Qui sommes nous ?

Cher François Richaudeau

    Je suis heureuse de me trouver parmi vous. C’est un honneur de fêter votre anniversaire. Grand lettré, homme de la lettre et des lettres, vous êtes écrivain et penseur – la pensée est si délaissée en ce moment – penseur de grandes causes en réseaux, en rhizomes, en bourgeonnements.

    Éditeur, novateur, éternel chercheur, bibliophile et humaniste, vous êtes un intellectuel rare, un savant comme on les désignait au temps de Descartes.

    Dans vote livre Du cerveau, des mots et des pixels, vous étudiez le fonctionnement du ou des cerveau(x). Pour vous, l’expression langagière suit la pensée. Pensée première qui s’exprime par des mots ou ne s’exprime pas.

    Pardonnez-moi mais il me semble que vous vous aventurez là sur un chemin parallèle à celui d’un grand écrivain, Nathalie Sarraute. Vos découvertes n’en sont que plus admirables. Pour Sarraute, l’écrivain est un chercheur. Il explore les régions secrètes du vécu, va du connu vers l’inconnu, tente de rendre visible l’invisible. Niveaux  obscurs nommés « tropismes », sous-conversation, impressions, sensations… Des pensées qui franchissent de façon ténue le seuil des lèvres. Ce théâtre d’ombre, Cher François Richaudeau, vous avez su nous le montrer.

    Mais aussi lire et écrire. Vous avez abordé la mise en pages, mise en scène du texte, le graphisme, la pédagogie de la lecture, cette indispensable  lecture que vous avez voulu donner à tous, enfants et adultes.

    Pour fêter ce printemps des poètes, je souhaiterais accompagner mon texte d’un extrait de l’oeuvre monumentale d’un écrivain que vous avez étudié et que vous aimez, Marcel Proust.

… Le petit chemin qui monte vers les champs, je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles,le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures d’un style flamboyant… qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elle aussi en plein soleil le même chemin rustique en la soie unie de leur corsage rougissant qu’un souffle défait … (Du côté de chez Swann, I et II, page 136)

    Pour vous, ami, une foultitude de printemps d’aubépines…

 ( texte pour les 90 ans de François Richaudeau lu lors du Printemps des poètes à Sisteron, le 23 mars 2010 )

Né en 1920, François Richaudeau, ingénieur des Arts et Métiers spécialisé dans l’industrie graphique, travaille d’abord dans une imprimerie. Directeur d’un club de livres, il réfléchit à la façon de composer et fabriquer les livres afin que la lecture soit la plus agréable possible. Il crée le Centre d’Etudes et de Promotion de la Lecture qui étudie les comportements de lecteurs en fonction des typographies utilisées, des mots, des phrases et des styles de textes de natures variées. Il fonde en 1952, avec Jean Garciat et Maximilien Vox, les Rencontres Internationales de Lurs qui réunissent chaque année typographes, graphistes, imprimeurs et autres professionnels du livre. Publication bi-annuelle de La gazette de Lurs. Un temps gérant de la revue et des Éditions Planète, il créé les Éditions Retz qui publient Les Encyclopédies du Savoir Moderne, la revue Communication et langages, Je deviens un vrai lecteur (1989), Encyclopédie de la chose imprimée et Méthode de lecture rapide (2004). La rédaction par d’autres d’ouvrages pédagogiques importants dans les domaines de l’apprentissage et du perfectionnement de la lecture et de l’écriture lui doivent beaucoup.

richaudeau

« Je pars du principe qu’un lecteur n’est pas un déchiffreur, mais un producteur, ce qui se traduit par une certaine liberté dans la lecture et dans l’interprétation du texte lu. Je me suis donc intéressé à la pédagogie de la lecture au sens large et à la lisibilité. Il est ainsi prouvé par mes expériences que les phrases les plus lisibles ne sont pas forcément les plus courtes, mais celles qui sont construites avec des liens, des conjonctions permettant aux lecteurs d’avancer progressivement dans le texte. Les phrases les plus lisibles sont donc des phrases relativement complexes par rapport aux phrases énumératives, dont on ne connaît jamais la fin. Je pense qu’il faudrait revoir les méthodes, les manuels et l’âge de l’apprentissage de la lecture. Il est inutile d’apprendre à lire et à écrire en même temps car la fonction de perception est antérieure à celle de la construction. Je préconise donc d’apprendre aux enfants la lecture-plaisir. »

André Kédros

 

 

 

 

    Les amis de la littérature de jeunesse le connaissent surtout sous le pseudonyme d’André Massepain sous lequel il a publié son œuvre pour les jeunes.

    En cette fin de siècle, on reconnaîtra dans l’ami qui s’en va une sorte de modèle des hommes de culture de notre temps.

     Né en 1917 à Bucarest, étudiant à Prague, il va habiter la Grèce, pays d’origine de sa famille, de 1938 à 1945 et participer à la résistance grecque dont il a contribué à retracer l’histoire dans son Histoire de la Résistance Grecque 1940-1944.

     En 1945, la guerre civile grecque l’oblige à se réfugier en France où il est accueilli par les amis de la résistance grecque qui connait des moments très difficiles.

     Aragon décerne en lui un écrivain de talent et l’aide à publier Le navire en pleine ville en 1948.

     C’est à cette époque que nous faisons connaissance dans l’action autour du livre qui se mettait peu à peu en place. Mais aussi par l’action contre la répression et pour essayer de sauver Beloyannis.

    Psychologue et penché sur les problèmes de l’enfance, nous l’avons retrouvé avec Henri Wallon et Hélène Gratiot Alphandéry dans toutes les entreprises autour de la lecture et de la littérature de jeunesse, à la revue Enfance et au Centre International de l’Enfance.

     Auteur, il obtint de nombreuses distinctions dont le Grand Prix du Salon de l’Enfance avec La Guerre aux ours (1963), Prix de la Joie par les Livres pour Le derrick aux abeilles (1961) et, à Padoue, en 1978, le Prix européen de Littérature pour la jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

     Il avait compris très tôt l’importance de l’édition dans l’action pour la lecture. Soucieux d’apporter aux adolescents à la fois la qualité littéraire et une variété d’inspiration, il anima chez Robert Laffont, la collection Plein Vent qui détermina une nouvelle orientation dans l’édition française.

     D’autres forces ont contribué à l’évolution de l’action envers les jeunes lecteurs. Pour avoir, au CRILJ ou dans l’action éducative d’ensemble, maintes fois agit aux côtés d’André Massepain, participé à de nombreux débats et rencontres aussi bien dans un préau d’école que devant des spécialistes, nous savons que la « marchandisation » croissante de la littérature lui semblait une conséquence culturelle liée à l’époque. Il n’est pas incompréhensible qu’il ait souffert de cet état de choses au point de la trouver, l’âge venant, insupportable.

      Il me souvient aujourd’hui d’une longue conversation, un jout quelque part en province après une vente, où nous avons parlé de Paul et Laure Lafargue et de leur relation face à la vieillesse. Il se reconnaissait dans ces militants du parti ouvier.

