Qui sommes nous ?

L’enfant et la poésie

 

Le CRILJ (Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse) a organisé une colloque L’enfant et la poésie au Centre Georges Pompidou (Paris), du 18 au 20 avril 1986, avec la collaboration de la Bibliothèque Publique d’Information et avec l’aide et le concours de divers organismes officiels : Ministère de la Culture et de la Communication, Ministère de l’Education Nationale, Secrétariat d’Etat auprès du Ministère chargé de la Jeunesse et des Sports, Mission d’Action Culturelle

Le colloque a réuni 150 participants venus de toutes les régions de France et de plusieurs pays étrangers, tous engagés de diverses façons dans la rencontre de l’enfant et de la poésie : enseignants, bibliothécaires et poètes.

Premier colloque national sur ce sujet, cette rencontre a permis de clarifier les problèmes, de confronter les points de vue sur le rôle et la situation de la poésie (notamment contemporaine) à l’école ou vis à vis du public, sur l’enfant auditeur, lecteur, créateur, sur le rôle initiateur de l’école et de la bibliothèque, sur les rapports de l’image et du texte poétique, cherchant toujours à mieux cerner ce que pouvait bien être la poésie, tellement éclatée aujourd’hui que sa réalité même est fuyante.

Grâce à de nombreux compte-rendus d’expériences très diverses quant aux lieux, aux modalités, aux organismes responsables, la voix des enfants et des adolescents a pu se faire entendre. Ces témoignages reflètent l’extraordinaire bouillonnement poétique qui se produit actuellement un peu partout à tous les niveaux, à tous les âges.

Les communications de Jacques Charpentreau, Christiane Clerc, Janine Despinette, Raoul Dubois, Georges Jean, Jean-Luc Moreau, Geneviève Patte, Aline Roméas ont montré les richesses de ce grand mouvement, sans en cacher les dangers pouvant venir d’une absence de sélection assez sévère

Deux soirées poétique ont permis d’entendre quelques poètes et chanteurs interpréter leurs œuvres et répondre aux questions parfois provocantes du public. On s’est même parfois demandé ce qu’était la poésie, ce qu’était un poème, qu’est-ce qui permettait de se dire un poète, etc. On s’est remis en question, on s’est re-situé soi-même par rapport à la poésie – et par rapport à l’enfance

Le colloque s’est terminé par une adresse de Jean Tardieu, alors souffrant, et par le remarquable témoignage d’un jeune poète suisse, Jean-Pierre Valloton.

Le président Jean Auba et Michel Melot, directeur de la BPI, en ouvrant le colloque, avaient souligné l’importance d’une telle rencontre, la première sur se sujet. Les débats ont prouvé que les participants avaient beaucoup à dire, comme le montreront les actes du colloque qui seront publiés. Mais d’autres rencontres, nationales ou régionales, seront sans doute nécessaires sur un thème d’autant plus intéressant qu’il suscite des controverses.

( texte paru dans le n° 28 – mai 1986 – du bulletin du CRILJ )

D’abord instituteur et professeur, puis écrivain, anthologiste, directeur de collections chez plusieurs éditeurs, Jacques Charpentreau fit beaucoup pour la diffusion de la poésie. Parmi ses nombreux recueils pour jeunes lecteurs : Poèmes d’aujourd’hui pour les enfants de maintenant et Poèmes pour les jeunes du temps présent. Il écrivit aussi, pour les enfants, de nombreux romans (Comment devenir champion de football en mangeant du fromage, La Famille Crie-toujours). Auteur, pour des lecteurs adultes, de poésie, de théâtre, de pamphlets, il est président de La Maison de Poésie. Très attaché au CRILJ, il en fut longtemps l’un des vice-présidents.

Si le temps m’était conté : le temps qui passe, le souvenir, la mémoire

    L’album comme le roman est un art du temps. Il ne se borne pas à présenter au lecteur une temporalité uniquement liée à la succession des évènements qui forment l’intrigue. Les temps internes à la fiction entre en conflit d’ordre et de durée avec la narration qui leur sert de véhicule. Laissons de côté les temps externes : le temps de l’écrivain, le temps du lecteur, le temps historique pour nous attacher à quelques dimensions des temps internes : le temps de la fiction, le temps de la narration, le temps de la lecture. La présence du temps et son passage sont souvent suggérés par les changements atmosphériques, les modifications apportées par une saison, une action humaine (Dans Au petit bonheur, le peintre achève l’enseigne de page en page). La transformation des lieux est plus ou moins suggérée, de même le vieillissement des personnages (Tour de Manège). La datation s’effectue parfois par rapport à un évènement historique fortement appuyé dans les illustrations (Rose blanche, L’étoile d’Erika, Le temps des cerises).

    L’auteur peut faire le choix d’une indétermination du temps, commencer par il était une fois sans pour autant écrire un conte. Dans Les Trois Clés d’or de Prague, Peter Sis joue avec cette indétermination. L’album se situe initialement par rapport au futur du narrateur. Il commence par une lettre venant de New York, adressée à Madeleine qui n’est encore qu’une « petite fille joufflue » : elle ne sera en mesure de comprendre le sens de la lettre et de l’album qu’au « XXIème siècle ». L’histoire proprement dite commence également comme une lettre : « Madeleine ». Au lieu de choisir un déplacement temporel, le narrateur choisit un déplacement spatial : il se trouve soudain transporté à Prague, en montgolfière. Il reconnaît la ville de son enfance et, au présent de l’indicatif, évoque ses souvenirs. Il n’y a pas, à proprement parler, d’histoire chronologique… tout au plus un prétexte à visiter la ville : il s’agit en effet de retrouver les trois clés – liées à des contes d’enfance – qui ouvriront les trois serrures de sa maison natale. La dernière page propose un raccourci temporel. Dans la maison, on discerne le fantôme des parents, la mère à la cuisine, le père lisant son journal. Le texte dit : « J’entends ma mère (…) le dîner est servi ». Comme si le passé lointain se nouait avec le présent où Madeleine est une petite fille …

