Du côté d’Oskar

par André Delobel

Entretien avec Bertil Hessel, directeur des éditions Oskar.

André Delobel : Bertil Hessel, racontez-nous quand et comment vous avez été amené à créer la maison d’édition pour la jeunesse Oskar ?

Bertil Hessel : Oskar Jeunesse, cela commence il y a cinq ans, à Paris, J’étais enseignant et j’ai décidé de continuer ma mission d’éducation en devenant éditeur, c’est-à-dire en poursuivant des objectifs qui me semblaient aujourd’hui essentiels : faire des livres que les enfants apprécient, trouver des histoires qui permettent aux enfants et adolescents de parler avec leurs parents, leurs copains sur des sujets pas forcément faciles, éditer des histoires qui permettent de faire réfléchir à des choses importantes : lutter contre les préjugés, aborder des thèmes qui engagent, etc. Je pense que les trois quarts de la production de notre maison donne à penser, à réfléchir et fait aimer la lecture. C’est le cas pour les auteurs ici présents : Véronique Delamarre dont les livres ont beaucoup de succès et qui a reçu de nombreux prix, Florence Koenig qui a illustré chez nous beaucoup de textes et de contes sur l’Afrique, des livres dans lesquels on découvre l’Afrique et qui contiennent aussi une réflexion sur ce vaste continent.

Comment se fait la rencontre entre éditeur et auteut ? Comment se noue le premier contact ?

Il est bien difficile de convaincre les gens de vous suivre quand on crée une maison d’édition. Une maison d’édition fonctionne beaucoup sur les relations personnelles. Mais, dès le début, j’ai eu la chance de rencontrer des auteurs formidables. Ensuite, comment faire découvrir ces auteurs aux enfants ? Et bien, c’est grâce aux salons comme celui-ci organisés avec ténacité par des équipe bénévole dans de nombreuses villes de province, c’est grâce aux bibliothécaires, grace aux enseignants, aux parents et aux enfants que l’on y rencontre. Ces salons du livre permettent d’apporter les livres jusqu’àux enfants. Le salon de Montreuil, pour moi, ce n’est pas une priorité. Je préfère beaucoup venir dans les salons comme celui-ci où Oskar est invité. L’important, c’est le travail sur les territoires.

Comment se passe le choix des textes que vous éditez ? Sont-ce des commandes ou des textes repérés ?

Cela se passe surtout autour d’un café. Certains auteurs ont des textes déjà écrits, mais, chez nous, beaucoup de textes naissent à partir de discussion. On parle droits civiques, droit à la différence, etc. On se dit qu’il faudrait faire un texte sur ce sujet ou sur celui-ci, en fonction parfois de l’actualité, et quelqu’un s’en charge. Il y a, dans ce cas, une vraie connivence entre auteur et éditeur. C’est ainsi, par exemple, qu’a été écrite par Éric Simard la biographie de Rosa Parks, la femme noire qui refuse de se soumettre.

Est-ce que – je prends aussi un exemple – Je suis un homme : Martin Luther King est un titre qui représente les valeurs auxquelles Oskar est prioritairement attaché ?

En quelque sorte oui, mais je suis aussi fier d’être le premier éditeur jeunesse à avoir publié un livre sur Aimé Césaire, Le nègre indélébile, un livre qui, lui aussi, je pense, donne à réfléchir. Depuis l’an dernier, nous prenons mieux garde à privilégier l’autonomie des enfants dans leur réflexion. Il faut qu’ils se fassent leur propre opinion. Ce n’est pas parce qu’un proverbe est connu de tous que ce qu’il énonce est une vérité ! Nous voulons permettre aux enfants, au travers de leurs lectures, de se forger leurs propres opinions.

Et les romans d’aventure ? Les romans policiers ?

Nous avons aussi, pour ces livres-là, des exigences. Comment dire ? Nous refusons beaucoup de romans qui feraient que les enfants ne soient pas, les ayant lu, plus intelligents.

Qu’espérez-vous pour Oskar pour les prochains mois ou pour les prochaines années ?

Que ce type de salon continue ! Mais nous craignons qu’ici ou là le découragement gagne les bénévoles des associations de promotion du livre qui ont de plus en plus de mal à survivre. Il n’y aurait, alors, plus de relais. Si les gens se mettaient à considèrer les livres comme des cacahuètes et se mettaient à les vendre ou à les acheter comme tel, nous aurions des soucis à nous faire. Mais nous espérons bien exister encore dans dix ans…

Quelques mots de Véronique Delamarre ?

Véronique Delamarre : J’apprécie d’être éditée chez Oskar chez qui j’ai de nombreux titres. J’aime les rencontres avec les lecteurs dans les classes et aussi ce moment où les enfants reviennent me voir sur le salon. Cela me (re)donne de l’énergie pour écrire.

Et vous, Florence Koenig ?

Florence Koenig : Je suis très attachée à Oskar. J’y ai illustré de nombreuses couvertures ainsi que des illustrations intérieures. J’aime voyager en dessinant et je prends beaucoup de plaisir aux rencontres quand je vois les enfants dessiner avec mes propres techniques. Comme Véronique, c’est un grand plaisir quand les rencontres se poursuivent, le lendemain, sur le salon.

( propos recueillis par André Delobel le dimanche 3 avril 2011 lors du Salon du livre pour la jeunesse de Beaugency )

Maître-formateur retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de La République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Théâtrales Jeunesse a 10 ans

 

En septembre 2001, les éditions Théâtrales lançaient la collection « Théâtrales Jeunesse ». La fête des 10 ans court sur toute la saison 2011-2012 et, a cette occasion, les auteurs de la collection sont mis à l’honneur à travers une série d’entretiens filmés, réalisés par Charlotte Cornic, Sophie Goudjil et Alexandra Lazarescou.

