Moulins et sa Biennale

 

 

Une sortie exceptionnelle

     La quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins, dans l’Allier, ce fut, pour moi, du jeudi 28 septembre au dimanche 1er octobre 2017. Un rendez-vous attendu avec impatience par l’équipe du CRILJ des Bouches du Rhône, malgré les kilomètres à parcourir, qui en train, qui en voiture.

    Cette année, grâce au coup de pouce du CRILJ national, nous étions six à faire le déplacement et six à profiter de ces journées si bien organisées par les bénévoles de l’association Les Malcoiffés 

    Nous avons toutes apprécié la richesse des interventions lors des journées professionnelles, les découvertes de nouveautés dans le Passage d’Allier, les expositions dans les divers lieux de la ville, les rencontres informelles au coin d’une rue ou au petit déjeuner, l’accueil chaleureux des organisateurs et – cerise sur le gâteau – la vente aux enchères, à la découpe, de la fresque géante d’Albertine, « Les Moulinois à la moulinette », une vente gaiement animée par deux clowns sortis tout droit d’un album de l’illustratrice.

    Nous sommes reparties très fières d’avoir obtenu, pour une somme dérisoire, une découpe signée gentiment par Albertine !

    Une sortie exceptionnelle. Rendez-vous déjà pris pour dans deux ans.

(Mireille Joly, novembre 2017)

  

Née à Tunis en 1941, Mireille Joly doit à son institutrice de CM2 sa passion pour les lectures partagées. Psychologue scolaire, formatrice en Ecole Normale, directrice de CVL, responsable pendant dix ans d’un organisme de formation, elle est depuis fort longtemps impliquée dans la promotion de la littérature de jeunesse : création de coins-lecture en milieu scolaire et en centres de loisirs, animation de BCD, introduction de la littérature pour la jeunesse dans la formation initiale des animateurs présentant le Bafa et le Bafd, mise en place de stages spécifiques. Adhérente du CRILJ depuis plus de vingt ans, elle est l’actuelle présidente de la section locale des Bouches du Rhône qui, dans le cadre de ses nombreuses activités, apporte un soutien sans faille au Prix Chronos.

 

Coup de pouce du CRILJ et, pour moi, première Biennale

    Ce fût une révélation. J’avais pris le temps de consulter sur Internet, de découvrir les illustrateurs invités à cette biennale ainsi que leur travail. Les criljettes se sont mises en route très enthousiastes.

    Les approcher, les écouter et admirer les œuvres de ces artistes fût un choc, un immense plaisir chargé d’émotions, de la surprise à l’émerveillement devant tant de talent.

    De conférences, rencontres, visites et expositions, ce thème de l’illustration jeunesse, vu de nombreuses fois lors de nos rencontres quotidiennes a pris un autre sens : « un vrai travail d’artiste ».

    C’est aussi la Ville de Moulins qui met en valeur son patrimoine : son imprimerie avec Pauline Kalioujny et son petit chaperon rouge revisité, sa bibliothèque où Malika Doray présente ses albums.

   Puis on découvre les librairies, le musée, la Chapelle Sainte Claire où la Bible avec les  « récits fondateurs » de Serge Bloch sont présentés sur écran. Cet ouvrage qui nous était paru très austère à la librairie du musée, nous est devenu très proche et très actuel. Quoi de mieux que ce lieu pour ce magnifique ouvrage.

   C’est, sans oublier tous les autres illustrateurs : Anthony Browne à l’Hôtel de ville,  Carll Cneut dans une magnifique exposition au musée de l’illustration, Frédéric Pajak dans une librairie de livres anciens, Philippe UG avec ses pop.-up, et Tomi Ungerer, l’ancien, au musée.

    Jérémie Fischer a ravi nos oreilles, nos yeux et nos cœurs. Nous l’avons rencontré à l’angle d’une rue dans une petite galerie où il exposait ses œuvres sur la Provence qui l’a fortement marqué lors d’un voyage. L’ensemble est publié sous l’intitulé recueil n°1. Ce jeune artiste travaille sur la transparence, le découpage et le collage de formes et sur les couleurs qui nous transportent dans notre région.

