Les voix de la création

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Souffle et performance : les voix de la création

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Plateau lecture est né en 2015 au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, entre deux signatures. Une petite poignée d’illustrateurs, d’illustratrices, auteurs, autrices, qui aimaient porter le livre hors des pages se sont donné rendez-vous sans un sou mais avec passion. L’idée était de nous unir, pour porter plus loin des pratiques et des réflexions qui déjà convergeaient. Nous étions des artistes-auteurs jeunesse, mais aussi, pour certains comédiens, performeurs, plasticiens… Chacun de nous proposait déjà de son coté des lectures protéiformes. Il s’agissait de les mettre en commun pour en faciliter la visibilité, mais aussi et de croiser nos univers pour concocter ensemble des créations « sur un plateau », « à la carte ». .

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    Faire vivre le livre d’une autre façon, donner souffle à nos écrits, nos images, rencontrer de nouveaux artistes, relier les publics, c’est ce qui nous motive. La lecture à voix haute permet de réinventer nos ouvrages, parfois même d’en créer d’autres. Elle est inspirante. Elle interpelle le lecteur ainsi fait spectateur. Cette transdisciplinarité nous permet de partager autrement nos livres et nos sensibilités dans une relation plus directe avec le public et les lecteurs.

Un collectif mouvant

    Plateau lecture n’est pas une agence, mais un collectif mouvant, vivant. Sa gestion, improvisée sur notre temps libre, ne permet pas encore de l’ouvrir à un trop grand nombre d’artistes. Pour l’instant, c’est d’abord une plateforme (plateaulecture.com) qui réunit les 25 créations/performances de ses neuf membres, toutes jouées en salons du livre, festivals, librairies, médiathèques, caves-poésie, théâtres… Petites formes modulables, performances d’arts croisés ou créations proches du spectacle : lectures dessinées, lectures musicales, lectures avec vidéo, lectures immersives dans une exposition… Il y a autant de manières de créer ces formes nouvelles que d’auteurs et d’artistes associés au projet.

    Chaque proposition permet d’inventer comment partager avec originalité le livre ou bien le texte créé pour le spectacle. Plateau lecture aime aussi répondre à des « commandes » inattendues, des créations sur mesure en résonance avec les programmations de manifestations littéraires. La Fête du livre jeunesse de Manosque et Forcalquier nous a ainsi offert une « carte blanche » en 2019, où l’illustratrice Carole Chaix avait réuni des complices du Plateau pour proposer des rencontres en duo, des lectures croisées dessinées, un cabinet de curiosités, une exposition, une fresque participative…

    L’accueil de ces propositions vivantes est excellent et la demande est grande. Plateau lecture permet à toutes les structures intéressées d’identifier ces formes nouvelles, ces lectures, performances ou spectacles de manière simplifiée, car aujourd’hui il est compliqué de connaître l’existence même de ces formes pour ces structures.

Un plateau et du public

    L’engouement depuis quelques années est fort pour la lecture en public. Une lecture live réinvente les rendez-vous littéraires. Elle est facile d’accès, même quand le texte ne l’est pas, elle invite au partage, au débat, élargit les publics et plaît aux plus jeunes (enfants et ados). Les enjeux de notre collectif sont d’accompagner cette demande, d’y répondre suivant nos envies/possibilités.

    Du côté technique, Plateau lecture facilite l’accueil de ces lectures événements en listant les équipements nécessaires : écran, vidéoprojecteur, système de sonorisation, liseuse, caméra, ainsi que les déclarations Sacem ou SACD éventuelles. Ces formes nouvelles rejoignent les exigences techniques du théâtre, mais les auteurs ne sont pas accompagnés de techniciens. L’idéal pour tout le monde est de trouver dans les structures accueillantes du personnel formé pour mettre en place le plateau, caler le son et la lumière, gérer le public, démonter le matériel…

Soutenir le livre hors des pages

    Pour créer une lecture, il faut du temps, un lieu, mêler des artistes de différents horizons et territoires. Cela a un coût. Il va falloir inventer ou adapter des lieux de « création ». Certaines bourses ou résidences de création de lectures « événements » existent déjà, comme celle d’ « Arts et Littérature » de Toulouse Métropole, dont ont bénéficié deux créations du Plateau (Les Bisous Volants par Annie Agopian et Régis Lejonc, et Une fille de… par Jo Witek). Mais ces aides sont encore rares, les multiplier nous permettrait d’approfondir notre travail, de porter encore plus loin ces lectures live.

    Ces nouvelles formes nous invitent tous à repenser les lieux et la place de la littérature. Au-delà des médiathèques qui en sont le cœur, elles peuvent investir musées, théâtres, salles de cinéma indépendant, auditoriums d’établissements scolaires, universités, festivals de musique, d’arts de la rue… Et créer des synergies entre ces lieux.

    Nous partageons ces pistes de réflexion avec les structures régionales pour le livre, les organisateurs de manifestations littéraires. Nous devons trouver de nouveaux réseaux de diffusion et organiser de « petites tournées ». Ces formes hors les pages doivent rayonner sur les territoires. Il est difficile de jouer un spectacle une fois tous les six mois. Multiplier ses représentations sur un même territoire (festivals, réseaux de bibliothèques, communautés de communes…) permettrait d’éviter les one shots. Comme tout spectacle, tout événement culturel, une lecture a un coût : hébergement, transport, paiement des intervenants (Plateau lecture base ses tarifs sur les préconisations du CNL). Une « tournée » permettrait de mutualiser les frais entre les différentes structures d’accueil.

Lire pour partager, rassembler

    Ces lectures créatives sont une nouvelle façon de penser la vie du livre. Elles ouvrent des possibilités de partage plus larges de nos œuvres auprès d’un public qui n’est pas forcément lecteur. Porter le livre sur les plateaux nous rassemble.

    Ces formes permettent de développer des rémunérations complémentaires qui font sens pour nous, autrices et auteurs. La crise sanitaire a et va encore fragiliser nos métiers comme tous ceux de la création et il est évident que sans une politique publique forte pour la médiation du livre, ces nouvelles formes de rendez-vous littéraires auront du mal à survivre, or elles augurent de beaux lendemains pour porter la littérature haut et fort auprès du plus grand nombre. Tout ce temps passé derrière nos écrans à nous rencontrer en virtuel nous a confortés dans l’idée que la rencontre « en vrai » est essentielle. Les lectures « événements » en prennent d’autant plus de sens. Les auteurs et autrices associés aux artistes qui pratiquent ces formes nouvelles et toutes celles, tous ceux qui ont pu y assister et les découvrir sont convaincus de leur nécessité.

    C’est fort de cette conviction que Plateau lecture reste un collectif réactif et engagé pour une lecture partagée pour tous, partout et à voix haute.

par le collectif d’artistes-auteurs Plateau lecture (Annie Agopian, Géraldine Alibeu, Carole Chaix, Guillaume Guéraud, Régis Lejonc, Martin Page, Coline Pierré, Cécile Roumiguière et  Jo Witek) ; texte publié dans le dossier « Faire vivre le livre autrement » du numéro 2 (2020) de la revue Tire-Lignes

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Illustration : Carole Chaix.

Merci à Occitanie Livre & Lecture pour ce partage.

Merci aussi à Cécile Roumiguière pour son entremise.

Le dossier complet « Faire vivre le livre autrement » est .

Walter Crane à Pau

 

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En présentant, du 28 octobre au 17 décembre 2021, l’exposition Walter Crane : de l’album considéré comme un des Beaux-Arts, la bibliothèque de l’Université de Pau et des Pays invitait à découvrir l’univers d’un artiste qui a marqué l’histoire des publications pour la jeunesse.

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    Le propos de l’exposition est de montrer que les livres pour enfants de Walter Crane (1845-1915) s’inscrivent pleinement dans la démarche globale de cet artiste qui est aussi un peintre symboliste ainsi qu’un membre et un théoricien du mouvement Arts & Crafts né en 1860 sous l’impulsion de William Morris avec l’ambition de réformer les arts décoratifs. Dans le sillage de Morris, qui a prôné l’abolition de la hiérarchie entre artistes et artisans, Walter Crane a conçu ses livres pour la jeunesse comme l’espace d’un dialogue entre les pratiques artistiques. Il a ainsi montré que le cloisonnement établi par la tradition académique entre les Beaux-Arts et les arts décoratifs dits « mineurs » n’est pas pertinent.

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    L’exposition est organisée dans deux espaces de la bibliothèque universitaire. La première salle est consacrée aux toy books, c’est-à-dire aux fascicules illustrés, que Walter Crane a publiés entre 1865 et 1876 chez Ward, Lock & Tyler, puis chez George Routledge & Sons. Quatre vitrines, au centre de la pièce, présentent successivement par le biais de fac-similés, de gravures et de documents divers : la « Sixpenny Series », une collection de fascicules dans laquelle les textes sont ajoutés dans les gravures ; « la Shilling Series », une collection en huit volumes, au format in quarto un peu plus grand que celui de la « Sixpenny Series », dont les gravures sur bois réalisées par Edmund Evans sont présentées en pleine page ou en double pleine page ; la réception française des toy books qui, pour certains, sont entrés dans le « Magasin des petits enfants » de la Librairie Hachette tout en suscitant l’admiration d’artistes, de critiques d’art et d’écrivains comme Joris-Karl Huysmans et Colette ; les correspondances entre les motifs des toy books et ceux des papiers peints créés par l’artiste pour les chambre d’enfants. Sur les murs de la première salle, des agrandissements des six gravures d’Aladdin ou la lampe merveilleuse, un volume de la « Shilling Series » édité en 1875, montrent combien les gravures de l’artiste sont, dans les années 1870, marquées par l’influence des estampes japonaises. Ces toiles accrochées à des cimaises font aussi écho au commentaire de Huysmans présenté dans la troisième vitrine dans lequel l’auteur d’À Rebours juge que « maintes et maintes pages » des livres de Walter Crane « mériteraient plus un cadre » que les tableaux exposés au Salon officiel dans lesquels, selon lui, « le peintre néglige toute composition et semble seulement dessiner une anecdote pour un journal à images ».

    La seconde salle est consacrée aux trois livres carrés conçus et édités entre 1877 et 1887. Quand il réalise les toy books, Walter Crane s’inscrit dans un cadre où le format, le nombre de pages et d’images ont été déterminés à l’avance par l’éditeur. En 1876, il cesse de produire ce type de livre faute d’avoir trouvé un accord financier avec Routledge. Il veut être payé en droits d’auteur. L’éditeur refuse de le rémunérer autrement qu’au forfait. A Apple Pie, qui aurait dû constituer le trentième titre de la « Sixpenny Series », n’a finalement jamais été publié. The Baby’s Opera, paru en 1877, inaugure un nouveau type de collaboration entre Routledge, Walter Crane et Edmund Evans. Ceux-ci livrent désormais à l’éditeur un ouvrage qu’ils ont entièrement conçu dans un format carré alors inédit qu’ils reprendront en 1878 avec The Baby’s Bouquet puis, en 1887, avec The Baby’s Own Aesop. Deux vitrines exposent ces trois ouvrages ou leurs gravures tandis que la présentation filmée « The Baby’s Opera : la naissance de l’album moderne » écrite et réalisée par François Fièvre et mise en voix par Charlotte Michaux analyse en détail le premier des trois livres carrés conçus par Walter Crane. 

par Isabelle Guillaume – novembre 2021

 

  

BIBLIOGRAPHIE

. Florence Alibert, Cathédrales de poche. William Morris et l’art du livre, La Fresnaie-Faye, Otrante, 2018

. Isabelle Dubois-Brinkmann, Au royaume des petits princes. Le papier peint pour chambre d’enfant, Rixheim, Musée du Papier peint, 2012

. François Fièvre,  » L’œuvre de Walter Crane, Kate Greenaway et Randolph Caldecott, une piste pour une définition de l’album « , dans Strenæ, n° 3, 2012 (publication en ligne)

. François Fièvre, Le conte et l’image. L’Illustration des contes de Grimm en Angleterre au XIXe siècle, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 2013

. Rodney K. Engen, Walter Crane as a Book Illustrator, Londres, Academy Editions, 1975

. Joris-Karl Huysmans, L’Art moderne, Paris, Charpentier, 1883.

. Morna O’Neill, Walter Crane. The Arts and Crafts, Painting, and Politics, New Haven, Yale University Press, 2011

. Isobel Spencer, Walter Crane, Londres, Studio Vista, 1975

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Isabelle Guillaume est Maître de conférences à l’université de Pau et des Pays de l’Adour où elle enseigne la littérature pour la jeunesse. Elle est titulaire d’un doctorat de littérature comparée obtenu, en 1999, à l’Université Paris III. Son dossier d’habilitation à diriger des recherches présenté à l’Université d’Artois portait le titre « Recherches sur le social et l’imaginaire dans la littérature générale et les livres pour la jeunesse (XIXe-XXIe siècles) ». Elle a rédigé vingt-quatre notices pour le Dictionnaire du livre de jeunesse : la littérature d’enfance et de jeunesse en France (Cercle de la librairie, 2013) dont celles concernant les romans du quotidien et les romans scouts, Charles Dickens, Robert Louis Stevenson, Boris Moissard, Florence Seyvos, Paule du Bouchet et Bernadette Després. Parmi ces nombreux articles, citons « Les visages d’Aladdin dans la littérature de jeunesse du tournant du dix-neuvième siècle » (Cahiers Robinson, Presses de l’université d’Artois, 2006) et « Un tueur de lions pour livres d’enfants : les chasses algériennes de Jules Gérard dans l’édition pour la jeunesse de 1870 à 1914 » (Revue des livres pour enfants, BnF-CNLJ, 2016). Isabelle Guillaume a coordonné, en collaboration avec Guy Belzane, le numéro 1089 de la revue Textes et documents pour la classe (TDC) titré « La littérature jeunesse aujourd’hui » (Canopé-CNDP, 2015).

 

Photo 1 : Delphine Sinic. Photos 2 et 3 : Mathilde Esperce

 

La Fontaine et Corentin

 

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Du vendredi 24 septembre au samedi 27 novembre 2021, le Centre André François de Margny-lez-Compiègne (Oise) présentait une exposition titrée Maître Corbeau : l’illustration des Fables de La Fontaine. À cette occasion, il avait invité Yvanne Chenouf qui, le mercredi 6 octobre, s’est permis quelques rapprochements stimulants entre le fabuliste et l’auteur-illustrateur Philippe Corentin.

   

En chemins avec La Fontaine et Philippe Corentin

    C’est assez tardivement que ces deux-là sont entrés dans l’écriture pour la jeunesse (1). La Fontaine a d’abord été tenté par la religion avant de se consacrer à des études de Droit et de reprendre une charge héritée de son père et de son grand-père, dans l’administration des Eaux et Forêts. S’étant essayé à des écritures diverses (pièces de théâtre, épîtres, poèmes…), il est repéré par le surintendant Fouquet dont il devient le  « chroniqueur » et l’ami, au château de Vaux-le-Vicomte. Quand son mécène est accusé de malversation, il lui conserve son soutien ce qui lui vaut l’exil de la Cour. Il continue d’écrire, compose des contes puis des fables au moment où le dauphin, âgé de 7 ans, passe du giron des femmes à la gouverne des hommes. Philippe Corentin a d’abord été dessinateur, dans la publicité et dans la presse.  Dès 1968, il a publié dans L’Enragé, dans Elle, L’Expansion, Le Jardin des modes, Lui, Marie-Claire, Playboy, Vogue… Il a aussi conçu des affiches, illustré des guides (2) et des romans (chez Hatier, Gallimard). Contemporain des mouvements d’une époque aussi créative que contestataire, il en a croqué les crises politiques (guerres d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam…) et socio-économiques (Trente Glorieuses, baby-boom, industrialisation, urbanisation, exode rural, émancipation des femmes, révoltes des étudiants, nouveau statut de l’enfant…). Puis, il a suivi son frère, Alain Le Saux, dans la littérature de jeunesse. Après un livre en commun (3), il a fait cavalier seul, illustré un conte (4) et des romans (5)  avant de s’acquitter lui-même du texte et des images dans l’album. (6)

    Si La Fontaine et Corentin ont tiré leur inspiration d’un contact régulier avec la nature (7) (l’un dans sa fonction de Maître des Eaux et Forêts, l’autre dans la campagne où il vit (8)), leurs sources littéraires varient sans se contrarier. Pour La Fontaine, elles remontent à l’Antiquité (Ésope, Phèdre…), au Roman de Renart, à la culture orientale (Pancatantra), pour Corentin, l’éventail s’élargit avec les siècles. S’inspirant lui aussi du Roman de Renart (et des illustrations de Benjamin Rabier), il revisite les contes (Perrault, Grimm), puise dans sa passion pour les bandes dessinées et les dessins animés de sa jeunesse (Pif, Roudoudou et Riquiqui, Totoche, Walt Disney, Tex Avery, etc.), sans oublier les fables de La Fontaine, devenues pièces maîtresses de la culture enfantine, de la culture tout court. Si ces deux œuvres sont abondamment illustrées, c’est par de nombreux artistes pour le premier quand le second s’illustre lui-même ou plutôt écrit comme il dessine et inversement.