    Chaque auteur/illustrateur a sa façon de rendre sensible le déroulement du temps, y compris en exploitant la matérialité du livre : album tout en longueur (Moi, j’attends), lecture dans un sens puis dans l’autre, quatrième de couverture qui invite à poursuivre le récit, à le reprendre en boucle. En ce qui concerne la gestion du temps dans les histoires des albums, il faut s’attacher aux deux aspects que sont l’ordre et le rythme des actions dans le récit pour montrer comment ils sont rendus visuellement. Dans la très grande majorité des albums, le récit se déroule de manière linéaire et les illustrations se suivent donc chronologiquement. Mais il existe bien des albums avec des flash-back. Il est alors intéressant de remarquer comment ces retours en arrière sont exprimés graphiquement. Dans une image, le rythme peut être exprimé grâce à certaines techniques de dessin qui sont aptes à donner un sentiment de plus ou moins grande vitesse : le style plus ou moins nerveux du trait, la plus ou moins grande netteté du motif, l’utilisation ou non de la perspective ou encore l’usage de techniques couramment utilisées dans les bandes dessinées (traînées de vitesse, effets stroboscopiques). S’agissant d’une succession d’images, il existe différentes techniques bien connues de la bande dessinée qui permettent de rendre la vitesse des actions qui s’enchaînent. Ainsi l’album est une initiation au temps, à travers texte et image.

    Le projet esthétique n’impose aucune limitation aux figures du temps qu’il cherche à objectiver au moyen de signes graphiques ou chromatiques et sous une forme accessible au regard. En revanche le calendrier, forme prise par quelques albums (Bientôt Noël), ou présent en partie dans les illustrations institue une image publique et utile du temps. Il semble totalement voué aux temps cadres puisqu’il s’applique à la mesure collective de la durée et à la prévision des intempéries. Ces deux modalités de la représentation se chargent, par contre, de donner une vue concrète et même figurative d’un objet que l’on présente généralement comme une notion abstraite ou un concept flou.

    Mais les albums présentent aussi l’idée de temps en rendant plus facile à l’enfant la compréhension de ce concept abstrait ; l’histoire favorisant l’étayage de la réflexion. Les livres de jeunesse proposent une mise en forme d’un monde et la fiction, en donnant une image du monde, donne un modèle pour penser ce dernier. Michel Piquemal dans la préface à son livre Les philo-fables parle du texte comme « un support narratif » pour « dialoguer avec l’enfant » car écrit-il : « il est difficile d’appréhender par exemple les concepts de liberté et de justice de manière abstraite. Mais il est plus facile de le faire à partir de l’apologue de Diogène et les lentilles ou de la célèbre fable de La Fontaine, Le loup et le chien, ou bien encore à travers le personnage mythique d’Antigone chez Sophocle. Ces récits nous posent de vraies questions. Pour le concept de temps il nous vient rapidement en mémoire Le lièvre et la tortue, mais aussi des reprises de ce thème dans des albums. Temps, argent, conception du bonheur sont ainsi associés dans Le voyage d’Henry.

    Bien des albums illustrent l’idée de durée, de cycle, de rythme,  parce qu’ils fonctionnent avec une structure comme la randonnée par exemple, des rythmes comme dans les comptines. D’autres, destinés à des enfants plus âgés ouvrent sur une vision du temps qui passe inexorable, sur la force du souvenir.

    Misto tempo est sans doute l’album incontournable par rapport au temps, parce qu’il en présente toutes les facettes. Il illustre parfaitement cette difficulté à penser le temps, le désir de l’Homme qui a toujours cherché à l’arrêter (suspendre son vol ; prendre des vacances). On pourra noter que Misto Tempo ne vieillit pas : il ne peut s’arrêter, il ne peut donc pas mourir ( « longue vie Misto Tempo ; il ne connaît pas le poids des ans » ). Les hommes essaient depuis des siècles de mesurer le temps. Misto tempo est là depuis toujours, aux côtés de la Lune et du Soleil, marchant comme un funambule sur les fuseaux horaires, ne se laissant ni suspendre, ni arrêter, ni ralentir, ni étirer… Il loge dans le balancier d’une grosse horloge, il est l’ami des pendules, des montres, des coqs et même du coucou qui sort de sa boîte. L’album file les expressions relatives au temps : celles comprenant le mot temps (remonter à la nuit des temps, être dans l’air du temps, faire quelque chose en deux temps trois mouvements, venir en un rien de temps…) et celles dans lesquelles le mot temps est absent (aller bon an mal an ; les lendemains qui chantent ; partir aux aurores ; vivre à la petite semaine ; depuis des lustres ; ce n’est pas demain la veille…). Le récit débute à une heure et se termine à vingt-quatre heures et ainsi la boucle est bouclée. C’est le renouvellement de cette mesure qui permet au temps de poursuivre son chemin. Le temps a traversé tous les âges (« il a connu tous les rois ») et il concerne toute la planète (l’homme noir, le Tibétain).

    Exister dans le temps, c’est être soumis à cette loi du devenir qui est par nature paradoxale : une succession, un changement. Le temps est la manière même dont nous percevons le changement. Le temps est lié à notre condition humaine, à notre finitude.

    Avec l’expérience de l’attente, le temps est tantôt ce qui semble  se dilater, se contracter. Nous percevons la continuité et l’épaisseur quasi-matérielle d’une durée. C’est ce que Serge Bloch nous fait ressentir lorsqu’il figure dans Moi, j’attends,  l’étirement de l’attente et du temps qui passe. Le lecteur suit le bout de fil rouge, le fil de la vie, dans des pages ou l’attente est à la fois pleine de tristesse et d’espoir. L’attente, la difficulté    de se représenter le temps qui passe, l’oubli, le chagrin se trouvent mêlés dans Je t’aime tous les jours. Le temps qui passe est noté par les saisons. Ainsi dans Lundi  de Anne Herbauts un pingouin a deux amis, Théière et Deux-Mains qui viennent le distraire de son attente du jour suivant. Ensemble, ils jouent du piano, passent du bon temps, le printemps, l’été, l’automne. Mais l’hiver arrive avec son souffle glacé et un mauvais présage. Sous le relief de la neige, le pingouin s’efface peu à peu jusqu’à disparaître. Mort, son souvenir s’imprimera en creux dans les pages pour rester tout près des lieux et des êtres aimés.

