La tête dans les nuages

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Notre tête à nous dans leurs images à eux

      Fin novembre 2020, nous recevons à Orléans, envoyé par le Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis, un colis compact, un peu lourd. Avant même de l’ouvrir, nous savons qu’il contient, au format A3, les 88 images de l’exposition La tête dans les images, qui sera, quelques jours plus tard, installée en extérieur, en format spectaculaire, cela va sans dire, place Aimé Césaire, à Montreuil. Le paquet doit aussi contenir, nous a-t-on dit, des planches d’images qui pourront être proposées aux enfants pour qu’ils les découpent, les assemblent et créent leur propre exposition.

       Un deuxième paquet arrivera quelques jours plus tard, contenant, en nombre, des cartes postales, des marques-pages et des yeux en bandeau empruntés à des  personnages imaginés par Béatrice Alemagna, Gilles Bachelet, Benjamin Chaud, Joëlle Jolivet, Diane Le Feyer, Gwen Le Gac, Aurélie Neyret, Mathis, Mathieu Sapin et Riad Sattouf.

      Le centre de ressources du CRILJ n’est pas l’endroit idéal pour installer des affiches. Les bibliothèques municipales ne sont pas franchement ouvertes. Les libraires croulent sous des tâches pas faciles, tentant de satisfaire des lecteurs impatients. Un établissement public ? Difficile à négocier en quelques jours. Une école complice ? À réfléchir. Un centre de loisirs ? Mais oui, voilà la bonne idée, à condition toutefois de connaitre un peu (ou beaucoup) les personnes en mesure d’imaginer un accueil sympathique et de faire vivre des moments de lecture et des ateliers.

      Et, justement, à Beaugency, il y a Val de lire qui, entres autres activités liées au livre, met en place, chaque année, un Salon du livre jeunesse très apprécié des enfants et des familles. Et – tenez-vous bien – la chargée de mission de l’association connait fort bien le centre de loisirs de Beaugency avec lequel elle a quelques accointances. Nous contactons Anouk Gouzerh.

      Trois courriers électroniques plus tard, l’affaire est conclue et les paquets, même pas ouverts, rejoignent Beaugency par la poste, le train nous étant interdit. Colissimo nous donnera quelques émotions, mais que serait cette période compliquée sans, de temps en temps, une émotion ?

      Ce sont près de cinquante enfants entre 6 et 10 ans qui auront l’occasion de découvrir de manière active, les mercredis 2 et 9 décembre, au centre de loisirs de Beaugency qu’ils fréquentent régulièrement, les affiches et les albums.

      Grand succès des temps collectifs de lecture du matin, avec Anouk, Audrey, Nicole et Lila. C’est Barbara Saillard, animatrice en titre, qui a organisé le lieu et elle  accompagnera les activités pendant les deux jours. Les enfants écoutent attentivement. Auraient-ils quelques habitudes ? On s’attarde sur Toute une histoire pour un sourire (Frédéric Marais et Emilie Gleason), Qu’attends-tu ? (Britta Teckentrup), La collection (Marjolaine Leray), Le cadeau (Page Tsou). On échange, imagier de Bernadette Gervais, suscitera l’enthousiasme de tous. Pour les lectures individualisées de l’après-midi, raconte Anouk, « tout le monde s’est installé dans le hall, naviguant entre l’exposition et les valises de livres. Ces lectures dureront deux heures et elles auraient pu continuer encore. Les enfants, petits ou grands, avaient envie de lire… ou envie de se faire lire. »

      L’atelier du 2 décembre a consisté à choisir dans les planches à découper quelques imagettes, de les coller sur une feuille blanche et de les « élargir » aux crayons de couleurs, selon son inspiration. Il a permis quelques belles réalisations. Ci-dessus, le paysage au bord d’une rivière imaginé à partir de trois illustrations extraites de La collection, album de Marjolaine Leray.

      Pour aider les enfants à raconter leur journée lorsqu’ils seront de retour à la maison, chacun emporta une carte postale, un marque-page et son bandeau favori.

     Il est prévu de faire circuler l’exposition, dans l’Orléanais, durant le premier semestre 2021. Si les conditions sanitaires le permettent ? Si les conditions sanitaires le permettent. Des contacts sont en cours avec plusieurs établissements et une première présentation est envisageable  en janvier, si possible au moment de la Nuit de la lecture.

