Cher François Richaudeau

    Je suis heureuse de me trouver parmi vous. C’est un honneur de fêter votre anniversaire. Grand lettré, homme de la lettre et des lettres, vous êtes écrivain et penseur – la pensée est si délaissée en ce moment – penseur de grandes causes en réseaux, en rhizomes, en bourgeonnements.

    Éditeur, novateur, éternel chercheur, bibliophile et humaniste, vous êtes un intellectuel rare, un savant comme on les désignait au temps de Descartes.

    Dans vote livre Du cerveau, des mots et des pixels, vous étudiez le fonctionnement du ou des cerveau(x). Pour vous, l’expression langagière suit la pensée. Pensée première qui s’exprime par des mots ou ne s’exprime pas.

    Pardonnez-moi mais il me semble que vous vous aventurez là sur un chemin parallèle à celui d’un grand écrivain, Nathalie Sarraute. Vos découvertes n’en sont que plus admirables. Pour Sarraute, l’écrivain est un chercheur. Il explore les régions secrètes du vécu, va du connu vers l’inconnu, tente de rendre visible l’invisible. Niveaux  obscurs nommés « tropismes », sous-conversation, impressions, sensations… Des pensées qui franchissent de façon ténue le seuil des lèvres. Ce théâtre d’ombre, Cher François Richaudeau, vous avez su nous le montrer.

    Mais aussi lire et écrire. Vous avez abordé la mise en pages, mise en scène du texte, le graphisme, la pédagogie de la lecture, cette indispensable  lecture que vous avez voulu donner à tous, enfants et adultes.

    Pour fêter ce printemps des poètes, je souhaiterais accompagner mon texte d’un extrait de l’oeuvre monumentale d’un écrivain que vous avez étudié et que vous aimez, Marcel Proust.

… Le petit chemin qui monte vers les champs, je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles,le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures d’un style flamboyant… qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elle aussi en plein soleil le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait … (Du côté de chez Swann, I et II, page 136)

    Pour vous, ami, une foultitude de printemps d’aubépines…

 ( texte pour les 90 ans de François Richaudeau lu lors du Printemps des poètes à Sisteron, le 23 mars 2010 )

Né en 1920, François Richaudeau, ingénieur des Arts et Métiers spécialisé dans l’industrie graphique, travaille d’abord dans une imprimerie. Directeur d’un club de livres, il réfléchit à la façon de composer et fabriquer les livres afin que la lecture soit la plus agréable possible. Il crée le Centre d’Etudes et de Promotion de la Lecture qui étudie les comportements de lecteurs en fonction des typographies utilisées, des mots, des phrases et des styles de textes de natures variées. Il fonde en 1952, avec Jean Garciat et Maximilien Vox, les Rencontres Internationales de Lurs qui réunissent chaque année typographes, graphistes, imprimeurs et autres professionnels du livre. Publication bi-annuelle de La gazette de Lurs. Un temps gérant de la revue et des Éditions Planète, il créé les Éditions Retz qui publient Les Encyclopédies du Savoir Moderne, la revue Communication et langages, Je deviens un vrai lecteur (1989), Encyclopédie de la chose imprimée et Méthode de lecture rapide (2004). La rédaction par d’autres d’ouvrages pédagogiques importants dans les domaines de l’apprentissage et du perfectionnement de la lecture et de l’écriture lui doivent beaucoup.

richaudeau

« Je pars du principe qu’un lecteur n’est pas un déchiffreur, mais un producteur, ce qui se traduit par une certaine liberté dans la lecture et dans l’interprétation du texte lu. Je me suis donc intéressé à la pédagogie de la lecture au sens large et à la lisibilité. Il est ainsi prouvé par mes expériences que les phrases les plus lisibles ne sont pas forcément les plus courtes, mais celles qui sont construites avec des liens, des conjonctions permettant aux lecteurs d’avancer progressivement dans le texte. Les phrases les plus lisibles sont donc des phrases relativement complexes par rapport aux phrases énumératives, dont on ne connaît jamais la fin. Je pense qu’il faudrait revoir les méthodes, les manuels et l’âge de l’apprentissage de la lecture. Il est inutile d’apprendre à lire et à écrire en même temps car la fonction de perception est antérieure à celle de la construction. Je préconise donc d’apprendre aux enfants la lecture-plaisir. »

Penser national, agir local

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par André Delobel

    Au début des années 1970, quinze millions de français ayant moins de 15 ans, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse connait une augmentation soudaine. Les catalogues se diversifient. La qualité s’améliore. Au même moment, les recherches sur la littérature de jeunesse se multiplient et on observe une sensibilisation croissante des éducateurs aux questions de lecture. Pourtant, les seuls ouvrages vraiment connus de la plupart des enfants sont encore leurs livres d’école et les bibliothèques, en nombre insuffisant, souvent sous-équipées, ne constituent pas une alternative suffisante. La formation souhaitée par tous, professionnels et bénévoles, se met en place peu à peu, institutionnelle parfois, militante le plus souvent.

    Ne pas s’étonner de voir alors, à l’issue de journées d’études souhaitées par le Centre International d’Études Pédagogiques de Sèvres en 1973 et d’une rencontre organisée à Marly en octobre de la même année par la section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse, réapparaitre l’idée d’une association qui serait le carrefour de toutes les personnes et de toutes les initiatives recensées dans le domaine du livre pour l’enfance et la jeunesse. En 1974, profitant du sigle d’une association en sommeil dont Mathilde Leriche fut présidente, le CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, se constituait.

    Il apparut très vite à l’équipe essentiellement parisienne qui, de Sèvres, organisait les commissions de travail et diffusait l’information, que le développement de l’association ne pouvait passer que par une déclinaison couvrant le territoire et c’est ainsi que, fort de ses 1800 adhérents, le CRILJ s’organisa en vingt-cinq sections, locales, départementales ou régionales.

    En 1977, la section de l’Orléanais du CRILJ fut l’une des premières à prendre forme. Portée par un groupe de parents et d’enseignants de Saint-Jean-de-la-Ruelle, soutenue notamment par Jacqueline Held, elle parvint à rassembler, dès son origine, des enseignants, des bibliothécaires, des libraires, des auteurs, des animateurs, des parents d’élèves et son assemblée générale constitutive bénéficia de la présence encourageante de Marc Soriano. « J’ai aimé, se rappelle Linette Erminy toujours présidente, travailler à solidariser parents, enfants et enseignants autour des livres. Ce fut une époque où le CRILJ milita pour que les mairies créent des bibliothèques, pour que les enseignants ouvrent des coins-lecture, pour que les parents achètent des livres aux enfants et pour que les enfants acquièrent le goût de lire et le conservent. Dans ces projets, militant aussi était le choix des livres. »

    Un regard rétrospectif sur plus de trente ans de CRILJ/Orléanais permet de parcourir les principales initiatives et de saisir les évolutions :

– Les réunions mensuelles des premières années pendant lesquels chacun faisaient part aux autres de ses lectures, les listes à mettre à jour, les malles à constituer, les prochaines expositions-ventes à organiser, l’agenda des rencontres à compléter, le courrier aux adhérents à mettre sous enveloppe. Un bureau d’une petite dizaine de personnes toujours partantes.

– La mise à disposition, grâce à l’entremise d’une conseillère municipale orléanaise acquise à nos actions, d’un local de 90 m2 facilement accessible et l’obtention auprès de la DRAC de la région Centre d’une subvention permettant d’acheter armoires et rayonnages et de mettre à disposition de toute personne intéressée les livres et les documents jusqu’alors dispersés en divers greniers.

– Les groupes d’enseignants reçus au Centre de ressources, semaine après semaine, au bon temps de la formation continuée, pour donner envie de lire albums, romans et documentaires, pour convaincre de mettre ces livres à disposition des enfants, pour aider les équipes à mettre en place la Bibliothèque Centre Documentaire de l’école et à la faire vivre. C’était un temps où il fallait encore, parfois, se justifier quand on présentait Le Géant de Zéralda ou Max et les maximonstres …

– L’implication, dans le cadre d’un comité d’organisation élargi, dans l’organisation et l’animation du Salon du livre pour enfants et adolescents de Beaugency, chaque édition relançant l’aventure, pleins feux sur les bébés lecteurs une année, sur les adolescents l’année suivante. Je n’oublie pas non plus les rencontres Pages et Plume en complicité avec la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, à Orléans.

– L’envoi chaque quinzaine, depuis 2003, d’un courrier électronique proposant textes et informations à 1500 correspondants. Pour cause de transfert, ce chiffre serait, nous a-t-on expliqué, à multiplier par quatre.

– L’accueil, chaque année depuis cinq ans, de deux ou trois stagiaires en Master de traduction à qui nous proposons de traduire en français, sous notre contrôle, des ouvrages de littérature pour la jeunesse ou des articles de revues spécialisées. Il s’agit certes, pour le stagiaire, plus d’un élargissement de formation qu’un véritable stage en entreprise, mais il s’évère que chacun des partenaires (étudiants, université, association) trouve son compte dans le dispositif que nous proposons.

    C’est le CRILJ/Orléanais qui assura, à compter de septembre 1983, la continuité hebdomadaire de la rubrique « Lire à belles dents » publiée pendant quatorze ans dans le quotidien orléanais La République du Centre, faisant cohabiter propos de jeunes lecteurs et parole adulte. Se replonger dans la collection, c’est traverser l’histoire de la littérature pour la jeunesse de ces années-là.

    Le CRILJ/Orléanais conserve également un ensemble privé de 9000 affiches en relation avec le livre et la lecture pouvant être prêtées pour des expositions. Cette collection qui s’enrichit de plusieurs centaines de pièces chaque année est certainement sous-employée, mais faire plus est, dans l’état actuel des finances de l’association, un rêve lointain.