Bestiaires

    A l’époque de La Fontaine, comme à celle de Corentin, l’animal est au cœur des questions de société : au XVIIème siècle, on épiloguait sur le classement des espèces, la frontière entre l’animalité et l’humanité, au XXème et au XXIème siècles, le refus d’exploiter les animaux conduit à réclamer, pour eux, un statut juridique. La taille restreinte et la familiarité des espèces choisies rend le corpus facilement identifiable par des enfants qui reconnaissent là, l’animal domestique, là, les spécimens du zoo ou du cirque, là, le héros d’un livre ou d’un film. Formés à l’anthropomorphisme par les proverbes, les chansons, les récits, les images, les enfants savent que le lion, roi des animaux, est orgueilleux et autoritaire, que le renard, rusé, est insaisissable, que le corbeau est bavard et stupide, que le loup, cruel, peut être idiot, etc. La Fontaine et Corentin ont cependant glissé un peu de jeu dans cette typologie, l’un en montrant qu’il pouvait y avoir de la solidarité entre un faible et un fort (Le lion et le rat), entre deux faibles (La colombe et la fourmi), l’autre en adoubant les utopistes (L’Afrique de Zigomar, Le Chien qui voulait être chat). Si, par des articles définis (le corbeau, le renard, la cigale, la fourmi, etc.) La Fontaine souligne le caractère archétypal de ses personnages, Philippe Corentin les dote d’un prénom (Biplan le moucheron) ou d’un trait de caractère (Pipioli la terreur), ce qui les singularise sans mépris pour la tradition : L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau est la reprise de l’histoire du chasseur, du loup, de la chèvre et du chou, antique énigme mathématique, quelque peu chamboulée.

Corpus (9)

    Pour le quatrième centenaire de La Fontaine, Arte a diffusé un documentaire (10) qui débutait par le listage des animaux, comme un casting dans le générique d’un grand film : 18 lions, 19 renards, 1 tigre, 14 loups, 12 chats, 1 héron, 9 singes, 5 coqs, 4 belettes, 1 éléphant, 1 hirondelle, 5 aigles, 1 milan, 1 vautour, 5 mouches, 4 serpents, 1 hibou, 1 faucon, 2 pigeons, 3 tortues, etc. La liste est tout aussi fascinante chez Corentin : huit albums avec loup (11), chien (12) et lapins (13), sept avec souris, souriceaux (14) et cochon (15), six avec chat (16), cinq avec crocodile (17), quatre avec grenouille (18), deux avec merle (19), mouches et moucherons (20), un avec fourmi et chauve-souris (21) sans oublier, les figurants (araignée, cheval, hippopotame, poule, veau, vache, renard, etc.). Composé d’une faune rurale, de spectre légendaire (loup), de créatures (ogres, monstres) ou de visions exotiques (crocodile, hippopotame), le bestiaire de Corentin s’inspire de romans que La Fontaine ne pouvait connaître : il y puise l’humour et la tendresse d’un Jules Renard (Histoires naturelles), d’un Maurice Genevoix (Bestiaire enchanté, Tendre bestiaire), d’un Marcel Aymé (Contes bleus du chat perché, Contes rouges du chat perché), d’une Colette (Dialogues de bêtes) ou d’un Benjamin Rabier (22). L’animal de notre époque n’est plus considéré comme le double ou l’envers de l’humain mais comme un proche, un prochain : « L’idée selon laquelle on est l’un ou l’autre se dissout au profit de celle selon laquelle on peut être l’un et l’autre ou l’un par l’autre. » (23)

    Corentin n’a pas parodié les fables de son ancêtre une à une, il en a saupoudré ses récits par citations, variations, détournements. Dans les deux bestiaires les animaux sont confrontés à la nécessité de survivre en luttant ou en rusant avec un tel naturel que l’existence apparaît sous son meilleur jour : joliment perdue d’avance.

On a toujours besoin d’un plus petit que soi

    Dans Le lion et le rat, le roi des animaux est libéré par un mulot auquel il avait, jadis, laissé la vie sauve. Dans La colombe et la fourmi, l’insecte, tirée de la noyade par « l’oiseau de Vénus« , lui rend la pareille, pique l’archer au talon et détourne sa flèche (24). Chez Corentin, la réciprocité (entre fort et faible ou entre égaux) n’est jamais gagnée : elle se monnaye ! Flatté par les dessins de souris de monsieur Corentin, Pipioli décide d’ « aller voir« . (« Si on allait voir... » (25)). Oubliant la leçon de son ancêtre (« Garde-toi de juger les gens sur la mine. » (26)), il trouve l’illustrateur d’abord bon bougre (« Il n’a pas l’air méchantIl a l’air gentil… »). Mais « pris au dépourvu », le voilà capturé puis gracié : il se retrouve arpète et modèle dans l’atelier et obtient, en contrepartie, le droit de manger les livres de la bibliothèque (« On a discuté« , dit-il). Toutes les aventures souriquoises ne finissent pas aussi bien. Souvent, on en revient « gros Jean comme devant » (27), plus « confus » qu’ « honteux » (n’ayant pas vu l’Afrique, Pipioli en garde pourtant un bon souvenir : « Pas maL »).

    Chez Corentin, seul l’ogre possède une force absolue mais ce n’est pas un animal (ou alors un drôle d’animal). Toutes les bêtes alentour n’ont plus qu’à s’unir pour sauver leur peau. Dans L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, par exemple, un ogre traverse le fleuve avec des proies avides de s’entredévorer. Il pense avoir réussi lorsque des crocodiles et un hippopotame le font soudainement chavirer sous les moqueries générales. « Il faut s’entraider, c’est la loi de la nature » (28), telle est la leçon des conjurés du fleuve, inaccessible aux proies qui, elles, ont préféré se chamailler, oubliant que…

… La raison du plus fort est toujours la meilleure

    Le loup, qui incarne cet adage chez La Fontaine, est rarement gagnant chez Corentin. Dans L’Ogrionne, un ogre rafle tout le gibier et contraint tout un clan au régime carotte :

« Jupin pour chaque état mit deux tables au monde.

L’adroit, le vigilant et le fort sont assis

A la première ; et les petits

Mangent les restes à la seconde. » (29)

    Ils sont plusieurs chez Corentin à avoir le sentiment d’être assis à la seconde table et à réclamer justice : « Pourquoi Ginette part-elle en Afrique et pas nous ?, « Si un lapin vole, pourquoi une souris ne volerait-elle pas ? », « Pourquoi on n’en mange jamais… des petites filles ? » (30). Telle la tortue, les souriceaux sont las « de leur trou » et, voulant « voir le pays », font grand cas « d’une terre étrangère » (31). Pipioli, sédentaire et aptère, veut migrer en Afrique, le crocodile veut goûter aux petites filles et les mouches s’étourdir de gloire. Désirs extravagants certes, mais sans eux, y aurait-il matière à fables ?

    Les loups de Corentin ne sont que ventres affamés. Pour une bouchée, pour une gorgée, ils sont prêts à tout gober. Chez La Fontaine, le loup n’est pas toujours le plus fort, il lui arrive d’être dupé. Un renard succombe au mirage du puits (« l’orbiculaire image lui parut un fromage ») et comme « Deux seaux alternativement/Puisaient le liquide élément », il en prend un et chute :

« Comment remonter, si quelque autre affamé,

De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tirait d’affaire. » ?

    Un loup passe par là, saisit l’autre seau et de « son poids, emportant l’autre part, Reguinde en haut maître renard. » (32). Corentin reprend l’affaire à son conte. Dans Plouf !, le loup chute puis remonte au moyen du cochon lequel revient à la surface grâce aux lapins qui regagnent l’air libre en se faisant la courte échelle comme dans Le renard et le bouc (33). Oublieux du piège par lui-même initié, le loup revient et rechute. Par un jeu à trois bandes, Corentin rend la partie plus excitante. Pour s’en sortir, la force physique n’est plus de mise : mieux vaut savoir embobiner les autres avec ce qu’ils veulent entendre. Le loup a beaucoup trop faim pour conserver cette lucidité jusqu’au bout.

    Seul le chien, chez Corentin, arrache de force la victoire. Dans Machin Chouette, recueilli par des humains, il guigne le « fauteuil vert du salo », privilège du chat. Estimant le rapport de force inégal, le chat essaie de ruser, tente le mépris (l’imbécile), la flatterie (« C’est toi qui es bon à tout et moi bon à rien. »), le raisonnement (« Tu peux comprendre ça… ») puis se résout à l’affrontement (« C’est donc moi qui dors dans le fauteuil vert du salon…« ). Nenni ! Le chien le déloge « sans autre forme de procès ». Comment a débuté cette formidable querelle ? « Sur un rien » comme c’est le cas « plus des trois quarts du temps » (34), répond La Fontaine. Effectivement, dans Machin Chouette, c’est une histoire de sel qui a réveillé l’animosité du chat et du chien face à deux souris, deux convives, que le bruit a fait fuir comme rat des villes et rat des champs interrompus dans leur festin (« quelqu’un troubla la fête » (35)) . Les bris de fables s’insèrent dans les albums comme pierreries dans un kaléidoscope : la nouvelle forme n’éclipse pas l’ancienne mais dit le lien pérenne entre changement et permanence, création et imitation.

Si Dieu m’avait fait naître/Propre à tirer marrons du feu,/Certes marrons verraient beau jeu. 

    Pour garder son fauteuil, le chat de Machin Chouette a d’abord plaidé « le droit et l’usage » (36) (« Le chat, ça va bientôt faire cinq ans que je fais ça. ») mais le chien n’a que faire de « la loi du premier occupant ». Débouté, le chat a alors songé rouler le chien en le flattant mais il est loin d’avoir le talent du renard. Ni « ramage », ni « plumage », ni « Phénix » mais tout bêtement : « Oh ! qu’il est beau le chien ! ». Sa ruse, en plus d’être bâclée, est plombée d’ironie dédaigneuse. En mimant les hautes fonctions de son adversaire pour l’endormir (chien de police, de traîneau, de troupeau, de chasse), il les dénigre : la pièce à conviction du détective est une crotte de chien, le musher est un pataud, le patou se fait charger par un bélier et la cible du chasseur est le chien en personne. Le matou feint alors la (fausse) modestie : « Si je savais un tant soit peu aboyer et montrer les dents, je n’hésiterais pas une seconde à faire le chien de garde ». Revient, sous ces mots, le marché de dupes entre le singe Bertrand (37) invitant le chat Raton à retirer les marrons du feu à sa place en le flattant : « Si Dieu m’avait fait naître/Propre à tirer marrons du feu,/Certes marrons verraient beau jeu » . Mais le chat de Corentin, comme presque tous ces personnages, échoue faute de posséder la qualité distinctive du dupeur : la distance.

    Même problème chez le loup qui confond malice et tartufferie. Dans Le Roi et le roi, il se déguise en carotte pour attraper des lapins qu’un crocodile fait détaler. Furieux, le loup s’en prend à l’amphibien qui servait de refuge à un escargot contre les étourneaux (ce n’était qu’une peau morte, une peau de crocodile). « Tel est pris qui croyait prendre » (38) ? L’affaire n’est pas tout à fait close. Découvrant qu’ils portent tous deux une couronne, le loup et l’escargot décident de la jouer à la course dans une nouvelle version de la fable Le lièvre et la tortue (39). Le loup part vite, court à tout rompre, nage, saute, ne se repose jamais (contrairement au lièvre). Il arrive pourtant le dernier, précédé par l’escargot qui avait pris la précaution de se camoufler dans les poils de sa queue. Corentin tire des fables des fondus enchaînés vertigineux : il ne condamne pas la paresse ni n’encense la vertu, il dit le pouvoir de la duplicité quand il y a crédulité. Le loup quitte la course, vaguement désabusé mais pas blasé (« Je ne veux pas rater ça.« ). Bien faire et laisser dire (40), accepter le poids des ans sans en perdre la grâce.

    Il est enfin des ruses aimables destinées à faire plaisir. Dans Patatras !, un louveteau est en pleine dépression : « Personne ne l’aime. On se moque de lui, on lui fait des farces... » Les lapins ne sont pas les derniers à le berner : ayant mis une carotte sur son chemin, ils le font dégringoler dans leurs « souterrains séjours« . Là, étonné de voir le gîte désert (« Où sont-ils ? C’est l’heure du déjeuner. Ils devraient tous être à table. »), le loup installe ses « pénates » (41) éclaire la lumière, prend un bain. Tout ce temps, les lapins, qui ne sont pas allés  » faire à l’Aurore [leur] cour, Parmi le thym et la rosée », l’entraînent à son insu dans un anniversaire-surprise renversant :

« Qu’un ami véritable est une douce chose !

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ; 

Il vous épargne la pudeur

De les lui découvrir vous-même. » (42)

    Si tambour et trompette sont de la fête, c’est pour célébrer le succès (enfin) gagné contre l’adversité.

Adieu veaux, vaches, cochons, couvée ?

    Les personnages de Corentin ressemblent à la grenouille de La Fontaine. Ils se bombent et éclatent, « marris » mais jamais vaincus. Le chien de chasse, fatigué de servir, veut être indépendant comme le chat (43) mais, tel ce corbeau que des bergers avaient encagé pour « servir d’amusette » (44) aux enfants, il finit en poisson rouge dans un aquarium, face à des lapereaux ébahis. Qu’importe ! Tous les petits héros de Corentin continuent à vouloir bâtir des châteaux en Espagne, à « détrôner le Sophi » : tout souriceau veut voler, toute mouche aspire à la grandeur, tout louveteau rêve de la puissance perdue de ses ancêtres. Aucun ne veut écouter les leçons des aînés, chacun veut en faire à sa tête, tête à claques le plus souvent ! L’auteur les soutient ardemment avec un slogan comme art de vivre : foutre le camp et s’en foutre. Si chez La Fontaine, l’hirondelle échoue à raisonner les petits oiseaux (« Demeurez au logis… vous n’êtes pas en état/De passer comme nous les déserts et les ondes/Ni d’aller chercher d’autres mondes. » (45)), celle de L’Afrique de Zigomar prend le soin d’informer Pipioli sur les qualités et les défauts des oiseaux migrateurs mais ne le dissuade pas de partir, de quitter les vies fades, de partir en quête de desserts (Tête à claques). Quand La Fontaine cherche à « faire passer le précepte avec le conte » sans démontrer, tout simplement, Corentin choisit la force de la simplification. Il déroule ses gags de mieux en pire et, sous chaque pique, chaque trait, sème la révolte. Au travail et à la peine du laboureur, il propose aux enfants de trouver l’unique trésor : la liberté.

Conclure en revenant au début

    Les deux œuvres s’ouvrent avec un animal plutôt ingrat : d’une part, une fourmi laborieuse et stricte opposée à une cigale frivole (La cigale et la fourmi), d’autre part, une chauve-souris volante étrangement cousine avec des souriceaux rampants (Mademoiselle Tout à l’envers).

