Rencontre à deux voix

Beaucoup d’enfants et beaucoup de parents, ce mercredi 24 novembre 2010, au Théâtre Olympe de Gouges, à Montauban (Tarn-et-Garonne). Dehors, il faisait beau et, sur la scène, les auteurs-illustrateurs Claude Ponti et François Place…

François Place – On va faire un truc qu’on a jamais fait ! On va se poser des questions ! C’est pas un exercice facile !

Claude Ponti  – Souvent, dans les interviews, je me dis : « Mais pourquoi on me pose cette question ? » Au fait, à quel âge tu as été vacciné ?

François Place – Je ne sais pas. Et toi, à quel âge tu as arrêté de faire pipi au lit ?

( Claude Ponti raconte l’appareillage que ses parents avaient installé pour son frère qui lui, faisait pipi au lit, un système assez agressif, réagissant à l’humidité )

Claude Ponti  – Et toi, le pipi au lit ?

François Place – Jamais ! Jamais !

( Claude Ponti  et François Place ironisent sur leur perfection, même avant la naissance )

laude Ponti – On a des tas de points communs. On a aussi une mère enseignante tous les deux.

François Place – C’est peut-être la même ?

Claude Ponti  – ça m’étonnerait ! Elle est très spéciale ma mère ! Toi, tu as l’air normal ! C’était un hussard noir, ma mère ! Moi, j’ai appris à lire avec la méthode globale intégrale !

François Place – Dis donc, tu crois vraiment à ce que tu écris, toi ?

Claude Ponti  – Ah oui ! Et toi, tu trompes les enfants ?

François Place – Non, mais toi, tu crois que les robinets ont des pattes !

Claude Ponti  – Dis-moi, la première fois où tu as fait des cartes, c’est que tu étais puni ?

François Place – Non, non, j’ai toujours adoré ça. Tu sais, Stevenson a commencé à dessiner la carte avant d’écrire L’Ile au trésor ! Bon, les enfants, vous comprenez ? Au fait, vous connaissez les livres de Claude Ponti ?

( Des enfants citent des titres )

François Place – L’arbre sans fin, c’est un de tes livres que je préfère. Comment est venue l’idée ?

Claude Ponti  – L’idée est venue par le titre : le monde entier dans un arbre. Souvent, on me dit que c’est l’histoire de la disparition d’une grand-mère. Désolé, il me fallait des évènements pour faire sérieux, alors j’ai parlé de la mort d’une grand-mère. J’adorais ma grand-mère, moi. Lorsqu’elle est morte, ma fille a accepté de voir son arrière-grand-mère morte et elle a dit : « C’est rigolo – chez nous ça veut dire : c’est bizarre – il n’y a personne dedans. » Souvent, les enfants disent des choses importantes. J’ai utilisé ça dans l’histoire. Quand j’ai pensé à mettre quelqu’un dans l’arbre, tout s’est enchaîné ! « Moi non plus, je n’ai pas peur de moi. » Cette phrase dans la bouche d’Hipollène répondant au monstre Ortic, a été le moteur ! La mort de la grand-mère est seulement un évènement.

François Place – L’illustration aussi m’a frappé. On a l’impression d’être au milieu des feuilles, il y a un effet de profondeur, l’impression très forte d’être immergé dans l’arbre.

Claude Ponti – C’était un petit coup de chapeau en passant ? Alors attends, il faut que je trouve un truc à te dire de vachement gentil.

François Place – Ah, ah ! le Pontilécheur est un animal qu’on trouve sur scène juste pendant une interview !

Claude Ponti – Je vais parler de ton livre La douane volante. Je me suis retrouvé complètement ailleurs, je me suis senti comme un enfant après la lecture du livre. Cette façon de parler de la réalité en s’échappant, en contournant le monde, c’est la démarche des enfants. J’ai traversé la Bretagne, côtoyé le monde des peintres hollandais – grâce à toi !