      À Noël, pas plus de six, sans compter les enfants, on a bien compris.

par André Delobel – décembre 2020

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Les images de l’exposition La tête dans les images proviennent des albums suivants :

. Cachée ou pas, j’arrive ! de Lolita Séchan et Camille Jourdy  (Actes Sud BD, 2020)

. Gladys de Ronald Curchod (Rouergue Jeunesse, 2020)

. La collection de Marjolaine Leray (Editions courtes et longues, 2020)

. Le cadeau de Page Tsou   (HongFei Editions, 2020)

. Le tournesol est la fleur du Rom de Ceija Stojka et Olivia Paroldi   (Bruno Doucey, 2020)

. Macadam, courir les rues de Mo Abbas et Julien Martinière   (Le Port a jauni, 2020)

. On échange ! de Bernadette Gervais   (Seuil Jeunesse, 2019)

. Qu’attends-tu ? de Britta Teckentrup   (Albin Michel Jeunesse, 2019)

. Toute une histoire pour un sourire de Frédéric Marais et Emilie Gleason   (Fourmis rouges, 2019)

. Une folle journée d’Anne-Hélène Dubray   (L’Agrume, 2020))

. Vent d’hiver de Carl Norac et Gerda Dendooven   (La Joie de lire, 2020)

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Photo du haut et photo du bas : Salon de Montreuil

Autres photos : Anouk Gouzerh

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Gwen Le Gac encore

 

Après deux rencontres, en novembre dernier, à Beaugency (Loiret), avec des enfants du centre de loisirs et pour le tout public, à propos de Un enfant de pauvres écrit avec Christophe Honoré, l’illustratrice Gwen Le Gac a rencontré peu après une classe parisienne à la Médiathèque Françoise Sagan. Un article sur ce rendez-vous à lire ici.

 

Gwen Le Gac, née en Bretagne, vivant et travaillant désormais en Seine Saint Denis, est auteure, illustratrice, plasticienne, créatrice textile ; après des études en arts plastiques, en histoire de l’art et en arts décoratifs, faisant feu de tout bois (découpes, imprimés et impressions, broderies, couleurs), « elle navigue dans l’univers de la création et cherche une autre manière de faire l’histoire » ; sensible tant aux arts populaires longtemps méprisés qu’à l’art contemporain, attentive au métissage des mots et des images, elle imagine pour chacun de ses albums de nouvelles formes narratives et graphiques, explore l’imaginaire et interroge le rapport au réel ; parmi ses ouvrages récents : La règle d’or du cache-cache, avec Christophe Honoré (Actes Sud Junior, 2010) qui reçoit le Prix Baobab de l’album,A pas de loup, album collectif sur un texte de Germano Zullo (A pas de loup, 2014), Le Père Noël est un voleur, avec Kéthévane Davrichewy (Actes Sud Junior, 2015), S’aimer, album collectif sur un texte de Cécile Roumiguière (A pas de loup, 2016), Un enfant de pauvres, avec Christophe Honoré (Actes Sud Junior, 2016) ; Gwen Le Gac a publié trois autres albums avec Christophe Honoré et, dans la collection « Mouche » de l’école des loisirs, illustré quatre de ses « petits » romans.

 

Créer avec Mélusine Thiry

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Dans le cadre d’un projet proposé par le CRILJ en 2018 et 2019 sur la représentation de la pauvreté dans la littérature pour la jeunesse, les élèves de la classe de grande section de l’école Côte des Granges à Descartes (Indre-et-Loire) ont, le mardi 19 mars, reçu l’illustratrice Mélusine Thiry pendant une pleine journée. Ils ont notamment regardé avec elle Allumette, album de Tomi Ungerer.

    « Lorsque la petite fille gratte son allumette, se projette sur les murs toutes les ombres de ce qu’elle aimerait pouvoir manger. »

     Dans le prolongement de cette lecture, les enfants accompagnés par l’équipe éducative de l’école et par les animatrices de Livre Passerelle ont réalisé ensemble une fresque inspirée de la technique du papier découpé et du jeu avec les ombres et la lumière cher à l’illustratrice.

    Reportage photographique, dans l’attente d’un article plus explicatif mis en ligne prochainement.

( photos : Sarah Goyer, animatrice de l’association Livres passerelle )

Les illustrations singulières de Gwen Le Gac

 

par Anouk Gouzerh

    Les illustrations de Gwen Le Gac secouent nos attentes par son exploration toujours renouvelée des techniques, au service du propos de l’histoire.

    Les portraits brodés d’un bébé dans Douze, les masques au pastel gras dans Le Terrible six heures du soir, son propre portrait en pochoir dans Je suis une couleur, dont les pages scindées en trois permettent au lecteur de composer lui-même les expressions du visage.

    L’Une belle l’autre pas aborde directement la question du beau, du moche, à travers deux soeurs dont la plus jeune voudrait qu’on lui explique pourquoi son goût, vestimentaire ou exprimé dans ses dessins, serait le « mauvais ». Les pages orange fluo sont bariolées de papiers cadeaux argentins aux allures de tissus excentriques.

Un enfant de pauvres

    L’illustration de Un enfant de pauvres, écrit par Christophe Honoré, est travaillée étroitement avec l’histoire racontée.

    Enzo est un champion de surf de douze ans, qui connaîtra probablement la richesse à sa majorité, mais restera celui qui dit « non », marqué à jamais par la pauvreté qui est entrée dans sa vie à huit ans. Le récit est sec, le personnage jamais dans l’épanchement. La représentation de la pauvreté et des sentiments du personnage face à celle-ci sont réalistes, complexes. Ainsi la mère retrouve un travail, mais celui-ci reste insuffisant pour bien vivre. Enzo se met à voler, mais sans exploiter ses vols, juste pour dépasser la contrainte de devoir tout se refuser.

    Mettre en images ce récit apparaît comme un défi. Dans ses recherches, Gwen Le Gac s’oriente dans la direction du plein et du vide, commence par dessiner le personnage, sa silhouette. Le bleu profond qui habite l’album est déjà présent. Elle s’inspire de photographies qu’elle prend au cours de son travail, au départ des essais qui s’imposent finalement comme la bonne matière. Comment montrer l’expérience violente que subit Enzo ?

    Les photos font donc écho à ce récit du quotidien, et plus encore à l’idée de pauvreté : par des pixels, des décadrages et des entailles blanches qui « décale » le personnage, forcé de s’extraire du cours normal de sa vie, dans son rapport à sa famille et aux autres enfants.

    Au milieu des photos, des images plus abstraites à la bombe de peinture dessinent des émotions, des paysages : un rond rouge larmoyant comme une balle qui a frappé irrémédiablement le garçon, le bleu de l’ennui, ou celui de la mer qui ouvre au contraire les horizons du futur champion de surf.

    Enfin, quatre pages sans texte en monotype, du dessin sur verre, prennent le relais du récit, lorsqu’Enzo glisse au cœur d’une vague puissante, et pourtant apprivoisée.

    Le papier argentin sur lequel ont été réalisées les illustrations est imprimé tel quel avec les trous du carnet, comme un journal intime du personnage, comme une écriture au jour le jour qui fait « vraie ».

(décembre 2018)

Anouk Gouzerh a obtenu, en 2015, à l’université Paris-Diderot, un Master « lettres, arts et pensée contemporaine » avec un travail de recherche sur la mise en scène de la parole et du silence au cinéma. Elle est, depuis 2018, salarié de Val de lire, association organisatrice notamment du Salon du livre jeunesse de Beaugency (Loiret). Elle est également  médiatrice culturelle pour l’association Valimage qui réunit photographes et vidéastes amateurs bénévoles de la région balgentienne et dont l’objectif premier est la promotion de l’image sous toutes ses formes. 

    Deux rencontres ont eu lieu avec Gwen Le Gac, en novembre dernier, à Beaugency, à propos de Un enfant de pauvres, avec des enfants du centre de loisirs et pour le tout public. Gwen Le Gac a raconté le déroulement de son travail, ses recherches, les idées qui surgissent, les inspirations. Elle a proposé un atelier à partir de collage de symboles, d’étiquettes de prix et de mots clés tirés du livre à placer dans le pochoir représentant la tête d’Enzo. Cet atelier a été pensé comme un prolongement d’une discussion autour de la pauvreté et de la consommation en général afin que chacun puisse exprimer, par l’image et par les mots, sa vision de l’expérience vécue par le personnage. Ces activités entraient dans le cadre de la recherche sur les représentations de la pauvreté dans la littérature jeunesse menée par le CRILJ et qui aboutira, les 8 et 9 février 2019, au colloque La pauvreté à l’œuvre dans la littérature pour la jeunesse. Programme et fiche d’inscription ici.