Marine Auriol, Hervé Blutsch, Henri Bornstein, Michel Marc Bouchard, Jean Cagnard, Jean-Pierre Cannet, Bruno Castan, Françoise du Chaxel, Stéphane Jaubertie, Suzanne Lebeau, Yves Lebeau, Sylvain Levey, Dominique Paquet, Françoise Pillet, Dominique Richard, Karin Serres et Roland Shön, nous livrent ici quelques tranches de vie et instantanés de leur univers dramaturgique. C’est ici, sur Viméo.

Vous pouvez aussi cliquer directement pour écouter :

Françoise de Chaxel

Marine Auriol

Hervé Blutsch

Dominique Paquet

. Karin Serres

. Sylvain Levey

. Yves Lebeau

. Roland Shön

et neuf autres entretiens à venir …

D’autres initiatives (des lectures, des rencontres, des happenings) sont d’ores et déjà programmées, au Salon du lvre jeunesse de Montreuil, mais pas que. Et ce jusqu’au marathon de lecture « 10 heures pour les 10 ans de la collection Théâtrales Jeunesse » prévu au Théâtre Hébertot, le 14 mai 2012, de 14 heures à minuit.

(merci à Alexandra Lazarescou pour ces informations)

 

 

 

 

 

Madeleine Gilard

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    Madeleine Gilard n’est plus. Elle nous a quittés discrètement comme elle a vécu. Seuls ceux qui ont eu la chance de la rencontrer savent à quel point elle a marqué la littérature de jeunesse, ce qui lui valut, en 1983, un Grand Prix de la Littérature de Jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

    Née en Espagne en 1906, elle a aidé à la connaissance de nombreuses œuvres littéraires par ses traductions de l’espagnol, de l’anglais et de l’allemand, contribuant par ses choix à un véritable enrichissement de ce secteur.

    Animatrice littéraire des éditions La Farandole, elle a contribué à donner à l’édition pour la jeunesse ses lettres de noblesse. Sa participation aux nombreux débats des années 60 à 80 nous a permis d’échanger avec elle de nombreux moments d’intérêt et de passion. Jamais nous ne l’avons vu se départir de sa courtoisie. Tout au plus un petit sourire ironique nous montrait-il qu’elle n’était pas dupe de certaines outrances de langage.

    Une grande dame de la littérature n’est plus qui sut passer par tous les genres avec un profond sens de l’humain et du quotidien. Espérons qu’il se trouvera des éditeurs pour rééditer des ouvrages qui devraient trouver un nouveau public.

( texte publié dans le numéro 79 – janvier 2004 – du bulletin du CRILJ )

 

Née en Espagne d’une famille d’origine protestante, passant ses étés en France, Madeleine Gilard apprend à lire avec son grand-père paternel pasteur dans le Sud-Ouest. Ayant fait toutes ses études à la maison, ne possédant aucun diplôme, elle maitrisera parfaitement, outre le français et l’espagnol, l’anglais, l’allemand et le russe. Vie de bureau pendant près de cinquante ans puis aux éditions La Farandole comme secrétaire littéraire. Paulette Michel, secrétaire administrative, la pousse à écrire et, en 1956, est publié un premier album, Le bouton rouge, illustré par Bernadette Desprès. Près de trente ouvrages suivront, pour tous les âges, dans une veine réaliste proche de Colette Vivier. Notons Anne et le mini-club (1968), La jeune fille au manchon (1972), Camille (1984). Madeleine Gilard a reçu en 1983 le Grand Prix de Littérature Enfantine de la Ville de Paris pour l’ensemble de son œuvre.

Une vieille histoire

    Automne 79. On venait de démonter le tablier de la Passerelle des Arts et j’avais rendez-vous avec Pierre Marchand. Pour un stage. Jean-Marie Bouvaist m’avait dit que c’était impossible d’entrer dans ce lieu déjà bouillonnant mais que je pouvais toujours essayer. Après plusieurs mois de lapins en tout genre – Christine Mayer et Françoise Cabbert furent d’une patience d’ange dont je leur serai éternellement reconnaissante – j’ai enfin pu rencontrer le capitaine bleu marine. Il était d’assez sombre humeur, trouvant incongru que l’on puisse imaginer apprendre l’édition à l’école et n’ayant rien à faire de stagiaires d’où qu’ils viennent. Peut-être mon nom breton ou mon entêtement à vouloir le rencontrer ont-ils eu finalement raison de sa résistance. Bon, mais à la maquette alors, m’a-t-il concédé. Il y avait un bout de table qui venait de se libérer à la gauche d’Elisabeth Cahat et à la droite de Raymond Stoffel. Même cantinière, j’aurais dit oui.

    J’ai, avec autant de conviction que de maladresse, collé des lignes de Letraset et des pavés de compo, assistant avec émerveillement à la naissance de la collection « Folio Benjamin », redoutant comme la foudre les soirs où le capitaine bleu marine descendait dans la soute pour pousser des hurlements de fureur, de charrette bordel et de bougres d’imbéciles, et faire tout refaire deux minutes avant que Raymond reprenne son train pour Luzarches. Il m’a fallu quelques années pour mesurer la valeur de ce que j’apprenais là. Je n’ai jamais triomphé de la problématique des Letraset (mais la PAO a eu leur peau, ce que, pour ma part, je n’ai jamais regretté), mais j’ai su une fois pour toutes que le livre était un tout : un texte, une mise en page, des images, un objet et la conviction de son éditeur pour le défendre.

    Au bout de plusieurs semaines de cutter et de mine bleue, je suis montée à la passerelle pour travailler à l’éditorial. Des prières d’insérer, des quatrièmes de couvertures, la réception des manuscrits, des argumentaires commerciaux… Grâce à la science du désordre cultivée avec talent par Pierre, l’équipe de Gallimard Jeunesse était en perpétuelle désorganisation : un bonheur pour une petite main qui pouvait ainsi glisser son œil partout ou presque. Mon mémoire de fin d’études sur la collection « Enfantimages » fut comme une enquête menée aves délices dans cet atelier brouillon mais chaleureux et inventif.