    Depuis 2009, notre section s’est fortement rapprochée du CRILJ national. La cohabitation en un même lieu de deux entités distinctes n’a pas, dans les premiers temps, facilité la lisibilité. En revanche, la proximité des moyens matériels et humains permet à l’une et à l’autre des structures un déploiement amélioré. Ce sera l’affaire des prochaines années.

( version ‘augmentée’ d’un article paru dans le dossier consacré au livre et à la lecture en  Région Centre dans le numéro 50 de mai 2010 de la revue de l’Association des Bibliothécaires de France )

crilj orléanais

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Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans la République du Centre. Il est, depuis mars 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Il a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Les Petits Bonshommes

 par Dawinka Laureys

Une revue instructive et pacifiste des années vingt

     Un magazine pour enfants est le fruit de son temps et il est loin d’être innocent. C’est ce que nous nous efforcerons de démontrer par le biais de cette analyse en nous penchant sur l’exemple d’une revue française, Les Petits Bonshommes, publiée dans les années vingt. Son cas n’est certainement pas généralisable à l’ensemble de la presse de jeunesse. Par contre, les questions qui lui sont posées peuvent être généralisées et transposées à une série de médias pour enfants d’hier et d’aujourd’hui. Partant de la réflexion de Maurice Crubellier selon laquelle « toute société éprouve la nécessité d’adapter ses membres les plus jeunes à ses besoins », nous nous interrogeons sur le rôle des magazines pour enfants. Comment leurs rédacteurs, leurs illustrateurs s’y prennent-ils pour « adapter » la génération à laquelle ils s’adressent à leurs projets, conscients et inconscients ? Quels sont leurs rêves et leurs espoirs ? Ce type de médias est-il susceptible de prendre position par rapport aux faits du réel ? Si oui, comment et dans quel(s) but(s) ? Comment les représentations collectives des auteurs transparaissent-elles ? Que révèlent-elles de leur époque ?

    De 1922 à 1926, la revue Les Petits Bonshommes est éditée à Paris et diffusée partout en France et dans quelques autres pays, en Belgique notamment. La collection complète compte 159 numéros. En 1923, 11000 lecteurs y sont abonnés. À l’origine et de manière régulière, le magazine est appuyé par le Syndicat national des instituteurs (SNI) et par la Fédération de l’enseignement. Son comité de patronage se compose d’une quarantaine de personnalités de « gauche » dont des écrivains, des artistes et des militants syndicaux. La revue se présente sous la forme d’un magazine de seize pages en moyenne, de 20 cm de haut sur 25 de large. Sa texture en papier de bois lui donne une teinte légèrement brunâtre. Il s’agit d’une revue où domine le texte même si les première et quatrième de couverture sont illustrées, tout comme bien souvent la page centrale. Il arrive que les articles et les histoires soient aussi ponctués d’images monochromes ou polychromes, en fonction manifestement des ressources disponibles. L’histoire de la série est en effet marquée par des difficultés financières, des changements d’imprimeries, de maisons d’édition, de comités de rédaction. Toutes ces péripéties entraînent des irrégularités de parution et l’aventure prend fin avec le numéro du 7 janvier 1936.

Instruire et éduquer tout en amusant

     Les Petits Bonshommes émergent dans un contexte où la presse de jeunesse est en plein essor. Lors des premières décennies du XXe siècle, les périodiques pour enfants connaissent une transformation radicale tant au point de vue de la forme que du contenu. Sous l’impulsion conjointe des progrès de l’alphabétisation, des innovations technologiques et de la prospérité économique, leur tirage augmente considérablement. Relativement bon marché et toujours plus ouverts à l’image, ces magazines se consacrent de plus en plus au pur divertissement. En France, c’est l’époque de L’Épatant (1908-1939), de Fillette (1909-1964), de Cri-Cri (1911-1937) ou encore de la revue Le Petit Illustré (1904-1937). Ces nouveaux médias ne font plus de l’édification morale une priorité et privilégient les historiettes illustrées, les romans policiers. Face à cette vague, les éducateurs catholiques et, dans une moindre mesure, laïques tentent de maintenir des revues éducatives et instructives. Les rédacteurs des Petits Bonshommes s’inscrivent clairement dans cette démarche. Ils sont en relation avec le monde de l’enseignement et des rapprochements évidents peuvent être faits entre certaines intentions des auteurs et les visées de l’enseignement républicain. À l’époque, l’école a pour fonction première d’alphabétiser les enfants. Dans la revue, l’accent est clairement mis sur la lecture. La très grande place faite à l’écrit en témoigne. S’adressant aux enfants sous le pseudonyme de Tante Aurore, la directrice de rédaction (Thérèse Dispan de Floran) fait part de ses conseils orthographiques et stylistiques et elle rappelle de manière récurrente l’importance de la maîtrise de l’écriture. L’intention d’instruire les lecteurs se dégage également des multiples articles consacrés à l’acquisition de savoirs (en histoire, en archéologie, en littérature, en sciences : zoologie, botanique, physique, médecine, etc.), de savoir-faire (en couture par exemple) et d’aptitudes (comme l’apprentissage de la dextérité ou de l’hygiène). L’instruction morale et civique occupe une place importante par l’exaltation de valeurs telles que l’honnêteté, l’humilité, le courage, l’effort, l’entraide. D’autres notions, chères aux rédacteurs et à la IIIe République, telles la raison et la laïcité, imprègnent véritablement les différentes rubriques jusque dans les histoires et récits de voyage.

     Toutefois, la revue des Petits Bonshommes ne peut pas être qualifiée d’austère. Elle cherche à divertir les jeunes lecteurs. Il s’agit sans doute d’une question de survie : dans un contexte marqué par un succès croissant de la presse tapageuse, un média pour enfants se doit d’être amusant. Ainsi, humour et aventure se mêlent aux blagues, rébus, récits, historiettes illustrées voire même aux notices sur des personnages célèbres. L’enfant est invité à participer à des concours de dessins, à apprendre des chansons, à confectionner des bricolages, à réaliser des saynètes théâtrales, à faire du sport. Dans Les Petits Bonshommes, ces activités se veulent sources d’édification morale ou d’apprentissage. Plusieurs bricolages proposent, par exemple, de confectionner la maquette d’une coopérative ou d’une machine à vapeur. Quant à l’humour, il peut être subordonné à un discours moralisateur, en tournant en ridicule la prétention, la paresse. Certaines blagues ou histoires se permettent de dénoncer les disparités sociales.

    Par ailleurs, le divertissement se veut rationnel. Les références aux univers et aux personnages irréels ou divins sont rares, et quand elles apparaissent, elles sont vivement critiquées par les lecteurs adultes. À l’époque, nombre d’enseignants mais aussi de psychologues, psychiatres et pédagogues recommandent de bannir les fées de la littérature enfantine. Le réel est amplement suffisant comme source de merveilleux lorsqu’il est décodé par le prisme des sciences et des techniques. Les ingénieurs et chercheurs sont présentés aux jeunes lecteurs comme de véritables magiciens. Leurs découvertes récentes sont expliquées, comme celle de la télégraphie et de la téléphonie « aussi merveilleuse qu’un conte de fées ». Cette conception du « merveilleux rationnel » peut être mise en lien avec une société marquée en ce début de XXe siècle par de multiples découvertes scientifiques et techniques, par une déchristianisation des masses et par la généralisation de l’instruction publique qui tend à uniformiser la culture au détriment des langages et des croyances locales.

 En marche vers une société pacifique, international … et républicaine

     La revue naît à la sortie de la Première Guerre mondiale dans une société bouleversée par ce conflit. Vainqueurs et vaincus font le bilan : un total de dix millions de morts et de disparus (un recors jusqu’alors inégalé), vingt millions de blessés, des conséquences économiques et financières désastreuses. Chacun est persuadé que la Grande Guerre sera la « der des der » et tous sont résolus à ce qu’elle n’ait pas de postérité. Dans le camp des vainqueurs, certains estiment que seule une politique d’intimidation à l’égard de l’Allemagne évitera une nouvelle offensive. D’autres, par contre, pensent que l’heure est à la réconciliation des pays. Dès mai 1919, le mouvement « Clarté » ou « Internationale de la pensée » se dessine autour d’Henri Barbusse et se définit par la trilogie : pacifisme, internationalisme et justice. Or, plusieurs des membres du comité de patronage des Petits Bonshommes sont membres du mouvement « Clarté ». Plusieurs sont aussi proches du Parti communiste français (PCF) dont le pacifisme leur paraît le plus radical. De fait, il est le seul parti à avoir protesté ouvertement contre l’occupation de la Ruhr puis, quelques années plus tard, contre la guerre du Rif.

     Les prises de position pacifistes des rédacteurs des Petits Bonshommes sautent aux yeux. Les récits et poèmes qui condamnent la guerre sont récurrents. C’est entre autres le cas lors du conflit au Maroc précisément. Dans les numéros d’avril 1925 à janvier 1926, une bande dessinée satirique dénonce la guerre du Rif. Elle conte les aventures du reporter français dépêché sur place « Bourlekrane, le plus menteur des journalistes, décoré pour ses nombreux services pendant l’avant-dernière guerre ! ». Par ailleurs, Jean Jaurès et son combat pour la paix font l’objet de plusieurs articles. Les méfaits des combats sont rapportés et pleurés, en particulier par la directrice de rédaction, Thérèse Dispan de Floran. Dans la rubrique qui lui est consacrée, celle-ci veut œuvrer à la paix internationale et suggère que tous les enfants du monde se mettent à correspondre. Tante Aurore fournit des adresses postales de manière à encourager de tels échanges, notamment entre Français et Allemands. Elle s’en explique : « le salut du monde est dans les mains des enfants (…). Si nous nous connaissions vraiment les uns les autres, si nous savions combien les peuples des autres pays nous ressemblent, la guerre deviendrait impossible entre les nations (…) ». Dans la France des années vingt, Tante Aurore et ses projets de « fraternité universelle » sont vivement critiqués par la presse patriotique. Par contre, ils rejoignent les propositions formulées par l’Internationale de l’Enseignement qui préconise l’établissement de relations entre les jeunes de la terre entière.