    C’est sans oublier, dimanche matin, la vente aux enchères de la fresque réalisée par Albertine au cours des trois jours de la Biennale. Ce temps festif fût animé par des clowns venus de Suisse. Ce moment de liesse avec rires et joie a clôturé cette biennale des illustrateurs.

    Les criljettes sont rentrées en Provence ravies.

 (Pierrette Debarge, novembre 2017)

  Munie, d’une part, d’un CAP et d’un Brevet technique en couture floue et, d’autre part, d’un diplôme d’éducatrice spécialisée, Pierrette Debarge travaillera cinq ans dans le monde de la couture et vingt-cinq ans en CAT (Centre d’aide par le travail) dans le secteur du handicap. « J’ai travaillé avec des jeunes dits ‘pas comme les autres’ mais dont les soucis pour bon nombre d’entre eux sont les mêmes que dans la population normale. Notre travail d’équipe était de leur permettre de se construire et de trouver leur place dans la société. Travail passionnant. » Pierrette Debarge est engagée, depuis 2004, dans l’accompagnement de personnes en fin de vie, de personnes gravement malades et de personnes âgées et elle est, depuis 2016, au CA du CRILJ des Bouches du Rhône dont elle est le trésorière. Pierrette Debarge  est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » de l’association à l’occasion de la quatrième Biennale des illustrateurs de Moulins.

 

 Tous les deux ans, je vais voir mes idoles à la Biennale

    Les illustrateurs, ces créateurs d’images, ces artistes dont les œuvres rendent les livres précieux. Ils ont des écritures d’images différentes mais tous dénudent leur sensibilité pour offrir des images rares. Pendant le séjour, je les vois, je déguste leurs dires pendant les journées professionnelles, sur les lieux d’exposition, je les rencontre qui déambulent dans les rues de Moulins transformé ces jours-là en écrin pour joyaux.

    A chaque fois le Musée de l’Illustration Jeunesse est plus beau, plus riche, il s’est, cette année encore, illuminé de merveilles avec deux expositions magnifiques, l’une consacrée à Tomi Ungerer, l’autre à Carll Cneut.

   Tomi Ungerer, à cause de son grand âge, était absent. Ses œuvres qu’il diversifie avec une facilité déconcertante l’ont « représenté » merveilleusement. Artiste complet, énorme, infatigable, attachant, atypique, satirique. Engagé aussi, et depuis longtemps, pour de nombreuses causes.

   Carll Cneut, qui était présent, nous a plongé dans un univers magnifié. On rêve avec des étincelles de couleurs dans les yeux pendant que l’on on décrypte des détails essentiels. Pour l’imaginaire.

    J’ai pu parler à Anthony Browne qui offre le bleu de ses yeux à son personnage fétiche. J’ai tout compris. Il est habité par la psychologie de l’enfance. Il se souvient avec simplicité qu’il a été un bébé et ses peintures sont ainsi décelables pour ceux qui savent regarder comme le font les enfants.

    Quelques mots à propos des autres expositions :

Serge Bloch : illustrateur essentiel, comme Sempé. Le courage d’avoir mis des images sur Sigmung Freud.

Malika Doray : pour la simplicité de son trait et pour la profondeur psychologique des thèmes abordés.

Philippe UG qui s’amuse à enchanter en 3D avec son art du pop-up.

Pauline Kalioujny : ses gravures vives et gaies au message si profond, héritage de ses origines mi slaves mi françaises.

Jérémie Fischer : ses collages et ses peintures qui éclatent de feux et de talent.

Frédéric Pajak : un écorché aux dessins noir et blanc saisissants, tragiques. Un livre sur Nietsche, un autre sur Van Gogh. Parfois éprouvant.

    Ils étaient tous là, avec leurs talents, partout dans la ville. La cathédrale, quant à elle, était envoutée par les illustrations de la Bible signées Marc Chagall. Emotions. Sensations. Bonheur.

    Très beau succès que cette Biennale. Bravo et merci. Je vais attendre deux ans encore, moi, ancienne graphiste toujours amoureuse de mon métier, des arts et des livres. Mes amies aussi, membres de notre section du CRILJ, fan d’albums pour enfants et soucieuses de faire aborder la vie en beauté aux jeunes lecteurs.