    A la fin de mes stages, Pierre Marchand m’a engueulée parce que j’avais répondu à une petite annonce de l’école des Loisirs – l’autre lieu de rêve pour un moussaillon en mon genre. « Qu’est-ce que tu veux aller faire là-bas ? » Et il m’a engagée pour travailler sur ce qui allait être « Découvertes ». La préhistoire de cette collection ne fut pas une partie de plaisir. Entre l’ambition de Pierre et les moyens mis à sa disposition, le fossé était large. La bonne fortune des « Livres dont vous êtes le héros » viendra bien plus tard, l’étrécir au point de rendre cette ambitieuse collection possible. Françoise Balibar, Jean-Pierre Maury, Jean-Pierre Verdet, Marc Meunier-Thouret et d’autres essuyèrent les premiers plâtres de ce projet pharaonique qui attendra l’arrivée d’Elisabeth de Farcy et de Paule du Bouchet, en 1981, pour vraiment prendre forme. J »aurai alors déjà rejoint le versant plus littéraire de Gallimard Jeunesse pour prendre en charge « Folio Benjamin » et « Folio Cadet ». Avant de voler de mes propres ailes chez Casteman qui, en 1987, cherchait un éditeur jeunesse pour son bureau parisien. J’aime bien l »idée d’essaimer, disait Pierre Marchand, ne croyant pas si bien dire.

    Septembre 99. Retour de vacances. Ma boite vocale trahissait les efforts inlassables d’un numéro inconnu à me joindre. Stéphanie Séminel ne fut pas fâchée de me joindre enfin et il ne me fallut pas longtemps pour reconnaitre l’impatience de son patron. Pierre Marchand me dit deux ou trois choses : qu’il chassait, qu’il y avait chez Hachette un formidable catalogue de fiction (ça, c’était vrai), qu’il n’y connaissait rien (ça, c’était faux mais il le savait aussi bien que moi) et qu’on lui avait dit que j’étais l’homme de la situation. Rendez-vous le soir même au Café de la Marine, au bord du Canal Saint-Martin. Me dit « que nous avons devant nous un fameux chantier, que nous serons alliés, qu’il me laissait réfléchir jusqu’au lendemain. » Largement suffisant. Je n’ai pas beaucoup hésité. Et pendant deux ans et demi nous avons travaillé ensemble d’arrache-pied, redonnant au catalogue Hachette Jeunesse Roman le lustre qu’il avait perdu.

( article paru dans le n°74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

Successivement éditeur chez Gallimard jeunesse, Casterman, Hachette jeunesse et Bayard Jeunesse, Marie Lallouet donne également des cours aux futurs éditeurs du Master de Paris XIII-Villetaneuse. Elle vit à Paris et a trois enfants. Rédactrice en chef de J’aime lire, elle a découvert une nouvelle facette de son métier d’éditeur pour la jeunesse : la nécessité d’aller chercher les lecteurs là où ils sont, de les prendre par la main pour qu’ils puissent s’aventurer sur le chemin de la lecture. Participation à l’ouvrage collectif Aimer lire : guide pour aider les enfants à devenir lecteurs (SCEREN-CNDP et Bayard Jeunesse, 2004) et auteur de Mon enfant n’aime pas lire, que faire ? (Bayard Jeunesse, 2007)

« J’étais invitée à participer à une émission d’après-midi sur Europe 1. Thème : comment faire pour que les enfants aiment lire. Avec Edwige Antier, nous avons fait assaut de merveilleuses idées. Lire à haute voix même quand les enfants savent lire tout seuls, le faire autant pour le benjamin que nous l’avons fait pour l’aîné, ne pas craindre les livres que l’on ne trouve pas très bons, etc. Pourtant, à la réflexion, nous aurions dû dire aussi quelque chose d’important. Aussi précieuse que nous semble la lecture, nous devons pouvoir autoriser nos enfants à ne pas aimer ça. Accepter des enfants qui ne sont pas à notre image, ce qui n’est ni une pose théorique, ni un exercice facile. » (Marie Lallouet)

 

Pierre Marchand

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Pierre Marchand vient de nous quitter prématurément à 62 ans. J’éprouve beaucoup de chagrin en écrivivant ces lignes qui concernent aussi bien l’ami très cher que l’éditeur incomparable qu’il fut.

     Car cet homme autodidacte, né dans un milieu très modeste, cet homme d’humeur, appartenait à l’espèce des créateurs. Il a en effet, dans le cadre de Gallimard Jeunesse qu’il dirigea de longues années, inventé des livres pour les enfants, des plus petits au plus grands, qui ne ressemblaient à rien de ce qui avait été fait jusque là pour la jeunesse. Il refusait d’infantiliser l’enfance, il la prenait au sérieux et avait compris que tout tenait dans la qualité des textes, dans la qualité des images et, surtout, dans une dialectique entre l’écrit et l’image. Pour lui, l’image n’est pas seulement illustration, elle partage avec le texte toute la sémantique d’un album ou d’un livre. Il avait l’art de conduire les auteurs écrivains et artistes à travailler dans le même sens. J’en ai fait personnellement l’expérience avec plusieurs ouvrages publiés chez Gallimard sous sa direction. Sans intervenir en quoi que ce soit dans notre travail, il savait tirer le meilleur de nous-même et je lui dois d’avoir appris que la clarté, la simplicité ne sont jamais des réductions « pour les enfants » mais le moteur de propositions neuves pour la raison comme pour l’imaginaire.

     Il aimait la poésie et loin de considérer comme un art la « poésie pour enfants », faisait confiance aux poètes, ceux qu’il aimait, ceux que nous aimions, des anciens aux plus modernes. Je lui suis reconnaissant d’avoir su que cet « autre langage » qu’est la poésie, les enfants la saisissait pour peu qu’on leur propose, dans son opacité et son pouvoir, de « tout dire ».