    La fourmi de La Fontaine, peu prêteuse (c’est là son moindre défaut), dénie toute qualité à la cigale (qui a pourtant chanté tout l’été) et la laisse à son triste sort (Et bien dansez maintenant !). Chez Corentin, la fourmi est une reine, ailée comme une cigale. Elle n’est pas face à une chanteuse mais à un enchanteur : le Père Noël (46). Le mythe bat cependant de l’aile, poussé dans les bas-fonds par la modernité (plus de cheminée, trop d’antennes sur les toits). Toujours pas prêteuse, l’insecte lui loue ses galeries à un tarif exorbitant : « Deux tonnes de miel et huit cents pots de confitures de fraises ». Elle ne l’encourage pas à l’épargne mais à la retenue : qu’il abandonne son « plumail« , son « superbe équipage » et, hors des néons du commerce, qu’il retourne à son mystère, à sa nuit de silence, creuset d’imaginaire. Le Père Noël rejoint donc le ciel dans son traîneau, aussi minus et indestructible qu’une fourmi :

« Les petits, en toute affaire

Esquivent fort aisément ;

Les grands ne peuvent le faire. » (47)

    La chauve-souris n’est pas aimée. Par deux fois, celle de La Fontaine s’est jetée dans un nid de belette (48).  D’abord prise pour un rat puis, pour un oiseau, elle s’en est sortie en se dénaturant :

« Moi souris ! Je suis oiseau voyez mes ailes. »

« Qui fait l’Oiseau ? c’est le plumage. Je suis Souris ; vivent les rats. »

    Corentin remplace l’hypocrisie par l’affirmation de soi. Sa chauve-souris ne cache pas ses différences, elle les revendique, exige de dormir à l’envers, réclame un régime insectivore et vit la nuit. Ce sans-gêne choque les souriceaux qui médisent sur ses ailes (affreuses) et critiquent ses poils (elle n’est pas chauve) mais quelque chose pourtant les fascine : elle vole ! Comme dans La tortue et les deux canards, le vol se scratche. Chez La Fontaine, la tortue qui affichait « imprudence, babil, et sotte vanité », crève. Chez Corentin, les apprentis voyageurs penseront à se munir de parachutes car il y aura une prochaine fois. Rien, ni le pouvoir des autres, ni celui des contingences ne peut entraver la liberté d’être et de rêver, d’atteindre les étoiles.

Images

    Nombreuses illustrations de La Fontaine sont réinterprétées par Corentin qui affirme ainsi la filiation. Il y a, dans Zigomar n’aime pas les légumes, interversion de l’oiseau noir au sol et du souriceau « sur un arbre perché« , hommage décalé au corbeau et au renard (celui qui est à terre encourage celui qui est sur la branche), il y a les cigognes de L’Afrique de Zigomar qui ont des flûtes à champagne, à table, rappel des invitations réciproquement embarrassantes des deux faux-amis dans Le renard et la cigogne (49) , il y a ces deux souris dînant sur la table des humains dans Machin chouette comme Le rat des villes et le rat des champs, il y a la course du loup contre l’escargot (autre animal à porter sa maison sur le dos) qui relaie Le lièvre et la tortue, le loup tombant dans le puits comme dans Le loup et le renard, les lapins essayant de remonter en se faisant la courte échelle comme dans Le renard et le bouc. Mais surtout, il y la nature et toute cette eau qui coule d’une œuvre à l’autre. Le ruisseau où choit la chauve-souris avec les souriceaux est-il celui où l’agneau se désaltérait ? La rivière de L’Arbre en bois donne l’image « d’un sommeil doux, paisible et tranquille » avant d’être polluée : l’époque a changé et les nouveaux bestiaires ne peuvent masquer les menaces que les humains font peser sur les espèces vivantes. Dans L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, l’onde est d’abord limpide ( Point de bords escarpés, un sable pur et net« ) mais elle se fait « onde noire« , offrant « un séjour ténébreux » (50) à l’ogre chasseur. A ces eaux rurales, Corentin ajoute les eaux urbaines, celles des canalisations (Le Père Noël et les fourmis) et des baignoires (Patatras !, N’oublie pas de te laver les dents !) et celle du verre d’eau qui sert de piscine au moucheron (Biplan le rabat-joie). Mais pour entrer dans l’appartement de la petite fille qu’il souhaite dévorer, le petit crocodile se déplace entouré de l’eau de son marigot originel, peut-être ce liquide amniotique dont nous venons tous, humains, animaux, arbres et fleurs.

    La Fontaine et Corentin croquent des portraits avec une rapidité non exempte de précision. Si le premier, en observateur, évalue l’état du monde et les places à y tenir, le second, sans Cour et sans mécène, cultive les voix singulières. Il tonitrue et s’enchante, se désole et s’exalte, faisant rire « par le haut » et parlant à « voix basse » de l’essentiel : le temps, limité, ne prend sa valeur que partagé autour de soi, avec ce qui vit, palpite et se bat. L’essentiel, aux pires moments, c’est d’avoir toujours « un petit peu faim » (51).

par Yvanne Chenouf – septembre 2021.

 

NOTES

(1)  « Vous êtes à un âge où l’amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppe à des vérités importantes.« , préface aux Fables (A monseigneur le dauphin).

(2) Affiche de l’exposition Cité Ciné à La Villette, dans les années 1980, Guide SAS, Gérard de Villiers, Hachette, 1989

(3) Totor et Lili chez les moucheurs de nez, Alain Le Saux, Philippe Corentin, Rivages, 1982

(4) Conte n° 3 pour enfants de moins de trois ans, Texte de Eugène Ionesco, Jean-Pierre Delarge, 1976

(5) Ah ! Si j’étais un monstre, Marie-Raymond Farré, Hachette, 1979 ; 365 devinettes énigmes et menteries, Muriel Bloch, Hatier, 1990

(6) Hachette Le Loup blanc, 1980, Les Avatars d’un chercheur de querelle, 1981, Pie, thon et python, 1988), Rivages (C’est à quel sujet ?, 1984, Papa n’a pas le temps, 1986, Nom d’un chien, Porc de pêche et autres noms de bêtes, 1985)

(7) « On tient toujours du lieu dont on vient », écrit La Fontaine dans La Souris métamorphosée en fille (Livre IX).

(8) Dans son livret autobiographique (L’école des loisirs, p. 10), Philippe Corentin, en jardinier, décrit son amour de la nature par antiphrase :  » Philippe Corentin n’aime pas la campagne. Il n’y aime pas les arbres. Il y en a trop. Ils dénaturent le paysage, cachent la forêt et mettent des feuilles partout... « 

(9) Le corpus choisi ici pour Corentin concerne sa production à l’école des loisirs, hormis Papa, maman, ma sœur et moi.

(10) « La Fontaine, l’homme qui aimait les fables », Pascale Bouhénic, 2020

(11) L’Ogrionne, Plouf !,Le Roi et le roi, Patatras !, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Tête à claques, ZZZZ… zzzz….

(12) Le Chien qui voulait être chat, Machin Chouette, Les Deux goinfres, L’Arbre en bois, N’oublie pas de te laver les dents !, Le Père Noël et les fourmis, Mademoiselle Sauve-qui-peut, ZZZZ… zzzz….

(13) Le Chien qui voulait être chat, Plouf !,Patatras !, Tête à claques, Le Roi et le roi, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois, Zigomar n’aime pas les légumes, Machin Chouette 

(14) Mademoiselle Tout à l’envers, Le Père Noël et les fourmis, L’Afrique de Zigomar, Pipioli la terreur, Zigomar n’aime pas les légumes, Mademoiselle Sauve-qui-peut, Machin chouette

(15) Plouf !,Tête à claques, Le Roi et le roi, Le Chien qui voulait être chat, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois, Machin Chouette

 (16) Le Chien qui voulait être chat, Machin Chouette, Le Père Noël et les fourmis, Mademoiselle Sauve-qui-peut, ZZZZ… zzzz…., N’oublie pas de te laver les dents !

(17) N’oublie pas de te laver les dents !, L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau,  L’Afrique de Zigomar, Le Roi et le roi, L’Arbre en bois

(18) Biplan le rabat-joie, Plouf !, Mademoiselle Sauve-qui-peut, L’Arbre en bois,L’Afrique de Zigomar

(19) L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, Le Chien qui voulait être chat

 (20) Le poisson dans Le Chien qui voulait être chat et L’Arbre en bois, les mouches et les moustiques dans Biplan le Rabat-joie, les mouches et autres coléoptères dans ZZZZ… zzzz….

(21) Le Père Noël et les fourmis (1989), Mademoiselle Tout à l’envers (1988)

(22) Illustrateur aux éditions Taillandier des Fables, de La Fontaine (2003) et du Roman de Renart (2016)

(23) Bestiaire du roman contemporain d’expression française, Introduction, Lucile Desblache, Presses Universitaires Blaise Pascal, Centre de Recherches sur les Littératures Modernes et Contemporaines, 2002, pp. 11-12

(24) Le lion et le rat, La colombe et la fourmi (Fables 11 et 12, Livre II)

(25) Pipioli la terreur

(26) Le Cochet, le Chat et le Souriceau (Fable 5, Livre VI)

(27) Le corbeau et le renard (Fable 2, Livre I) puis La laitière et le pot au lait (Fable 9, livre VII)

(28) L’âne et le chien (Fable 17, Livre VIII)

(29) L’araignée et l’hirondelle (Fable 6, Livre X)

(30) Respectivement L’Afrique de Zigomar, Zigomar n’aime pas les légumes, N’oublie pas de te laver les dents !

(31) La tortue et les deux canards (Fable 2, Livre X)

(32) Le loup et le renard, Fable 6, Livre XI

(33) Fable 5, Livre III

(34) La querelle des chiens et des chats et celle des chats et des souris, Fable 8, Livre XII

(35) Le rat des villes et le rat des champs (Fable 9, Livre I)

(36) Le corbeau et le renard (Fable 2, Livre I) puis Le chat, la belette et le petit lapin (Fable 15, Livre VII)

(37) Fable 10, Livre I, Fable 2, Livre I, Fable 17, Livre IX

(38) Le rat et l’huître (Fable 9, Livre VIII)

(39) Fable 6, Livre X

(40) L’avantage de la science (Fable 19, Livre VIII)

(41) Le chat, la belette et le petit lapin (déjà cité)

(42) Les deux amis, Fable 11, Livre VIII

(43) Le chien qui voulait être chat, 1989

(44) Le corbeau voulant imiter l’aigle (Fable 16, Livre VI)

(45) L’hirondelle et les petits oiseaux (Fable 8, Livre I)

(46) Le Père Noël et les fourmis, L’école des loisirs, 1989

(47) Le combat des rats et des belettes,

(48) La chauve-souris et les deux belettes (Fable 5, Livre II)

(49) Fable 48, Livre 1

(50) Les citations sont issues de : Le torrent et la rivière, Livre 8, Fable XXIII

(51) Les Deux goinfres

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Yvanne Chenouf, enseignante et chercheuse, a travaillé à l’Institut national de la recherche pédagogique dans l’équipe de Jean Foucambert ; elle fut présidente de l’Association française pour la lecture (AFL) ; conférencière infatigable, adepte des « lectures expertes », elle a publié de nombreux articles et ouvrages personnels et collectifs à propos de lecture et de livres pour la jeunesse dont Lire Claude Ponti encore et encore (Etre, 2006), et Aux petits enfants les grands livres (AFL, 2007) ; elle est à l’origine d’une collection de films réalisés par Jean-Christophe Ribot qui donnent à voir des élèves de tout niveau aux prises avec des ouvrages signés Rascal et Stéphane Girel, François Place, Claude Ponti, Philippe Corentin, Jacques Roubaud.

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Bibliographie de Philippe Corentin

(à l’école des loisirs)

. Mademoiselle Tout à l’envers (1988)

. Le Chien qui voulait être chat (1988)

. Le Père Noël et les fourmis (1989)

. Pipioli la terreur (1990)

. L’Ogrionne (1991)

. Plouf ! (1991)

. L’Afrique de Zigomar (1991)

. Biplan le moucheron, (1992)

. Zigomar n’aime pas les légumes (1992)

. Le Roi et le roi (1993)

. Patatras ! (1994)

. L’Ogre, le loup, la petite fille et le gâteau (1995)

. Papa ! (1995)

. Mademoiselle Sauve-qui-peut (1996)

. Les Deux goinfres (1997)

. Tête à claques (1998)

. L’Arbre en bois (1999)

. Machin Chouette (2002)

. ZZZZ… zzzz…. (2007)

. N’oublie pas de te laver les dents ! (2009)

 

Les animaux malades de la peste – illustration d’Auguste Vimar (1897)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Régis Lejonc et Martin Jarrie

 

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Parait cet automne, Les Deux Géants de Régis Lejonc et Martin Jarrie (HongFei 2021, 44 pages, 18,90 euros). « Deux  géants  marchent  chacun  d’un côté du  monde qu’ils font tourner  au  rythme  de  leurs  pas. Ils marchent inlassablement, chacun sa destinée, chacun son caractère.  Ils  ne  se  connaissent  pas.  Ils ne se voient jamais. Quand l’un est ici, l’autre est là-bas. Tout le monde le sait.  C’est  toujours  comme  ça.  Mais  que  se  passerait-il  si  venait  à  l’un  d’eux l’idée de se retourner ? »

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Rencontre avec Régis Lejonc, auteur

    Ce texte vient de loin. De mon enfance. Je l’avais dédié à mes parents, mes deux géants, lorsqu’il fut publié il y a vingt ans aux éditions du Rouergue avec mes propres illustrations. J’avais (déjà) sollicité Martin Jarrie pour en être l’illustrateur. Ce vœu est exhaussé aujourd’hui aux éditions HongFei. J’ai ainsi le sentiment que mon texte trouve enfin son légitime illustrateur. L’univers artistique et le vocabulaire graphique de Martin, uniques et hors de mode, lui apportent une dimension poétique et puissante. L’écriture de ce texte a pris la forme d’un mythe sur la marche du monde. Pourquoi le republier aujourd’hui ? j’ai toujours été sensible aux grands imaginaires collectifs ancestraux venus de la nuit des temps (mythes fondateurs, contes des origines). Mais, j’ai le sentiment que, dans notre société individualiste, nous partageons de moins en moins cet imaginaire (chacun de nous puisant à des sources multiples et atomisées). Avec ce récit aux tonalités cosmogoniques, j’espère humblement apporter un peu de poésie dans nos vies pour rêver notre monde. (RL)

 

 

 

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Rencontre avec Martin Jarrie, peintre

    Régis Lejonc m’a proposé d’illustrer Les Deux Géants en 2000. Peu avant, j’avais devenues les illustrations du Colosse Machinal paru en 1996 (texte de Michel Chaillou). Est-ce ce qui a conduit Régis à me solliciter ? Je ne sais pas. Mais j’ai longtemps refusé parce que je ne voulais pas refaire Le Colosse. Or, à un moment, ce texte avait fait son chemin en moi ; j’y trouvais des résonances avec ce que je vivais. Je savais pouvoir le nourrir de ces émotions personnelles et intimes. Quand Régis m’a annoncé avoir trouvé un éditeur, je me suis dit que je ne pouvais plus reculer.Et puis il y a eu le confinement. Je me suis retrouvé coincé chez moi, loin de mon atelier et de ce qui pouvait me distraire. J’ai alors pris plaisir à travailler ce texte. Les images sont venues, puisant aux sources des anciennes cartes du ciel, des cartes marines des îles Marshall, des enluminures inspirées des visions d’Hildegarde de Bingen à propos de la création du Monde et de l’Apocalypse. J’ai très vite décidé que les deux géants seraient de sexe opposé, ce qui n’était pas clairement précisé dans le  texte  au  départ.  Je  ne  sais  pas  si  je  fais  référence  à  Adam  et  Eve.  C’est  une  interprétation possible mais ce n’est pas la seule.Quand  est  venu  le  moment  de  trouver  une idée pour la dernière image du livre,  j’ai  tout  de  suite  pensé  à  ce  que  le  monde  entier  était  en  train  de  vivre,  ce  temps  suspendu  et  incertain  lié  à  la  première  vague  du  COVID.  C’est  ce  en  quoi  le  texte  de  Régis  a  quelque  chose  de visionnaire (ce qui le rapproche d’Hildegarde  de  Bingen).  Il  est  d’une  actualité  troublante  et  saisissante.  J’ai  glissé  une  allusion  au  virus  dans  une  des images mais j’ai pensé aussi au dérèglement  climatique  et  à  toutes  les  menaces qui pèsent au-dessus de nos têtes. Je ne pense pas que Régis ait eu toutes ces menaces en tête en écrivant son texte qui, d’ailleurs, est plus ouvert que l’interprétation possible que j’en donne ici. On peut penser à toutes sortes d’antagonismes, le Nord et le Sud, la Chine et les États-Unis, les religions monothéistes, etc. Quant à moi, au moment où je dessinais Les deux géants, j’avais forcément à l’esprit ce que nous étions en train de vivre. (MJ)

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« Depuis la nuit des temps passent les deux géants.

On les connait, ils tournent sur Terre inlassablement. »

 

Merci à  Loïc Jacob pour ce partage.

 

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La musique des mots

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À l’occasion de la Journée internationale du livre pour enfants du 2 avril 2021 (Children’s international book day), la poétesse cubano-américaine Margarita Engle adresse au monde, sous l’égide de l’Ibby (Union internationale pour les livres de jeunesse), en quatre langues, un message dont vous trouverez ici la traduction française. L’affiche est signée Roger Mello, auteur et illustrateur brésilien.