(Josiane Reumaux, novembre 2013)

Après un BTS et des études d’arts appliqués, Josiane Reumaux enseigne un an puis  devient graphiste et illustratrice, travaillant notamment à l’agence de publicité de La Marseillaise, à l’Agence Havas, à l’agence Eurosud, dans une agence de publicité de Gap. Elle sera un temps responsable d’un journal féminin, d’un journal gratuit et des pages régionales du magazine Marie Claire.  » Actuellement, je m’occupe au sein du CRILJ des Bouches du Rhône de la tenue du site internet et participe aux actions littéraires de l’association en direction de la jeunesse et dans les maisons de retraite ». Josiane Reumaux est l’une des cinq boursières ayant bénéficié d’un « coup de pouce » du CRILJ à l’occasion du quatrième Festival des Illustrateurs de Moulins (Allier).

 

 

 

 

Les coulisses de l’illustration

 par André Delobel interrogé par Roger Wallez

Est-il possible de discerner, dans ces 50 ans, des périodes, des dominantes dans l’esthétique de l’illustration ?

L’histoire de l’illustration des livres pour enfants témoigne d’évolutions lentes plus que de ruptures. C’est peu à peu que l’image s’est affranchie d’une fonction décorative ou documentaire pour se poser d’abord, à partir des années 1930, avec les albums du Père Castor, la question de sa lisibilité, puis, au fil de ces cinquante dernières années, assumer de mieux en mieux une liberté esthétique vis-à-vis du texte qu’elle commente volontiers et élargit souvent. « Est-ce encore pour les enfants ? » disent parfois ceux qui ne font pas confiance aux jeunes lecteurs.

Le fait de vous limiter aux illustrateurs français vous a-t-il privés de certaines esthétiques importantes ?

Nous limiter aux illustrateurs français nous privent de noms importants (certains sont dans le catalogue), mais pas vraiment d’esthétiques, du moins si l’on a en tête l’édition europénne et américaine. Aller faire un tour au Japon ou en Inde aurait, par contre, ouvert d’autres perspectives. L’illustration française s’est nourrie des « grands étrangers », Maurice Sendak par exemple, et elle est devenue l’une des plus inventive au monde.

Durant ces 50 ans, j’imagine bien que certaines innovations techniques ont induit de nouvelles esthétiques, le numérique par exemple…

La révolution éditoriale des années 1970 est, pour l’album, au carrefour du mouvement d’idées foissonnant de l’époque et de progrès importants dans le domaine de l’imprimerie. Elle se développe également en concurrence avec l’image cinématographique et télévisuelle d’une part et publicitaire d’autre part, que les illustrateurs intègrent dans leur travail et contestent à la fois. Il faut citer ici les éditeurs Harlin Quist et François Ruy-Vidal qui donnèrent « pages blanches à couvrir » à nombre d’entre eux. S’agissant du numérique, commençons par dire que l’on n’est qu’au début d’un élargissement incontestable des possibilités de la création. Qui s’ajoutera aux autres et ne se substituera pas. La gomme et le crayon ne sont pas à jeter à la poubelle après-demain. Je distinguerai, pour faire court, deux façons d’utiliser le numérique, une première où il s’agit simplement de profiter des facilités (relatives) qu’offrent les logiciels de traitement d’images ou la palette graphique, sans conséquence apparente sur le résultat, une autre qui laissent sciemment visible l’origine numérique de l’image. Nous n’en sommes pas encore à l’émergence d’une esthétique nouvelle, mais pourquoi pas. Il suffira que des lecteurs suivent comme certains, par exemple, recherchent parce qu’ils l’apprécient une illustration visiblement créée avec un aérographe. Signalons aussi que les progrès du traitement industriel de l’édition ont beaucoup facilité la fabrication des pop ups, des livres-objets ou, simplement, l’insertion d’une feuille en plastique transparent entre deux pages.

Vous affirmez, à travers cette exposition, votre volonté de montrer « les coulisses de l’illustration ». Comment cela se traduit-il concrètement ?

