Cinquante ans et toujours jeunes

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En accompagnement de l’accueil dans ses locaux de l’exposition Dans les coulisses de l’album : 50 ans d’illustration pour la jeunesse (1965-2015), l’université d’Artois organisait à Arras, le samedi 4 mars 2016, une journée d’étude Les scènes de l’album, avec la participation de Loïc Boyer, Christian Bruel, André Delobel, Florence Gaiotti (responsable de la journée), Eléonore Hamaide, Isabelle Valdher et Hélène Valotteau. En voici le « lever de rideau ».

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    La célébration d’un anniversaire nous amène sur le terrain du souvenir et même de l’Histoire avec sa grande hache. Histoire qui donne en même temps à rire et à pleurer. Pleurer quand on songe au démantèlement obstiné de tout l’environnement périscolaire et socio-culturel né au lendemain de la Libération et préparé, anticipé dès la fin de la première guerre mondiale. Rire quand on voit l’extraordinaire développement de la création destinée à la jeunesse et cette vitalité qui s’exprime dans toutes les œuvres ici exposées. Rire aussi à voir le CRILJ résister vaillamment aux vicissitudes que je viens d’évoquer, à l’occasion de la présente exposition mais aussi des importants colloques qu’il continue d’organiser tous les deux ans, dont les actes sont restitués dans Les Cahiers du CRILJ, quant à eux de nouveaux venus. Et se réjouir pour le moins quand on voit que l’université française, longtemps présente en pointillé dans ce domaine, y est lancée fougueusement depuis quelque temps.

    De ce point de vue, nous sommes ici sur un site qui a contribué à conduire ce mouvement, et puisque nous parlons d’anniversaire, Les Cahiers Robinson vont franchir leur vingtième année.

    Cinquante ans, vingt ans, en l’occurrence cela n’a guère d’importance. C’est presque la même chose. De même, toutes les œuvres exposées n’ont pas cinquante ans, mais d’une certaine façon aucune n’a d’âge. Certaines peut-être se signalent-elles par leur inscription dans un courant artistique qui pourrait être daté. Même cela n’est pas certain, notamment aux yeux d’un ignorant comme moi ou comme tous les enfants pour qui la nouveauté tient plutôt dans le caractère récent du livre ou de l’album.

    On pourrait en dire autant de la figure de Robinson, éternel jeune vieux qui ne cesse de susciter reprises, réécritures, réappropriations. C’est pourquoi, à l’occasion de ces vingt ans, un numéro des Cahiers s’intitulera « Encore Robinson ».

    Toutes les œuvres exposées ont donc cinquante ans comme le CRILJ ou tant d’institutions ou revues qui sont nées presque en même temps puisque la décennie 1965-1975 a été marquée par une explosion d’initiatives à caractère militant et/ou professionnel.

    Ou beaucoup moins de cinquante ans, comme les enfants à qui elles sont censées s’adresser. Je dis bien « censées » car je me demande si ce ne sont pas les adultes qui seront les plus sensibles à cette exposition placée tout particulièrement sous le signe de ce que les Anglo-Saxons nomment le crossover. Œuvres crossover, s’adressant donc de manière croisée aux publics jeunes et adultes, voire vieux. Pour un public qui lui aussi est crossover, car lecteur croisé d’œuvres qui s’adressent tantôt à l’enfance, tantôt à la maturité. D’une certaine manière, il y a une contemporanéité de tous les publics et de tous les travaux exposés, un esprit d’enfance hors chronologie.

    Dans la mesure où cette exposition privilégie les essais, les ébauches, mais aussi les fantaisies portées sur les courriers et sur les enveloppes par les artistes, c’est une sorte de caractère primitif qui est favorisé, mais depuis Lévy Bruhl et surtout ses continuateurs le primitif n’est plus seulement antérieur mais en quelque sorte structurel et permanent, se maintenant dans les sociétés réputées comme évoluées. Ce caractère primitif est lié à une certaine vision de l’enfance, qui elle-même selon Bachelard n’est pas un moment de la vie mais un noyau qui ne cesse de se développer. C’est pourquoi le mot « œuvre » semble presque inapproprié, non pas tant parce que ces travaux ne seraient pas aboutis mais que ce mot renvoie à une posture artiste.

    A l’université d’Artois, au moment où se tient cette exposition  dans la salle des doctorants, une autre va s’ouvrir au Bâtiment des Arts, accompagnée de spectacles, autour de l’œuvre de François Lazaro : « Pour en finir avec la marionnette ». François Lazaro a expérimenté toutes les formes de marionnettes et d’anti-marionnettes, de pantins mais aussi d’objets et de matériaux qu’il « anime », tous devenant « des interprètes par délégation ». On se souvient particulièrement de son Horla, où un morceau de mousse nous donnait l’émotion d’être devant la plus grande détresse, le plus grand abandon, la plus terrifiante enfance abandonnée. Car la marionnette ou l’anti-marionnette, qu’elle se mette au service de Maupassant (Le Horla, donc) ou de Beckett (Pour finir encore), exprime viscéralement quelque chose d’enfantin que ne peut peut-être vraiment ressentir qu’une personne un peu âgée. Il me plaît de penser que ce Horla qui lui non plus n’a pas d’âge fut le premier spectacle que j’invitai à l’université d’Artois, en 1994, au soir d’un colloque intitulé « Imaginer Maupassant », qui fut publié dans La Revue des Sciences Humaines avec des photogrammes du spectacle.

    Dans le travail de François Lazaro il y a toujours quelque accointance avec l’art brut, celui des matériaux détournés qui prennent soudain une autre dimension. De même, dans l’exposition pensée par Janine Kotvica, on trouve ainsi la planche à laver de sa mère, sur laquelle d’ailleurs l’artiste a peint un sauvage. Cette exposition, on ne la voit pas vraiment d’un point de vue historique. Thématique si l’on veut, mais bien plutôt analogique. J’ai dit « artiste », mais le mot semble inapproprié tant se dégage quelque chose de naturel qui échappe à l’art ou qui réinvente l’art, quand bien même ces œuvres sont signées de grands professionnels. Plus encore que les coulisses de l’album ou que la porte dérobée de l’atelier, c’est le capharnaüm de la chambre des enfants qui dessinent, qui découpent, détournent et donnent une autre vie aux objets. C’est quelque chose comme l’émergence de l’esprit d’art, de la même façon que dans Origine monde de Daniel Lemahieux, mis en scène par François Lazaro, quelques matériaux pauvres et un peu de lumière se mettent à vivre et à s’exprimer. La différence tient sans doute que chez Lazaro l’enfance est comme une sorte de douce plainte, une souffrance en attente.

    Dans cette exposition au contraire il y a toujours quelque chose de primesautier. Une jubilation pour un jubilé. C’est aussi une collection privée, à laquelle j’associerai un ensemble de petites cartes de formats divers que m’a donné Janine Kotvica et qui sont des dessins la représentant, signés d’auteurs qui sont des amis, des copains.

    A côté de l’industrie éditoriale qui se développe autour de l’enfant, souvent devenu prétexte, je terminerai en plaidant pour une librairie de jeunesse pauvre, au sens de l’art pauvre, un art d’enfance fait d’objets détournés, de dessins, de découpages, de textes et de récits eux-mêmes recyclés, quelque chose nous faisant échapper à une ambition littéraire ou artistique décrétée en préalable plutôt qu’authentifiée par l’élan du public.

(Francis Marcoin – Arras, le 4 mars 2016)

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Francis Marcoin, professeur de langues et de littérature française à l’université d’Artois depuis 1993, dirigeant le laboratoire de recherche « Textes & Cultures » et responsable de l’axe « Littératures et cultures de l’enfance », a été élu, en 2012, président de son université ; spécialiste de l’histoire et de la critique de la littérature pour la jeunesse, il a mené des recherches sur l’école, la lecture, les manières de critiquer, le roman des XIXe et XXe siècles ; en 2009, accueillant les archives du CRILJ, il met en place le Centre Robinson ; il est président de la Société des amis d’Hector Malot et directeur de publication des Cahiers Robinson ; parmi ses publications : À l’école de la littérature (Éditions ouvrières, 1992), La comtesse de Ségur et le bonheur immobile (Presses universitaires d’Artois, 1999), Librairie de jeunesse et littérature industrielle au XIXe siècle (Honoré Champion, 2006) et, avec Christian Chelebourg, La littérature pour la jeunesse (Armand Colin, 2007).

Une rencontre avec Anne Brouillard

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Invitée par la section Midi-Pyrénées du CRILJ dans le cadre de son projet « L’Habiter », Anne Brouillard, auteur-illustratrice, était, le 7 novembre 2015, à l’ESCAL, la nouvelle médiathèque de Nailloux. Martine Abadia et Ghislaine Roman ont animé la rencontre. Nelly Delaunay qui a consacré une thèse à Anne Brouillard était également présente.

