Anne-Marie Chapouton

 

 

 

     Parmi tous les écrivains qui, depuis les années 70, ont marqué la littérature de jeunesse dans notre pays, Anne-Marie Chapouton a occupé une place à part.

     Nous lui devons près de 200 ouvrages pour la jeunesse répartis entre de nombreux éditeurs. Bayard, Nathan, Hachette, Albin Michel, Casterman et, surtout, Flammarion Père Castor ont bénéficié de sa collaboration.

     De l’album pour tous petits aux livres de l’adolescence, l’univers qu’elle explore est celui du quotidien vu le plus souvent avec tendresse et humour. Beaucoup de ses ouvrages sont épuisés, en un temps où la durée des œuvres se heurte aux lois du marché. Nous lui devons aussi quelques belles traductions comme Akawak et On l’appelait Tempête.

     L’année du mistouflon a, dès 1975, inauguré une véritable symbiose entre la littérature de jeunesse et l’apprentissage de la lecture en classe. Son personnage a eu de nombreux émules, pas toujours aussi attachants et si bien mis en situation.

     Anne-Marie Chapouton a mené pendant les dernières années un combat courageux contre la maladie, sans cesser de travailler, épaulée en cela par Martine Lang à qui la liait une solide amitié. Un bon exemple de l’action éditeur-auteur dont il subsiste encore quelques témoins dans un monde où les rapports commerciaux tendant à devenir le modèle.

     On peut souhaiter que la disparition d’Anne-Marie Chapouton ramène, un temps au moins, l’attention sur cette œuvre de grande qualité humaine.

( article  paru dans le n° 67 – avril 2000 – du bulletin du CRILJ )

 mistouflon

Née en septembre 1939 à Millau, décédée à Lourmarin en janvier 2000, Anne-Marie  Chapouton a passé une partie de son enfance en Tunisie, en Hollande, puis aux Etats-Unis. Très jeune, elle est passionnée par la littérature et écrit en secret. Elle est diplômée de littérature française de l’Université de Columbia. De retour en France, à partir de 1964, elle s’installe dans le Lubéron et écrit des histoires pour sa fille. Elle se découvre alors une véritable vocation pour la littérature de jeunesse et partage son temps entre l’écriture et la traduction de romans anglo-saxons. Elle est auteur d’albums pour les petits, de contes, de nouvelles, de romans, de poèmes publiés chez de nombreux éditeurs parmi lesquels La vache Amélie (Père Castor, 1977), Clément et le rangement (Casterman, 1986), Berceuses pour une nuit de lune (Nord-Sud, 1991), Le loup Loulou (Bayard, 1999).

 

« Je  pense que ma terrible faim de lecture pendant mon enfance et le petit nombre de livres que je pouvais lire, après la guerre et vivant à l’étranger, ont accentué en moi l’importance des livres pour enfants. Je n’ai pas vraiment choisi d’écrire pour les enfants. Cela s’est fait par hasard. Je pensais que c’était un accident et que, plus tard, j’écrirai pour les adultes. »

 

 

 

André Kédros

 

 

 

 

    Les amis de la littérature de jeunesse le connaissent surtout sous le pseudonyme d’André Massepain sous lequel il a publié son œuvre pour les jeunes.

    En cette fin de siècle, on reconnaîtra dans l’ami qui s’en va une sorte de modèle des hommes de culture de notre temps.

     Né en 1917 à Bucarest, étudiant à Prague, il va habiter la Grèce, pays d’origine de sa famille, de 1938 à 1945 et participer à la résistance grecque dont il a contribué à retracer l’histoire dans son Histoire de la Résistance Grecque 1940-1944.

     En 1945, la guerre civile grecque l’oblige à se réfugier en France où il est accueilli par les amis de la résistance grecque qui connait des moments très difficiles.

     Aragon décerne en lui un écrivain de talent et l’aide à publier Le navire en pleine ville en 1948.

     C’est à cette époque que nous faisons connaissance dans l’action autour du livre qui se mettait peu à peu en place. Mais aussi par l’action contre la répression et pour essayer de sauver Beloyannis.