Si le travail premier d’un illustrateur est de créer, à la demande d’un éditeur, des images pour un livre, il n’est pas rare qu’il investisse également les « périphéries » de son art. L’un fera des affiches, l’autre des cartes, un troisième des programmes. Et tous laisseront des traces, au fil de leurs rencontres avec les enfants et les médiateurs : des dédicaces, des invitations, des lettres malicieusement illustrées. Ces témoignages sont, généralement, précieusement gardés par ceux à qui ils sont adressés. Les coulisses, ce sont aussi les « pièces à conviction » du long processus d’élaboration des images et, faute de pouvoir présenter un atelier reconstitué, l’exposition montre quelques émouvants travaux préparatoires.

La typographie elle-même a-t-elle connu une évolution au cours de ces 50 ans ?

Réponse tout à fait personnelle. La typographie est un monde en soi et ses richesses sont anciennes. Je pense, pour ce demi-siècle, aux couvertures d’ouvrages signée Pierre Faucheux et André Massin. Les possibilités offertes par l’informatique facilitent aujourd’hui le travail. Mais force est de constater la pauvreté typographique qui domine dans la plupart des ouvrages publiés. Combien d’albums aux images somptueuses sont gâchés par un choix de caractère hasardeux et une mise en page fainéante !

Est-il possible de discerner des pistes particulières pour les décennies à venir ?

Les illustrateurs d’aujourd’hui, de plus en plus souvent sortis d’écoles d’art, sont d’une inventivité indéniable. Pas tous ? Non, certes, mais beaucoup. Tout est permis, tout est possible, mais l’édition est une industrie et nous ne vivons pas dans un monde de bisounours. Hypothèse pas trop risquée quand même : aux côtés d’esthétiques éprouvées et répétitives (il en faut), se développeront, dans le sillage de ce qui se publie aujourd’hui, des manières de faire plus stimulantes encore, innovantes et audacieuses, impertinentes parfois.

  (Beaugency, le 28 mars 2015)

    image couverture

Né en 1947. maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente-cinq ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire  » Lire à belles dents  » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public.

Né en 1947, pris en charge par une tante religieuse de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, Roger Wallet aurait pu être prêtre. Mais dans la vieille institution républicaine qu’est l’Ecole normale de Beauvais (Oise), il découvre le militantisme et se détourne des affaires de la religion pour s’intéresser à celles de ses frères en humanité. En 1968, il rencontre Guy d’Hardivillers, à la Fédération des œuvres laïques. un instituteur de sept ans son aîné, qui l’initiera au théâtre. Objecteur de conscience, il fera son service civil chez Emmaüs. Instituteur jusqu’en 1992, avec un intermède d’un an à la direction du Centre d’animation culturelle de Compiègne et du Valois, chef de cabinet de l’inspecteur d’académie jusqu’en 1999, directeur du Centre départemental de documentation pédagogique jusqu’en 2006, année de son départ à la retraite.  » J’ai vécu principalement en Picardie où, professionnellement, ma carrière s’est partagée entre l’enseignement et l’action culturelle. J’ai écrit un grand nombre de chansons. Mon premier livre a été publié en 1999, Portraits d’automne (Le Dilettante) et j’en ai une trentaine à mon actif : poésie, romans, nouvelles, essais, théâtre, etc. » En 2012, la compagnie théâtrale Les fous de bassan a accueilli Roger Wallet pour une résidence d’écrivain dans le canton de Beaugency (Loiret).

Choses vues et entendues au Festival des illustrateurs de Moulins

 

 . 27 septembre, 9 heures

     Temps beau et chaud. Le soleil donne de l’éclat aux vieilles pierres de la ville. Des petits groupes se pressent : ils convergent vers le Colisée où se tiennent les Journées professionnelles du deuxième Festival des illustrateurs de Moulins. Sous le chapiteau blanc, l’accueil chaleureux de Nicole Maymat, présidente de l’association Les Malcoiffés.

 

 .  Une journée en guise de mille-feuilles

     Des tables rondes et des entretiens, encore des tables rondes et encore des entretiens… C’est ainsi que se succèdent tout au long de la journée des illustrateurs d’une qualité rare. Nous découvrirons qu’un fil rouge les unit : le thème du cirque.