 GR : Quand on entre dans tes albums, Anne, on entre souvent dans une maison paisible, dans une ambiance, douce, sereine, protectrice… On y aperçoit des cafetières en émail dans des cuisines surannées, des jouets dans des chambres d’enfants et ces objets du quotidien réveillent nos souvenirs, font surgir des parfums, des sons, des émotions. Est-ce que ces maisons existent ? Et ces visites que tu nous proposes, n’est-ce  pas, en fait, la visite de certains moments de ta vie ?

Est-ce que les maisons existent ? Forcément puisqu’elles sont dans les livres ! Dans la réalité, elles n’existent pas vraiment, sauf celle du Chemin bleu. Elle est en Auvergne. C’est une ancienne école transformée en gîte. J’y ai séjourné un trimestre. Les autres sont inspirées de maisons réelles ou sont construites en carton.

GR : Est-ce qu’on peut dire que la maquette est une étape de ta création ?

Oui, par exemple dans Le rêve du poisson, j’ai eu besoin de faire le plan de la maison pour m’y retrouver et j’ai fait aussi la maquette avant de la dessiner. J’aime bien réaliser des maquettes. Dans Le petit somme aussi la maquette existe.

MA : Quand on sort de la maison, on se trouve dans une nature domestiquée, dans des parcs, des jardins ou, au contraire, dans une nature sauvage, près de lacs, de rivières. Les animaux y sont présents, renards, lapins, canards, oiseaux, en harmonie avec les humains… Ils ont parfois des airs humains et se tiennent debout. Ces images nous parlent d’un temps suspendu, parcouru d’échos d’un passé encore proche. C’est ce cadre de vie que tu offres dans tes albums à tes jeunes lecteurs, bien loin de ce que la plupart d’entre eux connaissent. Qu’as-tu envie de leur transmettre à travers tes images ?

Oh cette question-là est difficile. Je ne sais pas. En fait, je pense juste à faire des choses que j’aime bien.

GR : C’est une sacrée transmission…

Ça ne me semble pas que du passé, ça peut être du futur, c’est dans le présent aussi. Il existe encore des forêts avec des animaux, des jardins avec des animaux… Bon, il y a beaucoup trop de voitures, c’est vrai et, pour moi, le futur ce serait qu’il n’y en ait plus.

GR : Mais il y a quand même quelques voitures dans tes albums.

Oui, dans Le voyage d’hiver, il y en a quelques unes.

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MA: Justement, peux-tu nous dire quelques mots sur Le voyage d’hiver ?

Alors je vais vous parler technique. C’est plus facile pour moi que de vous parler de ce que je peux transmettre. C’est plus terre à terre. Au départ, ce n’était pas un livre. C’était une toile peinte pour une exposition, elle mesure 40 cm de hauteur et elle est très longue, plus longue que le livre déplié. Le livre s’arrête à la gare, la toile continue au-delà. Elle a d’abord été exposée dans un parc à Roubaix. Et puis mon éditrice a proposé d’en faire un livre.

GR : On pourrait parler de cet autre moyen de transport très présent dans tes livres : le train. Ton univers est sillonné par des trains qui vont de gare en gare. Les trains apparaissent même sous forme de jouets dans les chambres d’enfants. On a constaté ces effets de dedans-dehors comme une invitation à un autre paysage et cette impression de temps suspendu… Tu as choisi de prendre le train pour venir jusqu’à nous. Tu as traversé la France du nord au sud. Pourquoi aimes-tu tant les ambiances de gare et quelle importance accordes-tu au train dans ton travail ?

Allez savoir pourquoi on aime les choses… Le train, ça vient de très loin. Déjà enfant, j’adorais les trains. Mes grands-parents habitaient près d’une ligne de chemin de fer. Mon père adorait les trains lui aussi. Le train a une vie en lui-même. Les gens en prennent possession. Il se passe toujours quelque chose dans un train… Les gares, j’adore aussi. Je m’y sens chez moi. Pour venir de Paris à Toulouse, le voyage dure presque 7 heures. Le paysage est magnifique.

GR : Est-ce que c’est quelque chose de plastique ou de graphique qui t’interpelle là-dedans ?

Oui, bien sûr, et même très fort. En fait, quand j’étais enfant, j’avais envie d’être conductrice de trains.

GR : Nelly Delaunay a attiré notre attention sur des points intéressants dans les images d’Anne. Elle nous a montré des citations d’un album dans l’autre qui tissent une intertextualité particulièrement solide et qui nous est apparu très représentatif De ton travail. On pourrait considérer qu’il ne s’agit que de clins d’oeil après tout, d’une espèce de complicité établie avec les lecteurs fidèles mais nous avons le sentiment qu’il s’agit de quelque chose d’autre. Peux-tu nous parler, Anne, de ces jeux que tu mènes d’un album à l’autre ?

C’est très simple. J’explique tout ? Alors voilà. Il s’agit de quatre albums qui sont sortis deux par deux, Le pêcheur et l’oie et Le voyageur et les oiseaux étant les deux premiers. Le premier est une histoire inspirée de la réalité, comme souvent. J’avais vu des pêcheurs au bord d’un étang à Bruxelles et il y avait une oie à côté qui s’intéressait très fort à ce qu’ils faisaient. J’ai inventé l’histoire puis je suis retournée au bord de l’étang pour des croquis et, à ce moment là, j’ai observé une foulque qui construisait son nid. Dans la réalité, elle ne le construisait pas qu’avec des branches mais avec des tas d’autres choses dont des sacs plastiques. C’était un nid très moderne ! C’est à l’occasion de ces observations que j’ai eu l’idée de croiser ces histoires. Du moins, certains des personnages. Par exemple, dans le troisième album, La vieille dame et les souris, on aperçoit à la toute dernière page, à travers la fenêtre d’un appartement, le pêcheur du premier album, son poisson dans un aquarium et l’oie sur le canapé. Il y a un autre croisement avec le chien noir que l’on voit sur la couverture de l’album Cartes postales et que l’on le retrouve dans Le grand murmure et dans La terre tourne. Dans le prochain album à sortir à l’automne 2016, le chien sera le héros. Il y a un croisement aussi entre Le pays du rêve et L’orage. On voit la même maison et donc aussi le même environnement, en petit dans le premier album, en plus grand dans le deuxième.

GR : Mais pourquoi ?

Pour m’amuser ! Faire des livres pour moi, c’est aussi inventer des endroits qui pourraient exister, leur donner vraiment vie. C’est une sorte de jeu, comme font les enfants.

GR : Et après c’est la vie qui s’installe dans l’endroit que tu as créé…

( Nelly Delaunay revient sur ces quatre albums et signale d’autres croisements ; elle insiste sur ce don d’ubiquité caractéristique du monde brouillardien ; elle feuillette La famille foulque où le passage des saisons donne lieu à de si belles images. )

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MA : Anne, peux-tu nous éclairer sur le cheminement de ton travail plastique ? Quels sont tes outils ? Y a t-il des techniques que tu préfères ?

Ça dépend des livres et des périodes. J’ai travaillé avec la peinture à l’oeuf pour L’orage. Toutes les peintures sont composées de deux choses : du pigment qui donne la couleur et du liant. Selon le liant, les peintures ont des propriétés différentes et donc des noms différents : aquarelle, gouache, acrylique, tempera… On peut facilement fabriquer cette dernière soi-même : on récupère un jaune d’oeuf, on enlève la peau qui l’entoure, on le place au centre de la palette en y ajoutant un peu de vinaigre et tous les pigments autour et on prépare les couleurs au fur et à mesure des besoins. J’ai utilisé cette technique entre aquarelle et peinture à l’huile pour beaucoup de mes livres. Elle offre davantage de matière que l’aquarelle, elle se prépare vite, elle se travaille à l’eau, elle sèche vite et elle a un rendu très lumineux. C’est en cherchant une technique appropriée pour réaliser L’orage que j’en ai découvert toutes les propriétés. Je l’ai utilisée pour peindre Le voyage d’hiver. Mais, pour l’album Petit somme, j’ai dessiné à la plume et mis en couleurs avec deux sortes d’encre : une encre liquide en bouteille et des bâtons d’encre secs que l’on frotte sur une pierre au dessus de l’eau. Je me fournis dans un magasin chinois à Paris. Pour Loup, j’ai travaillé avec des aplats de gouache en tubes de différentes gradations de gris. Je suis passée davantage au dessin au trait au moment où j’ai fait Le chemin bleu. Je travaillais la gravure à cette époque-là, technique très exigeante au niveau du dessin. Puis j’ai continué au trait et j’ai réalisé la série Le pêcheur et l’oie. Avant, j’étais plus dans la peinture et la lumière avec des formes qui naissent en fait de la matière, de la masse, de la couleur. C’était un travail différent.

Question du public : A l’occasion de la peinture tempera, que faites-vous des blancs d’œuf ? Des meringues ?

Mais oui, au début, je faisais ça, mais je n’aime pas trop les meringues. Et puis je trouve que c’est beaucoup plus difficile à réussir que la peinture.