    Dans Feng, fils du vent de Thierry Dedieu, le jeune asiatique, cherche auprès de son maître, le secret du cerf-volant le plus stable, le plus maniable, le plus véloce. Il acquiert peu à peu un savoir-faire qui lui vaut des honneurs. Mais il sent que son art n’égale pas encore celui de son maître. Il doit encore chercher, redouble d’efforts mais rien n’y fait. Ses cerfs-volants caressent les nuages mais ne volent jamais au-dessus des cieux jusqu’au matin où l’âme du maître défunt quitte le monastère emportant avec elle une des extrémités de la corde du dévidoir. Le récit illustre le fait qu’il faut une vie pour apprendre, pour faire et parfaire. L’expérience humaine s’inscrit dans la durée. Les gens pressés ne peuvent trouver le bonheur

    Les évènements de la vie se succèdent sans toujours pouvoir être décryptés. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Ce qui est proche et ce qui est loin. Ce qui est vraisemblable, ce qui est rêvé. Les éléments et les souvenirs s’entremêlent. Dans Le chemin bleu, Anne Brouillard propose un travail de la mémoire, de l’envie au désespoir, du rêve aux aspirations déçues. Par une succession de va-et-vient, elle invite son lecteur à suivre ce cheminement, ce parcours de vie. Le temps est la pulsation même du vivant. L’impossibilité de revenir en arrière rend possible le projet. C’est l’avenir qui permet de donner un sens au passé. Le temps est ce qui mesure l’homme et ce que l’homme forge à sa mesure. Le temps est disparition du passé et inexistence de l’avenir. Mais l’existence humaine fait de cette loi, la trame d’une vie. C’est cette conception que nous retrouvons dans Longtemps de Claude Clément et Jame’s Prunier.

    La mémoire n’est pas seulement conservation du passé, elle est aussi ce qui fait se rejoindre en nous une multiplicité de sensations et c’est bien ce que l’on retrouve dans bien des ouvrages de Béatrice Poncelet comme Chaise et Café. Le temps altère les choses, la vision du texte s’altère. Dans Les Cubes, on peut savourer un très beau travail sur le souvenir et la mémoire. L’enfance qui n’est plus, se trouve dans le temps passé, qui n’est plus; mais quand l’auteur l’évoque et la raconte, il regarde son image dans le temps présent car elle est encore dans sa mémoire. Le livre est aussi un bel hommage à la mère, à toutes les mères. Car ici les cubes, ces  « dessins de côté » sont comme d’instants d’une seule et même histoire : celle où s’installe la vieillesse, celle où on se remémore les instants joyeux de la vie, celle où l’on fait véritablement, de manière intime, acte de mémoire. L’individu appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Avec Chez elle ou chez elle, la relation entre souvenir et mémoire est posée tout à la fin. La petite fille se demande ce qu’elle retiendra volontairement, et ce qui lui reviendra malgré elle de cette enfance qui la faisait aller chez lui, chez Elle, chez elle, chez eux.

    Le thème de la vie qui constitue la meilleure objectivation du temps vécu (time of live) est connoté par les images de la vieillesse et de la mort. Bien des albums abordent cette question du cycle de vie. Trois éléments importants sont souvent présents pour permettre aux personnages de dépasser leur peine : la participation du défunt au cycle de la vie ; la transmission. Ainsi, dans Reviens Grand-mère, Bessie grandit, a une fille qui a les yeux verts et les taches de rousseur de son arrière-grand-mère et apprivoise les oiseaux comme elle.  « C’est comme si Grand-mère n’était jamais partie ». De même,  dans Ce changement-là, le père taille les haies du jardin que le grand-père entretenait. Et les enfants dans Au revoir Grand-Père vont nourrir ses poules. Le message qu’une vieille femme sur le point de mourir à un jeune Indien dans Croissant de lune chante le récit de sa vie après lui avoir enseigné son savoir-faire. Lorsqu’il comprend qu’il ne la reverra pas, il se sent triste mais calme et plein d’espoir. Dans Où est parti Baltus ?, la transmission est symbolisée par la petite valise de prestidigitation que Baltus offre au narrateur et qui lui permettra d’apprendre des tours de magie à son frère. La fillette de Grand-Père est mort écrit à son grand-père pour lui dire au revoir. Elle évoque son souvenir, sachant qu’il restera toute sa vie dans son cœur. Enfin, elle lui écrit pour lui raconter son rêve, où elle s’est envolée comme un oiseau jusqu’à son nid. Dans Au revoir Grand-Père,  les moments de tendresse et de complicité entre les enfants et leur grand-père reviennent en mémoire aux enfants, qui croient entendre sa voix dans le murmure du vent, tandis qu’un air d’accordéon leur rappelle qu’il est toujours vivant dans leur mémoire. L’enterrement est aussi une occasion de venir dire au revoir pour les enfants et de se souvenir des bons moments passés ensemble. Ils ont cueilli des fleurs du jardin, puis vont nourrir les poules, façon de prolonger les gestes et la mémoire du grand-père tout en rendant hommage au travail qu’il accomplissait. Quand le vent murmure, ils croient entendre la voix de leur grand-père, et communiquent avec lui par delà la mort. Lorsqu’ils entendent un air d’accordéon ils comprennent qu’il sera toujours vivant dans leur mémoire.

