâtre des Trois Contes.

   Aujourd’hui, on peut repérer ici et là l’influence des mises en scène des images narratives à la Claverie. L’influence d’une certaine manière de diffuser l’éclairement pour théâtraliser au maximum l’action en contrepoint des mots lus mais on ne confond jamais l’original.

   Au Japon, il est entré il y a quelques années déjà au Musée Chihiro Iwasaki avec The secret Garden mais aussi avec L’art du pot. Les japonais ne s’y sont pas trompés. Ils ont bien compris qu’il était l’artiste français qui, dans ses livres, pouvait le mieux les aider à saisir les subtilités de notre imaginaire hexagonal… Si faire se peut.

( article paru dans le n°88 – mars 2007 – du bulletin du CRILJ )

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Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle est – depuis fort longtemps et aujourd’hui encore – administratrice du CRILJ.