    Oeuvrer à la paix, c’est aussi combattre le chauvinisme. Sur ce point, les rédacteurs sont à nouveau porteurs de raisonnements partagés par l’Internationale de l’Enseignement, mais également par l’internationalisme qui repose sur la croyance selon laquelle la nation est une unité artificielle, qui doit être dépassée et supprimée par l’action conjuguée des hommes de tous les pays des prolétaires en particulier. À l’époque, c’est l’ensemble du corps enseignant qui s’interroge sur le rôle de l’école – et notamment du cours d’histoire – dans l’exaltation du sentiment national. Dans Les Petits Bonshommes, il n’y a point de récits franchement patriotiques, comme c’est le cas dans le magazine pour fillettes La semaine de Suzette, par exemple. Pour les rédacteurs, combattre le chauvinisme nécessite d’aller à la rencontre des autres nations. Les lecteurs sont invités à découvrir des monuments et sites, mais également des habitudes et coutumes de diverses contrées. Il y est question du Kremlin de Moscou, des temples incas, de la vie à l’école aux États-Unis ou en Algérie… Dans la rubrique consacrée « aux grands hommes », diverses nationalités sont représentées dont des Allemands (le compositeur Jean-Sébastien Bach ou le scientifique Roentgen) et des Russes (les auteurs Dostoïevski, Gorki, Tchekhov, Tourgueniev et Tolstoï). Cette ouverture au monde se colore de fraternité lorsque Tante Aurore fait appel à la solidarité internationale en invitant les lecteurs – et leurs parents – à venir en aide à des enfants russes, africains, japonais, irlandais ou allemands qui vivent dans des conditions très précaires.

     Si Tante Aurore ne cesse de mettre l’accent sur les ressemblances des enfants par delà les frontières, rédacteurs et illustrateurs nous conduisent également à constater des différences. Celles-ci s’expriment en particulier dans les récits de voyage ou à travers le temps. C’est l’occasion de rapporter la vie des Indiens, des Esquimaux, des habitants des montages kabyles… ou celle des hommes de la Préhistoire et du Moyen-Âge. Même si les articles et récits regorgent de représentations diverses, les étrangers ou les « hommes anciens » apparaissent généralement comme vertueux, courageux, honnêtes, tandis que les hommes « blancs et d’aujourd’hui » ont pour défauts l’orgueil, le goût du profit et de la guerre. Ces hommes blancs n’en sont pas moins présentés comme des êtres faisant preuve de raison et maîtrisant les sciences et les techniques. Consciemment ou inconsciemment, les auteurs considèrent manifestement que par leurs attitudes et leurs acquis, les hommes d’Occident s’écartent et se distinguent des autres peuples encore sous le joug des croyances divines et de savoir-faire primitifs.

     Ainsi, la société rêvée par Les Petits Bonshommes se veut certainement pacifiste et internationale, mais elle se doit aussi d’être mue par la raison, la laïcité et la justice… si elle veut poursuivre son ascension vers le « progrès ».

Les Petits Bonhommes ouvrent le débat

    La revue Les Petits Bonshommes est le fruit de son temps. Les rédacteurs prennent position vis-à-vis des « faits du réel » avec ce qu’ils sont, leurs croyances, leurs blessures, leurs espoirs, leurs idéaux. Pour demain, ils rêvent de « bons hommes » et de  « bonnes femmes » instruits, ouverts sur le monde, pacifistes, courageux, solidaires, humbles, travailleurs et… porteurs de valeurs républicaines (raison, laïcité, justice). Cet exemple d’un périodique des années vingt, nous invite à nous pencher sur notre cas, ici et aujourd’hui. Les questions que nous posions en début d’analyse peuvent être adaptées aux magazines actuels – voire aux médias en général – pour enfants et adolescents. Qui en sont les rédacteurs et les illustrateurs ? Quels organes les soutiennent ? De quelles valeurs, de quelles intentions, de quels projets sont porteurs les acteurs qui gravitent autour de ces médias ? Suis-je en mesure de les détecter, de les identifier ? Est-ce que les auteurs prennent position par rapport aux événements de leur époque ? Si oui, de quelle(s) manière(s) ? Si non, pourquoi ? Comment est-ce que je me situe par rapport à ce qui est véhiculé ou ce qui est passé sous silence (faits du réel, représentations, projets, valeurs) ? Et ce, en tant que lecteur, en tant que citoyen, en tant que parent, en tant qu’éducateur ? Suis-je en accord, en désaccord ? Comment est-ce que je l’exprime ?

     L’exercice pourrait par exemple être mené à l’égard des magazines édités par les maisons d’édition Bayard-jeunesse en France, ou Averbode en Belgique pour n’en citer que deux bien connues. Leurs publications n’échappent point à la règle puisqu’elles sont nécessairement le fruit de leur temps. Une analyse détaillée de celles-ci serait sans doute très révélatrice de notre époque et de nos propres paradoxes. Le caractère étonnamment politique de la revue Les Petits Bonshommes sortirait sans doute renforcé d’une telle analyse.

    Par ailleurs, nombre des questionnements qui précèdent peuvent aussi être transposés aux médias pour adultes. Avec une différence fondamentale cependant : un enfant dispose de moins de ressources qu’un adulte pour décoder les textes et les illustrations qui lui sont adressés. D’où sans doute l’importance pour les parents et les éducateurs de poser sur ces médias un regard analytique …

    Microsoft Word - 20090908 Petits Bonshommes _v5_.RTF

Historienne diplômée de l’Université de Liège (licence en histoire en 1999, agrégation de l’enseignement secondaire supérieur et D.E.S en documentation et sciences de l’information en 2000, doctorat en histoire en 2005), Dawinka Laureys mène, pendant quatre ans, des recherches relatives à l’histoire spatiale belge (CHST de l’Ulg). Elle enseigne quelques mois auprès de la Haute École de la Ville de Liège. Archiviste pendant plus de trois ans auprès du centre d’archives privées d’Etopia, centre d’animation et de recherche en écologie politique situé à Namur, elle rejoint à Seraing, comme attachée scientifique chargée de l’éducation permanente, l’équipe de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale. Nous remercions Dawinka Laureys pour nous avoir confié son texte publié en 2009 sur le site de l’IHOES avec le soutien de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. L’illustration ci-dessus, planche originale pour la revue Les Petits Bonshommes, provient des collections de la Bibliothèque L’Heure joyeuse

Les albums sans texte sont de grands bavards

    Le samedi 20 mars 2010, à l’occasion de son assemblée générale annuel, le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, associé à la bibliothèque l’Heure Joyeuse, avait invité Sophie Van der Linden, auteure de Lire l’album, rédactrice en chef de la revue Hors Cadre[s], pour une conférence à propos des albums sans texte. Intitulé exact : Albums sans texte : la preuve par l’image.

   En introduction, Hélène Gourraud, bibliothécaire à l’Heure Joyeuse, présentera brièvement l’exposition  Les albums sans texte : quand les images nous racontent des histoires dont elle est maître d’œuvre, introduction ou prolongement idéal à la conférence. L’exposition qui rassemble des ouvrages récents et des albums du fonds ancien de la bibliothèque, propose au visiteur, outre un bref historique, un essai de typologie pouvant aider le jeune (ou moins jeune) lecteur à se repérer dans le genre. Sont ainsi distingués : les albums narratifs où l’intérêt porté au récit est manifeste, les albums pour imaginer où une place importante est laissée à la subjectivité du lecteur, les albums cinématographiques qui s’appuient d’évidence sur les codes du langage filmique, et les albums-jeux qui jouent avec les formes cachées, les découpages, les cachettes et les masques.

    « Le livre sans texte est un objet fascinant dont on ne fait pas aisément le tour. » Une fois constaté que des créateurs s’intéressent à ce type d’ouvrages selon des approches stylistiques variées, il reste encore beaucoup à échanger et à confronter car ces livres ne sont, semble-t-il, faciles ni pour les éditeurs, ni pour les libraires, ni pour les médiateurs. La lecture qu’ils requièrent, dénotative, demande une attention accrue et, à condition de prendre son temps, certains albums sans texte autorisent des lectures multiples, assez souvent complexes. « Albums sans texte pour non lecteurs est une équation qui ne fonctionne pas. »

    Peut-on tenter un historique ? On trouve les premiers albums sans texte dès 1860, chez des éditeurs comme Staël et Hachette. Citons également, le titre est explicite, Les 30 histoires sans paroles à raconter par les petits, chez Nathan, et Histoires en images, collection d’albums publiée dès les années 30 à l’Atelier du Père Castor. Se développe, à la fin des années soixante, un type d’album sans texte qui abandonne l’idée que ces livres sont d’abord faits pour faire parler. Les Aventures d’une petite bulle rouge, album publié à l’Ecole des Loisirs en 1968 et qui abandonne la narration univoque est, à cet égard, devenu un classique. Dans les années qui suivent, des éditeurs comme Harlin Quist et François Ruy-Vidal amplifient cette voie, rompant avec la pédagogie pour s’adresser à l’imaginaire et ouvrir à la polysémie. En 1990, les éditions Epigones publient Sara (A travers la ville) et, en 2004, les éditions Autrement crée la collection « Histoires sans paroles » qui accueille les propositions d’illustrateurs aux styles fortement diversifiés.