    Qu’il s’agisse de garder le souvenir ou de le retrouver, la mémoire est opposé à l’oubli, synonyme de perte et de destruction, mais aussi parfois de libération. A l’ambivalence de l’oubli, correspond celle de la mémoire. Survalorisée, elle est le signe de puissance intellectuelle. Mais elle est aussi poids, lourd à porter pour ceux qui s’enfermeraient dans leurs souvenirs et ne peuvent plus envisager l’avenir Le propre des durées individuelles est qu’elles possèdent un contenu différent pour chaque conscience.

   tempo

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des BCD, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centre de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.

Jean-Louis Besson

    Auteurs et illustrateurs, nous avons perdu l’un des nôtres, Jean-Louis Besson, mon cadet de trois ans.

     Jean-Louis Besson, un grand de l’illustration… Tu avais commencé ta carrière dans la publicité, chez Publicis, ce que, comme disait Savignac, portait à aller à l’essentiel dans l’image. Tu étais, Jean-Louis, le meilleur des amis, à l’écoute des copains. Portant très haut ton idéal, « faire au mieux ce que tu avais à faire », fouillant comme personne les documentations pour réaliser projets et commandes. Tu étais une référence pour tes collègues qui, souvent, faisait appel à tes connaissances. Respectueux de la vérité dans tes dessins tout en cultivant l’humour.

     Comme nous tous, toujours coincé dans les délais de livraison, travaillant sans arrêt pour ce métier aimé mais pas très rémunérateur, toi, Jean-Louis, qui savait que l’ouvre-boite avait été inventé quarante années avant la boite – cette anecdote de ses recherches racontée par ton copain américain a fait rire l’assistance si nombreuse qui accompagnait « ta boite » au cimetière.

     Merci Jean-Louis, pour l’exemple que tu nous laisses dans tes nombreux livres, ta vie, si chaleureuse, ta gaieté, ta tendresse.

     Soyons digne de toi.

 ( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

Né à Paris en juillet 1932, Jean-Louis Besson suit, pendant trois ans, des cours à l’École des métiers d’Arts de Paris puis travaille dans plusieurs agences agences de publicité. Il réalise des dessins animés. A partir des années 1970, il se consacre à sa passion : écrire et illustrer ses propres histoires. Il a longtemps travaillé chez Bayard-Presse, pour les magazines Astrapi, Okapi et J’aime Lire (Les jumeaux du Roi, Nicole Schneegans, 1982). Illustrateur de nombreux ouvrages pour la collection « Découverte Cadet », chez Gallimard Jeunesse, il y publie également des bandes dessinées. Parmi ses titres pour les enfants : Le nez (Nicolas Gogol, Calligram, 1993), Hadji (Jacqueline Duhême, Gallimard, 1996), Paris Rutabaga, souvenirs d’enfance, 1939-1945 (Bayard Jeunesse, 1995), Donné, c’est donné (Patricia Holl, Nathan, 2002), la série des « Calamity » (Nathan, à partir de 1996). Jean-Louis Besson est décédé le 1er mai 2003.

  jean-louis besson

Réaliser un livre comme Le livre des costumes (Gallimard Jeunesse, 1996) suppose d’abord de réunir une bonne documentation, des reproductions de tableaux pour l’essentiel, les costumes conservés dans les musées étant plutôt rares et peu représentatifs de toutes les classes de la société. Il m’a semblé amusant d’imiter les peintres comme Pisan, Rogier Van der Weyden ou Carpaccio, en veillant à ne pas faire les nez trop gros, surtout aux dames. J’utilise un rotring 015, du papier Schoeller Parole et des encres Martin’s ou Luma. Je fais mes dessins un cinquième plus grands. (Jean-Louis Besson)

Quelle identité pour les sections régionales ?

 .

par André Delobel

     Il est très vite apparu aux personnes qui avaient souhaité le CRILJ et l’avait constitué qu’une activité au strict niveau national ne pouvait répondre à l’ensemble des besoins et qu’il y avait lieu de créer les conditions d’une activité CRILJ à un échelon décentralisé. Le débat qui eut lieu à ce propos lors de l’assemblée générale d’octobre 1975 aboutit à un projet de « structures pour des sections régionales du CRILJ » adopté à l’unanimité des quatre-vingts adhérents présents.

     Les objectifs assignés aux sections régionales étaient :

 – d’une part, de rassembler (dans la région) les représentants de tous les secteurs concernés par le livre pour la jeunesse.

 – d’autre part, de promouvoir et coordonner (dans la région) l’action en faveur de la littérature pour la jeunesse.

     En fait, à la lecture intégrale du texte, on sent qu’il y avait une sorte de balancement entre deux idées :

 – une idée qui consistait à attribuer aux sections régionales une pleine compétence et une pleine responsabilité sur son territoire ; c’est ainsi qu’il était précisé au cours du débat que les sections régionales pouvaient recevoir des subventions pour ses activités propres.

 – une autre idée qui consistait à considérer les sections régionales comme des sous-sections du CRILJ/national ; c’est ainsi qu’il était suggéré aux sections régionales d’organiser des commissions de travail correspondant aux quatre commissions permanentes du CRILJ/national.

     Un an après, le CRILJ avait 400 adhérents et trois sections régionales. Il a aujourd’hui 1300 adhérents et vingt-quatre sections régionales.

     Malgré un texte fondateur unique et jamais revu, aucune section régionale ne ressemble à aucune autre. Il pourrait être intéressant de comparer un peu leur réalité : leur recrutement, leurs fonctionnement, leurs activités et, aussi, l’idée que chaque section se fait du rôle qui est le sien ou qui devrait être le sien.

     A la lumière de deux événements récents, je voudrais formuler un certain nombre d’observations et de questions :

 – premier événement : la semaine « Le livre et les jeunes ». En de nombreux endroits divers « collectifs » ou « comités » ont joué un rôle de « coordinateur d’actions » à l’intérieur d’un département ou d’une région. Quelle devait être la place d’une section régionale dans une telle organisation dès lors que le CRILJ se veut lui-même structure de rassemblement ?

