Qui sommes nous ?

2020 s’en est allée

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     2020 s’en est allée, mais ne se fait pas pour autant oublier.

    Cette année inédite nous aura « volé » l’anniversaire des 20 ans de la Librairie-Tartinerie, les événements autour de sa transmission, nombre de manifestations qui constituent le cœur de notre action, ainsi que de multiples moments d’échanges, de partage et d’apprentissage.

    A nombre d’entre nous, elle aura volé une partie de nos envies. Mais, à d’autres, la vie. Pour toutes et tous, elle aura ébranlé notre confiance en l’avenir et émoussé notre capacité à nous projeter sereinement.

    Pour la librairie, il est pour le moment compliqué d’évaluer les conséquences de cette année où nous aurons vécu quasiment un trimestre de fermeture, l’annulation de très nombreux événements sur lesquels nous avons l’habitude d’amener le livre (et d’en vendre), la difficulté à participer aux projets culturels qui nous tiennent à cœur (comme les Estivales de l’illustration ou Tatoulu pour ne citer que ceux-ci). Avec la non réouverture de la Tartinerie cet hiver, nous ne reposons plus sur nos deux pattes et ce n’est pas la chaleur des toasters qui nous manque le plus…

    Actuellement, tous les acteurs et actrices de la culture (dont la majorité sont beaucoup moins bien lotis et aidés que nous) sont en souffrance et nous peinons toutes et tous à porter les projets dont convivialité, échange, apprentissage et quête de sens sont les moteurs.

    Néanmoins, 2020 aura aussi offert de nombreux et forts témoignages de soutien. Qu’on se fréquente quotidiennement, régulièrement, occasionnellement (ou prochainement) à la librairie ou hors les murs, nous vous en remercions de tout cœur.

    2020 aura aussi été la reconstitution d’un collectif de travail et l’occasion de nouer des alliances, de connaître et se reconnaître avec des auteurs, autrices, illustrateurs, illustratrices, éditeurs, éditrices, représentants, libraires, livreurs, bibliothécaires, enseignants, enseignantes, animateurs et animatrices d’associations… La vie ne s’est pas totalement arrêtée.

    2020 aura aussi vu arriver à Sarrant de jeunes et nouveaux artistes que nous sommes heureux d’avoir rencontrés et avec lesquels nous ne pouvons qu’avoir envie de nous projeter.

    Même si nous allons continuer à faire le dos rond en attendant patiemment que les vagues se retirent, nous sommes debout à regarder notre horizon tout en cherchant les nouvelles voies à emprunter. A n’en pas douter, nous nous rencontrerons et progresserons ensemble sur ces chemins de 2021.

    A bientôt.

(Hélène Bustos, Alix Delacote et Claire Lefeuvre – janvier 2021)

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Professionnels du développement économique, social et culturel, Didier Bardy et Catherine Mitjana créent, en 2000, avec l’ambition de faire vivre un lieu de rencontres autour du livre en milieu rural, l’association LIRES. Ils ouvrent à Sarrant, village gersois de 300 habitants, La Librairie-Tartinerie « qui offre un espace convivial avec ses 20 000 titres et son programme d’animations hebdomadaires. » En tant que librairie généraliste, le lieu répond d’évidence à une demande de proximité grâce à un fonds composé de trois grands pôles : littérature française et étrangère, littérature pour la jeunesse et sciences humaines. Aujourd’hui, l’équipe de La Librairie-Tartinerie est composée d’Hélène Bustos, repreneuse, Alix Delacote et Claire Lefeuvre.

Portées par l’association et par la Médiathèque départementale, les annuelles Estivales de l’illustration sont nées de discussions entre Didier Bardy, Catherine Mitjana et François Place, lors du festival Littératures Métisses d’Angoulême 2013. Cet échange fut « l’occasion de partager un réel sentiment sur la méconnaissance du métier d’illustrateur et du peu de connaissance en notre possession pour lire l’image aussi bien que le texte. » Marie Paquet, directrice de la Médiathèque départementale du Gers, s’associe au projet, apportant sa passion et sa connaissance du milieu du livre pour la jeunesse, son envie de mettre en valeur le travail artistique des illustrateurs et celle de diffuser au plus grand nombre la culture de l’illustration.

Les Estivales de l’illustration, nourries par l’enthousiasme de tous, professionnels et bénévoles rassemblés, ont notamment accueilli, entre 2014 et 2019 : Annabelle Guetatra, Isidro Ferrer, François Place, Kitty Crowther, Blexbolex, Albertine, Grégoire Dubuis, Cécile Gambini, Richard Guérineau, Michaela Kukovicova, Régis Lejonc, Christophe Merlin, Henri Meunier, Iris Miranda, Mélanie Rutten, Benoit Jacques, Thierry Dedieu, Gilles Bachelet, Carole Chaix, Benjamin Chaud, Natali Fortier, Claire Franek,  Delphine Perret, Cyrille Pomès, Cécile Roumiguière, Delphine Perret, Frédérique Bertrand, Audrey Calleja, Olivier Douzou, Carlos Grassa Toro, Anne Laval, Lionel Le Néouanic, Violeta Lopiz, Juanjo Milimbo, le graveur Iris Miranda, le sérigraphe Pierre Gréau, l’enlumineur Fransisco Gutiérrez Garcia, le typographe Steve Seiler.

Au programme des six éditions : des rencontres à la librairie et dans les villages, des expositions, des ateliers, des discussions et des échanges, des masters classes, des dédicaces, des projections, des concerts, des apéros. « Les Estivales de l’illustration sont construites pour être vécues par tous les fous de dessins, les amateurs d’images, les amoureux des livres, les artistes (ou pas), et par tous ceux qui ont envie de nous rejoindre dans cette grande aventure collective – et dans ce grand dess(e)in. »

 Les éditions La Librairie des Territoires (créées par l’association) ont publié, parmi d’autres titres, De la nécessité du livre… et des libraires (2010, épuisé) et Culture, tourisme et territoire : des synergies à construire (2011, disponible).

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Grand merci pour ce partage à la Librairie-Tartinerie et à son équipe.

Pour faire un tour à Sarrant, c’est ici.

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Art et culture à l’école

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Une expérience transformatrice

Comédien et metteur en scène, Stanislas Nordey dirige, depuis 2014, le Théâtre national de Strasbourg (TNS) et son école d’art dramatique. Il a animé de nombreux ateliers de théâtre auprès des jeunes. Militant de la culture pour tous, il cherche à repousser les frontières des « zones culturelles blanches  », ces territoires où l’on n’a pas suffisamment accès aux biens culturels.

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Art et culture à l’école, une nécessité ?

     Stanislas Nordey  – C’est une nécessité absolue qui se décline de diverses manières. Pour la plupart des artistes c’est extrêmement enrichissant d’intervenir en milieu scolaire car la question de la transmission aux nouvelles générations est au centre de leur geste. Quand on est face à des enseignants qui sont dans le désir, ces très belles rencontres enrichissent l’enseignant et l’artiste. Et au cœur de ça il y a l’enfant, l’adolescent. Ces gestes innovants qui inventent sans cesse, qui sont dans le présent et créent un écart à la pratique scolaire habituelle leur ouvrent d’autres horizons. Pour les trois, enseignant, artiste et enfant, c’est extrêmement nécessaire et par expérience, ça marche. Être en contact avec l’art fait reculer la barbarie. Il y a encore un immense chemin à parcourir. L’idée à une époque de rapprocher les mots éducation et culture, cette consanguinité nécessaire entre ces deux domaines, avait un sens. Les années Lang ont créé une sorte d’accélérateur et les résultats ont été extraordinaires, particulièrement dans les territoires délaissés et déshérités où il y a un appétit incroyable d’art et de culture. Mais pour que cela existe il faut des moyens, ce sont des investissements d’avenir.

Quel rôle pour l’école ?

     L’art et la culture sont souvent aux avant-postes de réflexion. Par exemple, les questions de la parité, du genre et de la diversité, la représentation des femmes, sont à l’œuvre depuis longtemps chez les artistes. Il faut être dans le contemporain. Parfois, au ministère ou chez quelques enseignants, Racine et Molière sont des valeurs plus sûres que Duras et Yourcenar. Mais les artistes contemporains sont importants aussi parce qu’ils sont dans la vie, dans la cité et ils transmettent quelque chose du monde d’aujourd’hui, de la réalité. Je suis pour que les artistes envahissent les écoles. A partir du moment où un artiste est là, il dérange les choses, les déplace, les fragilise dans le bon sens du terme, il les met en perspective, les complexifie. L’enjeu de toute notre société c’est : comment est-ce qu’on combat la violence et l’intolérance, le sexisme, le racisme, l’homophobie ? L’école est un média et un interlocuteur formidable, un lieu parfois d’exclusion pour des jeunes mais un lieu où cela peut aussi se résoudre.