GR : Alors, quittons la cuisine et revenons vers la narration. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, tu décides que l’album sera sans texte ? Pour L’orage, tu avais imaginé un texte et puis tu l’as abandonné.

Beaucoup d’albums sont sans texte car les idées me viennent comme ça, en images. La narration en images convient et l’éditeur l’accepte comme ça… L’orage est le seul album pour lequel j’avais un texte. En fait, j’ai travaillé huit ans sur cet album et il s’est passé plein de choses entre temps. Je me suis rendu compte que ce que je voulais raconter, c’était la lumière, les changements, les sensations… et j’ai eu le sentiment que je racontais mieux en images. Le lecteur a tendance à lire le texte et à regarder l’image en complément. Là, je voulais que tout soit dans l’image et ça change tout pour la construction du livre ça se joue, du coup, sur la taille des images, leur agencement, leur ordre. Quand on ouvre le livre, on est dans la maison, dans la véranda, et on passe de pièce en pièce assez doucement, comme si on s’y promenait pour de vrai. L’œil, sans le savoir, enregistre des indices qui aide à la compréhension, mais on ne s’appesantit pas, ça doit couler. Puis, sur une double-page, quatre images indiquent plusieurs actions se déroulant en même temps. C’est une façon de raconter.

MA : Lorsque nous avons exploré tes albums, nous avons observé qu’ils étaient parus chez différents éditeurs. Qu’est-ce qui entraîne le choix d’un éditeur ou l’acceptation par lui de ta proposition d’album ?

– Pour mon premier album, Trois chats, j’avais rencontré une illustratrice, Marie Wabbes, à qui j’avais montré mes dessins. Elle m’a aiguillée vers deux éditeurs. Le premier n’a pas voulu de mes trois chats, le deuxième les a acceptés. C’était un éditeur belge spécialisé en livres scolaires – qui n’existe plus – mais il ne diffusait qu’en Belgique francophone. La Belgique c’est petit et la Belgique francophone encore plus ! Elle représente un marché trop petit pour l’édition jeunesse. Donc l’éditeur travaillait en co-édition. C’est ce qui explique que mes albums paraissaient coédités avec l’un ou avec l’autre. Je ne suis pas attachée à un seul éditeur, en effet. Et puis, dans les maisons d’édition, les gens changent …

MA : Certains de tes albums ont été réalisés dans le cadre de résidences sur des appel à projets : Le chemin bleu, La berceuse du merle. Comment envisages-tu ces contraintes ? Comment sont-elles dépassées et deviennent-elles sources d’inspiration ?

C’est à chaque fois une histoire différente. Par exemple, Le chemin bleu fut écrit lors d’une résidence avec une école en Auvergne. C’était une petite école avec 30 enfants. Ils avaient obtenu une bourse du CNL. Le projet était que chacun réalise son propre livre. C’était passionnant mais c’était un peu de la folie. J’intervenais deux jours par semaine dans l’école, durant trois mois. J’avais sympathisé avec les enseignants. Le reste du temps, je travaillais sur un autre projet mais il y avait une logique entre les deux et je ne l’ai jamais ressenti comme une contrainte. J’ai réalisé Le grand murmure durant une résidence à Troyes. L’intérêt, c’est que j’ai vraiment dessiné sur place, sous les yeux des habitants du village. Je m’installais à l’extérieur avec tout mon matériel, les gens venaient me voir… La berceuse du merle vient d’un projet du département de Seine-St-Denis qui finançait la création d’un album à offrir à tous les nouveaux-nés du département.

GR : Dernière question : accepterais-tu de partager avec nous quelques uns de tes projets à venir ?

Le prochain livre à sortir est terminé. C’est une histoire en huit chapitres avec illustrations et planches de BD. [Anne nous montre ses brouillons dans un grand carnet où tout est écrit et dessiné finement.] Mais il y a beaucoup trop de texte et plein de défauts. J’avais besoin de poser tout ce que j’avais dans la tête. Après, j’ai retravaillé dessus, reconstruit, condensé les choses. Ce n’est pas évident ! [Anne nous montre aussi quelques images : une cabane dans une forêt, des personnages vus de dos, une petite fille et son chien noir, qui marchent. On les voit souvent de dos. Et puis les mêmes personnages dans un autre décor, une maison et ce chien noir…] Ce matin, dans une classe, un enfant m’a demandé comment ça se faisait que le chien habitait une si grande maison tout seul… Voilà, maintenant vous savez tout !

( Nathalie Delaunay manifeste à Anne son admiration pour son talent d’artiste peintre. )

Non, non je n’ai pas les préoccupations d’un peintre. J’utilise les mêmes matériaux mais mon but est de raconter par les images. Le plaisir que je prends à réaliser chaque image donne peut-être cette impression-là, mais, pour moi, c’est de l’image, ce n’est pas de la peinture. Mais après, chacun peut penser ce qu’il veut…

( compte rendu établi par Martine Cortes – novembre 2015 )

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Enseignante pendant de longues années, Martine Abadia fut responsable et animatrice de la Salle du Livre du Centre d’animation et de documentation pédagogique (CADP) de Rieux-Volvestre, centre de ressources littérature jeunesse et lieu d’accueil de classes lecture, ouvert en partenariat par le Conseil Général et l’Inspection Académique de la Haute-Garonne. « Je profite de mon nouveau statut de retraitée pour approfondir au CRILJ Midi-Pyrénées ma connaissance de la littérature de jeunesse et pour faire partager ma passion aux médiateurs du livre du  département. » Martine Abadia est l’actuelle présidente de la section.

Née au pied des Pyrénées, dans une petite maison aux volets bleus, au bord d’un torrent de montagne, à une époque où les ours mangeaient tranquillement les myrtilles, Ghislaine Roman a enseigné pendant plus de trente ans, longtemps en maternelle, puis au cours préparatoire. « Ce métier ma comblée. J’y ai connu des émotions, des découragements, des remises en questions, des bouleversements. […] J’ai travaillé énormément, j’ai lu, réfléchi, mis en œuvre, un peu comme le fait un artisan. Sur une base théorique solide j’ai laissé libre cours à ma fantaisie pédagogique. J’ai adoré cette liberté. » Premiers textes parus dans les magazines Wakou, Toupie, Picoti et Toboggan. Parmi les derniers albums publiés : Un jour, deux ours (Milan, 2007), Contes d’un roi pas si sage (Seuil Jeunesse, 2014), La poupée de Ting-Ting (Seuil Jeunesse, 2015), OUF ! (Milan, 2015).

Sur le chemin de l’école des loisirs

par Françoise Lagarde

     Une journée d’étude Sur le chemin de l’école des loisirs : 50 ans de création pour la jeunesse a été organisée, le mercredi 9 décembre 2015, sur le site François-Mitterrand de la Bibliothèque nationale de France (BnF) à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’école des loisirs, par le Département Littérature et art-Centre national de la littérature pour la Jeunesse de la BnF, en partenariat avec l’éditeur. Elle a permis d’interroger la politique éditoriale de cette maison qui s’est fait une place importante et particulière dans le paysage de l’édition pour la jeunesse avec ceux qui en sont les acteurs. En paroles et en images, au passé, au présent, au futur, avec ses fondateurs, grands témoins, auteurs et créateurs.

 Belle après-midi qui se déroule dans la salle du Belvédère, au dix-huitième étage de la Tour des Lois, l’un des quatre « livres ouverts » qui encadrent l’espace de la BnF.

– Ouverture par Louis Delas, Directeur général de l’école des loisirs et par Sylviane Tarsot-Gillery, Directrice générale de la Bibliothèque nationale de France :

    Louis Delas insiste sur la mission que s’est donnée sa maison, au-delà d’une profession, pour faciliter l’accès à la lecture. Le travail éditorial place les auteurs au centre du projet, pour fournir aux enfants, êtres en devenir, les clés de leurs joies et de leurs craintes, aux travers des métaphores véhiculées par les livres et leur offrir des ouvertures sur le monde.

    L’émotion soulevée par les attentats du 13 novembre 2015 sera sous-jacente à de nombreux échanges et la place de la formation de la personne et de la construction d’une conscience citoyenne se retrouveront perceptibles en arrière-plan des discours tenus par la majorité des intervenants.

