Tomi Ungerer à Moulins

Parcours dans l’œuvre de Tomi Ungerer avec Thérèse Willer

par Martine Abadia

     Après une introduction d’Anne-Laure Cognet, médiatrice, pour excuser l’absence de Tomi Ungerer, la parole est donnée à Thérèse Willer, auteure d’une thèse sur l’auteur-illustrateur parue aux éditions du Rocher et conservatrice du musée qui lui est consacré à Strasbourg, musée qui a aussi vocation de Centre international de l’illustration.

     L’article suivant croise les propos de la conférence de Thérèse Willer lors de la journée professionnelle de la Biennale des Illustrateurs à Moulins (Allier), le vendredi 29 septembre 2017, avec des extraits d’interviews contenus dans le film documentaire Tomi Ungerer, l’esprit frappeur de Brad Bernstein, dans le numéro spécial de la revue ZUT ! ainsi que dans divers articles qui lui ont été consacrés.

    Tomi Ungerer, né en 1931, est l’auteur d’une production graphique à la fois très abondante (30 à 40 000 œuvres) et très diversifiée (ouvrages pour la jeunesse, publicité, dessins satiriques, érotiques et d’observation).

    Son œuvre s’articule autour de quatre grandes périodes qui sont corrélées très étroitement à ses déménagements : la période alsacienne jusqu’en 1956, la période américaine de 1956 à 1971, la période canadienne de 1971 à 1976, la période irlandaise à partir de 1976.

    Dans un de ses entretiens à Philippe Schweyer, Tomi Ungerer dit : « J’ai passé les quatre premières décennies de ma vie à courir de lieu en lieu. Depuis mon retour en Europe, j’exécute un continuel mouvement de balancier entre l’Alsace où j’ai mes racines et l’Irlande où j’ai mon feuillage. » (1)

    Nourri par cette âme vagabonde et marqué par les années de guerre de son enfance, Tomi Ungerer refuse les frontières : « Je n’aimerais pas être rangé dans une case, cela vient de mes origines alsaciennes. Suis-je allemand ? Suis-je français ? Non, je suis alsacien. Suis-je New-Yorkais ? Suis-je Irlandais ? Tout doit être relativisé. »

    Dès la fin des années 60, Tomi Ungerer a souhaité partager son œuvre avec un large public en la confiant d’abord à Philadelphie et à l’Université de Minneapolis, puis, bien sûr, en 2007, au Musée de Strasbourg , qui dispose aujourd’hui d’un ensemble de près de 10000 dessins très représentatifs de l’évolution de son œuvre et de 6000 jouets provenant de la collection personnelle de l’artiste.

    Thérèse Willer articule son intervention autour de trois axes : les divers genres graphiques de l’œuvre de Tomi Ungerer, les différents thèmes qui traversent cette œuvre, les échos graphiques et plastiques, les connexions avec l’histoire de l’art

  1. Les divers genres graphiques

    Ou plutôt les différentes facettes d’un même talent, facettes qui s’imbriquent et sont menées parallèlement tout au long de son évolution créatrice.  Il semble important aussi de préciser à quel point la vie personnelle de Tomi Ungerer, les périodes noires qu’il a traversées dans son enfance et sa migration aux USA ont influencé sa création. Dans un interview, Tomi Ungerer dit que « s’il n’avait pas perdu son père très tôt [à l’âge de 4 ans], on ne l’aurait jamais laissé devenir artiste. » (2)

    Tomi Ungerer est né en Alsace dans une famille d’horlogers ;  son enfance a été marquée par la seconde guerre mondiale, l’occupation puis la libération, la libération dont il dit lui-même qu’elle lui a apporté tant de frustrations et de désillusions qu’elle provoqua en grand partie sa migration vers les USA en 1956. « Le retour des Français reste encore pour moi la plus grande désillusion de ma vie. J’y ai laissé mon innocence et j’y ai trouvé mon arrogance d’alsacien. » (3) Ces expériences ont sans nul doute forgé son caractère, sa singularité et son anticonformisme. (4)

a) Le dessin pour enfants

    Cette partie de son œuvre comprend 70 titres, traduits pour la plupart en 30 langues. La grande majorité de ses albums ont été publiés en France, mais parfois 20 ou 30 ans après leur parution initiale aux USA. Le début de sa carrière est corrélée à sa rencontre avec Ursula Nordström des éditions Harper § Row, chez qui paraîtront tous les albums de sa période américaine.

    En 1957, parution de Les Mellops font de l’avion, premier volume de la série « Les Mellops », famille de petits cochons à qui il arrive des aventures toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Le succès immédiat du premier titre et les nombreux prix qu’il reçoit aux USA engagent Tomi Ungerer à publier quatre autres titres.

    A la suite de ce succès, entre 1958 et 1961, paraissent quatre autres titres : Rufus, Orlando, Crictor et Adelaïde.

    En 1961, Tomi Ungerer se fait vraiment connaître lors de la parution de l’album Les trois brigands. Cet album surprend mais aussi séduit le public pour son style caricatural, son trait synthétique, ses formes au style japonisant et son propos.

    Entre 1966 et 1971, Tomi Ungerer s’engage dans la voie de la satire et de la lutte contre l’intolérance. Cet engagement s’illustre surtout dans le domaine de la publicité mais aussi dans le domaine du dessin pour la jeunesse. Durant cette période, paraissent plusieurs titres : Jean de la lune et Guillaume, l’apprenti sorcier, en 1966, Le géant de Zéralda, en 1967.

    Selon Tomi Ungerer, Jean de la Lune est l’éternelle histoire de l’intrus, différent des autres. Ce conte dénonce l’injustice et l’intolérance. Il est aussi profondément antimilitariste et s’inscrit pleinement dans une critique de la guerre du Vietnam

    Pour Guillaume, l’apprenti sorcier et pour Le géant de Zéralda, Tomi Ungerer dit vouloir confronter l’enfant lecteur au sentiment de peur ; il estime que l’enfant doit avoir ressenti cette sensation, fréquemment rencontrée  dans la vie réelle, pour grandir et ne doit pas être cantonné, sous prétexte de son statut d’enfant, dans un monde ultra-protecteur et hypocrite. Il faut noter aussi que L’apprenti sorcier est initialement un poème de Goethe, doté d’une morale universelle et compréhensible par tous : ne jamais prendre une place qui ne nous appartient pas, sans formation. Ces deux ouvrages  fourmillent de détails, de références culturelles, proposent des fins ouvertes et nous invitent à des relectures multiples ; saisit-on, par exemple, dans Le Géant de Zéralda, lors d’une première lecture, tout le sens de la dernière illustration ?

    Au fil des années, alors qu’il arrive au faîte de sa réussite, autant dans l’illustration jeunesse que dans les autres productions graphiques (cartoons, publicité), Tomi Ungerer critique de manière de plus en plus virulente la politique américaine : guerre du Vietnam, ségrégation raciale, hypocrisie et superficialité des rapports humains. Il s’autorise de plus en plus de liberté, y compris dans les ouvrages de jeunesse :

Le chapeau Volant, en 1970, met en scène un vétéran de guerre mutilé qui, grâce à son chapeau volant, va accéder à la fortune et au bonheur. Dans ce conte, Tomi Ungerer introduit la satire sociale en dénonçant injustice, misère et marginalisation.

– La grosse bête de Monsieur Racine, en 1971, se caractérise aussi par son esprit satirique et caustique. D’un comique grotesque, certains dessins rappellent les scènes de Dubout, parfois aux limites licencieuses.

– Papaski, en 1971, privilégie l’élément de l’absurde sous la forme de fables sans fil conducteur apparent. Elles ont en commun toutefois de constituer une critique virulente de la société de consommation par l’utilisation d’un humour sardonique et l’utilisation du motif du jouet détourné de sa fonction première.

– Dans Pas de baiser pour maman, en 1973, il choisit l’illustration à la mine de plomb et le personnage d’un chaton pour exorciser son enfance. Cet ouvrage a déchaîné les critiques aux USA car Ungerer y  avait introduit une scène représentant une table de petit déjeuner avec une bouteille de schnaps.

– Allumette, en 1974, constitue son dernier ouvrage, avant 20 ans de silence, en termes de parution jeunesse. Fortement inspiré du conte d’Andersen, ce livre met en scène une héroïne vivant dans un monde industrialisé. Il constitue une satire de la déshumanisation, liée à ce qu’il qualifie de dérive sociétale.

    Son humour corrosif, la parution de ses dessins érotiques  et sa vision sans concession de la société américaine vont lui attirer les foudres de la presse et de la société civile. En 1971, il quitte les USA pour la Nouvelle Ecosse, au Canada, puis, quelques années plus tard, s’installe avec sa femme Yvonne en Irlande où il vit toujours.

    Après une interruption de plus de 20 ans, paraissent à partir de 1997, plusieurs titres pour la jeunesse : Flix, en 1997. Tremolo, en 1998, Otto, autobiographie d’un ours en peluche, en 1999.

    Ces trois ouvrages, d’abord parus chez l’éditeur suisse Diogènes-Verlag, paraîtront ensuite à l’école des Loisirs qui, aujourd’hui, propose l’ensemble de son œuvre pour la jeunesse.