     Et puis il a créé la plus fabuleuse des encyclopédies, Gallimard Jeunesse. J’ai réalisé trois ouvrages pour cette collection, traduite dans une trentaine de langues. Lorsque je lui avais proposé l’ouvrage sur l’histoire des écritures, il me demanda un projet. En bon universitaire, je lui apportai un manuscrit de 400 pages.

     Je me souviens de son rire homérique. Il fallait réduire ce texte complexe en une conquantaine de pages, scientifiquement exactes, clairement exposées et en rapports constants et complémentaires avec l’iconographie. Ce fut un énorme travail dont je remercie Pierre. Il venait de m’apprendre « l’impératif de l’essentiel ».

    Toute son équipe peut en témoigner : il n’était pas tous les jours facile de travailler avec lui ; mais son exigence conduisait aux résultats que l’on connait.

     Enfin, je ne saurais oublier l’ami incomparable : affectueux, tendre et timide, marin expérimenté, il savait que j’aimais la mer en poète et que la navigation n’était pas mon fort ; il se moquait gentiment de ce « piéton du vent » que j’étais à ses yeux. Et surtout notre amitié n’était ni « langagière » ni démonstrative, mais conteuse. Jusqu’à la fin il m’a envoyé de petits messages par téléphone et, il y a peu, un album qu’il venait de produire chez Hachette sur les jardins zen. Image et message de la perfection silencieuse d’un homme qui respectait assez l’enfance et l’amitié pour s’effacer derrière ce qu’il offrait de nouveaux à nos regards d’enfants et d’hommes.

 ( texte paru dans le n° 74 – juin 2002 – du bulletin du CRILJ )

   gallimard

Né le 17 novembre 1939 à Bouin, petit port de la baie de Bourgneuf (Loire-Atlantique), en pays chouan. Pierre Marchand fit de brèves études au collège Amiral Merveilleux du Vignaux, aux Sables-d’Olonne. Sur le chemin de l’établissement, une librairie qui propose les premiers livres de poche et ses exceptionnelles couvertures. Entre comme courantin puis mousse aux chantiers maritimes Dubigeon à Nantes. Devient, à Paris, apprenti-typographe à l’imprimerie Blanchard. Algérie pour 27 mois et 27 jours, entre 1959 et 1961. Vendeur d’aspirateurs, magasinier, puis entrée  aux éditions Fleurus. « J’emballe les livres et les livres m’emballent. » Neuf ans plus tard, Pierre Marchand quitte la maison, quoique désormais à la direction, et crée, avec Jean-Olivier Héron, le mensuel Voiles et Voiliers. Dettes que les deux amis épongent en entrant chez Gallimard avec un projet d’édition d’édition pour la jeunesse accepté aussi par Nathan et Hachette. On connait, entre autres créations, les collections 1000 soleils, Folio Junior, Cadet et Benjamin, Enfantimages, Les Yeux de la découverte, Les premières découvertes, Découvertes Junior. Le catalogue accueillera un temps Christian Bruel et Le Sourire qui mord. Pour les adultes, les innovants Guides (touristiques) Gallimard. « Bien des années plus tard, début 1999, j’entre chez Hachette pour y honorer un contrat proposé par Bernard de Fallois vingt-sept ans auparavant et que je n’avais pas signé. »

Rue du monde, une histoire pas comme les autres

  

  

  

  

 

     Fin 1996, Alain Serres, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages pour la jeunesse crée une nouvelle maison d’édition indépendante. Sans aucun moyens financiers et loin des règles habituelles. En deux ans, la petite Rue du monde est parvenue à asseoir sa fonction dans le paysage éditorial mais aussi dans la société.

 Le jour de la décision

     Au milieu des année 1990, l’édition pour la jeunesse perdait un peu de ses couleurs. Des maisons d’éditions battaient de l’aile, d’autres disparaissaient. Les chemins de l’audace, des contenus et de l’exigence littéraire étaient de moins en moins nombreux, de plus en plus broussailleux. L’idée en tête depuis deux ans, Alain Serres a considéré qu’il était temps de proposer un espace différent pour encourager le regard critique et imaginatif des enfants sur le monde. Il prit l’avis de quelques libraires jeunesse, d’auteurs et de Pierre Marchand, alors directeur de Gallimard Jeunesse.

     Alain Serres refuse plusieurs propositions émanant d’autres maisons et, la veille du jour où il allait fêter ses quarante ans, il prend sa décision et fait le choix de l’indépendance totale vis-à-vis des grands groupes. Il se lance alors dans l’aventure avec plusieurs dizaines de projets de livres, de collections, mais à peine ce qu’il faut pour réaliser un tiers d’album. Plus une idée qui va lui, permettre de faire naître Rue du monde.

     En novembre 1996, Alain Serres lance un appel pour que se retrouvent ceux qui ressentaient les mêmes lacunes et aspiraient aussi à un pôle novateur. Il propose la réservation des quatre premiers titres de Rue du monde avant même leur parution. Mille souscripteurs relèvent le défi, essentiellement des enseignants, des bibliothécaires et des directeurs de centres de loisirs.

La rue de papier est lancée

     En trois semaines, le premier ouvrage, Le grand livre des droits de l’enfant, dont le manuscrit était prêt, est illustré, iconographié, imprimé et relié. Incroyables délais rendus possibles par la mobilisation chaleureuse de nombreux amis et professionnels. Les 250 premiers exemplaires arrivent tard dans la nuit, la veille de l’ouverture du Salon de Montreuil. Sur les 4m2 du stand, ils seront tous vendus et cet ouvrage est, dix ans apès sa parution, l’une des meilleures ventes, avec plus de 50000 exemplaires.

     Les quatre premiers titres en mains, Alain Serres essaie de convaincre un diffuseur-distributeur de relever le défi avec lui. C’est Frédéric Salbans et Bernard Coutaz, chez Harmonia Mindi, qui oseront s’ouvrir à la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont toujours partenaires.