    Psychologue et penché sur les problèmes de l’enfance, nous l’avons retrouvé avec Henri Wallon et Hélène Gratiot Alphandéry dans toutes les entreprises autour de la lecture et de la littérature de jeunesse, à la revue Enfance et au Centre International de l’Enfance.

     Auteur, il obtint de nombreuses distinctions dont le Grand Prix du Salon de l’Enfance avec La Guerre aux ours (1963), Prix de la Joie par les Livres pour Le derrick aux abeilles (1961) et, à Padoue, en 1978, le Prix européen de Littérature pour la jeunesse pour l’ensemble de son œuvre.

     Il avait compris très tôt l’importance de l’édition dans l’action pour la lecture. Soucieux d’apporter aux adolescents à la fois la qualité littéraire et une variété d’inspiration, il anima chez Robert Laffont, la collection Plein Vent qui détermina une nouvelle orientation dans l’édition française.

     D’autres forces ont contribué à l’évolution de l’action envers les jeunes lecteurs. Pour avoir, au CRILJ ou dans l’action éducative d’ensemble, maintes fois agit aux côtés d’André Massepain, participé à de nombreux débats et rencontres aussi bien dans un préau d’école que devant des spécialistes, nous savons que la « marchandisation » croissante de la littérature lui semblait une conséquence culturelle liée à l’époque. Il n’est pas incompréhensible qu’il ait souffert de cet état de choses au point de la trouver, l’âge venant, insupportable.

      Il me souvient aujourd’hui d’une longue conversation, un jout quelque part en province après une vente, où nous avons parlé de Paul et Laure Lafargue et de leur relation face à la vieillesse. Il se reconnaissait dans ces militants du parti ouvier.

     D’autres parleront de sa place dans la littérature de langue française, de l’impact de son œuvre à l’étranger, mais nous voudrions surtout dire tout ce qu’il a apporté à l’action pour la littérature de jeunesse par sa culture et son attachement aux valeurs humaines. Nous aimerions aussi mettre en valeur sa fraternité et son amitié, toute la tendresse qu’il témoignait aux siens mais aussi à toute la jeunesse du monde.

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

 massepain

Elève de l’Ecole Polytechnique d’Athènes, docteur es lettres de l’Université Charles de Prague, André Kédros effectue, invité du gouvernement français depuis 1945, auprès de Henri Wallon, des travaux de recherche en psychologie de l’enfant. Une dizaine d’ouvrages pour adultes puis, à partir de 1949, sous le nom d’André Massepain, nombreux ouvrages pour jeunes lecteurs  : Le dernier des derrick (1961), La grotte aux ours (1963), L’île  aux fossiles vivants (1967). En 1966, André Kédros dirige chez Robert Laffont, la collection « Plein vent », qui inaugure la série des nombreuses collections pour adolescents qui seront créées dans ces années-là. « Lorsqu’on écrit pour les enfants, il faut tenir compte de leur catégorie d’âge sans se départir du sens de la responsabilité que tout adulte doit avoir à l’égard de la jeunesse. Malgrès les contraines, il faut veiller à la plus parfaire expression littéraire. » André Kédros était membre d’honneur du CRILJ.

 

 

Louis Mirman

 

 

 

 

     Louis Mirman qui, à partir de 1947, a tenu une place importante dans la littérature de jeunesse aux éditions Hachette, quand ces éditions dominaient la production tant au niveau des albums qu’à celui des livres, a disparu. Il était né en 1916.

     Entré chez l’éditeur pour s’occuper plus particulièrement des traductions de textes étrangers, professeur d’anglais à l’origine, grand admirateur de la culture anglaise, il n’a pas peu contribué à la traduction d’oeuvres anglo-saxonnes, en particulier dans la Bibliothèque Verte et la Bibliothèque Rose. Le Club des Cinq, le Clan des Sept et les Oui Oui d’Enid Blyton lui doivent une part de leur succès, ainsi que les ouvrages de Caroline Quine, la série des Alice et des Sœurs Parker.