    Les albums Le nuage bleu, en 2000, Amis-Amies, en 2007, et Zloty, en 2009, ont en commun de prôner l’amitié et la solidarité comme vecteurs des relations humaines et moyens de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. On y retrouve aussi le goût de Tomi Ungerer pour la musique et les arts.

   En 2013, est édité Le Maître des Brumes. Dans cet ouvrage plus apaisé, Tomi Ungerer rend hommage, de merveilleuse façon, à cette belle terre d’Irlande, pays de brume, de brouillard et de mer, où il réside depuis plus de 30 ans.

    « Si j’ai conçu des livres d’enfants, dit Tomi Ungerer, c’était d’une part pour amuser l’enfant que je suis, et d’autre part, pour choquer, pour faire sauter à la dynamite les tabous, mettre les normes à l’envers : brigands et ogres convertis, animaux de réputation contestable réhabilités… Ce sont des livres subversifs, néanmoins positifs ».

 b) Les dessins publicitaires

    Dans un entretien accordé à son éditeur Diogènes Verlag en 1994 (5), à l’occasion d’une rétrospective de son travail d’affichiste, Tomi Ungerer dit : « L’affiche est pour moi la reine des médias. Par son format, elle se laisse voir de loin, elle ne bouge pas, on a le temps de la déguster. Et pourtant, il faut qu’elle accroche, qu’elle mette le grappin sur le regard du passant pressé ou de l’automobiliste stressé. » Plus loin, il ajoute : « A New York, dans les années 60, j’ai vécu l’âge d’or de la publicité. New York, ville libre, où tout alors était concevable… Depuis,  les esprits ouverts se sont refermés – ou hélas – nous ont quittés. Certaines [affiches] ont causé des remous ou des protestations, surtout par les féministes et les ligues de vertu ! Mon esprit provocateur est alors comblé, stimulé par les tollés. »

    Sa première affiche pour la papeterie Schwindenhammer en 1954, « Il n’avait pas… un cahier Corona », se caractérise par un trait stylisé et une composition structurée par des diagonales ; il joue sur l’effet de surprise provoquée par une situation inattendue : un écolier est mis au coin, un bonnet d’âne en guise de tête, – parce qu’il n’avait pas de cahier Corona…

    Dès 1957, Tomi Ungerer démarre véritablement sa carrière de dessinateur publicitaire, profitant du contexte très favorable des années soixante pour  la publicité, mais aussi de l’explosion de la société de consommation. Les agences de publicité américaines se sont en effet très vite enthousiasmées pour ce jeune créateur plein de talent dont les affiches alliaient causticité et créativité. Toutefois, beaucoup de ses projets restent inédits car jugés trop subversifs.

    C’est la campagne publicitaire qui lui est confiée par Le New York Times en 1960 qui le rend célèbre : une série de 24 immenses affiches sont placardées dans le métro newyorkais et ont pour vocation de créer un choc visuel par l’emploi de couleurs vives en contraste avec le noir, par le jeu entre la typographie et l’image et les situations incongrues qu’elles mettent en scène.

    Plus tard, en 1968, il utilisera un slogan frappeur « Expect the unexpected », que l’on peut traduire par « S’attendre à l’inattendu », dans l’affiche publicitaire pour The Village Voice.

    Et, parallèlement, en 1967, il est sollicité pour l’ouverture  du complexe de boutiques Truc avec un slogan, « Truc est plus étrange que la fiction », qui est une forme de réinterprétation de la mythologique licorne qui ne se laisse approcher que par des vierges. Ici, Tomi Ungerer représente une femme nue, peut-être de petite vertu du fait de ses bas rouges, qui contrairement à la légende, réussit à traire l’animal mythique.

   Le support de l’affiche est aussi un moyen pour Tomi Ungerer  d’exprimer ses opinions sur la politique américaine des années 60. Dans « Black Power/White Power », en concevant son dessin comme une carte à jouer qu’on peut retourner, il pose la question de la responsabilité des deux camps à propos de la discrimination raciale. Dans « Choice, not chance », il exprime, de manière cruelle et dramatique, son profond antimilitarisme.

    A partir des années 70, son style évolue. Il attache de plus en plus de place au jeu de mots et à l’association d’idées. Ainsi, en 1975, il réalise une série d’affiches pour l’imprimerie Siegwerk dans laquelle il décline le thème de l’arc en ciel. Avec le slogan  « L’arc en ciel réveille la fantaisie de façon formidable », il joue sur le double sens en allemand du mot « ungeheuer » qui signifie au sens propre « monstrueux » et au sens figuré « formidable » : il l’illustre par le monstre du Loch Ness qui est chevauché d’un personnage en habit et haut de forme.

    Depuis les années 1980, l’affiche  lui sert de médium  pour les causes humanitaires qui lui sont chères : respect des droits de l’homme, lutte contre le sida et aide à la Croix Rouge. Au-delà de ses évolutions, la place de la satire, l’exploitation de l’absurde et le rapport entre le texte et l’image restent des constantes de son œuvre publicitaire.

c) L’œuvre satirique

    La satire correspond parfaitement à l’esprit caustique de Tomi Ungerer. Dès son jeune âge, Tomi Ungerer s’adonne au dessin satirique, un moyen sans doute d’exorciser ses peurs et sa colère contre l’occupation allemande. (6)

    Mais ses véritables débuts dans le dessin satirique ont lieu à New York lorsqu’il travaille pour plusieurs grands magazines. Il adopte le genre « cartoon » pour croquer avec humour et sans ménagement le monde contemporain : dans un recueil intitulé Horrible, il dénonce la mécanisation du monde moderne ; dans Inside Marriage, il fait une satire du mariage.

    Dans le  livre The party, vers la fin des années 1960, le style de Tomi Ungerer se durcit vraiment. Il fait une critique très violente de la bonne société newyorkaise en observant son comportement dans des soirées mondaines. Son ton y est mordant, parfois à la limite du supportable pour la « bonne société » de la ville.

    Plus tard, durant les années 1970, son œuvre satirique prend une dimension plus dramatique, comme si Tomi Ungerer prenait plus de distance, se plaçait en moraliste, pour mieux se préoccuper de sujets essentiels et mieux juger ses contemporains. Deux œuvres sont à signaler : Babylon, pamphlet de la décadence du monde moderne dans lequel l’auteur dénonce, par exemple, les dangers de la surpopulation en illustrant la vie quotidienne des humains dans des alvéoles d’une ruche, et Symptomatics, où il s’attaque aux conséquences du monde moderne et de la société de consommation sur l’être humain.

    A partir des années 1980, il se recentre sur la lutte contre l’intolérance, le fascisme et la guerre. Les évènements auxquels il fait référence, sont plus datés, inscrits dans l’histoire personnelle de Tomi Ungerer. Le fascisme est incarné par le nazisme, l’antimilitarisme par le souvenir de la seconde guerre mondiale.

    L’ensemble de cette œuvre satirique se caractérise par un graphisme brutal, sans concessions, la diversité de ses techniques allant du collage au dessin et à la peinture, et par son ancrage dans la société.

d) Le dessin d’observation

    En contrepoint de cette œuvre satirique, Tomi Ungerer a ressenti le besoin, comme il le dit, de « trouver un nouveau sens de la mesure » en renouant avec une vision plus classique du dessin. Le jeune Tomi Ungerer aimait déjà aller se promener dans les forêts alsaciennes et faire des croquis des espèces d’oiseaux qui les peuplaient.

    C’est à son arrivée en Irlande, qu’il va consacrer du temps au dessin d’observation. Il esquisse des animaux familiers et  fait des croquis de ses propres enfants observés dans leur contexte de jeu ou d’activité. On y découvre un Tomi Ungerer qui maîtrise parfaitement le trait, qui réussit à saisir la vivacité du mouvement, tout cela avec une économie de moyens : souvent, encre de Chine et lavis. Mais la satire n’est tout de même jamais très loin, comme dans Slow Agony où il dépeint son univers canadien, la déchéance de la société de consommation et la violence humaine qu’elle engendre.

e) Le dessin érotique

    Apparessant toujours en filigrane dans l’ensemble des créations de Tomi Ungerer, y compris dans ses albums pour la jeunesse, il peut être considéré à cet égard comme un thème de son œuvre.

    Dans ses dessins érotiques, la satire sociale est souvent présente : en 1969, dans Fornicon, Tomi Ungerer s’inspire de scènes imaginées par lui-même avec des poupées Barbie désarticulées et mises en situation, pour critiquer la mécanisation du sexe. Pour accentuer la froideur, il utilise un trait linéaire à l’encre de Chine. Par contre, dans Totempole, il s’intéresse à l’érotisme en tant que tel et propose des dessins d’une grande précision anatomique, réalisés avec des crayons gras pour donner  du volume aux formes. Dans les années 80, il réalise Les Grenouillades où l’on découvre encore une autre technique très colorée et aux formes pleines. Cette série rappelle la verve et la fantaisie rabelaisienne.