François Place – Nous sommes tous les deux intéressés par le phénomène de l’initiation : prendre un personnage, l’entraîner, l’accompagner à travers le monde un peu terrifiant des forêts, de la nuit, des monstres dans les placards et, au bout de l’histoire, le retrouver qui a évolué. Dans Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, quelques pages m’ont beaucoup ému ! Ces choses qu’on veut apprendre aux enfants, on ne peut le faire que comme ça. Il faut que l’enfant passe par la culture, même dans des univers très différents. Il faut passer par ces chemins là pour grandir ! Alors merci aux libraires, merci aux enseignants ! Avec un livre, on peut se promener dans un lit.

Claude Ponti – Moi je peux te poser une question ? Oui ? Alors, François Place, quel est votre parcours ? (rires)

François Place – Eh bien, je suis passé par ici et … je n’ai pas encore fini de passer ! (rires)

Claude Ponti – Moi je suis content quand j’apprends encore des choses. Faire des livres où on montre que la vie c’est comme ça, qu’il y a des obstacles… Les enfants sont des êtres humains si les parents sont des êtres humains ! Ça s’apprend. Il faut parler, il faut du racontage ! En ce moment, les enfants sont poussés à croire que notre planète est un énorme vaisseau spatial. Mais il a fallu un immense passé ! Les Arabes pour les maths, les Indiens pour autre chose, etc. Il est essentiel que les enfants puissent savoir ça pour grandir plus humains.

François Place – Dis donc, tu crois vraiment qu’on peut avoir des parents comme ceux que tu montres ou tu as pété un câble ?

Claude Ponti – Non, je ne crois pas avoir jamais eu de câble. C’était un moment où j’avais des soucis avec ma mère, ça fait longtemps que j’essaie de m’en débarrasser (rires). J’ai fait un livre là-dessus Le catalogue des parents. La plupart des enfants veulent changer de parents – mais pas longtemps !

François Place – Tu as fait aussi Le livre des frères et des soeurs

Claude Ponti – Ah oui, j’ai fait des études très sérieuses pour ça. Mais j’aurais voulu rajouter des cris ou des odeurs. Tu as eu des frères, toi ?

François Place – Trois frères et deux soeurs ! Mais c’était à une époque où les livres pour changer, ça n’existait pas !

Questions du public :

Un adulte – Vous êtes-vous déjà rencontrés ?

François Place –  Oui, c’est pour ça qu’on a l’air vachement pro. Mais non, c’est la première fois !

Un enfant – Comment vous faites pour dessiner aussi bien ?

François Place – Moi je suis plus dans le détail réaliste. Claude s’adresse à des enfants jeunes. Moi j’ai des textes plus compliqués. Lui son rôle, c’est d’enchanter la vie quotidienne, de vous emmener dans le monde des rêves. Les dessins grand format sortent le monde du livre. Moi qui m’adresse à des plus grands, je fais des dessins qui attirent vers l’intérieur, qui font renter dans la page. Dans nos livres à tous les deux, la lecture est toujours à plusieurs étages. Tu peux revenir plusieurs fois, tu découvriras toujours des choses. Tous les deux, on a envie de perdre le lecteur dans le texte et les images.

Claude Ponti – Tu t’en sors bien !

François Place – Tu n’es pas d’accord ?

Claude Ponti – Si, si ! Chaque livre, chaque histoire doit avoir son propre monde ! Chaque livre est un monde et il faut que l’enfant entre dedans. Moi je m’adresse aux petits qui sont très intelligents !

Un enfant – Qu’est-ce qui a poussé Claude Ponti à faire des bonshommes aussi bizarres ?

Claude Ponti – J’invente des espèces de mélanges de bestioles qui n’existent pas. Les enfants, quand ils lisent, se mettent à la place du personnage et c’est le meilleur costume que je puisse faire !

Un enfant – C’est votre vrai nom Claude Ponti ?