     Comme il le reconnaissait lui-même, en 1956, dans un numéro spécial d’Enfance où il analysait bien son action, « nos gros tirages ont un revers, ils nous limitent à des valeurs sures et rendent prudentes nos expériences, qui ont un endroit car nous donnons une vraie chance aux nouveaux auteurs. »

     C’est sans doute à cette conception que nous devons la publication des ouvrages de Georges Bayard (la série des Michel), des romans de Paul-Jacques Bonzon, Les Six Compagnons, mais aussi des Fantômette de Georges Chaulet et des Langelot de Lieutenant X.

     Homme de dialogue, Louis Mirman n’a jamais fui la discussion, n’oubliant jamais de nous faire remarquer quand nous critiquions des séries que l’ensemble des éducateurs considéraient comme très faibles, « oui, mais les ouvrages que vous aimez sont ceux que je ne vends pas » – répondant avant la lettre par les arguments de l’économie de marché à toute action à vocation culturelle.

     Il nous arrive souvent de penser à lui quand nous essayons de parler d’exception culturelle en ces temps de mondialisation, mais il n’est pas certain que nous recevions le même accueil des maîtres actuels de l’information. Bourdieu, pour l’avoir tenté avec brio, ne fut pas plus heureux face aux maîtres es/communication.

     Mais peut-être le secret de Louis Mirman était-il ailleurs et nous fut-il révélé quand, en 1982, nous avons lu en manuscrit Silex Noir, puis, après, quand fut décerné le Grand Prix du Livre pour la Jeunesse du Ministère de la Jeunesse et des Sports, la même année. Le nom de l’auteur : Louis Mirman ! Nous avons, ce jour-là, discuté franchement de nos accrochages d’antan.

     Et ce n’est pas le moindre message que nous laisse, peut-être malgré lui, Louis Mirman, celui d’inviter tout ceux qui travaillent à la création culturelle de ne pas obéir aux contraintes et aux « lois du marché » et de poursuivre leur chemin contre toutes les entraves et toutes les innombrables formes de censure.

     Mon adieu n’est sans doute pas conformiste, mais je suis certain que Louis Mirman sourirait en le lisant …

( texte paru dans le n° 66 – octobre 1999 – du bulletin du CRILJ )

  silex noir

 Louis Mirman est né en 1916, de parents instituteurs. Licencié ès lettres, il enseigne l’anglais puis se tourne vers le journalisme d’agence et de radio. En 1947, il entre chez Hachette pour s’occuper de traduction puis de la Bibliothèque Verte et de la Bibliothèque Rose. En 1970, il devient directeur de l’ensemble du service Jeunesse-Collections, fonction qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1979. Il se met alors à écrire : Le Silex Noir (1984), Young (1985), Grite parmi les loups (1987), A la recherche de Tiang (1990), quatre titres parus chez … Gallimard Jeunesse, en Folio Junior.

 

 

 

Michel-Aimé Baudouy

 Un humaniste de la littérature enfantine

     La disparition de Michel-Aimé Baudouy nous permet l’indispensable retour pour apprécier cinquante années de littérature pour la jeunesse, marquées par un parcours singulier et original. L’homme a fui toute sa vie le tumulte, la bousculade médiatique, volontiers revenu à son Vernet d’Ariège. Il n’a cependant jamais perdu le contact avec le monde des jeunes et les problèmes de notre temps. La nature et la montagne, la forêt et la mer l’inspîrent, de L’enfant aux aigles, qui voit son entrée en écriture pour la jeunesse, à l’admirable Seigneur des Hautes Buttes. Mais il abordera le sport avec Allez les petits ou Mick et la P. 105, sans oublier la technique de pointe, suivant la construction du « France » ou celle d’un barrage et se penchant sur l’agriculture en mutation dans Sylvie de Plaisance.

     Au travers de son œuvre, c’est un véritable panorama de la France de l’après deuxième guerre mondiale qui se déroule dans un climat de compréhension pour les êtres et les choses. Nous nous souvenons de sa joie quand il reçut avec Le rouquin de Lartigue le Prix de la Ville de Vénissieux en 1981.

     Difficile de ne pas le revoir, s’échauffant un peu quand certains le trouvaient trop indulgent, ou d’oublier la complicité qui l’unissait à Tatiana Rageot dans une volonté de faire œuvre de qualité et de bonté dans un humanisme solide et tranquille et dans les moments passés en longs échanges.