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La musique des mots

Quand nous lisons, nos esprits prennent leur envol,

Quand nous écrivons, nos doigts chantent.

Les mots sont battements de tambour et flûtes sur la page,

oiseaux chanteurs s’élançant et éléphants trompetant,

rivières qui coulent, cascades qui chutent,

papillons qui virevoltent haut dans le ciel

Les mots nous invitent à danser,

rythmes, rimes, battements de cœur

battements de sabots, battements d’ailes,

contes anciens et nouveaux,

fantaisies et contes vrais.

Que tu sois confortablement installé à la maison

ou t’élançant à travers les frontières

vers une nouvelle terre et une langue étrange,

histoires et poèmes t’appartiennent.

Lorsque nous partageons des mots,

nos voix deviennent la musique du futur,

paix, joie et amitié, une mélodie d’espoir.

par Margarita Engle

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Margarita Engle, poétesse cubano-américaine, née en 1951 à Los Angeles, a développé un profond attachement à la patrie de sa mère pendant les étés de son enfance qu’elle passe sur l’île avec ses parents. Elle découvre à cette occasion la poésie en espagnol, en particulier les œuvres du journaliste, poète et philosophe cubain José Martí. Près de vingt ouvrages, pour enfants, jeunes adultes et adultes. Margarita Engle a reçu de très nombreux nombreuses récompenses dont plusieurs Prix Pura Belpré en 2008, 2009, 2011, 2012, 2014 et 2016, le Prix Charlotte Zolotow, en 1976, pour Drum Dream Girl, le prix Sydney Taylor et le Prix Paterson, en 2010, pour Tropical secrets, holocaust refugees in Cuba, en 2010, et le Prix NSK Neustadt, en 2019, pour l’ensemble de sa carrière. Sa bibliographie de Juan Francisco Manzano, The Poet Slave of Cuba, a, en 2008, reçu trois récompenses. En 2009, Margarita Engle est la première femme latino-américaine à recevoir un Newbery Honor pour The Surrender Tree : poems of Cuba’s Struggle for Freedom. À paraitre : Your heart, My sky et A song of Frutas. Aucun livre traduit en français.

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Roger Mello, illustrateur, écrivain et dramaturge, est né à Brasilia en 1965. Lauréat, en 2014, du prix Hans Christian Andersen décerné par l’IBBY, « pour sa contribution durable à la littérature pour enfants », il est auteur de vingt-cinq livres et illustrateur de plus de cent. Son style graphique, très coloré, s’inspire principalement de la nature, de l’écosystème amazonien et du folklore multiculturel brésilien. Il a reçu, pour son travail d’illustrateur et d’écrivain, de nombreux prix tant au Brésil qu’à l’étranger : prix remis par l’Académie brésilienne des lettres, par l’Union brésilienne des écrivains, prix international du meilleur livre de l’année de la Fondation suisse Espace Enfants, en 2002, pour Meninos do Manque, prix international Chen Bochui du meilleur auteur étranger en Chine, en 2014. Son livre, You can’t be too careful ! a été l’un des récipiendaires 2018 de Mildred L. Batchelder Honor de l’American Library Association (ALA). Roger Mello a organisé de nombreuses expositions personnelles en Chine, en Colombie, en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, au Mexique, au Pérou, en Russie, en Corée du Sud et à Taiwan. Son travail a également fait l’objet d’expositions collectives, lors de foires internationales ou à l’occasion de célébrations commémoratives. Ses livres, traduits en quinze langues, sont publiés en Argentine, en Belgique, en Chine, en Colombie, au Danemark, en Iran, au Japon, au Mexique, aux Pays-Bas, en Corée du Sud, en Suède, en Suisse, à Taiwan et aux États-Unis et en France, pour un seul titre, Jean fil à fil, chez Memo.

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Souvenez-vous…

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Penser aussi au 8 m2 …

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.    Souvenez-vous…

     Le 17 mars 2020 a débuté en France un confinement qui devait durer 56 jours afin de « maîtriser » la pandémie de COVID19 apparue trois mois plus tôt en Chine. Au nom d’une « guerre » décrétée contre le coronavirus s’est imposée une expérience sans précédent, tant dans la gestion improvisée de la crise sanitaire par nos dirigeants, que pour nous autres, privés de nos libertés fondamentales pour un temps, alors, indéfini.

     De nombreux secteurs de l’économie ont été mis à l’arrêt du jour au lendemain, entraînant une crise économique mondiale. Les écoles ont fermé et les enseignants ont dû inventer des cours à distance avec leurs propres outils numériques. Quand leur métier le permettait, les gens ont été invités à télétravailler.

     Les soignants « sur le front » qui souffraient déjà du manque de moyens, ont vite été submergés par l’afflux incessant de malades. Chaque jour le nombre de morts augmentait.

     Les inégalités sociales se sont encore aggravées entre les bien lotis et les plus nombreux, cloîtrés chez eux dans des conditions de logement déjà difficiles, précaires ou insalubres. Enfin, l’intimité de sa maison a été imposée à tous 24h/24h. À charge pour chacun de jongler entre l’école et le travail, les amis et la famille mis à distance, les angoisses des uns, la solitude des autres, le désamour ou les violences domestiques.

    Aujourd’hui le virus circule toujours, le monde entier subit depuis le mois d’octobre la « seconde vague » tant redoutée. Sont de nouveau confinés celles et ceux qui peuvent télétravailler, tandis que les écoles restent ouvertes avec force protocoles sanitaires pour les élèves et leurs enseignants. Nous vivons masqués, à distance les uns des autres.

     Si on peut plus largement se faire tester en cas de symptômes, aucun médicament spécifique ne permet encore de se soigner contre le virus et on nous annonce l’arrivée d’un vaccin courant 2021.

     Souvenez-vous…

 (Régis Lejonc – novembre 2020)

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Régis Lejonc, né en 1967, est un illustrateur de la génération révélée par Olivier Douzou au début des années 1990. Il a illustré depuis chez de nombreux éditeurs (Le Rouergue, Didier, Rue du monde, l’Édune, Thierry Magnier, Le Seuil, Gautier-Languereau, etc), s’est lancé dans l’écriture de textes, dans la direction artistique, dans la création de collections. Il travaille pour la publicité et dans la mise en images de jeux. « Régis Lejonc est un touche-à-tout, un illustrateur inclassable qui passe d’un univers graphique à un autre au gré des livres et des projets, appréciant autant l’influence de l’art nouveau, des grands peintres impressionnistes, des affichistes des années 1940 et 1950 que celle des kawaï japonais. » Parus récemment : Fechamos (Éditions des Éléphants), avec Gilles Baum, et Je n’ai jamais dit (Utopique), avec Didier Jean et Zad. L’image ci-dessus est extraite d’un carnet d’illustrations auto-édité, Comme à la maison, dans lequel Régis Lejonc a rassemblé les dessins qu’il a réalisés pendant le premier confinement. « Je me suis lancé le défi de publier sur Facebook et Instagram un dessin par jour sur toute la durée du confinement. Un dessin pour une idée ou une opinion. Un dessin pour une émotion ou une réaction. Un dessin pour une référence à partager, jour après jour. » Le livre a été imprimé près de Tulle, en circuit court, sur papier issu de forêts gérées durablement. « Ce livre est formidable. je n’aurais pas fait mieux. » (Victor Hugo). « Les images sont jolies, mais je ne partage pas le point de vue. » (Emmanuel Macron).

Grand merci à Régis Lejonc qui nous confie cette image. Merci aussi pour son texte.

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Les Maîtres de l’imaginaire

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Une exposition en Chine

Depuis le mercredi 11 novembre 2020 et jusqu’au dimanche 28 février 2021, le Musée d’art de l’université Tsinghua de Pékin accueille une exposition Image of the West : illustrators of Europe and América qui donne à voir un imposant ensemble d’illustrations issues de la collection de la Fondation Les Maîtres de l’imaginaire créée en 2017, à Lausanne, à l’initiative de l’auteur-illustrateur Étienne Delessert. Commissaire de l’exposition : Janine Kotwica.

« Image of The West présente une collection d’artistes de renom qui ont créé d’illustres livres d’images en Europe et aux États-Unis. Des contes de fées, des textes littéraires, des poèmes et des souvenirs personnels réinterprétés ont tous été illustrés avec une imagination débordante et une variété de styles et de techniques uniques. Ce panorama d’images témoigne de la vitalité de l’édition occidentale. »

Quarante illustrateurs « maîtres de l’imaginaire » à l’honneur dans un sobre et efficace accrochage ainsi qu’une importante contribution personnelle d’Étienne Delessert.

L’auteur-illustrateur raconte cette aventure aux artistes de la Fondation.

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    Chers ami(e)s,

    Notre exposition des Maîtres de l’imaginaire a ouvert ses portes à Beijing mercredi soir. Elle est superbe !

    J’aimerais décrire rapidement cette aventure.

   Tout cela a commencé à Paris, voici cinq ans, par la présentation à l’Ambassade de Suisse de mon livre de mémoires L’Ours Bleu, par Jean-Philippe Jutzi, l’attaché culturel. Son analyse était fine et amicale.

   En 2019, j’ai appris qu’il était en Chine, et lui ai de suite parlé des Maîtres. Nous sortions du palais de Bologne. « Cela tombe bien, m’a-t-il répondu, en 2020, seront célébrés les 70 ans de bonnes relations bilatérales entre le Suisse et la Chine. »

    Il nous a donc associés à un programme culturel vaste – c’était avant le Covid19 – qui comprenait une exposition de Giacometti, une autre de Tinguely et la venue d’œuvres de la collection Dubuffet du Musée de l’Art Brut de Lausanne.

    Jutzy a d’abord choisi le Today Art Museum de Beijing, puis, à la suite de négociations avec le gouvernement chinois, a désigné le prestigieux Tsinghua University Art Museum pour nous accueillir. Ils avaient déjà collaboré harmonieusement avec l’Ambassade. Et j’eus alors la vraie surprise d’être invité par le musée à avoir une section de l’exposition consacrée à mes œuvres.

    Janine Kotwica a été d’une aide précieuse, tout au long d’une année fertile en menus problèmes, en tant que commissaire, par ses contacts,  ses conseils, sa précision dans les crédits, l’élan de ses textes. L’exposition, prévue pour le mois de juillet, a été repoussée deux fois par le virus – qui semble bel et bien dompté à Beijing, mais personne n’entre encore en Chine.

    En Suisse, Laurent Seigneur, membre du Conseil, a suivi notre parcours avec vigilance, je l’en remercie aussi.

    Un catalogue ne pouvait être préparé : il faut un an au Ministère de la Culture chinois pour délivrer un code ISBN.

    Le musée a fait un choix de vingt images, sur une centaine, pour imprimer des cartes postales. Impossible ! Nous avons dû, de ce fait, imprimer une édition limitée de 250 jeux de cartes en Suisse, pour que chaque artiste soit représenté; ils sont d’un usage limité à la communication et aux médias.. Imprimés en août, ils ne sont partis enfin que cette semaine, l’accès du local où ils étaient entreposés dans le bâtiment officiel de notre partenaire HEP étant interdit, encore et encore, par le Covid 19. Par chance une centaine de boîtes avaient été livrées à Berne par l’imprimeur: elles furent envoyées par la valise diplomatique.

    Tout au long de notre collaboration, nous avons pu réaliser que la Chine est un autre monde. Les meilleures intentions sont parfois bridées par un système d’une fermeté feutrée mais inflexible.

    Dans le choix des œuvres, par exemple. Le Ministère de la Culture, à qui elles devaient être toutes présentées, en a censuré quatre, de Marshall Arisman et de Jean-Louis Besson. Sans réelle logique. Elles furent donc remplacées.

     L’affiche est une autre histoire (elle sera agrandie au format de 9m sur 12m, près du musée, à l’entrée de la Tsinghua, université de grande renommée. Deux de nos propositions furent écartées, et quelle ne fut pas notre surprise de constater que le graphiste du musée avait emprunté des éléments de trois de mes dessins et les avait interprétés à sa manière. Je n’ai pas souvent ce genre de conflit, mais j’ai perdu cette bataille. C’était il y a un mois à peine, les œuvres étaient alors mises en caisse, il fallait céder pour qu’elles partent. Le choix des œuvres pour les deux flyers est entièrement celui du Tsinghua. Une erreur de légende concernant  Jean Claverie a été corrigée.

    Je ne vais pas entrer dans les détails, mais le transport fut retardé considérablement. Nous refusions de laisser les dessins partir sans avoir vu leur contrat d’assurance signé. Rien d’anormal, m’a -t-on dit, c’est la bureaucratie.

    L’exposition a bien failli ne pas avoir lieu: il était impensable d’accepter d’utiliser un Carnet ATA, qui garantit un passage de douane en douceur, mais qui nous aurait obligés à débourser près de 200 000 euros, remboursés, en principe, par le gouvernement chinois au retour des oeuvres.  Tout cela se passait il y a moins d’un mois, et fut assez tendu. J’ai annoncé bloquer le transport. Plus d’exposition ? Nous avons alors appris, comme par miracle, que le Ministère de la Culture allait obtenir un passage de douane sans frais.

    Rien n’est simple, les collaborateurs du musée désespéraient, tout en observant avec calme les normes du pays. Un autre monde…Je veux remercier Wang Ying, Sysy Hu au Tsinghua, et Congcong Che à l’Ambassade, – Jean Philippe Jutzi ayant pris sa retraite – pour toute leur attention et pour leur enthousiasme.

    Mercredi 11 novembre cette équipe du musée, travaillant jour et nuit la dernière semaine, a eu la joie de vernir notre exposition, en présence d’un public d’invités choisis et de 30 représentants de différents médias.

    L’Ambassade suisse était fort bien représentée, que je remercie pour son support.  Il se trouve que nous sommes la seule manifestation artistique visuelle a avoir bravé le virus, en cette année de 70 ans de reconnaissance pacifique.  Giacometti et les autres ont été repoussés à une date indéterminée.

    Et il faut bien dire que ce sont vos œuvres qui ont soutenu, par leur qualité et leur diversité, le moral des troupes chinoises, françaises et suisses : l’art de l’illustration, art à part entière dans un magnifique musée.

    Voici quelques reflets de la manifestation, Ils éclairent d’une belle lumière nos efforts pendant une longue année. Les photos sont toutes de Xiao Fei, du TAM. Elles sont ici réduites, mais existent en haute résolution.

     Avec ma gratitude, celle de Janine et de la Fondation.

     Bien amicalement.

     Étienne

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Merci à Étienne Delessert pour nous avoir confié ce courrier.

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Voir aussi le reportage de la télévision chinoise à partir de  cette page

Artistes exposés

Albertine, Marshall Arisman, Jean-Louis Besson, Guy Billout, Quentin Blake, Robert Oscar Blechman, Eric Carle, Ivan Chermayeff, Seymour Chwast, Nicole Claveloux, Jean Claverie, Frédéric Clément, Étienne Delessert, Heinz Edelmann, Stasys Eidrigevičius, Randall Énos, Monique Félix, André François, Henri Galeron, Letizia Galli, Laurent Gapaillard, Alain Gauthier, Roberto Innocenti, Gary Kelley, Claude Lapointe, Alain Le Foll, Georges Lemoine, David Macaulay, Daniel Maja, Sarah Moon, Jörg Müller, Yan Nascimbene, Chris F. Payne, Jerry Pinkney, Zack Rock, Éleonore Schmid, Chris Sheban, Elwood H. smith, David Wiesner, Zaü, Lisbeth Zwerger.

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André François, pour une couverture de magazine (Haute société, juin 1960)

Alain Le Foll, C’est le bouquet, Claude Roy (Delpire, 1964)

 Claude Lapointe, L’appel de la forêt, Jack London (Gallimard, 1979)

Monique Félix, Hansel et Gretel, Jacob et Wilhelm Grimm (Grasset, 1983)

Etienne Delessert, Contes 1, 2, 3, 4, Eugène Ionesco (Gallimard, 2009)

Albertine, Des mots pour la nuit, Annie Agopian, (La Joie de lire, 2017)

 

  

    

 

 

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États généraux de la littérature de jeunesse

 

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Les États généraux de la littérature de jeunesse du lundi 5 octobre 2020 étaient organisée par La Charte des auteurs et illustrateurs pour la jeunesse, à la Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou.

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Et elles ne vécurent plus lésées jusqu’à la fin des temps… 

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Cette journée avait été précédée par la mise à disposition, en ligne, de vidéos présentant des témoignages d’autrices et d’illustratrices réalisées pour alerter sur les différences femmes/hommes dans leur métier. Ces interviews donnaient la parole à cinq autrices (Sophie Adriansen, Clémentine Beauvais, Moka, Laura Nsafou et Cécile Roumiguière) et à trois autrices-illustratrices (Loren Capelli, Malika Doray et Marie Spénale).

    Ce sont  Lucie Kosmala et Léa Bordier qui, en coordination avec la Charte, ont produit ces cinq vidéos. Cinq thèmes y sont traités : les débuts, les difficultés, les enfants, la sensibilité féminine. l »engagement et l’avenir. Il sera, au cours de la journée,  fréquemment fait référence aux propos tenus dans ces vidéos.

    Dans l’amphithéâtre de la BPI où sont accueillis les participants, on respecte les obligations sanitaires de distanciation : un siège sur deux occupé, des participants masqués ainsi que tous les intervenants, jusqu’à leur montée sur l’estrade au moment de leur intervention.

. Hélène Vignal et Jo Witek

    Hélène Vignal, co-présidente de la Charte, ouvre les travaux de la journée. Elle rappelle que l’Observatoire de l’égalité du ministère de la Culture alerte sur des différences de revenus notoires entre les auteurs et les autrices : moins 26% pour les autrices affiliées à l’AGESSA et moins 22% pour celles relevant de la maison des artistes. Au-delà de ce constat, cette inégalité se retrouve dans de nombreux domaines touchant à la vie professionnelle et parfois aussi personnelle des autrices, il est donc nécessaire pour améliorer l’inégalité entre femmes et hommes d’identifier les situations où elle se manifeste et d’analyser les freins à une amélioration.

    Jo Witek, grand témoin, prononce le discours d’ouverture. Elle revendique une position féministe et inscrit délibérément ses propos sous l’égide des travaux de Michelle Perrot. Elle replace la réflexion de cette journée dans la longue et lente progression des femmes sur le chemin de l’égalité. En 1789? les femmes n’étaient présentes que par le détournement et la séduction. Même les défricheuses étaient empêchées ». Elle cite, exemples à l’appui choisis dans leur vie de femmes de lettres, Wirginia Woolf, Simone de Beauvoir, Elsa Triolet. Elle s’interroge aussi sur la manière de faire émerger l’implicite d’une culture mâle, patriarcale pour aboutir à une société du partage et de l’égalité.

    Plusieurs intervenantes n’ont pas pu se déplacer pour des raisons liées à l’épidémie et elles ont enregistré leur intervention, diffusée en séquence(s) vidéo, des incrustations permettant de bénéficier à la fois de l’exposé de la conférencière et du diaporama qu’elle utilise en appui.

. Doriane Montmasson

     Ce sera le cas de Doriane Montmasson, maitresse de conférences en sociologie de l’éducation, à l’INPE de l’académie de Paris. Elle interroge le rôle joué par les stéréotypes de genre véhiculés par les récits et les représentations de la littérature de jeunesse. Cette dernière tendrait-elle à entretenir une vision genrée de la place des hommes et des femmes dans la société ? Elle a mené une étude sur la réception des stéréotypes par les enfants et propose des premières réponses.

    Elle se réfère aux recherches des années 1990 qui ont mis en lumière l’existence de stéréotypes de sexe dans les livres destinés aux enfants et qui ont supposé que ces « modèles » étaient déterminants pour leur construction identitaire. Elle note que si le nombre des ouvrages présentant une vision stéréotypique du masculin et du féminin restent important, ils sont de plus en plus nombreux à proposer une vision moins ou peu explicite des normes de genre. Elle insiste sur la nécessité de compléter l’étude du contenu des albums par une étude de réception, pour analyser comment les jeunes lecteurs et lectrices s’approprient les  » modèles  » proposés par la littérature.

    Une des recherches de Doriane Montmasson a porté sur un ensemble de 150 livres, des années 1950 à 2012 (pas d’information fournie sur le corpus, les quelques exemples de pages présentées ne faisant pas référence à des œuvres de littérature identifiables) proposé à une centaine d’enfants (G/F) de 5 à 8 ans. La recherche a mis en évidence :

– que la socialisation familiale tient une place prépondérante, pour les plus jeunes, en matière de genre. Ils ne relèvent pas l’existence d’organisations familiales dissemblables, ils sont même portés à modifier le sens de certains ouvrages afin qu’ils correspondent à leur propre représentation du masculin et du féminin. On peut dire qu’ « à cet âge, les livres ne sont pas responsables de tout et n’ont pas à eux seuls le pouvoir de tout changer. »

 – que la réception d’ouvrages par des enfants plus âgés montre que la littérature tend à prendre une place plus importante dans la construction identitaire des filles et des garçons.

     Doriane Montmasson estime important de réaffirmer :

– qu’il est primordial qu’une offre de livres proposant des normes de genre moins stéréotypées continue de se développer ;

– qu’il « est essentiel que l’utilisation de ces livres fasse l’objet d’un étayage permettant aux enfants de s’inscrire dans une posture réflexive. »

. Anne-Sophie Métais

     Anne-Sophie Métais, chargée de mission auprès de la direction du Centre national du livre, présente un point d’étape d’une étude du CNL portant sur l’économie de la filière du livre de jeunesse. Elle centrera son intervention sur le volet consacré aux auteur-trice(s), cette étude en comportant deux autres consacrés aux éditeur-trice(s) et aux libraires.

    Cette étude inclut une enquête conduite par le CNL à partir de la base Électre, soit 11 000 auteurs identifiés dont près de 75% sont des autrices (autrices pour le texte : 60% ; pour le texte et les illustrations : 65% ; traductrices : 68%). Elle porte sur cinq segments de l’édition : éveil et petite enfance, albums, documentaires, romans 8/12 ans, romans plus de 13 ans et jeunes adultes, la bande dessinée en ayant été exclue. Sur 1641 auteurs touchés, 435 ont renseigné le questionnaire.

    L’enquête interroge, au-delà des revenus générés par les œuvres pour la jeunesse, ceux issus des publications réalisées à destination d’un public hors du secteur jeunesse et des activités connexes.

    Concernant le pourcentage des aides accordées à des auteurs et à des autrices, la représentante du CNL indique que ce dernier reçoit les demandes et ne les suscite pas. Hélène Vignal insiste sur l’importance, même dans ces conditions, de garder en tête le principe d’égalité.

. Table ronde 

     Hélène Rajcak (autrice-illustratrice), Martin Page (auteur-éditeur) et Coline Pierré (autrice-éditrice), ensemble ou séparément, Roxane Edouard (agente littéraire), en visio-conférence depuis Londres, sont invités à témoigner de leurs expériences et à échanger à propos de leurs initiatives autour de la question : la considération des autrices est-elle la seule clé de l’égalité en littérature de jeunesse ?  Modératrice : Hélène Vignal

     Concernant la différence de rémunération entre les auteurs/autrices de littérature générale et de littérature de jeunesse, une des réponses fallacieuses apportée a été le coût de l’album par rapport au roman, alors que ce c’est en fait une dévalorisation de la littérature de jeunesse et de ses auteurs-trices.

    Les participants à la table ronde tombent d’accord sur le fait qu’il entre une part d’affectivité dans les échanges auteurs/éditeurs. On accueille un auteur, une autrice, mais aussi une situation financière corollaire La faible place des agents et agentes littéraires en France tend à renforcer cet état de fait.

    Des pastilles-vidéo donnent, à divers moments, la parole à Roxane Édouard, ce qui permet à travers de ses propos de préciser la représentation, assez floue, de ce que peut être le rôle d’un ou d’une agent-e littéraire dans la gestion financières et juridiques des intérêts des autrices et auteurs dont elle administre la carrière. La place des agents et agentes est plus affirmée dans les pays anglo-saxons, en Espagne et en Italie qu’en France.

    Roxane Édouard ouvre aussi le champ des différences à prendre en compte à ceux des inégalités de race ou du handicap. Elle confirme que les négociations d’une agente ne portent pas que sur les rémunérations, d’autres composantes interviennent aussi : les enfants, les vacances…

    Martin Page précise qu’il s’est interrogé sur sa participation à la table-ronde : un homme peut-il défendre les femmes à la place des femmes ? Il ajoute qu’il trouve le secteur de la littérature de jeunesse plus agréable, plus ouvert, plus attentif que le secteur de la littérature générale, sur divers registres : l’égalité F/H mais aussi par exemple le « livre durable » face au pilonnage. Avec Coline Pierré, ils utilisent beaucoup les réseaux sociaux pour montrer le quotidien, comme ils le font aussi dans avec leur maison d’édition Monstrograph et avec des titres comme Les artistes ont-ils vraiment besoin de manger ?

     Hélène Rajcak insiste sur le fait que les autrices sont aussi légitimes que les auteurs, mais qu’il faut du courage pour « négocier » un contrat lorsqu’on est une femme. Autrice-illustratrice de documentaires à composantes scientifiques, elle est aussi très attentive à la réception par les enfants, aux différences filles/garçons et à la médiation qui accompagne la lecture.

    Une question de la salle porte sur le pourcentage d’éditrices dans la littérature pour la jeunesse et ce que cela peut modifier dans les relations, éditrices/autrices.

    Hélène Vignal souhaite interroger un représentant du Syndicat national de l’édition (SNE) sur ce point, mais aucun n’est présent dans la salle. Martin Page estime que les éditrices travaillent mieux que les éditeurs, dans le secteur adulte comme en jeunesse.

    Un témoignage dans la salle met en lumière la méconnaissance du public sur les différentes professions de la chaine du livre. Les participants de la table-ronde font remarquer que la littérature de jeunesse n’est pas ou peu représentée dans les médias généralistes.

    De la salle, Samantha Bailly, co-présidente de La Charte, conclut qu’il est nécessaire de faire reconnaitre qu’être un auteur ou une autrice, c’est un métier.

. En guise de conclusion

    Cette matinée a été très riche, abordant des sujets variés sur la question de l’égalité entre les auteurs et les autrices, avec conviction mais sans dogmatisme. Les intervenants ont fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, de positions nuancées, de perspectives originales et courageuses. Vives regrets de devoir quitter les travaux en milieu de journée….

    Un petit tour effectué, le soir, sur le compte Facebook de La Charte a permis de retenir un extrait du discours de clôture de Jo Witek, grand témoin, bien dans la tonalité de cette journée .

« La littérature jeunesse comme toute littérature doit aussi déranger, surprendre, garder sa liberté de ton, son insolence et donner à voir l’état du monde tel qu’il est. Parfois, un personnage de père machiste et alcoolique fera beaucoup plus réfléchir un ado, qu’un papa féministe et écolo. L’important n’est pas tant de coller aux nouveaux archétypes, aux nouvelles représentations, que d’écrire avec sincérité, là où on en est. Avoir cette honnêteté-intellectuelle là. Et en ce moment, à voir le nombre de romans qui mettent des filles à l’honneur, par rapport à la réalité de l’égalité filles-garçons dans nos sociétés, on peut s’interroger sur cette honnêteté. »

par Françoise Lagarde – octobre 2020

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Françoise Lagarde, formatrice dans le premier degré, est devenue ingénieur d’études au ministère de l’Éducation nationale où elle fut chargée, jusqu’en 2013, des dossiers relatifs au livre et à la lecture en tant qu’adjointe au chef de bureau des écoles à la direction générale de l’enseignement scolaire ; elle a assuré la mise en œuvre de l’opération Des livres pour les écoles et des plans de développement des BCD, coordonné l’élaboration et la production du répertoire 1001 livres pour l’école (1997), contribué à la mise en place des sélections d’ouvrages de littérature pour les trois cycles de l’école primaire, collaboré au Guide de la coopération bibliothèque-école (CRDP de Créteil, 1986) et à la mise en ligne sur le site ministériel Éduscol de ressources pour faire la classe ; elle est l’actuelle présidente du CRILJ.

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POUR ALLER PLUS LOIN

  • Le programme et la présentation des intervenants :

https://drive.infomaniak.com/app/share/118494/41ac10d4-dc3c-4136-9bbf-baee7a2f3040/preview/pdf/54596

  • Les interviews vidéo :

. les débuts :   https://www.youtube.com/watch?v=YsXSNPFRSo8

. les difficultés :   https://www.youtube.com/watch?v=-HSyeg-0B-I

. la sensibilité féminine :   https://www.youtube.com/watch?v=-zk_yw1Z8w0

. les enfants :   https://www.youtube.com/watch?v=z-WhMdi536A

. l’engagement et l’avenir :   https://www.youtube.com/watch?v=Y-4luCd6sn8

  • L’intégrale de la séance du matin :

https://www.youtube.com/watch?v=J5_quVogoOw

  • L’intégrale de la séance de l’après-midi  :

https://www.youtube.com/watch?v=i6DNzUL_3sg

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Maître chat, l’éléphant et les groseilles à Moulins (2)

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Deuxième partir du verbatim de la rencontre, à Moulins, le samedi 28 septembre 2019, avec Blexbolex, Gilles Bachelet et Joanna Concejo, décrypté par Hélène Brunet, adhérente de la section régionale du CRILJ/Midi-Pyrénées.

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Blexbolex, j’aimerais que l’on parle de Nos vacances qui est un album sans texte qui raconte les vacances bousculées, pour le moins, d’une petite fille par un personnage encombrant un éléphant, tiens donc encore un personnage du bestiaire ! (rires par rapport à la projection) Ce sont de bons acteurs effectivement. Alors, tous tes livres ont plusieurs niveaux de lecture, on peut déjà parler des imagiers sur la manière dont tu les as construits, mais là peut être plus encore. Alors, avant de parler des références ou de la manière  dont les choses se sont empilées, est-ce que tu peux déjà raconter comment tu en es venu à cette forme narrative extrêmement particulière, hybride ?

Blexbolex – Je vais essayer. Je crois que c’était extrêmement difficile pour moi de faire quelque chose d’entièrement nouveau après avoir fait les imagiers. Comme le dernier imagier que j’ai fait, qui s’appelle Romance, c’était déjà sur la narration, j’essayais de constituer la narration par l’image ; c’était à peu près l’idée. Je ne sais plus ce que j’étais en train de raconter…

C’était un projet qui a mis combien de temps ? Comment ça commence ?

Blexbolex – Très longtemps… Comment ça commence, je vis de ça. Je suis amoureux d’une idée et là, en l’occurrence, c’était encore des personnages. J’ai fait une affiche où on voyait une petite fille avec une robe démodée en train de faire une sorte de révérence, entre la pirouette et la révérence. Pour équilibrer l’affiche, j’avais fait un minuscule éléphant. Et j’avais envie d’utiliser ces personnages dans une sorte d’histoire. Ce sont ces deux personnages qui m’ont donné l’idée de ce livre. Donc, là ce sont des personnages qui me mènent à un récit. J’essaye de copier ces anciens livres scolaires où les choses étaient présentées par planches comme ça, c’est une affinité avec la bande dessinée. Quand j’étais gamin, je regardais ces livres scolaire et j’imaginais tout le temps qu’ils étaient en train de me dire quelque chose que le maître ne disait pas. Alors, je regardais, je me distrayais et j’oubliais que j’étais dans une classe. Et je regardais ça, et j’essayais de comprendre l’espèce de message secret un peu bizarre que ces planches éducatives étaient en train de me dire. Donc, j’ai fait des essais de mise en page avec des personnages, etc. La narration est un peu rude, un peu difficile, ce qui fait que je me suis rapproché d’une forme plus proche de celle de la bande dessinée dans ce livre. Mais j’ai gardé cette idée de planche parce qu’à l’ouverture du livre, quand on tombe sur une double page, où la scène principale est racontée, et la narration est distribuée sous forme de vignette. J’ai été aidé par un autre livre de Richard McGuire et qui a à peu près ce genre de disposition mais dont la narration ne fonctionne pas de cette façon-là. Elle est par couche. Moi, j’avais envie de mettre vraiment de l’ordre dans une grammaire narrative sur ce dispositif de double page.

Le fait est que tu as des vignettes qui vont décomposer une action, revenir dans le temps, se projeter sur la page d’après. Le temps se lit dans cette décomposition d’images.

Blexbolex – Oui, ce qui m’intéressait, c’est d’être dans des pontages. On est dans une scène et il y a une petite scène qui se joue à côté et d’une petite image peut naître la double page suivante. Donc, c’est comme si on faisait des zooms et des dé-zooms à l’intérieur de ces différentes successions d’actions.

Alors, tu citais Richard Mcguirre qui fait un travail parallèle. Est-ce qu’il y a d’autres références sur ce livre-là ? Parce que pour Maître chat, on n’en a pas parlé, mais tu as mis plein de petites affiches sur les palissades. Elles pouvaient avoir été découpées depuis des timbres-poste, depuis toute une culture : soit constructiviste, soit bouts de papiers venus de l’Est. Enfin, je ne sais pas exactement. Et là, dans ce jeu des références, comment ça s’est construit pour Nos vacances ?

Blexbolex – Là, j’ai investi et une fois que j’ai ça, je pense à d’autres articulations, à d’autres scènes et là c’est plus du côté de la littérature. C’est un auteur japonais, c’est Kenji Miyazawa. Ce sont deux histoires qui sont venues nourrir mon récit ; c’est-à-dire que la partie qui se trouve dans le train vers la fin du livre, la scène de rêve vient d’une nouvelle de Miyazawa en tous cas pour le contexte. Après, pour le récit, c’est quelque chose de différent. Mais, sur le contexte, je me suis appuyé sur cette nouvelle. Elle s’appelle Traversée de la nuit, je crois. Et pour écrire la scène de la fête de village un peu bizarre, c’est encore une nouvelle de Kenji Miyazawa et ça s’appelle Place de Pollano. Mais ça s’est mélangé avec un souvenir personnel que j’ai pu reconstituer en moins de pages parce que je l’avais déjà vécue. Ce livre-là, c’est un mélange de souvenirs personnels et de nouvelles qui m’aident à poser la dramaturgie. Et après, c’est nourri de paysages que j’ai croisés soit en vacances, soit en d’autres occasions. C’est des chassés-croisés, c’est une sorte de collage aussi ce livre.

C’est une sorte de collage effectivement. Gilles, peut-être qu’on pourrait aborder maintenant le rôle de la mise en page. Dans tes livres, il y a une grande unité graphique, typographique même, souvent des blancs-tournants, souvent des couvertures construites un petit peu de la même manière. Est-ce que tu peux nous dire un mot de la relation que tu avais avec Patrick Couratin qui a été directeur artistique des éditions Harlin Quist ? J’imagine que c’est le moment où vous vous êtes rencontrés…

Gilles Bachelet – Absolument, oui.

Et Patrick Couratin, qui a été directeur artistique d’Okapi, qui a aussi commis plein d’albums au Seuil en tant que directeur artistique, est-ce que tu peux nous raconter un petit peu quelle était votre relation et comment il a influé au tout début tes albums, puisque le premier sur Le Singe à Buffon a été fait avec lui.

Gilles Bachelet – Moi, je ne suis pas graphiste, je n’ai pas de formation de graphiste. Donc pour moi c’était vraiment une aide d’avoir quelqu’un qui puisse avoir des choix typographiques, des choix de mise en page. En même temps, le système de narration que j’utilise, amène ça. Mais Patrick l’avait perçu. La présence du blanc, ça je pense que ça vient de lui. Les typographies qui sont pratiquement, enfin maintenant je change, j’ai un petit peu changé maintenant …

Oui, de temps en temps, les quelques exceptions.

Gilles Bachelet – C’est vrai que les premiers albums sont sur les mêmes typo ; ça c’est sous son influence bien sûr.

Est-ce que dans ces constructions d’albums vous échangiez ou est-ce que dans la narration les choses ont été très claires pour toi tout de suite ?

Gilles Bachelet – On a échangé, d’autant plus que j’ai squatté un coin de ses locaux pendant plusieurs années. Donc, on était à proximité l’un de l’autre, on déjeunait ensemble, etc. Donc, c’était une immersion permanente, un rapport assez privilégié qu’on peut avoir avec un éditeur que je ne pourrai jamais avoir avec quelqu’un d’autre.

C’est sûr ! Encore que tu peux venir t’installer au Seuil, trouver une petite place…

Gilles Bachelet – Je ne sais pas ; ce n’est pas le même genre de structure.

Ce n’est pas le même univers. Dans la manière dont tu construits tes histoires, est-ce que tu développes ce que tu retiens dans des carnets ? Comment les choses se construisent ? Je sais que tu as une très grosse activité sur Facebook. Pour moi, ça prend peut-être la suite de ton travail de presse parce qu’il y a quelque chose comme ça de la réaction dans l’instant, un jeu de ping-pong avec ce qui vient. Comment les choses se construisent ?

Gilles Bachelet – Je pars souvent de l’idée. Je ne suis pas un dessinateur sur le motif, je ne fais jamais de croquis ou de choses comme ça. Je commence à dessiner à partir du moment où j’ai une idée, plutôt de mémoire, avec de la documentation aussi. Donc, mes carnets de croquis ne sont que des carnets de recherche. Ce ne sont pas des croquis au sens strict du terme. Facebook, ça a été une découverte pour moi parce que a priori je n’avais rien qui m’amenait spécialement à m’intéresser aux réseaux sociaux. J’avais d’ailleurs une page Facebook dont je ne me suis pas occupé pendant des années. Un jour, j’ai mis un dessin et il y a eu une réaction tout de suite, et j’ai trouvé ça très stimulant cet échange immédiat. Donc, c’est devenu un petit laboratoire de travail avec beaucoup de perte de temps, évidemment. Mais, en même temps, c’est une espèce d’émulation, comme je suis un gros feignant… Cette motivation de faire un dessin pour le mettre sur Facebook, pour avoir des retours directement. Je me déculpabilise un peu en me disant qu’il y a des choses que j’ai faites sur Facebook qui sont devenues après des albums.

Dis-nous peut être comment la machine s’est inversée ?

Gilles Bachelet – Par exemple, le petit album Les coulisses du livre jeunesse qui est paru à l’Atelier du poisson soluble est à l’origine une série de dessins qui n’avait pas du tout l’intention d’être un album. C’était juste des dessins postés sur Facebook.

Tu vois cette continuité avec le dessin de presse, enfin dans le rythme.

Gilles Bachelet – Sûrement, mais, en même temps, je n’ai jamais fait de dessin de presse quotidienne. J’ai toujours fait de la presse magazine, donc je n’ai jamais été…

C’était pour Marie-Claire. C’est ça ?

Gilles Bachelet – Beaucoup de presse féminine, de la presse scientifique, de la presse économique, j’ai fait beaucoup de périodes différentes, et puis, beaucoup de presse jeunesse aussi, mais jamais dans ces délais de quotidien. Donc, ça c’est plutôt une nouveauté pour moi. Ce qui est assez drôle c’est que quand on se met comme ça, à mettre un dessin sur Facebook, on essaye d’en mettre un tous les jours, on se met une pression soi-même comme si on se faisait la commande soi-même. Et moi qui ai tout fait pour éviter la commande, en faisant de l’enseignement justement pour arrêter d’être tributaire des commandes de presse. Je recrée une espèce de commande artificielle.

Joanna, le lien avec l’imprimerie est encore un petit peu différent pour toi. Là, je parlais, on a dévié, de la mise en page du blanc tournant etc. Là, ce qui me frappe dans l’exposition, si je prends Une âme égarée par exemple dont on voit des originaux à Moulins ; c’est que tu aimes travailler sur des papiers qui ont déjà vécu, qui sont déjà là, recyclés en quelque sorte. Ceux d’Une âme égarée, c’est un cahier à carreaux, bouffé par l’acide, on peut dire ça, sur lequel tu as travaillé. Comment est-ce qu’on dessine sur ces matériaux qui ont l’air d’une très grande fragilité, d’une très grande précarité ?

Joanna Concejo – Il faut s’adapter à chaque fois. En général, les papiers que j’utilise sont vieux. Ils ne sont pas de bonne qualité. Donc, forcément, ils ne réagissent pas bien au temps qui passe. Concernant ces papiers à carreaux d’Une âme égarée, c’est ma fille qui m’a emmené ce cahier et quand j’ai eu le texte et quand j’ai enfin trouvé l’idée comment j’allais m’y prendre, j’ai dit : « C’est génial, il va me servir maintenant ! ». Mais, c’était affreux, en fait ! Déjà, je l’ai collé sur quelque chose de plus rigide parce que quand j’ai commencé le premier dessin, sans coller cette feuille sur autre chose. J’ai fait un trou. Alors, je me suis dit : « Bon, d’accord, il faut les coller et y aller doucement. » J’ai été obligée d’adapter le crayon à l’exigence de ce papier. A chaque fois, je m’adapte. Je les aime tellement que ça ne me dérange pas de m’adapter. Vraiment, je suis tête de mule, je me dis : « Même si je ne peux pas, je veux dessiner dessus ! » C’est beaucoup l’histoire de m’adapter, mais je suis faite comme ça moi, j’aime bien faire avec ce qu’il y a. C’est pour ça que j’aime bien le travail avec ces papiers. A la fin de ce livre-là, j’ai écrit dans mon carnet de croquis de recherche, le livre suivant sera fait sur du bon papier et sera simple ! (rires) Une promesse pour moi que je n’ai pas respectée…

Le livre suivant, c’est Ne le dit à personne, on est d’accord ?

Joanna Concejo – Oui, donc on va dire que ça va être encore le prochain.

C’est encore un livre à venir de travailler sur du papier neuf.

Joanna Concejo – Neuf, ou au moins, moins capricieux.

En tout cas, quand on regarde tes livres, il y a cette grande continuité qui est donnée par ces papiers usés, cornés. Il y a quelque chose comme ça d’une nostalgie des vieux papiers. Il y a aussi une grande cohérence d’un livre à l’autre.

Joanna Concejo – Oui, mais il existe des livres qui ont été faits sur du papier que j’ai acheté au magasin ! (rires) Un prince à la pâtisserie a été fait sur du papier neuf, de bonne qualité. Ça me plait assez car je ne suis pas en train d’alimenter l’usine de consommation. Je récupère les papiers. Non, ça ce n’est pas ma première pensée. Ma première pensée, c’est une affection particulière. Ils me plaisent ces papiers. Et puis, il n’y en a pas deux au monde qui soient pareils. C’est à chaque fois un exemplaire unique.

On ne peut pas éviter ce rapport à la chose imprimée. Ce serait difficile te concernant, surtout avec cette formation de sérigraphe. Tu as d’abord pratiqué le métier comme ça. Si je prends Nos vacances, on est effectivement sur un livre avec des codes particuliers de cette petite reliure collée comme un livre ancien, presqu’un livre scolaire dont on parlait tout à l’heure du côté un peu sali de Maître Chat.

Si j’en viens aux imagiers, est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment ce travail de sérigraphie s’est mis en place parce que c’est très différent entre L’Imagier des gens avec Saisons et avec Romance. Est-ce qu’on peut rentrer un peu dans cette sérigraphie virtuelle puisque tout est fait sur ordinateur ?

Blexbolex – C’est compliqué. Oui, j’ai été imprimeur, donc, on s’habitue à la décomposition de l’image en couleurs simples. C’est à dire que pour pouvoir imprimer, en tout cas en sérigraphie, des images comme celles de L’Imagier des gens, on pense en trois formes bien distinctes : celle du bleu, celle du rouge et celle du jaune. Et, c’est assez instinctif. J’ai commencé à dessiner les personnages sur les couches sur Photoshop. Et, donc, j’ai dessiné la partie rouge et, après sur la couche de bleu, j’ai dessiné la partie bleue ; et puis, je revenais sur la couche de rouge pour corriger. Et, comme ça, peu à peu, je montais les personnages de cette façon-là. C’est comme si, sur l’ordinateur, je faisais le même travail que ce que je faisais sur les films auparavant quand je faisais de la sérigraphie traditionnelle. On employait une sorte de gouache opaque qui était marron et, sur la table lumineuse, c’était beaucoup plus mental car on était obligés de se dire ça c’est du rouge, ça c’est du bleu, ça c’est du jaune. Donc, on passait d’un film à l’autre ; on enlevait, on corrigeait ce qu’il y avait dessus. C’est exactement ce que j’ai fait sur l’ordinateur.

Et qui a été, ensuite, reproduit, enfin, imprimé.

Blexbolex – Oui, comme c’est du ton direct, c’est vraiment… On est très proche de la logique de l’estampe ; c’est-à-dire que là, ce sont des couleurs pures, ce n’est pas de la reproduction en quadrichromie.

Alors, avec Saisons et avec Romance, peux-tu nous raconter comment tu as repoussé le curseur un peu plus loin ?

Blexbolex – Avec Saisons, je voulais garder la même simplicité que L’Imagier des gens, c’est-à-dire utiliser trois couleurs. Sauf que là, j’avais un problème, je n’avais que trois couleurs pour quatre saisons. (rires) Ça commençait à devenir compliqué et je me suis dit : « Espèce d’idiot ! Tu as le blanc du papier ! C’est parfait pour l’hiver ! » Ce qui m’a permis de trouver mes dominantes. Donc, j’avais le vert pour l’été : la superposition du bleu et du jaune, etc, etc. Donc, je me suis donné des dominantes par saison. Et après, comme cela ne suffisait pas, parce qu’il fallait donner beaucoup plus d’ambiance. Pour L’Imagier des gens, on pouvait se le permettre parce que c’est un peu théorique, on va dire. Il peut se permettre d’être plat sur les aplats. (rires) Sur Saisons par contre, en couleurs pures, je dispose de sept tons, les trois couleurs principales et le vert, le violet, le orange même si on ne le voit pas très bien, le marron qui est la superposition des trois et le blanc du papier. Donc, huit couleurs, et ça ne me suffisait toujours pas pour expliquer des cieux clairs par exemple, pour mettre les teintes sur un fruit, etc. Donc, j’étais obligé de casser les couleurs et donc de mettre de la trame dedans, de la matière. C’est, en cassant les couleurs, que là, par contre, j’obtenais beaucoup beaucoup plus de teintes. Et, c’est pour ça que l’aspect visuel est très différent du précédent. Et, quant au dernier, Romance, là je me suis souvenu des albums imprimés que j’ai eu quand j’étais petit. Donc, puisque je suis parti pour tramer mes images, je vais reprendre une trame mécanique. Et ça m’a permis, également, d’imprimer ce livre en trois couleurs. Mais avec une gamme encore plus étendue que celle de Saisons. J’ai fait des essais avec des images beaucoup plus simples, on voyait des aplats, des zones, etc.  Mais je me  suis rendu compte que pour évoquer le conte, il fallait plus aller dans des petits tableaux, vraiment de la vignette. Et que le côté très théorique des aplats ne collait absolument pas à ce livre. Donc, j’ai vraiment fait des essais parce que j’ai vu le nombre de pages arriver. Je me suis dit, je ne vais pas y passer deux ans… Et puis, en fait, si ! C’est comme ça ! On joue, on perd ! (rires)

On joue, on gagne en tant que lecteur, merci ! Parce que là, le jeu est d’une complexité incroyable. Peut-être une dernière question, là on voit ce rapport à l’imprimerie, comment dire, cette histoire du livre imprimé qui se lit dans tes livres. Tu réponds aussi à des commandes, tu fais aussi un travail de presse. Est-ce que tu peux nous en dire un mot ? Est-ce que c’est juste ? Parce que là, on a vu quelques images. (projection) Est-ce que c’est vécu pour toi comme une interruption ? Ou est-ce une routine quotidienne ? Est-ce que c’est un laboratoire comme …

Blexbolex – Économiquement !

Oui, économiquement !

Blexbolex – Autant dire les choses.

Autant dire les choses …

Blexbolex – Après ça dépend de quoi il s’agit… Il y a des travaux d’illustration qui sont des interruptions qui sont très bien parce que les livres c’est un travail long et solitaire. Et les commandes, généralement, on a un calendrier, ce dont tu parlais tout à l’heure et ça met une certaine pression. Ça oblige l’illustrateur à résoudre des problèmes très rapidement. Donc, ça dépend de quoi il s’agit évidemment. Là, je parle plutôt pour la presse. Mais, pour une affiche, on peut disposer d’un temps un peu plus long, ce qui permet éventuellement de réfléchir ; ce qui n’est pas toujours une bonne chose d’ailleurs. Et j’aime bien en lisant un article, ou même en… j’aime bien avoir l’image très vite dans ma tête et passer à la réalisation, le plus rapidement possible. Il faut vraiment que la lecture de l’article produise tout de suite un instantané et j’essaye de faire un dessin le plus proche de l’image mentale sur ce travail d’illustration commercial.

Joanna, tu as toute une partie de ton travail qui ne finit pas dans un livre qui ne commence pas dans un livre dont on peut voir quelques planches ici à Moulins. Est-ce que justement ce sont des moments qui s’intercalent entre les livres ou est-ce que c’est tout le temps en continu ? Parce que ce qu’on peut voir, c’est qu’il y a une très grande proximité entre tes images hors les livres et celles des livres. Est-ce que ça vient en continu, est-ce que c’est un jeu de ping-pong ou est-ce qu’il y a des moments où tu fais un break dans les livres et tu dis : « Voilà, je fais une série pour moi indépendamment ? »

Joanna Concejo – Ça peut être très différent et ça peut être très irrégulier surtout. Ça peut être parfois aussi des commandes ou alors des réponses à quelque chose de précis, parfois ce sont des continuations de livres que j’ai fini, par exemple. Si j’ai encore quelques idées et que j’ai envie de les faire, il existe des images comme ça à la suite du Petit Chaperon rond rouge. Certaines images sont apparues après un livre qui s’appelle Un pas à la fois. Voilà ! Ce n’est pas beaucoup d’images ; ça peut être une, deux ou trois, puis je me dis, quand j’aurai le temps, j’en ferai d’autres et puis je ne le fais pas. Ça s’arrête parce que je commence le travail sur un autre livre.

Alors, il y a les images qui poursuivent le travail, et puis, il y a les images qui précèdent, Gilles est-ce que tu peux nous dire un mot du Casting qu’on va voir arriver bientôt ?

Gilles Bachelet – Le Casting, c’est un petit album qui vient de dessins sur Facebook et qui n’était pas prévu pour faire un album. Et quand on a pensé à faire ce coffret de l’intégrale des albums du chat, on avait pensé au départ faire un album bonus avec des croquis, des esquisses, des dessins qui n’avaient pas été utilisés etc. J’ai trouvé que ça faisait un peu fond de tiroir et je me suis dit que plutôt que faire ça autant faire une série complète et reprendre cette série que j’avais commencé sur Facebook. Je l’ai donc complétée avec le principe du casting. Les personnages de mes albums précédents vont se réunir, vont former un jury et vont faire passer un casting à toute une série de candidats pour choisir qui sera le personnage du prochain album.

Et tu vas t’y tenir ?

Gilles Bachelet – La suite est déjà dévoilée … On sait !

(applaudissements nourris)

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Hélène Brunet habite et travaille dans le Volvestre, territoire rurbain au sud de Toulouse. Elle est enseignante dans le 1er degré et a, cette année, une classe de cours préparatoire. Elle a toujours intégré la littérature de jeunesse dans sa pratique pédagogique et a réalisé plusieurs classes lecture à la Salle du Livre du CADP de Rieux Volvestre. Elle est depuis deux ans adhérente au CRILJ/Midi-Pyrénées où elle occupe le poste de trésorière adjointe. Elle s’est investi dans les projets menés par le CRILJ au plan national, notamment, en 2019, celui autour des représentations de la pauvreté en littérature de jeunesse. C’est une fidèle des rencontres avec les auteurs-illustrateurs qu’invite le CRILJ/Midi-Pyrénées Elle apporte son concours, en 2020 et 2021, au projet Habiter. Hélène Brunet est l’une des quatre boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion de la cinquième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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joanna.

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Photos : André Delobel

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Maître chat, l’éléphant et les groseilles à Moulins (1)

 

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Le samedi 28 septembre 2019, lors de la deuxième journée professionnelle de la cinquième Biennale des illustrateurs de Moulins (Allier), Anne-Laure Cognet, grande connaisseuse de la littérature de jeunesse en général et des albums en particulier, a interrogé Gilles Bachelet, Blexbolex et Joanna Concejo. Nous sommes heureux de pouvoir mettre en ligne, en deux fois, le verbatim intégral de cette rencontre décrypté par Hélène Brunet, adhérente de la section régionale du CRILJ/Midi-Pyrénées.

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Bonjour à toutes et à tous ! Nous sommes repartis pour une matinée, deuxième ronde de ces journées pro. Avec deux rencontres, une première, tout de suite immédiatement maintenant avec Gilles Bachelet, Blexbolex et Joanna Concejo et une seconde rencontre autour de l’œuvre de Roland Topor. Entre Joanna qui vit dans un forêt de traits, Blexbolex qui se débarrasse bien volontiers du trait et Gilles qui nous fait croire qu’un trait est d’une simplicité enfantine. On ne peut mesurer plus grand écart graphique que celui de nos trois invités. On se demande bien ce qui s’est passé dans la tête des organisateurs ? Vos livres sont extrêmement différents mais parfois les familles les plus éclectiques sont les plus soudées alors va-t-on savoir peut-être qu’au fur et à mesure de la discussion il y aura des passerelles et des petits ponts qui pourront se faire de l’un à l’autre de vos univers. Alors, peut-être avant toutes choses, je vais commencer par vous présenter, Joanna tu as fait les beaux-arts de Poznan en Pologne avant de t’installer en France en 1994 comme plasticienne. Et puis, en 2008, tu as commencé à publier des livres illustrés. Ce qui est très intéressant dans ta bibliographie, c’est que ta route croise celle d’éditeurs européens divers. Le premier était italien, puis après tu as publié beaucoup chez Notari en Suisse, chez Oslo en Espagne, en France au Rouergue et à l’atelier du poisson soluble, et puis, tout dernièrement, tu es revenue à la Pologne avec les éditions Format dont nous allons parler plusieurs fois aujourd’hui. Donc, en tout, tu as publié une quinzaine de livres illustrés, le plus souvent sur les textes des autres, mais pas tout le temps, de ça aussi on reparlera dans cette rencontre. Blexbolex, tu as fait les beaux-arts d’Angoulême puis tu as découvert la sérigraphie ; ce qui a fait que tu as rejoint les éditions Cornélius dès 1996 comme directeur de collection. Sur la scène jeunesse, tu as illustré plusieurs livres chez Thierry Magnier, au Seuil, chez Nathan, mais on peut quand même vraiment dire que ce qui a été la rampe de lancement absolue incontournable commence avec Albin Michel et avec L’Imagier des gens paru en 2008, couronné meilleur livre du monde, j’adore ce titre, je le trouve superbe, et puis, qui va être suivi de Saisons l’année d’après et de Romance faisant ainsi de ta trilogie des imagiers un marqueur assez exceptionnel. On a dû attendre quelques années avant de découvrir deux nouveaux albums ; je me cantonne à la scène jeunesse qui sont Nos vacances en 2017 et Maître Chat l’année dernière dont nous allons parler aujourd’hui. Et Gilles Bachelet.

Gilles, tu as fait les arts déco à Paris que tu as brièvement, enfin que tu as contourné de belle manière puis tu as publié tes premiers albums jeunesse chez Harlin Quist.

Gilles Bachelet –  Avec une petite participation car c’était déjà la fin des éditions Harlin Quist.

 Et puis de toutes façons, c’était un des principes d’Harlin Quist d’avoir des albums collectifs. On était vraiment dans ce grand tournant des années soixante-dix. Mais c’est suite à la naissance de ton fils que tu publies en 2002 Le singe à Buffon et là-aussi tout commence peut-être plus qu’avec les précédentes participations, tout commence pour toi en tant qu’illustrateur jeunesse et évidemment Mon chat le plus bête du monde en 2004 est un personnage qui va t’accompagner, te suivre. Elles sont collantes ces petites bêtes ! Voire même te poursuivre, puisque va sortir incessamment sous peu ce qu’on peut appeler un « track on »  de Mon chat le plus bête du monde  et qui s’intitule Le casting.

 Gilles Bachelet – Pour fêter les 15 ans du chat.

Voilà, on fête les 15 ans

Joanna Concejo – Il est encore vivant ?

Gilles Bachelet –  Non, celui-là, non.

Voilà pour cette petite présentation. Donc, devant le grand éclectisme de vos livres, je vais commencer cette rencontre par ce qui est peut-être un point commun en tous les cas ce qui peut être une accroche, on va dire ça comme ça, qui est que vous avez tous les trois commis un conte au moins un conte. Alors, commençons peut-être par Blexbolex puisque je l’ai là sous la main. Tu as publié Maître Chat et Maître Chat, pour être honnête, c’était véritablement une surprise à sa découverte parce qu’il  emprunte la ruse et le cynisme à son ancêtre le chat botté. Là-dessus, il est tout à fait conforme mais avec une verve très actuelle et une écriture très théâtrale qui vient rythmer comme ça ce petit objet. Donc, un chat jeté par la fenêtre par son maître découvre la liberté, rencontre un lapin d’une insondable bêtise et poltronnerie ; ce n’est pas le trait premier du lapin. Et alors que le chat envisage le hold-up d’une petite épicerie, il se fait attraper et retourne à son état de chat domestique. Alors commençons par le commencement, tu dédies ce livre à Charles, Michael et Joseph qui sont-ils donc ?

Blexbolex – Charles, c’est Charles Perrault évidemment. Michael Kouliakof, c’est Le maître et Marguerite et il y a un personnage particulièrement odieux mais très drôle qui est un démon qui a la forme d’un chat très volumineux et particulièrement odieux. Et le dernier, c’est Joseph Lada qui est un illustrateur tchèque et auquel la silhouette de mon chat doit beaucoup car il a créé et illustré un livre qui s’appelle le chat Mikes. Au contraire de mon personnage, c’est un chat d’une gentillesse extrême parce que trop naïf. Il ressemble vraiment beaucoup au personnage que j’ai dessiné il a des petites bottes rouges et une casquette donc je me suis amusé à faire un méchant Mikes.

Un méchant Mikes. Le fait est que ces personnages ce chat et ce lapin appartiennent à ton vocabulaire, ce sont des personnages que l’on retrouve ailleurs.

Blexbolex – Oui, ce sont mes personnages amusants que j’ai utilisé le chat et le lapin dans un album qui n’est pas destiné aux enfants qui s’appelle Hors zone ; c’est amusant de ramener ces créatures dans différents contextes sur différentes scènes comme des comédiens. C’est pour ça que j’ai mis ce livre sous forme de pièce de théâtre ; ce sont des comédiens que j’engage pour un temps.

Des intermittents ?

Blexbolex – C’est ça ! De quoi vivent-ils après ? … Je ne sais pas, ils sont chez Gilles ?

Très certainement ! Voilà ce sont des personnages mais le fait est qu’ils s’inscrivent en toi. Ils reviennent à d’autres moments comme un vocabulaire graphique mais ils s’inscrivent aussi dans cette histoire du livre longue. Notamment cette couverture où le chat fait révérence et, du coup, il fait référence. Est-ce que pour toi c’est important de s’inscrire dans cette tradition longue de la représentation, ici du Chat Botté ?

Blexbolex – Oui, bien sûr ! C’est un jeu de réponse culturelle et je tiens à leur rendre hommage c’est-à-dire que sans ces personnages, je n’ai pas de création pratiquement, je n’ai que la fantaisie de les réemployer, de les réinterpréter. Ces personnages pour moi sont essentiels, supérieurs. Par exemple, dans Romance, les personnages comme par exemple Pinocchio, sont des archétypes. Grâce à ces archétypes, je peux m’exprimer mais pour moi c’est ce qu’il y a de mieux dans l’expression de la littérature enfantine. Ça commence par des personnages pour moi pratiquement.

Gilles, est-ce que pour toi aussi ça commence par des personnages, toujours ?

Joanna Concejo – Ça  commence par des envies de dessin déjà. Après, c’est dépendant de chaque album, si vous parlez d’un album en particulier.

Là, ce qui m’interpellait, c’était toutes ces références aux personnages traditionnels.

Gilles Bachelet – Oui, j’en ai aussi dans Madame le Lapin Blanc. Je me réapproprie des personnages d’autres auteurs.

En l’occurrence Lewis Caroll ?

Gilles Bachelet – Qui appartiennent à Lewis Caroll. En inventant d’autres à-côtés, un petit mélange des deux. C’est une facilité pour moi car je n’avais pas particulièrement envie de dessiner Alice parce que je ne sais pas dessiner les petites filles donc j’ai dessiné des lapins. (rires)

Mais s’adosser au texte, s’adosser à cette culture, c’est important aussi ?

Blexbolex – Pardon, j’étais en train de penser au lapin blanc. S’adosser, c’est-à-dire… ? Non, ce sont des personnages qui me sont extrêmement sympathiques qui me donnent des envies de conter mais c’est parce qu’ils ont déjà un vécu littéraire culturel ; ce sont pour moi des personnages familiers.

 En tout cas, si j’en viens à ce Maître Chat et à la tradition dans laquelle il s’inscrit, c’est une tradition qui est assez bousculée dans le traitement que tu en fais, que tu lui proposes. Notamment, avec son décor de poubelles, ces objets qui trainent un petit peu à chaque page ces bouteilles, ça n’a rien à envier au Singe à Buffon, il y a un petit problème d’alcoolisme en commun entre les deux albums, avec cette trame noircie comme si l’imprimeur n’avait pas lésiné sur l’encre. Est-ce que cet objet du conte avait besoin d’être un peu patiné ?

Blexbolex – D’être un peu sali, oui ! De toutes façons, le personnage du chat est vraiment méchant. C’est parce qu’il échoue qu’il devient sympathique et donc j’avais envie de donner un arrière-plan relativement sordide à cette histoire qui est exprimé par les déchets, par les traces d’alcoolisme et le fait que l’univers urbain est en train de se construire à ce moment-là avec ses palissades etc. etc. Un univers pas fini, en construction, un peu sale. Là-dessus, je construis mon histoire avec un personnage qui échoue à être totalement méchant, et tant mieux pour lui, et tant mieux pour le lecteur !

Joana, tu as illustré deux contes, Les cygnes sauvages en 2011 et Le Petit Chaperon rouge en 2015. Je vais plutôt m’arrêter sur ce dernier parce que ce Petit Chaperon rouge propose une véritable gageure ; c’est-à-dire que tu as dans le même livre proposé les deux versions du conte : celle de Perrault et celle de Grimm à la queuleuleu. En faisant, par tes images, un lien qui t’est propre et en enchaînant, en donnant l’unité à ces deux textes. Est-ce-que tu peux nous raconter comment ça s’est passé ?

Joanna Concejo – Oui, je vais raconter parce que je m’explique toujours de ce projet.

C’est vrai ? On te demande de te justifier ?

Joanna Concejo – On me le demande mais je ne me  justifie pas moi-même. Je justifie les choix d’édition parce que ce livre n’a pas du tout été pensé comme ça. C’est l’édition française qui est comme ça. C’est l’unique version qui a les deux versions du texte. Ce n’est pas du tout mon choix. Donc, je suis obligée de m’expliquer de quelque chose que je n’ai pas décidé. Moi, j’ai dessiné uniquement pour la version des frères Grimm. Normalement, comme tout le monde, pour un seul texte ! Et l’éditeur, lorsqu’il a acheté les droits parce que le livre dans sa version première est coréen. Et bien, il a eu l’idée brillante de mettre les deux textes ensemble !

Ce qui fait que tu es enquiquinée à chaque fois ?

Joanna Concejo – Oui, j’arrive dans les classes et les enfants me disent : « Mais, tu as fait n’importe quoi ! ». (rires) Et moi, je suis entièrement d’accord ! Je leur dis : « C’est n’importe quoi, ce livre ! ». (rires) Ensuite, je leur explique pourquoi il est comme ça. Mais moi, je suis vraiment d’accord avec eux et, je prends la responsabilité de ce que je dis, je n’ai pas voulu ça, mais l’éditeur voulait tellement ça.

L’éditeur a tellement voulu cela qu’il a gagné ?

Joanna Concejo – Il a gagné et, du coup, moi, lorsque je raconte cet album, j’ignore les deux textes. Je tourne les images et je raconte ma version !

Le fait est que tu racontes une version du Petit Chaperon rouge qui t’appartient totalement. Ne serait-ce que parce qu’on n’a jamais vu le petit chaperon rouge et le loup faire une course en sac et que cette image est juste …

Joanna Concejo – Non, mais ce n’est pas forcément parce qu’on ne l’a jamais vu qu’ils ne l’ont pas fait ! (rires)

Absolument ! Joanna sait ça, elle ! Tu as une façon d’illustrer ce conte en partant vraiment sur des détails un peu sur la marge sur la bande. Est-ce que illustrer une scène convenue t’ennuie ? Comment les choses se passent pour toi, sur un texte fondateur que tout le monde connait ?

Joanna Concejo – Non, ça ne m’ennuie pas. Je ne me sentais pas dans quelque chose de convenu, non plus, pas du tout. Et moi, je sais ! Je « connais » exactement où ça s’est passé ! Je plaisante. Quand j’étais petite, j’étais persuadée que ça se passait dans le village de mes grands-parents parce que sinon, comment ma grand-mère aurait-elle été au courant ? (rires)

Très bien, voilà, il nous fallait la clé !

Joanna Concejo – Je demandais des précisions à ma grand-mère. Je lui demandais sur quel chemin, dans quelle forêt exactement, à quel endroit sur ce chemin a eu lieu la rencontre ?, où est la maison de la grand-mère ? Elle jouait le jeu, elle était très rigolote ! Ma grand-mère disait : « C’est là-bas, c’est cette forêt-là. » Donc, sur le coup, je n’imaginais pas tout de suite ce qu’ils pourraient faire ensemble ces deux-là. Mais, non, ce n’était pas un exercice de quelque chose de convenu qu’il faille faire ceci ou cela.

C’est le petit chaperon rouge de ton enfance ?

Joanna Concejo – Oui, exactement avec des lieux de mon enfance, avec presque ma vraie grand-mère, je dis presque parce qu’elle ne fumait pas. Dans le livre, elle fume donc c’est un peu ma grand-mère et ma mère ensemble. Je ne faisais que dessiner ce que j’ai toujours vu à cet endroit-là.

On a éclairci un mystère. En tous cas, les éditeurs font donc n’importe quoi ! Gilles, tout fout le camp chez ma mère l’oie, ça on le savait ! Avec Il n’y a pas d’autruche dans les contes de fées en 2008, c’est un de tes  premiers albums qui va attaquer frontalement ce patrimoine des contes. On peut dire qu’on accumule une série de scènes extrêmement drôles sur ces contes du répertoire mais dans l’ensemble tu as d’autres livres qui taquinent le conte de fées d’une manière ou d’une autre ; dont Le chevalier ventre de terre, par exemple, qui est l’histoire de cet escargot procrastinateur et vraiment beaucoup trop lent pour arriver à temps sur le champ de bataille et qui est présenté comme un conte de fées. Alors, ma première question : Est-ce qu’un conte de fées, pour toi, est un bon terrain de jeu ?

Gillles Bachelet –  Bien sûr, quand on aime pasticher les choses ! Moi, j’appelle ça jouer avec les affaires des autres, avec les jouets du copains.

Tu me prêtes ton personnage !

Gilles Bachelet – Il faut le faire avec des choses qui sont très connues, sinon ça ne marche pas. Partir d’archétypes, de clichés que tout le monde connait. Par exemple, Le Petit Chaperon rouge, il y en a je ne sais pas combien de milliers de versions ; c’est inépuisable ce qu’on peut faire avec ça. C’est donc l’occasion de faire intervenir les personnages.

De foncer dans le tas. Alors, si on parle des personnages, pour ces contes de fées, tu as quand même pris des animaux, comment dire, des animaux réputés difficiles à dessiner : une autruche et un escargot.

Gilles Bachelet – Ce n’est pas difficile, c’est un animal, pour un illustrateur, qui est du pain béni parce qu’il y a le contraste du noir et du blanc et il y a le contraste des parties toutes emplumées et des parties toutes nues. Et puis, ça a un air crétin quand même ! Il faut bien le dire. Moi, j’adore dessiner des autruches. C’est parti d’ailleurs de cette envie de dessiner des autruches.

C’est parti de ça. Tu t’es dit, qu’est-ce que je pourrais faire avec une autruche ?

Gilles Bachelet – C’est à peu près ça oui. (rires)

Alors, un des traits distinctifs, dans ta manière de dessiner parce que beaucoup de tes albums reposent sur ces animaux. Un des traits distinctifs, c’est de ne pas rendre ces animaux humains, de ne pas les anthropomorphiser, ne pas faire comme si ils étaient comme nous avec une expression ou quelque chose qui les rapproche de nos visages. Est-ce important pour toi de rester sur ce registre animal ? De garder cette étrangeté ?

Gilles Bachelet – C’est dépendant absolument de mes albums puisque dans Le lapin blanc, ils sont très anthropomorphisés. Ils sont habillés, ils ont des comportements vraiment humains. Donc, il y a toute une échelle de variation là-dessus.

 Je sais que Benjamin Rabier est quelqu’un d’important, il est dans un certain nombre de pages de tes albums. Comment envisages-tu le lien avec Benjamin Rabier ?

Gilles Bachelet – C’est une espèce d’affinité qui s’est faite comme ça. Elle vient d’un souvenir d’enfance que j’avais de Benjamin Rabier. Je me suis aperçu après, mais sans que ce soit une volonté délibérée de ma part que je reprenais un peu les mêmes systèmes narratifs, les mêmes systèmes de mise en page que Benjamin Rabier. Des séquences d’actions, puis des images plus fouillées avec des décors. C’est difficiles à dire pourquoi on peut avoir une affinité avec le trait de quelqu’un avec l’univers de quelqu’un.

En tous cas, à l’exposition si vous n’y êtes pas encore allés, vous allez y aller ! Il y a une planche absolument magnifique, un hommage à Benjamin Rabier avec un certain nombre de vaches-qui-rit ; en tous cas, le masque de la vache-qui-rit qui a été adopté par un certain nombre de personnages. Le grand jeu c’est de pouvoir reconnaître les personnages sous le masque. Cette planche a été faite à quelle occasion ?

Gilles Bachelet – Elle a été faite pour une exposition à Montreuil qui s’appelait Jubilo, si je me souviens bien. Il y a quelques années, ils avaient demandé à plusieurs illustrateurs. C’était parti du Château d’anniversaire de Claude Ponti. Il fait référence à toutes ses lectures d’enfance et on a demandé à plusieurs illustrateurs d’imaginer une fête en l’honneur de quelqu’un et dans laquelle il ferait figurer… (rires du public qui regarde la planche projetée) une fête en l’honneur de quelqu’un et dans laquelle il ferait figurer des personnages des lectures de leur enfance. Donc, j’ai choisi Benjamin Rabier puisque c’est pour moi une référence et j’ai fait figurer avec les masques de la vache-qui-rit. Puisque quand je vais dans une classe et que je leur parle de Benjamin Rabier, bien sûr les enfants ne connaissent pas le nom de Benjamin Rabier, et quand je leur dit que c’est lui qui a dessiné la Vache qui rit, bien sûr, ça leur dit quelque chose. Cet espèce d’emblème de la Vache qui rit, je l’ai mis comme masque à tous les personnages des lectures de mon enfance.

Alors, le fait est que dans tes livres, il y a un rapport avec l’érudition. Tu accumules tout.

Gilles Bachelet – Juste. Mais je reviens sur l’anthropomorphisme. C’est surtout dans les histoires d’amour que j’ai cherché à ne pas mettre de traits anthropomorphiques et à ne pas mettre des yeux …

Le Chevalier ventre à terre non plus. Ce sont des escargots. Ils sont habillés mais tu aurais pu leur dessiner de grands yeux à ces escargots et ce n’est pas le cas. L’autruche reste une autruche ; c’est pour ça que je trouve que l’habillement ne fait pas tout dans l’anthropomorphisme. Il y a aussi une manière de représenter le visage. Bref, fermons la parenthèse de ces animaux humains. Juste sur le jeu des références, vous avez une manière très différente de les aborder. Gilles, on peut dire que tu les accumules vraiment d’un livre à l’autre. Bon, alors, Champignon Bonaparte, c’était vraiment la référence à la peinture d’histoire. Mais dans Mon chat, tu glisses de nombreux tableaux de grands peintres modernes. Dans XOX et OXO – je me suis entrainée à dire ce titre – , il y a pas mal de références à l’art contemporain.

Gilles Bachelet – Dans XOX et OXO, c’est vraiment développé car il y a jusqu’à 27 références, par double-page, à des artistes.

C’est votre petit défi de toutes les retrouver ! Mais le fait est que toutes ces références à plusieurs niveaux permettent des jeux de lecture très différents. Est-ce que pour toi c’est ça un album réussi, c’est quelque chose où tu peux t’adresser à tout le monde en même temps ?

Gilles Bachelet – Ce que je cherche à faire, c’est que les références soient un jeu avec le lecteur, souvent beaucoup plus avec le lecteur adulte. Mais ce que je cherche, c’est que ça ne perturbe pas la lecture à un autre niveau de lecture. C’est-à-dire que les références, on les trouve ou on ne les trouve pas, ça n’a pas d’importance. Je veux que ça reste lisible pour un enfant. Champignon Bonaparte, par exemple, on n’a pas besoin de connaître l’histoire de Napoléon. C’est l’histoire d’un sale gosse qui embête tout le monde et qui va finir par se retrouver tout seul. On peut le lire à ce niveau de lecture-là. Après, si on connait l’histoire de Napoléon, on va trouver d’autres références. Ce que j’essaye de faire, c’est que les références ne perturbent pas la lecture.

Pour XOX et OXO, on part pour une planète fort lointaine avec des références à la science-fiction que tu n’avais pas encore réussi à placer ailleurs et tout ça pour arriver au bout du compte à un musée d’art contemporain interstellaire, on est d’accord ?

Gilles Bachelet – Oui.

C’était quand même un sacré détour. Joanna, dans tes albums, le jeu des références est peut-être plus un jeu de mémoire parce que tu glisses souvent des cartes postales.

Joanna Concejo – Quelques fois, j’ai mis des petites références.

Ah ! Oui, mais justement ces petites références, ces photos, ces petits bouts de papier, quel rôle joue ce que tu glisses dans le livre ? Parce que c’est très récurrent ces photos, ces documents et ces petits bouts de papier.

Joanna Concejo – Je sais très peu expliquer mes livres, mais c’est normal parce que j’ai lu dans un livre qui s’appelle La main qui pense que ça peut arriver à des gens de ne pas savoir trop ce qu’ils font lorsqu’ils font les livres. Moi, j’ai besoin du retour du public pour que les gens m’apprennent ce que j’ai fait et que je puisse ensuite en parler. Et maintenant, je me suis perdue. Ah, oui ! C’était la question des références. C’est un petit peu, légèrement obsessionnel. Je peins pour épuiser ce petit filon, je ne sais pas combien de temps ça va durer. Mais en tout cas, j’ai une affection particulière, j’ai vraiment une affection énorme pour ces vieilleries. On va dire pour ces vieux bouts de papier, pour ces vieilles cartes, pour ces personnes qui regardent des vieilles photos. Je ne sais pas, je suis encore très très attirée, je ne m’en explique pas. Et puis, moi, je n’ai pas besoin de m’en expliquer, pour quoi faire ? Je n’ai pas besoin de tout expliquer. Jusqu’au bout, lorsque je travaille, je le prends tel quel. Je ne le questionne pas en fait.

J’entends bien. Du coup, laissons de côté tous les petits bouts qui se promènent, certains font référence peut-être à tes archives personnelles et d’autres pas du tout. Laissons-les vivre leur vie dans ces livres-là. En revanche, tu as un rapport aux paysages à la  nature morte, à l’herbier qui est extrêmement fort. D’où vient en toi, cet ancrage dans ces paysages ? Est-ce que là encore tu vas me dire la forêt de ma grand-mère …

Joanna Concejo – Bien sûr, je vais le dire !

… mais est-ce qu’elles font références aussi à des peintures classiques, une culture apprise aux beaux-arts ? Enfin, voilà ! Comment les choses s’ancrent pour toi dans les livres ?

Joanna Concejo – C’est encore une fois quelque chose que je n’arrive pas trop à bien démêler. C’est assez emmêlé, mais, moi, ce fouillis me va. Donc, je ne cherche pas à savoir pourquoi. J’aime les paysages. Je pense que ça y est pour quelque chose, l’environnement dans lequel j’ai vécu jusque assez tard. J’ai quitté ma campagne chérie de manière un peu définitive, pas tout à fait, mais de manière un peu plus significative lorsque j’avais déjà vingt ans. Donc, ça faisait un bout de temps que je n’étais entourée que de paysages, de forêts, etc. De plus, j’ai une fascination pour la peinture. Venant d’où je viens, de la Pologne, nous avions, quand j’étais petite, une grande influence de l’Est. Ce n’est pas un scoop ce que je vous dit là. (rires) J’étais fascinée par des reproductions des peintures russes, sur les timbres, en minuscule. Je pouvais passer des heures sur les albums de timbres avec les reproductions de tableaux de paysages. J’adorais ça. J’avais l’impression de rentrer dedans. Si il y avait un chemin, et bien, j’avais vraiment l’impression d’aller sur ce chemin dans des timbres alors que c’était vraiment tout petit. C’était une fascination que j’avais et que j’ai encore quand quelque chose est petit. Surtout un paysage, ça me fascine. Je suis scotchée. Il y a certainement d’autres références que je ne connais pas, que j’ai laissées entrer en moi sans faire attention, ça s’est mélangé.

Alors, puisqu’on parle du minuscule. Je voudrais qu’on parle du livre qui vient de sortir, Ne le dis à personne, où tu racontes à deux voix avec ton mari Rafael, vos enfances respectives, un jeu de ping-pong entre vous deux. Vos textes rebondissants les uns sur les autres : toi ton enfance en Pologne, lui son enfance en France dans une famille d’origine espagnole et tes images font le lien entre vos deux textes. Le livre est extrêmement touchant, les textes sont très beaux. Quand toi tu te plains d’un manteau hideux, lui raconte des séances d’essayage de pantalon, évidemment pendant la meilleure émission télé. Enfin, voilà, c’est toutes ces petites choses de l’enfance que vous racontez l’un sur l’autre mais graphiquement le trait que tu fais c’est toi qui illustre l’ensemble du livre. C’est de vous représenter, j’imagine tous petits, tous minuscules, perdus sur cette page et souvent de diviser la page en deux. Comment as-tu voulu interpréter vos enfances ? Parce que là, c’est vraiment ce retour aux sources directement, frontalement.

Joanna Concejo – Je ne les ai que depuis hier. Heureusement, merci aux enfants que j’ai rencontrés, qui m’ont posé beaucoup de questions, qui m’ont obligée à penser sur la question. Alors, pourquoi minuscule, parce que comme je me suis servie pas mal de photos : des miennes et des siennes, souvent les photos de l’époque ne sont pas géantes. Elles sont assez petites. Les gens, sur ces photos-là, sont assez petits. Et moi, j’ai voulu garder cette mesure. Donc, si, sur une photo, j’étais toute petite, alors je la dessinais pareil, toute petite. Et maintenant, le contexte, c’est que je suis toute petite, perdue dans cette feuille très grande. Quand les enfants, hier, m’ont demandé pourquoi tu caches une partie des images, pourquoi on ne peut pas regarder derrière, on veut voir le visage de cette petite fille, on ne peut pas le voir ça, nous énerve. Moi, je n’avais pas d’explication. Mais j’en ai une, on va dire provisoire pour aujourd’hui … (rires)

C’est une bonne idée, merci.

Joanna Concejo – C’est provisoire parce qu’elle pourra peut-être encore évoluer changer. Je me suis  dit que c’est un peu comme avec les souvenirs, tout n’est pas net et tout n’est pas découvert. C’est plutôt qu’il y a une partie qui est tellement couverte qu’on n’arrive plus trop à voir. C’est vrai, il y a une petite frustration du fait de ne plus pouvoir arriver à tout voir clair, ou à découvrir ces parties cachées et c’est probablement sorti un peu tout seul dans le dessin ; le fait que celui qui regarde ait aussi la frustration : eh bien non, il ne verra pas le visage de cette petite fille qui est caché par une autre partie de l’image !

Parce qu’on n’a plus accès à ses souvenirs ?

Joanna Concejo – Pas la totalité en tous cas ! Enfin, moi, je suis comme ça, je ne sais pas vous ? Je sens que c’est un sentiment partagé.

(Moulins – septembre 2019)

 

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 Hélène Brunet habite et travaille dans le Volvestre, territoire rurbain au sud de Toulouse. Elle est enseignante dans le 1er degré et a, cette année, une classe de cours préparatoire. Elle a toujours intégré la littérature de jeunesse dans sa pratique pédagogique et a réalisé plusieurs classes lecture à la Salle du Livre du CADP de Rieux Volvestre. Elle est depuis deux ans adhérente au CRILJ/Midi-Pyrénées où elle occupe le poste de trésorière adjointe. Elle s’est investi dans les projets menés par le CRILJ au plan national, notamment, en 2019, celui autour des représentations de la pauvreté en littérature de jeunesse. C’est une fidèle des rencontres avec les auteurs-illustrateurs qu’invite le CRILJ/Midi-Pyrénées Elle apporte son concours, en 2020 et 2021, au projet Habiter. Hélène Brunet est l’une des quatre boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion de la cinquième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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photos : André Delobel

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