 – deuxième événement ; les « Rencontres nationales du Mans ». Une des commissions de travail de ces rencontres avait à réfléchir sur la structure à mettre en place régionalement pour regrouper l’ensemble des partenaires possibles pour la promotion du livre et de la lecture. J’ai été un tantinet choqué (et je ne suis pas le seul) par une certaine façon de reprendre la réflexion à son point de départ, comme s’il ne s’était rien passé, depuis dix ans, au CRILJ notamment.

     Au moment où s’installe peu à peu la décentralisation administrative, où – c’est certain –  de plus en plus de questions se traiteront au niveau de la région, il est peut-être utile de réfléchir à ce que doit être aujourd’hui l’identité d’une section régionale du CRILJ.

     Je n’avance pas de réponses, mais deux préoccupations :

 – Les sections régionales sont, comme le CRILJ/national, structures de rassemblement. Le sont-elles, de fait, partout ? Et, si non, y a-t-il quelque chose à faire pour améliorer la situation ?

 – Quelles conditions (qu’elles ne réuniraient pas encore) devraient remplir les sections régionales pour être reconnues comme pleinement interlocutrices des instances de la décentralisation ?

 ( texte paru dans le n° 27 – janvier 1986 – du bulletin du CRILJ )

faim de lire

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Il était une fois …

 

 

 

 

 

 

   En 1968, la municipalité de Saint-Pierre-des-Corps et Odette Vieilleribière, enseignante consciente que les livres de lecture scolaires ne suffisent pas à développer l’envie et le goût de lire chez les jeunes enfants, entreprennent un travail sur la littérature de jeunesse et invitent des auteurs à participer à des rencontres avec les élèves dans les classes. L’Inspection Académique refuse cette intrusion dans le système scolaire. La rencontre se fera, mais hors-temps scolaire, dans un local municipal. Ce sera le premier contact entre enfants et auteurs dans le département d’Indre-et-Loire.

   Michel Mesmin, détaché à la Fédération des Œuvres Laïques, organise en 1971 la première exposition de livres de littérature de jeunesse dans les locaux de la FOL et une autre à la Bibliothèque Municipale de Tours. En 1972, c’est le bibliobus qui fait transiter la sélection à Rauxigny, Preuilly sur Claise, Ligueil, Sainte-Maure de Touraine, le Grand Pressigny, Descartes, Manthelan, l’Ecole Normale de Filles, Château La Valière, une école de Tours, la MJC de Joué-les-Tours et Château-Renault. En plus de l’exposition-vente et des rencontres avec les auteurs, se tenaient sur les lieux d’accueil des débats publics sur des thèmes en rapport avec la littérature de jeunesse.

     A cette époque, les comités de lecture n’existaient pas encore et la sélection utilisée  était la sélection Lire établie annuellement sous l’égide du Cercle de la Librairie. Les comités se mettront en place en 1974-75. Des enseignants, bibliothécaires, documentalistes, parents d’élèves se réunissent à la Bibliothèque Municipale de Tours avec la soutien de Monsieur Fillet, directeur de la Bibliothèque Municipale et de la Bibliothèque Départementale, et de Mademoiselle Jacquet, responsable du secteur jeunesse.

     Les partenaires d’alors sont : la Fédération de l’Education Nationale, le Syndicat National des Instituteurs, la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves, les Francs et Franches Camarades, la Bibliothèque Municipale de Tours, les librairies Terre des Hommes, Gambier, Caillet, Universitaire, de Tours, et Breton, à Loches. L’Inspection Académique soutient finalement l’opération.

    Odette Vielleribière déclarait, à propos de la toute première rencontre avec un auteur : « C’est dans une cantine scolaire, à l’heure du déjeuner. Les regards de Bernard Clavel et des enfants ont été une confirmation pour les organisateurs de la valeur de la manifestation. »

( introduction au Catalogue 2010 réalisé par la Ligue de l’Enseignement d’Indre-et-Loire et publié à l’occasion du 40ième anniversaire de la Quinzaine du Livre Jeunesse en octobre 2010 )

 

quinzaine

La Quinzaine du Livre Jeunesse n’a plus rien d’une « quinzaine » puisque ses rendez-vous sont désormais fixés sur toute l’année. Ses objectifs sont les suivants : développer la goût de la lecture chez l’enfant dès le plus jeune âge pour qu’il deviennent un lecteur adulte ; faire connaître la littérature de qualité sans oublier les ouvrages parus dans les petites maisons d’édition ; organiser des rencontres entre les auteurs, les illustrateurs, les éditeurs et les jeunes lecteurs ; faire connaître les lieux de lecture publique et en favoriser le développement. Les comités de lecture qui établissent la sélection annuelle rassemblent une soixantaine de lecteurs.

 

 

 

 

 

Nadèjda Garrel

 par Raymond Rener

     Quand je t’ai connue, en 1978, tu portais le prénom de Nadine et, par la suite, je le répétais. Tu me reprenais en me disant avec tes yeux malicieux, mais d’un ton impératif : « Je m’appelle Nadèjda. »

     Nadèjda, amie proche et lontaine …

 Lointaine

     En 1976, sortait ton best seller chez Gallimard Jeunesse, en Folio Junior, Au pays du grand condor, qui, chaque année, est encore vendu à 10 000 exemplaires, avec la couverture de Jean-Michel Nicollet et les illustrations intérieures de Bernard Héron.     Puis vinrent Les princes de l’exil, toujours en Folio Junior, illustré par Georges Lemoine.

     Tu as beaucoup écrit et bien écrit.

     Un de mes plus beaux souvenirs avec toi, cette rencontre avec les jeunes de la bibliothèque de Dijon à propos du Pays du grand condor. Eblouissant ! Je me souviens de la décoration et de la mise en scène théâtrale d’une séquence de ton livre joué par les jeunes acteurs.

     Et puis, avec tes livres, nous avons parcouru les salons, les manifestations, les débats, les signatures … Et ton chapeau cloche suivait.

     Nous n’avons jamais cessé de nous rencontrer et puis j’ai quitté Paris.