– Témoignage d’Anne-Marie Chartier, agrégée de philosophie et docteur en sciences de l’éducation, longtemps enseignant-chercheur et maître de conférences au Service d’histoire de l’éducation de l’INRP :

    Anne-Marie Chartier explique ne pas être envahie par l’émotion de la mémoire face aux 50 ans de cette maison, car si elle connaissait bien les livres de L’école des loisirs, largement présents autour d’elle dans les écoles, elle n’avait pas eu besoin d’en connaitre l’éditeur ! Elle dresse ensuite un rapide panorama en échos, entre développement des conditions de la lecture scolaire et développement de l’offre éditoriale pour la jeunesse. Elle évoque Ferdinand Buisson, le style franciscain des créations de Paul Faucher déclarant que « l’image parle directement à l’intelligence et à la sensibilité », la volonté de l’école des loisirs de s’inscrire dans cet héritage et de faire « aussi bien que le Père-Castor » mais l’on sait bien que « pour que tout soit pareil, il faut que tout change » ; elle liste ensuite les avancées d’après mai 1968, ces années ouvrent une période faste pour la richesse éditoriale, notamment avec la loi Lang sur le prix unique du livre, une commission jeunesse au CNL, la création de l’association ACCES (Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations) et de Livres jeunes aujourd’hui, l’ouverture, à Paris, de la librairie jeunesse, Chantelivre, les instructions officielles de 2002 qui introduisent la littérature dans les programmes de l’école primaires… Elle note enfin que les attentats récents et le score du Front national aux récentes élections régionales rendent plus inquiets sur la période à venir.

    Anne-Marie Chartier introduit parmi les louanges adressées à l’éditeur un peu de « poil à gratter » en constatant la mise en place d’une « culture de l’entre-soi » installant une connivence entre auteurs, éditeurs, lecteurs. Ceci la conduit à s’interroger, à partir de recherches universitaires comme celles de Stéphane Bonnery, sur les implicites, les références, les modes de narration présents dans de nombreux ouvrages et qui constituent, pour certains enfants de milieux populaires, des obstacles de nature à freiner leur accès à la compréhension de ces albums. Pour lutter contre cette complicité discrète de « l’entre-soi », elle préconise de développer des interactions avec des adultes compétents, des médiateurs et des enseignants formés, attentifs à l’importance des pratiques de lecture mises ne œuvre.

Dialogue subtilement mené par Anne-Laure Cognet, spécialiste en littérature de jeunesse, avec Arthur Hubschmid, Directeur éditorial de l’école des loisirs :

    Anne-Laure Cognet qui réussit à dépasser à la fois un repli bougon du directeur général éditorial peu disposé à parler de lui et une description de son travail à l’école des loisirs que les nombreuses interviews données au fil de cette année pourraient rendre un peu formatées. Elle amène habilement son interlocuteur à parler de son cheminement personnel avec des retours sur des étapes connues et des questions révélant des événements inédits ou des facettes nouvelles. Un peu réticent au départ, Arthur Hubschmid se détend rapidement pour évoquer son travail, en exposer les axes privilégiés et les étapes principales…

    Il ressort de ces échanges la primauté à donner à la constitution d’un catalogue soit en achetant les  droits de livres déjà édités « ce qui est plus facile », soit en éditant de nouveaux ouvrages « ce qui est plus amusant » ; une grande attention portée aux auteurs, en leur accordant la possibilité de faire des gammes sans rencontrer immédiatement le succès ; le fait de ne jamais oublier que ce sont les enfants qui sont les destinataires des œuvres ce qui conditionne la place prépondérante tenue par le personnage qui « même loser doit s’avérer leader » et l’histoire racontée ; l’importance accordée par un ancien « ouvrier du livre » à la typographie, à la forme externe de l’ouvrage qui concourent à la séduction exercée par le livre mais ne doivent se remarquer. Anne-Laure Cognet conclut le dialogue : « Vous n’attirez pas l’attention pour que les livres soient plus visibles. »

– Echanges en deux temps « Autour des romans » avec Shaïne Cassim qui questionne Geneviève Brisac sur son parcours d’éditrice puis avec une table-ronde orchestrée par Geneviève Brisac avec Shaïne Cassim, Xavier-Laurent Petit  et Florence Seyvos :

     Shaïne Cassim met en évidence le rôle d’ « éditrice-passeur » qui est celui de Geneviève Brisac, le travail d’équipe, au sein d’un « cabinet de créations », qui lui permet de découvrir, faire circuler des textes, échanger à leur propos. Elle affirme qu’il ne faut pas rester seule devant le texte.

    Elle aborde ensuite la question de l’auteur, la manière dont Geneviève Brisac, éditeur, se comporte face à lui. Geneviève Brisac développe une attention minutieuse à la voix littéraire de l’auteur et porte un regard analytique sur les motifs et les figures du roman, sa composition, ses possibles développements. Elle évoque un travail à la fois concret et insaisissable qui comporte une grande subjectivité pour  » se glisser vers l’imaginaire d’un auteur » ; elle cite Odilon Redon « rien ne se fait en art sans une relation directe à l’inconscient. »

    Elle évoque aussi une possible injonction paradoxale à laquelle pourrait être confrontée Geneviève Brisac en tant qu’écrivain-éditeur : « Avoir envie d’éditer un livre, explique cette dernière, ça se construit pour moi contre certains savoirs, ça relève du jeu, de la révolte, cela garde un lien avec « la matière de notre enfance », comme dit César Pavese. »

   Geneviève Brisac présente brièvement les trois auteurs participant à la table-ronde, Shaïne Cassim, Xavier-Laurent Petit et Florence Seyvos, en insistant sur la diversité de leur parcours et la nécessité de se construire une représentation de ce qu’est un « livre pour enfant ». Elle leur donnera largement la parole pour qu’il exprime chacun ce qu’ils mettent sous l’expression engageant conjointement les trois termes « littérature contemporaine pour la jeunesse ».

Table-ronde « Autour des albums » animée par Sophie Van der Linden, spécialiste de l’album, avec les ilustrateurs Adrien Albert, Chen Jiang Hong et Yvan Pommaux :

     Sophie Van der Linden débute cette table ronde par une présentation érudite de la biographie, du travail et des ouvrages des auteurs présents à la table mais sans installer d’échanges avec eux, son intervention aboutissant, de fait, à une confiscation de la parole qu’ils se sont réappropriée avec verve et brio pour rendre compte eux même de leurs œuvres, de leur travail, de leur relation à la création et à leurs jeunes lecteurs, individuellement ou dans le cadre de projets de lecture en classe, en bibliothèque… Tous les trois se racontent en échos, mêlant simplicité et humour, avec un posant un regard réflexif sur leur œuvre et manifestant une grande attention aux enfants, Adrien Albert constate qu’ « On s’échine à expliquer ce qu’on s’est appliqué à rendre simple dans le livre « , Yvan Pommaux dit de son travail » : On essaye de le faire sérieusement sans se prendre au sérieux ».

    Chen Jiang Hong conclut en rendant un hommage appuyé à l’accueil que lui a réservé la France à son arrivée de Chine, après une enfance pendant la Révolution culturelle qu’il a racontée dans Mao et moi et il adresse de vifs remerciements à son éditeur, l’école des loisirs, pour la confiance qu’il lui a témoignée et les conditions de travail extrêmement favorables à la création qui lui sont faites. Il donne libre cours à son émotion qui gagne l’assistance, certaines situations évoquées renvoyant implicitement à d’autres, très contemporaines.

   L’intermède filmé annoncé est consacré à la projection de l’enregistrement réalisé lors de la peinture en direct d’une fresque sur une paroi de verre, par Chen Jiang Hong, à l’occasion du vernissage de l’exposition Une histoire, encore ! 50 ans de création à l’école des loisirs, le 30 septembre 2015, au musée des Arts décoratifs.

    La conclusion est assurée par Michel Defourny qui affirme « Les livres c’est comme le lait, on en a tous besoin pour grandir ». Il dresse avec beaucoup de délicatesse et d’érudition un panthéon des auteurs de l’école des loisirs à partir des témoignages figurant dans Lire est le propre de l’homme, édité en 2011, par cette maison. Il rend hommage à cet éditeur qui « privilégie la lecture buissonnière à la lecture ferroviaire », l’éducation ainsi reçue conduisant ainsi les enfants vers la liberté et la démocratie, « de l’enfant lecteur au libre électeur ».

   On s’en retourne en emportant l’image d’une vue plongeante sur les lumières de la ville offerte du Belvédère. A cette date, Paris scintille déjà à cette heure.

(Paris, 10 décembre 2015)

    papillon

Françoise Lagarde, formatrice dans le premier degré, est devenue ingénieur d’études au ministère de l’Éducation nationale où elle fut chargée, jusqu’en 2013, des dossiers relatifs au livre et à la lecture en tant qu’adjointe au chef de bureau des écoles à la direction générale de l’enseignement scolaire ; elle a assuré la mise en œuvre de l’opération Des livres pour les écoles et des plans de développement des BCD, coordonné l’élaboration et la production du répertoire 1001 livres pour l’école (1997), contribué à la mise en place des sélections d’ouvrages de littérature pour les trois cycles de l’école primaire, collaboré au Guide de la coopération bibliothèque-école (CRDP de Créteil, 1986) et à la mise en ligne sur le site ministériel Éduscol de ressources pour faire la classe ; elle est administratrice du CRILJ.