  1. Une approche thématique et iconographique

    La plus grande partie de l’œuvre de Tomi Ungerer s’articule autour de la thématique des pulsions de vie et de mort, de la femme et de l’érotisme, sans oublier la satire sociale.

a) Le temps qui passe et la mort

    N’oublions pas que Tomi Ungerer a grandi dans une famille d’horlogers et a joué petit au milieu du tic-tac des pendules ou des mouvements de balanciers. Tomi Ungerer a perdu son père très jeune et a connu les horreurs de la guerre. Cette conscience du temps qui passe inexorablement et de la mort qui plane constitue en quelque sorte un thème obsessionnel de son œuvre. Il se représente même, dans un autoportrait, en compagnie de la Mort, non pas comme une intrusion agressive mais plutôt comme une compagne attentive. Dans ses représentations de la Mort, celle-ci est toujours accompagnée de l’image allégorique de la faux. Tomi Ungerer s’arrange aussi très souvent pour faire participer la Mort à des activités humaines. Dans l’Hommage à Posada,  ils représentent des squelettes, coiffés de casquettes, sur des bicyclettes.

    Il arrive aussi à Tomi Ungerer d’associer le thème de la Femme et de la mort : elle joue par exemple un rôle important de médiatrice avec la mort comme dans le dessin Femme savante dans Babylon, où la femme aux traits anguleux, évoquant déjà la mort proche tient dans sa main un crâne humain.

b) La femme

    La femme est omniprésente dans son œuvre. Souvent, dans ses cartoons, il en fait un portrait plutôt humoristique comme dans Pédalo-Pudding où il dissocie le corps de la femme en deux : une partie pédale pour maigrir, l’autre mange un pudding. Dans The Party, il évoque un des défauts majeurs qu’il attribue à la femme, les bavardages médisants et donne une représentation plutôt cruelle de la femme américaine.

    Les rapports entre l’homme et la femme sont aussi pour lui une source d’inspiration. La femme est une puissance dangereuse. Séductrice, elle veut dominer l’homme. La critique de Tomi Ungerer est particulièrement virulente quand il évoque la volonté d’émancipation de la femme américaine qu’il juge responsable de l’effondrement familial, privilégiant sa vie professionnelle à son rôle de femme et de mère. Dans Babylon, il représente une femme, à tête de Mickey et chaussée de bottes, qui cravache des enfants manifestant pour réclamer des mères : « We want mothers ! »

c) Le rapport à la mécanisation, les objets

    De nombreux dessins dénotent une angoisse de Tomi Ungerer face la mécanisation et à l’industrialisation de la société. L’homme qui a perdu la maîtrise de la machine en devient la victime au risque de perdre son identité. Ainsi, dans Symptomatics, une femme arrache comme une peau son visage laissant apparaître un trou noir.

    Paradoxalement, Tomi Ungerer est un grand collectionneur de jouets et plus particulièrement de jouets mécaniques.

    Les objets les plus banals de la vie quotidienne font aussi partie de son univers iconographique. Parfois placés de manière apparemment incongrue, ils ne sont jamais pour autant anodins. Tomi Ungerer considère les objets comme des produits de la société de consommation qui envahissent la vie de l’homme. Il n’hésite donc pas à les transformer en monstres fantasmagoriques.

d) Les références à l’histoire de l’art

    Tomi Ungerer a effectué ses études à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg mais il se revendique surtout comme un autodidacte. Il a aussi bénéficié d’une bibliothèque paternelle particulièrement riche et très influencée par la situation de l’Alsace pendant l’entre-deux guerres.

    On peut par exemple citer le thème des sorcières, présent dans certaines œuvres allemandes et que nous retrouvons dans certains albums. Ou l’influence de Dürer pendant son séjour au Canada, période où Tomi s’est beaucoup consacré aux dessins d’observation, s’inspirant des dessins de ce peintre.

 Se sont rajoutées d’autres sources artistiques : le courant romantique et tout particulièrement Gustave Doré pour le traitement de la lumière et la représentation d’une Alsace mythique, le dadaïsme et le surréalisme et l’on pense à Max Ernst pour les collages et les photomontages, les dessinateurs satiriques comme Hansi, Wilhelm Busch, auteur de Max et Moritz, et Saul Steinberg.

  1. Pour conclure

    Tomi Ungerer n’a jamais cessé de nous surprendre, par son esprit curieux, son goût du paradoxe, de l’humour et de l’autodérision. Dans son œuvre, tout est simultané. Aujourd’hui, par les dessins-collages et ses photomontages qu’ils transforment en 3D,  Tomi Ungerer a décidé de se consacrer à des formes plus libérées de création que l’illustration.

    Un grand merci à Thérèse Willer pour cette déambulation dans l’œuvre d’un des plus grands auteurs-illustrateurs pour la jeunesse contemporains.

(novembre 2017)

(1) hors série de la revue ZUT ! p. 34-35, Chic Médias, 2011 ; graphiques présentant la corrélation entre ces périodes, les thématiques et les techniques d’illustration

(2) Aux petits enfants les grands livres, p. 90, Association Français pour la Lecture, 2007                       

(3) revue ZUT ! p.  63

(4) Pour comprendre la relation étroite entre cette enfance alsacienne et son œuvre, nous recommandons la lecture de A la guerre comme à la guerre, école des loisirs, 2002

(5) extrait de cet interview dans la revue ZUT ! p.158

(6) cf A la guerre comme à la guerre

    

Enseignante pendant de longues années, Martine Abadia fut responsable et animatrice de la Salle du Livre du Centre d’animation et de documentation pédagogique (CADP) de Rieux-Volvestre, centre de ressources littérature jeunesse et lieu d’accueil de classes lecture, ouvert en partenariat par le Conseil Général et l’Inspection Académique de la Haute-Garonne. « Je profite de mon nouveau statut de retraitée pour approfondir au CRILJ Midi-Pyrénées ma connaissance de la littérature de jeunesse et pour faire partager ma passion aux médiateurs du livre du  département. » Marine Abadia est l’actuelle présidente de la section.

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Photo du haut : André Delobel

    

Pauline Kalioujny à Moulins (1)

Promenons-nous dans l’exposition de Pauline Kalioujny

par Laëtitia Cluzeau

    Une esthétique japonisante à la fois minimaliste et sensible se dégage du travail de Pauline Kalioujny, à la frontière entre les arts plastiques, le livre d’image et les techniques de la gravure. Dans son dernier album, Promenons-nous dans les bois, l’illustratrice nous émerveille avec un Petit Chaperon rouge revisité, à la fois identifiable tout de suite, ancré dans sa tradition, et résolument contemporain.

    Lorsque je suis entrée aux Imprimeries Réunies, rue Voltaire à Moulins où exposait Pauline Kalioujny, lors de la quatrième Biennale des illustrateurs organisée par l’association Les Malcoiffés, j’ai découvert une forêt d’œuvres sensibles, de fleurs rouges tracées à l’encre, d’intérieurs boisés en niveaux de gris dans lequel le fil d’Ariane était le conte du Petit Chaperon rouge.

    Nous étions en hiver. J’ai eu l’impression d’emprunter le sentier d’une forêt enneigée par l’esthétique du vide avec laquelle Pauline met en valeur le blanc du papier dans ses encres et aquarelles. A côté des tableaux et des planches originales de ses différents albums se dressait une magnifique planche d’arbre gravée à taille humaine qui nous propulse directement dans l’univers du conte. J’ai également été frappée par la petite série d’autoportraits photographiques où elle apparaît telle une elfe des bois travaillant la magie de la plaque de gravure.

    L’ensemble de ses originaux est très esthétique. J’ai été très heureuse de découvrir ce travail et de voir de quelle manière Pauline avait savamment revisité et interprété le célèbre conte de Charles Perrault revu par les frères Grimm. Une unité graphique affirmée que donne sa palette restreinte apporte une grande force à son travail. Elle a su tirer profit de la chromie du conte telle une signalétique dans laquelle elle nous emmène à travers bois dans des images traitant de la déforestation et où la présence humaine apparaît presque comme une menace. Pauline s’inscrit, avec la technique de la gravure,  dans la lignée de Gustave Doré. Et nous reconnaissons sans mal le conte initial à travers les dessins de Pauline Kalioujny.

    L’artiste, publiée aux éditions Thierry Magnier, a choisi un format original pour son album afin de mieux nous immerger dans son univers. Les murs des Imprimeries réunies étaient recouverts de grandes fresques horizontales qui deviendront par la suite les pages du livre, pages qui se succèderont au rythme de la cèlebre comptine musicale ayant bercé mon enfance : « Loup y es tu ? M’entends tu ? », « Je mets mes griffes »

   

    Son trait de génie est d’avoir su tirer d’une contrainte  technique un style. L’album est à la fois épuré dans les couleurs et texturé (les écorces, la fourrure du loup). Au moment de l’intermède, en pleine page, le loup surgit par un lien graphique traduit de manière abstraite : la fourrure. C‘est le moment du climax de l’histoire, celui où elle bascule dans un dénouement inattendu.

    La genèse de cet album a eu lieu lors d’une résidence à Troyes. C’est à Troyes que Pauline Kalioujny a eu l’idée d’une vision du paysage tout en longueur, telle une fresque panoramique. Elle a travaillé plusieurs semaines sur le concept du détournement de la comptine Promenons nous dans les bois. En exploitant le côté rythmique de la comptine dans un livre au façonnage ingénieux, elle a mis en image les sons de notre enfance, la voix du loup et le chant de la fillette qui se promène. La lecture chantée de cet album scande quelque chose de l’ordre du parcours, chaque phase de la comptine fonctionnant comme une image clé à la manière d’un story board.