Pas si facile

    Sophie Van der Linden a souhaité battre en brèche l’idée que l’on peut parler sans fin sur les livres narratifs sans texte. Non, dit-elle, car il y a un propos qui est tenu par l’auteur-illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur, d’interpréter l’œuvre abusivement. Il faut un propos, il faut une narration, un enchaînement lisible pour qu’un album sans texte fonctionne. Les « livres ratés » sont, dans ce genre particulier, ceux qui proposent un trop grand foisonnement de détails, ceux pour lesquels il n’y a pas de lien entre une image et la suivante.

    Il peut paraître plus aisé de « regarder » un album sans texte avec des tout petits que de lui « lire » une histoire illustrée. Autre idée fausse. Certes, les enfants ne se heurteront pas aux formulations de la langue écrite – pas de vocabulaire inhabituel, pas de phrases longues ou complexes – mais, en réalité, lire des images est aussi sinon plus difficile. De nombreux codes qui nous paraissent, à nous adultes, aller de soi, doivent en réalité être construits par les enfants. Ainsi, l’album sans texte exige des jeunes lecteurs qu’ils parviennent à établir des liens entre les images, les choix, allusifs ou non, de l’auteur qui les a ordonnées, l’obligeant à imaginer un enchaînement le plus souvent causal et lié aux motivations des personnages. Risque d’erreur, plaisir de comprendre, l’album sans texte est ici objet d’apprentissage.

Quelques noms, quelques titres

    Parmi les auteurs-illustrateurs qui se sont particulièrement intéressés à l’album sans texte, Iela Mari, déjà citée, abordable par les plus petits, Peter Spier et Mitsumasa Anno pour les plus grands, et puis Sara, magistralement, et Anne Brouillard, dont les ouvrages, parfois au-delà de leur évidence première, sont plus complexes à déchiffrer. Quand le lecteur y parvient – et les enfants y parviennent plus souvent qu’on ne l’imagine – l’émotion est au rendez-vous.

    Quelques ouvrages sans texte qui méritent la lecture des enfants comme celle des adutes : Volcan de Sara (Eolune), La course au renard de Géraldine Alibeu (Autrement), La course au gâteau de Thé Tjong Khing (Autrement), Balade de Betty Bone (Le Sorbier), Zoom de Istvan Banuai (Circonflexe) et le très cinématographique Loup Noir d’Antoine Guillopé (Duculot-Casterman). Ne pas oublier les livres de Bruno Munari ou d’Olivier Douzou.

    Deux auteurs ont retenu plus longtemps que d’autres l’attention de la conférencière :

– l’américain David Wiesner dont Chute libre (Circonflexe), Mardi (Flammation), Les trois cochons (Circonflexe) sont particuliérement jubilatoires. Succès populaire aux Etats-Unis, succès d’estime en France.

– la belge Anne Brouillard dont l’album L’orage (Grandir) ouvre, lecture après lecture, des perspectives renouvellées. « Dans cet album, on entre dans l’image comme dans la maison et c’est l’illustratice qui, plaçant les repères, guide notre regard. »

Mais encore

    Pour étayer son exposé, Sophie Van der Linden se place en lectrice experte. Plusieurs participants ont, pour compléter l’analyse, souhaité échanger à propos des pratiques de lecture d’images à l’école et dans les bibliothèques. Synthèse possible de la discussion : il faut faire confiance aux enfants, leur présenter des albums sans texte en toute simplicité, prévoir sans doute une progression – attention à bien choisir les  premiers titres à regarder ensemble – et, plus particulièrement à l’école, ne pas hésiter à nourrir, habilement, les libres propos des enfants d’un peu de « grammaire de l’image » et à  donner aux jeunes lecteurs les mots qu’il faut pour mieux dire les choses.

    A signaler, pour finir ici, le numéro 3 de la revue Hors Cadre[s] consacré aux albums sans texte. En vente dans les bonnes librairies et à l’adresse de l’Atelier du Poisson Soluble, 35 boulevard Carnot, Le Puy-en-Velay. Prix du numéro : 12,00 euros.

gerda muller

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire,  Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement.  Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : plans lecture de la ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF, etc. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation …) Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur « Les enfants terribles dans les albums » dans L’humour dans la littérature de jeunesse paru chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (Université Toulouse II Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint Cloud (Université Paris X). Elle participe, au plan national, à l’activité quotidienne du CRILJ. Elle a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Du CRILJ au CRILJ

    L’aventure du CRILJ commence à la fin de 1962.

    Dans les diverses actions pour le livre, un certain nombre de personnes  étaient devenues très proches les unes des autres dans leur préoccupation. Une sensation de distorsion entre l’état de la recherche et de l’information en France et dans le monde, une réalité d’abandon de la part des pouvoirs publics pour lesquels l’idée  d’une action culturelle pour l’enfance et la jeunesse apparaissait comme une utopie peu sérieuse, les divers cloisonnements renforcés par une période de pénurie où chaque catégorie : enseignants,  bibliothécaires, éducateurs, libraires ou éditeurs lorgnait  plus du côté du voisin que vers un plan d’ensemble. Tout cela faisait le fond de nos conversations.

    De rencontre en débat, de « il faudrait que » à « il faut faire quelque chose »,  naissait un projet qui se concrétisait peu à peu grâce à l’accueil souriant et efficace de Natha Caputo.

    C’est donc dans l’appartement de Natha Caputo, rue Victor Schœlcher, à Paris, dans le 14ème arrondissement, qu’est né le CRILJ, sous le double signe d’un militant de la lutte contre l’esclavage et contre le Second Empire et d’une critique attentive aux « livres qui apprennent à aimer », suivant sa belle expression.

    Se retrouvaient là autour de Natha Caputo, Isabelle Jan, Mathilde Leriche, Marc Soriano et nous (Jacqueline et Raoul Dubois) dans un premier temps du moins, car d’autres allaient bientôt nous rejoindre.

    La décision définitive de créer le CRILJ fut prise à la réunion du 26 juin 1963, dans l’après-midi.

    Assistaient à cette réunion toutes les personnes nommées ci-dessus, à l’exception de Jacqueline Dubois, retenue par ses obligations professionnelles.

    Le relevé des conclusions se présentait en 11 points :

– La situation des études et recherches en littérature de la jeunesse en France fait de la France un pays retardataire en ce domaine,

– L’Université ignore pratiquement la littérature de jeunesse à tous les échelons,

– La formation des éducateurs de tous les degrés ignore en fait la littérature de jeunesse,

– Les liaisons sur le plan international sont le fait d’initiatives personnelles, elles ne sont pas coordonnées et ne permettent pas d’échanges fructueux,

– Il est donc nécessaire de créer un organisme indépendant, regroupant des critiques, des universitaires, des chercheurs, et pouvant préparer une reconnaissance de la littérature de jeunesse comme branche de la littérature,

– L’accord se fait sur la création du Centre de Recherche et d’informations sur la Littérature de jeunesse,

– Ce Centre pourra se constituer de façon légale à la rentrée, il essaiera de se faire attribuer un siège social à l’Institut Pédagogique National,

– Ce groupe de travail primitif pourrait s’adjoindre diverses personnalités ; dans l’immédiat : Mesdames Raymonde Dalimier et Colette Vivier,

– Seront par ailleurs sollicités :  Mesdames Luce Langevin, Odette Levy Bruhl, Janine Despinette, Marie-José Chombart de Lauwe, Mme Darier, Madeleine Raillon, Christiane Cohen, Marguerite Vérot ; Messieurs Claude Aveline, Paul Faucher, Claude Santelli.

– Il serait intéressant d’y adjoindre des folkloristes, des psychologues et chaque participant est invité à donner des listes supplémentaires.

– Raoul Dubois assurera  la mise au net des décisions et un projet de statuts sera établi,

    Le bureau provisoire serait ainsi proposé :

Présidente : Mathilde Leriche

Vice présidents : Natha Caputo, Marc Soriano,

Secrétariat : Isabelle Jan, Raoul Dubois

Membres : Colette Vivier, Raymonde Dalimier

Le poste de trésorier sera proposé à Jacqueline Dubois (qui l’accepta).

    La demande faite à l’Institut Pédagogique National dès octobre fut étudiée et acceptée, les statuts discutés et acceptés par une réunion tenue à la rentrée et les diverses personnalités contactées par courrier.

    Si les premières réunions continuent à se tenir malgré les difficultés de l’époque, ce n’est que le 6 juillet 1965 que les statuts seront déposés à la Préfecture de Police, indiquant bien l’Institut Pédagogique National comme Siège Social. Ce n’est qu’en 1972 que dans le cadre de la réorganisation de l’IPN fut retirée aux associations non directement pédagogiques d’y domicilier leur siège social.

    C’était assez bien remarquer la place faite à l’époque à la littérature de jeunesse.

    Dans le contexte de la vie associative d’alors il était sans doute prématuré de créer ou espérer faire vivre une association libre de toute contrainte vis-à-vis des pouvoirs publics ou des grandes forces parcourant les associations culturelles, par ailleurs très préoccupées de leur survie. Les créateurs du CRILJ auxquels s’étaient joints Germaine Finifter, Bernard Epin, André Kédros, Monique Bermond et Roger Boquié et un certain nombre de correspondants à Paris et en province, ne trouvèrent évidemment pas les moyens de faire fonctionner une association de coordination alors que toute leur activité était sans  cesse remise en question.

    C’est aussi à ce moment que l’action de la Section Française de l’Union Internationale de Littérature de Jeunesse (IBBY) se développe prenant en quelque sorte le relais de cette tentative.

    Elle devait refaire surface à  la suite des stages de Sèvres, organisées au Centre International d’Études pédagogiques, sous l’autorité de son directeur d’alors, Jean Auba.

    Au fur et à mesure que les stages se succédaient, se manifestait l’exigence d’une structure souple de concertation et de rencontre associant les divers partenaires de l’action en faveur de la littérature de jeunesse.