 Proche

     Thierry, ton mari, me dit m’avoir beaucoup cherché. Et pourtant, nous étions si proches, toi à Varengeville et moi à Rouen, dans le même département. Il n’a pu me prevenir qu’une semaine après l’acte final.

     Je me souviens de ton sourire, de ton visage si beau et si expressif, de tes exigences aussi, et toujours, je cédais. Tu disais de moi que j’étais le (petit) Prince de Gallimard Jeunesse. Pierre Marchand en était-il le roi ?

     Nadèdja, merci pour tout le bonheur que tu nous a apporté, par tes livres – et par toi.

( article paru dans le n°78 – octobre 2003 – du bulletin du CRILJ )

nadèjda garrel

Alors qu’elle est une amoureuse de la nature, Nadèjda Garrel est née (en 1939), a vécu et a écrit à Paris. Elle a fait de la danse, du théâtre et a publié très tôt deux romans. C’est avec Au pays du grand condor (1977) et Les Princes de l’exil (1984) qu’elle a eu accès à sa propre écriture en abolissant toute frontière entre le réel et l’imaginaire. Elle a découvert Varengeville à l’adolescence et avait juré de le faire découvrir à l’homme qu’elle aimerait. Cette liberté se retrouve dans tous ses romans, contes ou nouvelles qui s’adressent indifféremment aux jeunes et aux adultes, car la perfection dans son travail était sa seule préoccupation. Elle s’est éteinte dans la paix, dans sa petite maison du chemin de Pascaline à Varengeville et elle est enterré au cimetière marin. « Il y a des lectures qui sont comme des délivrances, parce qu’elles touchent au plus profond de nous-mêmes à ce qui est caché en nous et qui nous échappait. Elles font naître de nous une part restée invisible et qui nous est nécessaire pour élargir ce que nous sommes, vers d’autres bonheurs. Il y a des livres qui nous font changer de classe d’âge et les livres de Nadèjda Garrel furent pour moi de ceux-là. » (Yves Pinguilly)

A la guerre comme à la guerre

par Raoul Dubois

    Tomi Ungerer publie aux éditions école des Loisirs un ouvrage déjà paru à Strasbourg en 1991 et qu’il sous-titre Dessins et souvenirs d’enfance.

    Tout ceux qui s’intéressent à la littérature de jeunesse et ceux qui la font, c’est-à-dire tous les membres du CRILJ, se doivent de lire et de faire lire ce texte.

    D’abord parce qu’il met en évidence beaucoup des aspects de l’œuvre de Tomi Ungerer dont il serait fastidieux de faire la bibliographie. Tout s’éclaire et les critiques auront l’occasion dans les années à venir de montrer toutes les correspondances entre ces souvenirs et l’œuvre de l’auteur.

    « … Tomi a huit ans quand la Seconde Guerre mondiale éclate. Du jour au lendemain, il doit changer de nom, parler allemand, écrire en gothique, faire un dessin raciste pour son premier devoir nazi. Il obéit, il s’adapte. Il devient caméléon. Français sous son toit, Allemand à l’école, Alsacien avec les copains. Heureux quoiqu’il arrive … »

     On nous permettra d’aller plus loin dans ce texte et d’y voir un extraordinaire résumé des drames de notre temps.

    En premier lieu parce qu’il s’agit d’un enfant placé au centre de ces tourments qui, à travers les âges, mettent en cause, plus que les vies même, le sens de la vie. Tomi est dans la guerre et la guerre est dans Tomi. Peut-être d’ailleurs ne l’a-t-elle jamais quitté. Le fait qu’il appartienne à un milieu cultivé lui a sans doute permis, son talent aidant, de se trouver une issue. Seul l’humour de l’auteur rend certains passages supportables sans que jamais il ne nous entraîne dans la dérision et l’horreur.

    On ne peut s’empêcher de penser aux enfants, victimes d’hier et à ceux d’aujourd’hui. Pour notre génération la liste est longue : les enfants alsaciens, les enfants juifs, les enfants de la Pologne et de la Russie occupée, les enfants Tziganes et ceux Hiroshima qui succédaient aux enfants espagnols que certains oublièrent vite.

    En ce début de siècle, les enfants du Rwanda, du Congo et de tant d’autres pays d’Afrique, nous pensons à ceux de Bosnie, de Serbie, du Kosovo, de Palestine et d’Israël, d’Iran ou d’Afghanistan, d’Irak et d’Algérie (ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui), les Tchétchènes ou les Indonésiens … on n’en finirait pas d’aligner les lieux où se perpétuent des crimes dont les victimes n’auront pas toutes la « chance » – excusez-moi, Tomi – de s’en sortir.

    Mais c’est pour cela qu’il faut lire et faire lire ce livre au moment où peut-être se prépare une guerre qui peut, d’une erreur tactique à l’autre, devenir la troisième guerre mondiale.

    Parce que tous les enfants du monde ont droit à la vie et que rien jamais ne justifie celui qui déclenche une guerre.

    N’aurait-il écrit que ce livre, Ungerer aurait sa place dans la littérature enfantine. Il en a écrit et dessiné beaucoup d’autres, une chance que la guerre nous l’ait épargné.

( texte paru dans le n° 75 – novembre 2002 – du bulletin du CRILJ )

 

Né en 1931 à Strasbourg, Tomi Ungerer est fils d’un fabricant d’horloges historien et astronome. Il fréquente en 1953 les Arts Décoratifs de Strasbourg, puis, en 1956, part à New York où il se fait connaître comme dessinateur publicitaire. Son premier livre pour enfants, The Mellops go flying, paraît chez Harper and Row en 1957 et obtient le Spring Book Festival Honor Book. Dans les années 1960 il collabore avec l’éditeur suisse Diogenes Verlag qui édite la majorité de ses livres. Après un passage par le Canada, il s’installe en 1976 en Irlande. Il est l’auteur de près de cent cinquante livres dont plus de quarante disponibles en français. Le premier paru en France, Les trois brigands (Ecole des Loisirs 1968) est un album connu de tous. De retour à Strasbourg, Tomi Ungerer a renoué avec sa terre d’origine, multipliant présences et initiatives. Le Musée Tomi Ungerer-Centre International de l’Illustration, à la Villa Greiner à Strasbourg, regroupe un fonds important de dessins, livres, revues, jouets et documents d’archives donné à sa ville natale par l’illustrateur.