 Editer, un sacré métier

     Il a fallu tout apprendre : comment faire des factures, comprendre la TVA, celle qui rentre et celle qui sort, louer un nouveau local, calculer le poid du papier. L’équipe compte aujourd’hui six personnes.

     En dix ans, plus de 8000 projets ont été reçus, 130 ont été publiés. Ils sont, le plus souvent, nés d’une rencontre autour d’une ébauche, d’une réaction de l’éditeur à un dessin, d’un propos lu ou entendu. Pour la plupart des livres, une sorte de jeu de ping-pong s’instaure entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur afin que les choix les plus pertinents puissent être faits en commun, au service du livre et de ses futeurs lecteurs.

     Née il y a dix ans de façon atypique, Rue du monde poursuit son travail pour titiller l’intelligence des enfants, attiser leur esprit critique et leur sensibilité artistique.

     Pour cette année anniversaire, des ouvrages forts, beaux et éclectiques : du travail d’orfèvre de François Place à l’humour de Pef, d’une Alice décapante à une succulente Cuisine tout en chocolat, des enfants des rues aux sans-papiers, de l’amour tout court à l’amour d’une terre en péril. Des images et des idées pour voir et rêver le monde.

( texte paru dans le n° 88 – décembre 2006 – du bulletin du CRILJ )     

 munich

Trente ans au service des enfants

    

 

 

 

 

     Ma collaboration avec Flammarion a duré trente ans.

     En 1967, au décès de mon père, l’Atelier du Père Castor n’existait plus. Encouragé par Henri Flammarion, je reprends seul la direction des collections du Père Castor et, travaillant d’abord à mon domicile, je deviens responsable d’un service à créer.

     Avoir des notions sur l’édition pour entreprendre et mener à bien un programme de production pour l’enfance et la jeunesse est certes nécessaire et peut satisfaire des objectifs purement commerciaux. En ce qui me concerne, j’ai considéré l’édition comme un moyen et non comme un but, le but étant d’établir une relation privilégiée avec les enfants. Je suis en effet convaincu que dans le domaine du livre pour enfants, la première donnée, c’est l’enfant.

     Mais de quel enfant s’agit-il ?

     Tout ce qui touche à l’enfance est souvent abordé et vécu sur le mode de la sensibilité, voire de la sensiblerie, de l’émotion voire de la passion. C’est que, pour beaucoup d’entre nous, les seules références dont nous disposons sont nos souvenirs de l’enfant que nous croyons avoir été.

     Les réactions devant l’enfant inconnu, mystérieux, varient de l’extrême solicitude à la condescendance, de la méfiance au rejet, la circonspection n’étant pas la pire des atitudes ni la plus rare. Les meilleures intentions de ceux qui s’adressent aux enfants ne sont pas suffisantes, ni les improvisations, ni les approximations. Un minimun de connaissance sur l’évolution et les besoins fondamentaux des enfants à chaque étape de leur évolution est primordiale. Espérances à sauvegarder, public à respecter, dès lors qu’on s’adresse aux enfants, ils ont droit à plus d’attention, à plus de respect, et si possible, à plus d’art que tout autre public. La responsabilité de l’éditeur est engagée et cette responsabilité n’est ni infantile, ni mineure, elle participe à l’éducation des hommes et des femmes de demain.

     Education ! Le maître mot est laché ! C’est la seconde donnée du livres pour enfants. Au sens large, conduire chaque enfant sur le bon chemin. Quand on aborde cette notion après avoir évoqué l’enfance et ses lois génétiques, surgissent généralement de nouvelles interrogations, dictées elles aussi par le souvenir, le souvenir de l’éducation qu’on a cru recevoir.

    La tâche, la mission que remplissent les éducateurs relève plus d’un art que d’une technique, un art aux exigences sévères, où tout est toujours à recommencer, génération après génération.

     Nées de l’Education Nouvelle, les productions du Père Castor sont restées fidèles à ces principes.

     Cette Education Nouvelle à l’écoute des besoins des enfants, et non de leurs caprices, suppose la faculté de s’adapter dans l’instant aux situations les plus imprévisibles. Elle reste aujourd’hui la meilleure voie, pour répondre à ce qu’exprimait Jean Piaget, « si l’on désire, comme le besoin s’en fait sentir, former des individus capables d’invention et faire progresser la société de demain, il est clair qu’une éducation de la découverte active du vrai est supérieure à une éducation ne consistant qu’à dresser les sujets à vouloir par volontés toutes faites et à savoir par vérités simplement acceptées ». Les enfants d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, pour développer harmonieusment leurs facultés ont besoin, autant que d’air pour respirer, d’un climat de sécurité affective, de valorisation, d’encouragement dans leurs entreprises constructives, surtout pour celles qui sont audacieuses, pourvu que les mesures de sécurité soient prises. Leurs rencontres avec le livre doit se faire sous le signe du plaisir, voire de la jubilation, c’est la troisième donnée du livres pour enfants.

     En étant fidèle à des principes éprouvés, les albums du Père Castor ont été récompensés par la fidélité du public. Ainsi les créations d’hier sont devenues aujourd’hui des classiques. N’est-il pas émouvant d’observer les enfants découvrant avec le même plaisir l’album Très fort illustré par Helen Oxenbury paru cette année et Michka illustré par Rojan qui avait déjà régalé leurs parents et leurs grands-parents ? Ce paradoxe n’est-il pas la cinquième donnée du livre pour enfants ?

     Le public des enfants représente un « marché » de plus en plus âprement disputé. La notion de rentabilité si, à elle seule, n’est pas suffisante, est cependant indispensable pour la création de nouveautés. C’est la cinquième donnée du livre pour enfants, valable pour toute autre production.

     C’est pour toutes ses qualités de défricheur, de bâtisseur, de pionnier, que le castor a été choisi comme symbole d’un programme constructif qui accompagne les enfants dès leurs premiers balbutiements, avant même un an, jusqu’à la lecture maîtrisée, dix ou douze ans et même au-delà.