    Ayant, pour ma part, étudié diverses variantes revisitées du Petit Chaperon rouge, j’ai apprécié  le dénouement complice de ce conte entre les deux héros. Cela a fait écho en moi à une image, Chaperon rouge soignant le loup, que j’avais réalisée lors de mes recherches en master édition. Dans mon chaperon rouge, le loup a la patte blessée et la fillette lui fait un pansement. L’action se situe à l’orée d’une clairière au lointain de laquelle on aperçoit la maison de la grand-mère.

    Je tiens à remercier Pauline Kalioujny pour la force et la poésie de son travail. Il  m’encourage à poursuivre mes recherches graphiques. Le Petit Chaperon Rouge étant mon conte classique préféré, j’ai été très touchée par les éhanges que j’ai eu avec elle et enchantée par sa facture.

(décembre 2017)

Originaire de Dordogne, Laëtitia Cluzeau est actuellement professeur d’arts plastiques au collège d’Ahun (Creuse). Graphiste de formation, elle a travaillé pour divers entrepreneurs et associations. Ayant développé, depuis une dizaine d’année, une recherche plastique dont la palette est issue des couleurs des saisons, d’herbiers fantaisistes et de sa collection de brindilles, ses « peintures de saison » mêlent éléments végétaux, collages et ambiance onirique. Laëtitia Cluzeau se destine, depuis trois ans, à la littérature pour la jeunesse. Elle a finalisé un premier album (Mélisse tu parles trop !) co-écrit avec Martial Quintyn et qui  met en scène les aventures d’une petite princesse trop bavarde aux cheveux soufflés aux quatre vents. Infographiste pour le carnet de voyage de Coline Lyphout Agricultures marocaines, histoires d’hommes, histoire de terre, elle a, en 2017, travaillé pour l’Institut d’études occitanes du Limousin. Laëtitia Cluzeau est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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Photo du bas : André Delobel

Jérémie Fischer à Moulins

 

 par Josette Maldonado et Pierrette Debarge

    Nous l’avions remarqué lors de sa participation à la table ronde animée par Anne-Laure Cognet réunissant trois jeunes artistes qui s’adressent à la petite enfance, Malika Doray, Pauline Kalioujny et lui, Jérémie Fischer.

    Assis entre les deux illustratrices qui, par leur taille, le dominaient légèrement, il nous avait séduites par la clarté de sa prise de parole, son assurance qui tranchait sur une attitude un peu en retrait.

    Il nous avait également impressionnées par la façon dont il avait su, dès 2011, tout juste diplômé de École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg et, peut-être même, avant, commencé à construire un vrai parcours professionnel, n’hésitant pas, tout jeune sérigraphiste, à  s’insérer dans des groupes de recherche comme Orbis Pictus Club (club parisien d’impression spécialisé dans les livres d’artistes), à participer à des revues d’arts graphiques comme Nyctalope, à côtoyer des éditeurs et à nouer des liens, en particulier avec celui qui allait devenir son partenaire d’écriture, Jean-Baptiste Labrune. En 2012, Jérémie Fischer et Jean-Baptiste Labrune publient  ensemble, aux éditions Magnani,  Eléphouris, un ouvrage  pour les petits. La même année,  Jérémie Fischer, seul cette fois,  fait paraitre aux éditions Nobrow, Le Royaume Quo, une bande dessinée de 24 pages, avant de fonder l’année suivante une revue littéraire et dessinée, Pan, dont l’idée force est de « faire collaborer écrivains et artistes dans une optique de recherche et d’échange : les écrivains élaborent des textes à partir de créations originales d’artistes et réciproquement. » En 2014, Jérémie Fischer et Jean-Baptiste Labrune, à nouveau ensemble, publient, pour les plus grands, Le Veilleur de nuit et, en 2015, Jérémie Fischer publie Animaux aux éditions des Grandes personnes.

 LES ALBUMS

     Nous retrouvons Jérémie Fischer dans la petite Galerie des Bourbons où il expose et  nous découvrons d’abord ses albums et livres pour enfants.

Eléphouris (Magnani, 2012)

    Selon son auteur, ce conte évoque les dangers de l’amour fusionnel. Il a été imaginé par Jean-Baptiste Labrune durant son année de stage d’instituteur, pour ses élèves de CE2. C’est l’histoire d’une amitié très forte qui lie un éléphant et une petite souris – amitié si forte qu’ils se disent inséparables.

    Un jour, un tremblement de terre secoue la jungle, y introduisant un affreux pêle-mêle et créant de nouvelles espèces complètement hybrides. Le kangourou et l’hippopotame ne forment plus qu’un seul animal, le Kanghippo ; le moustique et le vautour deviennent le vaumoustiquour incapable de voler. Seuls l’éléphant et la souris, transformés en éléphouris, se réjouissent dans un premier temps d’être devenus vraiment indissociables.

     Ce livre a été, selon les auteurs, vraiment construit à deux, chacun rebondissant sur le travail de l’autre, et vice versa. La mise en images de Jérémie Fischer est faite de papiers découpés, puis peints et re-découpés pour le livre. Les animaux obtenus, assez schématiques, sont très drôles. Ils sont à même de rendre sensible aux tout- petits, par le biais du rire, le message contenu dans le texte : à rester trop attaché on ne peut vraiment pas prendre son envol !

Animaux (Les grandes personnes, 2014).

    C’est dans son atelier de sérigraphie que Jérémie Fischer dit avoir découvert, par accident, en manipulant papiers et transparents, tout l’intérêt des superpositions. Il utilise ici ce procédé dans un cartonné de 32 pages destiné aux jeunes enfants.

    A gauche, donc, des pages bariolées de bleu que des transparents, peints de rose ou de jaune, viennent recouvrir pour y faire apparaître des silhouettes d’animaux. A droite, sur la page en vis-à-vis, juste quelques mots qui sont autant de conseils pour orienter le regard (Regarde attentivement ! ou  Approche-toi maintenant) ; ou autant d’indices pour aider à chercher l’animal dans le mélange de courbes et d’aplats colorés.

    Car l’animal a bien des façons de s’y dissimuler ! Il peut y apparaître en surimpression, mais aussi en creux, c’est-à-dire découpé dans un espace laissé en blanc au cœur de la page. Il peut encore, et là il sera plus difficile à repérer, se fondre, presque ton sur ton, dans la surface en couleur. A nous de bien observer. Grâce au transparent, cet instrument magique, l’enfant va découvrir tout un jeu de métamorphoses. Quel plaisir en effet, quel émerveillement de voir des taches se transformer en girafe ou en lapin ! Grâce au transparent, il va se livrer aussi au jeu favori des bambins de son âge, celui d’un Caché- Trouvé !  C’est-à-dire s’amuser à identifier un animal, à le perdre puis le trouver à nouveau. D’autant que ce caché/trouvé peut être aussi un Coucou ! me revoilà ! Car dès qu’on tourne une nouvelle double-page et qu’on découvre un nouvel animal. Oh ! surprise : le voici à nouveau, lui, l’animal  précédent, qui semble nous attendre, ne pas vouloir nous quitter. Il est en clair cette fois, mais, le coquin ! pas du tout à la même place, le plus souvent dans une autre posture ou peint dans une autre couleur ! Pour les petits cette surprise est absolument jubilatoire.

    Cet album , pourtant, est bien plus qu’un jeu de cache-cache. C’est le théâtre de drames à venir que l’on pressent. Observons l’éléphant qui accepte sur son dos des oiseaux qui picorent, quel est son comportement devant le rat, tapi dans l’ombre ? il ne s’attarde pas, il détale ! Quand le crocodile fait son apparition : Attention ! crie l’auteur, dont on ne sait s’il s’adresse à la petite souris qui s’enfuit devant lui ou au lecteur qui a peur. Il n’empêche, il y a urgence : Il faut vite trouver une cachette ! dit l’auteur.

    Enfin, devant les petits poissons qui se déplacent en bande, à peine réchappés sans doute des tentacules d’un prédateur mais nageant droit, – les imprudents ! – vers cet autre prédateur, plus gros et plus redoutable qu’est la baleine, une fois encore l’auteur nous alerte : fais bien attention ! A qui parle-t-il ? Au poisson qui sera avalé ou à nous qui redoutons le destin qui l’attend ? Il y a menace, il y a danger.

    Fini le simple jeu d’identification de formes colorées. On n’est plus dans un imagier classique. Ici on entre dans une histoire où on est tous impliqués, nous qui sommes tous des animaux. Car il s’agit de la lutte pour la vie.

Le Veilleur de nuit (Magnani, 2014)

     Ce livre relié de 192 pages, que nous qualifierons de roman graphique pour la jeunesse, est de nouveau le résultat d’une collaboration de Jérémie Fischer avec Jean-Baptiste Labrune. C’est un étrange récit.

    L’histoire se passe dans une ville fortifiée dont la sécurité est assurée par un drôle de personnage qui, la nuit tombée, patrouille dans les rues avec sa lampe torche sur le front, à l’affût de tout ce qui pourrait troubler la tranquillité de ses habitants.

    Nous sommes plongés en un lieu et en un temps indéterminés : une ville dont on sait seulement qu’elle a peur de la nuit et de ses ombres ; un temps d’il y a bien longtemps, un autrefois dont seule la chouette du vieux clocher est le dernier témoin. Quant au personnage principal, le veilleur de nuit, l’Homme-torche, on sait qu’il est devenu le nouveau héros de la ville parce qu’il en a chassé la vermine qui bruissait dans la nuit : crocodiles aux yeux globuleux et putrides, aux mâchoires féroces ; serpents, et cloportes. Il a ainsi rétabli un ordre parfait dans la Cité. C’est assisté « d’oiseaux sur les remparts, de chiens dans les venelles, de rats dans les souterrains » qu’il opère.