Réfugié à 12 ans

 par Jacques Cassabois

    J’ai lu un livre, récemment. Puissant. Une fuite à perdre haleine vers l’espérance, vers un rêve, rythmé par le galop hargneux des chevaux de la mort. Une odyssée comparable à celle d’Ulysse, mais d’un Ulysse enfant, qui affronte à lui seul des dangers que bien des adultes n’imaginent pas. Gulwali, petit Afghan de 12 ans, a été chassé par sa propre mère, parce que mieux valait une mort probable, et le plus tard possible, sur les chemins de l’exil, qu’une mort assurée, brutale, sur la terre natale. Repousser, coûte que coûte, l’instant de franchir la lisière de la vie, se reconquérir à chaque pas, en espérant triompher ! Voilà ce que raconte l’enfant qui a grandi (22 ans cette année), dans son livre. Non, ce n’est pas un ouvrage de plus sur la misère du monde, c’est un livre éclairant, lumineux, de même dimension que les grandes épopées mythiques. C’est un récit d’initiation, raconté par l’initié lui-même.

MOI, GULWALI, REFUGIÉ A 12 ANS

de Gulwali Passarelay et Nadene Gourhi, Hachette témoignages, 2016, 450 pages, 17,00 euros.

    Gulwali est Afghan. Sa famille appartient à la tribu des Pachtounes, favorable aux Talibans. Son père est docteur. Il soigne tous les malades, ceux qui ont de quoi payer, comme ceux qui n’ont rien. Il tient aussi un dispensaire. C’est un homme respecté. Pourtant, un jour tout change. L’Afghanistan, après quinze ans d’occupation soviétique, suivies par la nuit talibane, est envahi par les libérateurs  américano-britanniques. La guerre, encore. Les belligérants sont différents. Ils viennent sauver, secourir les populations,  qu’ils massacrent à qui mieux mieux, pour leur bien évidemment, et la liberté, et l’avènement de la démocratie !

    Un jour, les Américains débarquent chez Gulwali. Ils suspectent son père de cacher des armes pour les talibans. Les voisins s’insurgent et viennent défendre leur docteur. Ça tire ! Ça tue ! Le père de Gulwali meurt, ainsi que le grand-père. Les racines familiales sont atteintes. Prévoyants, les parents qui avaient senti les nuages s’amonceler avaient envoyé les enfants à l’abri au Pakistan, chez le grand-père maternel. Un soir, la mère franchit la frontière, arrive chez son père, et annonce à ses deux aînés, Hazrat 13 ans, et Gulwali 12 ans, qu’ils doivent partir, suivre un inconnu qui les conduira vers la sécurité, vers l’aube nouvelle, l’Europe. « Ils y seront en quelques semaines, assure le guide. Pour eux, ce sera comme des vacances. Une aventure ! » Hazrat et Gulwali sont terrorisés.

    Avant de partir, leur mère leur dit : « Aussi mal que les choses tournent, ne revenez jamais ! » Une gifle qui les empêche de protester, les fige, pour figer les larmes. Ils partent, chassés par l’amour de leur mère.

    Ils atteindront l’Europe, l’un après l’autre, car ils seront vite séparés, sans pouvoir protester. Hazrat mettra six mois pour arriver en Angleterre. Le voyage de Gulwali, moins chanceux, va durer 13 mois ! Des vacances, avait assuré le premier passeur. Oui, des vacances en enfer !

    Un périple de 20.000 kilomètres, une anthologie de la misère humaine vécue par un gamin de 12 ans, qui a traversé la faim, le froid, l’épuisement, le désespoir, la terreur, la prison, la promiscuité écœurante des cabanes où les réfugiés s’entassent, pendant des jours, des semaines.

Nuit et brouillard 

    Marcher en aveugle, sans connaître la destination, faire confiance à des gens indignes de confiance, frôler la mort tant de fois, par noyade en mer Egée, être jeté d’un train en marche, par le conducteur bulgare qui doit conduire Gulwali et ses compagnons de hasard en Grèce. Retour à la Turquie, prison encore. Retour vers l’Iran, pour revenir à la case départ, l’Afghanistan. Gulwali pense à sa mère : « Aussi mal que les choses tournent, ne revenez jamais ! ». Non, il ne reviendra pas. Il s’évade plusieurs fois, retombe sur ses pieds comme un chat efflanqué, et une fois arrivé au terme du voyage payé par sa famille, l’Italie, il parvient, par ses propres moyens, à se relier à d’autres réseaux de passage pour continuer jusqu’au bout de son rêve halluciné. Il a appris que son frère était en Angleterre. C’est en Angleterre qu’il veut aller, pour le rejoindre.

    Mais une fois à destination, d’autres dangers, d’autres luttes l’attendent, et d’abord la plus inattendue, la plus révoltante : prouver qu’il est celui qu’il prétend être, à des gens de pouvoir qui ne le croient pas, prouver qu’il ne ment pas, qu’il a bien 13 ans, parce que c’est impossible n’est-ce pas, un tel voyage d’est en ouest, d’une société tribale patriarcale vers une société totalement libérée, pour un mineur non accompagné ! Un tel séisme culturel !

    « Je m’appelle Gulwali, j’ai 13 ans et je suis un enfant ! » Une fois outre-Manche, après avoir franchi l’effroyable étape de la Jungle de Calais, Gulwali hurlera cette vérité jusqu’aux portes de la mort pour tenter de se faire entendre.

    Ce périple est une véritable Odyssée homérique. Son auteur un héros authentique, au sens étymologique, héracléen du terme. Comme Héraclès, en effet, Gulwali se confronte aux obstacles, repoussant ses limites à chaque nouvelle épreuve. Et comme tous les héros, il est convaincu que ses épreuves ont  un sens.

     « Je croyais de plus en plus au destin, au fait que Dieu avait un plan pour moi, dit-il. La foi qui sauve ? Oui, sans doute. Musulmane dans le cas de Gulwali, mais quelle différence avec celle d’un chrétien, d’une Thérèse d’Avila qui disait :  » Dieu nous envoie des épreuves à notre mesure ! « , d’un juif, d’un bouddhiste, d’un animisme, d’un Hopi, d’un adepte de la spiritualité holistique, sans église et sans clergé ? La foi d’un être qui se sait relié, qui se sait parcelle de l’univers, persuadé que ce qu’il endure ne peut pas être gratuit, et que sa volonté, son acharnement à vivre se répandra comme une mer d’énergie sur tous ceux qui ont besoin d’être lavés par cette eau.

    Moi, Gulwali, refugié a 12 ans est un livre indispensable, parce que très instructif. Il nous décrit de l’intérieur le système extraordinairement organisé et efficace des passeurs, avec une tête de réseau, invisible, qui opère depuis le pays d’origine, relayée par toute une hiérarchie de responsables régionaux, locaux, jusqu’à celui qui prend en charge le migrant. Des salauds en nombre, aussi cruels et pervers qu’on les imagine, des menteurs, des exploiteurs de misère, où des bandes de kidnappeurs viennent encore s’immiscer, pour voler le butin humain et le renégocier à leur profit… Mais aussi, parfois, inattendue et déroutante, la grâce ineffable d’êtres bienveillants qui donnent plus que prévu, partagent leur nourriture avec les fuyards, offrent des vêtements propres, de l’eau pour se laver, et de la bienveillance, et de l’amour.

    Ce livre est tout le contraire d’un pamphlet accusateur contre l’Occident. Rien dans ses pages ne suscite la mauvaise conscience du lecteur ou sa culpabilité. Pas la moindre trace d’idéologie calculatrice ! C’est un témoignage, simple, total, réfléchi, écrit dans une langue claire, parce qu’il n’y a qu’une manière de rapporter certaines vérités.

    Mais, 12 ans, nom de dieu ! 12 ans ! Comment ne pas nous reporter à nos propres 12 ans ? Comment ne pas être suffoqué ?

   Par l’écriture, Gulwali remet ses mois d’épreuve à plat, médite, se tourne vers l’avenir, transformant son exil en levain.

    Quelle œuvre exigeante t’attend donc, cher Gulwali, pour avoir dû subir une telle marche forcée ? Un tel entraînement de futur commando de la paix ?

    Je ne peux pas m’empêcher de terminer ce mot, en évoquant la fin du livre, où Gulwali, une fois de plus saisi par une effroyable crise de désespoir, se tourne vers sa foi. C’est le mot jihad qui lui monte au cœur ! J’ai bien dit jihad ! Mais lisez-moi jusqu’au bout.

    Gulwali ouvre alors son coran, avec respect, comme son père lui a appris, et son grand-père aussi. Il cherche les versets traitant du jihad. Il les lit, et c’est une révélation :  « Pour la première fois, écrit-il, j’ai véritablement compris ce que ce mot signifie. Non, pas au sens faussé et manipulé de « guerre sainte ». C’est l’interprétation erronée qu’utilisent ceux qui agissent au nom de l’islam pour commettre des actes terroristes. Le sens littéral de jihad est « lutte » ou « effort » — la guerre sainte à l’intérieur de soi. C’est la bataille que j’ai menée avec moi-même pendant tout ce temps. […] Et, je le comprends maintenant, c’est la bataille qu’il me faudra continuer à mener. Le jihad est la lutte intérieure à laquelle nous sommes tous confrontés. Peu importe la foi qui est la nôtre, peu importe si nous vivons sans aucune foi. »

     Héraclès, encore, en ses Travaux, qui s’emploie à ouvrir une voie pour relier la Terre au Ciel et fait reculer ses limites ! Héraclès incarné.