Quelle culture pour les jeunes ?

     Entre l’école que j’ai connue et l’école d’aujourd’hui, on en est toujours à une représentation de l’histoire des puissants écrite par les puissants. Les enfants qui ne sont pas de cette histoire-là, celle des dominants et des classes supérieures, ne s’y retrouvent pas. Et ce n’est pas une question d’assimilation ou pas. Il n’y a pas d’ouvriers ou de paysans chez Molière, sauf pour les ridiculiser. Il faut parler de la vie et interroger les programmes. On est dans une forme d’immobilisme dont tout le monde est complice et dont les principales victimes sont les élèves. Penser que c’est en les emmenant voir Abd el Malik qu’ils auront accès à la culture est une erreur. Ils n’ont pas d’a priori et sont plus accueillants qu’on ne croit. Parfois les artistes sont face à des enseignants qui eux le sont un petit peu moins et sont sûrs que, « ça » c’est pas bon pour leurs élèves. « Essayez, écoutez-moi » c’est le rôle de l’artiste de déplacer l’enseignant sur des territoires parfois plus glissants, en l’accompagnant.

L’art peut-il changer la vie des élèves ?

     Ça change tout et vite parce que quand on est confronté à la question de l’art, on est déjà confronté à la question du regard. Et ça quand on est tout jeune, le regard sur l’autre, le regard que l’autre pose sur soi, celui que l’on pose sur soi, sont très problématiques et souvent douloureux. Aux ateliers, on apprend à regarder l’autre, à regarder ce que l’on ne sait pas faire, à regarder l’inconnu, à être tolérant. C’est juste énorme et fondamental. Nous mettons aussi en pratique comment on regarde et on écoute l’autre, cet autre est différent et ça n’est pas grave. Il y a un enjeu sociétal immense. Ce n’est pas un boulot titanesque parce qu’ils comprennent tout de suite, par l’expérience, ce qu’ils y gagnent. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde. Pour la société, pour les mômes, pour les enseignants, les parents… Mais tant qu’on n’a pas été confronté à ça, on ne s’en rend pas compte.

Les objectifs de la décentralisation ont-ils été atteints ?

     Aujourd’hui les classes moyennes ont accès à la culture mais pas les classes populaires, les exclus, les gens précarisés. Pour toucher tout le monde, il faut plus de moyens, des choix budgétaires et des politiques publiques. Sachant qu’un grand plan ça ne coûte pas si cher, vu ce que ça rapporte il y a un rapport qualité-prix délirant.

(novembre 2020)

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Entretien accordée par Stanislas Nordey

à Fenêtres sur cours pour son cahier spécial

« 20 ans d’université d’automne du SNUipp-FSU »

Metteur en scène de théâtre et d’opéra, acteur, Stanislas Nordey est un homme partisan du travail en troupe. Avec sa compagnie, il est artiste associé au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis de 1991 à 1995, avant de rejoindre, avec sa troupe de douze comédiens, le Théâtre Nanterre-Amandiers, à la demande de Jean-Pierre Vincent qui l’associe à la direction artistique. De 1998 à 2001, il dirige avec Valérie Lang le Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis. En 2001, il rejoint le Théâtre national de Bretagne comme responsable pédagogique de l’École, puis comme artiste associé. Il y crée notamment Violences de Didier-Georges Gabily (2001), Incendies de Wajdi Mouawad (2008), Les Justes d’Albert Camus (2010). En 2011, il est artiste associé à La Colline et, pour l’éditIon 2013 du festival d’Avignon, artiste associé aux côtés de l’auteur, comédien et metteur en scène congolais Dieudonné Niangouna. Il crée Par les villages de Peter Handke dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. On doit à Stanislax Bordey la création de nombreuses pièces d’auteurs contemporains, parmi lesquels  Martin Crimp, Laurent Gaudé, Jean Genet, Hervé Guibert, Manfred Karge, Jean-Luc Lagarce, Frédéric Mauvignier, Fabrice Melquiot, Heiner Müller, Pier Paolo Pasolini,  Bernard-Marie Koltès. Incursions dans le répertoire avec Marivaux, Feydeau ou Hofmannsthal. Stanislas Nordey a entamé, ces dernières années, une collaboration forte avec l’auteur allemand Falk Richter. Acteur, il a joué sous la direction de plusieurs artistes et compagnons de route dont Wajdi Mouawad pour Ciels (2009) et Pascal Rambert pour Clôture de l’amour (2011). Il dirige le Théâtre national de Strasbourg et son école depuis septembre 2014, engageant un important travail en collaboration avec une vingtaine d’artistes associés. En 2019, il crée, à La Colline, Qui a tué mon père d’Édouard Louis et, en 2020, au TNS, Berlin mon garçon de l’auteure associée Marie NDiaye.

     

La tête dans les nuages

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Notre tête à nous dans leurs images à eux

      Fin novembre 2020, nous recevons à Orléans, envoyé par le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, un colis compact, un peu lourd. Avant même de l’ouvrir, nous savons qu’il contient, au format A3, les 88 images de l’exposition La tête dans les images, qui sera, quelques jours plus tard, installée en extérieur, en format spectaculaire, cela va sans dire, place Aimé Césaire, à Montreuil. Le paquet doit aussi contenir, nous a-t-on dit, des planches d’images qui pourront être proposées aux enfants pour qu’ils les découpent, les assemblent et créent leur propre exposition.

       Un deuxième paquet arrivera quelques jours plus tard, contenant, en nombre, des cartes postales, des marques-pages et des yeux en bandeau empruntés à des  personnages imaginés par Béatrice Alemagna, Gilles Bachelet, Benjamin Chaud, Joëlle Jolivet, Diane Le Feyer, Gwen Le Gac, Aurélie Neyret, Mathis, Mathieu Sapin et Riad Sattouf.

      Le centre de ressources du CRILJ n’est pas l’endroit idéal pour installer des affiches. Les bibliothèques municipales ne sont pas franchement ouvertes. Les libraires croulent sous des tâches pas faciles, tentant de satisfaire des lecteurs impatients. Un établissement public ? Difficile à négocier en quelques jours. Une école complice ? À réfléchir. Un centre de loisirs ? Mais oui, voilà la bonne idée, à condition toutefois de connaitre un peu (ou beaucoup) les personnes en mesure d’imaginer un accueil sympathique et de faire vivre des moments de lecture et des ateliers.

      Et, justement, à Beaugency, il y a Val de lire qui, entres autres activités liées au livre, met en place, chaque année, un Salon du livre jeunesse très apprécié des enfants et des familles. Et – tenez-vous bien – la chargée de mission de l’association connait fort bien le centre de loisirs de Beaugency avec lequel elle a quelques accointances. Nous contactons Anouk Gouzerh.

      Trois courriers électroniques plus tard, l’affaire est conclue et les paquets, même pas ouverts, rejoignent Beaugency par la poste, le train nous étant interdit. Colissimo nous donnera quelques émotions, mais que serait cette période compliquée sans, de temps en temps, une émotion ?

      Ce sont près de cinquante enfants entre 6 et 10 ans qui auront l’occasion de découvrir de manière active, les mercredis 2 et 9 décembre, au centre de loisirs de Beaugency qu’ils fréquentent régulièrement, les affiches et les albums.

      Grand succès des temps collectifs de lecture du matin, avec Anouk, Audrey, Nicole et Lila. C’est Barbara Saillard, animatrice en titre, qui a organisé le lieu et elle  accompagnera les activités pendant les deux jours. Les enfants écoutent attentivement. Auraient-ils quelques habitudes ? On s’attarde sur Toute une histoire pour un sourire (Frédéric Marais et Emilie Gleason), Qu’attends-tu ? (Britta Teckentrup), La collection (Marjolaine Leray), Le cadeau (Page Tsou). On échange, imagier de Bernadette Gervais, suscitera l’enthousiasme de tous. Pour les lectures individualisées de l’après-midi, raconte Anouk, « tout le monde s’est installé dans le hall, naviguant entre l’exposition et les valises de livres. Ces lectures dureront deux heures et elles auraient pu continuer encore. Les enfants, petits ou grands, avaient envie de lire… ou envie de se faire lire. »

      L’atelier du 2 décembre a consisté à choisir dans les planches à découper quelques imagettes, de les coller sur une feuille blanche et de les « élargir » aux crayons de couleurs, selon son inspiration. Il a permis quelques belles réalisations. Ci-dessus, le paysage au bord d’une rivière imaginé à partir de trois illustrations extraites de La collection, album de Marjolaine Leray.