    On est dans l’univers du conte. Un conte aux allures de cauchemar, raconté à part égale (c’est-à-dire en mots comme en images) par ses deux co-auteurs. Un monde de violence aussi.

    Dans ce conte-là, l’Homme-torche veille sur la ville. Il est tout puissant, il la protège en maître et il en est le justicier. On le salue, il inspire confiance, on sait qu’on peut dormir en paix avec lui. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où un individu sabote une des trois Horloges. Mais qui est l’auteur de ce méfait ? Le Veilleur l’arrête, découvre que la belle Vendeuse de journaux est son amie. Elle lui conte son histoire : c’est l’ancien veilleur de nuit,  malade, qu’on a chassé, jeté à la rue pour n’avoir pas su prévenir le sac de la ville par un crocodile. Depuis il est abandonné de tous, sauf par elle…Il est devenu le Vagabond. Que va faire l’Homme-torche contre la foule en colère ? Va-t-il protéger l’ancien gardien et sa complice, pourtant responsables de la destruction de l’horloge ? Ou continuer à assurer l’ordre de la cité au prix de leur lynchage, car la foule gronde et les menace ? Y a-t-il un autre choix ?

    Le texte de Jean-Baptiste Labrune, souvent poétique et recherché, est émaillé de termes et d’expressions peu usités (l’orthographe réformée ?) qui ajoutent à l’étrangeté du récit (par exemple : le fredon, les rues méandreuses, lointainement).

    Les couleurs de Jérémie Fischer, elles, sont crépusculaires : des noirs, des bleus sombres et intenses, des rouges agressifs. Son dessin est efficace. Les personnages (que ce soit les humains ou les animaux) sont comme taillés au couteau. Ils ont des contours schématiques, ils sont le plus souvent réduits à des silhouettes, des profils ou des ombres.

    La mise en pages hésite entre le langage de la bande dessinée (cadres colorés qui évoquent les vignettes ; codes graphiques habituels à ce genre: décomposition du mouvement, longues lignes dynamiques pour traduire la vitesse, hachures entourant les visages pour exprimer la colère ou la peur) et une illustration plus classique (qui n’intervient qu’à la fin) plus ordonnée, plus paisible, enfin aérée, où dominent les teintes claires : des blancs, des gris, des verts, des roses…

    Quelle lecture peut-on faire de ce conte dérangeant ? Y voir la demande de plus en plus sécuritaire de nos sociétés, incapables d’affronter leurs peurs ? Qui préfèrent l’ordre plutôt que l’humanité et la justice ? La fermeture à l’autre et la perte de liberté plutôt que le risque ?

    En tout cas on a l’impression que dans cet ouvrage les auteurs ont délibérément joué avec nos angoisses les plus archaïques (peur du noir ou peur des animaux rampants), pour nous apprendre à les exorciser et à les dominer. Mais peut-être aussi pour apprendre à envisager l’avenir sous un jour confiant et souriant : laisser venir la nuit, pour lui livrer confiant, un corps délassé.

 LES COLLAGES

    Les collages accrochés dans la Galerie des Bourbons ont retenu notre attention : 24 feuilles de découpages/collages dans un format 24 x 30, présentés comme des tableaux de maîtres Ils ont été réalisés lorsque Jérémie Fischer était en résidence à Forcalquier et Manosque en 2014. Les éditions Magnani les ont publiés sous le titre de Balades et nous les retrouvons ici, à Moulins, réunis dans un livre sans texte intitulé : Recueil n°1.

    Ce qui frappe d’emblée c’est le choc de la couleur. Pour nous qui venons du sud, c’est bien notre Provence lumineuse que nous découvrons ici, éclatante de soleil. Les jaunes claquent, parfois griffés de blanc, juxtaposés aux rouges les plus vifs et aux oranges les plus purs et les plus chauds. Le relief est rendu par des masses colorées qui sculptent des gorges profondes et encaissées, où une route sinueuse ou un ruisseau peinent à se frayer un passage. Elles creusent aussi un gouffre où une cascade, fraîche et claire, vient se perdre, là, tout à côté, devant nous.

    Mais à y regarder de plus près, aucun horizon : il est chaque fois barré par un empilement de collines ou de très hauts sommets. Aucun signe de vie non plus : ni homme, ni bête, à peine un arbre bien visible (et encore une seule fois), la végétation étant plus suggérée que dessinée par des bandes de couleur verte au lointain, ou réduite à des troncs verticaux, fichés en terre comme des pieux noirs au premier plan, entravant notre regard.

    Cette Provence, pour éblouissante qu’elle soit au premier abord, s’avère donc une terre aride, sauvage, inhospitalière, inquiétante surtout sous l’orage où d’énormes nuages sombres s’amoncellent dans le ciel et y lancent des éclairs fulgurants.

    Terre d’ombre autant que de lumière. Telle que l’ont évoquée parfois, mais avec d’autres moyens, des peintres bas-alpins comme un Serge Fiorio par exemple.

    On a parlé aussi et à juste raison, de la filiation de Jérémie Fischer avec Matisse.

    A la fin de sa vie, ce peintre, paralysé, avait en effet entamé une période de production de gouaches colorées à partir de papiers qu’il découpait, assemblait, et collait.

    Il disait que « découper à vif dans la couleur lui rappelait (comme) la taille directe des sculpteurs« . Or, chez Jérémie Fischer, c’est bien de l’intensité des couleurs juxtaposées que naît la plénitude des formes, des volumes et des reliefs. Matisse avait découvert également que par le jeu des couleurs et des contrastes on obtenait des lignes géométriques et dynamiques.

    On retrouve cet aspect chez Jérémie Fischer. Variations autour de courbes (la rondeur des collines), d’obliques (les lignes de fuite des vallées ou des chemins), d’horizontales (l’étagement des cultures ou des reliefs), de verticales (l’abrupt des falaises, la chute d’une cascade), de cônes ou de triangles (pour les montagnes), de trapèzes (la masse noire et menaçante des nuages lourds de l’orage). On a l’impression que l’artiste prend son sujet comme prétexte à une étude de formes géométriques pour animer son paysage vide de toute présence humaine. Ses planches de découpages/collages semblent donc traduire une tension entre peinture figurative et tentation de l’abstraction.

POUR FINIR

    Dans le livret qui accompagnait l’exposition, Jean-Baptiste Labrune a dressé un joli portrait de son ami, et nous ne résistons pas à en citer quelques vers :

      J’irais me promener

      Je dessinerais des fragments de paysage

      la rive d’un fleuve, une montagne…

      Je recomposerais les ombres

      et les lumières avec quelques crayons.

      Je regarderais le monde

      comme un enchevêtrement de nuances

      superposées les unes aux autres.

      Je rentrerais pour m’installer

      à ma table de travail.

      Je prendrais un peu d’encre

      une paire de ciseaux et un bâton de colle

      J’imaginerais mon paysage

      J’en tracerais les frontières

      J’en disposerais les bornes

      J’y ouvrirais un chemin

      Pour qu’on puisse m’y suivre.

(novembre 2017)

De formation littéraire et classique, Josette Maldonado découvre la littérature de jeunesse en 1982 en préparant un Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB). Documentaliste dans l’Education nationale, passionnée par son métier, elle a initié de nombreux projets de lecture/écriture dans les établissements où elle a exercé, notamment en partenariat avec les écrivains Jacques Cassabois, René Escudié, Christian Poslaniec, Jean Joubert ; elle a mis en place des comités de lecture et  elle a, trois fois, permis à de jeunes élèves de participer au jury du Prix Roman Jeunesse. A la retraite depuis fin 2004, Josette Maldonado peut enfin se rendre disponible pour le CRILJ des Bouches du Rhône dont elle aura été adhérente plus de de 30 ans. Josette Maldonado  est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins.

Munie, d’une part, d’un CAP et d’un Brevet technique en couture floue et, d’autre part, d’un diplôme d’éducatrice spécialisée, Pierrette Debarge travaillera cinq ans dans le monde de la couture et vingt-cinq ans en CAT (Centre d’aide par le travail) dans le secteur du handicap. »J’ai travaillé avec des jeunes dits ‘pas comme les autres’ mais dont les soucis pour bon nombre d’entre eux sont les mêmes que dans la population normale. Notre travail d’équipe était de leur permettre de se construire et de trouver leur place dans la société. Travail passionnant. » Pierrette Debarge est engagée, depuis 2004, dans l’accompagnement de personnes en fin de vie, de personnes gravement malades et de personnes âgées et elle est, depuis 2016, au CA du CRILJ des Bouches du Rhône dont elle est le trésorière. Pierrette Debarge  est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins.

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Photos : André Delobel

Les défis de Lorenzo Mattotti

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     Lorenzo Mattotti, né en Italie en 1954, partage son temps entre Paris et Udine.

    Il a étudié l’architecture à l’Université de Venise, puis a décidé de développer ses talents vers le dessin humoristique.