     Parmi les fleurons de nos éventails figure L’imagier du Père Castor. Il s’adresse aux enfants qui ne savent pas encore parler. Toujours réimprimé, sans cesse remis au goût du jour par de nouvelles images, souvent copié, il a été traduit dans de nombreux pays grands ou petits et il existe une version en Croate, en Serbe, en Zoulou, en Islandais.

     A la pointe du progrès, le Père Castor a immortalisé des albums comme La Vache orange illustré par Lucile Butel, Marlaguette illustré par Gerda, La plus mignonne des petites souris illustré par Etienne Morel, Roule Galette illustré par Pierre Belvès, et plus de cent autres albums qui défient le temps et dont les illustrateurs et les auteurs de renon ont souvent fait leur début à l’Atelier.

     Et puis, « Le Roman des bêtes » dont chaque album présente un animal dans son milieu naturel à travers un roman palpitant pour découvrir la poésie de réel et le merveilleux de la nature, « Les enfants de la terre », collection d’amitié internationale qui souhaite faire comprendre et respecter les différences. la collection « Castor-Poche » riche de plus de cinq cent titres que les enfants achètent eux-mêmes et qui s’est imosée parmi les deux ou trois premières ollections de poche.

     « L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume. » disait Rabelais. Le Père Castor ajoute : « Je n’ai pas voulu des livres-entonnoirs, j’ai rêvé d’albums-éticelles. »

    Nous espérons donner aux enfants qui aiment nos livres, l’envie de grandir et d’entreprendre dans l’enthousiasme. Toutes ces convictions, je me suis employé à les faire partager avec tout ceux qui ont travaillé à l’Atelier du Père Castor.

     Aujours’hui, le Père Castor présente un catalogue de plus de mille titres, solide par son fond, diversifié par ses nouveautés. Avec une équipe de dix professionnels de l’édition et, pour certains, de l’éducation, un local bien adapté, un équipement informatique complet. Sous la direction d’Hélène Wadowski qui, a ma demande, a bien voulu nous rejoindre, ce département va franchir de nouvelles étapes.

     Si le Père Castor est devenu une institution, il a ses exigences dans le choix de ses critères, le plus important étant le respect de sa marque, pour lui-même et pour son public. Il a fallu du temps pour l’affirmer, il faudra de la vigilance pour la maintenir.

 Et pour l’avenir ?

     Le 30 juin 1996, je quitte mes fonctions de Directeur du département tout en poursuivant mes fonctions de Directeur de collections, je suis « le garant de la continuité de l’esprit et de l’image qui caractérise ‘le Père Castor » dans ses aspects créatifs, artistiques et pédagogiques notamment, tels qu’ils ont été conçus et développés à l’usage de la jeunesse. » Tout en participant aux comités de lecture et aux comités graphiques, je me consacrerai plus spécialement au développement des K7 audio et des CD-rom.

     Enfin, en tant que Président de l’Association des Amis du Père Castor, crée en 1995, j’aurai à réaliser le projet de la ‘Maison du Père Castor », qui sera élaboré dans le cadre du Pôle d’Economie du Patrimoine, ce projet ayant été retenu par la Délégation à l’Aménagement du Territoire Régionale.

 ( texte paru dans le n° 57 –  novembre 1996 – du bulletin du CRILJ )

 

        père castor

 Né à Prague en 1932, fils de Paul Faucher, le Père Castor, et de Lida Durdikova, François Faucher a pour parrain Frantisek Bakulé, éducateur adepte de l’Education Nouvelle, auquel il consacrera un livre, Franticek Bakule, l’enfant terrible de la pédagogie tchèque, en 1998. Après une enfance limousine, il choisit de devenir typographe. Mort de sa mère, deux ans de guerre d’Algérie. Son père, malade, l’appelle auprès de lui, chez Flammarion. Conditions de travail difficiles et licenciement en 1962. Rappelé par Henri Flammarion, François Faucher renouvellera et prolongera l’œuvre de son père à la mort de celui-ci en 1967. On lui doit notamment le premier Album du Père Castor en occitan et la création de la collection « Castor-Poche ». Parti à la retraite en 1996, il préside  l’Association des Amis du Père Castor qui, en 2006, inaugure à Meuzac (Haute-Vienne) une « Maison du Père Castor », lieu de mémoire destiné aux éducateurs, bibliothécaires, spécialistes de la littérature pour l’enfance et la jeunesse et simples curieux.

 

Du côté de La Farandole

 

 

 

 

 

      La création en 1955 de la maison d’édition La Farandole émane vraisemblablement d’une décision des instances du Parti communiste français et fut réalisée grâce à l’apport de capitaux de particuliers. Il s’agissait vraisemblablement d’adhérents qui apportaient ainsi leur soutien à l’initiative du Secrétariat général. La direction de la maison d’édition fut alors confiée à deux adhérentes du Parti qui présentaient les « garanties technico-politiques » souhaitées. Le Parti compléta sans doute par ce biais son appareil éditorial mais ne semble pas avoir imposé une quelconque ligne éditoriale au tandem formé par Madeleine Gilard, « directrice de collection », et Paulette Michel, au rôle plus administratif.

     Néanmoins, s’il ne semble pas avoir interféré sur le projet éditorial de la Farandole autrement que par une commune idéologie, il permit à La Farandole d’établir des partenariats avec ses organismes de diffusion : le Centre de Diffusion du Livre et de la Presse et Odéon diffusion et, peut-être, l’Agence Littéraire Artistique Parisienne …

     L’originalité de La Farandole réside dans son choix de proposer, bien avant les autres éditeurs, des ouvrages ouverts sur la vie sociale, l’histoire et les cultures étrangères. C’est une particularité qui procura son identité à la Farandole et qu’elle développa tout au long la période que nous avons étudiée. Elle sut, en partie grâce à l’impulsion de Régine Lilensten, faire de mai 1968 un tremplin pour en renforcer l’importance et aborder des sujets jusque là tabous.