    Le repli sur soi de chacune des professions était ressenti comme néfaste par beaucoup de bibliothécaires, d’enseignants, d’éducateurs, de libraires et même d’éditeurs parmi les plus novateurs. Si chacun sentait bien le bouillonnement des idées et des initiatives autour de la lecture des enfants et des jeunes, le manque de point de rencontre se faisait cruellement sentir.

    Ainsi naquit peu à peu cette idée : utiliser une structure demeurée un peu vide mais ayant le mérite d’exister, et gagner du temps, le CRILJ dont quelques animateurs avaient constitué les chevilles ouvrières des stages de Sèvres.

    La présidente du CRILJ, Mathilde Leriche, fut donc sollicitée le 7 juin 1973 pour relancer l’association sur de nouvelles bases :

Un groupe de travail restreint a mis au point les aspirations confuses à une sorte d’institution sur la littérature enfantine.

Chemin faisant nous avons reparlé du centre de recherche et d’Information sur la Littérature de Jeunesse que nous avons créé en 1964 sous l’impulsion de notre amie Natha Caputo.

Au cours des discussions du groupe de travail réuni le 6 juin il a paru économique du point de vue du temps et des formalités administratives de reprendre le CRILJ pour, en modifiant les statuts, en faire la première pierre d’un édifice qui serait ensuite construit progressivement.

C’est donc cette solution qui sera préconisée par le groupe de travail à la réunion plénière le 20 juin prochain. Vous avez déjà été conviée (ou vous le serez bientôt) à cette réunion et nous nous permettons d’insister pour que vous participiez aux travaux.

Nous pensons qu’il est utile que tous les anciens membres du bureau du CRILJ participent à nouveau au bureau provisoire qui comprendra également les groupes de travail. Ce groupe comprend : Geneviève Patte, Marc Soriano, René Fillet, Lise Lebel, Jean Hassenforder, Jacques Charpentreau, Raoul Dubois. S’y adjoindront donc, si vous êtes d’accord : Isabelle Jan, Raymonde Dalimier, Mathilde Leriche, Colette Vivier et Jacqueline Dubois.

Qu’en pensez-vous ?

Il nous semble que, au moins à titre provisoire, vous ne pouvez pas refuser de participer à ce travail. Un bureau définitif sera désigné en octobre ou novembre. 

( Lettre à Mathilde Leriche du 7 juin 1973 d’un auteur non identifié )

    La réunion eut lieu et la décision de reprendre le CRILJ confirmée.

    Les Statuts modifiés étaient déposés à la préfecture de Police de Paris le 30 janvier 1975  (publication au JO du 15 février 1975). C’est dire que tout cela fut fait sans hâte avec le maximum de précautions pour éviter de faire apparaître cette association comme une possible concurrence à d’autres initiatives. Le Siège Social était transféré au Centre d ‘Études pédagogiques (Sèvres) qui avait vu la renaissance du CRILJ.

    Il faudra attendre le 24 novembre 1978 pour que la nouvelle association obtienne son agréement du Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs.

    On peut dire sans crainte d’être démenti que les premières années du CRILJ ont été un miracle de tous les instants. Dans toute la mesure de nos moyens nous y avons mené une action très chaleureuse, René Fillet ou Jean Auba ont sans doute beaucoup fait pour aider le CRILJ à affronter une navigation en eau calme. Que de procès d’intention ont été faits au CRILJ ou à certains de ses animateurs ! Encore une fois nous avons pu mesurer les difficultés de survie des structures de coordination. Souvent on déplore le manque de liaison pour aussitôt craindre dans ces liaisons on ne sait quel empiètement sur un territoire souvent vécu comme une sorte de monopole de fait. Nous pensons quant à nous avoir toujours joué pleinement le jeu, quelquefois au détriment de notre propre activité.

    En tout état de cause et en grande partie grâce à l’obstination de Monique Hennequin, le CRILJ peut mettre à son actif une série de réalisations dans des domaines fort divers et qui tous participent bien de l’information et de la formation. Si le bilan « recherche » n’est pas aussi riche, c’est qu’il n’y a pas de recherche sans moyen.

    Parmi les réalisations les plus intéressantes il faut faire place aux divers colloques dont certains ont le mérite de poser les problèmes à un moment où ils n’étaient pas forcément passés dans le domaine public.

    Il en a été de même et nous aurons l’occasion d’y revenir sur la place du « Livre scientifique et technique » dans l’édition pour la jeunesse et pour l’ensemble de l’activité lecture-jeunesse.

    Enfin le pilotage des Prix de la Jeunesse et des Sports a sans doute permis leur maintien dans un contexte difficile.

    Les sections régionales du CRILJ s’organisent peu à peu. Elles ont chacune son visage et cette diversité aurait sans doute beaucoup réjoui Natha Caputo qui n’aimait pas trop  les structures rigides et nous avait dès le départ mis en garde.

    Notre seul regret vient du peu de soutien matériel des pouvoirs publics. Certes, la reconnaissance d’utilité publique en 1983 est une sorte de légitimation des efforts de tous, mais elle ne s’accompagne d’aucune reconnaissance du Ministère des Finances…

    Enfin, nous ne sommes pas clandestins, c’est déjà quelque chose ! Le répertoire des auteurs français pour la jeunesse, édité par le CRILJ, en est une preuve évidente.

    Sans doute pouvons-nous constater que les forces centrifuges traversant la société française depuis 1968 et leur renforcement par la régionalisation ont des conséquences négatives sur la place faite aux associations nationales. Par contre les structures régionales et départementales peuvent, dans certains cas, bénéficier d’aides sérieuses susceptibles de déboucher sur des travaux et des réalisations.

    Dans le domaine qui nous intéresse on peut cependant constater un grand nombre de « doublons » dans les réalisations d’outils coïncidant avec des manques regrettables.

( La Lecture buissonnière  –  tapuscrit consultable au CRILJ à Orléans, à l’Université d’Artois  à Arras, à la bibliothèque l’Heure Joyeuse à Paris )

raoul

Né en 1922, Raoul Dubois est à seize ans plus jeune instituteur de France. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il cache des enfants juifs, les faisant passer pour musulmans. Il s’engage au Parti Communiste. Après guerre, il consacre son énergie à l’école publique, d’abord dans le primaire puis en collège. Fondateur à la Libération des « Francs et Franches Camarades », il y fut à l’origine des revues Jeunes Années et Gullivore. Raoul Dubois est l’auteur d’ouvrages historiques pour la jeunesse tels que Au soleil de 36 (1986), À l’assaut du ciel (1990), Les Aventuriers de l’an 2000 (1990), Julien de Belleville (1996). Co-fondateur du CRILJ, il lui restera, organisateur et débatteur de talent, avec Jacqueline son épouse, fidèle sa vie durant. « Raoul Dubois a été un éminent lecteur de littérature de jeunesse, un critique exemplaire, toujours exigeant et ne confondant jamais littérature et pédagogie. Il savait lire, il aimait lire et il faisait vite la différence entre la cohorte des textes toujours à la mode, toujours au goût du jour, et les textes écrits. » (Yves Pinguilly). Raoul Dubois est mort en décembre 2004.

Du côté de La Farandole

 

 

 

 

 

      La création en 1955 de la maison d’édition La Farandole émane vraisemblablement d’une décision des instances du Parti communiste français et fut réalisée grâce à l’apport de capitaux de particuliers. Il s’agissait vraisemblablement d’adhérents qui apportaient ainsi leur soutien à l’initiative du Secrétariat général. La direction de la maison d’édition fut alors confiée à deux adhérentes du Parti qui présentaient les « garanties technico-politiques » souhaitées. Le Parti compléta sans doute par ce biais son appareil éditorial mais ne semble pas avoir imposé une quelconque ligne éditoriale au tandem formé par Madeleine Gilard, « directrice de collection », et Paulette Michel, au rôle plus administratif.

     Néanmoins, s’il ne semble pas avoir interféré sur le projet éditorial de la Farandole autrement que par une commune idéologie, il permit à La Farandole d’établir des partenariats avec ses organismes de diffusion : le Centre de Diffusion du Livre et de la Presse et Odéon diffusion et, peut-être, l’Agence Littéraire Artistique Parisienne …

     L’originalité de La Farandole réside dans son choix de proposer, bien avant les autres éditeurs, des ouvrages ouverts sur la vie sociale, l’histoire et les cultures étrangères. C’est une particularité qui procura son identité à la Farandole et qu’elle développa tout au long la période que nous avons étudiée. Elle sut, en partie grâce à l’impulsion de Régine Lilensten, faire de mai 1968 un tremplin pour en renforcer l’importance et aborder des sujets jusque là tabous.

     Pour faire aboutir cette volonté d’ouverture, elle s’entoura, dès ses débuts, d’auteurs et illustrateurs aptes à offrir ces perspectives aux lecteurs tout en faisant preuve de grandes qualités littéraires et picturales, voire artistiques. Au fil des ans leur nombre s’accrut et leurs horizons se diversifièrent, notamment grâce aux nombreuses traductions et aux coéditions que La Farandole mit en place avec des confrères (surtout du bloc de l’Est) à partir des années soixante.

     La constance de cette recherche de qualité prévalant sur une augmentation de sa rentabilité, La Farandole prit souvent le risque de publier de jeunes auteurs ou illustrateurs qui furent par la suite reconnus et acquirent une renommée importance dans le domaine de la littérature pour la jeunesse.

     Ce sont ces caractéristiques qui, à notre sens, permirent à La Farandole de s’implanter avec succès dans le paysage éditorial.