Claude Ponti  – Non, je s’appelle Ponticelli, mais j’ai coupé car pendant longtemps il n’a pas été d’accord avec son père.

Un enfant – Est-ce que vous pouvez expliquer comment vous faites vos livres ?

François Place –  On est tous les deux des illustrateurs alors on pense en images ! (rires) Je travaille une narration dans ma tête. La narration plutôt que le texte-images. Je prends des notes pendant longtemps, je fais des croquis…

Claude Ponti – Moi, c’est évidemment différemment pareil ! Ce qui compte, c’est la narration. En général, je commence par une maquette, des petits croquis, des notes, mais juste quelques pages car je ne sais pas refaire deux fois la même chose. J’ai été éduqué à la perfection immédiate ou tu meurs ! J’ai tous les éléments dans la tête, je fais peu de croquis préparatoires.

François Place – Moi à l’inverse, je fais beaucoup de croquis préparatoires, presque trop.

Claude Ponti – J’ai fait un petit livre avec deux poussins et le A. Des gens me demandent « Quand faites-vous le B ? » Mais non ! Par contre, j’ai reçu des livrets faits par des classes sur d’autres lettres. C’est bien ! Il faut que les enfants s’approprient le monde. Il faut que je me sente bien dans ce que je dessine ! Il faut que j’y sois, même dans le cinqième arrière plan. Comme un enfant. Quand on est adulte, on recherche les émotions qu’on a ressenties en tant qu’enfant dessinateur. C’est plus difficile quand on est adulte, d’être dans le dessin qu’on fait.

Un enfant – Vous avez l’intention de faire d’autres livres ?

Claude Ponti – Oui y a intérêt !

Un adulte – Est-ce que vous peignez toujours ?

Claude Ponti  – Non, j’ai arrêté de peindre quand j’ai commencé à dessiner pour ma fille. J’avais commencé par la peinture, mais je n’aimais pas le milieu. Je ne suis pas très sociable ! Je n’aimais pas trop le fait de vendre mes originaux. Et ça ne me plaisait pas que les tableaux que j’aimais, soient achetés par des gens que je n’aimais pas.

Un adulte – Vous êtes papa tous les deux. Est-ce que vous avez été des pères qui ont entraîné leurs enfants dans leur monde ?

François Place –  C’est un métier où on travaille beaucoup, mais on est à la maison. On est pas toujours disponible, mais on est là. J’étais un papa assez carré, mais mon atelier était totalement ouvert et, pendant plusieurs années, mon fils a eu un coin pour  dessiner près de moi. Mais raconter des histoires à ses enfants, ce n’est pas forcément les entraîner dans son univers à soi.

Claude Ponti – Moi, j’ai été un père normal. Le dos de ma fille est constellé de cicatrices de coups de plume et de pinceau que je lui lançais quand elle venait me déranger ! (rires)

François Place – Mais non, c’est pas vrai !

Claude Ponti – J’étais à la maison et tous les soirs, je racontais à ma fille de petites histoires de son quotidien mises en scène avec de petites bêtes, jusque vers 10/11 ans. Maintenant, elle a un master 2 de philo et elle lit des livres auxquels je ne comprends rien !

Un enfant – C’est une histoire vraie Le mange poussin ?

Claude Ponti – Elle est vraie dans le livre ! Et j’ai toujours un poussin…

François Place – Oui, un poussin qui a 32 ans !

( Applaudissements chaleureux, échange réussi, rencontre vraiment plaisante )

 

Institutrice à la retraite, passionnée de littérature depuis toujours et de littérature de jeunesse en particulier, à titre professionnel et à titre personnel, Martine Cortes est secrétaire de la section régionale du CRILJ Midi-Pyrénées depuis 2009. A ce titre, elle ne manque jamais, quand elle n’est pas partie embrasser sa famille en Sologne, d’assurer le compte-rendu des rencontres organisées par le CRILJ Midi Pyrénées et ses partenaires. Merci à elle pour nous avoir confié ce texte.