     Pour faire aboutir cette volonté d’ouverture, elle s’entoura, dès ses débuts, d’auteurs et illustrateurs aptes à offrir ces perspectives aux lecteurs tout en faisant preuve de grandes qualités littéraires et picturales, voire artistiques. Au fil des ans leur nombre s’accrut et leurs horizons se diversifièrent, notamment grâce aux nombreuses traductions et aux coéditions que La Farandole mit en place avec des confrères (surtout du bloc de l’Est) à partir des années soixante.

     La constance de cette recherche de qualité prévalant sur une augmentation de sa rentabilité, La Farandole prit souvent le risque de publier de jeunes auteurs ou illustrateurs qui furent par la suite reconnus et acquirent une renommée importance dans le domaine de la littérature pour la jeunesse.

     Ce sont ces caractéristiques qui, à notre sens, permirent à La Farandole de s’implanter avec succès dans le paysage éditorial.

     Sa création prit pourtant place dans un contexte peu favorable aux nouvelles entreprises. De plus La Farandole choisit de dédier son activité uniquement à la littérature pour la jeunesse alors que la majorité des publications était réalisée par des départements ou secteurs de maisons d’édition généralistes ou scolaires qui pouvaient ainsi compenser d’éventuels échecs par le reste de leur production. Cependant la Farandole parvint à suffisamment se développer pour prendre l’ampleur et les statuts d’une société anonyme.

    Dès lors sa place au sein du milieu éditorial ne cessa de se renforcer et la maison d’édition conquit de plus en plus de spécialistes, critiques, bibliothécaires et enseignants. Sans jamais être véritablement connue du grand public, La Farandole se vit gratifiée d’un certain nombre de reconnaissances littéraires : critiques, sélection de livres, prix Jean Macé, prix international Hans-Christian Andersen. À la fin de la période étudiée, elle était parvenue à asseoir sa place de « petite maison d’édition novatrice », notamment grâce à Régine Lilensten, directrice dès 1972, qui semble avoir intensifié la communication de La Farandole. Elle avait également réussi à développer les relations avec d’autres éditeurs français et à ouvrir un marché au Québec.

     La Farandole était, à l’orée des années quatre-vingt, une petite maison d’édition bien implantée, certainement partisane mais pas propagandiste. Sans conteste, elle avait bénéficié du soutien du Parti communiste, de ses organes et de ses militants mais avait su s’implanter grâce au projet éditorial défini et mené par Paulette Michel et Madeleine Gilard. Elle avait d’autre part assis cette place grâce à une certaine professionnalisation de son activité et une redynamisation opérées par Régine Lilensten.

     Non déficitaire, elle fut cependant incorporée au groupe Messidor, pendant communiste des groupes capitalistes qui se constituèrent à la même époque et transformèrent l’édition française.

     Toutefois, le Parti communiste vécut une crise qui s’aggrava au cours des années quatre-vingt et dont le groupe Messidor pâtit, en plus d’essuyer des revers économiques. Faillitaire en 1992, Messidor fut racheté par le groupe Scandéditions qui fut lui-même mis en liquidation judiciaire en 1994. Une étude de l’histoire de la Farandole au cours de cette période permettrait de déterminer comment un tel contexte influa sur la gestion, la production et les lignes éditoriales de la maison d’édition ; si celles-ci furent transformées et, le cas échéant, dans quelle mesure. Par ailleurs, un tel travail permettrait peut-être de mieux saisir les raisons qui ont rendues cette liquidation particulièrement conflictuelle, et font aujourd’hui de l’histoire de la maison d’édition un sujet d’amertume.

 ( conclusion du mémoire de Master 2 d’Histoire Contemporaine Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982 – juin 2009 )

   farandole

Née en 1985, Hélène Bonnefond effectue son cursus d’étudiante à l’université François Rabelais de Tours, avec le projet final de passer le concours de bibliothécaire territorial. Licence puis master d’histoire et, comme sujet de mémoire, sur une suggestion de Cécile Boulaire, maître de conférence en Littérature pour la jeunesse à l’université François Rabelais, Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982. Travaillant actuellement comme assistante documentaliste dans un lycée professionnel, Hélène Bonnefond participe, à titre bénévole, aux activités de l’association tourangelle « Livre passerelle ». Elle hésite, pour les prochaines années, entre un travail de bibliothécaire, d’animateur en milieu scolaire et d’organisateur d’événements. Merci à elle pour nous avoir confié son mémoire.

 

 

 

 

Michel Bourrelier

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     Michel Bourrelier (1900-1983) est mort fin mars. Avec lui disparait une aventure dans la littérature de jeunesse. Avec ses quatre collections, « La joie de connaître » pour les documentaires, « Marjolaine », « Primevère » et, plus tard, « L’alouette » pour la fiction, les éditions Bourrelier, créées en 1931, ont aidé au renouveau de la littérature pour la jeunesse.

      La création du Prix Jeunesse en 1934 contribue à cette renaissance. Le but de ce prix est de « donner un nouvel essor à la littérature pour les enfants de langue française ». Il est décerné sur manuscrit. L’ouvrage couronné doit s’adresser à des enfants de sept ans à quatorze ans, aucun genre n’est imposé et il est publié. Le jury est présidé par Paul Hazard, professeur au Collège de France, auteur de Des livres, des enfants et des hommes. Il comprend des enseignants, des bibliothécaires, des écrivains, comme Georges Duhamel, Paul Fort, Simone Ratel, Marcelle Tinayre et Charles Vildrac. Plus tard viendront Claude Aveline, Maurice Genevoix, Paul Vialar. Mathilde Leriche, bibliothécaire à l’Heure Joyeuse et lectrice des coillections Bourrelier, en est la secrétaire et la cheville ouvrière. La première année, le jury met en lumière quatre manuscrits qui sont publiés : Pimprenelle et Mafouinette de Marcelle Vérité, Royaume des fleurs de Maurice Carême, Quatre du cours moyen de Léonce Bourliaguet, Olaf et Gertie d’Eillen Lombard.