  ungeerer

« Dans la maison de Tomi Ungerer, il y a des meubles qu’il a fabriqués, des jambons qu’il a salés, des mécaniques qu’il a montées. Il n’y a pas de télévision. Dans la penderie de Tomi Ungerer, il y a une veste à quatorze poches pleines de manuels de botanique, de loupes, de couteaux, de dictionnaires de minéraux. Dans les œuvres complètes de Tomi Ungerer, il y a des affiches, des publicités, des sculptures, des machines et des jouets, des livres érotiques, des livres de satire sociale, des livres de reportage et des livres pour enfants. Dans les livres pour enfants de Tomi Ungerer, il y a des animaux : serpent, pieuvre, chauve-souris et vautour, maudits et réhabilités, des ogres convertis, des brigands repentis et des histoires sans queue ni tête. Dans les récompenses obtenues par Tomi Ungerer, il y a le Prix du Plus Mauvais Livre pour enfants décerné dans l’Amérique du « politiquement correct ». Dans la bouche de Tomi Ungerer, il y a des imprécations, des moqueries, des colères, des provocations, des engagements, des jeux de mots, des révoltes, des enthousiasmes et des passions. » (Sophie Cherer)

Epatants découpages

 par André Delobel

   – C’est toi qui es chargé de l’éditorial ?

    – Ben oui.

    – Ça va pas être triste.

    – Pardon ?

    – Tu parles toujours de toi quand tu fais un éditorial.

    – Faut pas ?

    – Parle de Béatrice Tanaka.

    – C’était à la fin des années soixante. Jeune instituteur en Tunisie, j’avais abonné ma classe à Jeunes Années et…

    – Béatrice, s’il te plait.

   – Dans le numéro 2 d’octobre 1969, il y a avait un conte vietnamien, Un nom pour un chaton, raconté par Béatrice Tanaka et illustré par elle de curieux découpages multicolores. Il était accompagné d’un judicieux « jouet animé », en papier bien sûr. Les découpages m’épataient et épataient aussi mes élèves, pas contrariants pour deux sous.

   – Et après ?

   – Après, on s’est amusé avec les enfants à repérer, dans les numéros suivants, s’il y avait d’autres découpages de Béatrice Tanaka. Cela a duré plusieurs années. A cause de moi, bien sûr. On a aussi essayé, pluseurs fois, de faire pareil. Résultats catastrophiques.

   – Après ?

   – J’ai acheté La Fille du Grand Serpent, Maya, La Montagne aux trois questions et je me suis aperçu que Béatrice Tanaka ne faisait pas que manier les ciseaux. Puis, il y a eu 1982.

   – Tu veux dire 1981 ?

   – Pas de politique. Je parle bien de 82, l’année où Le Tonneau enchanté est publié à La Farandole. Un pur régal.

   – Découpages ?

   – Découpages. Et puis un noir et rouge de toute beauté. Ensuite, je me suis procuré régulièrement les albums paraissant chez Vif Argent et je me suis, peu à peu, débarrassé de ma fixation.

   – Tu as résilié ton abonnement à Jeunes Années ?

   – N’importe quoi ! Et dis-toi qu’il y avait aussi Eclats de Lire et Gullivore

   – C’est beau la fidélité.

   – Je n’ai connu que bien plus tard les illustrations des contes africains publiés chez Présence Africaine. Un noir et blanc modeste, immédiatement parlant.

   – Tu n’a pas cherché à en savoir plus sur Béatrice ?

   – De retour en France, grâce au CRILJ, la rencontre était certainement envisageable. Elle ne s’est pas faite. En 1990, travaillant avec mes élèves Le Tonneau enchanté

   – Encore ce tonneau !

   – Travaillant cet album pour en parler dans La République du Centre, j’ai cherché à en savoir un peu plus sur Béatrice Tanaka et nous lui avons écrit.

   – Et, bien sûr, elle a répondu …

   – J’ai aussi rédigé, pour le journal, une courte biographie. Ça t’intéresse ? Tiens, je lis : « Béatrice Tanaka est né en 1932 à Cernaiti, ville moldave qui fut austro-hongroise avant d’être roumaine puis russe. Petite fille, elle voyage, bien malgré elle, vers la Turquie, la Palestine et l’Italie. Elle émigre au Brésil, enseigne le français et l’anglais, aspire à devenir comédienne, s’installe en France, fait des études de scénographie, crée des costumes de théâtre, écrit des pièces pour enfants, devient l’élève de l’affichiste Paul Colin, collabore à plusieurs revues pour enfants, publie chez divers éditeurs (La Farandole, Vif Argent, La Noria, l’Ecole des Loisirs, Bayard Presse, Magnard) des livres dont elle est le plus souvent l’auteur-illustrateur, parfois seulement l’illustrateur, quelquefois le traducteur. »

   – Dis donc, t’as vu …

    – T’as vu quoi ?

   – T’as réussi à ne pas parler de toi pendant plus de cent mots.

   – Pas fait exprès.

    – Dis …

   – Quoi ?

   – Tu me prêtes Le Tonneau enchanté ?

( Griffon  n° 226 – mars-avril 2011 – Béatrice Tanaka )

   béatrice tanaka

Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national.

Anne Pierjan

par Jacqueline et Raoul Dubois

     Anne Pierjean avait suivi dans l’édition pour la jeunesse pendant de longues années un parcours original et un peu atypique comme le soulignait Marc Soriano dans son Guide de Littérature pour la Jeunesse. Il plaisait à souligner dans ses ouvrages une authenticité, un réalisme poétique du quotidien et nous ne pouvons que le suivre dans cette analyse.