     Sa création prit pourtant place dans un contexte peu favorable aux nouvelles entreprises. De plus La Farandole choisit de dédier son activité uniquement à la littérature pour la jeunesse alors que la majorité des publications était réalisée par des départements ou secteurs de maisons d’édition généralistes ou scolaires qui pouvaient ainsi compenser d’éventuels échecs par le reste de leur production. Cependant la Farandole parvint à suffisamment se développer pour prendre l’ampleur et les statuts d’une société anonyme.

    Dès lors sa place au sein du milieu éditorial ne cessa de se renforcer et la maison d’édition conquit de plus en plus de spécialistes, critiques, bibliothécaires et enseignants. Sans jamais être véritablement connue du grand public, La Farandole se vit gratifiée d’un certain nombre de reconnaissances littéraires : critiques, sélection de livres, prix Jean Macé, prix international Hans-Christian Andersen. À la fin de la période étudiée, elle était parvenue à asseoir sa place de « petite maison d’édition novatrice », notamment grâce à Régine Lilensten, directrice dès 1972, qui semble avoir intensifié la communication de La Farandole. Elle avait également réussi à développer les relations avec d’autres éditeurs français et à ouvrir un marché au Québec.

     La Farandole était, à l’orée des années quatre-vingt, une petite maison d’édition bien implantée, certainement partisane mais pas propagandiste. Sans conteste, elle avait bénéficié du soutien du Parti communiste, de ses organes et de ses militants mais avait su s’implanter grâce au projet éditorial défini et mené par Paulette Michel et Madeleine Gilard. Elle avait d’autre part assis cette place grâce à une certaine professionnalisation de son activité et une redynamisation opérées par Régine Lilensten.

     Non déficitaire, elle fut cependant incorporée au groupe Messidor, pendant communiste des groupes capitalistes qui se constituèrent à la même époque et transformèrent l’édition française.

     Toutefois, le Parti communiste vécut une crise qui s’aggrava au cours des années quatre-vingt et dont le groupe Messidor pâtit, en plus d’essuyer des revers économiques. Faillitaire en 1992, Messidor fut racheté par le groupe Scandéditions qui fut lui-même mis en liquidation judiciaire en 1994. Une étude de l’histoire de la Farandole au cours de cette période permettrait de déterminer comment un tel contexte influa sur la gestion, la production et les lignes éditoriales de la maison d’édition ; si celles-ci furent transformées et, le cas échéant, dans quelle mesure. Par ailleurs, un tel travail permettrait peut-être de mieux saisir les raisons qui ont rendues cette liquidation particulièrement conflictuelle, et font aujourd’hui de l’histoire de la maison d’édition un sujet d’amertume.

 ( conclusion du mémoire de Master 2 d’Histoire Contemporaine Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982 – juin 2009 )

   farandole

Née en 1985, Hélène Bonnefond effectue son cursus d’étudiante à l’université François Rabelais de Tours, avec le projet final de passer le concours de bibliothécaire territorial. Licence puis master d’histoire et, comme sujet de mémoire, sur une suggestion de Cécile Boulaire, maître de conférence en Littérature pour la jeunesse à l’université François Rabelais, Histoire de la maison d’édition La Farandole, 1955-1982. Travaillant actuellement comme assistante documentaliste dans un lycée professionnel, Hélène Bonnefond participe, à titre bénévole, aux activités de l’association tourangelle « Livre passerelle ». Elle hésite, pour les prochaines années, entre un travail de bibliothécaire, d’animateur en milieu scolaire et d’organisateur d’événements. Merci à elle pour nous avoir confié son mémoire.

 

 

 

 

Quand les enfants font des livres

Le samedi 16 janvier 2010 a eu lieu à la bibliothèque l’Heure Joyeuse, rue des Prêtres-St-Séverin à Paris, sous l’intitulé Petites empreintes et livres d’art : si les enfants se mettent à faire leurs livres, une passionnante journée d’étude.

     En ouverture, Jean-Claude Utard, adjoint au chef du bureau des bibliothèques et de la lecture à la ville de Paris, explique que cette journée répond aux principes historiques de l’Heure joyeuse, l’accent étant mis sur l’enfant acteur, l’enfant créateur. Elle participe de cette volonté d’assurer une continuité entre praxis et théorie et s’inscrit dans la politique des bibliothèques de la ville. Jean-Claude Utard précise qu’en 2009 des ouvertures de nouvelles bibliothèques ont été réalisées (Chaptal et Quartier de la Réunion) et que le budget pour les acquisitions a été maintenu. Cette rencontre, ajoute-t-il, a longuement muri. C’est le résultat de contacts pris lors du Mai du livre d’art, d’un travail avec Catherine Binon, artiste plasticienne, une suite à l’exposition et aux ateliers de 2009 autour des empreintes, de la gravure et de la fabrication de livres par les enfants.

    Les participants ont ensuite été conviés à entrer dans un moment d’art et de pensée en écoutant, lues par le comédien Greg Germain, les réponses d’Edouard Glissant à des questions comme : comment imaginez-vous une éducation de la différence ? Comment rendre compte de la créolisation ? Pensez-vous qu’un nouvel imaginaire passe par les enfants ? Nous retiendrons qu’il n’y a pas de règle pour cette éducation. La seule orientation est d’inviter à imaginer, à renouveler nos perceptions. Des éléments sont porteurs et déclencheurs d’imaginaire : les cartes, les déserts, les sommets de montagnes, les fleuves navigables ou non. Partons des florilèges sur ces espaces. D’autre part, enseignons les convergences plutôt que les différences. Les enfants sont plus ouverts que les adultes, confondent moins racines et enfermement. Leur imaginaire est inattendu, rebelle. Mais il n’y a pas de révolte incontrôlable, donc sans fruit. Facilitons la relation, l’art de la relation au « tout monde ».

    Emmanuel Pernoud, historien de l’art, parle des mouvements d’avant-garde, de leur production, de leurs apports dans le rapport adulte/enfant. L’art enfantin a nourri l’art moderne et l’enfance devient la substance même de l’art. Pour lui, les représentations de l’enfant dans les arts et dans l’illustration permettent d’établir des parallèles. Livres pour enfants et œuvres d’art se répondent. Le jeu, dans ces deux supports peut être pédagogique mais aussi pure gratuité, associé à la création et même à la transgression. On peut trouver dans les illustrations un idéal d’enfance avec aussi des contre exemples qui s’adressent à l’enfant lecteur. En littérature, le  personnage de Cosinus est à l’image de l’enfant, résistant. L’intervenant s’appuie sur les créations de Maurice Boutet de Monvel, illustrateur de livres pour enfants, sur des œuvres de Bonnard, Promenade des nourrices, de Picasso, de Félix Vallotton. Il rappelle la fantaisie des compositions de Claude Debussy et de Maurice Ravel où l’écart à la règle est dissonance mais aussi jeu.

    Le jeu est source première des artistes. Pablo Picasso peint des jeux avec règles mais utilise aussi des assemblages hybrides, combine des matériaux. L’artiste d’avant-garde est entre le jeu et la création, explore les deux. Le jeu est visible chez Henri Matisse, Kasimir Malevitch, Max Ernst, Otto Dix, Alexander Calder, Philippe Garcia. L’enfance est tenue comme génie brut. Les réalisations de Jean Dubuffet ou du mouvement Cobra ont été comparées à celles des enfants mais ici les représentations des artistes sont feintes. Le dessin d’enfant a intéressé les artistes. Paul Klee avait conservé certains de ses propres dessins d’enfant – dont plusieurs sont intégrés, signés, dans le catalogue de son œuvre – puis ceux de son fils Félix. Matisse, Picasso, Miro, se penchèrent non moins, avec une attention admirative, sur les dessins de leurs enfants ; mais aussi, plus tard, les membres du groupe Cobra (en particulier Karel Appel) et Jean Dubuffet (en 1939/1940 déjà), constituèrent leurs propres collections. Selon Picasso, il ne faut pas imiter l’enfant mais faire comme lui : « Il m’a fallu, dit-il, toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. » Un livre : L’invention du dessin d’enfant en France, à l’aube des avant-gardes d’Emmanuel Pernoud chez Hazan (2003).

    François Ruy Vidal revient sur sa carrière d’enseignant, d’auteur, d’éditeur. Il avait constaté combien l’illustration était descriptive, narrative et, pour lui, il fallait revenir à Gustave Doré, Granville, William Black, Jérôme Bosch, Breughel. Il plaide toujours  pour que l’enfant puisse ne pas être conditionné et privé de prise de conscience. « L’enfant rappelle à l’homme ce qu’il a été ». En tant qu’éditeur, il a aidé les artistes à s’exprimer à l’intention des enfants sans s’expurger. Il va raconter ses ouvrages comme La courte Echelle et Les métamorphoses d’Alala. Il rappelle ses souvenirs et revient sur ses 20 ans, en 1951, sur ses trois fées marraines et marâtres. Françoise Dolto, Christiane Faure, Mathilde Leriche ont, toutes les trois, eu une influence sur son travail – Françoise Dolto ayant aussi « assassiné » son travail.  

    Claude Ponti, auteur-illustrateur, présente le projet Muz et invite à visiter le site (lemuz.org). C’est un musée virtuel qui a reçu l’aide de la région Ile de France, d’éditeurs comme L’Ecole des Loisirs, Gallimard, et qui a de nombreux parrains. On y circule par thème, technique, âge, sexe, origine des artistes, etc. Il se compose d’une collection principale et de collections particulières (pédagogie Freinet, Constellation, collection Germaine Tortel). On y trouve des travaux conduits par l’association La Source. On peut y exposer temporairement des projets. Les enfants du monde ont ainsi l’occasion de communiquer. Ce site est bien dans l’esprit de pédagogues comme Célestin Freinet, Arno Stern, Maria Montessori, qui envisagent l’enfant créateur et non artiste, et dans la volonté d’échanger en utilisant les moyens de communication de son époque.