    En 1979, il rejoint « Valvoline » qui regroupe des artistes souhaitant renouveler l’esthétique et la linguistique de la bande dessinée. Il a travaillé pour de nombreux éditeurs et pour de nombreux journaux, dont The New Yorker et Le Monde. Ces livres sont publiés dans le monde entier.

    C’est en 1990 qu’il commence à réaliser des livres pour les enfants. En 1992, il publie un Pinocchio, d’abord en Italie, puis en France et aux Etats-Unis. Ce livre a beaucoup fait pour sa réputation. En 1993, les éditions du Seuil jeunesse ont publié Eugenio, un livre illustré qui a reçu le Grand Prix de la Biennale de Bratislava, et qui fut adapté pour la télévision et le cinéma.

    Depuis 1977, il a réalisé une quarantaine d’expositions dans diverses galeries privées, notamment une rétrospective de son travail au Palais des Expositions de Rome en 1995. Il existe un catalogue de cette exposition, Mattotti, d’autres formes le distrayaient continuellement, aux Éditions du Seuil.

 

Rencontre avec l’artiste

    Dans la salle bondée du Colisée de Moulins, Lorenzo Mattoti est interrogé par Lucie Cawne.

    En préambule, il nous confie qu’il ne se considère pas comme illustrateur pour la jeunesse puisqu’il réalise aussi, des affiches, des bandes dessinées, des peintures …

    Ses productions, sont souvent le fruit d’une rencontre, et il dit en souriant que c’est parce qu’on l’oblige, mais que ça le fascine de « toucher des choses qu’il ne connaît pas, que ce sont pour lui des défis à chaque fois ».

    Par exemple, pour Pinocchio, c’est une commande qu’on lui a faite pour une exposition d’illustrateurs  pour la jeunesse au Festival de Bologne. Il a tout d’abord réalisé deux images et dix ans plus tard, Jacques Bistre, des éditions Albin Michel, voulant éditer un classique, lui a demandé de poursuivre ce travail et Lorenzo Mattotti a accepté.

    Lorenzo Mattotti dit rester très humble face aux oeuvres classiques et peu satisfait de son premier Pinocchio. Lorsqu’on lui demande de refaire une version augmentée mais pas pour la jeunesse, il accepte avec plaisir mais avoue, que cela a été très difficile de reprendre un livre déjà fait. Il a effectué beaucoup de recherches. De là est né l’album de Pinocchio… pour notre plus grand plaisir.

    Ensuite cette oeuvre a été adaptée en film, Mattotti a eu la volonté de prendre de vieilles images et d’utiliser plusieurs styles pour dit-il « donner l’idée d’un laboratoire en discussion ».

    Lorenzo Mattotti est connu pour ses couleurs, pourtant, il aime travailler le noir et blanc. Il fait des dessins improvisés dans des cahiers, il dit continuer le noir et blanc depuis toujours avec des pinceaux par exemple, c’est d’ailleurs ce qui l’a amené a créer Hansel et Gretel.

    Ces images l’amènent à d’autres univers, d’autres projets. Il reconnaît, que la couleur est fascinante et plus facile pour le public, pour lui, le noir et blanc est plus direct pour l’improvisation. Il explique que la couleur « c’est le rapport avec l’extérieur, avec la réalité, avec le public ».

    Lorsqu’il travaille pour la presse et qu’il doit créer une affiche, il y a un projet, un travail sur l’espace, la mise en page, le signe et les formes deviennent une narration. Le dessin est quelque chose de très concret pour lui. Il est très attentif à la composition, si elle n’est pas bonne, il n’est pas content.

    L’autre côté, dit-il, c’est l’improvisation « découvrir ce que l’on a dedans ». Il n’y a pas de projet, il ne sait pas ce qui va sortir, c’est un dialogue avec son imaginaire.

    Lorenzo Mattotti se sert des outils contemporains, puisqu’il tient une page Facebook afin d’avoir un lien direct avec le public dont il apprécie les réactions.

 

    Il nous confie que la page blanche ne l’intimide pas pourvu qu’il reste dans le rythme jour après jour, avec les images, pour qu’elles dialoguent entre elles. Parfois, il a tout de même des angoisses lorsqu’il y a des noeuds, comme il les nomme, qu’il doit dénouer sans savoir comment et se demande s’il en sera capable.

    Le rapport est quelque fois difficile, comme avec les pinceaux, il sait que s’il n ‘affronte pas ses peurs, cela deviendra de plus en plus complexe. C’est pour lui, un dialogue entre nos besoins et nos peurs. Il aime dessiner et travailler avec les dessins qu’il a touché à 360°. Il a un amour pour la narration avec la forme, les images et le texte. Pour Hansel et Gretel par exemple, il a eu des tensions avec le dessin improvisé mais il a été ravi de voir qu’il y était arrivé.

    Pour lui, Hansel et Gretel est peut être une histoire hors du temps, la recherche du noir dans la forêt est la vision de sa propre émotion. Hansel et Gretel est, au départ, conçu pour une exposition à New-York. Il a pensé, lorsqu’il le concevait, comment lui vivait l’histoire, ensuite seulement, il a voulu faire un livre pour raconter la peur aux enfants. Mais peut-on raconter la peur sans faire peur ?

    Pour Lorenzo Mattotti, l’enfant doit toucher la sublimation de la peur. Petit, nous confie t-il, il aimait toucher cette peur, toucher l’inconnu, créer des formes, créer son imaginaire tout en sachant qu’il pouvait refermer le livre, sans danger. Certains enfants avouent que la peur les fascine en effet.

    Pour finir, Lorenzo Mattotti nous rassure, il n’est pas en panne d’inspiration, puisqu’il travaille, dans ses moments de liberté sur une bande dessinée très très longue, qu’il poursuit depuis des années. Il a aussi le projet de créer un long métrage d’animation dont il sera le réalisateur. Il dit « aimer ouvrir de nouvelles fenêtres ».

    Mattotti a repris ses pinceaux, ses couleurs et s’en est allé au pays de la création. Ce qui est certain c’est que ce grand Monsieur n’a pas fini de nous faire rêver.

(octobre 2013)

 

Ouvrages illustrés par Lorenzo Mattotti

. Hansel et Gretel,  Jacob et Wilhelm Grimm, Gallimard Jeunesse, 2009

. Tu ne me connais pas, David Klass, Seuil Jeunesse, 2009

. Le mystère des anciennes créatures, Jerry Kramsky, Panama, 2007

. Nouvelle à la machine, Gianni Rodari, La Joie de Lire, 2001

. Les affaires de Monsieur chat, Gianni Rodari, La Joie de Lire, 2000

. Anonymes, Claude Piersanti, Seuil Jeunesse, 2000

. Lignes Fragiles, Lorenzo Mattotti, Seuil Jeunesse, 1999

. Stigmates, Claude Piersanti, Seuil Jeunesse, 1998

. Grands Dieux, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1997

. Feux, Lorenzo Mattotti, Seuil Jeunesse, 1997

. A la recherche des Pitipotes, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1996

. Les Aventures de Barbe Verte, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1996

. Un Soleil lunatique, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1994

. Pinocchio, Carlo Collodi, Seuil Jeunesse, 1993

. Eugénio, Mariane Cockenpot, Seuil Jeunesse, 1993

. Murmures, Jerry Kramsky, Seuil Jeunesse, 1989

. Docteur Néfasto, Lorenzo Mattotti, Albin Michel Jeunesse, 1989

. Incidents, Lorenzo Mattotti, Artefact, 1985

. Alice Brum Brum, Jerry Kramsky, Octaviano, 1977

  

Après des études d’arts graphiques, le parcours professionnel de Carine Zima évolue vers le monde du livre. Elle travaille en librairie, notamment à la Hune et chez Artcurial à Paris. A son  arrivée à Toulouse en 2004, elle « poursuit sa route du livre » en bibliothèque municipale. Elle crée en 2012 le projet Adosnews afin de promouvoir l’écrit et la littérature en direction des adolescents, en croisant les différentes formes d’arts. Le site est ici. Jeune adhérente du CRILJ, Carine Zima est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la deuxième Biennale des illustrateurs de Moulins (Allier).

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Photos : André Delobel

 

 

 

 

 

 

Kveta Pacovska, une véritable artiste


        Elle est née à Prague en 1928 et elle travaille et vit en République Tchèque.

       Je l’imagine comme une ancienne princesse slave, fantasque, rebelle et créative, pleine de courage, prête à affronter la moindre critique sur son art avec un sens de la  répartie digne d’une artiste sûre de l’impact de ses images si colorées et si vivantes.

       Diplômée de l’Académie des Arts Appliqués de Prague.Kveta Pacovska peint, sculpte, conçoit des affiches et des illustrations

       Ses premiers livres pour enfants ont été conçus pour ses propres enfants, dès les années 50. Comme le font les jeunes enfants, Kveta Pacovska découpe, colle et recolle, peint, en rouge, toujours en rouge, un rouge qui, dit-elle, « met en valeur les autres couleurs ». Elle crée du « volume de papier ».

       Elle est toujours, malgré son âge, « l’artiste du livre pour enfants » et on a l’impression que le coût de fabrication et d’impression de ses livres est le moindre de ses soucis.

       Kveta Pacovska donne de nombreuses conférences, Elle répond toujours aux questions en anglais, avec une jolie voix, douce et enjouée, et elle n’hésite pas à déployer un livre accordéon, sur plusieurs mètres, en souriant.