     Peut-être sa disparition va-t-elle permettre à certains de le redécouvrir. J’ai bien envie d’aller parler de lui avec le Seigneur de la Butte, que je ne sais où trouver, en lisière de la forêt de Mervetn peut-être.

( texte paru dans le n° 64 – mars 1999 – du bulletin du CRILJ )

baudouy

Né en 1909, au Vernet, dans l’Ariège, Michel-Aimé Baudouy fréquente l’école normale d’instituteurs de Foix et de Toulouse, la faculté des lettres de Toulouse, la Sorbonne, l’Institut d’études hispanique, l’Ecole normale supérieure de l’enseignement technique. Professeur de lettres à Tourcoing, Nantes, Paris. Son premier roman Une morte de rien du tout parait en 1946 chez Calmann-Levy. Prisonnier de guerre, il écrit avec des moyens de fortune L’enfant aux aigles, son premier ouvrage pour la jeunesse (Amitié-G.T. Rageot, 1949). Choisissant volontiers ses sujets parmi les grandes préoccupations de la vie contemporaine, cet admirateur de Montaigne, « pour la pensée », et de Colette, « pour le style », écrivit plus de quarante ouvrages en direction des enfants, y compris, caché parfois sous le pseudonyme de François Vernières, plusieurs romans policiers.    

« Dans la littérature enfantine comme dans les autres genres, il existe une production en série qui peut se satisfaire des procédés de dosage : tant pour-cent d’aventures, tant pour-cent d’émotion, tant pour-cent d’exotisme. A la fin, triomphe du mal, apothéose du héros ou de l’héroine. C’est ici que la ligne de démarcation se situe véritablement, non pas entre la littérature enfantine et la littérature tout court, mais entre la bonne et la mauvaise littérature, entre le talent véritable et la fabrication. Un roman pour enfant ne se bâcle pas, ne se fabrique pas avec des trucs. Un roman pour enfants se médite et s’écrit longuement avec la même conscience et la même ferveur qu’un véritable artiste met à la réalisation, toujours recommencée, de ce qui sera peut-être son chef d’oeuvre. »

Du CRILJ au CRILJ

    L’aventure du CRILJ commence à la fin de 1962.

    Dans les diverses actions pour le livre, un certain nombre de personnes  étaient devenues très proches les unes des autres dans leur préoccupation. Une sensation de distorsion entre l’état de la recherche et de l’information en France et dans le monde, une réalité d’abandon de la part des pouvoirs publics pour lesquels l’idée  d’une action culturelle pour l’enfance et la jeunesse apparaissait comme une utopie peu sérieuse, les divers cloisonnements renforcés par une période de pénurie où chaque catégorie : enseignants,  bibliothécaires, éducateurs, libraires ou éditeurs lorgnait  plus du côté du voisin que vers un plan d’ensemble. Tout cela faisait le fond de nos conversations.

    De rencontre en débat, de « il faudrait que » à « il faut faire quelque chose »,  naissait un projet qui se concrétisait peu à peu grâce à l’accueil souriant et efficace de Natha Caputo.

    C’est donc dans l’appartement de Natha Caputo, rue Victor Schœlcher, à Paris, dans le 14ème arrondissement, qu’est né le CRILJ, sous le double signe d’un militant de la lutte contre l’esclavage et contre le Second Empire et d’une critique attentive aux « livres qui apprennent à aimer », suivant sa belle expression.

    Se retrouvaient là autour de Natha Caputo, Isabelle Jan, Mathilde Leriche, Marc Soriano et nous (Jacqueline et Raoul Dubois) dans un premier temps du moins, car d’autres allaient bientôt nous rejoindre.

    La décision définitive de créer le CRILJ fut prise à la réunion du 26 juin 1963, dans l’après-midi.

    Assistaient à cette réunion toutes les personnes nommées ci-dessus, à l’exception de Jacqueline Dubois, retenue par ses obligations professionnelles.