 . Ailleurs…

     Ils sont souvent venus d’ailleurs, tous ces illustrateurs. Ils arrivent avec leur bel accent. Ils apportent avec eux des images du pays de leur enfance : Roberto Innocenti de sa Toscane  éternelle, Albertine de son canton suisse, Elzbieta de sa Pologne, Kvĕta Pacoska de Tchéquie et Lorenzo Mattotti, lui aussi, d’Italie.

     Ils sont souvent venus d’ailleurs, aussi, tous ces festivaliers qui sillonnent la ville. Des quatre coins de France et de bien au-delà. Une commerçante me dit : « Ces visages étrangers, ici, à Moulins, moi, je les reconnais de suite. Ils mettent dans les rues une effervescence qui me fait du bien. »

 . 28 septembre : 9 expositions à découvrir

     On nous a tellement mis l’eau à la bouche, la veille, que tous nous n’avons qu’une priorité : tout voir, surtout ne rien manquer. Heureusement c’est tout près ! Alors on court d’un lieu d’exposition à l’autre, on se croise, on se reconnaît, on sympathise.

     Mutine, l’illustratrice Albertine quitte parfois la Galerie des Bourbons où elle expose pour s’échapper. On la cherche. On l’aperçoit, spectatrice intéressée, chez Sara, chez Roberto Innocenti, chez Lorenzo Mattotti… Mais quand elle réintègre enfin sa galerie, quelle joie !

 . Albertine disparue, Albertine retrouvée

     Elle nous accueille comme elle le ferait chez elle, patiente, chaleureuse : « Mais je vous en prie, asseyez-vous. » Elle déplie un « leporello » (livre accordéon) pour en expliquer la fabrication , elle loue son Rotring (ou crayon d’architecte) qui lui sert à faire des dessins d’une grande finesse et d’une grande légèreté, elle parle technique mais pas trop. Elle semble surtout sensible à l’autre qui s’intéresse à son art.

     Nous sommes séduits par ses dessins poétiques, cet univers bien à elle que l’on retrouve « En ville », « A la montagne », « A la mer », chez le « Grand couturier Raphaël ».

    Nous aimons déjà Marta, sa belle vache orange, son personnage intrépide et généreux : Marta et la bicyclette, Le retour de Marta…

     C’est une belle rencontre.

 

 . Sara à la cathédrale

     Je m’imprègne de sa belle exposition. Sur un panneau je lis ce texte où elle justifie l’emploi des papiers déchirés : « J’utilise cette technique parce qu’elle me permet de faire passer émotions et sensations de manière immédiate. Ce que voit le lecteur ou le spectateur ce sont des silhouettes. Son attention est requise. Il doit prendre le risque de penser sur ces images.  Ce que je mets en scène c’est un théâtre d’ombres dans lequel le spectateur est aussi auteur. Il est auteur de son regard. Il doit écouter ses sensations, ses états d’âme, ses émotions pour entrer dans ces albums sans texte. La déchirure est la faille par laquelle se précipite tout ce qui dans notre être aspire à dire quelque chose d’inexprimé. »

     Une dame âgée, un peu sèche, entre alors dans l’église. Elle s’indigne : « Pourquoi  tous ces tableaux dans la maison de Dieu ? Pourquoi ces noirs, pourquoi ces rouges ? Ce sont les couleurs du diable. »

 . Elzbieta

     Dans ce lieu improbable qu’est Le Goût des autres, à la fois salon de thé, librairie, galerie d’art et boutique, sont accrochées aux murs les planches de L’Ecuyère, le dernier album d’Elzbieta, petits pastels légers et délicats qui racontent les souffrances de l’abandon et de la solitude et qui pourtant ouvrent sur des éclaircies.