     Emmanuel Morin, plasticien, nous présente l’abbaye de Fontevraud et les projets artistiques conduits dans ce site prestigieux. Ils ont pour but de faire venir et de faire participer la population locale. Les artistes résidents ou invités montrent à leur manière les lieux. Les œuvres des enfants sont incorporées dans les expositions, conservées parfois dans différents espaces dont les écoles. Un projet a été  conduit autour des écrits de Jacques Le Goff sur le Moyen Age. La série des « cahiers » commencée avec Paul Cox puis continuée avec François Place peuvent être acquis.

     Beaucoup d’humour dans la communication de Roger Dadoun, philosophe et psychanalyste, qui emploie deux expressions qui vont de soi, et pourtant ! Enfant créateur, enfant héritier. L’enfance, la féminité sont liés, elles nous échappent. Comment le peuvent-elles,  alors qu’elles sont si concrètes ? Il y a un refoulement originel. C’est l’homme qui fait ce travail de refoulement en sectorisant, en découpant,  pour surmonter ce refoulement. Mais subsiste une volonté de connaître ce monde de l’enfance qui semble résister. L’enfant est à saisir comme ébauche et comme débauche. Ebauche est une image qui court dans tous les esprits. Lorsqu’il crée sa production est jugée incomplète par rapport à un modèle adulte parachevé. L’enfant pourrait être toutefois perçu comme l’ontogénèse récapitulant, reprenant le développement de l’espèce elle-même comme l’expose la loi de Haeckel. Ce serait une manière d’approcher l’enfant comme autocréateur et de voir dans  ses productions une compétence originaire, une capacité à travers des signes. Pourquoi y-a-t-il refoulement ? L’espèce humaine est une espèce qui ne se supporte pas. L’être humain est « dénaturé » car il ne dispose pas des atouts des autres espèces, en plus il le sait. C’est un « pervers polymorphe ». Il y a eu castration, une schize, une coupure. L’homme ne se supportant pas lui-même projette sur la femme et l’enfant. L’enfant lui est « insupportable » alors qu’il peut être charmant, parce qu’il interroge. C’est une interrogation de l’espèce donc c’est insupportable. L’enfant avenir est porteur d’une contradiction. L’enfant héritier, totalement héritier, n’est plus lui-même, mais il ne peut pas ne pas résister. Alors l’adulte est dérouté. L’enfant vit une étape difficile. Il faut se projeter d’une façon anthropologique et se dire qu’il est notre, semblable. Le mot d’enfant que l’adulte relève c’est la permanence de l’enfance qu’il écoute. Savoir porter l’enfance en soi toute sa vie, c’est porter l’ancien de l’espèce humaine.

     L’après-midi, la création et ses moyens d’expression sont abordés par plusieurs  intervenants, enseignants, plasticiens, illustrateurs. Un lien est fait entre la capacité de dessiner et la capacité d’écrire. Plusieurs définitions de l’enfant artiste se superposent. L’accompagnement est catalyseur de l’expression. Le maître est là pour aider à choisir le langage le mieux adapté à une envie de dire, de communiquer. Chaque personne peut  alors exprimer sa singularité. L’atelier artistique est un lieu de communication, un lieu d’expérimentation pour un travail sur soi et avec les autres.

     Les interventions de cette journée ont témoigné d’une valeur accordée à l’enfance se traduisant particulièrement dans la considération dévolue par les adultes aux productions et expressions des enfants. Elles sont une invitation à poursuivre le voyage en se rendant sur différents sites comme celui de l’abbaye de Fontevraud ou de Muz, en allant voir les livres-maison de la maison d’édition Homecooking, en regardant autour de nous les productions des nombreux lieux associatifs ou institutionnels de pratique(s) artistique(s).

    L’éducation nouvelle a souvent servi de référence, pour montrer comment ses préceptes sont repris. Les interventions nous renvoient aux travaux de Lévy Strauss et à ses propos : « Reste à savoir si c’est l’école qui a tort, ou une société qui perd chaque jour davantage le sens de sa fonction. En posant le problème de l’enfant créateur, nous nous trompons de sujet : car c’est nous-mêmes, devenus consommateurs effrénés, qui nous montrons de moins en moins capables de création. Angoissés par notre carence, nous guettons la venue de l’homme créateur. Et comme nous ne l’apercevons nulle part, nous nous tournons, en désespoir de cause, vers nos enfants. » (in Le regard éloigné, Plon, 1983 ; première publication dans La nouvelle revue des deux mondes en 1975).  art enfantin

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire,  Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement.  Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : plans lecture de la ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF, etc. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation …) Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur « Les enfants terribles dans les albums » dans L’humour dans la littérature de jeunesse paru chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (Université Toulouse II Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint Cloud (Université Paris X). Elle participe, au plan national, à l’activité quotidienne du CRILJ. Elle a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

 

 

 

 

Lire et puis voter

  

 Quand le plaisir de lire est associé à une véritable démarche citoyenne

     Depuis six ans, le CRILJ Bouches du Rhône, dont le siège est à Velaux, organise, dans des établissements scolaires, centres de loisirs, médiathèques et maisons de retraites, le « Prix Chronos » de littérature.

     Ce prix, créé par la Fondation Nationale de Gérontologie, propose aux participants de tous âges de lire des ouvrages ayant pour thème les relations entre générations, la transmission du savoir, le parcours de vie, la vieillesse, la mort et a pour objectif de  primer les meilleurs albums et romans traitant des relations entre générations et d’éduquer à la citoyenneté grâce au vote individuel.

     Dès l’engagement dans ce projet, en 2003, projet alors soutenu par la Direction Départementale de la Jeunesse et des Sports, nous nous sommes efforcés de former, soutenir et même aider financièrement les responsables de structures éducatives de plusieurs villes du département, intéressées : Les Pennes-Mirabeau, la Fare les Oliviers, Vernègues, le Tholonnet, St-Chamas, Vitrolles, Mallemort, le 13 ième arrondissement de Marseille, Berre.

     Cette action a été reconnue par l’obtention du « Prix D’Age en Age », qui récompense les associations qui font participer le plus de lecteurs d’âges différents, prix honorifique dispensé par la Fondation Nationale de Gérontologie.

     A Velaux, voilà cinq ans que nous prenons en charge l’organisation du Prix Chronos pour faire lire et voter les enfants des deux groupes scolaires, certaines classes du collège Roquepertuse, des enfants du centre de loisirs Evea, les jeunes du comité de lecture de la médiathèque et, cette année, des résidents de la maison de retraite, sans compter les adultes qui participent volontiers à cette aventure.

     Tous ces lecteurs se retrouvent le jour du vote, carte d’électeur en main, dans différents bureaux : médiathèque, maison de retraite et même, une année, mairie, tenus par un élu de la commune. A Velaux, la participation amicale des élus sollicités donne à l’évènement un caractère solennel.

     Les enfants se souviennent longtemps après de ce jour où, à tour de rôle, dans le calme et le respect des règles, ils sont passés par l’isoloir, ont mis le bulletin choisi dans l’urne, ont signé la feuille d’émargement et, pour certains, participé au dépouillement. Plusieurs « grands » sont fiers de présenter leur carte d’électeur précieusement conservée d’une année sur l’autre et quelle responsabilité pour ces petits de maternelle qui, cette année, sont arrivés avec la procuration de leur parents pour voter à leur place car, oui, les parents ont le droit de lire aussi et ils ont le droit d’exprimer leur choix !

     Une innovation cette année : la création, à Velaux, d’un prix de poésie, « le Prix Ronsard », demandé par les enseignants du primaire, présenté et organisé selon le même processus que le « Prix Chronos ».

     Ce prix a eu un tel succès et a eu des prolongements si prometteurs (voir l’exposition itinérante réalisée par l’atelier d’art graphique du CASL) que nous nous préparons à renouveler cette action qui permet de sensibiliser à la magie des mots et à l’art de la poésie. 

 

  chronos

Née à Tunis en 1941, Mireille Joly doit à son institutrice de CM2 sa passion pour les lectures partagées. Psychologue scolaire, formatrice en Ecole Normale, directrice de CVL, responsable pendant dix ans d’un organisme de formation, elle est depuis fort longtemps impliquée dans la promotion de la littérature de jeunesse : création de coins-lecture en milieu scolaire et en centres de loisirs, animation de BCD, introduction de la littérature pour la jeunesse dans la formation initiale des animateurs présentant le Bafa et le Bafd, mise en place de stages spécifiques. Adhérente du CRILJ depuis plus de vingt ans, elle est l’actuelle présidente de la section locale des Bouches du Rhône qui, dans le cadre de ses nombreuses activités, apporte un soutien sans faille au Prix Chronos.

 

 

 

 

Photocopillage et googlelisation

Récemment, une jeune institutrice bien intentionnée m’a invité dans sa classe après avoir commencé la lecture d’un de mes romans publié, en poche, chez un petit éditeur. Brandissant un exemplaire sorti de son sac, elle m’a révélé en désignant les feuilles agrafées posées sur chacune des vingt-cinq tables : « J’ai dû le photocopier, nous n’avons aucun budget pour l’achat des livres. »

    Rien d’exceptionnel, ce n’est pas la première fois que je me trouve confronté à ce problème. J’explique à l’enseignante que cette pratique coûteuse (et interdite) contribue à tuer le livre. Coûteuse ? Les écoles ont un budget pour l’achat de papier, de photocopieuses – sans parler de leur maintenance et des toners. Le coût réel de la photocopie d’un roman de 200 pages dépasse largement 4,80 euros … sans compter que l’objet final ressemble bien peu à un livre !