      Pour aider les enfants à raconter leur journée lorsqu’ils seront de retour à la maison, chacun emporta une carte postale, un marque-page et son bandeau favori.

     Il est prévu de faire circuler l’exposition, dans l’Orléanais, durant le premier semestre 2021. Si les conditions sanitaires le permettent ? Si les conditions sanitaires le permettent. Des contacts sont en cours avec plusieurs établissements et une première présentation est envisageable  en janvier, si possible au moment de la Nuit de la lecture.

      À Noël, pas plus de six, sans compter les enfants, on a bien compris.

par André Delobel – décembre 2020

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Les images de l’exposition La tête dans les images proviennent des albums suivants :

. Cachée ou pas, j’arrive ! de Lolita Séchan et Camille Jourdy  (Actes Sud BD, 2020)

. Gladys de Ronald Curchod (Rouergue Jeunesse, 2020)

. La collection de Marjolaine Leray (Editions courtes et longues, 2020)

. Le cadeau de Page Tsou   (HongFei Editions, 2020)

. Le tournesol est la fleur du Rom de Ceija Stojka et Olivia Paroldi   (Bruno Doucey, 2020)

. Macadam, courir les rues de Mo Abbas et Julien Martinière   (Le Port a jauni, 2020)

. On échange ! de Bernadette Gervais   (Seuil Jeunesse, 2019)

. Qu’attends-tu ? de Britta Teckentrup   (Albin Michel Jeunesse, 2019)

. Toute une histoire pour un sourire de Frédéric Marais et Emilie Gleason   (Fourmis rouges, 2019)

. Une folle journée d’Anne-Hélène Dubray   (L’Agrume, 2020))

. Vent d’hiver de Carl Norac et Gerda Dendooven   (La Joie de lire, 2020)

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Photo du haut et photo du bas : Salon de Montreuil

Autres photos : Anouk Gouzerh

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Souvenez-vous…

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Penser aussi au 8 m2 …

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.    Souvenez-vous…

     Le 17 mars 2020 a débuté en France un confinement qui devait durer 56 jours afin de « maîtriser » la pandémie de COVID19 apparue trois mois plus tôt en Chine. Au nom d’une « guerre » décrétée contre le coronavirus s’est imposée une expérience sans précédent, tant dans la gestion improvisée de la crise sanitaire par nos dirigeants, que pour nous autres, privés de nos libertés fondamentales pour un temps, alors, indéfini.

     De nombreux secteurs de l’économie ont été mis à l’arrêt du jour au lendemain, entraînant une crise économique mondiale. Les écoles ont fermé et les enseignants ont dû inventer des cours à distance avec leurs propres outils numériques. Quand leur métier le permettait, les gens ont été invités à télétravailler.

     Les soignants « sur le front » qui souffraient déjà du manque de moyens, ont vite été submergés par l’afflux incessant de malades. Chaque jour le nombre de morts augmentait.

     Les inégalités sociales se sont encore aggravées entre les bien lotis et les plus nombreux, cloîtrés chez eux dans des conditions de logement déjà difficiles, précaires ou insalubres. Enfin, l’intimité de sa maison a été imposée à tous 24h/24h. À charge pour chacun de jongler entre l’école et le travail, les amis et la famille mis à distance, les angoisses des uns, la solitude des autres, le désamour ou les violences domestiques.

    Aujourd’hui le virus circule toujours, le monde entier subit depuis le mois d’octobre la « seconde vague » tant redoutée. Sont de nouveau confinés celles et ceux qui peuvent télétravailler, tandis que les écoles restent ouvertes avec force protocoles sanitaires pour les élèves et leurs enseignants. Nous vivons masqués, à distance les uns des autres.

     Si on peut plus largement se faire tester en cas de symptômes, aucun médicament spécifique ne permet encore de se soigner contre le virus et on nous annonce l’arrivée d’un vaccin courant 2021.

     Souvenez-vous…

 (Régis Lejonc – novembre 2020)

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Régis Lejonc, né en 1967, est un illustrateur de la génération révélée par Olivier Douzou au début des années 1990. Il a illustré depuis chez de nombreux éditeurs (Le Rouergue, Didier, Rue du monde, l’Édune, Thierry Magnier, Le Seuil, Gautier-Languereau, etc), s’est lancé dans l’écriture de textes, dans la direction artistique, dans la création de collections. Il travaille pour la publicité et dans la mise en images de jeux. « Régis Lejonc est un touche-à-tout, un illustrateur inclassable qui passe d’un univers graphique à un autre au gré des livres et des projets, appréciant autant l’influence de l’art nouveau, des grands peintres impressionnistes, des affichistes des années 1940 et 1950 que celle des kawaï japonais. » Parus récemment : Fechamos (Éditions des Éléphants), avec Gilles Baum, et Je n’ai jamais dit (Utopique), avec Didier Jean et Zad. L’image ci-dessus est extraite d’un carnet d’illustrations auto-édité, Comme à la maison, dans lequel Régis Lejonc a rassemblé les dessins qu’il a réalisés pendant le premier confinement. « Je me suis lancé le défi de publier sur Facebook et Instagram un dessin par jour sur toute la durée du confinement. Un dessin pour une idée ou une opinion. Un dessin pour une émotion ou une réaction. Un dessin pour une référence à partager, jour après jour. » Le livre a été imprimé près de Tulle, en circuit court, sur papier issu de forêts gérées durablement. « Ce livre est formidable. je n’aurais pas fait mieux. » (Victor Hugo). « Les images sont jolies, mais je ne partage pas le point de vue. » (Emmanuel Macron).

Grand merci à Régis Lejonc qui nous confie cette image. Merci aussi pour son texte.

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Les Maîtres de l’imaginaire

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Une exposition en Chine

Depuis le mercredi 11 novembre 2020 et jusqu’au dimanche 28 février 2021, le Musée d’art de l’université Tsinghua de Pékin accueille une exposition Image of the West : illustrators of Europe and América qui donne à voir un imposant ensemble d’illustrations issues de la collection de la Fondation Les Maîtres de l’imaginaire créée en 2017, à Lausanne, à l’initiative de l’auteur-illustrateur Étienne Delessert. Commissaire de l’exposition : Janine Kotwica.

« Image of The West présente une collection d’artistes de renom qui ont créé d’illustres livres d’images en Europe et aux États-Unis. Des contes de fées, des textes littéraires, des poèmes et des souvenirs personnels réinterprétés ont tous été illustrés avec une imagination débordante et une variété de styles et de techniques uniques. Ce panorama d’images témoigne de la vitalité de l’édition occidentale. »

Quarante illustrateurs « maîtres de l’imaginaire » à l’honneur dans un sobre et efficace accrochage ainsi qu’une importante contribution personnelle d’Étienne Delessert.

L’auteur-illustrateur raconte cette aventure aux artistes de la Fondation.

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    Chers ami(e)s,

    Notre exposition des Maîtres de l’imaginaire a ouvert ses portes à Beijing mercredi soir. Elle est superbe !

    J’aimerais décrire rapidement cette aventure.

   Tout cela a commencé à Paris, voici cinq ans, par la présentation à l’Ambassade de Suisse de mon livre de mémoires L’Ours Bleu, par Jean-Philippe Jutzi, l’attaché culturel. Son analyse était fine et amicale.

   En 2019, j’ai appris qu’il était en Chine, et lui ai de suite parlé des Maîtres. Nous sortions du palais de Bologne. « Cela tombe bien, m’a-t-il répondu, en 2020, seront célébrés les 70 ans de bonnes relations bilatérales entre le Suisse et la Chine. »

    Il nous a donc associés à un programme culturel vaste – c’était avant le Covid19 – qui comprenait une exposition de Giacometti, une autre de Tinguely et la venue d’œuvres de la collection Dubuffet du Musée de l’Art Brut de Lausanne.

    Jutzy a d’abord choisi le Today Art Museum de Beijing, puis, à la suite de négociations avec le gouvernement chinois, a désigné le prestigieux Tsinghua University Art Museum pour nous accueillir. Ils avaient déjà collaboré harmonieusement avec l’Ambassade. Et j’eus alors la vraie surprise d’être invité par le musée à avoir une section de l’exposition consacrée à mes œuvres.

    Janine Kotwica a été d’une aide précieuse, tout au long d’une année fertile en menus problèmes, en tant que commissaire, par ses contacts,  ses conseils, sa précision dans les crédits, l’élan de ses textes. L’exposition, prévue pour le mois de juillet, a été repoussée deux fois par le virus – qui semble bel et bien dompté à Beijing, mais personne n’entre encore en Chine.

    En Suisse, Laurent Seigneur, membre du Conseil, a suivi notre parcours avec vigilance, je l’en remercie aussi.

    Un catalogue ne pouvait être préparé : il faut un an au Ministère de la Culture chinois pour délivrer un code ISBN.

    Le musée a fait un choix de vingt images, sur une centaine, pour imprimer des cartes postales. Impossible ! Nous avons dû, de ce fait, imprimer une édition limitée de 250 jeux de cartes en Suisse, pour que chaque artiste soit représenté; ils sont d’un usage limité à la communication et aux médias.. Imprimés en août, ils ne sont partis enfin que cette semaine, l’accès du local où ils étaient entreposés dans le bâtiment officiel de notre partenaire HEP étant interdit, encore et encore, par le Covid 19. Par chance une centaine de boîtes avaient été livrées à Berne par l’imprimeur: elles furent envoyées par la valise diplomatique.

    Tout au long de notre collaboration, nous avons pu réaliser que la Chine est un autre monde. Les meilleures intentions sont parfois bridées par un système d’une fermeté feutrée mais inflexible.

    Dans le choix des œuvres, par exemple. Le Ministère de la Culture, à qui elles devaient être toutes présentées, en a censuré quatre, de Marshall Arisman et de Jean-Louis Besson. Sans réelle logique. Elles furent donc remplacées.

     L’affiche est une autre histoire (elle sera agrandie au format de 9m sur 12m, près du musée, à l’entrée de la Tsinghua, université de grande renommée. Deux de nos propositions furent écartées, et quelle ne fut pas notre surprise de constater que le graphiste du musée avait emprunté des éléments de trois de mes dessins et les avait interprétés à sa manière. Je n’ai pas souvent ce genre de conflit, mais j’ai perdu cette bataille. C’était il y a un mois à peine, les œuvres étaient alors mises en caisse, il fallait céder pour qu’elles partent. Le choix des œuvres pour les deux flyers est entièrement celui du Tsinghua. Une erreur de légende concernant  Jean Claverie a été corrigée.

    Je ne vais pas entrer dans les détails, mais le transport fut retardé considérablement. Nous refusions de laisser les dessins partir sans avoir vu leur contrat d’assurance signé. Rien d’anormal, m’a -t-on dit, c’est la bureaucratie.

    L’exposition a bien failli ne pas avoir lieu: il était impensable d’accepter d’utiliser un Carnet ATA, qui garantit un passage de douane en douceur, mais qui nous aurait obligés à débourser près de 200 000 euros, remboursés, en principe, par le gouvernement chinois au retour des oeuvres.  Tout cela se passait il y a moins d’un mois, et fut assez tendu. J’ai annoncé bloquer le transport. Plus d’exposition ? Nous avons alors appris, comme par miracle, que le Ministère de la Culture allait obtenir un passage de douane sans frais.

    Rien n’est simple, les collaborateurs du musée désespéraient, tout en observant avec calme les normes du pays. Un autre monde…Je veux remercier Wang Ying, Sysy Hu au Tsinghua, et Congcong Che à l’Ambassade, – Jean Philippe Jutzi ayant pris sa retraite – pour toute leur attention et pour leur enthousiasme.

    Mercredi 11 novembre cette équipe du musée, travaillant jour et nuit la dernière semaine, a eu la joie de vernir notre exposition, en présence d’un public d’invités choisis et de 30 représentants de différents médias.

    L’Ambassade suisse était fort bien représentée, que je remercie pour son support.  Il se trouve que nous sommes la seule manifestation artistique visuelle a avoir bravé le virus, en cette année de 70 ans de reconnaissance pacifique.  Giacometti et les autres ont été repoussés à une date indéterminée.

    Et il faut bien dire que ce sont vos œuvres qui ont soutenu, par leur qualité et leur diversité, le moral des troupes chinoises, françaises et suisses : l’art de l’illustration, art à part entière dans un magnifique musée.

    Voici quelques reflets de la manifestation, Ils éclairent d’une belle lumière nos efforts pendant une longue année. Les photos sont toutes de Xiao Fei, du TAM. Elles sont ici réduites, mais existent en haute résolution.

     Avec ma gratitude, celle de Janine et de la Fondation.

     Bien amicalement.

     Étienne

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Merci à Étienne Delessert pour nous avoir confié ce courrier.

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Voir aussi le reportage de la télévision chinoise à partir de  cette page

Artistes exposés

Albertine, Marshall Arisman, Jean-Louis Besson, Guy Billout, Quentin Blake, Robert Oscar Blechman, Eric Carle, Ivan Chermayeff, Seymour Chwast, Nicole Claveloux, Jean Claverie, Frédéric Clément, Étienne Delessert, Heinz Edelmann, Stasys Eidrigevičius, Randall Énos, Monique Félix, André François, Henri Galeron, Letizia Galli, Laurent Gapaillard, Alain Gauthier, Roberto Innocenti, Gary Kelley, Claude Lapointe, Alain Le Foll, Georges Lemoine, David Macaulay, Daniel Maja, Sarah Moon, Jörg Müller, Yan Nascimbene, Chris F. Payne, Jerry Pinkney, Zack Rock, Éleonore Schmid, Chris Sheban, Elwood H. smith, David Wiesner, Zaü, Lisbeth Zwerger.

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André François, pour une couverture de magazine (Haute société, juin 1960)

Alain Le Foll, C’est le bouquet, Claude Roy (Delpire, 1964)

 Claude Lapointe, L’appel de la forêt, Jack London (Gallimard, 1979)

Monique Félix, Hansel et Gretel, Jacob et Wilhelm Grimm (Grasset, 1983)

Etienne Delessert, Contes 1, 2, 3, 4, Eugène Ionesco (Gallimard, 2009)

Albertine, Des mots pour la nuit, Annie Agopian, (La Joie de lire, 2017)

 

  

    

 

 

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États généraux de la littérature de jeunesse

 

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Les États généraux de la littérature de jeunesse du lundi 5 octobre 2020 étaient organisée par La Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse, à la Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou.

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Et elles ne vécurent plus lésées jusqu’à la fin des temps… 

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Cette journée avait été précédée par la mise à disposition, en ligne, de vidéos présentant des témoignages d’autrices et d’illustratrices réalisées pour alerter sur les différences femmes/hommes dans leur métier. Ces interviews donnaient la parole à cinq autrices (Sophie Adriansen, Clémentine Beauvais, Moka, Laura Nsafou et Cécile Roumiguière) et à trois autrices-illustratrices (Loren Capelli, Malika Doray et Marie Spénale).

    Ce sont  Lucie Kosmala et Léa Bordier qui, en coordination avec la Charte, ont produit ces cinq vidéos. Cinq thèmes y sont traités : les débuts, les difficultés, les enfants, la sensibilité féminine. l »engagement et l’avenir. Il sera, au cours de la journée,  fréquemment fait référence aux propos tenus dans ces vidéos.

    Dans l’amphithéâtre de la BPI où sont accueillis les participants, on respecte les obligations sanitaires de distanciation : un siège sur deux occupé, des participants masqués ainsi que tous les intervenants, jusqu’à leur montée sur l’estrade au moment de leur intervention.

. Hélène Vignal et Jo Witek

    Hélène Vignal, co-présidente de la Charte, ouvre les travaux de la journée. Elle rappelle que l’Observatoire de l’égalité du ministère de la Culture alerte sur des différences de revenus notoires entre les auteurs et les autrices : moins 26% pour les autrices affiliées à l’AGESSA et moins 22% pour celles relevant de la maison des artistes. Au-delà de ce constat, cette inégalité se retrouve dans de nombreux domaines touchant à la vie professionnelle et parfois aussi personnelle des autrices, il est donc nécessaire pour améliorer l’inégalité entre femmes et hommes d’identifier les situations où elle se manifeste et d’analyser les freins à une amélioration.

    Jo Witek, grand témoin, prononce le discours d’ouverture. Elle revendique une position féministe et inscrit délibérément ses propos sous l’égide des travaux de Michelle Perrot. Elle replace la réflexion de cette journée dans la longue et lente progression des femmes sur le chemin de l’égalité. En 1789? les femmes n’étaient présentes que par le détournement et la séduction. Même les défricheuses étaient empêchées ». Elle cite, exemples à l’appui choisis dans leur vie de femmes de lettres, Wirginia Woolf, Simone de Beauvoir, Elsa Triolet. Elle s’interroge aussi sur la manière de faire émerger l’implicite d’une culture mâle, patriarcale pour aboutir à une société du partage et de l’égalité.

    Plusieurs intervenantes n’ont pas pu se déplacer pour des raisons liées à l’épidémie et elles ont enregistré leur intervention, diffusée en séquence(s) vidéo, des incrustations permettant de bénéficier à la fois de l’exposé de la conférencière et du diaporama qu’elle utilise en appui.

. Doriane Montmasson

     Ce sera le cas de Doriane Montmasson, maitresse de conférences en sociologie de l’éducation, à l’INPE de l’académie de Paris. Elle interroge le rôle joué par les stéréotypes de genre véhiculés par les récits et les représentations de la littérature de jeunesse. Cette dernière tendrait-elle à entretenir une vision genrée de la place des hommes et des femmes dans la société ? Elle a mené une étude sur la réception des stéréotypes par les enfants et propose des premières réponses.

    Elle se réfère aux recherches des années 1990 qui ont mis en lumière l’existence de stéréotypes de sexe dans les livres destinés aux enfants et qui ont supposé que ces « modèles » étaient déterminants pour leur construction identitaire. Elle note que si le nombre des ouvrages présentant une vision stéréotypique du masculin et du féminin restent important, ils sont de plus en plus nombreux à proposer une vision moins ou peu explicite des normes de genre. Elle insiste sur la nécessité de compléter l’étude du contenu des albums par une étude de réception, pour analyser comment les jeunes lecteurs et lectrices s’approprient les  » modèles  » proposés par la littérature.

    Une des recherches de Doriane Montmasson a porté sur un ensemble de 150 livres, des années 1950 à 2012 (pas d’information fournie sur le corpus, les quelques exemples de pages présentées ne faisant pas référence à des œuvres de littérature identifiables) proposé à une centaine d’enfants (G/F) de 5 à 8 ans. La recherche a mis en évidence :

– que la socialisation familiale tient une place prépondérante, pour les plus jeunes, en matière de genre. Ils ne relèvent pas l’existence d’organisations familiales dissemblables, ils sont même portés à modifier le sens de certains ouvrages afin qu’ils correspondent à leur propre représentation du masculin et du féminin. On peut dire qu’ « à cet âge, les livres ne sont pas responsables de tout et n’ont pas à eux seuls le pouvoir de tout changer. »

 – que la réception d’ouvrages par des enfants plus âgés montre que la littérature tend à prendre une place plus importante dans la construction identitaire des filles et des garçons.

     Doriane Montmasson estime important de réaffirmer :

– qu’il est primordial qu’une offre de livres proposant des normes de genre moins stéréotypées continue de se développer ;

– qu’il « est essentiel que l’utilisation de ces livres fasse l’objet d’un étayage permettant aux enfants de s’inscrire dans une posture réflexive. »

. Anne-Sophie Métais

     Anne-Sophie Métais, chargée de mission auprès de la direction du Centre national du livre, présente un point d’étape d’une étude du CNL portant sur l’économie de la filière du livre de jeunesse. Elle centrera son intervention sur le volet consacré aux auteur-trice(s), cette étude en comportant deux autres consacrés aux éditeur-trice(s) et aux libraires.

    Cette étude inclut une enquête conduite par le CNL à partir de la base Électre, soit 11 000 auteurs identifiés dont près de 75% sont des autrices (autrices pour le texte : 60% ; pour le texte et les illustrations : 65% ; traductrices : 68%). Elle porte sur cinq segments de l’édition : éveil et petite enfance, albums, documentaires, romans 8/12 ans, romans plus de 13 ans et jeunes adultes, la bande dessinée en ayant été exclue. Sur 1641 auteurs touchés, 435 ont renseigné le questionnaire.

    L’enquête interroge, au-delà des revenus générés par les œuvres pour la jeunesse, ceux issus des publications réalisées à destination d’un public hors du secteur jeunesse et des activités connexes.

    Concernant le pourcentage des aides accordées à des auteurs et à des autrices, la représentante du CNL indique que ce dernier reçoit les demandes et ne les suscite pas. Hélène Vignal insiste sur l’importance, même dans ces conditions, de garder en tête le principe d’égalité.

. Table ronde 

     Hélène Rajcak (autrice-illustratrice), Martin Page (auteur-éditeur) et Coline Pierré (autrice-éditrice), ensemble ou séparément, Roxane Edouard (agente littéraire), en visio-conférence depuis Londres, sont invités à témoigner de leurs expériences et à échanger à propos de leurs initiatives autour de la question : la considération des autrices est-elle la seule clé de l’égalité en littérature de jeunesse ?  Modératrice : Hélène Vignal

     Concernant la différence de rémunération entre les auteurs/autrices de littérature générale et de littérature de jeunesse, une des réponses fallacieuses apportée a été le coût de l’album par rapport au roman, alors que ce c’est en fait une dévalorisation de la littérature de jeunesse et de ses auteurs-trices.

    Les participants à la table ronde tombent d’accord sur le fait qu’il entre une part d’affectivité dans les échanges auteurs/éditeurs. On accueille un auteur, une autrice, mais aussi une situation financière corollaire La faible place des agents et agentes littéraires en France tend à renforcer cet état de fait.

    Des pastilles-vidéo donnent, à divers moments, la parole à Roxane Édouard, ce qui permet à travers de ses propos de préciser la représentation, assez floue, de ce que peut être le rôle d’un ou d’une agent-e littéraire dans la gestion financières et juridiques des intérêts des autrices et auteurs dont elle administre la carrière. La place des agents et agentes est plus affirmée dans les pays anglo-saxons, en Espagne et en Italie qu’en France.

    Roxane Édouard ouvre aussi le champ des différences à prendre en compte à ceux des inégalités de race ou du handicap. Elle confirme que les négociations d’une agente ne portent pas que sur les rémunérations, d’autres composantes interviennent aussi : les enfants, les vacances…

    Martin Page précise qu’il s’est interrogé sur sa participation à la table-ronde : un homme peut-il défendre les femmes à la place des femmes ? Il ajoute qu’il trouve le secteur de la littérature de jeunesse plus agréable, plus ouvert, plus attentif que le secteur de la littérature générale, sur divers registres : l’égalité F/H mais aussi par exemple le « livre durable » face au pilonnage. Avec Coline Pierré, ils utilisent beaucoup les réseaux sociaux pour montrer le quotidien, comme ils le font aussi dans avec leur maison d’édition Monstrograph et avec des titres comme Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ?

     Hélène Rajcak insiste sur le fait que les autrices sont aussi légitimes que les auteurs, mais qu’il faut du courage pour « négocier » un contrat lorsqu’on est une femme. Autrice-illustratrice de documentaires à composantes scientifiques, elle est aussi très attentive à la réception par les enfants, aux différences filles/garçons et à la médiation qui accompagne la lecture.

    Une question de la salle porte sur le pourcentage d’éditrices dans la littérature pour la jeunesse et ce que cela peut modifier dans les relations, éditrices/autrices.

    Hélène Vignal souhaite interroger un représentant du Syndicat national de l’édition (SNE) sur ce point, mais aucun n’est présent dans la salle. Martin Page estime que les éditrices travaillent mieux que les éditeurs, dans le secteur adulte comme en jeunesse.

    Un témoignage dans la salle met en lumière la méconnaissance du public sur les différentes professions de la chaine du livre. Les participants de la table-ronde font remarquer que la littérature de jeunesse n’est pas ou peu représentée dans les médias généralistes.

    De la salle, Samantha Bailly, co-présidente de La Charte, conclut qu’il est nécessaire de faire reconnaitre qu’être un auteur ou une autrice, c’est un métier.

. En guise de conclusion

    Cette matinée a été très riche, abordant des sujets variés sur la question de l’égalité entre les auteurs et les autrices, avec conviction mais sans dogmatisme. Les intervenants ont fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, de positions nuancées, de perspectives originales et courageuses. Vives regrets de devoir quitter les travaux en milieu de journée….

    Un petit tour effectué, le soir, sur le compte Facebook de La Charte a permis de retenir un extrait du discours de clôture de Jo Witek, grand témoin, bien dans la tonalité de cette journée .

« La littérature jeunesse comme toute littérature doit aussi déranger, surprendre, garder sa liberté de ton, son insolence et donner à voir l’état du monde tel qu’il est. Parfois, un personnage de père machiste et alcoolique fera beaucoup plus réfléchir un ado, qu’un papa féministe et écolo. L’important n’est pas tant de coller aux nouveaux archétypes, aux nouvelles représentations, que d’écrire avec sincérité, là où on en est. Avoir cette honnêteté-intellectuelle là. Et en ce moment, à voir le nombre de romans qui mettent des filles à l’honneur, par rapport à la réalité de l’égalité filles-garçons dans nos sociétés, on peut s’interroger sur cette honnêteté. »

par Françoise Lagarde – octobre 2020

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Françoise Lagarde, formatrice dans le premier degré, est devenue ingénieur d’études au ministère de l’Éducation nationale où elle fut chargée, jusqu’en 2013, des dossiers relatifs au livre et à la lecture en tant qu’adjointe au chef de bureau des écoles à la direction générale de l’enseignement scolaire ; elle a assuré la mise en œuvre de l’opération Des livres pour les écoles et des plans de développement des BCD, coordonné l’élaboration et la production du répertoire 1001 livres pour l’école (1997), contribué à la mise en place des sélections d’ouvrages de littérature pour les trois cycles de l’école primaire, collaboré au Guide de la coopération bibliothèque-école (CRDP de Créteil, 1986) et à la mise en ligne sur le site ministériel Éduscol de ressources pour faire la classe ; elle est l’actuelle présidente du CRILJ.

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POUR ALLER PLUS LOIN

  • Le programme et la présentation des intervenants :

https://drive.infomaniak.com/app/share/118494/41ac10d4-dc3c-4136-9bbf-baee7a2f3040/preview/pdf/54596

  • Les interviews vidéo :

. les débuts :   https://www.youtube.com/watch?v=YsXSNPFRSo8

. les difficultés :   https://www.youtube.com/watch?v=-HSyeg-0B-I

. la sensibilité féminine :   https://www.youtube.com/watch?v=-zk_yw1Z8w0

. les enfants :   https://www.youtube.com/watch?v=z-WhMdi536A

. l’engagement et l’avenir :   https://www.youtube.com/watch?v=Y-4luCd6sn8

  • L’intégrale de la séance du matin :

https://www.youtube.com/watch?v=J5_quVogoOw

  • L’intégrale de la séance de l’après-midi  :

https://www.youtube.com/watch?v=i6DNzUL_3sg

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Coups de cœur moulinois

 

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    En septembre 2019, j’ai pu me rendre à la Biennale de Moulins pour la première fois, avec plaisir. Je remercie le CRILJ pour son Coup de pouce.

    Si je n’ai pas profité, autant que je l’espérais, des conférences et débats avec les illustrateurs, par contre j’ai eu beaucoup de plaisir dans la découverte de la ville, de son Centre national du costume de scène et de ses églises, dans la rencontre de personnes chaleureuses, dans la visite des expositions et autour de toutes les animations. Aussi, vous représenterai-je uniquement mes coups de cœur.

. Les Moulinettimages

    Pour leur première participation à la Biennale des illustrateurs, les étudiants de Jean Monet ont conçu deux grands moulins à images et à roulettes qui ont circulé dans les rues du centre-ville. Nous les avons rencontrés et avons admiré leur performance. Armée de pinceaux, encres diverses, tampons de la ville et imagination débordante, une étudiante a illustré pour nous la lecture d’un texte loufoque déclamé de façon magistrale pour notre grand plaisir.

. Les Magasinzins

    C’est en déambulant dans les rues de Moulins, passage d’Allier et rue de l’Horloge, que nous avons eu le plaisir d’y découvrir les réalisations des étudiants en illustration de l’École Estienne (Paris) assistés par la classe DMA du Lycée Jean Monnet (Yzeure).

    Sur les façades des magasins en déshérence du centre ville, ces étudiants illustrateurs ont encollé les vitrines avec des images et des mots qui créent d’éphémères magasins de marchandises invendables, des boutiques aux enseignes insolites telles « À la bonne rumeur « , où l’on vendra du on-dit et des bruits à faire courir et « Premiers pas depuis 1990 », le plus grand choix de pas de la région.  Et puis aussi l’enseigne d’un vendeur de courants d’air, « Au marchand de vent », sans oublier « Au roi de la bêtise » ou « le Palais du sourire » ou « La maison Bisou Bisou »…

    Sourires et bonne humeur étaient au rendez-vous dans ce monde qui se délite. Un grand bravo à tous ces jeunes artistes, illustrateurs en herbe. Un regard poétique et humoristique sur notre façon d’être et de consommer .

. Les Ecrimages d’ailleurs et d’ici

    C’est à la salle des fêtes que nous avons découvert ces récits et dessins évocateurs de vies de migrants en souffrance.

    Et nous laissons parler les bénévoles de l’association « Les malcoiffés » qui se sont tellement impliqués dans ce projet dont les réalisations nous ont profondément émues, au point de souhaiter voir ces petits livres ou albums imprimés pour être diffusés :

     « Entre l’ailleurs et l’ici : les frontières…

     Ceux-là les ont franchies, souvent au péril de leur vie, pour fuir la guerre, la persécution, un régime totalitaire, ou pour ne pas mourir de faim. Ils ont pour noms Gétoar, Abdusalam, Kais, Mohamed, Ahmed, Nasser, Jafar, Siddiqua, Ismaël, et sont Syriens, Albanais, Soudanais, Afghan, Guinéen, Ivoirien…

     Ces migrants « d’ici » ont été rencontrés ces dernières années par les bénévoles de notre association dans des circonstances diverses allant de l’engagement dans des associations humanitaires ou des services sociaux, au hasard d’un séjour à l’hôpital ou d’une exposition de peinture.

     Nous avons souhaité les associer à l’aventure de ce festival et leur avons proposé un travail mêlant écriture de texte et création d’illustration. Un patient travail, parfois collectif, souvent individuel, s’est engagé de janvier à l’été sous forme d’un accompagnement à l’écriture, au dessin et à la mise en page.

    Au final, de courts textes illustrés et mis en forme de maquettes de petits livres ou d’albums et qui font l’objet de cette exposition singulière au milieu de celles de nos artistes invités. Mots et dessins offerts comme des gestes premiers souvent chargés d’histoires douloureuses, prenant la forme du conte, du poème ou du texte philosophique ou sociologique, sensibles, pudiques et qui ne devraient pas manquer de toucher les visiteurs. »

    Quel travail ! Quelle réussite ! A faire connaître absolument.

par Monique Caribin –  octobre 2019

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Monique Caribin est retraitée de l’enseignement. Elle est, depuis plusieurs années, une adhérente active de la section régionale des Bouches-du-Rhône du CRILJ. Elle est notamment la référente de l’association pour le Prix des A’crocs, auprès du collège, des écoles primaires et élémentaires, de la crèche municipale et des services municipaux de la Fare les Oliviers où elle habite. Monique Caribin est l’une des quatre boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion de la cinquième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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photos : André Delobel

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Le confinement en ville

 

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Marion Fayolle est née en 1988 en Ardèche. Étudiante à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg (ESAD) qu’elle fréquente entre 2006 et 2011, elle crée, avec Simon Roussin et Matthias Malingrëy rencontrés au sein de l’atelier d’illustration Cargo Collective, la revue Nyctalope qui mêle dessin contemporain, illustration, graphisme et bande-dessinée. Neuf numéros paraissent entre 2009 et 2017. Son projet d’étude est publié, en 2011, par le galiériste Michel Lagarde. Trois fois lauréate du concours Jeunes Talents du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, en 2008, 2010 et 2011, dans la sélection officielle, en 2014, pour La tendresse des pierres (Magnani, 2013), Marion Fayolle obtient le Prix Fauve spécial du jury, en 2018, pour Les amours suspendues (Magnani, 2017). D’autres titres, toujours chez Magnani : Le tableau (2012), Les coquins (2014), Les amours suspendues (2017) et Les petits, tout juste paru. « Je pars d’une image fixe, d’une métaphore graphique, et ensuite, je l’anime, je la justifie, et peu à peu mes histoires trouvent un sens. Mon procédé d’écriture est proche de celui du théâtre d’improvisation. » Parlera-t-ton d’inspiration surréaliste, d’absurde et de non-conformisme ? En tout cas, l’auteure-illustratrice parle aux adultes de sujets pour adultes comme personne. Nappe comme neige (Notari, 2012) a toutefois rejoint, en 2020, la Sélection d’ouvrages pour entrer dans une première culture littéraire à l’école maternelle du Ministère de l’Éducation nationale. Marion Fayolle travaille pour la presse (dont Télérama, Paris Mômes, Psychologies Magazine, M le magazine du Monde, XXI et le New York Times). Elle a illustré À la recherche de son âme de Guillaume Le Blanc (Galllimard jeunesse, 2011) et Un tournage pris dans l’engrenage de Michael Idov (Éditions du sous-sol, 2013), participé au projet artistique collectif The Parisianer et a créé, en 2014, des motifs pour la marque de prêt-à-porter Cotélac. Pour voir et savoir plus, c’est ici.

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Grand merci à Marion Fayolle qui nous confie cette image.

 

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Pour la fin du confinement mental

 

    Le président de la République dans son allocution du mercredi 28 octobre a annoncé un nouveau confinement jusqu’au 1er décembre qui pourrait être prolongé. Ce deuxième confinement ne concerne ni les services publics, ni les écoles – lycées, collèges et écoles primaires – qui restent ouverts. En revanche, les théâtres, qui pourtant avaient déjà adapté leurs horaires dans le cadre du couvre-feu et mis en place des mesures barrières strictes – port du masque, gel, distance entre les spectateurs – pour protéger efficacement le public du virus, doivent fermer leurs portes. Saluons ici les décisions nécessaires du gouvernement d’autoriser l’activité de répétitions, d’enregistrement et de tournage pendant cette nouvelle période de confinement, mais un coup d’arrêt a été donné en interdisant les représentations publiques, mettant en danger un secteur essentiel de la vie intellectuelle de notre pays.

    Dans son allocution, le président Macron a justement évoqué « les valeurs de ce que nous sommes, de ce qu’est la France ». C’est au nom de ces valeurs, dont l’affirmation est plus que jamais urgente, qu’il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture. Faut-il rappeler une fois encore que le théâtre en France remplit une mission de service public ? Mission dont la continuité ne doit pas s’interrompre mais doit, au contraire, être mise à profit pour apporter le théâtre là où il n’est pas et partager les œuvres avec toutes et tous. Le théâtre est plus que jamais d’intérêt général. C’est le moment, au cœur même de la crise, de penser à l’avenir : celui de nos concitoyens, celui de nos enfants. Plutôt que de se figer dans un repli sur soi délétère et de reproduire les erreurs du premier confinement – dont on sait à quel point elles ont aggravé les inégalités sociales – l’exécutif devrait transformer la contrainte historique que représente cette pandémie et relever le défi d’un « confinement constructif ».

    Chacun sait que l’art est une donnée essentielle à la vie d’un individu. Ce n’est donc pas le moment de fermer la porte, de mettre l’art de côté ou, au mieux, de le reléguer dans la sphère privée où seuls y ont accès ceux qui sont déjà convaincus des bienfaits et des joies qu’il procure. C’est en priorité vers ceux qui en sont le plus souvent privés ou qui n’en ont qu’une idée lointaine qu’il est impératif de s’orienter. Aujourd’hui l’art, et en particulier le théâtre, doit retrouver au plus vite sa place dans les écoles car ses capacités pédagogiques n’y ont jamais été aussi nécessaires. Il y a un combat à mener face à l’indifférence qui laisse tant d’enfants et de jeunes adultes sans défense exposés aux assauts d’idéologies mortifères et à l’invasion des industries culturelles dominantes véhiculées par de nombreux médias : télévision, internet, réseaux sociaux, etc… On sait les ravages que cet enfermement produit sur des esprits fragiles qui finissent, à force d’avoir les yeux rivés sur des écrans, par perdre tout point de repère et se couper du monde réel.

    Face à ces influences toxiques et à la confusion mentale qu’elles induisent dans le champ culturel, il est urgent d’ouvrir les fenêtres et de faire entrer de l’air frais. Il faut en finir avec le confinement mental, avec la domination de la culture du clic, de l’immédiateté, de la pulsion assouvie dans l’instant, qui conduit in fine à l’atrophie du désir et de l’imaginaire. Il serait salutaire d’offrir à notre jeunesse la confrontation sensible avec des œuvres qui les encouragent à développer leur esprit critique et leur discernement, à se forger des outils pour penser et pour se construire : à s’émanciper. Cette nécessité est d’autant plus brûlante qu’une crise sans précédent nous oblige à réfléchir à notre destin collectif, à nous interroger sur le monde que nous voulons bâtir ensemble.

    Il existe dans notre pays des forces vives, des forces disponibles, qui ne demandent qu’à transmettre ces nourritures indispensables, à faire œuvre de pédagogie, à partager leurs pratiques de la langue, à dialoguer. Il est grand temps de faire davantage appel aux artistes, aux auteurs et autrices, aux comédiennes et comédiens, pour qu’ils interviennent plus intensément dans les écoles primaires, les collèges, les lycées et participent ainsi, forts de leur savoir-faire, à la construction collective du champ symbolique, à aiguiser les sensibilités, à susciter le désir d’être élevé. C’est tout le contraire du confinement mental qui est proposé-là. L’art est une nourriture de première nécessité. Alors, monsieur le Président, ne perdez pas de temps, permettez que l’art et l’éducation fassent corps, profitez de ce que nous enseignent aussi bien la pandémie que les attentats récents contre la laïcité, la liberté d’expression et le vivre ensemble, pour offrir véritablement à nos enfants les moyens de faire société autrement que dans la tragédie, le deuil et la douleur.

par Robin Renucci –  novembre 2020

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Robin Renucci est comédien et metteur en scène. Il est le directeur actuel des Tréteaux de France, centre dramatique national itinérant, en ce moment empêché de montrer Britannicus, Bérénice ou Oblomov. Robin Renucci est membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle et président de l’Association des rencontres internationales artistiques (L’Aria) qui « s’adresse à tous ceux qui se retrouvent dans une démarche d’éducation populaire, consistant à donner à chacun les moyens de son émancipation individuelle et collective. » L’Aria œuvre en collaboration avec le milieu scolaire organisant classes vertes et autres projets. « Pour nous, l’éducation artistique et culturelle favorise l’esprit critique, la capacité de penser. Par le vecteur de la création, l’occasion est donnée à chaque enfant de se réaliser mais aussi d’engager une réflexion sur l’aliénation de notre société de consommation. Par le biais d’un savoir-faire pratique, du travail en profondeur qui met son corps dans des notions d’espace, de mouvement, de sensibilité, l’enfant s’approprie peu à peu le monde. Rien ne remplace l’expérience sensible, c’est elle qui crée. »

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Merci à Robin Renucci qui nous accorde le partage de ce texte.

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Se souvenir de Gianni Rodari (1920-1980)

 

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    Un écrivain, Gianni Rodari ? Non, plus que ça : un éducateur.

    Né en 1920 dans une petite ville du Nord de l’Italie, fils d’un boulanger décédé encore jeune, il se prépare à l’enseignement dans une école spécialisée (semblable à l’Ecole Normale française d’antan). Il enseigne quelques années seulement avant de rejoindre la résistance en 1944. Il s’inscrit au parti communiste italien. Après la guerre, il est journaliste dans divers journaux du parti et, en 1949, on lui propose de créer une rubrique pour les enfants, Il pionere, dans le grand quotidien L’Unità. Il se lance alors dans l’écriture pour les enfants : poèmes, récits, roman publié d’abord en feuilleton puis en format livre.

    Gianni Rodari n’abandonnera jamais son activité de journaliste, à destination des enfants comme des adultes. Il collaborera notamment à la revue Riforma della scuola (Réforme de l’école) et dirigera Il Giornale dei Genitori (Le Journal des parents). Il a traité un grand de nombre de sujets qui préoccupaient l’opinion de l’époque : le rôle de la télévision, les relations entre l’école et les parents, la promotion de la lecture, la place de la femme dans la société, l’éducation à la paix, etc. Il a même rédigé un manuel pour les animateurs de camps de vacances !

    Cette expérience influe grandement sur sa conception du rôle de l’écrivain pour la jeunesse. Selon lui, il doit « se mettre au service des jeunes lecteurs, des familles, de l’école ». Dans un autre article, il déclare qu’écrire de la poésie pour la jeunesse impose de « s’imposer des limites ». Et, précise-t-il, « s’imposer des limites, accepter un certain registre, fait partie du pari. C’est une façon de se mettre, pour ainsi dire, au service des enfants, non de la poésie. »

    D’où l’importance des rencontres avec les enfants qui, déclare Rodari, « pour qui écrit pour la jeunesse devrait être une obligation ». Lui-même n’a jamais cessé d’écrire avec les enfants, d’analyser leurs réactions, de nourrir leur imaginaire, d’interagir en permanence avec eux, se définissant un écrivain-pédagogue, non pas qu’il cherchait à imposer une vision du monde, mais avec l’ambition d’aider les enfants à entrer dans le monde, à s’en emparer, à enrichir sans cesse leur vision d’eux-mêmes et de la réalité qui les entoure. Il ébauche ici une éthique de l’écrivain pour la jeunesse, nous invitant à « ne pas négliger le devoir de s’informer sur les progrès de la psychologie, de la didactique, de la sociologie », ajoutant : « nous devons nous nourrir à toutes ces sources si nous ne voulons pas créer des œuvres qui apparaissent superflues dans le monde où nous vivons « . Peu d’écrivains insistent à ce point sur les devoirs à l’égard du lecteur, et il convient aujourd’hui encore de méditer ce message.

    Dans la Grammaire de l’imagination, on est frappé par la diversité des références littéraires et scientifiques qui nourrissent la réflexion de Gianni Rodari. Il cite Freud, Novalis, Henri Wallon, Paul Valéry, Lautréamont et bien d’autres, dessinant ainsi les courants de pensée qui l’ont influencé : la psychanalyse, la psychologie de la connaissance, les grands courants pédagogiques, le romantisme allemand, le surréalisme. Et tout cela qu’alors qu’il était engagé auprès du parti communiste et ne reniait pas la philosophie des lumières et la croyance en la Raison. Mais, dit-il, « l’imagination fait partie de nous comme la raison : regarder à l’intérieur de l’imagination est un moyen comme un autre de regarder à l’intérieur de nous-mêmes ». Ecrire pour la jeunesse, c’est donc aider l’enfant à développer sa capacité à créer, à se construire en tant qu’individu et en tant qu’être social dans le jeu permanent entre acceptation des règles et transgression. « Ce que je fais, c’est rechercher les « constantes » des mécanismes imaginaires, les lois pas encore connues de l’invention, pour en rendre l’usage accessible à tous », écrit Rodari, ajoutant, toujours à propos de la Grammaire de l’imagination : “on y traite de différents moyens d’inventer des histoires pour les enfants et d’aider les enfants à inventer par eux-mêmes leurs histoires ». Pour lui, l’imaginaire n’est pas repli sur soi, fuite de la réalité, mais au contraire incitation à l’action, à la prise de parole, à l’engagement dans la vie. « Avec les histoires […] nous aidons les enfants à entrer dans la réalité par la fenêtre plutôt que par la porte. C’est plus amusant, et donc plus utile. »

    Pour Rodari, c’est dans et par le langage que se construit l’imaginaire. Parce que, profondément, c’est dans et par les mots que se fait la rencontre entre l’imaginaire de l’individu et l’imaginaire social. L’imaginaire ne procède pas du langage, pas plus que le langage n’est la condition de l’imaginaire. Ils s’interpénètrent, se nourrissent l’un de l’autre. Parce que chaque mot est associé à mille autres, à des images, des sensations, des émotions, l’imaginaire nait de ces associations autant qu’il en crée de nouvelles. Rodari n’a cessé d’explorer et d’utiliser les ressources du langage dans l’invention des histoires. Il nous invite à une approche libératrice par rapport aux enfants, notamment en donnant un autre statut aux erreurs de langage. Un mot mal prononcé, mal orthographié, déformé, révèle, si on sait l’analyser, le fonctionnement de la langue, et permet paradoxalement de construire la norme en lui donnant sens.

     C’est donc une pratique inventive et créatrice de la langue qui permet à l’enfant et d’entrer dans la communication et de la renouveler sans cesse. A la fin de l’introduction de la Grammaire de l’imagination, il fait cette déclaration comme une profession de foi :  « À ceux qui savent à quel point la parole peut avoir une valeur libératrice, tous les usages de la parole pour tout le monde, voilà qui me semble être une bonne devise, avec une belle résonance démocratique. Non pour que tout le monde devienne artiste, mais pour que personne ne reste esclave. » (traduction en 1986 : Roger Salomon).

    Lue dans ce contexte, l’œuvre pour la jeunesse de Gianni Rodari témoigne d’une grande attention au lecteur, de la volonté de l’impliquer dans la lecture, de le rendre actif. Un exemple parmi tant d’autres : les Histoires à jouer, de courts récits inspirés souvent des contes traditionnels et se terminant par trois épilogues différents. A chaque lecteur de choisir celui qu’il préfère. Une lecture attentive mettra à jour des procédés moins apparents pour rendre le lecteur protagoniste de sa lecture, à lui proposer des éléments de réflexion sans lui imposer de réponses, et ainsi à le confronter à ses responsabilités. Parce que si la vision du monde que propose Rodari à ses jeunes lecteurs est profondément optimiste et volontariste, elle ne cache rien des difficultés, des souffrances, de l’âpreté parfois de la réalité.  « Je sais bien, dit-il, que le futur ne sera presque jamais aussi beau qu’un conte de fées. Mais ce n’est pas cela l’important. En attendant, il est nécessaire que l’enfant fasse provision d’optimisme et de confiance pour défier la vie. Et puis, ne négligeons pas la valeur éducative de l’utopie. Si nous n’espérions pas, malgré tout, en un monde meilleur, qu’est-ce qui nous pousserait à aller chez le dentiste ? »

    A quoi répond ce poème d’une simplicité et d’une force troublantes :

             Difficile de faire

             les choses difficiles :

             parler au sourd,

             montrer la rose à l’aveugle.

             Enfants, apprenez

             à faire les choses difficiles :

             donner la main à l’aveugle,

             chanter pour le sourd,

             libérer les esclaves

             qui se croient libres.

    De même que ses livres pour enfants n’ont rien perdu de leur fraîcheur et se lisent avec un plaisir sans cesse renouvelé, de même les leçons de Gianni Rodari sont d’une extraordinaire actualité. Il est dommage que le public français est peu accès à ses textes pour les adultes. Il pourrait nourrir de façon extrêmement positive une réflexion nécessaire sur des thématiques centrales : la promotion de la lecture, le rôle de l’imaginaire dans le développement intellectuel et social de l’enfant, l’éducation à la démocratie, une école ouverte, créative et joyeuse, et bien d’autres sujets encore.

    Son œuvre s’inscrit donc dans un projet profondément politique, et pas seulement esthétique ou moralisateur : il s’agit de transmettre aux enfants des outils pour qu’à la fois ils s’approprient la culture dont ils sont les héritiers et construisent un monde plus juste, plus libre, plus généreux.

par Bernard Friot – octobre 2020

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Les livres de Gianni Rodari ont été ou sont publiés, en traduction, aux éditions La Farandole, Rue du monde, Circonflexe, Kaléidoscope, La Joie de lire, Milan, Seuil jeunesse, Hachette et Livre de poche jeunesse.

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Agrégé de lettres, Bernard Friot enseigna en collège, en lycée et en école normale. Il fut directeur du Bureau du livre de jeunesse à Francfort (Allemagne) pendant quatre ans. Il a, depuis Histoires pressées, publié chez Milan en 1988, écrit près de quatre-vingt ouvrages pour enfants et adolescents (des recueils d’histoires courtes, des recueils de poèmes, des albums, des romans, des « boîtes à outils » pour écrire des poèmes et inventer des histoires). Quelques titres parlant d’eux-mêmes : Histoires à la carte (Milan, 2003 pour le premier tome), Histoires minute (Milan, 2004 pour le premier tome), C’est loin, Valparaiso ? (Thierry Magnier, 2004), Jours de collège (Gallimard Jeunesse, 2006), Agenda du (presque) poète, illustré par Hervé Tullet (La Martinière, 2007), La Fabrique à histoires, illustré par Violaine Leroy (Milan, 2011), C’est encore loin, la vie ? (Le Seuil jeunesse, 2015), Histoires pressées, à toi de jouer (Milan, 2020). Ne pas oublier les chansons, les livrets d’opéra, les albums-CD dont l’un, en clin d’œil au Pierre et le loup de Serge Prokofieff, nous confirme que Le canard est toujours vivant. Les musiciens genevois de la Fanfare du loup ont, en 2008, mis des notes sur quelques histoires pressées et, en 2011, sur des textes pour le spectacle J’ai quelque chose à dire et je vais vous le chanter. Bernard Friot cherche à capter l’imaginaire des enfants d’aujourd’hui et à le transcrire dans ses textes. En les écoutant donner libre cours à leur plaisir de fabuler, il repère quels sont « les ressorts psychologiques qui font sens pour eux » et bâtit ses textes sans perdre de vue trois principes de base : la lisibilité, la densité, la fluidité. Il accorde une grande attention à la mise en page et à la conception graphique de ses ouvrages. Il aime aussi traduire, de l’allemand et de l’italien (plusieurs titres écrits par Gianni Rodari), car, dit-il, la traduction est un travail de création aussi noble et passionnant que l’écriture. Il a été, pour les éditions 2019, 2020 et 2021, sélectionné pour le très suédois prix Astrid Lindgren.

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Grand merci à Bernard Friot d’avoir accepté notre proposition d’hommage.

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