     Parler d’un de ses livres, c’était le point de départ d’une correspondance soutenue où elle dévoilait volontiers ses motivations et ses doutes, ses problèmes personnels, dessinant ainsi plus qu’une silhouette d’écrivain, une personnalité riche et parfois tourmentée. Pour peu que vous entriez dans le jeu, la correspondance devenait régulière, volontiers bavarde, toujours chargé de sens et d’une véritable bonté.

     Ecrire était pour elle une passion à laquelle elle se livra jusqu’à la fin de sa vie parce qu’elle ne la séparait pas de sa vie.

     Mais ce qui l’a marquée avec force ce sont les rencontres des lecteurs. Elle acceptait parfois, au risque de sa santé, de rencontrer des classes. Après ces passages, toujours trop brefs, les échanges de courrier continuaient, collectifs ou individuels. Elle a ainsi lié de véritable amitiés dont ses lettres renvoyaient des échos. Elle a aussi suscité de nombreux travaux, fait lire et fait écrire.

     Quand on assostait à ces petits évènements, on ne pouvait que s’émerveiller du contact établi. Une impression étrange, celle d’une petite fille, d’une jeune femme retrouvant ses jeunes interlocuteurs, la simplicité d’un dialogue amical.

     Sa dernière lettre, peu de temps avant sa mort, était débordante de vie simple, de souci pour les autres, de joie « d’avoir été peut-être utile » comme disait Aragon.

     Anne Pierjean était de ses écrivains de jeunesse dont la rencontre a justifié la confiance que nous avons mise en la littérature de jeunesse.

( article  paru dans le n° 76 – mars 2003 – du bulletin du CRILJ )

 anne pierjean

Née dans la Drôme en 1921, très attachée à sa région, Mademoiselle Marie-Louise Robert s’installe à Crest où, devenue Madame Grangeon, elle a trois enfants, Jean, Pierre et Anne, dont elle fait Anne Pierjean en créant son pseudonyme. Elle enseigne vingt ans mais doit, en 1965, quitter ce travail qu’elle aime. Lauréate du Grand Prix du Salon de l’Enfance, en 1972, pour Marika (GP Spirale), elle a écrit près de quarante livres, pour les enfants d’abord, les adolescents ensuite : L’innocente (Magnard 1969), L’Ecole ronde (GP Rouge et Or Dauphine 1974), Paul et Louise (GP Grand Angle 1975, Diplome Loisirs Jeunes), Loïse en sabots (GP Grand Angle 1977, Diplome Loisirs Jeunes), Saute Caruche (GP Grand Angle 1977). « Mon choix d’écrire pour les enfants coule de source, créé par ma vie même. J’étais institutrice et le serais restée sans un accident de santé. J’ai laissé l’enseignement sans laisser les enfants. J’aimais écrire, j’ai eu le temps de le faire. »

La Biennale Internationale d’Illustration de Bratislava

     Pour la première fois depuis vingt ans, le Grand Prix de la Biennale Internationale d’Illustration de Bratislava, plus connue dans les milieux de l’édition et des arts graphiques sous le sigle BIB, a été attribué à un artiste français, le peintre Frédéric Clément qui présentait des originaux de Bestiaire fabuleux (Magnard 1983) et de Histoire de Lilas (Ipomée 1984).

     On sait que cette manifestation placée sous lee auspices de l’UNESCO, de l’IBBY et de l’UNICEF est à l’illustration ce que le Festival de Cannes est au cinéma. Elle a des répercussions à très longue portée : l’exposition des œuvres des lauréats est itinérante à travers le monde, les timbres émis pour cette occasion sont très recherchés par les philatélistes et les livres par les collectionneurs adultes autant que par les enfants.

     A cette dixième BIB, jubilatoire, participait 155 illustrateurs parmi les meilleurs de 50 pays des cinq continents, dont 18 français.

     Confrontation passionnante, choix difficiles. A prendre connaissance des noms des vingt finalistes, nos lecteurs s’intéressant à l’image en auront conscience.

     Le jury international de la Biennale d’Illustration de Bratislava a tenu ses séances du 2 au 5 septembre 1985, à Bratislava.

     Ses membres en étaient : Lucia Binder (Autriche), Janine Despinette (France), Ottilie Dinges (RFA) Hisako Aoki (Japon), Marilyn Hollinshead (USA), Horst Kunze (RDA), Regina Yolanda Werneck (Brésil), Olga Siemaszkawa (Pologne), Bigdan Krazok (Yougoslavie), Carla Poesio (Italie), Orest Verejakoj (URSS), Uarian Vesely (Tchécoslovaquie), Ulf Löfgren (Suède), Moroslav Kudrana (Tchécoslovaquie).

     Le Grand Prix de la BIB’85 a été attribué à Frédéric Clément.

     Les illustrateurs français présentés dans l’exposition de la BIB jusqu’à fin octobre 1985 sont les suivants : Frérécic Clément, Dorothée Duntze, Claire Forgeot, Henri Galeron, Kelek, Alain Letort, Agnès Mathieu, Olivier Poncer, Jean-Claude Marol et Eve Tharlet.

     On peut se procurer les catalogue des BIB à ARCURIAL et à la librairie de la Hune et des informations complémentaires sur les « Prix littéraires dans le monde » dans la revue Enfance numéro 3-4 de 1984.

 ( article paru dans le n°26 – novembre 85 – du bulletin du CRILJ )

  frédéric clément

 Critique spécialisée en littérature pour l’enfance et la jeunesse, d’abord à Loisirs Jeunes, puis à l’agence de presse Aigles et dans de très nombreux journaux francophones, Janine Despinette, qui fut également chercheuse, apporta contributions et expertises dans de multiples instances universitaires et associatives. Membre de nombreux jurys littéraires et graphiques internationaux, elle crée, en 1970, le Prix Graphique Loisirs Jeunes et, en 1989, les Prix Octogones. A l’origine du CIELJ (Centre Internationale d’étude en littérature de jeunesse) en 1988, elle fut très longtemps administratrice du CRILJ.