    Comme l’enseignante s’excusait d’avoir minoré mes bénéfices, je lui ai expliqué que je touchais … 0,22 euros par ouvrage. « Ce n’est donc pas si grave, me répondit-elle, je vous ai fait perdre cinq euros cinquante. »

    Hélas, c’est plus compliqué et c’est plus grave. Un ouvrage est rentabilisé par l’éditeur à partir de 2 ou 3 000 exemplaires vendus. Imaginons qu’une centaine d’enseignants fasse acheter à leur classe 25 exemplaires d’un ouvrage. L’éditeur rentre dans ses frais (et je touche 2500 fois 0,22 euros, c’est-à-dire 550 euros à la fin de l’année). Mais si les cent enseignants agissent comme mon institutice, l’éditeur ne vendra que 100 exemplaires dans l’année – ne croyez pas que ce soit si rare, hélas ! – et il devra bientôt mettre la clé sous la porte, outre le fait que je toucherai alors dans l’année 22 euros pour avoir écrit un roman qui m’aura demandé des semaines voire des mois de travail.

    La morale de cet incident en apparence mineur ? Certaines pratiques contribuent à tuer la création et le livre. On pense souvent que les auteurs vivent de l’air du temps, à l’image de cet éditeur (je préfère taire son nom) qui, en 1975, m’a jeté, face à mes prétentions : « Incroyable ! Non seulement je prends le risque financier de vous publier, non seulement vous allez avoir votre nom sur un livre, mais en plus vous voulez être payé ? » Bizarre : les enseignants, les éditeurs et leur personnel sont payés, mais le créateur, lui, devrait travailler gratis. C’est un peu comme si les gérants de supermarché jugeaient normal que les producteurs de tomates ne touchent rien. Après tout, c’est si agréable, le jardinage.

    Dans le même ordre d’idée, Google a mis tout en place pour la numérisation future de tout ce qui a été déjà publié, en France comme ailleurs. Vous doutez ? Eh bien tapez simplement « Google livres » sur votre moteur de recherche, suivi du nom de n’importe quel écrivain vivant, moi si vous voulez, et vous constaterez que ses titres sont déjà tous répertoriés avec éditeur, nombre de page, résumé, extraits. Sympathique, n’est-ce pas ? L’accès futur serait gratuit – et tant pis pour les droits d’auteur – ce serait presque défendable, mais il n’y a que de naïfs internautes utopistes pour le croire. Google n’est pas une société à but non lucratif.

    La vérité est que tout a un coût, même lorsque l’on croit (ou que l’on juge) que ce devrait être gratuit. Que les élèves ne paient pas le livre que l’enseignant souhaite leur faire livre, d’accord. Mais la fabrication de cet ouvrage, de l’écriture à la vente en librairie, a un coût. Décider qui doit payer – la collectivité, l’utilisateur – est un autre débat.

  grenier

Né en 1945 à Paris, Christian Grenier sera professeur de lettres parce que ses parents, acteurs, ne souhaitent pas qu’il suive la même voie qu’eux. Le prix de l’ORTF qu’il obtient en 1972 pour son troisième roman, La Machination publié par GP, l’incite à écrire pour la jeunesse : textes de science-fiction, romans historiques, fantastiques, intimistes, policiers. Il travaille un temps dans l’édition comme lecteur et correcteur, rewriter, journaliste, directeur de collection, scénariste de bandes dessinées et de dessins animés pour la télévision (Les mondes Engloutis, Rahan). Quatre essais à propos de science-fiction dont, en 2003, La Science-fiction à l’usage de ceux qui ne l’aiment pas (Le Sorbier). Cofondateur de la Charte des auteurs et illutrateurs en 1975. Traduit en une quinzaine de langues, rencontrant très souvent ses lecteurs, il vit depuis 1990 dans le Périgord.

Italie che festa !

Forte présence de la littérature pour la jeunesse italienne au récent Salon du Livre et de la Presse Jeunese en Seine-Saint-Denis. Les acteurs du pays invité cette année ont assuré, pendant les six jours de la manifestation, une présence continue : librairie, expositions, ateliers, rencontres, débats, dédicaces, café littéraire, salade de pâtes et tiramisu. Au rendez-vous de 10 heures du lundi 30 novembre participaient Antonio Monace, coordinateur du groupe jeunesse de l’Association des Editeurs Italiens et Hélène Wadowski, présidente du groupe jeunesse du Syndicat National de l’Edition. Fabio Gambaro modérait et Anne Rabany prenait des notes à la volée.

      En Italie comme en France, on constate que les filles lisent plus que les garçons. De 6 à 10 ans on compte 51,8 % de lecteurs et entre 11 et 14 ans 68%. Ces constats peuvent s’expliquer par le fait que la lecture est une activité solitaire qui demande une « collaboration lecteur/auteur ». Par ailleurs l’imaginaire est sans doute une dimension plus féminine. Il n’y a pas de concurrence entre les livres et les jeux. Les lecteurs qui lisent beaucoup jouent et regardent internet. Par contre l’inverse n’est pas vrai.

     En France, les livres d’éveil petite enfance, c’est-à-dire pour les moins de huit ans, permettent d’atteindre 39% du chiffre d’affaire. Le documentaire représente 11% et le roman 50%. Il y a 20 ans un grand lecteur lisait plus de cinquante livres par an. On considère aujourd’hui bon lecteur celui qui lit 20 livres par an. Le nombre de lecteurs a toutefois augmenté. 62% des filles lisent plus d’un livre par an et 58% des garçons lisent un livre par an. Le temps passé à lire a changé. Il y a les journaux, les écrans, les activités d’écriture pour les échanges en ligne.

Les structures publique et les aides

    En Italie, les éditeurs ont, depuis 2009, un « Centre du Livre » et l’état finance l’édition à raison de 1,5 millions d’euros.

    Les bibliothèques scolaires et publiques achètent en France pour 75 millions d’euros, mais pour l’Italie, ce n’est que 15 millions d’euros. La France dispose d’un bon réseau de bibliothèques, de CDI et de BCD.

     Pour le correspondant italien, la lecture est une vertu civile en France mais une vertu domestique en Italie.

Les librairies

      En 1972 s’est ouverte en Italie la première librairie spécialisée et le mouvement s’est accéléré en 1990. Des librairies se sont crées avec souvent une personne venant du monde de l’édition. Il y a des compétences en ce qui concerne le livre, un peu moins en ce qui concerne les lecteurs.

     En France plusieurs réseaux témoignent de l’activité des libraires : le réseau Sorcière, la FNAC, Eveil et Jeux, les librairies Chantelivre, d’autres, plus petites, indépendantes. Dans ces lieux, plus de la moitié du chiffre d’affaire provient de vente de nouveautés, ce qui montre l’importance du  travail militant.

Données sur la situation en Italie et en France

 

Italie

 

France

 

   Chiffre d’affaire : 150 millions.

   Chiffre d’affaire : 320 millions. (selon SNE)

 2000 nouveautés pour 4000 titres annuels.

5000 nouveautés pour 12000 titres annuels. La littérature pour la jeunesse c’est de 11% à 16% de l’édition globale. 205 millions d’exemplaires produits, 90 millions vendus.

Dépense moyenne par enfant en livres : 11 euros par an.

Dépense moyenne  par enfant en livres : 27 euros par an.

   Tirage moyen : 1900 exemplaires.

   Tirage entre 6000 à 8000 exemplaires.

179 maisons dont les 12 plus grandes représentent  la moitié des livres publiés. Les éditeurs possèdent plus de la moitié des 200 librairies.

120 maisons. Beaucoup de très petites publiant un ou deux titres par an.

Les exportation sont en croissance, de 300 à 1000 titres entre 1980 et 2009 1300 titres par an proviennent désormais de l’étranger. L’Italie traduit 100 titres par an venant de France.

Le nombre de traductions dépend du secteur et le roman est le secteur qui comporte le plus de traductions. La France traduit 45 titres par an venant de l’Italie.

   Une spécificité italienne : les illustrateurs.

Le nord de l’Europe est marqué par le roman, c’est très net en Allemagne où l’idée de première lecture a disparu. La France développe une politique d’illustrateurs.

Editeurs « jeunesse » en Italie

     Les grands : Mondadori, Einaudi Ragazzi, Fabbri, De Agostini Ragazzi, Salani, Giunti, Motta juniot. Mondadori, Bompiani, Feltrinelli, Giunti, Salani, Laterza, Rizzoli, Mauri Spagnol prennent plus de deux tiers du marché et sont à la fois éditeurs et distributeurs.

     Ils possèdent plus de la moitié des 2000 librairies.

     D’autres qui ont su s’approprier des espaces créatifs et commerciaux intéressants, dont les plus importantes sont Arka, Art’è, Babalibri, Nord-Sud, Il Castoro, Fatatrac, Editoriale Scienze.

     De plus petits tels que Città Aperta, Edizioni Corsare, e/o, MC, Nuove Edizioni Romane, Orecchio Acerbo, Sinnos, Editions du Dromedaire, Zoolibri. En Italie comme en France les petits éditeurs se multiplient.

    Plus petits encore, indépendants et créatifs : Topipittori, Orecchio Acerbo, Zoolibri, Lapis, Interlogos, Babalibri. 

Les auteurs actuels très diffusés

     Les auteurs italiens se vendent bien et certains illustrateurs sont connus ou, pour se faire connaîtren travaillent à l’étranger. Quelques noms : Elisabetta Dami, Bianca Pitzorno, Andrea Molesini, Domenica Luciani, Emanuela De Ros, Giovanni Rodari, Francesco D’adamo, Angela Nanetti, Beatrice Masini, Luciano Comida

 Foires et prix

     Des librairies motivées, Giannino Stoppani à Bologne, Libri liberi à Florence, Fiaccadori à Parme, organisent le festival Minimondi avec l’association Hamelin.

     Ne pas oublier la Foire de Bologne et les prestigieux « Bologna Ragazzi Award ».

 

innocenti

Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des Bibliothèques Centres Documentaires, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centres de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.