    Gulwali Passarelay, un homme de paix, une âme de feu, semblable à celles qui tissent du sens à travers les siècles, à travers les temps, et les (in)humanités qui les scandent.

(27 février 2016)

gulwali

Né en 1947, Jacques Cassabois interrompt sa scolarité pour devenir comédien. « L’année de mes 18 ans, mon bac en poche, je suis entré à l’école du Théâtre National de Strasbourg. Mon père ne l’a jamais su. Il était mort entre l’écrit et l’oral. » Il devient instituteur, entre à la Fédération des Œuvres Laïques de Seine-et-Marne et découvre la littérature pour la jeunesse. Il participe au comité de rédaction de Trousse-Livres qui deviendra Griffon. Participe, un samedi de 1984, avec une vingtaine de ses collègues, à la création de La Charte des auteurs et des illustrateurs dont il est président pendant trois ans. Parmi ses ouvrages : L’homme de pierre (Léon Faure, 1981), Le premier chant (Ipomée, 1983), Monsieur Pasteur (La Farandole, 1985), Les deux maisons (Hachette, 1990). Lauréat du grand prix de la Société des Gens de Lettres et du Ministère de la Jeunesse et des Sports, Jacques Cassabois s’intéresse aux textes fondateurs et aux héros mythiques tels Sindbad, Gilgamesh, Héraclès ou Jeanne d’Arc. Merci à lui pour nous avoir confié ce texte.

Le milieu paysan en littérature de jeunesse

par Bernard Pédeboscq

    On a tendance à abandonner le terme de paysan – l’homme d’un pays – au profit du métier d’agriculteur. Perçu parfois péjorativement et associé à la pauvreté agraire, la balourdise, l’inculture, la routine… il fonde toutefois une époque, un pays, une région, une zone géographique et culturelle. Pourtant, une partie des cultivateurs revendique aujourd’hui cette appellation pour l’opposer à l’agriculture productiviste, pour maintenir les racines et les traditions. Etre paysan ce n’est pas un métier. C’est plutôt une façon de vivre, un ancrage et le gardien de valeurs.

    Cette mutation radicale se traduit en littérature de jeunesse à la fois par des ouvrages et des documents du passé puis de nouvelles approches vers le bio, l’écologie, le jardinage ou les évolutions de la cuisine. Il faut rappeler en effet que le travail de la terre et de ses occupants, la glorification de la nature et de la campagne ont inspiré La Fontaine, Balzac, George Sand, Maupassant, Zola… puis dans les années 1960 l’école de Brive avec ses romans du terroir. Parmi les classiques, on peut citer les succès de Jacquou le Croquant (Eugène Le Roy, 1899), La vie d’un simple (Emile Guillaumin, 1904), Le cheval d’Orgueil (Pierre-Jakez Hélias, 1975), Jean Chalosse moutonnier des Landes (Roger Boussinot, 1976) mais aussi, les deux films cultes (en album et DVD) de Georges Rouquier illustrant à quarante ans de distance les évolutions de sa famille dans une ferme d’un village occitan, Farrebique (1945) et Biquefarre (1983). Nourrissant ainsi avec la fin du petit paysan, un imaginaire et des mythes d’une civilisation disparue, opposant le traditionnel et le moderne, l’autosuffisance et la société de consommation, le rural et l’urbain.

    Une civilisation rurale, lieu de production de denrées alimentaires, perdure toutefois et intègre d’autres professions, d’autres activités (tourisme vert), d’autres personnes venant de la ville dans le cadre de la rurbanisation… L’enfant est sensible à la nature. Dans ces domaines, on trouve peu de chose dans la littérature de jeunesse. Bien sûr, les travaux de la ferme, l’omniprésence de l’animal, abondent dans les ouvrages documentaires, surtout pour les plus jeunes. Mais presque rien sur les problèmes, les difficultés, les modes de vie actuels. L’animal sert souvent de support à des fables symboliques. On pense aux albums qui jouent sur la double lecture (enfant-adulte) comme La grève des moutons ou La petite oie qui ne voulait pas marcher au pas, de Jean-François Dumont dans lesquels se lisent les luttes syndicales ou bien Un mouton au pays des cochons d’Alice Brière-Haquet deux mondes qui ne s’aiment pas et qui suggèrent l’opposition entre émigrés et « français de souche. »

  Plus récents sont les ouvrages sur la préservation des territoires et de l’environnement, sur les aspects écologiques liés à la campagne, sur les approches nouvelles de la découverte de la nature. Le roman Tistou les pouces verts de Maurice Druon ou l’album Le jardin voyageur de Peter Brown où l’enfant-héros égaye la ville en entretenant des plantes et des fleurs en sont deux bons exemples. A noter encore avec l’organisation collective de la protection de la nature les romans de Christian Grenier comme Ecoland. Plus concrètement les incitations à jardiner, à cuisiner soi-même comme les diverses approches du bien manger, du consommer durable enrichissent le thème. Mais y-a-t-il encore des paysans ? Les expositions photographiques, les livres de Raymond Depardon – La Terre des paysans – saisissent les derniers moments, l’essentiel de cette culture et permettent d’ « observer les traces de la présence de l’homme qui par son intervention au fur et à mesure de l’histoire a modifié le territoire. »

farrebique

Fondateur en 1999 de la section régionale Pau-Béarn du CRILJ dont il est toujours président, Bernard Pédeboscq aura beaucoup fait pour le livre de jeunesse : comme enseignant avec ses élèves, comme critique avec Raoul Dubois et pour Bateau Livre et Oiseau Livre, comme formateur avec l’inspecteur général Luc et avec les Francas, pour le Prix Jean Macé organisé par la Ligue de l’enseignement. Conférencier et débatteur infatigable, longtemps adjoint à la marie du Pau, Bernard Pédebossq créa, en 1983, le Salon Pau fête le livre.

Les coulisses de l’illustration

 par André Delobel interrogé par Roger Wallez

Est-il possible de discerner, dans ces 50 ans, des périodes, des dominantes dans l’esthétique de l’illustration ?

L’histoire de l’illustration des livres pour enfants témoigne d’évolutions lentes plus que de ruptures. C’est peu à peu que l’image s’est affranchie d’une fonction décorative ou documentaire pour se poser d’abord, à partir des années 1930, avec les albums du Père Castor, la question de sa lisibilité, puis, au fil de ces cinquante dernières années, assumer de mieux en mieux une liberté esthétique vis-à-vis du texte qu’elle commente volontiers et élargit souvent. « Est-ce encore pour les enfants ? » disent parfois ceux qui ne font pas confiance aux jeunes lecteurs.

Le fait de vous limiter aux illustrateurs français vous a-t-il privés de certaines esthétiques importantes ?

Nous limiter aux illustrateurs français nous privent de noms importants (certains sont dans le catalogue), mais pas vraiment d’esthétiques, du moins si l’on a en tête l’édition europénne et américaine. Aller faire un tour au Japon ou en Inde aurait, par contre, ouvert d’autres perspectives. L’illustration française s’est nourrie des « grands étrangers », Maurice Sendak par exemple, et elle est devenue l’une des plus inventive au monde.

Durant ces 50 ans, j’imagine bien que certaines innovations techniques ont induit de nouvelles esthétiques, le numérique par exemple…

La révolution éditoriale des années 1970 est, pour l’album, au carrefour du mouvement d’idées foissonnant de l’époque et de progrès importants dans le domaine de l’imprimerie. Elle se développe également en concurrence avec l’image cinématographique et télévisuelle d’une part et publicitaire d’autre part, que les illustrateurs intègrent dans leur travail et contestent à la fois. Il faut citer ici les éditeurs Harlin Quist et François Ruy-Vidal qui donnèrent « pages blanches à couvrir » à nombre d’entre eux. S’agissant du numérique, commençons par dire que l’on n’est qu’au début d’un élargissement incontestable des possibilités de la création. Qui s’ajoutera aux autres et ne se substituera pas. La gomme et le crayon ne sont pas à jeter à la poubelle après-demain. Je distinguerai, pour faire court, deux façons d’utiliser le numérique, une première où il s’agit simplement de profiter des facilités (relatives) qu’offrent les logiciels de traitement d’images ou la palette graphique, sans conséquence apparente sur le résultat, une autre qui laissent sciemment visible l’origine numérique de l’image. Nous n’en sommes pas encore à l’émergence d’une esthétique nouvelle, mais pourquoi pas. Il suffira que des lecteurs suivent comme certains, par exemple, recherchent parce qu’ils l’apprécient une illustration visiblement créée avec un aérographe. Signalons aussi que les progrès du traitement industriel de l’édition ont beaucoup facilité la fabrication des pop ups, des livres-objets ou, simplement, l’insertion d’une feuille en plastique transparent entre deux pages.