     D’autres parleront de sa place dans la littérature de langue française, de l’impact de son œuvre à l’étranger, mais nous voudrions surtout dire tout ce qu’il a apporté à l’action pour la littérature de jeunesse par sa culture et son attachement aux valeurs humaines. Nous aimerions aussi mettre en valeur sa fraternité et son amitié, toute la tendresse qu’il témoignait aux siens mais aussi à toute la jeunesse du monde.

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

 massepain

Elève de l’Ecole Polytechnique d’Athènes, docteur es lettres de l’Université Charles de Prague, André Kédros effectue, invité du gouvernement français depuis 1945, auprès de Henri Wallon, des travaux de recherche en psychologie de l’enfant. Une dizaine d’ouvrages pour adultes puis, à partir de 1949, sous le nom d’André Massepain, nombreux ouvrages pour jeunes lecteurs  : Le dernier des derrick (1961), La grotte aux ours (1963), L’île  aux fossiles vivants (1967). En 1966, André Kédros dirige chez Robert Laffont, la collection « Plein vent », qui inaugure la série des nombreuses collections pour adolescents qui seront créées dans ces années-là. « Lorsqu’on écrit pour les enfants, il faut tenir compte de leur catégorie d’âge sans se départir du sens de la responsabilité que tout adulte doit avoir à l’égard de la jeunesse. Malgrès les contraines, il faut veiller à la plus parfaire expression littéraire. » André Kédros était membre d’honneur du CRILJ.

 

 

Reconnaissance

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    J’ai, chers amis du CRILJ, reçu ce matin le bulletin numéro 62 et j’ai soudain pensé que vous seriez sans doute heureux de savoir que cette littérature de jeunesse pour laquelle vous ne cessez d’œuvrer a obtenu une sorte de consécration à Moutiers Sainte- Marie (Alpes de Hautes Provence), à 6 kilomètres du lac de Sainte Croix, 10 kilomètres des Gorges du Verdon est, surtout, comme au XIXième siècle, capitale de la faïence.

     En 1964, Magnard publiait mon second roman pour les adolescents Le colchique et l’étoile qui fut, en 1965, diffusé en feuilleton sur France-Culture grâce à Roger Boquié et Monique Bermond, puis adapté en téléfilm, pour la 2, en 1974, par Michel Subiéla.

     Il y eut d’autres romans chez Magnard, Hachette, Bordas, Pocket, mais c’est le Colchique qui me valut cette grande joie de donner mon nom – inretenable pour les adultes, mais mémorisé par les enfants parce qu’il les intrigue – à une école.

 ( courrier paru dans le n° 63 – novembre 1998 – du bulletin du CRILJ )

 ciravegna

 Née à Nice en 1925, Nicole Ciravegna fait ses études à Aubagne, Marseille, Aix-en-Provence et à l’École normale supérieure de Fontenay où elle entre en 1945. Professeur de lettres dès 1948, elle enseignera dans le midi jusqu’en 1985, année de la retraite. Passionnée d’histoire et de littérature, Nicole Ciravegna écrit, à compter de 1962, de nombreux ouvrages pour les enfants, les adolescents, les adultes, où elle traite de sujets graves comme l’accueil des enfants démunis dans Le sentier sous les herbes (1962),  la Deuxième Guerre Mondiale dans La rue qui descend vers la mer (1971) ou de la vie quotidienne comme dans la série des Chichois (à partir de 1979). Ses personnages sont chaleureux, authentiques et incarnent les valeurs d’amitié et de tolérance. En septembre 1999, le Grand Prix littéraire de Provence a couronné l’ensemble de son œuvre, soit, à cette date, vingt-deux romans.

« Mes élèves adolescentes aiment lire et font une totale confiance au professeur qui les conseille dans leurs lectures. Laissées à elles-mêmes, elle lisent la presse du cœur ; mais aidées et éclairées, elles ont d’intelligentes lectures. Elles ne demandent que cela : bien lire. Je connais bien les adolescentes, leurs problèmes, leurs bons et leur mauvais goûts, et il m’est relativement facile de composer des histoires dont les thèmes répondent à leur attente. »

Penser national, agir local

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par André Delobel

    Au début des années 1970, quinze millions de français ayant moins de 15 ans, la production de livres pour l’enfance et la jeunesse connait une augmentation soudaine. Les catalogues se diversifient. La qualité s’améliore. Au même moment, les recherches sur la littérature de jeunesse se multiplient et on observe une sensibilisation croissante des éducateurs aux questions de lecture. Pourtant, les seuls ouvrages vraiment connus de la plupart des enfants sont encore leurs livres d’école et les bibliothèques, en nombre insuffisant, souvent sous-équipées, ne constituent pas une alternative suffisante. La formation souhaitée par tous, professionnels et bénévoles, se met en place peu à peu, institutionnelle parfois, militante le plus souvent.

    Ne pas s’étonner de voir alors, à l’issue de journées d’études souhaitées par le Centre International d’Études Pédagogiques de Sèvres en 1973 et d’une rencontre organisée à Marly en octobre de la même année par la section française de l’Union Internationale des Livres pour la Jeunesse, réapparaitre l’idée d’une association qui serait le carrefour de toutes les personnes et de toutes les initiatives recensées dans le domaine du livre pour l’enfance et la jeunesse. En 1974, profitant du sigle d’une association en sommeil dont Mathilde Leriche fut présidente, le CRILJ, Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, se constituait.

    Il apparut très vite à l’équipe essentiellement parisienne qui, de Sèvres, organisait les commissions de travail et diffusait l’information, que le développement de l’association ne pouvait passer que par une déclinaison couvrant le territoire et c’est ainsi que, fort de ses 1800 adhérents, le CRILJ s’organisa en vingt-cinq sections, locales, départementales ou régionales.

    En 1977, la section de l’Orléanais du CRILJ fut l’une des premières à prendre forme. Portée par un groupe de parents et d’enseignants de Saint-Jean-de-la-Ruelle, soutenue notamment par Jacqueline Held, elle parvint à rassembler, dès son origine, des enseignants, des bibliothécaires, des libraires, des auteurs, des animateurs, des parents d’élèves et son assemblée générale constitutive bénéficia de la présence encourageante de Marc Soriano. « J’ai aimé, se rappelle Linette Erminy toujours présidente, travailler à solidariser parents, enfants et enseignants autour des livres. Ce fut une époque où le CRILJ milita pour que les mairies créent des bibliothèques, pour que les enseignants ouvrent des coins-lecture, pour que les parents achètent des livres aux enfants et pour que les enfants acquièrent le goût de lire et le conservent. Dans ces projets, militant aussi était le choix des livres. »

    Un regard rétrospectif sur plus de trente ans de CRILJ/Orléanais permet de parcourir les principales initiatives et de saisir les évolutions :

– Les réunions mensuelles des premières années pendant lesquels chacun faisaient part aux autres de ses lectures, les listes à mettre à jour, les malles à constituer, les prochaines expositions-ventes à organiser, l’agenda des rencontres à compléter, le courrier aux adhérents à mettre sous enveloppe. Un bureau d’une petite dizaine de personnes toujours partantes.