     Un peu à l’écart se tient l’auteur, discrète mais accueillante. Je lui demande une dédicace, je lui dis combien j’ai apprécié ses propos sur l’enfance, hier : « Les enfants aiment qu’on leur parle de sujets importants et non de pacotille  » Ou encore : « Les jeunes enfants arrivent très bien à remplir les images abstraites. Un trait horizontal et pour eux c’est la mer… Le fonctionnement mental de l’enfant est proche de celui des artistes. »

     Dans son ouvrage L’Enfance de l’art (Le Rouergue, 2006), on lit : « L’enfant et l’artiste habitent le même pays  : un lieu de transformations et de métamorphoses. »

 . Le musée de l’illustration jeunesse

     Comme on aurait bien aimé s’y attarder dans ce musée de l’illustration jeunesse (mij), A la fois centre de documentation et d’exposition permanente, atelier, salle de lecture et de vidéo, c’est un lieu de référence qui permet de découvrir l’histoire de l’illustration dans le livre jeunesse, celle de ses techniques, de ses matériaux, et de ses meilleurs artistes. C’est également un lieu d’exposition temporaire.

     Aujourd’hui, à l’étage, Roberto Innocenti y est à l’honneur avec ses planches de La Maison, de Pinocchio, de La Petite fille en rouge ou de l’Auberge de nulle part pour ne citer qu’elles. J’y rencontre Albertine. Nous sommes impressionnées par cette œuvre colossale, réaliste ou imaginaire, caractérisée par un extraordinaire souci de la mise en scène, du détail et de la précision. Une œuvre émouvante aussi où se mêlent mémoire des lieux, mémoire des groupes, mémoire des individus.

     C’est encore au mij que, chaque année, est décerné le Grand prix de l’illustration. Ce samedi, c’est à May Angeli que revient le Prix 2013 pour son ouvrage Des oiseaux réalisé sur des textes de Buffon et publié chez Thierry Magnier

 

   . Kvĕta Pacovska à l’Hôtel de ville

     Qui dirait que cette petite silhouette cache une aussi grande artiste ? Qui penserait que cette femme, plus toute jeune, qui a commencé à dessiner pour et avec ses enfants, en 1959, est capable de telles audaces, d’une telle inventivité, d’un tel humour ?

     A Moulins, l’avant-garde, c’est elle. Ses couleurs claquent, son rouge surtout. Ses personnages ont souvent des formes singulières. Ses livres se déploient (parfois sur 10 mètres), deviennent sculptures, espaces à explorer et par la vue et par la voix et par le toucher.

     Cette plasticienne qui peint, réalise des affiches, travaille le papier, le bois, l’acier et dont les œuvres sont exposées dans le monde entier, est aussi une militante. Pour elle, elle l’a dit hier, l’art contemporain doit être proposé aux enfants très tôt pour qu’ils se familiarisent avec les formes, les matières, les couleurs. C’est alors une chance pour que cela survive en eux une fois qu’ils seront devenus adultes.

 . A l’Hôtel du Département

     Un seul lieu pour cinq artistes aux univers tellement différents !

     On commence par André François dont Janine Kotwica a fait un vibrant éloge la veille, rappelant son immense carrière de décorateur, de sculpteur, de créateur d’affiches et, bien sûr, d’illustrateur de livres pour enfants. A la vue de ses dessins chacun sourit et pense aux jubilatoires Larmes de crocodile, et à la Lettre des Iles Baladar réalisé avec Jacques Prévert et que nous achèterons au mij.

     On poursuit par l’exposition de Lionel Koechlin que nous ne connaissions pas. Voilà un artiste qui a vraiment le cirque comme univers. Il a dit, lors de la table ronde d’hier, qu’il n’osait pas, dans ses œuvres, aborder la gravité. Mais ce qu’il voulait, au contraire, c’était « du jeu, du jeu, du jeu, » « Sous un chapiteau, avait-il ajouté, il y a l’essentiel de notre monde ; le cirque est un concentré de l’existence. »

     Nous aimons Colossal circus, ses planches légères, colorées, tout en mouvement. Et nous remarquons que les enfants les aiment aussi. Une petite fille, entrée à l’exposition en même temps que moi, voudrait toutes les emporter…

     Bien différent est l’univers de François Roca. Sans tabou, il aborde le thème de la différence, de la difformité à travers les « phénomènes de foire » : les hommes-troncs, les nains, les femmes à barbe. Ses peintures à l’huile, baignées de clair-obscur, créent un univers à la fois réel et imaginaire, « Je cherche, a-t-il dit, à croiser des faits historiques méconnus avec des évènements imaginés ». Le thème est grave et, faut-il l’avouer, nous ne sommes pas toujours à l’aise avec ces images pourtant splendides qu’il nous arrive de ne pas vouloir regarder. Les enfants, eux, parfois se détournent violemment. C’est une invitation au dialogue, une leçon de tolérance.

