Publiée chez Actes sud junior, dirigée par Murielle Szac, la collection « Ceux qui ont dit non » regroupe des « romans historiques destinée à éveiller l’esprit de résistance en offrant des récits de vie de figures fortes qui ont eu un jour le courage de se révolter pour faire triompher la liberté ou la justice. » Chaque roman est complété par un dossier documentaire et un dossier photos.
Le projet est clair. Il s’agit de redonner aux jeunes des raisons de croire en la politique, de lutter contre la morosité ambiante. C’est une invitation à s’engager, à se battre pour des causes justes. Les auteurs évitent le documentaire et un genre littéraire qui mettrait en avant le caractère de sainteté du personnage dont on raconte la vie. Les hommes et femmes choisis sont des exemples mais ne sont pas présentés comme des héros.
Les adolescents sont effectivement capables de s’indigner et de se révolter. Ils trouveront dans chaque ouvrage des ressources documentaires et des adresses pour rejoindre des associations militantes. Ils pourront se demander pourquoi l’on peut avoir des raisons de caractériser la liberté comme « le pouvoir de dire non ». Il est certain que cette collection peut participer à lutter contre la perte de culture philosophique et politique de nos contemporains, l’évanescence de leur mémoire qui les conduit à nier leur propre histoire, le passé glorieux de la conquête des libertés et de l’égalité. Nombre d’adolescents clairvoyants sur les enjeux de société veulent exercer leur citoyenneté, refuser les discriminations et l’humiliation.
Dans ces ouvrages, les questions abordées comme les discriminations ne peuvent qu’avoir des échos tant l’actualité politique est riche en heurts et malheurs dont quelques uns ont leurs racines dans l’histoire. Nous vivons dans une société que l’on ne peut pas traiter d’une manière neutre. Le paysage politique s’éloigne de l’Etat de droit. Les principaux contre-pouvoirs sont canalisés et les principaux pouvoirs sont sous la décision d’un seul. La crise de la démocratie représentative est à la mesure de la crise de confiance à l’égard des institutions et des politiques. La contestation de l’efficacité de l’égalité formelle en est une des causes. Or l’inflation législative pour corriger les inégalités, les mesures de discrimination positive pour combler les injures historiques et les discriminations présentes ne suffisent pas à apaiser le sentiment de ne pas être entouré, écouté. Nous sommes dans un moment peu favorable à l’intégration. Il en résulte une menace sur les libertés fondamentales. Une logique carcérale rentre dans notre société ouverte, dans sa gestion avec la présence de caméras, l’usage des pointages, une gestion par la peur. Mais il existe des espaces d’action, de liberté, d’initiative même si on ressent une certaine impuissance et cette collection « Ceux qui ont dit non » donne des ouvertures.
Une réflexion du Président de la République a récemment étonné mais il fallait y repérer une traçabilité libérale théorisée par le philosophe économiste Hayek ou par le philosophe écossais, Adam Smith considéré comme un des fondateurs de l’économie politique moderne, mais aussi du libéralisme économique et même du néolibéralisme. Ces propos nous invitaient à constater qu’une société égalitaire ne favorise pas la croissance, la motivation, le développement économique et social. Fallait-il en conclure qu’il est bon de poursuivre vers une société inégalitaire ? Bien sûr que non. Où met-on le curseur ? A quel moment va-t-on considérer que les inégalités sont inacceptables ? Plusieurs ouvrages abordent ces questions d’égalité en différenciant équité et égalité et en montrant les leviers d’une évolution pour une société plus juste avec des citoyens impliqués dans la vie, mobilisés sur des valeurs et sur l’intérêt général.
Prenons encore quelques exemples pour montrer comment ces ouvrages sont d’actualité quand ils abordent la question des minorités. Nous vivons une période où se pose la question de la mesure de la diversité. Puisque ceux qui mesurent les discriminations et qui agissent au quotidien contre elles depuis de nombreuses années affirment disposer des moyens de mesure adéquats, puisqu’ils les mettent en œuvre d’ores et déjà de manière consensuelle, pourquoi cherche-t-on à toute force à imposer ces étranges instruments de mesure des minorités visibles ?