      Avant la guerre, Marie Colmont pour Rossignol des neiges, Georges Nigremont pour Jeantou le maçon creusois et Colette Vivier pour La maison des petits bonheurs recevront ce prix. De 1945 à 1965, pendant 20 ans, les lauréats dont Alice Piguet, Léone Malher, René Guillot, Louis Delluc, Andrée Clair, Pierre Gamarra, May d’Alençon vont, pour la plupart, commencer une carrière dans la littérature pour la jeunesse. Le choix est varié : contes, romans d’aventures, historiques ou policiers, histoires d’enfants et d’animaux. Les grands sujets sont abordés comme le travail et le racisme.

      Dans les trois collections de fiction, Michel Bourrelier va publier surtout des œuvres d’écrivains français comme Renée Aurembou, Marianne Monestier, Marie Mauron et Charles Vildrac, mais aussi quelques traductions de romans étrangers, par exemple Charles Dickens (Les aventures de Mr Pickwick), Erich Kaestner (Petit point et ses amis), Alberto Manzi (Isa, fille de la forêt), Colin Sheperd (On demande une maman), etc.

      Pour la collection « La joie de connaitre », Michel Bourelllier fait appel à des spécialistes sérieux, qui savent vulgariser leurs connaissances et leurs expériences, aussi bien en sciences sociales, sciences pures et appliquées que dans le langage, les voyages et l’histoire. En voici quelques noms : René Clozier, Paul Coudère, Albert Dauzat, André Demaison, Robert Gessain, Henri Grimal, Luce Langevin, Pierre de Latil, André Leroi-Gourhan, Alfred Métraux, Pierre Valléry-Radot.

      A côté de son action pour le renouveau de la littérature de jeunesse, Michel Bourrelier s’est intéressé avec beaucoup de constance à la poésie. Il était un grand lecteur des poètes. Il a publié dans plusieurs collections, « Images premières », « Heures enchantées » , des recueils de poèmes et de comptines pour les jeunes dont Arc en fleurs, Pin Pon d’Or, La poèmeraie et La ronde extrait des Ballades de Paul Fort. Une collection « Recueils de chansons » complète cette action, ainsi que, pour le théâtre, une collection théatrale pour les jeunes où furent publiés de courtes pièces et des ouvrages sur le théâtre pour la jeunesse, les marionnettes, les décors, etc.

      Pour les bibliothécaires de jeunesse, deux livres importants sont sortis de cette maison d’édition : Beaux livres, belles histoires (1937) de Marguerite Gruny et Mathilde Leriche, On raconte (1956) de Mathilde Leriche.

      Michel Bourellier fut un propagandiste des méthodes actives dans l’enseignement du premier degré avec ses collections « Carnets de pédagogie moderne pour l’enseignement primaire », « Carnets de pédagogie pratique » « Carnets d’éducation physique et de sports ». Et, par la fondation et la publication de deux revues, « Méthodes actives », revue pratique de pédagogie pour l’enseignement du premier degré, et « L’école maternelle française » pour les écoles maternelles, classes enfantines, jardins d’enfants et cours préparatoire, il apporte aux instituteurs et éducateurs une aide indispensable pour leur combat dans le changement des enseignements.

      Il fut aussi un éditeur scolaire. Et, dans les manuels pour le primaire publiés par sa maison, il voulut offrir aux enfants l’envie d’aller plus loin dans toutes les disciplines. Il  proposa ainsi des livres de lecture courante avec un texte suivi comme les deux récits L’île rose et La colonie de Charles Vildrac. Il édita aussi du matériel scolaire comme « Images du beau » (cartes postales et tableaux), des jeux, etc.

      Pour faciliter la recherche aux enseignants, il installa, rue Saint-Placide, un Centre de Documentation Jeunesse où le public trouvait des ouvrages concernant l’enseignement, les bibliothèques d’enfants, l’éducation physique, le chant, les travaux manuels ainsi que matériel scolaire.

      Il ne faut pas oublier qu’il fut membre fondateur de l’Association pour le Développement de la Lecture Publique (ADLP) en 1937. Il fonda, en 1945, avec d’autres éditeurs l’association « Pour le livre », dont il fut le président en vue « d’étudier en commun les réformes à réaliser et les actions à mener auprès des pouvoirs publics, afin de faire triompher les idées nouvelles qui sont les leurs ».

      En 1963, les éditions Bourrelier fusionnent avec la librairie Armand Colin et continuent dans ce cadre leur action. Mais, hélas, les collections de littérature pour la jeunesse vont cesser. Le Prix Jeunesse sera repris, en 1968, par les Editions de l’Amitié, pour 4 ans.

      Paul Hazard disait de Michel Bourrelier et de leur première entrevue : « J’étais dans mon bureau, j’attendais un étudiant et ce fut un éditeur qui entra ». Et, pour moi qui l’ait connu plus tard, il était toujours un éditeur, mais la jeunesse, l’enthousiasme, la gentillesse, le goût des idées nouvelles et l’attention postée aux opinions des autres étaient toujours là. Je me souviens de son art pour faciliter le choix et aplanir les divergences, et sa participation à la gaieté du jury quelquefois dissipée après le travail.

( texte paru dans le n° 20 – 15 juin 1983 – du bulletin du CRILJ )

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En 1963, peu après la fusion des éditions Bourrelier avec la librairie Armand Colin, Michel Bourrelier rappelait : « Le Prix Jeunesse est l’ancêtre des prix de littérature pour les enfants. C’est en novembre 1933 que j’ai fait les premières démarches en vue de la constitution de son jury. J’ai obtenu l’accord enthousiaste d’écrivains, de bibliothécaires, d’éducateurs et aussi de poètes dès que je leur eus exposé mon projet. »