– La mise à disposition, grâce à l’entremise d’une conseillère municipale orléanaise acquise à nos actions, d’un local de 90 m2 facilement accessible et l’obtention auprès de la DRAC de la région Centre d’une subvention permettant d’acheter armoires et rayonnages et de mettre à disposition de toute personne intéressée les livres et les documents jusqu’alors dispersés en divers greniers.

– Les groupes d’enseignants reçus au Centre de ressources, semaine après semaine, au bon temps de la formation continuée, pour donner envie de lire albums, romans et documentaires, pour convaincre de mettre ces livres à disposition des enfants, pour aider les équipes à mettre en place la Bibliothèque Centre Documentaire de l’école et à la faire vivre. C’était un temps où il fallait encore, parfois, se justifier quand on présentait Le Géant de Zéralda ou Max et les maximonstres …

– L’implication, dans le cadre d’un comité d’organisation élargi, dans l’organisation et l’animation du Salon du livre pour enfants et adolescents de Beaugency, chaque édition relançant l’aventure, pleins feux sur les bébés lecteurs une année, sur les adolescents l’année suivante. Je n’oublie pas non plus les rencontres Pages et Plume en complicité avec la collégiale Saint-Pierre-le-Puellier, à Orléans.

– L’envoi chaque quinzaine, depuis 2003, d’un courrier électronique proposant textes et informations à 1500 correspondants. Pour cause de transfert, ce chiffre serait, nous a-t-on expliqué, à multiplier par quatre.

– L’accueil, chaque année depuis cinq ans, de deux ou trois stagiaires en Master de traduction à qui nous proposons de traduire en français, sous notre contrôle, des ouvrages de littérature pour la jeunesse ou des articles de revues spécialisées. Il s’agit certes, pour le stagiaire, plus d’un élargissement de formation qu’un véritable stage en entreprise, mais il s’évère que chacun des partenaires (étudiants, université, association) trouve son compte dans le dispositif que nous proposons.

    C’est le CRILJ/Orléanais qui assura, à compter de septembre 1983, la continuité hebdomadaire de la rubrique « Lire à belles dents » publiée pendant quatorze ans dans le quotidien orléanais La République du Centre, faisant cohabiter propos de jeunes lecteurs et parole adulte. Se replonger dans la collection, c’est traverser l’histoire de la littérature pour la jeunesse de ces années-là.

    Le CRILJ/Orléanais conserve également un ensemble privé de 9000 affiches en relation avec le livre et la lecture pouvant être prêtées pour des expositions. Cette collection qui s’enrichit de plusieurs centaines de pièces chaque année est certainement sous-employée, mais faire plus est, dans l’état actuel des finances de l’association, un rêve lointain.

    Depuis 2009, notre section s’est fortement rapprochée du CRILJ national. La cohabitation en un même lieu de deux entités distinctes n’a pas, dans les premiers temps, facilité la lisibilité. En revanche, la proximité des moyens matériels et humains permet à l’une et à l’autre des structures un déploiement amélioré. Ce sera l’affaire des prochaines années.

( version ‘augmentée’ d’un article paru dans le dossier consacré au livre et à la lecture en  Région Centre dans le numéro 50 de mai 2010 de la revue de l’Association des Bibliothécaires de France )

crilj orléanais

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Maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis trente ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Co-auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Éducation, il a assuré pendant quatorze ans la continuité de la rubrique hebdomadaire « Lire à belles dents » publiée dans la République du Centre. Il est, depuis mars 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Il a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.

Louis Mirman

 

 

 

 

     Louis Mirman qui, à partir de 1947, a tenu une place importante dans la littérature de jeunesse aux éditions Hachette, quand ces éditions dominaient la production tant au niveau des albums qu’à celui des livres, a disparu. Il était né en 1916.

     Entré chez l’éditeur pour s’occuper plus particulièrement des traductions de textes étrangers, professeur d’anglais à l’origine, grand admirateur de la culture anglaise, il n’a pas peu contribué à la traduction d’oeuvres anglo-saxonnes, en particulier dans la Bibliothèque Verte et la Bibliothèque Rose. Le Club des Cinq, le Clan des Sept et les Oui Oui d’Enid Blyton lui doivent une part de leur succès, ainsi que les ouvrages de Caroline Quine, la série des Alice et des Sœurs Parker.

     Comme il le reconnaissait lui-même, en 1956, dans un numéro spécial d’Enfance où il analysait bien son action, « nos gros tirages ont un revers, ils nous limitent à des valeurs sures et rendent prudentes nos expériences, qui ont un endroit car nous donnons une vraie chance aux nouveaux auteurs. »

     C’est sans doute à cette conception que nous devons la publication des ouvrages de Georges Bayard (la série des Michel), des romans de Paul-Jacques Bonzon, Les Six Compagnons, mais aussi des Fantômette de Georges Chaulet et des Langelot de Lieutenant X.

     Homme de dialogue, Louis Mirman n’a jamais fui la discussion, n’oubliant jamais de nous faire remarquer quand nous critiquions des séries que l’ensemble des éducateurs considéraient comme très faibles, « oui, mais les ouvrages que vous aimez sont ceux que je ne vends pas » – répondant avant la lettre par les arguments de l’économie de marché à toute action à vocation culturelle.

     Il nous arrive souvent de penser à lui quand nous essayons de parler d’exception culturelle en ces temps de mondialisation, mais il n’est pas certain que nous recevions le même accueil des maîtres actuels de l’information. Bourdieu, pour l’avoir tenté avec brio, ne fut pas plus heureux face aux maîtres es/communication.

     Mais peut-être le secret de Louis Mirman était-il ailleurs et nous fut-il révélé quand, en 1982, nous avons lu en manuscrit Silex Noir, puis, après, quand fut décerné le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports, la même année. Le nom de l’auteur : Louis Mirman ! Nous avons, ce jour-là, discuté franchement de nos accrochages d’antan.

     Et ce n’est pas le moindre message que nous laisse, peut-être malgré lui, Louis Mirman, celui d’inviter tout ceux qui travaillent à la création culturelle de ne pas obéir aux contraintes et aux « lois du marché » et de poursuivre leur chemin contre toutes les entraves et toutes les innombrables formes de censure.

     Mon adieu n’est sans doute pas conformiste, mais je suis certain que Louis Mirman sourirait en le lisant …

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

  silex noir

 Louis Mirman est né en 1916, de parents instituteurs. Licencié ès lettres, il enseigne l’anglais puis se tourne vers le journalisme d’agence et de radio. En 1947, il entre chez Hachette pour s’occuper de traduction puis de la Bibliothèque Verte et de la Bibliothèque Rose. En 1970, il devient directeur de l’ensemble du service Jeunesse-Collections, fonction qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1979. Il se met alors à écrire : Le Silex Noir (1984), Young (1985), Grite parmi les loups (1987), A la recherche de Tiang (1990), quatre titres parus chez … Gallimard Jeunesse, en Folio Junior.