En dehors des résonnances sociales et politiques la collection conduit à s’interroger sur la manière de faire passer l’histoire dans les romans historiques. Pourquoi dire l’histoire ? Un homme, une œuvre, un genre littéraire ne surgissent jamais ex nihilo, ils sont au contraire toujours préparés, conditionnés par un certain contexte historico-culturel. (Cette idée est développée par Georges Lukacs dans Théorie du roman). On peut s’interroger sur le regain d’un intérêt pour le genre. L’actualité est un fabuleux prétexte pour les éditeurs de rééditer quelques titres (procès Papon), d’en proposer de nouveaux. Il semblerait que la raison pour laquelle il est édité peu d’ouvrages sur les conflits contemporains est justement qu’ils relatent un fait de l’actualité : le sujet est encore trop sensible. Il est sans doute ardu de créer de la fiction sur un passé proche. Mais on voit bien comment une collection comme « Ceux qui ont dit non » dépasse ces craintes. Mais l’histoire contemporaine dépayse. Sa fausse familiarité oblige à identifier et à expliciter les différences, l’enchaînement des causes et des conséquences qui se sont succédées jusqu’à présent. En cela l’histoire contemporaine est particulièrement formatrice d’un esprit rationnel et scientifique. Elle donne à saisir la complexité croissante de nos sociétés, leur diversité emportées par ce mouvement désordonné de la mondialisation des biens et la circulation des personnes. Elle aide à comprendre que le métissage des peuples est une réalité observable. Dans le même temps l’adolescent doit faire un travail inconscient considérable pour essayer de donner un sens à la transmission entre ce qui l’a précédé et ce qu’il aura à son tour à donner.
Dans le roman historique en général et dans cette collection en particulier, au-delà de ce passé restitué, de ces lieux revisités, c’est à une autre rencontre que nous convient les auteurs, une rencontre avec la mémoire individuelle et collective, enfouie, oubliée, puis ressurgie, ressuscitée, c’est là que peut-être tous ces romans prennent sens : écrire pour se souvenir, interpeller le passé pour comprendre le présent, aider les lecteurs à réfléchir, à se questionner, donc à se construire dans un monde complexe dont ils ont le devoir d’assumer ce qu’il est, pour pouvoir agir et participer, en citoyens responsables, à son amélioration.
Le droit à la différence, le respect de l’autre, la tolérance, les injustices, les souffrances, la quête des racines, la recherche ou l’affirmation de son identité culturelle sont autant de thèmes, de questions abordées par les auteurs de romans historiques, et autour desquels ils invitent les lecteurs à réfléchir.
Murielle Szac directrice de collection répond à certaines questions comme : quelles sont les fonctions de l’histoire dans la culture des jeunes ? Quelle est la place accordée à la mémoire, au devoir de mémoire ? (voir l’entretien sur le site Ricochet)
La relation perturbée à l’histoire est l’une des conclusions majeures d’une recherche menée sous l’égide de la commission européenne en 2002/2004 (dans le cadre d’un projet Connect) sur la citoyenneté européenne. On sait que cette relation perturbée à l’histoire, l’ignorance d’un patrimoine culturel est politique, engendre le mépris de soi et des autres, qui est inévitablement source de violence. On ne construit pas une identité collective ou individuelle, en effaçant le passé ; on ne consolide, ni ne développe la démocratie en ignorant le combat pour les libertés ou les périodes de régression qui l’ont jalonnée.
Liste des ouvrages :
. Isabelle COLLOMBAT – Chico Mendes : Non à la déforestation
. Frédéric PLOQUIN – Hubert Beuve-Méry : Non à la désinformation
. Véronique TADJO – Nelson Mandela : Non à l’apartheid
. Bruno DOUCEY – Federico Garcia Lorca : Non au franquisme
. Rachel HAUSFATER – Mordechaï Anielewicz : Non au désespoir
. Caroline GLORION – Gabriel Mouesca : Non à la violence carcérale
. Gérard DHOTEL – Louise Michel : Non à l’exploitation
. Didier DAENINCKX – Jean Jaurès : Non à la guerre
. Elsa SOLAL – Olympe de Gouges : Non à la discrimination des femmes
. Chantal PORTILLO – Gandhi : Non à la violence
. Jessie MAGANA – Général de Bollardière : Non à la torture
. Maria POBLETE – Simone Veil : Non aux avortements clandestins
. Caroline GLORION – Joseph Wresinski : Non à la misère
. Gérard DHOTEL – Victor Schoelcher : Non à l’esclavage
. Bruno DOUCEY – Victor Jara : Non à la dictature
. NIMROD – Rosa Parks : Non à la discrimination raciale
. Murielle SZAC – Victor Hugo : Non à la peine de mort
. Maria POBLETE – Lucie Aubrac : Non au nazisme
Anne Rabany est membre du CRILJ depuis 1975. Elle a trouvé auprès de cette association les ressources et les accompagnements nécessaires à différents projets qui ont jalonné sa carrière : pour la mise en place des BCD, la formation des personnels lorsqu’elle était Inspectrice départementale puis directrice d’Ecole normale, pour l’animation et le suivi des Centre de Documentation et d’Information des collèges et des lycées en tant qu’Inspectrice d’Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale Etablissement et Vie Scolaire et, actuellement, pour préparer des cours en tant qu’enseignante au Pôle du livre de l’Université de Paris X.