 

      Un de ces derniers livres, L’invitation (Grandes Personnes, 2012), est une comptine illustrée, très illustrée, gaie, absurde et poétique. Sur la couverture, un rond blanc enferme des yeux noirs avec pupille, rouge, une bouche, rouge sang, des joues de toutes les couleurs, un nez carré, rouge, un menton, bleu. Le rond prend toute la place. C’est un cadeau, un vrai cadeau, emballé sur fond rouge, et le titre en dessous, en noir, écrit avec ses lettres à elle.

       J’ai rencontré Kveta Pacovska à Saint-Paul les Trois Châteaux et, en octobre 2013, à Moulins. Sur son histoire, sa vie, son œuvre, je reste discrète et pudique. Je ne veux m’intéresser qu’aux livres.

      Et j’ai envie de prendre du papier, rouge, de le découper, de le coller, sur un fond noir, d’y faire un trou, de tout recoller à nouveau et de trouver que, recollé, c’est plus beau, plus poétique. J’ai envie de peindre des triangles, comme des poules en papier jaune, et des ronds, comme des trous de serrures où l’on peut regarder. La petite fille a qui je donnerai ma feuille va tout casser et ce sera encore plus beau parce qu’elle aura écrasé son bonbon vert dessus. Moi, qui suis graphiste, je faisais cela, avant. De nombreux artistes, illustres, l’ont fait aussi. D’autres, beaucoup d’autres, célèbres pendant leur vie ou après leur mort, ont gravé leur souffrance dans leur chair comme sur leurs œuvres.

       « A quoi servent les écrits : à dire ce que l’on voit ou ce que l’on ressent et accoucher de sa souffrance intérieure. A quoi servent les images : peut-être à rêver en pleine lumière saturé de couleurs arc-en-ciel. » (Kveta, encore et toujours)

       Alphabet, livre énorme, est un chef d’œuvre (Seuil jeunesse, 1996). Un A comme « Amour », avec des lèvres rouges, des ronds, deux personnages clowns, qui dansent avec grâce, des larmes, de vraies lettres comme on apprenait à dessiner dans les écoles d’Arts Appliqués avant l’ordinateur. Et la finesse, l’écriture à la plume de colibri, la saturation de l’œil qui regarde les couleurs complémentaires s’affronter dans un jeu de rôles. Regarder, ressentir, s’approprier la couleur, détruire le temps.

       Avec Kveta Pacovska, on vit une aventure colorée, démystifiée et folle comme une course sur une plage – rouge, la plage -, quand on a cinq ans, avec le soleil en face. On revit dans un pré vert et rempli de coquelicots écarlates que l’on cueille et qui meurent parce que leur place est dans le vert du pré et non dans un vase froid.

       Kveta réchauffe le sang des enfants et des adultes avec son âme, des outils et de la couleur. Ses livres sont souvent réédités et ils ont leur place dans le rayon des livres d’art.

      Je m’interdis de parler technique même si, sans elle (et sans les éditeurs), sans stylo, papier, couleurs, outils, ordinateurs, l’illustrateur ne peut rien offrir, ni aux enfants ni aux adultes. Sans sueur, sans dessiner encore et encore, il ne peut pas exprimer ses désirs, ses pensées, sa vision ou ses fantasmes.

      Un livre va être réédité, un autre mis en scène par des gens de théâtre. Pierre et le loup (Minedition, 2013) va paraitre bientôt et nous attendons le livre avec impatience.

       Kveta Pacovska, je vous dit merci…

   (octobre 2013)

Après un BTS et des études d’arts appliqués, Josiane Reumaux enseigne un an puis  devient graphiste et illustratrice, travaillant notamment à l’agence de publicité de La Marseillaise, à l’Agence Havas, à l’agence Eurosud, dans une agence de publicité de Gap. Elle sera un temps responsable d’un journal féminin, d’un journal gratuit et des pages régionales du magazine Marie Claire. « Actuellement, je m’occupe au sein du CRILJ des Bouches du Rhône de la tenue du site internet et participe aux actions littéraires de l’association en direction de la jeunesse et dans les maisons de retraite. » Josiane Reumaux est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier)


Elzbieta : pas de pacotille pour les enfants


  Le Festival des Illustrateurs de Moulins 2013 a été l’occasion pour de nombreux professionnels (ou néophytes) de bénéficier d’échanges enrichissants. A l’heure où la production éditoriale jeunesse est foisonnante et où il est parfois difficile de se repérer dans une offre pléthorique, l’occasion de croiser des grands noms de l’illustration contemporaine permet de remettre en perspective la richesse et la diversité de cette littérature encore trop ignorée ou minorée.

     Albertine, André François, Emmanuelle Houdart, Sara, Roberto Innocenti et plusieurs autres… Autant d’illustrateurs aux techniques picturales et aux univers opposés, mais finalement, à les entendre, unis par une même volonté : la littérature de jeunesse, saisie au travers de l’illustration comme point focal d’une représentation du monde mise à la portée de l’enfant et de l’adulte. Un travail de médiation donc, au travers de l’art, mais plus que ça : la littérature de jeunesse comme (pour reprendre le terme de Stendhal) : « un miroir que l’on promène le long du chemin. »

     Sous cet éclairage, le travail d’illustratrice d’Elzbieta prend tout son sens. Au cours d’une table ronde réunissiant Lionel Koechlin et Albertine, Elzbieta s’est volontiers prêtée au jeu. Rencontre avec une illustratrice qui, malgré plus de trente ans de carrière, a conservé un regard d’enfant.

 . Comment « penser par les yeux »

     Née en Pologne d’une mère française et d’un père polonais, Elzbieta vit et travaille à Paris. Cette personnalité discrète aux talents multiples a accepté d’ouvrir la table ronde, en expliquant pourquoi le cirque – thème phare du festival de Moulins -, était un élément récurrent dans ses albums.

     Elzbieta n’est jamais rentrée dans un cirque, mais là n’est pas la question fondamentale. La seule contemplation de l’extérieur du convoi des roulottes ou du chapiteau suscitait déjà en elle une foultitude d’images et décuplait son imaginaire. Elle évoque une réelle fascination pour le décorum en lui-même, qui l’amenait enfant à se projeter par l’imaginaire dans cet univers coloré, grouillant de vie. Le cirque, c’était pour elle l’évocation du voyage, de l’aventure mais également… De la sécurité de la maison (1). Deux éléments a priori totalement antinomiques, mais que le cirque conjugue avec brio. Deux éléments fascinants mais également primordiales pour l’enfant.

 

    Par ailleurs, le cirque évoque également pour Elzbieta un monde suranné, coloré, pétri d’excès et contre réaliste : le cirque comme caricature du monde, ou comme source inépuisable d’inspiration pour l’illustratrice qu’elle est devenue, c’est un ancrage dans l’imaginaire de l’enfant, une manière de « penser par les yeux » en l’érigeant réceptacle des émotions.

 . Une artiste aux multiples facettes

    En trente ans de carrière, plus d’une cinquantaine d’albums d’Elzbieta ont été publiés, essentiellement à L’École des Loisirs et aux Éditions du Rouergue. Tous témoignent de nombreuses techniques picturales aux styles très différents: aérien, coloré, épuré, foisonnant… Ces illustrations s’accompagnent souvent d’un texte minimaliste, mais intense.

     Mais, aussi différentes soient l’ensemble des illustrations issues de l’imaginaire d’Elzbieta, et qu’elle qu’ait été la technique employée, elles ont toutes en commun la délicatesse du trait et reflètent chacune une émotion intense et poignante, si bien qu’elles pourraient parfois se suffire à elles-mêmes.

     Pourtant, l’ambition première d’Elzbieta n’a jamais été de devenir une artiste dédiée à la jeunesse : elle souhaitait même consacrer ses œuvres aux adultes. Néanmoins, quel que soit le public auquel ses illustrations sont destinées, le cheminement de l’œuvre, de sa conception à la réalisation, reste le même. L’artiste évoque la spontanéité dans la création, qui prime sur tout, mais également la nécessité de trouver le geste « juste » avant validation de l’œuvre.

     Le déclic artistique concernant la littérature de jeunesse serait venu d’un journal intime, dans lequel Elzbieta consignait ses sentiments personnels sous forme de dessins. Cette création très épurée, que l’on retrouve de façon magistrale dans l’album Petit Mops (créé en 1972 et paru en France en 2009 aux éditions du Rouergue) est une manière naturelle pour elle d’atteindre son objectif, d’autant plus qu’elle s’est rapidement rendue compte que, dès deux ans, les enfants étaient réceptifs à ces dessins minimalistes en noir et blanc.

     Petit Mops, au fond, c’est un peu le prolongement d’Elzbieta version papier : un être en enfance, qui ne parle pas et garde une posture tour à tour défiante et confondante de naïveté où se décèlent à la fois son autonomie relative et une volonté de donner un sens au monde qui l’entoure et qu’il découvre, où il peut se rêver astronaute, voire décrochant la lune.