    Le relevé des conclusions se présentait en 11 points :

– La situation des études et recherches en littérature de la jeunesse en France fait de la France un pays retardataire en ce domaine,

– L’Université ignore pratiquement la littérature de jeunesse à tous les échelons,

– La formation des éducateurs de tous les degrés ignore en fait la littérature de jeunesse,

– Les liaisons sur le plan international sont le fait d’initiatives personnelles, elles ne sont pas coordonnées et ne permettent pas d’échanges fructueux,

– Il est donc nécessaire de créer un organisme indépendant, regroupant des critiques, des universitaires, des chercheurs, et pouvant préparer une reconnaissance de la littérature de jeunesse comme branche de la littérature,

– L’accord se fait sur la création du Centre de Recherche et d’informations sur la Littérature de jeunesse,

– Ce Centre pourra se constituer de façon légale à la rentrée, il essaiera de se faire attribuer un siège social à l’Institut Pédagogique National,

– Ce groupe de travail primitif pourrait s’adjoindre diverses personnalités ; dans l’immédiat : Mesdames Raymonde Dalimier et Colette Vivier,

– Seront par ailleurs sollicités :  Mesdames Luce Langevin, Odette Levy Bruhl, Janine Despinette, Marie-José Chombart de Lauwe, Mme Darier, Madeleine Raillon, Christiane Cohen, Marguerite Vérot ; Messieurs Claude Aveline, Paul Faucher, Claude Santelli.

– Il serait intéressant d’y adjoindre des folkloristes, des psychologues et chaque participant est invité à donner des listes supplémentaires.

– Raoul Dubois assurera  la mise au net des décisions et un projet de statuts sera établi,

    Le bureau provisoire serait ainsi proposé :

Présidente : Mathilde Leriche

Vice présidents : Natha Caputo, Marc Soriano,

Secrétariat : Isabelle Jan, Raoul Dubois

Membres : Colette Vivier, Raymonde Dalimier

Le poste de trésorier sera proposé à Jacqueline Dubois (qui l’accepta).

    La demande faite à l’Institut Pédagogique National dès octobre fut étudiée et acceptée, les statuts discutés et acceptés par une réunion tenue à la rentrée et les diverses personnalités contactées par courrier.

    Si les premières réunions continuent à se tenir malgré les difficultés de l’époque, ce n’est que le 6 juillet 1965 que les statuts seront déposés à la Préfecture de Police, indiquant bien l’Institut Pédagogique National comme Siège Social. Ce n’est qu’en 1972 que dans le cadre de la réorganisation de l’IPN fut retirée aux associations non directement pédagogiques d’y domicilier leur siège social.

    C’était assez bien remarquer la place faite à l’époque à la littérature de jeunesse.

    Dans le contexte de la vie associative d’alors il était sans doute prématuré de créer ou espérer faire vivre une association libre de toute contrainte vis-à-vis des pouvoirs publics ou des grandes forces parcourant les associations culturelles, par ailleurs très préoccupées de leur survie. Les créateurs du CRILJ auxquels s’étaient joints Germaine Finifter, Bernard Epin, André Kédros, Monique Bermond et Roger Boquié et un certain nombre de correspondants à Paris et en province, ne trouvèrent évidemment pas les moyens de faire fonctionner une association de coordination alors que toute leur activité était sans  cesse remise en question.

    C’est aussi à ce moment que l’action de la Section Française de l’Union Internationale de Littérature de Jeunesse (IBBY) se développe prenant en quelque sorte le relais de cette tentative.

    Elle devait refaire surface à  la suite des stages de Sèvres, organisées au Centre International d’Études pédagogiques, sous l’autorité de son directeur d’alors, Jean Auba.

    Au fur et à mesure que les stages se succédaient, se manifestait l’exigence d’une structure souple de concertation et de rencontre associant les divers partenaires de l’action en faveur de la littérature de jeunesse.

    Le repli sur soi de chacune des professions était ressenti comme néfaste par beaucoup de bibliothécaires, d’enseignants, d’éducateurs, de libraires et même d’éditeurs parmi les plus novateurs. Si chacun sentait bien le bouillonnement des idées et des initiatives autour de la lecture des enfants et des jeunes, le manque de point de rencontre se faisait cruellement sentir.