Vous affirmez, à travers cette exposition, votre volonté de montrer « les coulisses de l’illustration ». Comment cela se traduit-il concrètement ?

Si le travail premier d’un illustrateur est de créer, à la demande d’un éditeur, des images pour un livre, il n’est pas rare qu’il investisse également les « périphéries » de son art. L’un fera des affiches, l’autre des cartes, un troisième des programmes. Et tous laisseront des traces, au fil de leurs rencontres avec les enfants et les médiateurs : des dédicaces, des invitations, des lettres malicieusement illustrées. Ces témoignages sont, généralement, précieusement gardés par ceux à qui ils sont adressés. Les coulisses, ce sont aussi les « pièces à conviction » du long processus d’élaboration des images et, faute de pouvoir présenter un atelier reconstitué, l’exposition montre quelques émouvants travaux préparatoires.

La typographie elle-même a-t-elle connu une évolution au cours de ces 50 ans ?

Réponse tout à fait personnelle. La typographie est un monde en soi et ses richesses sont anciennes. Je pense, pour ce demi-siècle, aux couvertures d’ouvrages signée Pierre Faucheux et André Massin. Les possibilités offertes par l’informatique facilitent aujourd’hui le travail. Mais force est de constater la pauvreté typographique qui domine dans la plupart des ouvrages publiés. Combien d’albums aux images somptueuses sont gâchés par un choix de caractère hasardeux et une mise en page fainéante !

Est-il possible de discerner des pistes particulières pour les décennies à venir ?

Les illustrateurs d’aujourd’hui, de plus en plus souvent sortis d’écoles d’art, sont d’une inventivité indéniable. Pas tous ? Non, certes, mais beaucoup. Tout est permis, tout est possible, mais l’édition est une industrie et nous ne vivons pas dans un monde de bisounours. Hypothèse pas trop risquée quand même : aux côtés d’esthétiques éprouvées et répétitives (il en faut), se développeront, dans le sillage de ce qui se publie aujourd’hui, des manières de faire plus stimulantes encore, innovantes et audacieuses, impertinentes parfois.

  (Beaugency, le 28 mars 2015)

    image couverture

Né en 1947. maître-formateur récemment retraité, André Delobel est, depuis presque trente-cinq ans, secrétaire de la section de l’orléanais du CRILJ et responsable de son centre de ressources. Auteur avec Emmanuel Virton de Travailler avec des écrivains publié en 1995 chez Hachette Education, il a assuré pendant quatorze ans le suivi de la rubrique hebdomadaire  » Lire à belles dents  » de la République du Centre. Il est, depuis 2009, secrétaire général du CRILJ au plan national. Articles récents : « Promouvoir la littérature de jeunesse : les petits cailloux blancs du bénévolat » dans le numéro 36 des Cahiers Robinson et « Les cheminements d’Ernesto » dans le numéro 6 des Cahiers du CRILJ consacré au théâtre jeune public.

Né en 1947, pris en charge par une tante religieuse de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, Roger Wallet aurait pu être prêtre. Mais dans la vieille institution républicaine qu’est l’Ecole normale de Beauvais (Oise), il découvre le militantisme et se détourne des affaires de la religion pour s’intéresser à celles de ses frères en humanité. En 1968, il rencontre Guy d’Hardivillers, à la Fédération des œuvres laïques. un instituteur de sept ans son aîné, qui l’initiera au théâtre. Objecteur de conscience, il fera son service civil chez Emmaüs. Instituteur jusqu’en 1992, avec un intermède d’un an à la direction du Centre d’animation culturelle de Compiègne et du Valois, chef de cabinet de l’inspecteur d’académie jusqu’en 1999, directeur du Centre départemental de documentation pédagogique jusqu’en 2006, année de son départ à la retraite.  » J’ai vécu principalement en Picardie où, professionnellement, ma carrière s’est partagée entre l’enseignement et l’action culturelle. J’ai écrit un grand nombre de chansons. Mon premier livre a été publié en 1999, Portraits d’automne (Le Dilettante) et j’en ai une trentaine à mon actif : poésie, romans, nouvelles, essais, théâtre, etc. » En 2012, la compagnie théâtrale Les fous de bassan a accueilli Roger Wallet pour une résidence d’écrivain dans le canton de Beaugency (Loiret).

Passage d’Allier

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par Josette Maldonado

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    Le temps du troisième Festival des illustrateurs, en septembre 2015, le Passage d’Allier de Moulins est devenu le passage des éditeurs. Quelques jeunes maisons d’édition s’y étaient donné rendez-vous et proposaient leurs dernières créations. Nous présentons trois d’entre elles. Trois d’entre elles méritent d’être retenues :

La poule qui pond

    Cette petite et toute jeune maison d’édition indépendante a été créée à Clermont-Ferrand en avril 2014 par Valentin Mathé. Elle propose aux enfants de 3 à 10 ans des albums et des livres jeunesse qui font la part belle à l’imaginaire et amènent les petits à jouer avec leurs peurs. C’est ainsi que dans sa collection « Plein de bestioles » Valentin Mathé met en scène des créatures étranges dans des albums aux titres évocateurs, comme Le petit monstre du noir, Si je t’attrape, Vert de peur, Sous mon lit il y a… un voleur de chaussettes.

    Eric Battut a fait paraître à La poule qui pond un coffret de trois albums sous le titre Petit bonhomme, trois histoires d’amitié entre un petit personnage et de drôles de monstres. Mais l’originalité de cette maison d’édition c’est de proposer également des ouvrages conçus pour faciliter l’apprentissage de la lecture et particulièrement destinés aux dyslexiques. Ils se caractérisent pas un  graphisme et une mise en page adaptés car ils ont été pensés et travaillés en collaboration avec des orthophonistes. Par exemple, les espacements entre les mots et les interlignes sont augmentés, les liaisons entre les mots sont indiquées, les lettres muettes signalées, les syllabes prononcées traduites en couleur. Le rêveur qui ramassait des papiers bonbon de David Dumortier et Nathalie Novi ou Petit ogre veut un chien d’Agnès de Lestrade et Fabienne Cinquin appartiennent à cette catégorie.

    On trouve enfin à La poule qui pond des livres-albums comme Histoire de monstre destinés aux mal ou non voyants. Ce dernier livre est écrit en braille avec des illustrations en relief.  Mais, ce qui est remarquable c’est que le texte en braille s’accompagne aussi d’un texte classique, ce qui permet une lecture partagée entre un lecteur non voyant et un lecteur voyant. En fin d’ouvrage, un dossier pédagogique présentant l’écriture braille et son alphabet  renforce encore cette possibilité de partage de lecture.

A pas de loups

    C’est une petite maison d’édition belge. Elle a été créée en 2013 par Laurence Nobécourt qui a choisi le loup comme emblème parce que, comme lui, « elle avance à pas de velours, sans bruit, discrète mais bien présente pour stimuler l’imagination des petits loups »…

    Laurence Nobécourt s’est fixé comme ligne éditoriale de privilégier la création littéraire et artistique avec des auteurs / illustrateurs confirmés ou de jeunes talents. De cette maison d’édition le CRILJ des Bouches du Rhône a acheté, signé par Cécile Gambini, Bagbada dont on pourra  lire l’analyse de Ricochet sur son site. Cet album décrit la rencontre de deux êtres solitaires et neurasthéniques, l’un tout déplumé, tout délavé, maigrichon et raplapla, l’autre ratatiné et tristounet avec… un bon gros crapaud plein d’imagination et de dynamisme.

La Maison est en carton

   Créée en 2007 par Manon Jaillet, diffusée par Le Poisson Soluble, cette maison se veut, avant tout, éditeur d’images et toute son activité principale est en effet tournée vers l’image et vers les illustrateurs du livre jeunesse. La Maison est en carton propose donc des livres, des images inédites, des séries limitées, des boîtes, des coffrets.

    A Moulins nous avons été séduites par Toi émoi de Franck Prévot. C’est à la fois un livre/objet et un livre/jeu. Il se présente sous la forme d’un étui contenant six cartons pliés en trois. Quand on les déplie, de courts poèmes d’amour apparaissent que des mots, inscrits dans des découpes comme autant de fenêtres, enrichissent ou modifient. Ils  créent chaque fois un effet de surprise, leur apportant fantaisie, humour ou poésie.

(octobre 2015)  

passaged'allier

De formation littéraire et classique, Josette Maldonado découvre la littérature de jeunesse en 1982 en préparant un Certificat d’aptitude aux fonctions de bibliothécaire (CAFB). Documentaliste dans l’Education nationale, passionnée par son métier, elle a initié de nombreux projets de lecture/écriture dans les établissements où elle a exercé, notamment en partenariat avec les écrivains Jacques Cassabois, René Escudié, Christian Poslaniec, Jean Joubert ; elle a mis en place des comités de lecture et  elle a, trois fois, permis à de jeunes élèves de participer au jury du Prix Roman Jeunesse. A la retraite depuis fin 2004, Josette Maldonado peut enfin se rendre disponible pour le CRILJ des Bouches du Rhône dont elle est adhèrente depuis près de 30 ans. Elle en est actuellement la secrétaire.