     Reste Lorenzo Mattotti qui a enchanté Janine Kotwica dans un entretien de trois heures et qui a subjugué la salle du Colisée par ses propos. On présente ici son Pinocchio de 1992, héros qu’il reprendra dix ans plus tard, d’abord dans un autre album, puis dans un film, à la demande du réalisateur Enzo d’Alo qui lui a confié les personnages et les décors. Ce film nous le verrons tout à l’heure à Cap cinéma où nous rejoindra l’illustrateur pour un débat intéressant sur les rapports entre illustrateur et réalisateur.

    Cet artiste italien, aux talents multiples, affirme ne pas aimer être présenté seulement comme un auteur  pour enfants. Mais lorsqu’il crée un album jeunesse, il est toujours soucieux de « trouver les mots, les codes, les signes pour leur parler ». Par exemple. « pour que ce personnage ne leur soit pas hermétique » il a cherché dans la tradition les différentes représentations qui en avaient été faites. Il n’avait pas l’idée de s’approcher des classiques, il n’osait pas. Il dit : « Je n’ai pas cherché Pinocchio, c’est lui qui m’a poursuivi pendant plusieurs années, toujours par hasard. »

     Les dessins, croquis, peintures qui nous sont proposés ici ne laissent pas indifférent.  Trait vigoureux, personnages souvent déformés, couleurs intenses et même parfois violentes. Pourtant les paysages peuvent être, eux, d’une grande douceur avec des collines, des villages accrochés à leur flanc, une belle lumière – la Toscane.

 . Dernières visites

     Il faudrait aller encore au Centre national du costume de scène (CNCS) voir l’exposition d’Emmanuelle Houdard, mais il est trop tard. Nous délaisserons Christian Lacroix pour les mêmes raisons.

     En revanche dans les locaux des Imprimeries réunies, autour et sur d’authentiques machines à imprimer, nous trouverons le temps d’admirer Joëlle Jolivet, ses minutieuses compositions à l’encre dans des planches remplies à l’extrême : c’est le bestiaire de Zoo logique, les jolis fatras de Presque tout , le travail patient et documenté des Costumes qui, par son jeu de rabats coquins, n’exclut pas l’humour.

 . Place d’Allier, le soir, avant un pique-nique au bord du fleuve

    A la Maison de la presse, je demande un journal local qui parle du festival. « Un festival ? A Moulins ? » La commerçante précise : « Nous, vous savez, nous sommes enfermés dans nos boutiques. »  Mais une cliente intervient : « Mais si ! Il y a un festival important ! Mais, dites, d’où venez-vous ? » Le buraliste : « D’Aix en Provence ! Et vous êtes venue jusqu’ici, à Moulins, pour ce festival ? Ça vaut vraiment le coup ? Ah, bien. alors, j’irai. »

     Et nous, peut-être, nous reviendrons !

 (octobre 2013)

 

De formation littéraire et classique, Josette Maldonado découvre la littérature de jeunesse en 1982 en préparant un Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB). Documentaliste dans l’Education nationale, passionnée par son métier, elle a initié de nombreux projets de lecture/écriture dans les établissements où elle a exercé, notamment en partenariat avec les écrivains Jacques Cassabois, René Escudié, Christian Poslaniec, Jean Joubert ; elle a mis en place des comités de lecture et  elle a, trois fois, permis à de jeunes élèves de participer au jury du Prix Roman Jeunesse. A la retraite depuis fin 2004, Josette Maldonado peut enfin se rendre disponible pour le CRILJ des Bouches du Rhône dont elle est adhèrente depuis près de 30 ans. Elle en est actuellement la secrétaire.