    Ainsi naquit peu à peu cette idée : utiliser une structure demeurée un peu vide mais ayant le mérite d’exister, et gagner du temps, le CRILJ dont quelques animateurs avaient constitué les chevilles ouvrières des stages de Sèvres.

    La présidente du CRILJ, Mathilde Leriche, fut donc sollicitée le 7 juin 1973 pour relancer l’association sur de nouvelles bases :

Un groupe de travail restreint a mis au point les aspirations confuses à une sorte d’institution sur la littérature enfantine.

Chemin faisant nous avons reparlé du centre de recherche et d’Information sur la Littérature de Jeunesse que nous avons créé en 1964 sous l’impulsion de notre amie Natha Caputo.

Au cours des discussions du groupe de travail réuni le 6 juin il a paru économique du point de vue du temps et des formalités administratives de reprendre le CRILJ pour, en modifiant les statuts, en faire la première pierre d’un édifice qui serait ensuite construit progressivement.

C’est donc cette solution qui sera préconisée par le groupe de travail à la réunion plénière le 20 juin prochain. Vous avez déjà été conviée (ou vous le serez bientôt) à cette réunion et nous nous permettons d’insister pour que vous participiez aux travaux.

Nous pensons qu’il est utile que tous les anciens membres du bureau du CRILJ participent à nouveau au bureau provisoire qui comprendra également les groupes de travail. Ce groupe comprend : Geneviève Patte, Marc Soriano, René Fillet, Lise Lebel, Jean Hassenforder, Jacques Charpentreau, Raoul Dubois. S’y adjoindront donc, si vous êtes d’accord : Isabelle Jan, Raymonde Dalimier, Mathilde Leriche, Colette Vivier et Jacqueline Dubois.

Qu’en pensez-vous ?

Il nous semble que, au moins à titre provisoire, vous ne pouvez pas refuser de participer à ce travail. Un bureau définitif sera désigné en octobre ou novembre. 

( Lettre à Mathilde Leriche du 7 juin 1973 d’un auteur non identifié )

    La réunion eut lieu et la décision de reprendre le CRILJ confirmée.

    Les Statuts modifiés étaient déposés à la préfecture de Police de Paris le 30 janvier 1975  (publication au JO du 15 février 1975). C’est dire que tout cela fut fait sans hâte avec le maximum de précautions pour éviter de faire apparaître cette association comme une possible concurrence à d’autres initiatives. Le Siège Social était transféré au Centre d ‘Études pédagogiques (Sèvres) qui avait vu la renaissance du CRILJ.

    Il faudra attendre le 24 novembre 1978 pour que la nouvelle association obtienne son agréement du Ministère de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs.

    On peut dire sans crainte d’être démenti que les premières années du CRILJ ont été un miracle de tous les instants. Dans toute la mesure de nos moyens nous y avons mené une action très chaleureuse, René Fillet ou Jean Auba ont sans doute beaucoup fait pour aider le CRILJ à affronter une navigation en eau calme. Que de procès d’intention ont été faits au CRILJ ou à certains de ses animateurs ! Encore une fois nous avons pu mesurer les difficultés de survie des structures de coordination. Souvent on déplore le manque de liaison pour aussitôt craindre dans ces liaisons on ne sait quel empiètement sur un territoire souvent vécu comme une sorte de monopole de fait. Nous pensons quant à nous avoir toujours joué pleinement le jeu, quelquefois au détriment de notre propre activité.

    En tout état de cause et en grande partie grâce à l’obstination de Monique Hennequin, le CRILJ peut mettre à son actif une série de réalisations dans des domaines fort divers et qui tous participent bien de l’information et de la formation. Si le bilan « recherche » n’est pas aussi riche, c’est qu’il n’y a pas de recherche sans moyen.

    Parmi les réalisations les plus intéressantes il faut faire place aux divers colloques dont certains ont le mérite de poser les problèmes à un moment où ils n’étaient pas forcément passés dans le domaine public.

    Il en a été de même et nous aurons l’occasion d’y revenir sur la place du « Livre scientifique et technique » dans l’édition pour la jeunesse et pour l’ensemble de l’activité lecture-jeunesse.

    Enfin le pilotage des Prix de la Jeunesse et des Sports a sans doute permis leur maintien dans un contexte difficile.

    Les sections régionales du CRILJ s’organisent peu à peu. Elles ont chacune son visage et cette diversité aurait sans doute beaucoup réjoui Natha Caputo qui n’aimait pas trop  les structures rigides et nous avait dès le départ mis en garde.

    Notre seul regret vient du peu de soutien matériel des pouvoirs publics. Certes, la reconnaissance d’utilité publique en 1983 est une sorte de légitimation des efforts de tous, mais elle ne s’accompagne d’aucune reconnaissance du Ministère des Finances…

    Enfin, nous ne sommes pas clandestins, c’est déjà quelque chose ! Le répertoire des auteurs français pour la jeunesse, édité par le CRILJ, en est une preuve évidente.

    Sans doute pouvons-nous constater que les forces centrifuges traversant la société française depuis 1968 et leur renforcement par la régionalisation ont des conséquences négatives sur la place faite aux associations nationales. Par contre les structures régionales et départementales peuvent, dans certains cas, bénéficier d’aides sérieuses susceptibles de déboucher sur des travaux et des réalisations.

    Dans le domaine qui nous intéresse on peut cependant constater un grand nombre de « doublons » dans les réalisations d’outils coïncidant avec des manques regrettables.

( La Lecture buissonnière  –  tapuscrit consultable au CRILJ à Orléans, à l’Université d’Artois  à Arras, à la bibliothèque l’Heure Joyeuse à Paris )

raoul

Né en 1922, Raoul Dubois est à seize ans plus jeune instituteur de France. Résistant pendant la seconde guerre mondiale, il cache des enfants juifs, les faisant passer pour musulmans. Il s’engage au Parti Communiste. Après guerre, il consacre son énergie à l’école publique, d’abord dans le primaire puis en collège. Fondateur à la Libération des « Francs et Franches Camarades », il y fut à l’origine des revues Jeunes Années et Gullivore. Raoul Dubois est l’auteur d’ouvrages historiques pour la jeunesse tels que Au soleil de 36 (1986), À l’assaut du ciel (1990), Les Aventuriers de l’an 2000 (1990), Julien de Belleville (1996). Co-fondateur du CRILJ, il lui restera, organisateur et débatteur de talent, avec Jacqueline son épouse, fidèle sa vie durant. « Raoul Dubois a été un éminent lecteur de littérature de jeunesse, un critique exemplaire, toujours exigeant et ne confondant jamais littérature et pédagogie. Il savait lire, il aimait lire et il faisait vite la différence entre la cohorte des textes toujours à la mode, toujours au goût du jour, et les textes écrits. » (Yves Pinguilly). Raoul Dubois est mort en décembre 2004.

Gianni Rodari

Gianni Rodari n’est plus. Il était né à Novare en 1920. Si sa réputation avait largement dépassé les frontières de l’Italie, il n’a été pendant très longtemps connu que des spécialistes.

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      Écrivain pour la jeunesse, lauréat de la médaille Hans Christian Andersen en 1970, il devait peut-être la diversité de son talent à sa double formation d’instituteur et de journaliste mêlé à l’activité de la presse romaine, au mouvement des idées, à tout ce qui a bougé en Italie depuis qu’il a atteint l’âge d’homme.

      Nous pouvons apprécier son humour, son sens de ce qui accroche les enfants, sa volonté d’inscrire le merveilleux dans le monde moderne. Les jeunes lecteurs français ont apprécié Tous les soirs au téléphone, Jip dans le téléviseur (Éditions La Farandole), La tarte volante, La flèche d’Azur (Éditions Hachette).

      On fera un sort particulier à Histoires à la courte paille (Éditions Hachette) dans la mesure où ces textes font la liaison directe avec les préoccupations théoriques de l’auteur telles qu’il nous le révèle sa Grammaire de l’imagination parue aux Éditeurs Français Réunis, véritable essai sur les moyens pratiques de développer l’imaginaire chez les jeunes. Ce dernier ouvrage montre bien, comme les nombreux articles ou interventions de Gianni Rodari, combien sa réflexion s’inscrivait dans une approche théorique et pratique à la fois de la littérature de jeunesse.

      En ce sens, la littérature pour la jeunesse italienne et mondiale perd avec un auteur de grand talent un des trop rares écrivains penchés sur la genèse des œuvres.

 ( texte paru dans le n° 12 – juin 1980 – du bulletin du CRILJ )

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Gianni Rodari nait en octobre 1920 près du lac d’Orta. Son dévouement et son aptitude aux études lui valent d’obtenir son diplôme d’instituteur à l’âge de 17 ans. Après la guerre, il est engagé par le quotidien L’Unità en tant que chroniqueur puis comme envoyé spécial. Il se met à écrire des contes pour enfants. En 1950, il prend la direction de l’hebdomadaire pour enfants Il Pioniere. De nouveau à L’Unita, il concrétise, en 1958, le choix de sa vie : écrire des livres pour les enfants tout en travaillant en tant que journaliste politique « sans appartenance ». Lorsqu’il ne publiera plus de livres, Gianni Rodari se consacrera à une collaboration importante avec les enfants : discussions dans les classes, ateliers d’écriture, etc. Sa Grammaire de l’imagination est disponible aux éditions Rue du Monde.

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histoires-au-telephone

Colette Vivier

par Raoul Dubois

 

      Comme elle avait vécu, avec une grande discrétion, Colette Vivier s’est éteinte en ce mois de septembre qui voit les nouveautés des éditeurs affluer dans les librairies et sur les tables des critiques.

      Ce ne sera pas un événement du monde littéraire, l’œuvre de Colette Vivier ne doit rien aux tapages publicitaires et aux scandales de l’insolite. La vieille dame qu’elle était devenue avec ses 80 ans ne faisait l’étalage ni de ses livres ni de ses activités de résistante. Elle avait fait ce qu’il fallait faire dans les activités de son choix.

     Nous garderons un souvenir ébloui de ces après-midi passés avec elle auprès d’enfants d’une classe de 6ième découvrant à la fois la réalité de son œuvre et la luminosité de sa présence. Nous la revoyons disant à une petite fille émerveillée : “Mais voyons ! Aline (son héroîne de La maison des petits bonheurs), c’est moi, mais c’est aussi toi.”

      Colette Vivier portait témoignage d’un renouveau de la littérature enfantine française qui, avec Charles Vildrac et elle-même, s’arrachait à la routine pour retrouver son véritable souffle : vie quotidienne, langage quotidien, soucis quotidiens, héros sortis des forces même de la population et saisis dans la richesse de leurs vies, de leurs espoirs, de leurs rêves, de leurs luttes aussi. Une idée de la famille qui évolue, la place des femmes qui se fait un peu plus importante, des petites filles des milieux modestes qui réfléchissent et qui ont des idées.

      Colette Vivier parlait juste à un moment où le ton des livres restait loin de la réalité de la langue, juste sans démagogie, sans concession à la vulgarité, sans décalque du langage parlé.

      A quarante années de distance, La maison des petits bonheurs séduit encore les jeunes lecteurs. Et si c’était un des classiques de notre littéraure de jeunesse qui vient de disparaitre ?

      Tous ses lecteurs, tous ses amis la saluent comme une présence très chère et permanente.

 ( texte paru dans le n° 10 – octobre 1979 – du bulletin du CRILJ )

 

Colette Vivier est née à Paris en 1898. Premiers textes en 1932 destinés à apprendre le français à des enfants allemands. Elle rencontre son premier grand succès en 1939 avec La maison des petits bonheurs qui recevra le Prix Jeunesse. Dans les années 1940, elle écrit pour L’almanach du gai savoir que publie Gallimard. Pendant la guerre, elle appartient au réseau du Musée de l’Homme, expérience qu’elle racontera dans La maison aux quatre vents. Colette Vivier excelle dans la description du monde ouvrier qu’elle met souvent en scène dans ses récits. Elle est aujourd’hui considérée comme un écrivain important dans l’histoire du renouveau du roman pour la jeunesse.

        

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