Une soirée avec Maurice Cocagnac

 par Chantal Dumolard

    Nous étions convié, le samedi 9 janvier 2016, de 17 à 19 heures, dans la salle Dumont du Centre d’études du Saulchoir, 45 rue de la Glacière à Paris, pour une rencontre proposée par Geneviève Patte et la Petite bibliothèque ronde autour de Maurice Cocagnac, dominicain, musicien, peintre, illustrateur et éditeur aux éditions du Cerf, dans les années 1970, d’albums pour les enfants. Une assistance de 70 personnes dont 12 messieurs.

Sept d’un coup

– Geneviève Patte introduit la soirée et cite « la très belle exposition de la médiathèque Françoise Sagan. » Comprendre : l’exposition  Dans les coulisses de l’album que propose le CRILJ …

– Cécile Boulaire fait une analyse très fine de l’œuvre de Maurice Cocagnac et de « ses » illustrateurs, entre autres les précuseurs Alain Le Foll et Jacques Le Scanff.

– Marie-Hélène Delval lit et fait dialoguer de piquante manière vieux « caté », bible et ouvrages bibliques « à la Cocagnac ».

– Jacqueline Kotwica déroule les trois périodes de l’inclassable Maurice Cocagnac : 1) il s’illustre lui-même, 2) il écrit ses textes et découvre des illustrateurs, bretons ou japonais, 3) il crée des collections puis se retire, n’écrivant plus, n’illustrant plus.

– Moment émouvant : Kota Taniuchi, illustrateur présent dans la salle, raconte sa rencontre avec Maurice Cocagnac, par éditeur japonais interposé. Là-haut sur la colline, dit-il, est un album pour 0 à 100 ans.

– Irène Bonacina qui a découvert Maurice Cocagnac grâce à Geneviève Patte décrit six livres, sensible qu’elle est à leur poésie et à leur finesse, en illustratrice publiant depuis six ans. Parmi ses choix : Qui m’appelle ? illustré par Kota Taniuchi…

– Une petite fille a longs cheveux bruns, lunettes, regard grave, s’approche d’Irène Bonacina et la regarde avec sérieux, tel une elfe sortie d’un des livres de Maurice Cocagnac et de sa tribu d’illustrateurs.

Pour poursuivre

    Bernadette Onfroy, comédienne, lit Là-haut sur la colline, comme en kamishibaï ; elle porte un vêtement vert assorti aux couleurs du livre.

    Patrick Jacquemont, frère dominicain présent dans la salle évoque le Cocagnac voisin de cellule, plus mystique qu’austère mais pas confit en dévotion, d’une immense culture, passionné de civilisations lointaines. Les dominicains de la rue de la Glacière ont veillé à préserver son fonds, dessins et écrits, même s’il n’est pas publié et peu connu aujourd’hui. Il rappelle que, pendant la période « japonaise », les éditions du Cerf achetaient les images seules et créaient un texte parfois d’après les réactions des enfants regardant ces images.

    Janine Kotwica cite le seul livre réédité, Petit mammouth, chez Memo. Elle fait part d’un double étonnement : rien sur Maurice Cocagnac ni sur Alain Le Foll dans le Dictionnaire du livre de jeunesse du Cercle de la librairie.

C’est presque fini

    Il est 19 heures 15. L’assistance se léve peu à peu. Des conversations animées se poursuivent autour des ouvrages, « livres de silence éloquent », dira Janine Kotwica. Des questionnements restent en suspens. Maurice Cocagnac garde une part de mystère. Irène Bonacina signe quelques livres. Les dominicains ne sont pas pressés de fermer la salle.

    Une soirée de charme qui fut un régal de bout en bout.

(le 22 janvier 2015)

 cocagnac

Chantal Dumolard est documentaliste en patrimoine muséographique. Elle  a longtemps travaillé  au Musée du sport, avenue de France, dans le treizième arrondissement.  Elle est, depuis quelques années, administratrice du CRILJ

La Charte donne rendez-vous

par Françoise Lagarde

    Par un temps automnal, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse fêtait ses 40 ans, le 21 septembre 2015, au Centre national du livre, rue de Verneuil à Paris.

    La soirée a commencé à 19 heures par une table ronde sur « Les auteurs jeunesse, vecteurs de la lecture chez les jeunes ». Celle-ci, animée par la présidente de la charte, Carole Trébor, réunissait des auteurs et des illustrateurs dont la production couvre un large spectre, de la petite enfance à l’adolescence. Claire Cantais, Janik Coat, Yves Grevet et Séverine Vidal ont répondu aux principales questions qui se posent lorsqu’on envisage visites, rencontres et contributions à des ateliers d’écriture auprès de jeunes lecteurs, en classe, à la bibliothèque, au centre aéré :

– Qu’est-ce que ça représente, pour des enfants, de rencontrer un auteur ?

– Quelles sont les attentes, les apports réciproques ? Diversement, les auteurs/illustrateurs ont fait le récit d’anecdotes de rencontres, bonnes ou mauvaises, de déclics de découverte, indiqué les questions récurrentes, un peu lassantes ou sources de témoignages toujours renouvelés : « Comment trouvez-vous l’inspiration ? »

– Quelques clichés : « L’enfant aux super-questions est-ce plus généralement le cancre ? », vite démentis par une réponse négative des auteurs à cette interrogation ou « Les questions différent-elles en fonction de la « sociologie » de l’école ? » qui reçoit comme réponse qu’il est seulement nécessaire d’être un peu plus attentif au vocabulaire, de préciser le sens de certains mots pour les publics les plus fragiles.

– Même si la dimension d’animateur n’est pas toujours dans la nature de l’écrivain, la présence de l’auteur permet une incarnation du livre, de la création littéraire, enrichissante pour tous et chacun.

– Quelles différences entre auteurs et instituteurs (1) dans le déroulement d’une visite en classe ? Le rôle de la préparation de la venue de l’auteur est, dans tous les cas, déterminant (en évitant la désinvolture mais aussi, à l’inverse, le verrouillage des questions qui détermine l’absence de spontanéité.

– Est-ce que l’occasion de rencontrer un auteur est offerte à tous les enfants au cours de leur scolarité à l’école (et au collège) ? Cette question, comme la mention du rôle de la mairie pour les écoles de Paris montre qu’il serait intéressant que les membres de la Charte rencontre les instances scolaires au niveau national, académique ou départemental pour disposer des informations, éventuellement formalisées dans des documents, permettant de construire une représentation plus juste et plus précise du fonctionnement des écoles, comme des collèges, de leur nombre, de leur financement…

    La soirée s’est poursuivie autour d’un cocktail avec les nombreux auteurs, illustrateurs et éditeurs présents, Claude Combet pour rendre compte dans Livres-Hebdo, Jacques Vidal-Naquet pour le Centre national de la littérature pour la jeunesse-BnF, notamment.

    Les candidats se sont bousculés pour se faire tirer le portait dans la cabine du Portraimatique tenue par les illustratrices Catherine Chardonnay et Nathalie Desforges.

    En fin de soirée, les lumignons intégrés entre les pavés la cour de l’Hôtel d’Avejean traçaient le début du chemin du retour…

    Pour retrouver, ambiance et photos, c’est ici.

(1) Tiens, le professeur des écoles n’a pas fait son entrée dans le langage de la Charte…

(22 septembre 2015)

Françoise Lagarde, formatrice dans le premier degré, est devenue ingénieur d’études au ministère de l’Éducation nationale où elle fut chargée, jusqu’en 2013, des dossiers relatifs au livre et à la lecture en tant qu’adjointe au chef de bureau des écoles à la direction générale de l’enseignement scolaire ; elle a assuré la mise en œuvre de l’opération Des livres pour les écoles et des plans de développement des BCD, coordonné l’élaboration et la production du répertoire 1001 livres pour l’école (1997), contribué à la mise en place des sélections d’ouvrages de littérature pour les trois cycles de l’école primaire, collaboré au Guide de la coopération bibliothèque-école (CRDP de Créteil, 1986) et à la mise en ligne sur le site ministériel Éduscol de ressources pour faire la classe ; elle est administratrice du CRILJ.

 

 

 

 

 

Colloque 2023

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… NOVEMBRE 2022

Le Centre de recherche et d’information sur la littérature pour la jeunesse organise, le vendredi 13 et le samedi 14 octobre 2023, dans une médiathèque parisienne, un colloque pluridisciplinaire titré De la mémoire dans la littérature pour la jeunesse : racines, souvenirs, transmission.

L’appel à communication est ici.

Le programme du colloque et la fiche d’inscription seront sur cette page dans quelques mois.

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