 

 

 

Rue du monde, une histoire pas comme les autres

  

  

  

  

 

     Fin 1996, Alain Serres, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages pour la jeunesse crée une nouvelle maison d’édition indépendante. Sans aucun moyens financiers et loin des règles habituelles. En deux ans, la petite Rue du monde est parvenue à asseoir sa fonction dans le paysage éditorial mais aussi dans la société.

 Le jour de la décision

     Au milieu des année 1990, l’édition pour la jeunesse perdait un peu de ses couleurs. Des maisons d’éditions battaient de l’aile, d’autres disparaissaient. Les chemins de l’audace, des contenus et de l’exigence littéraire étaient de moins en moins nombreux, de plus en plus broussailleux. L’idée en tête depuis deux ans, Alain Serres a considéré qu’il était temps de proposer un espace différent pour encourager le regard critique et imaginatif des enfants sur le monde. Il prit l’avis de quelques libraires jeunesse, d’auteurs et de Pierre Marchand, alors directeur de Gallimard Jeunesse.

     Alain Serres refuse plusieurs propositions émanant d’autres maisons et, la veille du jour où il allait fêter ses quarante ans, il prend sa décision et fait le choix de l’indépendance totale vis-à-vis des grands groupes. Il se lance alors dans l’aventure avec plusieurs dizaines de projets de livres, de collections, mais à peine ce qu’il faut pour réaliser un tiers d’album. Plus une idée qui va lui, permettre de faire naître Rue du monde.

     En novembre 1996, Alain Serres lance un appel pour que se retrouvent ceux qui ressentaient les mêmes lacunes et aspiraient aussi à un pôle novateur. Il propose la réservation des quatre premiers titres de Rue du monde avant même leur parution. Mille souscripteurs relèvent le défi, essentiellement des enseignants, des bibliothécaires et des directeurs de centres de loisirs.

La rue de papier est lancée

     En trois semaines, le premier ouvrage, Le grand livre des droits de l’enfant, dont le manuscrit était prêt, est illustré, iconographié, imprimé et relié. Incroyables délais rendus possibles par la mobilisation chaleureuse de nombreux amis et professionnels. Les 250 premiers exemplaires arrivent tard dans la nuit, la veille de l’ouverture du Salon de Montreuil. Sur les 4m2 du stand, ils seront tous vendus et cet ouvrage est, dix ans apès sa parution, l’une des meilleures ventes, avec plus de 50000 exemplaires.

     Les quatre premiers titres en mains, Alain Serres essaie de convaincre un diffuseur-distributeur de relever le défi avec lui. C’est Frédéric Salbans et Bernard Coutaz, chez Harmonia Mindi, qui oseront s’ouvrir à la jeunesse. Aujourd’hui, ils sont toujours partenaires.

 Editer, un sacré métier

     Il a fallu tout apprendre : comment faire des factures, comprendre la TVA, celle qui rentre et celle qui sort, louer un nouveau local, calculer le poid du papier. L’équipe compte aujourd’hui six personnes.

     En dix ans, plus de 8000 projets ont été reçus, 130 ont été publiés. Ils sont, le plus souvent, nés d’une rencontre autour d’une ébauche, d’une réaction de l’éditeur à un dessin, d’un propos lu ou entendu. Pour la plupart des livres, une sorte de jeu de ping-pong s’instaure entre l’auteur, l’illustrateur et l’éditeur afin que les choix les plus pertinents puissent être faits en commun, au service du livre et de ses futeurs lecteurs.

     Née il y a dix ans de façon atypique, Rue du monde poursuit son travail pour titiller l’intelligence des enfants, attiser leur esprit critique et leur sensibilité artistique.

     Pour cette année anniversaire, des ouvrages forts, beaux et éclectiques : du travail d’orfèvre de François Place à l’humour de Pef, d’une Alice décapante à une succulente Cuisine tout en chocolat, des enfants des rues aux sans-papiers, de l’amour tout court à l’amour d’une terre en péril. Des images et des idées pour voir et rêver le monde.

( texte paru dans le n° 88 – décembre 2006 – du bulletin du CRILJ )     

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Les Petits Bonshommes

 par Dawinka Laureys

Une revue instructive et pacifiste des années vingt

     Un magazine pour enfants est le fruit de son temps et il est loin d’être innocent. C’est ce que nous nous efforcerons de démontrer par le biais de cette analyse en nous penchant sur l’exemple d’une revue française, Les Petits Bonshommes, publiée dans les années vingt. Son cas n’est certainement pas généralisable à l’ensemble de la presse de jeunesse. Par contre, les questions qui lui sont posées peuvent être généralisées et transposées à une série de médias pour enfants d’hier et d’aujourd’hui. Partant de la réflexion de Maurice Crubellier selon laquelle « toute société éprouve la nécessité d’adapter ses membres les plus jeunes à ses besoins », nous nous interrogeons sur le rôle des magazines pour enfants. Comment leurs rédacteurs, leurs illustrateurs s’y prennent-ils pour « adapter » la génération à laquelle ils s’adressent à leurs projets, conscients et inconscients ? Quels sont leurs rêves et leurs espoirs ? Ce type de médias est-il susceptible de prendre position par rapport aux faits du réel ? Si oui, comment et dans quel(s) but(s) ? Comment les représentations collectives des auteurs transparaissent-elles ? Que révèlent-elles de leur époque ?

    De 1922 à 1926, la revue Les Petits Bonshommes est éditée à Paris et diffusée partout en France et dans quelques autres pays, en Belgique notamment. La collection complète compte 159 numéros. En 1923, 11000 lecteurs y sont abonnés. À l’origine et de manière régulière, le magazine est appuyé par le Syndicat national des instituteurs (SNI) et par la Fédération de l’enseignement. Son comité de patronage se compose d’une quarantaine de personnalités de « gauche » dont des écrivains, des artistes et des militants syndicaux. La revue se présente sous la forme d’un magazine de seize pages en moyenne, de 20 cm de haut sur 25 de large. Sa texture en papier de bois lui donne une teinte légèrement brunâtre. Il s’agit d’une revue où domine le texte même si les première et quatrième de couverture sont illustrées, tout comme bien souvent la page centrale. Il arrive que les articles et les histoires soient aussi ponctués d’images monochromes ou polychromes, en fonction manifestement des ressources disponibles. L’histoire de la série est en effet marquée par des difficultés financières, des changements d’imprimeries, de maisons d’édition, de comités de rédaction. Toutes ces péripéties entraînent des irrégularités de parution et l’aventure prend fin avec le numéro du 7 janvier 1936.

Instruire et éduquer tout en amusant

     Les Petits Bonshommes émergent dans un contexte où la presse de jeunesse est en plein essor. Lors des premières décennies du XXe siècle, les périodiques pour enfants connaissent une transformation radicale tant au point de vue de la forme que du contenu. Sous l’impulsion conjointe des progrès de l’alphabétisation, des innovations technologiques et de la prospérité économique, leur tirage augmente considérablement. Relativement bon marché et toujours plus ouverts à l’image, ces magazines se consacrent de plus en plus au pur divertissement. En France, c’est l’époque de L’Épatant (1908-1939), de Fillette (1909-1964), de Cri-Cri (1911-1937) ou encore de la revue Le Petit Illustré (1904-1937). Ces nouveaux médias ne font plus de l’édification morale une priorité et privilégient les historiettes illustrées, les romans policiers. Face à cette vague, les éducateurs catholiques et, dans une moindre mesure, laïques tentent de maintenir des revues éducatives et instructives. Les rédacteurs des Petits Bonshommes s’inscrivent clairement dans cette démarche. Ils sont en relation avec le monde de l’enseignement et des rapprochements évidents peuvent être faits entre certaines intentions des auteurs et les visées de l’enseignement républicain. À l’époque, l’école a pour fonction première d’alphabétiser les enfants. Dans la revue, l’accent est clairement mis sur la lecture. La très grande place faite à l’écrit en témoigne. S’adressant aux enfants sous le pseudonyme de Tante Aurore, la directrice de rédaction (Thérèse Dispan de Floran) fait part de ses conseils orthographiques et stylistiques et elle rappelle de manière récurrente l’importance de la maîtrise de l’écriture. L’intention d’instruire les lecteurs se dégage également des multiples articles consacrés à l’acquisition de savoirs (en histoire, en archéologie, en littérature, en sciences : zoologie, botanique, physique, médecine, etc.), de savoir-faire (en couture par exemple) et d’aptitudes (comme l’apprentissage de la dextérité ou de l’hygiène). L’instruction morale et civique occupe une place importante par l’exaltation de valeurs telles que l’honnêteté, l’humilité, le courage, l’effort, l’entraide. D’autres notions, chères aux rédacteurs et à la IIIe République, telles la raison et la laïcité, imprègnent véritablement les différentes rubriques jusque dans les histoires et récits de voyage.

     Toutefois, la revue des Petits Bonshommes ne peut pas être qualifiée d’austère. Elle cherche à divertir les jeunes lecteurs. Il s’agit sans doute d’une question de survie : dans un contexte marqué par un succès croissant de la presse tapageuse, un média pour enfants se doit d’être amusant. Ainsi, humour et aventure se mêlent aux blagues, rébus, récits, historiettes illustrées voire même aux notices sur des personnages célèbres. L’enfant est invité à participer à des concours de dessins, à apprendre des chansons, à confectionner des bricolages, à réaliser des saynètes théâtrales, à faire du sport. Dans Les Petits Bonshommes, ces activités se veulent sources d’édification morale ou d’apprentissage. Plusieurs bricolages proposent, par exemple, de confectionner la maquette d’une coopérative ou d’une machine à vapeur. Quant à l’humour, il peut être subordonné à un discours moralisateur, en tournant en ridicule la prétention, la paresse. Certaines blagues ou histoires se permettent de dénoncer les disparités sociales.

    Par ailleurs, le divertissement se veut rationnel. Les références aux univers et aux personnages irréels ou divins sont rares, et quand elles apparaissent, elles sont vivement critiquées par les lecteurs adultes. À l’époque, nombre d’enseignants mais aussi de psychologues, psychiatres et pédagogues recommandent de bannir les fées de la littérature enfantine. Le réel est amplement suffisant comme source de merveilleux lorsqu’il est décodé par le prisme des sciences et des techniques. Les ingénieurs et chercheurs sont présentés aux jeunes lecteurs comme de véritables magiciens. Leurs découvertes récentes sont expliquées, comme celle de la télégraphie et de la téléphonie « aussi merveilleuse qu’un conte de fées ». Cette conception du « merveilleux rationnel » peut être mise en lien avec une société marquée en ce début de XXe siècle par de multiples découvertes scientifiques et techniques, par une déchristianisation des masses et par la généralisation de l’instruction publique qui tend à uniformiser la culture au détriment des langages et des croyances locales.

 En marche vers une société pacifique, international … et républicaine

     La revue naît à la sortie de la Première Guerre mondiale dans une société bouleversée par ce conflit. Vainqueurs et vaincus font le bilan : un total de dix millions de morts et de disparus (un recors jusqu’alors inégalé), vingt millions de blessés, des conséquences économiques et financières désastreuses. Chacun est persuadé que la Grande Guerre sera la « der des der » et tous sont résolus à ce qu’elle n’ait pas de postérité. Dans le camp des vainqueurs, certains estiment que seule une politique d’intimidation à l’égard de l’Allemagne évitera une nouvelle offensive. D’autres, par contre, pensent que l’heure est à la réconciliation des pays. Dès mai 1919, le mouvement « Clarté » ou « Internationale de la pensée » se dessine autour d’Henri Barbusse et se définit par la trilogie : pacifisme, internationalisme et justice. Or, plusieurs des membres du comité de patronage des Petits Bonshommes sont membres du mouvement « Clarté ». Plusieurs sont aussi proches du Parti communiste français (PCF) dont le pacifisme leur paraît le plus radical. De fait, il est le seul parti à avoir protesté ouvertement contre l’occupation de la Ruhr puis, quelques années plus tard, contre la guerre du Rif.

     Les prises de position pacifistes des rédacteurs des Petits Bonshommes sautent aux yeux. Les récits et poèmes qui condamnent la guerre sont récurrents. C’est entre autres le cas lors du conflit au Maroc précisément. Dans les numéros d’avril 1925 à janvier 1926, une bande dessinée satirique dénonce la guerre du Rif. Elle conte les aventures du reporter français dépêché sur place « Bourlekrane, le plus menteur des journalistes, décoré pour ses nombreux services pendant l’avant-dernière guerre ! ». Par ailleurs, Jean Jaurès et son combat pour la paix font l’objet de plusieurs articles. Les méfaits des combats sont rapportés et pleurés, en particulier par la directrice de rédaction, Thérèse Dispan de Floran. Dans la rubrique qui lui est consacrée, celle-ci veut œuvrer à la paix internationale et suggère que tous les enfants du monde se mettent à correspondre. Tante Aurore fournit des adresses postales de manière à encourager de tels échanges, notamment entre Français et Allemands. Elle s’en explique : « le salut du monde est dans les mains des enfants (…). Si nous nous connaissions vraiment les uns les autres, si nous savions combien les peuples des autres pays nous ressemblent, la guerre deviendrait impossible entre les nations (…) ». Dans la France des années vingt, Tante Aurore et ses projets de « fraternité universelle » sont vivement critiqués par la presse patriotique. Par contre, ils rejoignent les propositions formulées par l’Internationale de l’Enseignement qui préconise l’établissement de relations entre les jeunes de la terre entière.

    Oeuvrer à la paix, c’est aussi combattre le chauvinisme. Sur ce point, les rédacteurs sont à nouveau porteurs de raisonnements partagés par l’Internationale de l’Enseignement, mais également par l’internationalisme qui repose sur la croyance selon laquelle la nation est une unité artificielle, qui doit être dépassée et supprimée par l’action conjuguée des hommes de tous les pays des prolétaires en particulier. À l’époque, c’est l’ensemble du corps enseignant qui s’interroge sur le rôle de l’école – et notamment du cours d’histoire – dans l’exaltation du sentiment national. Dans Les Petits Bonshommes, il n’y a point de récits franchement patriotiques, comme c’est le cas dans le magazine pour fillettes La semaine de Suzette, par exemple. Pour les rédacteurs, combattre le chauvinisme nécessite d’aller à la rencontre des autres nations. Les lecteurs sont invités à découvrir des monuments et sites, mais également des habitudes et coutumes de diverses contrées. Il y est question du Kremlin de Moscou, des temples incas, de la vie à l’école aux États-Unis ou en Algérie… Dans la rubrique consacrée « aux grands hommes », diverses nationalités sont représentées dont des Allemands (le compositeur Jean-Sébastien Bach ou le scientifique Roentgen) et des Russes (les auteurs Dostoïevski, Gorki, Tchekhov, Tourgueniev et Tolstoï). Cette ouverture au monde se colore de fraternité lorsque Tante Aurore fait appel à la solidarité internationale en invitant les lecteurs – et leurs parents – à venir en aide à des enfants russes, africains, japonais, irlandais ou allemands qui vivent dans des conditions très précaires.

     Si Tante Aurore ne cesse de mettre l’accent sur les ressemblances des enfants par delà les frontières, rédacteurs et illustrateurs nous conduisent également à constater des différences. Celles-ci s’expriment en particulier dans les récits de voyage ou à travers le temps. C’est l’occasion de rapporter la vie des Indiens, des Esquimaux, des habitants des montages kabyles… ou celle des hommes de la Préhistoire et du Moyen-Âge. Même si les articles et récits regorgent de représentations diverses, les étrangers ou les « hommes anciens » apparaissent généralement comme vertueux, courageux, honnêtes, tandis que les hommes « blancs et d’aujourd’hui » ont pour défauts l’orgueil, le goût du profit et de la guerre. Ces hommes blancs n’en sont pas moins présentés comme des êtres faisant preuve de raison et maîtrisant les sciences et les techniques. Consciemment ou inconsciemment, les auteurs considèrent manifestement que par leurs attitudes et leurs acquis, les hommes d’Occident s’écartent et se distinguent des autres peuples encore sous le joug des croyances divines et de savoir-faire primitifs.

     Ainsi, la société rêvée par Les Petits Bonshommes se veut certainement pacifiste et internationale, mais elle se doit aussi d’être mue par la raison, la laïcité et la justice… si elle veut poursuivre son ascension vers le « progrès ».

Les Petits Bonhommes ouvrent le débat

    La revue Les Petits Bonshommes est le fruit de son temps. Les rédacteurs prennent position vis-à-vis des « faits du réel » avec ce qu’ils sont, leurs croyances, leurs blessures, leurs espoirs, leurs idéaux. Pour demain, ils rêvent de « bons hommes » et de  « bonnes femmes » instruits, ouverts sur le monde, pacifistes, courageux, solidaires, humbles, travailleurs et… porteurs de valeurs républicaines (raison, laïcité, justice). Cet exemple d’un périodique des années vingt, nous invite à nous pencher sur notre cas, ici et aujourd’hui. Les questions que nous posions en début d’analyse peuvent être adaptées aux magazines actuels – voire aux médias en général – pour enfants et adolescents. Qui en sont les rédacteurs et les illustrateurs ? Quels organes les soutiennent ? De quelles valeurs, de quelles intentions, de quels projets sont porteurs les acteurs qui gravitent autour de ces médias ? Suis-je en mesure de les détecter, de les identifier ? Est-ce que les auteurs prennent position par rapport aux événements de leur époque ? Si oui, de quelle(s) manière(s) ? Si non, pourquoi ? Comment est-ce que je me situe par rapport à ce qui est véhiculé ou ce qui est passé sous silence (faits du réel, représentations, projets, valeurs) ? Et ce, en tant que lecteur, en tant que citoyen, en tant que parent, en tant qu’éducateur ? Suis-je en accord, en désaccord ? Comment est-ce que je l’exprime ?

     L’exercice pourrait par exemple être mené à l’égard des magazines édités par les maisons d’édition Bayard-jeunesse en France, ou Averbode en Belgique pour n’en citer que deux bien connues. Leurs publications n’échappent point à la règle puisqu’elles sont nécessairement le fruit de leur temps. Une analyse détaillée de celles-ci serait sans doute très révélatrice de notre époque et de nos propres paradoxes. Le caractère étonnamment politique de la revue Les Petits Bonshommes sortirait sans doute renforcé d’une telle analyse.

    Par ailleurs, nombre des questionnements qui précèdent peuvent aussi être transposés aux médias pour adultes. Avec une différence fondamentale cependant : un enfant dispose de moins de ressources qu’un adulte pour décoder les textes et les illustrations qui lui sont adressés. D’où sans doute l’importance pour les parents et les éducateurs de poser sur ces médias un regard analytique …

    Microsoft Word - 20090908 Petits Bonshommes _v5_.RTF

Historienne diplômée de l’Université de Liège (licence en histoire en 1999, agrégation de l’enseignement secondaire supérieur et D.E.S en documentation et sciences de l’information en 2000, doctorat en histoire en 2005), Dawinka Laureys mène, pendant quatre ans, des recherches relatives à l’histoire spatiale belge (CHST de l’Ulg). Elle enseigne quelques mois auprès de la Haute École de la Ville de Liège. Archiviste pendant plus de trois ans auprès du centre d’archives privées d’Etopia, centre d’animation et de recherche en écologie politique situé à Namur, elle rejoint à Seraing, comme attachée scientifique chargée de l’éducation permanente, l’équipe de l’Institut d’histoire ouvrière, économique et sociale. Nous remercions Dawinka Laureys pour nous avoir confié son texte publié en 2009 sur le site de l’IHOES avec le soutien de la Communauté française Wallonie-Bruxelles. L’illustration ci-dessus, planche originale pour la revue Les Petits Bonshommes, provient des collections de la Bibliothèque L’Heure joyeuse

Stépan Zavrel

  par Janine Despinette

     La communauté internationale des artistes illustrateurs des cinq continents est en deuil. Stépan Zavrel est mort accidentellement à Sarmède, en plein chantier de ses fresques sur les facades des maisons de la cité du Vénéro, le 27 février 1999.

     Pour la plupart des lecteurs du bulletin du CRILJ, le nom de Stépan Zavrel n’est sans douté lié qu’aux illustrations de Un rêve à Venise (Nathan), Le soleil disparu (Nord-Sud), Une pluie d’étoiles (Le Cerf), Le dernier arbre (Bohem Press et Bilboquet), La Cité des fleurs (Le Cerf), prix « Critique en herbe » de la Foire de Bologne en 1988.

     Pourtant, nous pensons que ceux qui ont eu l’occasion de visiter Imaginaires des illustrateurs européens, exposition présentée en 1993 à la salle d’actualité de la Bibliothèque Publique d’Information du Centre Pompidou par Christiane Abbadie-Clerc et la Communauté de Sarmède dont Stépan Zavrel était le directeur artistique, comprendront que nous rendions hommage ici, même brièvement, au rôle essentiel  qu’a joué, pour l’Europe, ce peintre poète praguois, émigré en Italie en 1959, et vers qui est venue toute une génération d’artistes et d’artisans d’images pour qui il fondera, avec Oscar Bozejvsky, Bohem Press, basé en Suisse. Mais pour qui il inventera aussi, dans des structures « à la jonction de l’école et du musée », une nouvelle esthétique de la communication, totalement pluriculturelle, capable de résister pour longtemps aux stéréotypes numériques en place et à venir.

     Il était polyglotte, il savait tout faire, des marionnettes, des films et des livres. Il aimait la vie. Il savait dialoguer avec les enfants et inventer pour eux des mondes colorés fabuleusement beaux, mais il savait aussi regarder les images des autres et être à l’écoute de leurs projets, de les aider à découvrir leur vrai talent. A partir de Sarmède, il montait avec eux des expositions itinérantes, événements culturels aussi bien à Nex-York qu’à Tokyo ou à Paris, à Strasbourg qu’à Zagreb.

     Au stand Bohem Press comme au stand de Sarmède Paese della Fiaba, cette année, à Bologne, le sentiment d’absence sera grand.

 ( texte paru dans le n° 64 – mars 1999 – du bulletin du CRILJ )

zavrel

Né à Prague en 1932, Stépan Zavrel y fréquente la Faculté des arts cinématographiques et se spécialise dans le film d’animation. En 1959, il s’inscrit à la Faculté de Peinture de l’Académie des Beaux-Arts de Rome, et en 1963, s’établit à Munich où il approfondit ses études. De 1965 à 1968, il dirige à Londres la section du film animé du studio Richard Willims. S’établissant enfin à Rugolo, près de Trévise, il exerce son activité de peintre et d’illustrateur. En 1971, il fonde avec Otakar Bozejovsky la maison d’édition suisse Bohem Press. Son intérêt pour le monde de l’enfance et son attention constante aux jeunes illustrateurs l’incite à organiser de nombreuses expositions itinétantes d’illustrations d’originales. En 2001, s’est tenue à Sarmède (Italie), sous le titre Le monde magique de Stépan Zavrel, une exposition-hommage accompagnée d’un fort beau catalogue.

Les surprises d'un sondage

     La section locale du CRILJ/Midi-Pyrénées a adressé, à propos de la lecture des enfants et des jeunes, un questionnaire dans les écoles, bibliothèques et collèges de la région. 1292 réponses d’enfants et d’adolescents ont été dépouillées, 240 pour les 7/10 ans, 1052 pour les 10/15 ans.

     Ce référendum nous a été retourné par des établissements urbains et ruraux où un effert important est engagé en faveur de la lecture. De là, sans doute, des affirmations qui, pour l’essentiel, battent en brêche le bataillon des idées toutes faires, donc mal faites, et soulignant la relative variété des lectures juvéniles.

 Il n’y a pas de facilité du goût enfantin

     Par exemple, si la bande dessinée l’emporte sur les livres chez les 7/10 ans (136-108), c’est l’inverse chez les 10/15 ans (668-546).

     L’aventure comme le conte correspondent au goût des lecteurs des deux âges. Ainsi, les contes et légendes arrivent-ils en tête chez les 10/15 ans (547), suivis de près par les témoignages vécus (537), la science-fiction (523), le roman (498), l’histoire romancée (431) ou racontée comme une histoire (354), les documentaires ne dépassant pas 236 suffrages.

     On relèvera aussi qui si 416 lecteurs sont gênés par un langage trop familier (contre 654), 618 ne le sont point par un langage littéraire (contre 514) ; que 128 + 489 enfants lisent des poèmes ; que plus de la moitié des 10/15 ans, tout en goûtant le plaisir et la nécessité du « dépaysement » et de l’ouverture, s’étonnent – voire s’irritent – de la surabondance des œuvres traduites dans certaines collections ; qu’enfin, chez les seniors, 934 préfèrent un récit achevé, avec une fin généralement heureuse, mais que 250 aiment ou aimeraient le continuer eux-mêmes.

 Les valeurs sûres et les autres

     Le sondage, auprès des 10/15 ans notamment, fait apparaitre des titres appartenant à des collections reconnues, les valeurs sûres. Mais s’y ajoutent, aussi nombreuses, des œuvres plus actuelles, contemporaines, toute une « géographie cordiale » où s’expriment la douleur, la générosité, la fantaisie poétique, le réalisme, le futurisme, le régionalisme.

     Les groupes qui ont répondu à l’enquête sont souvent ceux où des auteurs et des illustrateurs ont rencontré des enfants et participé à l’animation d’un ouvrage dans les écoles, bibliothèques, librairies ou fêtes du livre. Ainsi peut s’expliquer, pour une bonne part, le choix d’écrits régionaux sans qu’il soit besoin d’affirmer magiquement l’existence de « best-sellers » imprévus.

     Et puis, au-delà des thèmes de l’amour, de la drogue, de la guerre, en particulier, les plus de dix ans ont marqué leur préférence pour la géographie humaine, la psychologie, la préhistoire, l’archéologie, les sciences, les drames du racisme, la société, l’humour.

     Sujets de réflexion pour tout ceux qui s’intéressent à la littérature pour la jeunesse.

( texte publié dans le n° 24 – novembre 1984 – du bulletin du CRILJ )

 lecteurs

Les albums sans texte sont de grands bavards

    Le samedi 20 mars 2010, à l’occasion de son assemblée générale annuel, le Centre de Recherche et d’Information sur la Littérature pour la Jeunesse, associé à la bibliothèque l’Heure Joyeuse, avait invité Sophie Van der Linden, auteure de Lire l’album, rédactrice en chef de la revue Hors Cadre[s], pour une conférence à propos des albums sans texte. Intitulé exact : Albums sans texte : la preuve par l’image.

   En introduction, Hélène Gourraud, bibliothécaire à l’Heure Joyeuse, présentera brièvement l’exposition  Les albums sans texte : quand les images nous racontent des histoires dont elle est maître d’œuvre, introduction ou prolongement idéal à la conférence. L’exposition qui rassemble des ouvrages récents et des albums du fonds ancien de la bibliothèque, propose au visiteur, outre un bref historique, un essai de typologie pouvant aider le jeune (ou moins jeune) lecteur à se repérer dans le genre. Sont ainsi distingués : les albums narratifs où l’intérêt porté au récit est manifeste, les albums pour imaginer où une place importante est laissée à la subjectivité du lecteur, les albums cinématographiques qui s’appuient d’évidence sur les codes du langage filmique, et les albums-jeux qui jouent avec les formes cachées, les découpages, les cachettes et les masques.

    « Le livre sans texte est un objet fascinant dont on ne fait pas aisément le tour. » Une fois constaté que des créateurs s’intéressent à ce type d’ouvrages selon des approches stylistiques variées, il reste encore beaucoup à échanger et à confronter car ces livres ne sont, semble-t-il, faciles ni pour les éditeurs, ni pour les libraires, ni pour les médiateurs. La lecture qu’ils requièrent, dénotative, demande une attention accrue et, à condition de prendre son temps, certains albums sans texte autorisent des lectures multiples, assez souvent complexes. « Albums sans texte pour non lecteurs est une équation qui ne fonctionne pas. »

    Peut-on tenter un historique ? On trouve les premiers albums sans texte dès 1860, chez des éditeurs comme Staël et Hachette. Citons également, le titre est explicite, Les 30 histoires sans paroles à raconter par les petits, chez Nathan, et Histoires en images, collection d’albums publiée dès les années 30 à l’Atelier du Père Castor. Se développe, à la fin des années soixante, un type d’album sans texte qui abandonne l’idée que ces livres sont d’abord faits pour faire parler. Les Aventures d’une petite bulle rouge, album publié à l’Ecole des Loisirs en 1968 et qui abandonne la narration univoque est, à cet égard, devenu un classique. Dans les années qui suivent, des éditeurs comme Harlin Quist et François Ruy-Vidal amplifient cette voie, rompant avec la pédagogie pour s’adresser à l’imaginaire et ouvrir à la polysémie. En 1990, les éditions Epigones publient Sara (A travers la ville) et, en 2004, les éditions Autrement crée la collection « Histoires sans paroles » qui accueille les propositions d’illustrateurs aux styles fortement diversifiés.

Pas si facile

    Sophie Van der Linden a souhaité battre en brèche l’idée que l’on peut parler sans fin sur les livres narratifs sans texte. Non, dit-elle, car il y a un propos qui est tenu par l’auteur-illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur, d’interpréter l’œuvre abusivement. Il faut un propos, il faut une narration, un enchaînement lisible pour qu’un album sans texte fonctionne. Les « livres ratés » sont, dans ce genre particulier, ceux qui proposent un trop grand foisonnement de détails, ceux pour lesquels il n’y a pas de lien entre une image et la suivante.

    Il peut paraître plus aisé de « regarder » un album sans texte avec des tout petits que de lui « lire » une histoire illustrée. Autre idée fausse. Certes, les enfants ne se heurteront pas aux formulations de la langue écrite – pas de vocabulaire inhabituel, pas de phrases longues ou complexes – mais, en réalité, lire des images est aussi sinon plus difficile. De nombreux codes qui nous paraissent, à nous adultes, aller de soi, doivent en réalité être construits par les enfants. Ainsi, l’album sans texte exige des jeunes lecteurs qu’ils parviennent à établir des liens entre les images, les choix, allusifs ou non, de l’auteur qui les a ordonnées, l’obligeant à imaginer un enchaînement le plus souvent causal et lié aux motivations des personnages. Risque d’erreur, plaisir de comprendre, l’album sans texte est ici objet d’apprentissage.

Quelques noms, quelques titres

    Parmi les auteurs-illustrateurs qui se sont particulièrement intéressés à l’album sans texte, Iela Mari, déjà citée, abordable par les plus petits, Peter Spier et Mitsumasa Anno pour les plus grands, et puis Sara, magistralement, et Anne Brouillard, dont les ouvrages, parfois au-delà de leur évidence première, sont plus complexes à déchiffrer. Quand le lecteur y parvient – et les enfants y parviennent plus souvent qu’on ne l’imagine – l’émotion est au rendez-vous.

    Quelques ouvrages sans texte qui méritent la lecture des enfants comme celle des adutes : Volcan de Sara (Eolune), La course au renard de Géraldine Alibeu (Autrement), La course au gâteau de Thé Tjong Khing (Autrement), Balade de Betty Bone (Le Sorbier), Zoom de Istvan Banuai (Circonflexe) et le très cinématographique Loup Noir d’Antoine Guillopé (Duculot-Casterman). Ne pas oublier les livres de Bruno Munari ou d’Olivier Douzou.

    Deux auteurs ont retenu plus longtemps que d’autres l’attention de la conférencière :

– l’américain David Wiesner dont Chute libre (Circonflexe), Mardi (Flammation), Les trois cochons (Circonflexe) sont particuliérement jubilatoires. Succès populaire aux Etats-Unis, succès d’estime en France.

– la belge Anne Brouillard dont l’album L’orage (Grandir) ouvre, lecture après lecture, des perspectives renouvellées. « Dans cet album, on entre dans l’image comme dans la maison et c’est l’illustratice qui, plaçant les repères, guide notre regard. »

Mais encore

    Pour étayer son exposé, Sophie Van der Linden se place en lectrice experte. Plusieurs participants ont, pour compléter l’analyse, souhaité échanger à propos des pratiques de lecture d’images à l’école et dans les bibliothèques. Synthèse possible de la discussion : il faut faire confiance aux enfants, leur présenter des albums sans texte en toute simplicité, prévoir sans doute une progression – attention à bien choisir les  premiers titres à regarder ensemble – et, plus particulièrement à l’école, ne pas hésiter à nourrir, habilement, les libres propos des enfants d’un peu de « grammaire de l’image » et à  donner aux jeunes lecteurs les mots qu’il faut pour mieux dire les choses.

    A signaler, pour finir ici, le numéro 3 de la revue Hors Cadre[s] consacré aux albums sans texte. En vente dans les bonnes librairies et à l’adresse de l’Atelier du Poisson Soluble, 35 boulevard Carnot, Le Puy-en-Velay. Prix du numéro : 12,00 euros.

gerda muller

Inspectrice d’académie et inspectrice pédagogique régionale vie scolaire honoraire,  Anne Rabany s’intéresse à la littérature pour la jeunesse depuis son entrée dans l’enseignement.  Elle a participé à différentes actions de promotion de la lecture : plans lecture de la ville de Paris et de l’académie de Créteil, développement des BCD, formation d’animateurs, tournées culturelles pour les centres de vacances de la CCAS/EDF, etc. Publications dans de nombreux périodiques (Textes et documents pour la classe, Ecole des parents, Monde de l’éducation …) Contributions à plusieurs ouvrages collectifs dont une étude sur « Les enfants terribles dans les albums » dans L’humour dans la littérature de jeunesse paru chez In Press en 2000. Anne Rabany intervient au niveau des masters 1 et 2 d’édition à Montauban (Université Toulouse II Le Mirail) ainsi qu’au Pôle Métiers du Livre de Saint Cloud (Université Paris X). Elle participe, au plan national, à l’activité quotidienne du CRILJ. Elle a rejoint le comité de rédaction de la revue Griffon.