 . Elzbieta et l’enfance : « ce pays que l’on s’empresse d’oublier trop vite »

     Que l’on ne s’y trompe pas : bien qu’Elzbieta soit avant tout une grande artiste plasticienne, elle est également un auteur de talent, qui considère que le livre est avant tout le lieu de l’écrit et qui pour cette raison, apporte beaucoup de soin à l’élaboration de ses textes. Pour ce, Elzbieta ne choisit pas la facilité : elle n’hésite d’ailleurs pas à y aborder des sujets tels que la mort (Petit lapin Hoplà, Pastel, 2001), la pauvreté dans Petit-Gris (Pastel, 1995), la guerre dans Flon-Flon et Musette (Pastel, 1993), album couronné par le prix Sorcières en 1994, mais également l’abandon avec L’Ecuyère (Le Rouergue, 2011). 

   

    Cette gravité dans le sujet et la manière de l’aborder, Elzbieta le revendique avec force. Chantre de la petite enfance, l’illustratrice proclame la nécessité de ne pas offrir de « la pacotille » aux enfants. Se mettre à leur portée sans les enfermer dans une bulle aseptisée, avec pudeur mais sans mièvrerie ou sans condescendance,  telle est la mission de l’auteur, car l’enfant reste avant tout un être pensant qui enregistre des bribes du monde adultes pour se les réapproprier d’une façon singulière (2). En témoigne ainsi une anecdote personnelle qui a marqué Elzbieta : au cours d’une réunion de famille fut évoqué par les adultes le décès d’une lointaine tante. Les enfants ayant surpris la conversation, se réapproprièrent alors l’information, en « jouant à l’enterrement de la tante X ». Et tous de former une lugubre procession funèbre émaillée de gémissements et de lamentations…

     La gravité dans l’album est donc une nécessité. Elle répond à une attente des enfants. Mais ne nous y méprenons pas, il ne s’agit pas là d’univers noirs et désespérants propres à susciter l’angoisse chez les enfants : l’humour est toujours présent en filigrane, et les albums se terminent toujours par une note positive. Car pour Elzbieta, si personne n’est en mesure de prédire à un enfant ce qui l’attend, on peut en revanche essayer de lui insuffler espoir et confiance et on peut lui faire pressentir l’existence de ses ressources intérieures. Et c’est bien là l’essentiel.

     Elzbieta travaille actuellement sur un recueil de contes traditionnels à destination des enfants. Affaire à suivre.

 (octobre 2013)

   

(1) Les thèmes de l’exil et du nomadisme sont récurrents dans l’œuvre d’Elzbieta. Ainsi, dans un entretien accordé au Monde, elle explique : « L’exil est aussi, en nombre d’œuvres, une source cachée, une image dont le dessin demeure secret. Ainsi, même lorsqu’ils ne parlent pas directement ou explicitement de l’exil, beaucoup de livres trouvent en lui leurs origines et ne peuvent se comprendre qu’à partir de la séparation, brutale ou non, rêvée ou vécue par leur auteur. »

 (2) Elzbieta est fascinante en ce qu’elle défend toute forme de censure aux enfants, tant dans l’oralité que dans l’écrit. Ainsi, dans une interview accordée au Monde, elle écrit : « Il n’est pas de style élégant ou vulgaire pour l’enfant, alors que l’on prône souvent une censure pour éviter qu’il n’accède, puis s’adonne avec prédilection, à des expressions jugées vulgaires. Est-ce bien utile ? L’enfant a la capacité de faire feu de tout bois. »

 

Née en 1986, Sonya Beyron, après une préparation de deux ans à l’école des Chartes en vue de devenir conservateur de patrimoine, intègre l’université d’Angers où elle obtient une licence option Patrimoine écrit, archives et bibliothèque. Elle obient en 2009 un master professionnel avec un mémoire titré Histoire et métiers des archives et des bibliothèques. Elle est actuellement  directrice de la médiathèque d’Auterive (Haute-Garonne). Adhérente du CRILJ depuis deux ans, Sonya Beyron est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier).

 

 

Emmanuelle Houdart habille et déshabille

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Texte écrit après une rencontre avec Emmanuelle Houdart, à l’occasion du deuxième Festival des illustrateurs de Moulins de septembre-octobre 2013.

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      Se sentir enfermé, supporter le poids du malheur, c’est porter des griffes sur les épaules. Avoir l’envie de s’évader, ce sont les oiseaux sur les robes des sœurs siamoises. Gagner sa vie pour l’artiste, c’est partir à la chasse, muni de flèches. Déclarer son amour c’est arracher son cœur et l’offrir à son amoureux… Autant de symboles qu’Emmanuelle Houdart illustre au premier degré et qui habillent ses personnages.

     Je rencontre pour la première fois l’illustratrice, nous sommes au Centre national du costume de scène à Moulins. « S’habiller, c’est comment être perçue des autres. »

     Les personnages d’Emmanuelle Houdart démesurément chargés « en dehors » , autour de la taille, sur la chevelure, autour des jambes sont ainsi vêtus de leur peur, leur désir, leur passé, leur rêve. Mais aussi chargés « en dedans », car les accessoires à outrance jamais gratuits, et les bagages encombrants, n’enlèvent rien à la place du corps. Bien au contraire : comme un habit qui révèle, embellit, encombre, ou camoufle, Emmanuelle Houdart dévoile le personnage dans ce qu’il a de plus intime. Son intérieur est visible : il bat, le sang circule. L’illustratrice dessine tout ce qui fourmille dans le corps, ce qui vibre, ce qui grouille, ce qui le constitue, parfois malgré lui. Le corps habille. L’être vit. Il est révélé au plus profond de lui-même, au point d’en extraire souvent quelques organes – les poumons, le cœur. Emmanuelle Houdard s’attache aux contradictions : ainsi largement vêtus, les personnages sont mis à nu. La sincérité déclenche alors une émotion pour le lecteur.

     Emmanuelle Houdart exprime la complexité de l’être, et pousse l’étrangeté jusqu’à l’extrême en créant des personnages difformes comme dans Saltimbanques : le colosse, les sœurs siamoises, la femme à barbe…

 

     Des livres pour les enfants, bien sûr, (sauf Garde Robe, qui a été l’occasion pour elle de ne pas perdre sa liberté, de ne se donner aucune contrainte), justement parce qu’ils attirent, fascinent, qu’ils peuvent être lus et relus sans ennui, même les tout-petits ont un attrait déroutant et inépuisable pour l’album Tout va bien Merlin. Les grands yeux, les expressions franches, les couleurs vives, les attitudes précises… C’est cette justesse, me semble-t-il, qui captive les enfants, car les livres d’Emmanuelle Houdart permettent de mettre des mots sur des émotions, de ne pas utiliser un langage ou des images que l’on réserverait aux enfants, d’accepter des contradictions, des colères, de comprendre des peurs, de dépasser des faiblesses. « Sortir la menace devant soi, pour ne pas la garder en soi, mystérieuse. »

     Les personnages d’Emmanuelle Houdart invite à la complexité. Quoi de mieux pour susciter le désir de l’enfant ?

     Comme à chaque rencontre avec les enfants, elle se déplace avec la petite fée de l’album Les voyages merveilleux de Lilou la fée, elle-même chargée de plusieurs accessoires : trois baguettes magiques (l’une qui réalise les rêves, l’autre qui efface les chagrins, la dernière qui change le président de la République), des poumons, une pierre précieuse… Des petits objets essentiels pour la fée, rassurants sans doute, qui facilitent les échanges. La préciosité de ces accessoires coïncide avec l’exigence du travail de l’illustratrice, et sa générosité.

     Emmanuelle Houdart consacre une année de travail à chaque album. Elle y construit des symboles personnels, ce qui lui importe c’est qu’il y ait une émotion. « Le lecteur doit se débrouiller, chacun a ses clés. » Elle traite de préoccupations personnelles. Le dernier sujet abordé est L’argent, créé avec Marie Desplechin, sorti très récemment aux éditions Thierry Magnier.

 

     L’engagement d’Emmanuelle Houdart donne une force aux images, mais elles sont toujours proposées, jamais imposées. Le lecteur a le choix de comprendre ce qu’il veut ou ce qu’il est en mesure de comprendre, de faire ainsi un pas de plus vers lui-même ou de ne pas se laisser déranger, bousculer. « Ce que certains perçoivent comme une menace est une délivrance pour moi. »

     Le travail d’Emmanuelle Houdart est ainsi nourri et bâti sur des contradictions : profusion des dessins avec un seul outil : le feutre. « J’aime l’unicité. » Elle  s’acharne sur cet unique matériau, elle le connaît par cœur, l’utilise jusqu’à épuisement, comme elle décortique les personnages, creuse leur chair. Une contradiction encore : des personnages souvent figés, très soignés, ancrés dans la page, silencieux peut-être, et pourtant qui suggèrent le voyage, invitent à l’exploration (de soi, du monde), et qui interrogent la liberté. « Mes personnages sont des cartes. »

 

     La phrase de conclusion ne m’appartient pas. Une jeune étudiante venue rencontrer Emmanuelle Houdart a très simplement formulé : « Vous dites ce que les gens n’arrivent pas à dire. »

 (octobre 2012)          

 

Après des études de lettres modernes, Audrey Gaillard travaille en librairie, puis se tourne vers l’animation. Elle est, depuis 2011, chargée de mission de l’association Val de Lire à Beaugency (Loiret) dont elle coordonne les actions : lecture à haute voix pour tous publics, des bébés aux résidents de maison de retraite, organisation de l’annuel Salon du Livre Jeunesse de Beaugency. Jeune adhérente du CRILJ, Audrey Gaillard est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion du deuxième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier)