Pour la fin du confinement mental

 

    Le président de la République dans son allocution du mercredi 28 octobre a annoncé un nouveau confinement jusqu’au 1er décembre qui pourrait être prolongé. Ce deuxième confinement ne concerne ni les services publics, ni les écoles – lycées, collèges et écoles primaires – qui restent ouverts. En revanche, les théâtres, qui pourtant avaient déjà adapté leurs horaires dans le cadre du couvre-feu et mis en place des mesures barrières strictes – port du masque, gel, distance entre les spectateurs – pour protéger efficacement le public du virus, doivent fermer leurs portes. Saluons ici les décisions nécessaires du gouvernement d’autoriser l’activité de répétitions, d’enregistrement et de tournage pendant cette nouvelle période de confinement, mais un coup d’arrêt a été donné en interdisant les représentations publiques, mettant en danger un secteur essentiel de la vie intellectuelle de notre pays.

    Dans son allocution, le président Macron a justement évoqué « les valeurs de ce que nous sommes, de ce qu’est la France ». C’est au nom de ces valeurs, dont l’affirmation est plus que jamais urgente, qu’il est indispensable de renforcer notre lien collectif à travers l’art et la culture. Faut-il rappeler une fois encore que le théâtre en France remplit une mission de service public ? Mission dont la continuité ne doit pas s’interrompre mais doit, au contraire, être mise à profit pour apporter le théâtre là où il n’est pas et partager les œuvres avec toutes et tous. Le théâtre est plus que jamais d’intérêt général. C’est le moment, au cœur même de la crise, de penser à l’avenir : celui de nos concitoyens, celui de nos enfants. Plutôt que de se figer dans un repli sur soi délétère et de reproduire les erreurs du premier confinement – dont on sait à quel point elles ont aggravé les inégalités sociales – l’exécutif devrait transformer la contrainte historique que représente cette pandémie et relever le défi d’un « confinement constructif ».

    Chacun sait que l’art est une donnée essentielle à la vie d’un individu. Ce n’est donc pas le moment de fermer la porte, de mettre l’art de côté ou, au mieux, de le reléguer dans la sphère privée où seuls y ont accès ceux qui sont déjà convaincus des bienfaits et des joies qu’il procure. C’est en priorité vers ceux qui en sont le plus souvent privés ou qui n’en ont qu’une idée lointaine qu’il est impératif de s’orienter. Aujourd’hui l’art, et en particulier le théâtre, doit retrouver au plus vite sa place dans les écoles car ses capacités pédagogiques n’y ont jamais été aussi nécessaires. Il y a un combat à mener face à l’indifférence qui laisse tant d’enfants et de jeunes adultes sans défense exposés aux assauts d’idéologies mortifères et à l’invasion des industries culturelles dominantes véhiculées par de nombreux médias : télévision, internet, réseaux sociaux, etc… On sait les ravages que cet enfermement produit sur des esprits fragiles qui finissent, à force d’avoir les yeux rivés sur des écrans, par perdre tout point de repère et se couper du monde réel.

    Face à ces influences toxiques et à la confusion mentale qu’elles induisent dans le champ culturel, il est urgent d’ouvrir les fenêtres et de faire entrer de l’air frais. Il faut en finir avec le confinement mental, avec la domination de la culture du clic, de l’immédiateté, de la pulsion assouvie dans l’instant, qui conduit in fine à l’atrophie du désir et de l’imaginaire. Il serait salutaire d’offrir à notre jeunesse la confrontation sensible avec des œuvres qui les encouragent à développer leur esprit critique et leur discernement, à se forger des outils pour penser et pour se construire : à s’émanciper. Cette nécessité est d’autant plus brûlante qu’une crise sans précédent nous oblige à réfléchir à notre destin collectif, à nous interroger sur le monde que nous voulons bâtir ensemble.

    Il existe dans notre pays des forces vives, des forces disponibles, qui ne demandent qu’à transmettre ces nourritures indispensables, à faire œuvre de pédagogie, à partager leurs pratiques de la langue, à dialoguer. Il est grand temps de faire davantage appel aux artistes, aux auteurs et autrices, aux comédiennes et comédiens, pour qu’ils interviennent plus intensément dans les écoles primaires, les collèges, les lycées et participent ainsi, forts de leur savoir-faire, à la construction collective du champ symbolique, à aiguiser les sensibilités, à susciter le désir d’être élevé. C’est tout le contraire du confinement mental qui est proposé-là. L’art est une nourriture de première nécessité. Alors, monsieur le Président, ne perdez pas de temps, permettez que l’art et l’éducation fassent corps, profitez de ce que nous enseignent aussi bien la pandémie que les attentats récents contre la laïcité, la liberté d’expression et le vivre ensemble, pour offrir véritablement à nos enfants les moyens de faire société autrement que dans la tragédie, le deuil et la douleur.

par Robin Renucci –  novembre 2020

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Robin Renucci est comédien et metteur en scène. Il est le directeur actuel des Tréteaux de France, centre dramatique national itinérant, en ce moment empêché de montrer Britannicus, Bérénice ou Oblomov. Robin Renucci est membre du Haut Conseil de l’éducation artistique et culturelle et président de l’Association des rencontres internationales artistiques (L’Aria) qui « s’adresse à tous ceux qui se retrouvent dans une démarche d’éducation populaire, consistant à donner à chacun les moyens de son émancipation individuelle et collective. » L’Aria œuvre en collaboration avec le milieu scolaire organisant classes vertes et autres projets. « Pour nous, l’éducation artistique et culturelle favorise l’esprit critique, la capacité de penser. Par le vecteur de la création, l’occasion est donnée à chaque enfant de se réaliser mais aussi d’engager une réflexion sur l’aliénation de notre société de consommation. Par le biais d’un savoir-faire pratique, du travail en profondeur qui met son corps dans des notions d’espace, de mouvement, de sensibilité, l’enfant s’approprie peu à peu le monde. Rien ne remplace l’expérience sensible, c’est elle qui crée. »

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Merci à Robin Renucci qui nous accorde le partage de ce texte.

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